Mémoire de master en architecture - Habiter l'inhabitable ?

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HABITER L’INHABITABLE ? ANALYSE SOCIO SPATIALE DE LA « JUNGLE » DE CALAIS Stadelmann Laure Mémoire de Master École Nationale Supérieure d’Architecture Paris - Val de Seine Sous la direction de : Sabrina Bresson


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« Calais, Grande-Synthe. Depuis toujours contemplant la Flandre et l’Angleterre. Faut-il être carrefour ou citadelle ? Vous a-t-on dit que vous seriez des ombres ? Qu’il n’y aurait pour vous aucune terre ? Vous a-t-on dit qu’après la guerre, il y aurait la misère des terres battues par le vent ? Vous a-t-on dit que vous n’auriez plus de nom ? Nulle part ici, nulle part ailleurs. Vous a-t-on dit que vous auriez « nulle part » pour seule patrie ? »

Yolande Moreau, Nulle part ailleurs


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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

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PARTIE I. DÉFINIR LA « JUNGLE » DE CALAIS

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A. Aux origines de la « jungle » de Calais

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a) Histoire : Les précédents de la « jungle » de Calais (1998 – 2015)

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b) Politique : La précarité comme système de dissuasion

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B. A propos de la mise à l’écart

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a) Mise à l’écart spatiale : l’extraterritorialité

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b) Mise à l’écart politique et juridique : l’exception

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c) Mise à l’écart sociale : l’exclusion

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C. Définition d’un espace inhabitable ?

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a) La propriété comme gage d’habiter ?

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b) Offrir du temps à l’appropriation

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c) Investir pour contester

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D) Présentation du terrain

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a) Méthodologie

42

b) Présentation des échelles

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PARTIE II. HABITER LA « JUNGLE » DE CALAIS A. Se protéger

53 54

a) Ech 1 – Retour aux origines de l’architecture

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b) Ech 2 – Créer de l’intimité

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c) Ech 3 – Se protéger de la « jungle »

57

B. Se rassembler : les « technologies de la distance »

76

a) Ech 1 – Habiter son passé et son futur

76

b) Ech 2 – Co-habiter en réponse au manque de mobilité

78

c) Ech 3 – L’émergence d’une nouvelle présence au monde ?

79

C. Répondre à ses besoins élémentaires (se nourrir, se laver)

98

a) Ech 2 – Mettre en commun b) Ech 3 – Investir pour pallier au manque

D. Ornementer

99 101

112

a) Ech 1 et 2 – Décorer pour retrouver sa fierté

112

b) Ech 3 – L’art comme exutoire

115

CONCLUSION

128

BIBLIOGRAPHIE

136


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

AVANT-PROPOS

Mars 2016. Je suis bien loin de France

en Erasmus et pourtant le mot « jungle » me parvient chaque jour. A ce moment là, il évoque bien plus un cauchemar qu’un rêve, en particulier pour ce groupe d’iraniens qui en vient à se coudre les lèvres en protestation contre la politique menée par l’Etat français à leur égard. De retour en France, je décide de me rendre sur place en tant que bénévole pour l’association Utopia 56 qui s’occupe du nettoyage de la « jungle ». J’ai besoin de comprendre comment des hommes ont pu en arriver à un tel état de désespoir, et découvrir le rôle que je peux jouer là, en tant que citoyenne française et en tant qu’étudiante en architecture.

Au moment où je m’y rends, la « Jungle » est peuplée par pas moins de 10 000 migrants qui vivent dans des conditions d’une extrême précarité. Bien que préparée par les images et récits lus avant mon départ, cette violence là me bouleverse immédiatement et durablement. Alors que la France revendique son adhésion à des principes juridiques et moraux universels, le traitement réservé à ces individus dans cet espace de non droit me paraît inimaginable. Passé le sentiment d’effroi, c’est la colère qui me prend. J’ai grandi à Sarcelles, un autre joli nom auquel on en attache d’autres, beaucoup moins beaux et qui ne disent pas la richesse de cette ville. Ayant grandi entourée d’individus de toutes origines et de toutes confessions, l’idée que l’on puisse nier à ce point cette richesse à travers cet espace m’est insupportable.

Mais il faut se mettre au travail rapidement. Les binômes se forment et nous partons


Avant-propos

nettoyer le campement, équipés de nos sacs plastiques et de nos gants : détritus, restes de nourritures, rats morts, … nous ramassons tout ce qui peut l’être. Les migrants sont contents de nous voir et nous proposent de boire le thé dans leurs abris de fortunes. Un, deux, trois, … On finirait presque par devoir en refuser pour pouvoir faire le travail pour lequel nous sommes venus. Les rencontres sont riches en émotions et resteront gravées dans nos esprits pour longtemps : Abdu et sa douce voix lorsqu’il se met à chanter, Hamed qui manie les mots comme un poète, Ali et son immense sourire, … Le midi, nous mangeons aux restaurants sur la « rue principale » qui sert de repère dans ce campement fait d’une multitude de petites voies. Nous mangeons « Aux Trois Idiots», le « meilleur restau de la jungle » selon les bénévoles déjà habitués aux lieux. Après le repas afghans dégusté en tailleur et sans couverts, le groupe se divise en deux : certains repartent au ramassage d’ordures tandis que les autres partent donner des cours de Français dans l’école improvisée restée debout dans la partie Sud.

Au bout de quelques jours, je me repère sans hésitation dans les petites allées. A partir de 10h, la « jungle » s’éveille, les migrants, fatigués par leurs tentatives de passage de la veille se lèvent rarement plus tôt. Je reconnais certains d’entre eux pour avoir bu des thés en leur compagnie quelques jours auparavant. Nous nous saluons comme des voisins, ou presque « How are you ? », « No good, no chance yesterday, police. You want a tea ? ».

Je finis par développer un sentiment presque coupable de me sentir bien dans cet univers que les migrants tentent toutes les nuits de fuir au péril de leurs vies. Ce sentiment, les bénévoles le partagent tous, tout en restant conscients de la misère qui les entourent et indignés face à elle. Nous sommes bien nombreux à multiplier les missions, à ne pas réussir à réellement « quitter » la « Jungle » : « L’expérience a été à la mesure de l’intensité de la situation : impossible de résumer la force de ce que ce territoire habité, que cette urbanisation nous renvoyait à tous [...]. Chaque journée de terrain nous transportait, nous transformait incroyablement. »1. Cela m’interroge tout

1.

« Le mot des professeurs », L’atelier public de paysage, n°9 (2015-2016), p.2

7


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

particulièrement. De quoi cette espace si précaire est il porteur pour provoquer chez nous un tel sentiment ?

De retour à Paris, j’entame mon année de césure par un stage facultatif de cinq mois (qui sera ensuite renouvelé pour quatre mois supplémentaires) au sein de la jeune association Actes&Cités récemment fondée par Cyrille Hanappe. J’y apprendrai beaucoup plus que ce que je n’aurais osé imaginer sur la question des camps, campements et bidonvilles, grâce notamment à une recherche pour laquelle j’assistais Cyrille Hanappe dans la coordination et qui faisait intervenir de nombreux spécialistes issus de domaines d’études très différents : sociologues, géographes, urbanistes, architectes, photographes …2

Ce mémoire est perçu comme la première partie de l’aboutissement d’une démarche personnelle engagée il y a bientôt deux ans3. Ces deux années, riches en apprentissages auront été les plus intenses, les plus révoltantes et les plus épanouissantes de mes études.

2. 3.

Recherche « La Ville Accueillante », commandée par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA), appliquée à la ville de Grande-Synthe. La deuxième partie étant mon Projet de Fin d’Etudes.


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

INTRODUCTION

« L’urbanisation tout à la fois mondialisée et

mondialisante, est la principale force instituante et imaginante du Monde » (Lussaullt, M., 2017, p.21). La population mondiale urbanisée a connu une croissance spectaculaire au XXe siècle 4 jusqu’à atteindre 50% de son ensemble pour la première fois en 2008 5. Dans ce monde en constante urbanisation, un récent rapport ONU-Habitat, nous informe

L’URBANISATION TOUT À LA FOIS MONDIALISÉE ET MONDIALISANTE, EST LA PRINCIPALE FORCE INSTITUANTE ET IMAGINANTE DU MONDE Michel Lussault

qu’environ 900 000 000 personnes vivent actuellement dans des bidonvilles, soit un tiers de la population urbaine mondiale actuelle. La France ne fait pas exception à ce paysage global. La DIHAL 6, dans son rapport d’avril 2017, en dénombrait 571 regroupant au total environ 160 000 personnes en France métropolitaine.

Mais ce nombre ne tient pas compte des camps de migrants qui se multiplient depuis deux décennies sur l’ensemble du territoire. Pourtant, Michel Agier, relève l’ampleur d’un phénomène qui veut faire du camp un véritable mode de gouvernementalité des migrations contemporaines 7. Ce qu’il désigne comme un « encampement du monde » serait devenu un système de gestion et de surveillance de la mobilité et des « indésirables ». Parallèlement, et alors que les Pouvoirs Publics tentent par tous les moyens de lutter contre leur prolifération, ceux qu’ils nomment « campements illicites » se multiplient.

Par ailleurs, si le phénomène est déjà bel et bien d’actualité et mérite donc déjà d’y porter

4. 5. 6. 7.

Elle est passée de 220 millions au début du siècle à 2,8 milliards à la fin. Selon l’ONU, ce pourcentage atteindra les 65% en 2025. Délégation Interministérielle pour l’Hébergement et l’Accès au Logement des personnes sans abri ou mal logées Amsellem, G. In : Meadows, F. (sous la direction de) (2016). Habiter le campement : nomades, voyageurs, contestataires, conquérants, infortunés, exilés. Paris : Actes Sud. 319 p.


Introduction

un intérêt, on peut aussi parier sur le fait qu’il n’est pas prêt de se tarir : « les bouleversements du monde qui vient transforment, selon Giorgio Agamben, l’état d’exception en état permanent. » 8. Aujourd’hui, 20 personnes sont déracinées chaque minute à cause des conflits ou persécutions. En 2016, Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés estimait que le nombre de personnes déracinées s’élevait à 65,6 millions de personnes à travers le monde, dont 10,3 millions l’ont été dans l’année. Seulement 189 300 d’entre elles étaient réinstallés 9. Par ailleurs, s’il est difficile d’estimer le nombre de personnes déracinées pour raisons politiques, militaires ou religieuses dans les années à venir, l’Organisation des Nations Unies estime que d’ici 2050, 250 millions pourraient être contraintes de migrer pour raisons climatiques 10. Cela donne déjà une idée de l’ampleur du phénomène qui engendrera à n’en point douter une multiplication des nouvelles formes urbaines évoquées plus haut.

Au sein de ce contexte global, s’est développé en France à partir de mars 2015 un espace hybride entre le camp et le campement, baptisé « new jungle » puis « LA jungle » par les associations et les médias. Constituée à la suite d’une décision d’État de regrouper les migrants dispersés dans les différents squats et campements informels de Calais, elle aura accueilli jusqu’à 10 000 personnes pendant un peu plus d’un an et demi entre mars 2015 et octobre 2016. Elle a ainsi représenté une expérience encore inédite en France métropolitaine, en terme d’ampleur et de durée.

Or, bien qu’ils ne soient pas vêtus des outils de planification qui fabriquent aujourd’hui la ville occidentale, les camps, campements et bidonvilles représentent bien de nouvelles formes urbaines qui se développent en marge de la ville traditionnelle : « [Les campements] deviennent une partie des formes d’habitat, même s’ils sont juste tolérés pendant plusieurs années - avant d’être détruits et évacués par la police » (Agier, M., 2013, p.42). Il apparaît alors paradoxal que les spécialistes de la ville que sont les architectes et les urbanistes n’y portent pas un regard

8. 9. 10.

« Le mot des professeurs », L’atelier public de paysage, n°9 (2015-2016), p.2 UNHCR : The UN Refugees Agency. « Global tre,ds : Forced Displacement in 2016 » [en ligne], 2016. Disponible sur : < http://www.unhcr.org/5943e8a34.pdf> (consulté le 10.02.2018) Ces prévisions sont même optimistes selon un rapport de l’ONG britannique Christian Aid publié en 2017 qui estime qu’elles s’élèveraient plutôt à 1 milliard.

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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

plus attentif. En effet, la « jungle », tout comme la plupart des espaces évoqués précédemment font aujourd’hui partie d’un impensé global, entre autre de la part des spécialistes de la ville. Ils restent notamment très largement sous étudiés dans les Écoles d’Architecture ou les formations supérieures en urbanisme : l’architecture a oublié son objectif premier, « elle a oublié qu’elle devait d’abord s’occuper des plus démunis » (P. Goulet et C. Hutin 2009). En témoigne l’absence de ces espaces sur les cartes et relevés officiels. « L’architecture est comme un iceberg. Au-dessus, il y a la partie visible, spectaculaire, qui attire l’attention, qui contamine le regard que nous portons sur l’ensemble. Au-dessous, beaucoup plus important, il a la partie cachée, si facile à oublier, à négliger. Dessus, ce sont les monuments, dessous, le tissu, c’est à dire le quotidien. Ensemble, ils constituent le monde dans lequel nous vivons, mais autant l’un est flamboyant, autant l’autre est désespérant, comme laissé à l’abandon » (Ibid).

Fort de ces constats, la rédaction de ce mémoire est avant tout perçue comme une porte d’entrée vers des interrogations intellectuellement et spatialement larges concernant les formes urbaines informels et l’habitat précaire. Mais notre temps de recherche étant limité, nous avons décidé de nous appuyer sur une étude de cas. Notre choix s’est assez naturellement tourné vers la « jungle » de Calais, dont nous avions pu avoir une expérience physique nous permettant de plus facilement appréhender et nous projeter dans les écrits plus généraux lus par la suite. Par ailleurs, ayant concentré pendant plusieurs mois l’attention du monde entier, les documents produits la concernant nous semblaient assez nombreux et diversifiés pour nous lancer dans cette recherche. Enfin, bien qu’ayant disparu en octobre 2016, elle nous semblait être, pour les raisons exposées précédemment, assez représentative d’une tendance globale qu’il apparaissait intéressant d’analyser par son biais.

Nous avons voulu revenir sur les contextes historique et politique ayant mené à la formation de cet espace pour ensuite nous interroger sur sa nature et son fonctionnement


Introduction

interne. Nous avons voulu comprendre ce qui se jouait réellement au sein de cet espace, derrière les récits qui nous sont parvenus, porter un autre regard sur ce qui s’y est construit, en marge de la ville. Car « observer cela c’est déjà regarder autrement ceux qui dans des situations d’extrême précarité construisent. C’est les regarder à partir de leur puissance. Observer cela c’est attesté que des lieux que l’on rase [...] sont des lieux de vie bâtis, organisés, décorés. Partir de là c’est très vite questionner les sommes et les énergies engagées dans leur destruction. » 11.

11.

Richeux Marie, « Les nouvelles vagues : Calais, construire quand même ? Construire (1/0) ». 25.04.2016, France Culture.

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PARTIE I. DÉFINIR

LA « JUNGLE » DE CALAIS Nous commencerons par revenir sur le contexte historique et politique qui a mené à la création de la « jungle » de Calais. Puis, une interrogation sur la nature réelle de cet espace nous amènera à analyser les tenants de sa mise à l’écart, sur les plans spatial, juridique, et social. Enfin, nous nous interrogerons sur l’habitabilité de la « jungle » avant d’expliquer la méthodologie mise en place pour son analyse.


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

A. AUX ORIGINES DE LA « JUNGLE » DE CALAIS a)

HISTOIRE : LES PRÉCÉDENTS DE LA « JUNGLE » DE CALAIS (1998 – 2015)

Depuis deux décennies, le nord de la France représente une zone d’attente pour les migrants désireux de rejoindre le Royaume Uni. Cette tendance émerge en 1998 lorsque la guerre du Kosovo éclate, poussant des milliers de personnes à emprunter les routes de l’exil (voir fig.1). A l’époque, leur arrivée dans le Nord de la France suscite une vive émotion auprès des français, poussant l’État à construire une forme d’accueil : il décide de réquisitionner un hangar d’Eurotunnel 12 13 à Sangatte, une station balnéaire de la côte d’Opale qui regroupe à peine 4 700 habitants. Prévu pour accueillir 200 personnes, le centre géré par la Croix Rouge atteint bientôt les 1 600 hébergés, poussant Nicolas Sarkozy (alors ministre de l’Intérieur), et son homologue britannique David Blunket, à ordonner sa fermeture le 30 décembre 2002.

Bien que la fermeture du centre n’ait pas freiné les arrivées, dans les années qui ont suivi, aucune réelle politique d’accueil n’a été initiée par l’État pour accompagner le parcours de ces personnes en transit. Cette décision avait simplement conduit à « déconcentrer les lieux de passage » et « Disperser [les migrants] sur tout le littoral et ses régions limitrophes » 14 (Dunkerque, Cherbourg, Dieppe, Norrent-Fontes, Grande-Synthe, …).

12. 13. 14.

On y construisait les voussoirs du tunnel sous la Manche. Eurotunnel prend le nom de Getlink le 20 novembre 2017. Coordination française pour le droit d’asile, La loi des « jungles » : La situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord [en ligne] Disponible sur < http://cfda.rezo.net/download/La%20loi%20de%20la%20 jungle_12-09-2008.pdf > (consulté le 07.02.2018)


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

Par ailleurs, alors que de plus en plus de personnes sont poussées sur les routes de l’exil, le chemin menant au Royaume Uni est rendu plus difficile à achever par les accords bilatéraux franco-britanniques du Touquet signés le 4 févier 2003, quelques mois après la fermeture du centre de Sangatte, lors du 25e sommet franco-britannique. A l’époque, le Royaume-Uni (qui ne fait pas partie de l’espace Schengen) cherchait par ce biais à protéger ses frontières, en limitant l’accès des non ressortissants de l’Union Européenne sans visa à ses frontières. En effet, depuis cette date, les contrôles frontaliers sont facilités et intensifiés dans les ports de la Manche et de la mer du Nord. Les agents Français et Britanniques peuvent effectuer des contrôles communs, dans les deux pays indifféremment. Des bureaux de contrôles nationaux juxtaposés sont installés à Calais et à Douvres. Selon certains, ces accords reviennent à externaliser la frontière du Royaume-Uni sur les côtes française, dans la mesure où un agent Britannique peut empêcher un migrant de traverser la manche depuis Calais s’il ne répond pas aux conditions d’entrée au Royaume-Uni. Or, les migrations actuelles s’effectuant majoritairement depuis les pays du sud, les candidats à l’entrée en France depuis le Royaume-Uni sont évidemment bien moins nombreux. Selon la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), ces accords visant au contrôle de l’immigration clandestine ont « conduit à faire de la France le « bras policier » de la politique migratoire britannique » 15 (voir fig.2).

