Grosse pluie De Guillaume Moraine
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Personnages : Arvin Aloha Archie Atontour Astrid AbigaĂŤlle Alice April Annabelle AmĂŠlie
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1 – entrée. Entrent en courant Arvin, Aloha, Amélie, April, Atontour, Astrid et Annabelle Arvin : Vite, vite ! Dépêchez-vous ! oh la la la ! Aloha : Entrez vite ! Il faut se protéger ! Dépêche-toi, toi ! Allez ! Arvin : Tout le monde est là ? Fermez les portes ! Toutes les portes, sinon ça va tout inonder ! Aloha: Et les fenêtres ? Il faut vérifier que les fenêtres ne sont pas ouvertes ! Il y en a partout des fenêtres, ici, et à l’étage aussi ! Ooooh, j’arrive pas à y croire ! Amélie : J’y vais ! Je m’en occupe ! Qui vient avec moi, il faut faire super vite ! Annabelle : Je t’accompagne ! On se