C’est au printemps 2014 que les chiffres s’emballent, au moment où les conflits se multiplient et s’intensifient (Irak, Syrie, Afghanistan, Nigéria, Soudan), et où certains régimes politiques se durcissent (Érythrée, Ethiopie). Pour preuve, on ne compte plus les arrivées à l’année mais au mois. En octobre, ils sont 6 000 migrants à arriver dans le département. Bloqués à la frontière, les migrants sont contraints de s’y entasser et investissent les lacunes de l’espace urbain. Ils espèrent alors vivre tranquillement le temps de leur transit, dans ces zones discrètes proches des lieux de passages. Dés lors, les campements se multiplient et prennent de l’ampleur dans la région sous la forme de campements ou de squats (voir fig.3) : « Les squats, les jungles

15.

Bernard, P. « A Calais, la France est « le bras policier » de Londres ». Le Monde [en ligne], 01.08.2015. Disponible sur : <http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/08/01/a-calais-la-france-est-le-bras-policier-delondres_4707360_3232.html> (consulté le 22.01.2018)

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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

et les camps se multiplient, apparaissent et disparaissent au gré

LES SQUATS, LES JUNGLES ET LES CAMPS SE MULTIPLIENT, APPARAISSENT ET DISPARAISSENT AU GRÉ DES INTERVENTIONS POLICIÈRES ET DES VOLONTÉS POLITIQUES Cyrille Hanappe

des interventions policières et des volontés d'annonces politiques […]. Les exilés s’installent temporairement dans les bunkers abandonnés, dans les fonds de cale de bateaux […]. » (Hanappe, C., 2017, p.128). Un campement en particulier commence à faire parler de lui dans les médias, et commence à perturber la logique d’ « invisibilisation » initiée en 2002 16. Il s’agit du campement du

bois des Garennes à Calais, qui accueille jusqu’à 700 migrants avant que son démantèlement soit ordonné le 22 septembre 2009 par Eric Besson (alors ministre de l’Identité Nationale). En janvier 2015, Cyrille Hanappe recense neuf campements répartis dans la ville (Hanappe, C., 2017).

En mars de la même année, les autorités décident de les

LA CRÉATION DANS LA FRANCE MÉTROPOLITAINE D’UNE VILLE SANS RÈGLES Cyrille Hanappe

démanteler et de regrouper les 1 200 personnes évacuées sur un même terrain à l’écart de la ville. Natacha Bouchart déclare alors : « nous devons rester dans les règles de la loi et les squats n’y sont pas adaptés », « consciente que l’évacuation des squats est

nécessaire » 17. La « New Jungle » était née sur le Chemin des Dunes. A ce moment là, l’État français et la ville de Calais auraient « décidé l’implantation et l’ouverture d’un bidonville. […] la création dans la France métropolitaine d’une ville sans règles. » (Hanappe, C., 2017, p.140).

À l’été 2015, la sécurisation des frontières est accrue et ce sont bientôt 6 000 migrants (10 000 selon les associations) qui sont contraints de se sédentariser là jusqu’à son démantèlement en octobre 2016.

16. 17.

Voir Partie I, A. b) Politique : la précarité comme système de dissuasion, p.21 La Voix du Nord. « Migrants à Calais : un nouveau terrain d’accueil à côté du centre Jules-Ferry ». La Voix du Nord [en ligne], 07.03.2015. Disponible sur : <http://www.lavoixdunord.fr/archive/recup/region/migrants-a-calais-unnouveau-terrain-d-accueil-a-ia33b48581n2698150> (consulté le 22.01.2018)


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

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b)

POLITIQUE : LA PRÉCARITÉ COMME SYSTÈME DE DISSUASION

Ce campement, inédit par sa durée (21 mois se sont écoulés entre son « encampement » et sa « dispersion » 18) et son ampleur aura vu se développer une réelle organisation spatiale et sociale comparables à celle identifiée dans les bidonvilles français d’après guerre, qui étaient eux aussi le reflet d’une immigration brutale des « musulmans français d’Algérie », devenus « étrangers » en 1962. L’habitat précaire auto-construit était alors presque devenu banal dans le paysage des banlieues parisiennes. Mais ces bidonvilles là ont vite été considérés comme des formes urbaines illégitimes en France car importées des anciennes colonies. Ils avaient alors fait l’objet de grandes phases d’éradications en 1958 puis dans les années 1960 à la suite d’une nouvelle grande vague d’immigration venue du Portugal. Les lois Debré de 1964 avaient alors été établies en réponse au sentiment d’injustice sociale grandissante dans un contexte d’urbanisation fulgurant. Plus tard, en 1970, la loi Vivien intégrait la résorption des bidonvilles dans celle de l’habitat précaire. Contrairement aux migrants peuplant les campements actuels, les habitants des bidonvilles de l’époque avaient dés lors été relogés (selon des méthodes parfois qualifiées de « brutales ») dans de « bons » logements, les Habitations à Loyers Modérés (HLM), symboles d’une ville moderne et salubre. En effet, dans un contexte économique favorable d’après-guerre, ces migrants là étaient considérés comme une force de travail dont la venue était encouragée par le patronat et les dénonciations de l’exploitation de ces populations et des conditions de vie qui leurs étaient imposées avaient été nombreuses au sein de la population française.

On peut alors supposer que le contexte économique actuel de crise est à l’origine d’une tout autre politique d’Etat en matière d’immigration. A travers la logique de non accueil, il aurait en fait orchestré ce que Michel Agier désigne comme un « encampement » dont le but serait d’invisibiliser les populations migrantes, dans la mesure où leur présence sur le territoire est jugée indésirable. En refusant de construire un accueil, on chercherait à prétendre que ces

18.

Voir p.22


20

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

populations n’existent pas où sont réduites à une quantité tellement faible qu’elles ne méritent pas une attention particulière. Ainsi, beaucoup d’habitants de la région ignoraient et ignorent toujours jusqu’à la présence des campements dans leurs villes. En novembre 2017, la majorité des habitants de Grande-Synthe rencontrés disent ne pas savoir qu’un campement de 400 personnes s’est installé à quelques centaines de mètres du supermarché où je les interroge.

Cette volonté d’invisibilisation se poursuit dans la logique de « dispersion » qui consiste aux démantèlements sans cesse répétés des campements de la région et qui se poursuivent aujourd’hui encore. Plusieurs associations dénoncent en effet des pratiques policières consistant à la pulvérisation de gaz poivre sur les migrants et à la confiscation de leurs couvertures 19. La « jungle » de Calais plus spécifiquement aura subi deux démantèlements. Un premier concernant la moitié de sa surface en mars et un second en octobre 2016, qui aura marqué la fin de cet espace. Comme souvent lors des expulsions de bidonvilles, c'est alors la question de son insalubrité qui était invoquée comme argument pour justifier sa destruction : une question morale supposée être incontestable. En empêchant toute forme d’établissement, on s’assure que les migrants ne débordent pas trop longtemps sur l’espace public et que leurs présences ne soient remarquée ni par les médias, ni par les habitants. Le fait que l’État ne souhaite pas ou ne puisse pas assurer l’administration de la totalité de son territoire est ainsi dissimulé à ses administrés.

PRÉCARITÉ DES MOYENS ET DE L’ACTION ELLE-MÊME : TOUT CE QUI S’INVENTE ICI PEUT ÊTRE DÉFAIT LE LENDEMAIN, LE TERRAIN DE LA JUNGLE ELLEMÊME N’A CESSÉ D’ÊTRE RECONFIGURÉ

L’ « encampement » et la « dispersion » ainsi décrits, en participant au maintien dans la précarité, peuvent être considérés comme répondant à un même objectif de dissuasion envers les migrants déjà sur place et ceux qui envisageraient d’entreprendre le même périple, que l’on ne souhaite pas non plus accueillir. Alors que les autorités locales sont aujourd’hui encore accusées d’empêcher les migrants d’accéder aux biens de première nécessités (nourriture,

19.

Ide, P. « « C’est comme vivre en enfer » : Abus policiers à Calais contre les migrants, enfants et adultes » [en ligne], 2017. Disponible sur <https://www.hrw.org/fr/report/2017/07/26/cest-comme-vivre-en-enfer/abus-policierscalais-contre-les-migrants-enfants-et> (consulté le 21.01.2018). / Ide, P. Ide, P. « France : La police s’en prend aux migrants à Calais : Le gouvernement ferme les yeux sur les nombreux témoignages de mauvais traitements » [en ligne], 2017. Disponible sur < ttps://www.hrw.org/fr/news/2017/07/26/france-la-police-sen-prend-aux-migrantscalais> (consulté le 21.01.2018).


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

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eau, ...), contribuant ainsi à instaurer des « conditions de vie inhumaines» 20, la précarité de moyens instituée par l’ « encampement » est complétée par une précarité de l’action, instaurée quant à elle par la menace de démantèlement planant au dessus de tout établissement informel : « Précarité des moyens et de l’action elle-même : tout ce qui s’invente ici peut être défait le lendemain, le terrain de la jungle lui-même n’a cessé d’être reconfiguré » 21.

Une contradiction est finalement établie entre l’image renvoyée par la France en tant que patrie des Droits de l’Homme et du Citoyen et la politique d’immigration mise en place. Or, la méthode employée jusqu’ici s’est plutôt révélée inefficace quant à cet objectif de dissuasion. En effet, entre 2002 et 2014, Calais comptait en permanence entre 200 et 500 migrants éparpillés dans les campements de la ville et la « jungle » aura accueilli jusqu’à 10 000 personnes selon les associations. De manière encore plus paradoxale, celle-ci aurait même attiré un certain nombre de migrants, nous y reviendrons plus tard.

INVISIBILISATION DES «INDÉSIRABLES»

DISPERSION

ENCAMPEMENT DÉMANTÈLEMENTS

MAINTIENT DANS LA PRÉCARITÉ

DISSUASION Fig 4. Mécanisme de dissuasion

20. 21.

Défenseur des droits, « Visite des services du défenseur des droits le lundi 12 juin à Calais » [en ligne], 12.06.2017. Disponible sur < https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/node/23871 > (consulté le 21.01.2018). « Le mot des professeurs », L’atelier public de paysage, n°9 (2015-2016), p.2


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

Fig 1. Les routes migratoires traversants l’Europe

PAYS DE DÉPART PAYS TRAVERSÉS DESTINATION ESPÉRÉE PARCOURS FRONTIÈRE DE L’ESPACE SHENGEN


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

23

Fig 2. Les obstacles aux frontières FRONTIÈRES INTÉRIEURES DE L’ESPACE SCHENGEN MURS, CLÔTURES, BARRAGES FRONTIÈRE DE L’ESPACE SCHENGEN ZONES DE DANGER ESPACE SCHENGEN AUTRES PAYS DE L’UE CANDIDATS À L’ESPACE SCHENGEN CAMPS D’ENFERMEMENT


24

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

GRANDE -SYNTHE

200 À 400 PERSONNES

STEENVORDE 30 PERSONNES

CALAIS

BAILLEUL

700 À 800 PERSONNES

85 PLACES

ST-MARTIN-LEZ-TATINGHEM 30 À 50 PERSONNES

BOULOGNE-SUR-MER

LONGUENESE 15 PLACES

LI LE TOUQUET-PARIS-PLAGE

QUERNES

PAS-DE-CALAIS

30 À 40 PERSONNES ARRAS

TROISVAUX 75 PLACES

ANGRES

30 PERSONNES


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

25

RDE

ES

LEUL

ACES

ILLE

LENS LENS

40 PLACES 40 PLACES

DOUAI -DOUAI 31 PLACES - 31 PLACES SIN- LE-NOBLE SIN- LE-NOBLE - 20 PLACES - 20 PLACES CANTINCANTIN - 50 PLACES - 50 PLACES LAMBRES-LEZ-DOUAI LAMBRES-LEZ-DOUAI - 10 PLACES - 10 PLACES BELGIQUE BELGIQUE LILLE

VALENCIENNES VALENCIENNES

AS

HAUTMONT HAUTMONT - 21 PLACES - 21 PLACES LOUVROIL LOUVROIL - 4 PLACES - 4 PLACES ROUSIES ROUSIES - 50 PLACES - 50 PLACES

NORD NORD CAMBRAI CAMBRAI AVESNES-SUR-HELPE AVESNES-SUR-HELPE

CROISILLES CROISILLES 75 PLACES 75 PLACES

Fig 3. Fig Des Fig3. 3. dispositifs Desdispositifs dispositifs d’accueil d’accueil infufissants infufissants Des d’accueil infufissants

CAMPEMENTS CAMPEMENTS INFORMELS INFORMELS CAES (CENTRES CAES (CENTRES D’ACCUEIL D’ACCUEIL ET D’EXAMEN ET D’EXAMEN DES SITUATIONS) DES SITUATIONS) CAMPEMENTS INFORMELS CAOCAES (CENTRES CAO (CENTRES D’ACCUEIL D’ACCUEIL ET D’ORIENTATION) ET D’ORIENTATION) (CENTRES D’ACCUEIL ET D’EXAMEN DES SITUATIONS) PRINCIPALES PRINCIPALES VILLES VILLES ET D’ORIENTATION) CAO (CENTRES D’ACCUEIL LIMITES DE LIMITES L’ESPACE DE L’ESPACE SHENGENSHENGEN PRINCIPALES VILLES TUNNEL TUNNEL SOUS SOUS MANCHE LASHENGEN MANCHE LIMITES DE LA L’ESPACE TUNNEL SOUS LA MANCHE


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

B. A PROPOS DE LA MISE À L’ÉCART

[LE CAMPEMENT EST] UN REFUGE ÉTABLI EN URGENCE DANS UN ENVIRONNEMENT HOSTILE, SANS HOSPITALITÉ NI POLITIQUE D’ACCUEIL Michel Agier

On peut s’interroger sur la nature réelle de la dite « jungle » de Calais. De premier abord, on la qualifierait d’abord de « campement » du fait de son caractère auto-construit. Selon Michel Agier, le campement informel auto-établi est « d’abord une cachette dans un parcours dangereux, un refuge établi en urgence

dans un environnement hostile, sans hospitalité ni politique d’accueil ; souvent il est aussi le premier pas dans un long couloir d’exil » (Agier, M., 2013, p.41). En Europe et en Amérique du Nord, le campement peut revêtir un aspect réjouissant et attirant de par son caractère précaire et exceptionnel. Il interroge l’unité du « nous » par rapport à une réalité occidentale contemporaine englobante : un monde emprunt de trop plein, d’excès, de consumérisme et de capitalisme. Ceux qui y habitent sont tout ce que nous ne sommes pas et nous aident donc à nous définir « nous » même par opposition à « eux ».

Cependant, si elle s’est construite sans recevoir d’aide matérielle de la part des pouvoirs publics, la « jungle » s’est bien formée là suite à une décision d’État. La population migrante répartie dans les différents campements et squats de Calais devenant trop importante pour être invisible, les autorités ont décidé de son regroupement autour d’un centre de jour, ouvert pour l’occasion


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

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dans l’ancien centre aéré Jules Ferry sur le chemin des Dunes. De ce point de vu là, la « jungle » pouvait être considérée comme un lieu de relégation qui la rapprochait plutôt du camp. En effet, selon Michel Agier, le camp est un « espace de mise à l’écart réservé à une catégorie de population dont le périmètre et l’affectation sont décidés par l’autorité publique (un État, une municipalité) qui détient le pouvoir sur le territoire concerné […]. Le camp est l’espace de la mise à l’écart dont le tracé et la définition légale émanent d’un État souverain » 22. À l’origine militaire, son histoire l’a fait évoluer jusqu’à

LE CAMP EST L’ESPACE DE LA MISE À L’ÉCART DONT LE TRACÉ ET LA DÉFINITION LÉGALE ÉMANENT D’UN ÉTAT SOUVERAIN Michel Agier

ce qu’apparaisse le premier « camp de réfugiés » sous cette appellation à la fin du XIXe s. : « Alors que le campement est inscrit, même clandestinement, dans les interstices de la ville, le camp est l’imposition d’un lieu de mise à l’écart, qui sépare les encampés de la ville. » 23.

Selon Michel Agier, ces espaces partageraient trois traits communs qui les définissent : l’extraterritorialité, l’exception et l’exclusion qui s’attachent respectivement aux domaines spatial, juridique / politique, et social (Agier, M., 2013).

a)

MISE À L’ÉCART SPATIALE : L’EXTRATERRITORIALITÉ

L’extraterritorialité (spatiale) d’abord, consisterait en la création de lieux hors de tous les lieux, de « hors lieux », « des dehors placés sur les bords ou les limites de l’ordre normal des choses » (Agier, M., 2013). En 2015, les autorités avaient signifié aux migrants faire preuve de tolérance pour leur installation sur ce terrain là uniquement. Ailleurs, ils étaient sujet à des menaces de délogement / démantèlement. Une ségrégation spatiale avait été décrétée à l’origine de l’existence de la « jungle », une agglomération avait été formée, une décision du pouvoir souverain de séparer et confiner une altérité indésirable : « Au niveau local, le plan que j’appellerais

22. 23.

Agier, M., In : Meadows, F. (sous la direction de) (2016). Habiter le campement : nomades, voyageurs, contestataires, conquérants, infortunés, exilés. Paris : Actes Sud. 319 p. Ibid


28

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

« Bouchart – Cazeneuve » se déploie sur le site Jules Ferry, et nous accompagnons de notre mieux l’aménagement de la zone des Dunes, seule solution acceptée par l’État pour l’hébergement des hommes. [...] » 24. Cette tolérance affichée par les autorités, Michel Agier la définit comme quelque chose d’une extrême violence revenant à dire « on vous tolère là, à part. Mais on ne vous accepte pas à l’intérieur » (Agier, M., entretien 2017). Il s’agirait de l’imposition d’une « version minimale de l’existence » (Ibid).

L’Etat avait alors dessiné une limite spatiale entre le centre ville de Calais et la « jungle », éloignés de 5km l’un de l’autre. Les hauts murs de grillage surmontés de barbelés destinés à empêcher les intrusions de migrants sur la rocade, participaient à la création d’une frontière entre la ville et le camp. Celle ci était renforcée par la présence policière permanente à l’entrée du camp, qui dissuadait largement les allers et venus entre la « jungle » et l’ « extérieur » créé. Selon Sophie Djigo, un paradoxe avait alors été établi de la part de la Nation entre une revendication territoriale (« ici c’est chez nous ») et cette volonté d’externalisation et d’étanchéité (ici c’est la « jungle », sous entendu, « ce n’est pas la République Française ») (Djigo, S., 2016).

b)

MISE À L’ÉCART POLITIQUE ET JURIDIQUE : L’EXCEPTION

L’exception (juridique et politique) : « du point de vue du pouvoir souverain, la fiction du dehors est un pur mirage, sans sujet pensant, ni identité, ni limite matérielle » (Agier, M., 2013). Elle révélerait une tension entre un dedans inaccessible du point de vu des catégories citoyennes et un dehors exclu comme une forme de survie à minima sous menace d’éloignement. Ces lieux donneraient alors l’impression de se placer au milieu du vide et à la frontière d’un ordre social établi et interdirait à ses occupants toute reconnaissance d’une égalité politique avec les citoyens « ordinaires ».

24.

Bouchart, N., publication Facebook, 20.05.2015.


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

29

D’après Michel Lussault, considérer la jungle comme un lieu « hors zone » relève d’une vision normative qui voudrait définir de « bons » espaces (licites / reconnus / cadrés / institutionnalisés / régulés). Cette vision serait celle imposée par les opérateur géo-pouvoir (en référence au bio-pouvoir de Foucault) qu’il définit ainsi : « Le pouvoir de spatialiser l’activité humaine (et de plus en plus, celle des non-humains), c’est à dire de construire des espaces matériels d’existence qui s’avèrent toujours peu ou prou une « bonne » vie sociale, grâce au travail sur la forme architecturale et urbaine et sur l’ingénierie fonctionnelle. » (Lussault, M., 2017, p.178). Ses opérateurs (les architectes, urbanistes, ingénieurs, promoteurs, constructeurs, collectivités publiques, …), en définissant des espaces, chercheraient à imposer une norme qui ne peut exister qu’en opposition à un « hors » (champ / zone / norme), une marge. Ainsi, en imposant aux migrants leur installation sur le terrain de La Lande en Avril 2015, l’État a créé un espace de « l’hors norme » en dehors de la ville traditionnelle normée : « Les étudiants ont compris à Calais que les programmes sur lesquels on leur demande de travailler en atelier, et sur lesquels ils auront à oeuvrer plus tard, ne sont motivés par l’altruisme qu’en dernier lieu : ce qui les fonde, ce sont des enjeux de pouvoir, de contrôle du territoire, d’exclusion de certaines catégories de la population. » 25.

CE QUI LES FONDE, CE SONT DES ENJEUX DE POUVOIR, DE CONTRÔLE DU TERRITOIRE, D’EXCLUSION DE CERTAINES CATÉGORIES DE LA POPULATION

L’État aurait donc localisé sa marge, le lieu de son désordre. Dés lors, il se contentait de jouer un rôle de surveillance : la police présente sur place restait à l’entrée du camp et n’intervenait que très rarement en son sein. Le rôle d’administrateur de l’État s’arrêtait donc aux portes de la « jungle ». Pendant longtemps, il n’a pas même été question d’y fournir une aide matérielle, jusqu’à ce qu’il soit poursuivi en justice par les associations présentes sur place et soit contraint de construire quelques infrastructures sanitaires (qui restèrent cependant insuffisantes en nombre au regard du nombre de migrants habitant sur place). Il avait alors mandaté ACTED 26

25. 26.

« Le mot des professeurs », L’atelier public de paysage, n°9 (2015-2016), p.2 Agence d’Aide à la Coopération Technique et au Développement


30

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

(deuxième ONG Française) pour s’occuper de l’entretien des équipements sanitaires, tracer quelques routes et assurer le dialogue avec les communautés. Sans puissance tierce pour faire respecter les règles et interdits établis dans notre société, des règles tacites régissaient la vie dans le camp et étaient le reflet d’une éducation traditionnelle et religieuse (Djigo, S., 2016). Pour ce qui est de la protection, des solutions individuelles s’étaient mises en place sous la forme de groupes d’entraide quand certains préféraient se mettre sous la tutelle d’un passeur qui pouvait avoir recours à la violence.

c)

MISE À L’ÉCART SOCIALE : L’EXCLUSION

Enfin, par l’exclusion (sociale), on créerait une nouvelle catégorie de « parias » perçus comme une communauté sans identité propre. L’utilisation de certains termes participerait à cette exclusion décrite par Michel Agier. Le mot « jungle » a été largement utilisé par les médias français pour désigner le campement de la Lande. Aujourd’hui, il est entré dans le langage courant et est régulièrement utilisé pour désigner tout campement se formant dans le nord de la France 27. A l’origine de ce mot se trouve en fait une déformation du mot « jangal » qui signifie « forêt » en persan et pachtou et qui était utilisé par les migrants afghans de la région pour désigner le bois des Garennes, un lieu près du tunnel sous la manche où ils avaient établis un campement leur servant de refuge. Une confusion s’était rapidement installée et le mot « jungle » s’est imposé dans la presse.

Dans l’imaginaire collectif, le mot « jungle » renvoie à un lieu où règne la loi du plus fort 28. De fait, l’illégalité y régnerait en maître et celle des migrants n’est pas pensée comme relative à leur condition mais comme absolue : les migrants sont des clandestins, et donc des délinquants en puissance. Par ailleurs, la littérature (Le Livre de la Jungle de Kipling, 1894 par exemple) a

27. 28.

J’ai pu le constater en novembre 2017 auprès des habitants de Grande-Synthe qui désignent l’ancien campement du Basroch et le nouveau campement du Puythouck de la même façon. Selon le Larousse en ligne, « jungle » : « milieu où règne la loi du plus fort »


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

31

transformé l’imaginaire commun qui se rattache à ce mot : un lieu où une projection humaine n’est pas possible car les conditions de vie y sont inhumaines. De fait, la médiatisation du campement nommé « jungle » contribue à nourrir l’image d’une sous humanité qui vit dans des conditions indignes. Les migrants sont implicitement considérés comme des « barbares » (Djigo, S., 2016, p.38) qui s’en accommoderaient. Par ailleurs, la jungle ne serait vivable que pour des animaux qui se révèlent également être des prédateurs, rendant le lieu d’autant plus hostile. De fait, une ambiguïté est entretenue : est ce que les migrants sont victimes de cet environnement hostile ? Ou s’accommodent-ils de ces conditions par habitude ? Cette vision xénophobe et ethnocentrique se propage et participe à l’animalisation des migrants. L’utilisation généralisée du mot « jungle » n’est donc pas sans conséquence sur l’image que l’on s’est fait du campement de la Lande à Calais, et de ses occupants.

Considérer ainsi la « jungle » comme illégale, nous a aussi amené à la penser comme une zone en dehors du droit 29, renforçant encore l’idée d’une différenciation entre les migrants et les citoyens français, entre « eux » et « nous » : « Nommer le campement ainsi, c’est refuser d’en reconnaître les occupants comme semblables, comme sujets de droits. La nomination est une dénégation. » (Djigo, S., 2016, p.47) ; « Dans l’ordre social, ils

LA NOMINATION EST UNE DÉNÉGATION Sophie Djigo

figurent comme « inhabitants », hommes-phénomènes sans droit ni parole, sans dignitas. C’est le traitement qui crée la pathologie, condition de la croyance en notre propre intégrité. Images, discours, science et politique s’articulent pour fabriquer l’altérité radicale nous permettant de jouir du vif éclat de notre identité. » 30.

Cette différenciation s’incarnerait dans l’utilisation de certains mots, des noms-images qui qualifient ces populations considérées « autres », « Dans l’ordre du visible, le bidonville, la Jungle, le campement, surgissent par les temps qui courent comme l’infâme caractérisé. C’est

29. 30.

« ceux-ci étant l’envers des lois » (Djigo, S., 2016) Thiéry, S., « Revenir à Spinalonga», In « L’actualité du bidonville ». Urbanisme. n°406 - automne 2017.


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

l’inhabitable manifeste qui donne leur nom aux êtres qui y vivent

C’EST L’INHABITABLE MANIFESTE QUI DONNE LEUR NOM AUX ÊTRES QUI Y VIVENT ET DISPARAISSENT SOUS CE NOM-IMAGE Sebastien Thiery

et disparaissent sous ce nom-image : « Roms », « migrants », « SDF ». Dans l’ordre du paysage, ils se repèrent à leurs habitats dits « informels » ou « indignes », fatras avec lesquels ils se confondent, dégradations qu’ils portent collées à la peau. » 31. Revenons sur le mot « migrant » qui nous intéresse ici. Il est apparu, en même

temps que celui de « réfugié », derrière la notion d’« étranger » émergeant de la création des ÉtatsNations. Mais les deux termes se distinguent à la fois juridiquement et émotionnellement.

Le terme « réfugié » est en fait une abréviation de l’expression « réfugié politique », un statut international officiel qui assure la protection et l’assistance de l’État d’accueil. Il fait référence à la tradition de l’asile et est devenu un droit grâce à la convention de Genève, signée le 28 juillet 1951. Selon l’article 1er A2 : « le terme de réfugié s’applique à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Le réfugié est donc celui qui a fui son pays d’origine par crainte de persécution. Le migrant, quant à lui, aurait fait le « choix » de quitter son pays d’origine pour des raisons politiques ou économiques. C’est donc la cause présumée de la migration qui est à l’origine d’une distinction entre les deux termes. Mais la réalité est plus contrastée. Sortant de la Seconde Guerre Mondiale, au moment de la signature de la convention de Genève en 1951, on imaginait le recours au statut de réfugié comme un phénomène exceptionnel dont les sources se tariraient vite (guerre d’Indochine). Mais contrairement à ce qui avait été envisagé à l’époque, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) doit traiter toujours plus de demandes et les

31.

Ibid


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

conditions d’obtention du statut de réfugié sont de plus en plus lourdes, notamment du fait de nouvelles législations (les règlements Dublin) qui forment un circuit administratif complexe. De fait, en 2016, le taux d’accord de l’OFPRA s’élevait seulement à 38,1% des demandes effectuées 32. Ainsi, une personne estimant avoir dû fuir son pays n’est pas garantie d’obtenir le statut de réfugié.

Le mot « réfugié » désignant un statut juridique officiel, on devrait appeler « migrant » toute personne étrangère ayant quitté son pays d’origine pour arriver sur le territoire français. Mais le statut de réfugié étant de plus en plus compliqué à obtenir, l’utilisation du mot migrant est critiquable dans la mesure où il ne reflète pas la détresse de ceux qui aujourd’hui fuient les combats et persécutions dans leurs pays d’origines. Ainsi, Al Jazira, le 20 aout 2015 refusera de l’employer : « Le terme parapluie « migrant » ne suffit désormais plus pour décrire l’horreur qui se déroule en mer méditerranée. Il a évolué depuis ses définitions de dictionnaire, pour devenir un outil péjoratif qui déshumanise et distance. […] C’est un mot qui ôte la voix aux personnes qui souffrent. » 33. Le mot réfugié s’est alors imposé dans beaucoup de médias, mais par abus de langage puisqu’il désigne un statut juridique précis.

Certains lui préfèrent dés lors le terme « exilé », ce qu’Alexis Nuselovici justifie ainsi : « Un migrant (participe passé) migre, ce qui signifie que lorsqu’il cesse de migrer, lorsqu’il est arrivé, il n’est plus migrant. Quel statut lui donner ? Un réfugié (participe passé) a fui (de fugere en latin), ce qui signifie que lorsqu’il trouve l’accueil, lorsqu’il met fin à sa fuite, il n’est plus réfugié. » 34. Or, la population au sein de la « jungle » de Calais était mixte. Alors que certains n’étaient pas « arrivés » dans la mesure où ils souhaitaient encore rejoindre l’Angleterre, beaucoup avaient trouvé là une forme de refuge et de solidarité qu’ils ne trouvaient pas ailleurs sur le territoire (nous y reviendront plus tard). Bien que la fuite ait cessée pour tous, on peut s’interroger sur le fait que ces derniers soient réellement « arrivés » dans la mesure où ils n’avaient pas encore trouvé de point de chute. La « jungle » représentait pour tous un espace de transit vers une autre vie, vers un vie désirée et

32. 33. 34.

Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, « La mission études et statistiques ». Disponible sur : <https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/l-ofpra-en-chiffres/la-mission-etudes-et-statistiques> (consulté le 11.02.2018). Pouchard, A. « « Migrant » ou « réfugié » : quelles différences ? ». Le Monde [en ligne], 25.08.2015. Disponible sur : <http:// www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/08/25/migrant-ou-refugie-quelles-differences_4736541_4355770. html> (consulté le 21.01.2018). Nuselovico, A., In : Lequette, S. et Le Vergos D. (sous la direction de) (2016). Décamper : De Lampedusa à Calais. Paris : La découverte.

33


34

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

pas encore atteinte. Une fois débarrassé de nos préjugés, le terme « migrant » semble donc rester celui le plus adapté pour désigner ceux qui se trouvaient de façon plus ou moins temporaire dans la « jungle » de Calais.

Finalement, ces politiques d’extraterritorialité, d’exception et d’exclusion participent à la construction d’un « hors », encore renforcé par l’image véhiculée par la forte médiatisation dont la « jungle » a été l’objet pendant des mois. Les récits et images performatives véhiculées auraient ordonné « au regard de ne saisir que misère et effroi » 35, empêchant tout autre représentation : « Cette expérience particulière a révélé comment la surmédiatisation

LA SURMÉDIATISATION D’UNE SITUATION ABOUTIT FINALEMENT À UN BROUILLAGE DE L’IMAGE, DES REPRÉSENTATIONS

d’une situation aboutit finalement à un brouillage de l’image, des représentations. » 36. Or, cette construction reviendrait à refuser de faire de la politique au sens où Hannah Arendt l’entend. La politique naîtrait de l’espace qui existe entre les hommes grâce à la médiation rendue possible par le langage. Imposer une marge,

c’est refuser cette possibilité à ceux à qui on l’impose puisque « faire de la politique c’est prendre tout ce qu’il y a dans la société. On ne fait pas de la politique en excluant ce qui est licite et illicite à priori » (Lussault, M., entretien 2017).

35. 36.

« Le mot du PEROU ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 2 « Le mot du PEROU ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 2


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

35


36

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

C. DÉFINITION D’UN ESPACE INHABITABLE ? L’État avait créé avec la « jungle » une « zone de marge », en opposition à l’espace de la norme que représente la ville traditionnelle. Par ce biais, les autorités définissent implicitement des espaces habitables (ceux de la ville normée), des autres espaces considérés comme inhabitables : « L’inhabitable : le parqué, l’interdit, l’encagé, le verrouillé, les murs hérissés de tessons de bouteilles, les judas, les blindages. L’inhabitable : les bidonvilles, les villes bidons. » (Perec, G., 2000).

a)

LA PROPRIÉTÉ COMME GAGE D’HABITER ?

Ici, on considère qu’ « habiter », c’est « s’établir », c’est à dire s’approprier un lieu par un titre de propriété ou un mandat locatif, afin d’y demeurer et s’y projeter dans la durée, « avoir un toit à soi, pour un temps suffisant et connu d’avance » (Joffroy, P. 2017). Le mot habiter vient d’ailleurs du latin habitare « habiter, résider », fréquentatif de habere « avoir » 37. Or, selon Rousseau, la propriété légitimerait l’inégale répartition des pouvoirs par un titre. Elle serait le reflet d’un instinct colonial qui voudrait que l’on accumule plus de bien que nos besoins le réclament. Effectivement, dans la « jungle », la propriété représentait une clôture invisible : les titres de propriété contredisaient l’existence du camp à coup d’arrêtés préfectoraux 38. Pour les migrants, l’exil n’est qu’une

37. 38.

http://www.cnrtl.fr/etymologie/habiter La partie Sud de la « jungle » appartient à la mairie de Calais. La partie Nord appartenait à la Région Nord Pas de Calais jusqu’en décembre 2015, date à laquelle elle a été revendue au Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages Lacustres qui en a confié la gestion à la préfecture du Pas de Calais pour une durée de six ans (Hanappe, C., 2017, p.141).


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

37

parenthèse et l’établissement - perdu à l’origine - est reporté à plus tard (ce qui est assez paradoxal dans la mesure où l’on projette sur eux une image de concurrent à l’établissement). En cela, ils ne pouvaient habiter la « jungle » au sens où on l’entend ici 39.

NÉCESSITÉ D’HABITATION FAIT LOI ; L’ÊTRE HUMAIN EST UN HABITANT Michel Lussault

Pour autant, on peut s’interroger sur l’existence même d’espaces « inhabitables » : « on a habité partout dès qu’il y a eu nécessité. Nécessité d’habitation fait loi » ; « l’être humain est un habitant » (Agier, M., entretien 2017) et « Que fait l’être humain ? Il habite, c’est à dire il organise ce composé subtil de matière et d’idées qu’est son habitat, l’ensemble de ses espaces-temps de vie. » (Lussault, M., 2017, p.38). Ces réflexions nous invitent à nous interroger sur la pertinence de la définition donnée plus haut : est-ce qu’habiter se résume à l’acquisition d’un titre ou est ce que cela ne relève pas plutôt d’une pratique ? « L’espace devient question cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner, il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête » (Perec, G., 2000). De ce point du vu, « habiter, c’est investir un lieu, le charger de projets de subjectivité » 40, y établir des habitudes qui reviennent presque à s’en vêtir.

L’ESPACE EST UN DOUTE : IL ME FAUT SANS CESSE LE MARQUER, LE DÉSIGNER, IL N’EST JAMAIS À MOI, IL NE M’EST JAMAIS DONNÉ, IL FAUT QUE J’EN FASSE LA CONQUÊTE Georges Perec

b) ne représente OFFRIR DUpour TEMPS À L’APPROPRIATION Or, alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que la jungle les migrants qu’un « entre-deux temporaire, sans histoire et sans mémoire collective » (Barry, Z., 2017, p.4), on a observé dés les premiers mois de vie de la « jungle , la mise en place d’une organisation sociale et spatiale développée 41. Dans une conférence donnée à la cité de l’architecture en décembre

39. 40. 41.

En contestation à cette impossibilité d’accéder à la propriété, un migrant connu de tous au sein de la « jungle », Alpha, avait affiché devant son abris un permis de construire fictif. Par ce biais, on peut supposer qu’il revendiquait son droit à habiter là. Amsellem, GI., In : Meadows, F. (sous la direction de) (2016). Habiter le campement : nomades, voyageurs, contestataires, conquérants, infortunés, exilés. Paris : Actes Sud. 319 p. Dont les formulations seront détaillées dans la partie suivante.


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

dernier, Sebastien Thiery, président du PEROU, explique que, face à l’imminence des arrêtés préfectoraux rappelant sans cesse aux migrants leur interdiction de s’établir là, du temps avait été construit dans la « jungle ». La pratique urbanistique dominante voudrait « fixer en permanence des « futurs » » sous la forme de projets, quitte à figer le tout « dans une sorte de présent perpétuel » (Lussault, M., 2017, p.181), déniant ainsi aux individus leur capacité d’intervention, dont on sait qu’elle pourrait venir perturber les projets en question : « L’urbanisme […] a toujours rencontré une difficulté majeure en matière d’attention portée à l’activité des citadins, car celle-ci est par nature embarrassante. Un habitant […] déjoue souvent les analyses et dévoie plus qu’à son tour les cadres « parfaits » qu’on lui propose. [...] Il faut donc

UN HABITANT […] DÉJOUE SOUVENT LES ANALYSES ET DÉVOIE PLUS QU’À SON TOUR LES CADRES « PARFAITS » QU’ON LUI PROPOSE Michel Lussault

y prendre garde […] lui dénier toute capacité d’intervention à lui, simple usager agi par les machines à habiter » (Michel Lussault, 2017, p. 180) ; « cette maladie qui [...] incite à ordonner, figer, glacer, solidifier, pétrifier le tissu alors que la nature de celui-ci est d’être au contraire vivant, donc mortel, c’est à dire éternellement adaptable

et renouvelable. » 42.

A l’inverse, ce temps développé dans la « jungle » et demandé par la multitude d’acteurs intervenant dans sa construction progressive, aurait permis la stabilisation et la mise en place d’une vie collective, rendant un peu moins pénible le quotidien au sein de cette espace de relégation. Les migrants avaient pu se construire des habitudes qui s’appliquaient au delà de

POUR LE RENDRE HUMAINEMENT HABITABLE, L’ESPRIT HUMAIN TRANSFORME L’ESPACE NATUREL AVEC TOUS LES MOYENS À SA DISPOSITION

l’échelle des abris eux-mêmes, se déployant souvent à l’échelle de groupements d’habitations, voir de l’ensemble de la « jungle » 43 : « faire de la "jungle’ un lieu où s’organise la vie et se développe un quotidien commun, malgré les violences et souffrances auxquelles sont confrontés les exilés de manière permanente » (Barry, Z., 2017, p.5). La jungle était alors devenue plus qu’un lieu d’errance. Un lieu

Zoé Barry

42. 43.

Goulet, P. et Hutin, C. (2009). L’enseignement de Soweto : Construire librement. Arles : Actes Sud. p. 7-8 Voir Partie II


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

39

d’appropriation avait commencé à advenir : « Le campement aux confins de la ville se transforme peu à peu en petite ville [...] Pour le rendre «humainement habitable», l’esprit humain transforme l’espace naturel avec tous les moyens à sa disposition, même les plus dérisoires » (Djigo, S., 2016, p.54). De même, la migration s’était transformée pour certains en recherche individuelle de dignité, voir de stabilité.

Ainsi, selon Sophie Djigo, les migrants auraient établi dans la « jungle » une distance entre « l’habitat » (lié à la propriété) et le « lieu d’habitation ». La migration étant une entreprise réfléchie engagée après la perte du chez-soi initial et « centrée sur la promesse d’un chez-soi habitable » (Djigo, S., 2016, p.18) ; les migrants habitaient les lieux sans désir de s’y établir et en étant désireux de les perdre un jour. La possibilité d’habitat étant reportée à plus tard, les migrants faisaient provisoirement l’usage d’un espace et leur appropriation, relevait simplement de l’amélioration de leur quotidien. On peut alors y voir le reflet d’un instinct presque animal que nous portons tous en nous et qui voudrait que l’on s’approprie nécessairement les lieux dans lesquels nous sommes amenés à demeurer : « ils mènent une lutte contre le désordre pour recréer des espaces de vie commun, pour rétablir un succédané de vie normale à même l’espace de transit » (Djigo, S., 2016). La « jungle » aurait alors porté en elle « les preuves d’une œuvre d’avant-garde, seule construction d’avenir, celle qu’en habitant malgré tout des hommes ont risqué. » 44.

44.

« Le mot du PEROU ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 2

ILS MÈNENT UNE LUTTE CONTRE LE DÉSORDRE [...] POUR RÉTABLIR UN SUCCÉDANÉ DE VIE NORMALE À MÊME L’ESPACE DE TRANSIT Georges Perec


40

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

c)

INVESTIR POUR Mais CONTESTER l’investissement du lieu et l’organisation de leur vie quotidienne relevait aussi d’une forme de contestation face aux politiques dont ils étaient l’objet : « ils investissent les lieux et organisent leur quotidien en guise de contestation et de résistance à leur exclusion et à leur stigmatisation dans la « jungle » (Barry, Z., 2017). Les migrants auraient été porteurs d’une certaine voix que l’aide des associations auraient aidé à faire émerger à travers l’organisation de leur quotidien. De même, à travers l’auto-désignation du lieu en « jungle », les migrants auraient cherché à se ré-approprier une identité que l’on a voulu nier. Ce mot donnait un sens propre et assumé au lieu qu’ils habitaient, à la condition qu’ils partageaient. Il aurait s’agit d’une forme d’objectivisation et d’affirmation d’un « sens réapproprié d’une réponse immédiate à toute forme de mise à l’écart » (Agier, M., 2016). L’étape ultime de ce procédé aurait été ce que Sophie Djigo désigne comme l’intériorisation de l’usage métaphorique du mot « jungle » par les migrants eux même. A travers l’utilisation de ce mot, certains migrants signifiait leur rejet de ce qu’il implique, à savoir leur assimilation au monde animal et leur inhumanité présumée. A travers la réappropriation, ils dénonçaient les conditions inhumaines qui leurs étaient imposées : « Ici, on vit comme dans un zoo. Tu restes là, tu n’as aucun droit, on se contente de te nourrir [...] (Entretien avec Ameen, 12 février 2016) » (Djigo, S., 2016, p.37).


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

41

Nous l’avons vu, la formation de la « jungle » de Calais a été la résultante d’une longue histoire de migration dans le Nord de la France et d’une politique d’Etat visant la mise à l’écart de ceux que l’on considère comme « indésirables ». A travers elle, on aurait cherché à instaurer l’image d’un espace inhabitable, dans lequel il aurait été impossible d’être « exactement dans le monde » (Agier, M., 2013, p.105). Pourtant, « au bout d’un certains temps, les réfugiés sont bien là où ils vivent » (Ibid). La « jungle » aurait été le support de l’émergence d’une organisation sociale et spatiale rendue possible par le temps qui lui avait été accordé par les pouvoirs publics, sorte de trêve dans ce qui était devenu presque un rituel entre l’ « encampement » et la « dispersion » des migrants.

L’ensemble de ces réflexions nous invitent à regarder la « jungle » autrement que selon la vision imposée, celle qui nous fait prendre la voix de l’esquive qui voudrait que le réalité de la « jungle » ne soit pas intelligible (Djigo, S., 2016). La réflexion et l’analyse doivent nous permettre de comprendre ce qui s’est réellement joué dans cet espace « à ban donné[s] », laissé[s] au ban, c’est à dire à la limite (dedans dehors) du nomos (la loi souveraine sur son territoire) » (Agier, M. citant Agamben, 2013, p.1) ; être « autrement attentifs à ce qui a lieu, à ce qui fait lieu, à l’ouvrage dissident qui résiste au désœuvrement officiel. […] apparaissent d’autres perspectives, celles tracées par « la vie qui toujours invente », selon les mots de Gilles Clément » 45. « Il faut changer de description, reprendre la réflexion à son début, et en faire le préalable de l’action, pour peut être éviter les malentendus, les déceptions, les peurs, ou au moins les comprendre. Bâtir d’autres mots et d’autres raisonnements » (Agier, M., 2016).

ON S'INTERROGERA DANS CE MÉMOIRE SUR L’ORGANISATION SOCIALE ET SPATIALE DE LA « JUNGLE » DE CALAIS ET SUR LA FAÇON DONT LES MIGRANTS Y HABITAIENT.

45.

« Le mot du PEROU ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 2


42

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

D. PRÉSENTATION DU TERRAIN

a) MÉTHODOLOGIE

La « jungle » de Calais ayant disparu en octobre 2016, réaliser une analyse directe de terrain n’a pas été possible. Il a donc fallu inventer une méthodologie fondée sur le regroupement de données secondaires 46.

Ces données sont de sources et de natures variées (relevés, photographies, dessins, films, témoignages, écrits) et leur regroupement n’a répondu à aucune règle autre que l’évaluation de la valeur qu’elles pouvaient apporter à l’analyse. Le temps imparti pour réaliser cette dernière étant limitée, les choix opérés dans le regroupement de nos données ont été faits en pleine conscience du fait que certaines données auront pu leur échapper. Les relevés effectués par le Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines (PEROU) et les élèves de l’ENSAPB (sous la direction de C. Hanappe et P. Chombart de Lauwe) auront servi de solide base de laquelle tirer des informations à compléter par le reste du corpus 47.

Le regroupement d’un nombre important de données a rapidement nécessité de trouver une façon de les classer. Ce constat nous a poussé à aller chercher du côté de l’histoire de

46. 47.

Dans le cadre du marketing, le concept de « données secondaires » est employé pour désigner des données externes à l’entreprise utilisées dans le cadre d’études de marché. Bathelot, B. « Définition : données secondaires » [en ligne], 01.12.2016. Disponible sur : <https://www.definitionsmarketing.com/definition/donnees-secondaires/> (consulté le 11.02.2018). Le projet « Map Refugees » lancé par OpenStreetMap aura également été utile. Il avait pour but de cartographier la « jungle » à partie de bases de données libres de droit. Les migrants et toutes les personnes se rendant sur place pouvaient alors y participer. A terme, ces données devaient servir à rendre compte de la géographie de la « jungle » et en informer les futurs arrivants.


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

l’architecture afin de trouver des modèles d’analyse des bidonvilles au cours de l’histoire. Nous avons alors découvert les grilles réalisées (notamment par les futurs membre du groupe Team X) lors du neuvième Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM IX) à Aix en Provence en 1953 (Risselada, M. et van der Dirk, H., 2006). Si dans leur cas le but final de ces recherches étaient bien la destruction de ces habitats informels, les étapes d’analyse entreprises n’en demeurent pas moins intéressantes.

Ainsi, la grille « habitat du plus grand nombre », réalisée par les architectes du groupe GAMMA 48 (voir fig.5) nous aura inspiré un premier classement des documents, selon les échelles suivantes : - Ech 3 : La « jungle », une ville ? - Ech 2 : Les regroupements, des « bidonvillages » ? - Ech 1 : Les abris

Par la suite, la grille d’étude pour le bidonville Mahieddine, réalisée par neuf architectes du CIAM-Alger 49 (voir fig.6), nous aura inspiré la définition de grands thèmes transversaux aux échelles identifiées précédemment. Cette grille avait été inspirée par de la charte d’Athènes qui se décomposait en quatre grands thèmes « habiter, travailler, circuler, se cultiver », dont Yona Friedman fait la critique. Il explique que sa rédaction a eu lieu à une époque où le monde croyait encore au « droit à l’aisance (et à sa possibilité) » (Friedman, Y., 2016). Mais dans notre monde contemporain où le chômage s’est imposé durablement, elle serait devenue obsolète et devrait être remplacée par ce qu’il appelle la « proto-charte » puisque le soucis des individus « n’est plus tant de travailler, habiter et se cultiver que de manger, dormir, se protéger, et coexister » (Friedman, Y., 2016, p.82-83). C’est donc en s’inspirant des thèmes qu’il propose et de ceux des membres de l’équipe du CIAM-Alger que nous avons établi à notre tour quatre grands thèmes nous permettant de réaliser une analyse de la « jungle » de Calais (voir fig.7):

48. 49.

Le Groupe d’Architectes Modernes Marocains , dont V. Bodiansky, G. Candilis, M. Ecochard, H. Piot et Shadrach Woods était les membres. P.A. Emery, M. Gut, J. Lambert, L. Miquel et L. Ouhavoun (urbanistes), J. de Maisonseul, et J. Wattez ; et les étudiants R. Simounet et L. Tamborini.

43


44

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

- T1. Se protéger - T2. Se rassembler - T3. Répondre à ses besoins élémentaires (se nourrir, se laver) - T4. Ornementer

b)

PRÉSENTATION DES ÉCHELLES

Nous présenterons ici les échelles en allant du général au particulier, en commençant par l’échelle la plus large pour aller vers la plus resserrée. Dans un second temps, l’analyse sera quant à elle présentée dans le sens inverse pour chaque thème.

ECH 3. LA « JUNGLE », UNE VILLE ?

La « jungle » s’est développée sur un terrain de 400 hectares au sud du centre Jules Ferry, situé à 3 km du centre ville de Calais et 300 m de deux usines chimiques, le plaçant ainsi en grande partie en site SEVESO 50. Il prend la forme d’un quadrilatère faisant presque 1km de long pour 50m de large et est bordé au Nord par la mer dont il est séparé par un bunker, à l’Est par le chemin des Dunes, au sud par la route de Gravelines, à l’Ouest par la rocade portuaire qui le sépare complètement du reste de la ville. Au moment des premières installations la partie Sud était plutôt plane était recouverte d’une végétation rase et d’un petit bois au Sud Ouest. La partie Nord était quant à elle plus dunaire avec au centre une zone sableuse et au Nord et à l’Est une végétation piquante hostile. Au centre se trouvait une entendue d’eau longue de presque 300m qui coupait le terrain en deux et participait à l’identification de deux zones Nord et Sud. Le terrain était marqué par trois accès principaux : l’une au bout de la rue des Garennes, à la sortie 2 de la rocade portuaire, et deux autres le long du chemin des Dunes.

50.

Sont classés en sites SEVESO les sites industriels présentants des risques d’accidents majeurs et devant faire l’objet d’un haut niveau de prévention.


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

C’est donc à partir de mars 2015 que le terrain a vu arriver ses premiers occupants le long de la rue des Garennes qui se divisait en deux branches vers le Nord Est et le Sud Est en pénétrant dans le terrain. Cette rue était rapidement devenue un axe principal autour duquel s’étaient regroupés tous les bâtiments à caractère public de la « jungle ». Les groupements d’habitations à caractères plus privés se développaient quant à eux en périphérie, le long de voies secondaire plus ou moins bien dessinées, ou autour de poches longeant le Chemin des Dunes.

Si l’on s’en tient strictement aux définitions de l’Institut Nationale de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), la « jungle » ainsi formée pouvait être considérée comme une « ville », à savoir « une commune [...] présentant une zone bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. » 51. Elle n’a pourtant jamais été considérée comme telle, en témoigne son absence des cartes et relevés officiels de l’Institut Géographique National. Le simple accroissement de la population d’un espace ne suffit effectivement pas à le qualifier de ville. Malgré tout, certains en ont décrit les aspects urbains, allant même parfois jusqu’à effectivement la qualifier de « ville » : « peu à peu, une cité et un espace public se dessinent dans l’autogestion ; une ville dont tous les composants ont suivi les processus d’une ville classique dans leur formation mais à une vitesse follement accélérée » (Hanappe, C., 2017, p.163), « ville monde » (PEROU).

ECH 2. LES GROUPEMENTS D’HABITATIONS, DES « BIDONVILLAGES » ?

La « jungle » de Calais s’était assez vite organisée en quartiers ethniques au sein desquelles de petits groupements s’était formés : « les maisons vont ensuite […] s’agglomérer pour former des ensembles plus élaborés pouvant être utilisés par des groupes plus grands » (Hanappe C., 2017, p.149). Si les associations avaient organisé les abris de façon rectiligne lors de leur construction, les migrants les ont rapidement déplacés, pour spatialement organiser ces

51.

Institut National de la Statistique et des Etudes Economique, « Unité urbaine, Agglomération, Agglomération multicommunale, Aglomération urbaine » [en ligne], 13.10.2016. Disponible sur : <https://www.insee.fr/fr/ metadonnees/definition/c1501> (consulté le 11.02.2018).

45


46

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

groupements autour de cours 52. Ceux-ci correspondaient à ce que Yona Friedman appelle des « bidonvillages » : « Une masse amorphe d’individus ne peut pas exister : les gens s’organisent, se groupent. Se forment alors, dans le bidonville, des tribus, des clans, des groupes […] Ce sont des groupes, à l’intérieur des bidonvilles, que j’appelle les « bidonvillages » (Friedman Y., 2016, p. 131).

Ces formations, que l’on peut apparenter à des îlots se retrouvaient alors en opposition avec l’image que renvoie habituellement les camps de réfugiés tels que ceux du Haut Commissariat aux Réfugiés. Au sein même de la « jungle », un contraste important s’était établi avec le Centre d’Accueil Temporaire (CAP) pour 1 500 personnes dit le « camp de conteneurs » 53 : « A l’espace aseptisé, aux alignements de conteneurs de fer-blanc, répond la ville monde, biscornue, bâchée de noir et de bleu. « A côté de ces lieux laids et aseptisés, qui ont du mal à prendre vie, la “jungle”, elle, s’est trouvé une organisation, résume Olivier Leclercq, un architecte parisien » » 54 (Olivier Leclercq est le gérant de l’agence Air Architectures dont Cyrille Hanappe est l’associé ; et membre de l’association Actes & Cités.).

52. « Lors d’un entretien informel, un groupe d’aidants présents plusieurs fois par semaine dans la ‘jungle’ racontait qu’au départ,« le Secours catholique

Avril 2015 Philippe Huguen

53. 54.

avait aligné toutes les cabanes » puis qu’au bout d’une semaine, tous les abris avaient été déplacés et réinstallés par les exilés » » (Barry, Z., 2016) « un camp fermé de 74 containers » selon Cyrille Hanappe. Hanappe, C. « A Calais, un camp des années 30. Libération [en ligne], 21.10.2015 ». Disponible sur : <http://www.liberation.fr/debats/2015/10/21/a-calais-uncamp-des-annees-30_1407751> (consulté le 21.01.2018). Baumard M. « Entre les conteneurs et la « jungle », les deux visages du Calais des migrants », Le Monde [en ligne], 26.01.2016. Disponible sur : <http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2016/01/26/entre-lecamp-humanitaire-et-la-jungle-les-deux-visages-du-calais-des-migrants_4853441_1654200.html> (consulté le 22.01.2018).


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

47

ECH 1. LES ABRIS

Le 5 avril 2015, quelques jours après l’ouverture du centre Jules Ferry, Cyrille Hanappe constatait l’installation d’une cinquantaine de tentes et cabanes « très précaires » (Hanappe, C., 2017, p.144) à partir des branchages trouvés sur place. Peu à peu, avec l’aide des

Margaux Mazellier

associations, les constructions s’étaient consolidées grâce à l’apparition de plusieurs modèles de cabanes. Le secours catholique notamment organisait la distribution de deux types de kits : un « kit bâche » pour étanchéifier les structures existantes, et un « kit abris bois » pour construire de nouveaux abris pour quatre personnes 55, qui avaient remplacés petit à petit les tentes. Enfin, une allée de caravanes s’était installée au Nord Ouest de la « jungle » grâce à l’association Caravans for Calais. Offrant un niveau de confort un peu moins médiocre que les autres formes d’abris, elles avaient été réservées aux familles.

Finalement, on pouvait distinguer quatre type d’abris au sein de la « jungle » : les tentes, les abris auto-construits, les cabanes et les caravanes. S’ils étaient le signe de temps de développement différents, ces abris avaient fini par se côtoyer pour former un paysage hétéroclite.

55.

Le « kit abris bois» comprend : une bâche, des clous, une ossature en bois, des ficelles, des équerres, des chevrons, des blanches, ainsi que des couvertures (Barry, Z., 2016, p.54)


48

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

Fig 7. Grille « habitat du plus grand nombre » , Groupe GAMMA, CIAM IX, 1953


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

49

Fig 6. Grille mise en place pour l'analyse du bidonville de Mahieddine, groupe CIAM-Alger, CIAM IX, 1953

SE PROTÉGER

SE RASSEMBLER

RÉPONDRE À SES BESOINS ÉLÉMENTAIRES

ORNEMENTER

ECH 1. LES ABRIS

ECH 2. LES GROUPEMENTS

ECH 3. LA « JUNGLE »

Fig 7. Grille mise en place pour l'analyse de la « jungle » de Calais, Laure Stadelmann, 2017


50

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais


Partie 1. Définir la « jungle » de Calais

51

Philippe Huguen


52


53

PARTIE II. HABITER

LA « JUNGLE » DE CALAIS Nous analyserons ici la manière dont les migrants habitaient au sein de la « jungle » de Calais. En nous inspirant des grilles réalisées lors du CIAM IX et des critiques formulées à leur égard par Yona Friedman 56, nous avons déterminé une grille qui nous a servi d’outil pour décomposer cette analyse selon quatre grands thèmes (se protéger, se rassembler, répondre à ses besoins élémentaires (se nourrir, se laver), ornementer) et en trois échelles

57

(la

jungle : une ville ?, les groupements d’habitations : des « bidonvillages » ?, les abris). Chaque thème correspond à une partie, elle-même décomposée en sous parties correspondant aux échelles étudiées.

56. 57.

Friedman, Y. (2016). L’architecture de survie : une philosophie de la pauvreté. L’éclat poche. 2013 p. Voir partie I. B) pour plus de précision.


54

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

interface bouchon/bâche

A) SE PROTÉGER Pendant deux décennies, les migrants du Nord de la France ont multiplié la construction de squats et de campements. Se cacher répondait à une nécessité de protection face aux possibles arrestations

et

démantèlements

qui

retardaient leur passage vers l’Angleterre. La médiatisation dont la « jungle » de Calais Eviter l’arrachement des bâches - ENSAPB, relevé oct 2016

fut l’objet aura mis fin, pour un temps au moins, à ce schéma. En proposant aux

migrants une forme de tolérance face à leur installation, on aura permis l’apparition de dispositifs dont les mises en places répondaient à d’autres formes de protections.

a)

ECH 1 - RETOUR AUX ORIGINES DE L’ARCHITECTURE

« Si nous essayons de classer les choses indispensables à notre existence, en fonction du - C.Hanappe, p. chombart detemps lauwependant enseignants malonevivre photographe lequel avec nousl. pouvons sans elles, nous obtiendrons l’ordre suivant : air, protection relevé de la jungle de calais 8-10 octobre 2015 _ secteur nord-est


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

55

climatique, eau, nourriture. Tous les autres besoins viennent loin derrière. » (Friedman, Y., 2003). La notion de protection s’exprime d’abord à l’échelle de l’abri, envers les éléments naturels. Les migrants avaient développé des solutions de fortune, dont certaines s’étaient peu à peu répandues dans l’ensemble de la « jungle » pour finalement devenir des modèles génériques. On notera notamment la façon dont les bâches étaient clouées aux structures pour éviter leur arrachement par le vent, les différents poids imaginés pour lester les abris, ou encore les techniques rudimentaires d’isolation à l’aide de couvertures clouées sur les murs intérieurs des abris.

Or, selon Marc Antoine Laugier, la cabane primitive, et donc la notion de

Laurent Malone - « S’attacher »

protection des éléments serait à l’origine de toute architecture : « L’homme veut se faire un logement qui le couvre sans s’ensevelir. Quelques branches abattues dans la forêt sont les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes qu’il élève perpendiculairement et qu’il dispose en carré. Au-dessus, il en met quatre autres en travers et sur celles-ci il en élève qui s’inclinent, et qui se réunissent en pointe de deux côtés. Cette espèce de toit est couvert d feuilles assez serrées pour que ni le soleil, ni la pluie, ne puissent y pénétrer ; et voilà l’homme logé. (…) La petite cabane rustique que je viens de décrire, est le modèle sur lequel on a imaginé toutes les magnificences de l’Architecture » 58.

58.

Abbé Laugier, Essai sur l’Architecture, Paris,

Duchesne, 1753, p. 12-13


56

b)

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

ECH 2 - CRÉER DE L’INTIMITÉ

Si

les

abris

servaient

de

protection envers les éléments naturels, les clôtures mises en place autour des groupements d’habitations manifestaient quant à elles un désir de protection contre les indiscrétions. Ces clôtures, artificielles

(branchages,

structures

de tentes, …) ou naturelles (profiter du relief ou de la présence d’un cour d’eau) constituaient une première limite pour signifier le passage d’un lieu public à un lieu plus privé, de l’ordre du commun. Elles pouvaient signifier l’entrée dans un espace autre, marquant ainsi une distinction entre un intérieur privé partagé et un extérieur public régis par des règles Photographies personnelles

sociales au moins en partie différentes 59 : « il y a des enclos qui sont interdits pour

certaines personnes et pas pour d’autres. Il y a des enclos où l’on peut s’asseoir, d’autres où tout le monde on reste debout. Il y a ceux réservés aux hommes et ceux réservés aux femmes. » (Friedman, Y., 2003).

En effet, dans cet espace de non droit, il semble que ces clôtures aient pu remplacer la notion de propriété qui y était inapplicable : « Pour la propriété, l’usage qui prédomine dans

59.

Yona Friedman qualifie de « morale » la distinction opérée grâce à ces clôtures.


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

57

le bidonvillage, est semblable à celui de la plupart des sociétés tribales : il consiste à considérer que qu’ […] un terrain appartient, par exemple, à celui qui a réussi à monter soit une clôture autour du terrain, soit un toit pour le couvrir » (Ibid). Face à la propriété de nos villes traditionnelles, les migrants avaient donc imposé leurs propres

processus

d’appropriation Photographies personnelles

comme moyen de signifier leur présence

en ce lieu, et ce malgré les conditions précaires qui leur étaient imposées. Il s’agissait d’une façon, consciente ou non, de se jouer des arrêtés préfectoraux qui venaient sans cesse leur rappeler l’illégalité de leur occupation 60.

Par ailleurs, au sein même de l’espace défini par les clôtures, d’autres degrés d’intimité étaient signifiés par la création de seuils, menant graduellement vers l’espace le plus privé, celui de l’abri. On notera notamment des différenciation dans les matériaux de sol utilisés, la création d'espaces couverts, l’invitation à laisser ses chaussures à l’entrée des abris … « Le rôle du toit ou le rôle de l’enclos dans le bidonvillage, en train de naître, n’est pas déterminé par le concept de propriété, mais par le mode d’utilisation privé ou public » (Ibid).

c)

ECH 3 - SE PROTÉGER DE LA « JUNGLE »

Alors qu’aux échelles précédentes la notion de protection s’exprimait de l’intérieur vers l’extérieur, il semble qu’ici, elle se soit plutôt exprimée de façon inverse : de l’extérieur (la ville) vers

60.

Voir partie I. C)


58

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

l’intérieur (la « jungle »). Les mises en place successives de dispositifs spatiaux auraient été un élément central dans la logique de contrôle des populations initiée par les pouvoirs publics pour répondre à un objectif de mise à l’écart. Leurs interventions auraient oscillé « entre retenir pour surveiller et détruire pour faire fuir » (Djigo, S., 2016).

Comme

expliqué

plus

haut,

le choix même de la position de la « jungle » par les pouvoirs publics, en tant que manifestation d’un phénomène d’extraterritorialité, était peut être déjà le signe d’un désir de protection de la population locale vis à vis des migrants. D’autant que le terrain choisi pour cet « encampement » se trouve à trois Le mur ceinturant la « jungle » - André Mérian - Parcours des héros

kilomètres du centre ville de Calais, et

complètement séparé de celui ci par la frontière que représente l’axe autoroutier menant au terminal de ferries (A16). La présence de cet axe, avait été renforcé par la construction de hauts murs grillagés surmontés de barbelés le long de la portion longeant la « jungle ». Il est alors intéressant de constater qu’un même dispositif spatial (la clôture) ait pu jouer deux rôles distincts à deux échelles différentes : seuil à l'échelle des groupements d’habitations, frontière à l'échelle de la « jungle » 61. Le mur délimitait alors clairement une limite entre la ville et la « jungle », entre les citoyens Calaisiens et les migrants illégaux.

Ce premier dispositif avait été complété par la mise en place, d’une bande de cent mètres ceinturant les zones habitées. Celle-ci avait été ordonnée par un arrêté préfectoral 62. Cet arrêté affiché le 19 janvier, la plupart des abris avaient été déplacés par les migrants et

61. 62.

Bien qu’officiellement, elles auraient servi à protéger la rocade portuaire des intrusions. « Il est fait commandement aux occupants sans droit ni titre du site dit de « La Lande » à Calais de quitter et libérer de toutes personnes et de tous biens l’emprise correspondant à une bande de 100 m de largeur [...] et ce au plus tard dans un délai de 24 heures à compter de la publication [...] Passé ce délai, à défaut d’avoir quitté les lieux, il sera procédé à l’évacuation [...] si nécessaire avec le concours de la force publique. » AFP, « Calais : Ultimatum aux migrants récalcitrants pour évacuer une zone de la « Jungle » », Yahoo! Actualités [en ligne], 20.01.2016. Disponible sur : < https://fr.news.yahoo.com/evacuation-petits-commerces-jungleultimatum-migrants-110548511.html> (consulté le 11.02.2018).


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

59

les associations le lendemain, dans les temps. Seules une église et une mosquée auront résisté jusqu’à début février. Destinée à dégager une zone facilitant la surveillance de la rocade, cette bande avait été apparentée par certain à un No Man’s Land : « Ils ont reconnu dans les espaces fabriqués par la police, tel cet immense no man’s land qui entoure la jungle, l’archétype de bien des espaces

La bande de 100m - Jungleye

publics : ces esplanades ouvertes sur le ciel, offertes aux jeux et aux rassemblements des migrants, mais dont la raison d’être est de contrôler les mouvements de chacun. » 63.

Par ailleurs, on peut considérer que certains aspects du CAP mis en place en janvier 2016 par l'entreprise Logistic Solutions ont pu répondre à ce même objectif de contrôle. En effet, les 1 500 migrants hébergés dans les conteneurs qui constituaient son paysage, ont vu leur liberté de mouvement être encore d’avantage limitée par une interdiction de sortir du centre pendant la nuit. Leurs tentatives de passage vers l’Angleterre étaient ainsi empêchées.

63.

« Le mot des professeurs ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 2

Entrée du CAP - Jungleye


60

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

La surveillance dont ces premiers dispositifs étaient le reflet s’opposait à toute notion d’accueil et participait à la désignation de la « jungle » comme un « camp de prisonniers » dont il fallait empêcher l’évasion, par « crainte de l’invasion barbare » (Djigo, S., 2016). Les migrants pouvaient alors être désignés comme des « enfermés dehors » (Ibid) dans cet espace clos en contradiction totale avec l’idée de transit et de mobilité. Par ailleurs, on peut se demander si les associations

elles-mêmes

n’avaient

pas involontairement participé à cette surveillance. A travers leurs actions (recensement, contrôle médical, médiation, …), elles ont pu jouer le jeu de la politique Le CAP - Jungleye

de confinement qu’elles récusaient.

Cette première dimension de surveillance avait été complétée par une logique de dissuasion dont les objectifs ont été décrits plus haut 64. Spatialement, cela s’était notamment traduit par le maintien volontaire dans une grande précarité matérielle 65 et deux démantèlements successifs. Le premier, partiel, n’avait eu pour seul effet que la densification de la partie Nord du terrain de La Lande : « Tout doit disparaître, selon l’histoire officielle de l’art brut qui gouverne. […] nous enseignent une toute autre histoire : tout se réinventera, parce qu’il n’y a pas d’autre issue. » 66. Mais il ne s’agissait en fait que d’une première étape vers le démantèlement complet de la « jungle » en

64. 65. 66.

Voir I. B) Rappelons que la seule intervention humanitaire des pouvoirs publics dans la « jungle » s’est traduite par l’installation de quelques installations sanitaires insuffisantes en nombre à travers l’Organisation Non Gouvernementale Acted. « Le mot du Perou ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 2


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

61

octobre 2016, qui avait été accompagné d’un

large

dispositif

d’hébergement

en urgence sans condition dans des Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO) répartis sur l’ensemble du territoire 67. Ces « mesures incitatives » (Babels, 2017), avaient été accompagnées quelques semaines avant le démantèlement de « mesures répressives » (Babels, 2017) avec le placement en Centre de Rétention Administrative (CRA) d’environ un millier de migrants 68. Ces dispositifs avaient été considérés par certains comme répondant à un objectif de dispersion, renforcé par une présence accrue de forces de l’ordre dans la ville après le démantèlement pour empêcher la formation de nouveaux campements informels : « la réponse sera surtout sécuritaire, avec présence de forces de l’ordre à Calais « pour empêcher

Manifestation de la présence policière - Jungleye, Waseem Konbous Le démantèlement de la partie Sud en mars 2016 - Jungleye, Abu Alexander

l’installation de squats », rappelle la préfète » 69.

Bien que la nécessité de protection ait été à l’origine de l’édification de tous les campements du Nord de la France depuis les années 90’, elle se sera exprimée de façon peut être plus marquée encore au sein de la « jungle » de Calais. Le temps accordé à l’édification de

67. 68. 69.

Les premiers départs vers les CAO avaient eu lieu le lundi 24 octobre 2016 mobilisant 1250 policiers en plus des 2100 agents déjà présent sur place. Par ailleurs, alors que le ministère démentait avoir réservé des places en CRA pour ceux qui refuseraient de renoncer à leur désir de rejoindre le Royaume Uni, la Cimade avait annoncé, quelques jours avant le démantèlement, la réouverture de certains de ces centres et le blocage d’environ 200 places en France métropolitaine. Baumard, M. « « Jungle » de Calais : le démantèlement débutera lundi à l’aube ». Le Monde [en ligne], 21.10.2016. Disponible : <http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/10/21/jungle-de-calais-le-gouvernementdetaille-l-operation-de-demantelement-qui-debutera-lundi_5018279_1653578.html> (consulté le 22.01.2018).


62

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

cet espace aura permis le développement, de la part des migrants ou des pouvoirs publics, de dispositifs spatiaux élaborés qui auront été le reflet d’un désir de protection dirigé depuis la jungle vers l’extérieur, ou inversement.

Pour les migrants, la nécessité de protection passait aussi par celle de se regrouper au sein de cet immense espace très peuplé : « Dans la « jungle », il est urgent de se faire des amis » (Djigo, S. 2016, p.129). Selon Sophie Djigo, à l’origine des amitiés formées au sein de la « jungle » se trouvait bien sûr un choix, mais qui ne reposait pas sur l’excellence, ou le plaisir, mais sur l’utilité 70. Des enjeux de solidarités étaient levés, l’ami était avant tout celui sur qui compter, ce qui explique sûrement l’intensité des relations qui unissaient ces individus : « Dans le cas des migrants, se faire des amis n’est pas un loisir mais une nécessité : la satisfaction urgente des besoins. L’arrivée d’un individu isolé dans les lieux de transit commence par une quête de semblables avec qui établir des alliances pour pouvoir s’abriter, subvenir à ses besoins, avoir accès aux informations, gagner Guillaume Wilmin, mars 2016

en sécurité. » (Djigo, S. 2016, p.131). A

l’origine des regroupements se trouvaient donc une langue commune qui facilitaient les échanges et surtout des actions d’entraides (offrir un repas au nouvel arrivant, lui trouver une place dans un abri, …). On comprend que c’est la logique de l'entraide qui avait été à l’origine du fondement des communautés : « ce n’est pas la relation amicale qui fonde la communauté mais l’inverse : les amis son issus d’une communauté déjà définie. L’alliance amicale recoupe le lignage » (Ibid, p.130). L’isolement semblait alors être quelque chose d’inenvisageable pour les migrants de la « jungle ».

70.

Aristote explique qu’à l’origine de toute amitié, il y a une quête soit fondée le caractère moral de l’ami, soit sur l’utilité et le profit qu’il peut nous rapporter.


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

63


64

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

65

Jungleye


66

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

67

Jungleye


68

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

stabilité / durabilité stability / durability

« Certains transportent du sable afin de faire le soubassement de leurs chauffer abris. Ils y déposent ensuite des palettes, sur lesquelles viennent se superposer to heat dans l’ordre suivant : une bâche, une couche de mousse, des couvertures ou du lino. » ENSAPB, relevé Octobre 2016

étanchéité à l’eau rain sealing

ENSAPB, relevé Mars 2016

ENSA Paris Belleville - Actes & Cités - 2016

étanchéité aux rats rats sealing

« A l’intérieur, des chutes de cartouches de chasse et des bouchons de bouteilles servent de cale entre le clou et la bâche, afin d’éviter l’arrachement. » ENSAPB, relevé Octobre 2016

DIFICATIONS S P AT IALE S

/ frères SPA I Asœur L Cnous H ANGES « Deux et T leur ont accueillis pour prendre le thé dans leur cuisine [...] feu avec du bois verni : l’air y est irrespirable et manifeste un réel danger pour leur santé mais ils n’ont pas d’autre bois et ne veulent pas continuer à détruire la forêt. »

MO D I F I C ATI ONS SPATI A LES

/

SPA TIA L CHA NG ES

ENSAPB, relevé Octobre 2016

stabilité / durabilité

bilité stability / durabilité / durability bility / durability

chauffer to heat chauffer

to heat

ENSAPB, relevé Mars 2016


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

69

« L’intérieur de leurs chambres est recouvert de couvertures afin de se protéger du froid pendant la nuit.. » ENSAPB, relevé Mars 2016

0

50

100

200

Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Sur ce calque et les trois suivants : les flèches représentent les voies de dessertes, les lignes pleines représentent les clôtures et seuils, les hachures représentent les différentes degrés d'intimité du public au privé (plus elles sont resserrées, plus la zone concernée est privée).

Calque.1

Clôtures et seuils : Gradation des degrés d'intimité


Clôtures et seuils : Gradation des degrés d'intimité

Calque.2


72

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

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200

Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

73

« Ces réfugiés ont créé des limites externes, faites de ficelles, de morceaux de bois et de lits de camp. Ces limites recréent des espaces partagés plus intimes. L’entrée s’effectue par le passage sous une bâche [...]. » ENSAPB, relevé Mars 2016

0

050

50 100 100

200 200

Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Calque.3

Clôtures et seuils : Gradation des degrés d'intimité


Clôtures et seuils : Gradation des degrés d'intimité

Calque.4


74

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

« Ces réfugiés ont créé des limites externes, faites de ficelles, de morceaux de bois et de lits de camp. Ces limites recréent des espaces partagés plus intimes. L’entrée s’effectue par le passage sous une bâche [...]. » ENSAPB, relevé Mars 2016

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Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

75

« Quand les clôtures transparentes sont opaques. Quand « bienvenu » signifie - « vous êtes chez moi ». » Charlotte Cauwer, PEROU

0

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Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB



Bande de 100m

es tur

Clô ord-Sud

Limite N

Zone sud démantelée

Mars 2016 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB

Calque.5


76

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

0

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Octobre 2015 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

77

0 50 100 200 0

50

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Mars 2016 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB


78

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

B) SE RASSEMBLER : LES « TECHNOLOGIES DE LA DISTANCE » Selon Michel Lussault, l’Homme se développe en fonction des « deux technologies de la distance » (Lussault, M., 2017), que sont la mobilité, et la coprésence. La coprésence consiste à « rassembler physiquement en un même espace des entités afin de rendre possibles leurs relations » (Ibid) et nécessite des organisations et des ingénieries spatiales complexes. Pour y parvenir, il est nécessaire d’avoir recours à la régulation qui est à l’origine des règlements et prescriptions d’organisation et de pratique de l’espace : « La gestion collective et politique de la coprésence est un puissant vecteur de structuration des sociétés » (Ibid). La mobilité quant à elle nécessite une médiation qui est à l’origine des réseaux techniques pour instaurer un contact topologique entre les entités. Alors que dans le premier cas la proximité induite est « topographique », celle induite dans le deuxième cas est « topologique ».

a)

ECH 1 - HABITER SON PASSÉ ET SON FUTUR

Dans le cas de la « jungle » de Calais, la mobilité était rendue impossible par la frontière. La seule possible restait celle instaurée par la communication numérique qui devient de plus en plus simple et élémentaire. Mais l’habitat d’un Homme excède de beaucoup la résidence. Il est constitué du milieu géographique de son existence individuelle et sociale. L’Homme serait plutôt


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

79

un « co-habitant » qu’un « habitant » : « tout individu […] co-habite en permanence avec tous les autres humains. Le concept d’habitat possède donc un spectre large : celui d’une appréhension complète du mode d’occupation de l’espace par les individus et les groupes ; il dénote le cadre de vie (spatial, forcément spatial) des hommes en société, à toutes les échelles, du corps (premier niveau scalaire de l’habitat) au Monde » (Lussault, M., 2017, p.39).

Or, les migrants de la « jungle » étaient

particulièrement

attachés

à

leur smartphone et la possibilité de les recharger représentait pour eux un enjeu majeur au quotidien. En été 2016, il était assez étonnant, pour les bénévoles que nous étions, de découvrir près de l’entrée de la « jungle » un camion autour duquel se massait en permanence des dizaines de personnes pour recharger leurs

Olivier Laban-Mattei - Myop pour Le Monde - Un réfugié passe un appel sur skype à un proche à qui il montre l’endroit où il habite

téléphones et bénéficier d’un peu de connexion wifi 71. A travers leurs smartphones, les migrants cherchaient à rester connectés à leurs proches, à échapper à leur quotidien dans la « jungle » en se projetant ailleurs, dans leur pays d’origine ou dans celui qu’ils désiraient rejoindre.

On peut alors supposer qu’en plus de la « jungle », les migrants habitaient à la fois leur passé et leur futur. En effet, selon Michel Agier, la mémoire des migrants serait délocalisée ou multilocalisée et s'opposerait ainsi en partie à la notion de « lieu anthoropologique » de Marc Augé (Agier, M., 2013). Celle ci serait caractérisé par un ensemble de relations, d'histoires et de mémoires qui permettrait à ceux qui y vivent de s'y identifier. Dans le cas des migrants, ce serait le parcours, en tant qu'expérience d'une succession de lieux, qui prendrait cette définition. Or, « il

71.

The World Wild Tribe avait mis en place plusieurs points de connexion internet dans la « jungle ».


80

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

se peut aussi que nous ne soyons pas encore « équipés » intellectuellement pour former cette représentation du monde » (Ibid).

b)

ECH 2 - COHABITER EN RÉPONSE AU MANQUE DE MOBILITÉ

Si

leur

mobilité

physique

était limitée, on peut supposer que la coprésence prenait plus d’importance au sein de ce lieu clos. Alors que la mise en ghetto vise traditionnellement à contenir une communauté (ethnique ou religieuse) déjà établie, c’est une communauté de l’instant qui s’est créée dans la « jungle » de Calais, regroupant des individus à qui l’isolement à été imposé dans un groupe hétéroclite et mouvant. Sophie Djigo rapporte notamment le fait que les migrants parlaient d’eux au pluriel pour signifier le partage d’un espace et d’une condition.

Jungleye - Muhamad Kunbos Margaux Mazellier

La

«

jungle

»

s’est

progressivement structurée en quartiers

ethniques selon la logique d’une société multiculturelle. Mais contrairement à ce que l’on pourrait d’abord penser, cela ne répondait pas à une envie de repli identitaire, de fermeture à l’autre, de racisme inter communautaire. Sophie Djigo rapporte plutôt une recherche de repères familiers


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

81

dans un environnement hostile ou du moins inhospitalier. La culture de chaque communauté opérait pour les migrants comme un foyer émotionnel et moral rassurant. Une micro-société pluri-ethnique s’était alors développée.

Ces quartiers nouvellement formés permettaient de « normaliser » la vie en transit qui se développait dans des conditions si « anormales » dans cet espace de « non droit » ou la légalité était neutralisée et la police absente. Y étaient fixées les règles de vie communes, les interdits tacites et les devoirs, permettant ainsi de faire émerger une meilleure organisation interne de cet espace ou le transit durait (mise en commun d’argent pour aider les nouveaux arrivants, cagnottes pour les courses communes, groupes de surveillances, médiation p­our régler les conflits, …). Ces quartiers étaient enfin à l’origine du fondement de nombreux liens sociaux, essentiellement communautaires : « Pour lui, la famille, c’est le groupe de cinq Erythréens qui partagent la même tente, dont le degré de proximité les distingue du reste de la communauté érythréenne, qui constitue la « grande famille ». » (Djigo, S., 2016, p.124).

c)

ECH 3 - L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE PRÉSENCE AU MONDE ?

Mais on peut aussi considérer qu’une communauté plus large s’était formée de par l’action associative et l’importante mobilisation que la « jungle » a suscité au sein de la population civile, faisant émerger une grande solidarité au sein de cet espace : « L’action associative ouvre une voie aménagiste à Calais, qui conserve l’enthousiasme d’une mobilisation spontanée, mais dispose, pour une fois, de moyens importants issus de la générosité de la société civique. » 72. Cette « solidarité par la nécessité » (Friedman, Y., 2003), dont le reste de la France a pu faire défaut, a même pu attirer là certains migrants qui ne cherchaient pas à rejoindre l’Angleterre : « Abel revient régulièrement à la Jungle. Il a été contraint d’en partir, pour être logé dans un appartement,

72.

« La méthode aménagiste des associations ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 4


82

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

dans une petite ville de Picardie, […]. sans être entouré des vingt nationalités de la Jungle, sans les centaines de Français qu’ils rencontrait par semaine, dans les bénévoles qui lui apportaient du matériel pour le travail, Abel voit son quotidien déclassé, son intégration empêchée, et son moral impacté » Philippe Wojazer - Reuters

73

. Beaucoup

ont mis en avant la souplesse des associations qui ont su travailler main

dans la main avec les migrants, pour éviter toute confiscation des prises de décision impactant directement le quotidien de ces derniers. Les associations auraient su faire preuve d’un grande souplesse, prouvant ainsi qu’une « plus grande mainmise du tissu associatif sur la gestion et l’aménagement de l’espace ne s’accompagnerait pas nécessairement d’une confiscation du droit de décider au profit d’un groupe d’intérêt local. » 74.

Très tôt, des lieux collectifs ou « communs » (Hanappe, C., 2016, p.160) avaient notamment été construits et étaient gérés selon une collaboration étroite entre les migrants et les associations, sans recevoir aucune commande de l’Etat. En cela, ils se distinguaient des « services publics » que représentaient le centre Jules Ferry et le Centre d’Accueil Provisoire (CAP). La plupart s’étaient organisés autour d’un Guillaume Wilmin - Mars 2016

73. 74.

axe se développant en fourche de part et

Charlotte Cauwer, PEROU « La méthode aménagiste des associations ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 4


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

83

d’autre de l’ « entrée », au bout de la rue des Garennes. Au Nord, la voie s’étendait vers le Nord Ouest sur environ 250 mètres jusqu’à rencontrer une grande étendue sableuse ; au Sud, elle se divisait au bout d’une cinquantaine de mètres en plusieurs voies dont la principale rejoignait la route de Gravelines au Sud-Est du terrain.

Les lieux de cultes avaient été parmi les premiers à y apparaître et s’inscrivaient dans la lignée de ceux déjà bâtis dans les différents campements successifs du Calaisis (« jungle des Pachtounes » en 2009, « jungle des Tioxides » en 2015) 75. Cyrille Hanappe rapporte s’être rendu sur les lieux le 5 avril 2015 (quelques jours après l’apparition des premières installations) et avoir constaté la présence de « deux épiceries, une mosquée et […] la première église érythréenne » (Hanappe, C., 2017). Cette dernière présentait un plan en croix avec deux éléments hauts au dessus de l’entrée et du cœur. Disparue quelques jours plus tard dans un incendie, elle sera

Margaux Mazellier Philippe Wojazer - Reuters

remplacée par la grande église orthodoxe sur le même terrain. Visible de loin, elle était devenue un bâtiment emblématique de la « jungle ». En plus de cette église, la « jungle » aura regroupé jusqu’à six mosquées.

75.

La Voix du Nord. « L’église des exilés dans la « jungle » à Calais : une vie spirituelle au-delà de la misère ». La Voix du Nord [en ligne], 06.01.2015. Disponible sur : <http://www.lavoixdunord.fr/archive/recup/region/l-eglise-desexiles-dans-la-jungle-a-calais-une-ia33b48581n2583004> (consulté le 22.01.2018).


84

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

Derrière l'église se trouvait la bibliothèque « Jungle Books » créée par une Anglaise dans le courant de l’année 2015. En plus du libre accès aux livres, des cours d’anglais y étaient donnés aux enfants et aux adultes dans les abris adjacents. Au total, la « jungle » a regroupé jusqu’à cinq écoles dans lesquelles étaient principalement dispensés des cours de Français et d’Anglais. Deux d’entre elles ont été construites par des personnalités bien connues des bénévoles et migrants de la « jungle » : Alpha et Zimako Jones.

Le

premier,

un

artiste

Mauritanien, avait été à l’origine de la construction de l’ « école des arts et métiers » dans laquelle était dispensés des cours d’arts plastiques. Elle avait survécu au démantèlement de la zone Sud en mars 2016 avant de brûler par accident en août de la même année. Une grande tente l’avait alors remplacée et alors qu’elle devait être reconstruite, l’annonce du démantèlement complet de la « jungle » en septembre avait mis fin au projet. L’école laïque avait quant à elle été fondée par Zimako Jones à proximité du chemin des dunes. Mais victime de son succès, elle était rapidement devenue trop petite et avait été abandonnée pour être Marie Mangin, Libération Philippe Huguen

reconstruite dans une version beaucoup plus grande près de l’église Erythréenne.


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

85

Elle avait résisté au démantèlement de la zone sud et était demeurée un haut lieu de « sociabilité et d’échange » (Hanappe, C., 2016, p.162) jusqu’à la destruction de la « jungle ».

Enfin, on relèvera ici la création du « Good Chance Theatre » par deux metteurs en scène britannique, Joe Robertson et Joe Murphy, surnommés « Joe and Joe », sous la forme d’un immense dôme géodésique démonté définitivement pendant le démantèlement de la partie Sud. Ce théâtre (qui se transformait parfois en discothèque le vendredi soir) avait été créé pour offrir aux migrants la possibilité d’expérimenter la dimension cathartique de l’art. Le but des deux créateurs étaient aussi de faire émerger des voix singulières dans cette masse d’individus sans visage : « Sur la scène, les exilés racontaient leur histoire, leurs doutes et leurs espoirs » (Barry, Z., 2016, p.66).

Le Good Chance Theatre

Dans une société de plus en plus mondialisée, cette coprésence élargie en particulier a pu attirer : « Le besoin de s’assembler, de faire commun, se renforce à mesure que la mondialisation


86

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

s’affirme » (Lussault, M., 2017, p.60). Michel Lussault explique que le monde occidental contemporain est empreint d’une « lutte des places » (en écho à la « lutte des classes ») qui « peut être considérée comme un fondement puissant des dynamiques économiques, sociales et politiques » (Ibid, p.17). Dans ce contexte, la « jungle » a pu représenter pour certains un moyen de retrouver une capacité à « partager spatialement l’expression sociale » (Agamben, G., 2014) pour faire émerger une nouvelle présence au monde. Elle aurait été la manifestation de la recherche d’une nouvelle manière de faire société. En effet, dans un monde où les connexions sont de plus en plus fluides, illimitées, standardisées, abstraites, le besoin d’éprouver la rencontre des choses et d’autrui est plus que jamais ressenti. Or en anthropologie, une « zone de marge » désigne le moment ou le lieu d’une déstabilisation des identités collectives ou individuelles. La questionner, déplacer son regard du centre, revient à l’interroger. Ainsi, ce qui advenait dans la « jungle » de ce point de vu a pu remettre en cause certains présupposés de l’urbanisme et de l’architecture contemporaine : « reconnaître […] l’urbanité qui, dans chaque camp, reprend ses droits » (Meadows F., 2016, p.15) ; « Les campement s’urbanisent, interrogeant sans cesse la limite entre la mise à l’écart et l’invention de la ville. » 76, « La question est bien la relation de la société à l’espace. Les camps remettent en cause de façon cruciale tous les modèles traditionnels. » 77. La « jungle » aurait alors été porteuse de d'un paradoxe, relevant à la fois de dimensions « prophétique et catastrophique, merveilleuse et misérable, utopique et dystopique » (Hanappe, C., 2017, p.163). Les expérimentations pour stabiliser les campements de migrants, telles que celles observées dans la « jungle », notamment de la part des associations sont centrées sur la volonté de petits groupes de « concevoir et d’organiser une autre existence urbaine, déliée des exigences de l’urbanisme fonctionnel et de l’économie immobilière classique » 78(Lussault, M., 2017, p.179). Comme postulat de ces actions, il y a bien l’idée d’une existence en commun au quotidien, dont on présume qu’elle est porteuse d’une grande puissance subversive des modèles urbains actuellement considérés comme

76. 77. 78.

Amsellem, G., In : Meadows, F. (sous la direction de) (2016). Habiter le campement : nomades, voyageurs, contestataires, conquérants, infortunés, exilés. Paris : Actes Sud. 319 p. « Le mot des professeurs ». L’Atelier public de paysage, n°9 (2015-2016). P. 4 A l’opposée de ces actions donc se trouverait cet « urbanisme » et cette « économie » imposée par les opérateurs du « géo-pouvoir », voir partie 1


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

87

légitimes car portés par les premiers bénéficiaires de la mondialisation : « ce qui est sans doute le plus placé hors-champ constitue pourtant ce qui installe l’urbanité : à savoir les actions et les usages des co-habitants » (Ibid, p.180)

Ainsi,

les

espaces

décrits

précédemment avaient représentés pour les pouvoirs publics un dérèglement insupportable de territoires dont ils avaient contesté l’existence à coup d’arrêtés

préfectoraux

les

désignant

comme des anomalies administratives relevant d’une pratique non encadrée, donc à résorber : « Ce que les pouvoirs publics ont voulu c’est empêcher qu’une autre histoire se raconte. [...] Tous ont voulus que l’on fasse taire le scandale d’un autre récit de l’habitation. » (Lussault, M., entretien 2017). A partir du 19 juillet 2016, la préfecture du Pas-de-Calais avait commencé à procéder à des « contrôles administratifs et sanitaires » et avait demandé la fermeture des 72 « structures de vente illégale » recensées par les agents d’État 79. On peut également voir

Jungleye, Ahmad Alsamray Jungleye, Ahmad Konbos

dans les deux démantèlements que la « jungle » aura subis une forme d’ « urbicide » 80. Ce concept, inventé en 1992 à Sarajevo,

79.

80.

« le recensement des lieux de vente auquel il a été procédé par les services de préfet a permis d’en identifier 72, dont 16 « restaurants », 39 « commerces de détail », 12 « restaurants » et « commerces de détail » et des artisans (coiffeurs, barbiers, hammams), situés de part et d’autre de la « route du Nord » » - Tribunal administratif de Lille, le 12 août 2016 Hanappe, C. « Les leçons urbaines de la jungle », Libération [en ligne], 06.03.2016. Disponible sur : <http://www. liberation.fr/debats/2016/03/06/les-lecons-urbaines-de-la-jungle_1437829> (consulté le 21.01.2018).


88

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

« se définit par la volonté d’un agresseur d’annihiler l’objet le plus complexe que les hommes parviennent à construire collectivement : une ville. […] C’est cette ville que le gouvernement veut détruire car elle lui échappe, car elle est porteuse d’une idée différente du vivre ensemble, d’une société civile qui s’invente sans tutelle. » 81.

Mais le 12 août, le tribunal administratif de Lille rejetait la demande de la préfecture, en déployant notamment cet argument : « Considérant, en troisième lieu, que ces

épiceries,

cafés

et

restaurants

remplissent d’autres fonctions qui ont également leur importance pour des hommes, des femmes et des enfants [...] ; qu’il constituent des lieux de rencontre apaisés entre migrants et avec des bénévoles qui sont à leur disposition pour les aider et les informer ; qu’ils leur permettent, pour certains, de se mettre à l’abri des intempéries dans la journée, de se reposer et de se détendre ; qu’ils ont la possibilité d’y recharger leurs téléphones portables, ce qui est primordial pour eux afin de conserver le contact avec Guillaume Wilmin - Mars 2016

leurs familles et leurs proches ; qu’ils

représentent également pour les nouveaux arrivants une solution d’hébergement gratuit pour les premières nuits. » 82. Face aux arguments froids et implacables de l'Adminsitration, le tribunal levait ici des considérations pragmatiques et d’utilité sociale et spatiale. De même, malgré le recours des

81. 82.

Ibid Tribunal administratif de Lille, 12 aout 2016 … Tribunal administratif de Lille, 2016. Ordonnance du 12 août 2016.


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

89

associations, le tribunal administratif de Lille avait bien ordonné le démantèlement de la partie Sud de la « jungle » mais en épargnant ce qu’il qualifia de « lieux de vie », à savoir des lieux « soigneusement aménagés qui répondaient, en raison de leur nature et de leurs modalités de fonctionnement, à un besoin réel » 83. De nombreux migrants avaient alors inscrits l’expression « lieu de vie » sur leurs abris, en espérant les sauver de la destruction.

Face à une mobilité physique limitée, la mobilité virtuelle et la coprésence s’étaient imposés au sein de la « jungle » comme moyens de développement. Dans nos sociétés contemporaines empreinte d’une importante « lutte des places », la solidarité qui émergeait alors de cette espace a pu en attirer certains, au moment même où les pouvoirs publics ne voyaient en lui qu’une anomalie administrative à résorber.

83. Les « lieux de culte, une école, une bibliothèque, un abri réservé à l’accueil des femmes et des enfants, des théâtres, un espace d’accès au droit, un espace dédié aux mineurs ». Ibid

Viviane André


90

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

Alpha


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

91

« Toujours en mouvement, toujours en train de parler à plusieurs personnes à la fois, toujours quelque chose dans les mains. Zimako vit ici, dans cette école qu’il a créée de toutes pièces il y a quelques mois dans la « jungle » de Calais. « C’était un terrain plein de ronces, il n’y avait rien d’autre, raconte Dominique, une autre bénévole. Il me disait : « Tu vois, Domi, ici, ce sera la classe des enfants ; là, celle des adultes. L’infirmerie sera comme ça. On aura une salle de réunion. Au fond, des chambres .» [...] « Il l’a fait. Regardez. » Libération

Zimako Jones


92

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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Construction du Good Chance Theatre


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Charlotte Cauwer, PEROU, Atlas d'une cité potentielle

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Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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« Les abris s’articulent autour d’un espace central aménagé comme un salon extérieur avec tables et chaises et ses habitants fonctionnent comme un groupe uni. [... Dans ces espaces, les abris sont construits et implantés dans le sol. Selon eux, l’abri est suffisamment pérenne pour accueillir les futurs arrivants si les occupants actuels s’en vont.. » ENSAPB - relevé Octobre 2015

0

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Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Calque.6

Les tracĂŠs avant l'installation des migrants - Source : ACTED


« En octobre 2015, l’entrée dans la Jungle par la rue des Garennes est un moment immédiatement fort. Il y a du monde qui circule en tous sens, la rue est bordée en continu des deux côtés de commerces de tous types, restaurants, épiceries, hôtels, marchands de cartes téléphoniques etc. Les groupes électrogènes, les télévisions et les chaines HI-FI qui passent des chansons dans les restaurants créent une ambiance sonore animée, tandis que le va et vient des camions des grandes ONGs internationales, des véhicules utilitaires des bénévoles, les camions citernes qui viennent vider les rares sanitaires ou distribuer de l’eau, donnent une impression frénétique de ville du sud-est asiatique.» Cyrille Hanappe, 2016

Hiérarchie de voies et points d'intensité- Source : ENSAPB

Calque.7


96

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Mars 2016 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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Mars 2016 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB


Calque.8

Carte d'éclairage - Source : PEROU + photographies divers


« [...] La liberté est associée à la solitude. Ça n’est pourtant pas ce qu’affichent de nombreux habitants de la Jungle pour qui autonomie signifie solitude, pour qui solitude signifie ennui, dépression. »

NS

ERYTHRÉE

IS SOUDANA

Charlotte Cauwer, PEROU, Atlas d'une cité potentielle

S

SYRI

SYRIEN

S EN

AIS UDAN SO

IRAK

S IEN ERYTH

RÉENS

SOUDAN AIS ERYTHRÉEN S

NS GHA AF

AFG HA

NS

MIXTE

Les quartiers ethniques - Source ENSAPB et ACTED

Calque.9


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

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50

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Octobre 2015 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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Mars 2016 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

C) RÉPONDRE À SES BESOINS ÉLÉMENTAIRES (SE NOURRIR, SE LAVER) Alors que l’État avait mandaté l’association La Vie Active pour distribuer un petit déjeuner et un déjeuner aux migrants de la « jungle » au centre Jules Ferry, les associations ont à plusieurs reprises dénoncer le manque de nourriture et les interminables temps d’attentes imposés aux migrants pour obtenir un repas 84. Ils n’étaient par ailleurs pas facilement en mesure de se rendre dans le centre ville pour se procurer eux-mêmes la nourriture dont ils pouvaient avoir besoin.

De la même façon, il fallait aux migrants patienter des heures avant de pouvoir avoir accès aux 60 douches minutées et aux 30 toilettes du centre Jules Ferry. Les ONG, portées par Médecins du monde et le Secours catholique, avaient alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille en urgence en octobre 2015 « en vue de mettre fin aux atteintes graves aux libertés fondamentales » des migrants : « Quand il est réduit à des douches chronométrées et un service humanitaire d’urgence, le soin du corps

Philippe Huguen

84.

« l’État assure, par l’intermédiaire de La Vie Active, une distribution gratuite, au centre Jules Ferry, de 2 000 à 2 500 petits déjeuners et de 3 000 à 3 400 déjeuners, les associations présentes à l’audience indiquent que cela ne suffit pas pour nourrir convenablement la population qui vit sur le site de la Lande […] dans un rapport en octobre 2015, le défenseur des droits avait relevé la précarité des conditions dans lesquelles se déroulait la distribution quotidienne des repas, avec une file d’attente atteignant à l’ouverture des portes plus de 500 mètres, non abritée et un temps d’attente qui pouvait être de l’ordre de trois heures […] les enfants, qui, redoutent la promiscuité avec des adultes […] en raison des temps d’attente trop longs, et des tensions et des altercations qui surgissent, des adultes et des enfants renoncent à s’engager dans ces files d’attente » - Tribunal administratif de Lille, 2016. Ordonnance du 12 août 2016.


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

101

est vécu comme dégradant » (Charlotte Cauwer, ce que nous ne savons pas reproduire, PEROU) 85. Le tribunal avait alors ordonné le 2 novembre, à la préfète du Pas-de-Calais et à la commune de Calais, l’installation de dix points d’eau supplémentaires,

comportant

chacun

cinq robinets et cinquante latrines, mais aucune cabine de douche. L’État avait alors

mandaté

l’association

ACTED

de s’en charger après que l’appel du ministère de l’intérieur ait été rejeté par le juge des référés du Conseil d’État.

Faute

d’une

intervention

suffisante de l’Etat, d’autres solutions avaient été imaginées, à la fois par les migrants et par les associations. Il est

Une file d’attente pour les douches - Philippe Huguen Une file d’attente pour une distribution de nourriture - Philippe Huguen

intéressant de constater que, pour ces deux thèmes, les migrants n’ont pas été en mesure de mettre en place des solutions individuelles à l’échelle de l’abri. La mise en commun semble s’être imposée comme étant la seule solution viable pour répondre à ces besoins élémentaires, à l’échelle des groupements, ou à celui de la « jungle ».

a)

ECH 2 - METTRE EN COMMUN

Pour les migrants de la « jungle » de Calais, le fait de se rassembler semblait être une nécessité

85.

Effectivement, cette impossibilité de prendre une douche quotidienne était grandement déploré par les migrants rencontrés sur place, qui y voyaient une atteinte à leur dignité personnelle.


102

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

pour répondre à la satisfaction urgente de leurs besoins élémentaires. De nombreux groupements de migrants s’étaient organisés autour d’espaces communs dans lesquels étaient souvent réservés un coin cuisine et repas leur permettant de se nourrir en fonction de leurs cultures. Parfois, une tente ou un abri était dédié au garde mangé où stocker les réserves de nourriture mises en commun. De la même façon, certains migrants s’étaient organisés pour construire une cabine de douche dans un coin plus discret de la cour. Mais faute de connexion à l’eau courante, celles ci restaient souvent inutilisées.

Sophie Djigo explique que l’amitié au sein de la « jungle » était une façon de gouverner la vie commune avec justice, notamment en répartissant équitablement les biens. Elle rapporte une forte insistance sur l’égalité dans le discours des migrants : Philippe Wojazer - Reuters Jungleye - Fouzi

les systèmes d’organisation mis en place n’étaient empreints d’aucune hiérarchie et

l’absence de gouvernement renforçait l’impératif d’entraide : « Dans les tentes, chacun participe à l’effort collectif, se relaie dans les diverses tâches en assumant à son tour les corvées indispensables au fonctionnement du campement. » (Djigo, S., 2016, p. 132). L’auteure qualifie d’ « amitié politique » celles qui naissent entre les migrants. Car, dans la mesure où elles sont dictées par l’intérêt commun, elles « témoignent de l’intrication entre éthique et politique » (Ibid, p. 131).


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

103

b)

ECH 3 - INVESTIR POUR PALLIER AU MANQUE

Du côté des associations, quelques cuisines avaient vu le jour pour compléter l’offre de distribution de repas gratuits offerts par la Vie Active. On notera notamment la construction de la Belgium Kitchen, la première, et des deux Ashram Kitchen successives.

Du côté des migrants, très rapidement après la désignation du terrain de la Lande comme zone d’installation tolérée, des restaurants et des échoppes avaient été construites et mises en activité 86. Les boutiques, des petites bâtiments uniquement accessibles depuis la rue présentaient des denrées alimentaires, quelques vêtements, des chargeurs de téléphones, présentés sur des étagères qui recouvraient la quasi la totalité de leurs murs, donnant une impression de prolifération. Les restaurants quant à eux, étaient les bâtiments les plus grands de la « jungle » avec des surfaces qui pouvaient parfois dépasser la centaine de mètres carrés. Leurs structures, souvent sous dimensionnées étaient réalisées à partir de sections de bois industriels qui ont nécessité un investissement de la part de leurs « gérants » : « Les chantiers de construction regroupent une petite dizaine d’ouvriers et un restaurateur nous

indiquera

un

investissement

86.

Cyrille Hanappe notait déjà la présence de deux épiceries le 5 avril 2015 (voir plus haut).

L’entrée de la « Belgium Kitchen » Guillaume Wilmin


104

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

de 5.000 euros pour la réalisation de son commerce. » (Hanappe, C., 2016, p.153)

87

. A l’intérieur, l’espace était

systématiquement séparé en deux entre une partie cuisine et une partie réception avec parfois un bar entre les deux. On pouvait également noter la présence de larges banquettes sur tous le pourtour de la salle principale sur lesquelles on pouvait venir s’asseoir de différentes façons en fonction que l’on vienne manger seul, en groupe, ou simplement se reposer.

Bien que tous les migrants n’avaient pas les moyens de s’offrir leurs services, les restaurants étaient des lieux très fréquentés et appréciés, par les migrants et par les bénévoles des différentes associations qui œuvraient au quotidien sur place : « il était indéniable que la présence de ces commerces et lieux collectifs contribuait à donner vie à la « jungle» » (Barry, Z., 2016, p.65). Par ailleurs, ces restaurants fournissaient régulièrement des repas gratuits aux

Philippe Huguen Munchies

personnes

87.

vulnérables

ou

servaient

Dans son ordonnance du 8 août 2016, le tribunal de Lille rapporte que ces restaurants peuvent rapporter jusqu’à 1 500 à 1 800 euros par mois à leurs gérants. Tribunal administratif de Lille, 2016. Ordonnance du 8 août 2016.


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

105

d’abris pour leurs gérants et pour de nombreux autres migrants (environ 250 (ibid)) une fois la nuit tombée, entre autre pour ceux qui venaient tout juste d’arriver et qui n’avaient pas encore eu le temps de trouver l’hospitalité dans un abri.

De la même façon, quelques migrants

avaient

investi

dans

la

construction d’un hammam équipé de

Philippe Huguen, 14 janvier 2016

quelques cabines de douche sommaires, dont l’eau était chauffée grâce à des bouteilles de gaz. Les serviettes et savons étaient fournis et une salle adjacente était réservée au barbier auprès duquel les migrants pouvaient se faire couper les cheveux ou la barbe pour quelques euros.

Les besoins élémentaires des migrants ne pouvant être complètement satisfaits par les aides instaurées par les pouvoirs publics, les migrants et les associations avaient imaginé des solutions complémentaires adaptées à leurs modes de vie. Elles étaient le signe d’une appropriation particulière de l’espace et participaient à rythmer l’organisation de la vie quotidienne au sein de la « jungle ».

Philippe Huguen, 14 janvier 2016


106

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

« Awesome, 43 years old, is from Pakistan He manages the most beautiful restaurant in ‘the Jungle’, ‘Les Trois Idiots’ where foreign volunteers share a meal with camp inhabitants. Awesome enjoys welcoming Europeans to his establishment: he always has a small word for each, and then takes a selfie that he will pin to the wall. He used to be a tourist guide in Peshawar until tourists became scarce and threats against those who spend time with them became more serious. Awesome decided to leave. After a yearand-a-half-long journey, he doesn’t want to cross over to the United Kingdom anymore, but rather dreams of opening a new restaurant in Paris! Why ‘Les Trois Idiots’? Because Awesome launched his business with two friends who, like him, love the Bollywood classic ‘The Three Idiots’. » Restaurant « Les trois Idiots » - Bruno Fert


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

107

« Dans les épiceries, on trouvait de tout : des légumes et des fruits, des boissons, des épices, des biscuits, des produits de nettoyage, des cigarettes roulées ...» Zoé Barry, 2016 « Abdallah, 24 years old, is from Nangarhar, Afghanistan Abdallah was a grocer in Nangarhar. So it made sense for him to open a grocery store in the Calais Jungle. He doesn’t want to leave the camp. His shop is doing well and his friends are here. His youngest daughter was born in the camp. Her name is Arzou, which means hope in Dari. » Restaurant « Les trois Idiots » - Bruno Fert


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


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Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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« Grande unité de 22 personnes, l’ilôt [...] détient son propre espace privé, indépendant de la rue. Organisés autour d’une cour carrée, ils sont équipés d’une cuisine, un espace de stockage, une salle de réunion. Ils ont également construit une douche d’appoint, mais n’ayant pas d’accès à l’eau, elle ne sert que ponctuellement ou pour se changer. » ENSAPB - relevé Mars 2016

0

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Documents réalisés à partir des relevés de l’ENSAPB


Grande-Synthe

Autres camps

Petites cuisines communautaires

Auberge des migrants

- Denrées alimentaires - Repas chauds ou froids - Petits-déjeuners

Jungle books for kids - 150 repas / jour Dons (particuliers, grande distribution, associations)

Care4Calais

Grande-Synthe

Ashram Kitchen

- Petits-déjeuners - 300 repas / jour

Kitchen in Calais

- Denrées alimentaires - 1000 repas / jour

Belgium Kitchen

- Denrées alimentaires - 1500 repas / jour - Denrées alimentaires

Distributions mobiles - Repas chauds ou froids - Secours populaire - Paix et providence - Aleds - Salam - Autres associations

La vie active

- 1500 petits-déjeuners / jour - 2300 repas / jour

Centre Jules Ferry

La « Jungle »

Petites cuisines communautaires

Jungle books for kids

Ashram Kitchen

Kitchen in Calais

Belgium Kitchen

Distributions mobiles

Centre Jules Ferry Journée

Livraison

Transports Préparation

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Heures

Rangement

Distributions

Documents réalisés à partir de ceux du Perou


ACtive) Centre Jules Ferry (La Vie

tribut

Dis

ion

tribut

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ion

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Calais

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Cu

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Bel

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Cu

tribut

Dis

tribut

Dis

ion

Se nourrir - Source : PEROU

Calque.11

ion


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Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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Mars 2016 - Carte réalisée à partir du relevé de l’ENSAPB


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

D) ORNEMENTER Comme nous l’avons vu précédemment, la « jungle » de Calais, a pu mettre fin, de façon provisoire et illusoire 88, au cercle infernal qui voulait que les migrants investissent les lacunes de l’espace public pour finalement s’en faire déloger presque immédiatement. L’investissement qu’ils faisaient de l’espace était alors tiraillé entre la « transfiguration » et la « défiguration » (Sophie Djigo, 2016) : « Au sein de la « jungle », les migrants mènent une lutte contre le désordre et la laideur [...], pour rétablir un succédané de vie normale à même l’espace du transit » (Djigo, S., 2016). Il s’agissait de transformer cet amoncellement de bâches en lieux vivables matériellement et socialement, mais aussi esthétiquement. L’attente définissant et structurant le quotidien des migrants, a alors pu également être facteur de création.

a)

ECH 1 ET 2 - DÉCORER POUR RETROUVER SA FIERTÉ

De la même manière qu’on ne peut pas trouver le bidonville habitable, on ne peut pas le trouver beau. Selon Yona Friedman, cela s’explique de deux façons. D’abord parce que, précisément, on n’habite pas cet espace, l’image que l’on en a n’est pas influencée par la routine 89. Par ailleurs, face à l’architecture qui « remplit [nos] livres d’art » (Friedman, Y., 2016, p.191), le bidonville ne peut apparaître que laid. Yona Friedman perçoit l’art et l’architecture comme des

88. 89.

La menace de démantèlement n’a jamais cessé de planer au dessus de la « jungle ». Comme expliqué en avant propos, la vision que nous avions nous même développé de la « jungle » de Calais avait évolué dans le temps. Si c’est d’abord la précarité du lieu qui avait influencé notre jugement, une nouvelle vision nous était apparue à force de le côtoyer au quotidien.


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

115

formes de communications avec un « récepteur » (« celui qui regarde, qui reçoit la vision ») et Warehouse un « émetteur » (l’artiste) (Ibid,p.189). Dans ce système, les notions de beauté et d’esthétique seraient construites de toute pièce par les critiques professionnels : le récepteur craignant de ne pas comprendre toute la signification de l’œuvre, voit sa vision influencée par celle du critique qui est considérée comme la seule valable.

Cette image, les migrants eux-mêmes (qui pour la plupart était issus de milieux plutôt favorisés dans leurs pays d’origine

90

)

la ressentaient. Sous l’influence des jugements extérieurs, la « jungle » faisait peser sur eux une image déshonorante. L’ornementation

apparaissait

alors

comme un moyen de retrouver de la fierté (Ibid, p.192), et s’exprimait parfois comme la copie, « la parodie, la caricature, de l’architecture bourgeoise » (Ibid, p.191). Alors que l’architecture contemporaine a souvent tendance, sous l’influence de l’architecture moderne, à considérer le décor comme relevant du superflu, Yona Friedman nous explique qu’il peut aussi servir à « « dissoudre », littéralement, à noyer, faire disparaître l’aménagement architectural […] si celui ci ne me convient pas » (Ibid, p.195).

90.

PEROU Laurent Malone, Envisager

Rappelons que les migrants qui prennent la route vers l’Europe sont sont qui ont les moyens de se payer les services de passeurs)

Chaque matin, des dizai la cour de la Warehouse quelques mois est deven tique de la Jungle (récep ture, vêtements, etc., et cabanes). Il y a là en per dont beaucoup d’Anglais au départ du centre-ville ou dans la Jungle. Des v entre Calais-centre, l’au la Warehouse. Un anglai vole, disponible chaque a ride, just call me!” Il se environs comme sa poch cette journée de février Premier “ride”, “where a Jungle?” Trois pour la W “When you want to be p juste need to organise a Jungle, try to tell me wh deux Anglais, deux Syrie deux Anglais autour du revient d’une année Era pour un petit tour d’Eur en Angleterre. Ils se son semaine à Calais afin de à quelque chose », sur le vacances et ont du temp de voir et de comprendr ne savent pas s’ils auron l’arrière du van, les deux nouveaux arrivants, mai et Slim viennent tous de Jungle la plupart du tem « passer » (en Angleterr ché. Le chauffeur leur d pays, comme pour conti cée il y a quelques jours qui surplombe la Jungle grand ouverts. Arrivé à la Warehouse, t Slim et Sam, le chauffeu tandis que les deux Ang d’une vingtaine de béné décrire dans sa langue l’ plir et les moyens adapt une habituée de l’exerci d’autres bavardent un p Une fois l’annonce term quatre coins de l’immen Le hangar abrite des cen puis démêlés, puis analy rempliront un carton, p habituées à scotcher. Un enfants », par exemple) avec ses semblables dan cela, avant de partir pou L’organisation minutieu les récits de chacun et le sions sur les objets : « Fr ne peut pas donner ça !


116

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

Ainsi,

certains

abris

se

détachaient des autres par le temps et l’énergie que leurs occupants avaient investis dans leur construction et leur personnalisation.

Certains

étaient

personnalisés avec le nom de leurs occupants, des dessins ou des fleurs ; d’autres voyaient leur intérieurs recouverts de drapeaux britanniques ou français, de peluches ou de tout autre objet de récupération … Le travail du photographe Bruno Fert en rend parfaitement compte. Il explique que « les abris temporaires des

populations

migrantes

reflètent

leur personnalité, tout comme nos appartements et nos maisons parlent de nous. » 91. Son travail se décompose en trois temps. A travers les clichés intérieurs des abris, le photographe cherche à ce que le spectateur s’identifie à « l’autre en observant son lieu de vie ». Vient ensuite le portrait de celui qui l’occupe. Il est réalisé comme en studio, sur fond gris pour l’extraire du contexte et de sa condition Guillaume Wilmin Photographie personnelle, août 2016

91.

et renforcer l’identification du spectateur. Enfin, les deux clichés sont accompagnés

Académie des Beaux-Art, Fimalac. Prix de photographie Marc Ladreit de Lacharrière – Académie des Beaux-Arts. Fimalac. Disponible sur <http://www.fimalac.com/mecenat/communique-presse-bruno-fert.html> (consulté le 21.01.2018).


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

117

d’un court texte qui se réfère toujours à l’habitat passé ou désiré.

Parmi ces abris, on notera celui d’Alpha, nommé « la maison bleue sur la colline » en référence à la chanson San Francisco de Maxime Le Forestier 92. En Mars 2016, elle avait été épargnée par les pelleteuses et transportée à Romainville

La maison d’Alpha

pour être exposée avec d’autres œuvres dans l’exposition « Welcome to the jungle » préparée par l’artiste Dadave et le collectif Art in the Jungle. Elle avait ensuite traversé la manche pour être montrée dans plusieurs expositions 93.

b)

ECH 3 - L’ART COMME EXUTOIRE

« Le décor (ou déguisement) le plus simple est le décor peint » (Friedman, Y., 2016, p.193). La « Jungle » a fait l’objet d’intervention de nombreux street artistes dont le travail a réellement transformé son image. Beaucoup ont travaillé sur le graphisme des devantures de restaurants, sur les indications de lieux, ou parfois La maison d’Alpha

92.

93.

Alpha avait écrit une lettre au chanteur, qui a proposé de conserver la maison sur son terrain dans le Loire et Cher :

« Par mon amour enver tw malgre j tes jamais vue. Mais tn histoir sur tn voyage a 1ville au etat unis de tn retour vc tas chasson qui m rend ivre de joix. Ton histoir qui m ressemble a celle de la mienne. Jai descider d t’offrir tn nom pour moi c’1 jolie cadeau. Car j lai puiser au plus profond de mon coeur » Delassein, S. « « Jungle » de Calais : c’est une maison bleue qui pourrait arriver chez Maxime Le Forestier ». L’obs [en ligne], 03.03.2016. Disponible sur : <https://www.nouvelobs.com/monde/migrants/20160303.OBS5769/ jungle-de-calais-c-est-une-maison-bleue-qui-pourrait-arriver-chez-maxime-le-forestier.html> (consulté le 21.01.2018). Dont une à Edimbourg en Ecosse et une autres à Londres lors de la manifestation Papers du festival d’architecture de Londres, le du 12 juin 2016


118

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

même sur les abris.

D’autres

artistes,

comme

Banksy, ont travaillés sur des œuvres plus isolées. L’artiste avait notamment signé un graphe sous le pont de l’A16 à l’entrée de la jungle. Il représentait Steve Jobs, portant dans une main un vieil ordinateur Macintosh et dans l’autre un baluchon, rappelant ainsi que le créateur de la société Apple était le fils d’un immigré Syrien aux Etats Unis. Cette œuvre était complétée d’une inscription disant « Maybe this whole situation will just sort itself out » 94

95

. Enfin, l’artiste avait fait

envoyer les éléments de construction de son parc à thème dans la « jungle » pour servir à la construction de nouveaux abris qui avaient été distribués à des femmes et des enfants. L’enseigne avait alors été installée au milieu des constructions : l’artiste avait transformé le « Dismaland » d’origine en « Dismal aid » 96.

La fresque de Banksy à l’entrée de la « jungle » L parc d’attraction de Banksy, Dismaland Dismal Aid

94. 95. 96.

Ces clairement

interventions, des

portant

messages

de

« Peut être que cette situation se résoudra par elle même ». Banksy était à l’origine de deux autres œuvres dans la ville de Calais, et une sur la façade de l’ambassade française à Londres représentant Cosette en larmes sortir d’un nuage de bombe lacrymogène sur fond de drapeau français. L’ensemble de ces œuvres étaient porteuses d’un message à caractère politique. « Aide lamentable ».


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

119

dénonciations, étaient complétées par les inscriptions faites par les migrants eux même un peu partout dans la « jungle » : « ici on vend du vaccin contre le racisme », « malgré toutes les difficultés, on a toujours le sourire aux lèvres », « La pauvreté n’est pas un accident comme l’esclavage et l’apartheid, elle a été faite par l’homme et peut être supprimée par des actions communes de l’humanité », « humans after all », « bring the love, stop the war », « we just want to go in england please » …

Enfin, l’acte de création en luimême a pu représenter pour certains une forme de message politique. Alpha avait créé avec Corinne Pagny un collectif

Photographie personnelle, août 2016 Jungleye, Fouzi

appelé « Art in the Jungle », en avançant l’argument que « si les gens voyaient qu’on [les migrants] est capable de créer, ils se soucieraient [les autorités] d’avantage de nous ». Pour les artistes participant, il s’agissait de n’offrir qu’une aide logistique pour laisser les migrants prendre la parole et rendre compte de leur quotidien à travers une pratique artistique. Le collectif avait alors organisé, avec l’aide de l’artiste plasticien Ernest Pignon Ernest, un parcours du 17 au 20 décembre 2015 97 qui mettait en valeur des portraits photographiques des migrants de la « jungle », des poèmes, des spectacles vivants, des concerts, des œuvres de street art … Ce parcours était aussi destiné à démystifier la « jungle » en invitant les Calaisiens à s’y rendre pour la regarder sous un autre

97.

Pour souligner la Journée Internationale des Migrants du 18 décembre.


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Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

angle et favoriser les rencontres avec les migrants et bénévoles. Alors que tous les éléments d'ornementation décrits précédemment étaient le reflet d'une appropriation de leurs lieux de vie par les migrants, cette possibilité leur était strictement interdite au sein du CAP dont l'installation a été demandée par l'Etat en octobre 2015. Au sein des conteneurs qui le constituaient, il n'était même pas autorisé l'accroche au mur d'une photo ou d'un poster pour les douze personnes qui devaient y dormir dans des lits superposés : « Un homme ayant posé au sol une boite Bruno Fert

à

chaussure

avec

quelques

effets

personnels à l’intérieur se voit intimer l’ordre de la faire disparaitre » (Hanappe, C., 2016; p. 167). Les migrants devaient garder leurs effets personnels cachés dans de petites armoires métalliques fermées par cadenas. Toute possibilité d'appropriation était alors rendue imposible dans ces espaces d'un blanc asseptisé qui contrastaient en tout point avec le reste de la « jungle ».


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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« Altaher, 29 years old, from Sinar, Sudan Altaher’s journey to ‘the Jungle’ in Calais took a year-and-a-half. He has now given up trying to reach England, as he thinks it is too difficult. Some of his friends told him about Nantes and Angers. He would like to move there and work in construction. Abdallah, his roommate and fellow Sudanese, decorated their shelter. He has also given up trying to cross the Channel. Where does he want to go? He simply doesn’t know anymore. Instead, day and night, Abdallah paints, repaints and tries to enhance their shack, almost in a mystical way. » Bruno Fert


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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« Ali, 18 years old, born in Kuwait Ali’s shack looks like a child’s room. He comes from a Bedouin family and explains Bedouins have no right in his country, not even with Kuwaiti nationality. Ali has lived in a tent all his life so this shack is his first ‘house’. In Kuwait, his tribe travelled on camels. To reach Europe, Ali overcame his fear and took a plane and a boat for the first time. He misses the desert and sunsets. He talks about his childhood memories with nostalgia: when he looked after sheep on a horse or when he made sandmen in the desert, after the rain. Ali reveals he has a dream: to work a year or two in Great Britain to offer his sick mother a pilgrimage to Mecca. » Bruno Fert


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« ART IN THE JUNGLE »

QUELQUES ARTISTES

SRECKO BOBAN

L'artiste a voulu redonner une identité aux êtres humains regroupés derrière le nom « migrant ». Il a donc réalisé des bustes à l'aide de bandes de plâtres directement appliquées sur leurs corps. A chaque pièce était associé le nom de son modèle afin de lever l'anonymat. Les bustes ainsi réalisés étaient aussi perçu par l'artiste comme une métaphore du cocon pour symboliser le passage entre une ancienne vie et une vie rêvée. De cette mie naîtrait de nouveaux hommes dont les différences de couleurs de peaux sont effacées par la blancheur de l'ensemble des œuvres.

Il avait également mis à disposition des migrants de grands bandes de papier sur lesquels il avait invité les migrants à raconter leurs parcours en dessin. Sébastien Arquez


Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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CATHERINE URSIN

L'artiste plasticienne avait notamment habillé les grillages ceinturant la jungle de cœurs en tissus, avec l'aide des migrants. Catherine Ursin

SOULEYMANE BALDE

Ce migrant, mineur au moment de son arrivé dans la « jungle » avait réalisé une série nommée « chemin de croix » de 14 grands tableaux en broderie et peinture avec l'aide d'un plasticienne Lilloise. Ils racontaient son parcours migratoire depuis la Guinée http://www.souleymanebalde.fr/


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Partie 2. Habiter la « jungle » de Calais

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Jungleye, Mohammad Konbouus


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CONCLUSION


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CONCLUSION La « jungle » de Calais aura représenté une expérience inédite en termes d’ampleur et de durée en accueillant jusqu’à 10 000 migrants, pendant un an et demi. Elle aura ainsi contribué à faire sortir de l’ombre, pour un temps au moins, un phénomène d’ « encampement » des migrants développé depuis la fin des années 90 dans le Nord de la France. Les campements qui s’y développent depuis lors sont tous le reflet d’une politique de dissuasion menée à l’échelle nationale, voire européenne, et qui vise à maintenir ceux que l’on considère comme « indésirables » dans la précarité. Alors que ces politiques avaient mené à la définition d’un espace supposé être inhabitable, les migrants, soutenus par une importante mobilisation citoyenne et associative, ont mené une lutte importante contre le désordre qui leur était imposé au sein de cet espace.

L'analyse de la « jungle » présentée dans la seconde partie de ce mémoire nous aura en effet révélé l'émergence d'une réelle organisation sociale et spatiale au sein de la « jungle » qui a alors représenté, pour beaucoup, une forme de parenthèse dans un long parcours migratoire caractérisé par l’exil. Le temps accordé à l’édification de cet espace aura permis le développement de dispositifs spatiaux élaborés répondant aux besoins directement exprimés par les migrants et auxquels les pouvoirs publics n'avaient pas su ou voulu répondre. Ainsi, c'est paradoxalement au sein de cet zone de non droit que les migrants avaient construit une forme minimum de protection, notamment grâce à la mise en commun de leurs forces. La « jungle » avait alors été le témoin de


Conclusion

la formation de communautés de l'instant, qui au delà des simples rassemblements ethniques avaient également pu être la manifestation d'une nouvelle présence au monde en rassemblant migrants et bénévoles. Ensemble, ils avaient imaginé des dispositifs permettant de répondre au manque de satisfaction des besoins élémentaires des migrants et avaient même participé à faire des leurs lieux de vie des objets d'appropriation, au sein de cet espace, reflet de la précarité la plus extrême.

La « jungle » était peut être alors aux prémices de devenir un ghetto selon la définition qu’en donne Michel Agier. L’apparente tolérance affichée par les pouvoirs publics au moment de l’installation des migrants sur le terrain de la Lande, pouvait être rapprochée des décrets historiquement à l’origine de tous les ghettos 98 : « le ghetto est une relation, ce n’est pas une identité » (Agier, M., 2013, p.31). Tout comme eux, la « jungle » avait pris racines dans un hors-lieux prenant la fonction de refuge et avait vu se construire une société dans son enfermement.

Son étude nous aura effectivement révélé le développement d’une urbanisation marginale, développée tant bien que mal dans cet espace clos s’opposant pourtant à l’état diffus de nos villes contemporaines (qui ne possèdent plus ni « intériorité ni extériorité » (Scoffier R., 2000)). Un « processus urbain » (Agier, M., 2013) se serait développé pour s’adapter à « l’enfermement urbain » (Ibid) imposé. Cette caractéristique nous amène à désigner la « jungle » comme un « campement urbain » (Ibid) au sens où Michel Agier l’entend. Si elle ne ressemblait pas au modèle politique et technique de nos villes occidentales contemporaines, elle relevait en revanche d’une histoire commune à la formation de beaucoup de villes : une arrivée a nécessité la fondation et la délimitation d’un lieu habitable, puis une communauté d’habitants hétérogène sur le plan identitaire s’est formée 99, et enfin un début de « monde social » (Ibid) a commencé à advenir. Une certaine altérité avait alors émergé, même celle-ci pouvait paraître complètement incompréhensible d’un point de vu extérieur.

98. 99.

Le premier de ces ghettos est celui né à Venise au XVIe s. On décida d’y envoyer les juifs de la ville sur l’île où se trouvait la fonderie. Alors que la mise en ghetto vise habituellement une communauté religieuse ou ethnique, c’est l’isolement qui aura permis, au sein de la « jungle » la formation d’une communauté de l’instant formée d’individus reconnus au préalable par les nationaux selon une fronière mentale et identitaire entre « eux » et « nous ».

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On peut alors se demander si la « jungle » ne relevait pas des espaces hétérotopiques décrits par Michel Foucault. Ces espaces seraient le reflet d’utopies qui « ont un lieu précis et réel » (Foucault, M., 2009, p.23), que l’on peut situer sur une carte et qui appartiennent à un temps déterminé mesurable. Ils représentent donc une combinaison entre le « réel » et l’« irréel ». Ce sont des espaces « absolument différents » (Ibid, p.24), des « contre-espaces » (Ibid, p.24), des « lieux hors de tous les lieux » (Ibid, p.25) organisés par la société : « les lieux que la société ménage dans ses marges, dans les vides qui l’entourent » (Ibid). Si, comme le suggère Michel Agier, les pouvoirs publics ont perçu la « jungle » comme une forme d'hétérotopie (« Vus depuis les positions centrales et normatives, telle la Ville ou l’État, ce sont des « hétérotopies », c’est à dire des lieux autres, des sortes de lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. » (Agier, M., 2013)), on peut supposer qu'ils ont vu en elle l'émergence d'une altérité porteuse d'une grande force subversive qu'il aura fallu invisibiliser par son démantèlement en octobre 2016.

Elle aura alors rejoint l'histoire sans cesse répétée de tous les campements de migrants dans le Nord de la France depuis deux décennies. A travers cette destruction de la « jungle », on aurait à nouveau refusé de voir ce qu'ils représentaient : une fenêtre ouverte sur notre « mondialité » 100. Cela aurait été une nouvelle preuve de notre incapacité à penser le monde et à organiser une société élargie de « co-habitants ».

Ce mémoire nous aura amené à remettre en cause notre future pratique professionnelle. L’analyse de la « jungle » de Calais nous aura permis de constater à quel point les êtres humains sont conscients de leurs besoins et capables d’y répondre par eux-mêmes. En tant que future architecte il m'apparaît alors plus que jamais nécessaire de ne pas bafouer leur capacité d'agir, leur droit légitime à la participation et au contrôle de la production de leurs espaces de vie. Par ailleurs, ce travail est perçu comme une porte d’entrée vers l’étude de sujets sociologiquement

100.

C'est ce que Michel Lussault explique au cours de la table ronde « Ici et maintenant : quels refuges dans la ville ? » organisée le 9 février 2018 à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture Paris - Val de Seine par Architectes Sans Frontières.


Conclusion

et spatialement plus larges concernant la précarité et le caractère informel ou hors-norme de certains espaces.

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Sur la butte

Habiter l’inhabitable ? : Analyse socio spatiale de la « jungle » de Calais

en surplomb de la zone inondable

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ENSAPB, Maes, relevé Octobre 2015 ENSAPB- DSA Risques Majeurs 2014-2015- C.Hanappe et P.Chombart de Lauwe Enseignants avec Luc L.Malone, Photographe Relevé de la Jungle de Calais - 8-10 Octobre 2015 - Secteur Nord ouest


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Bibliographie

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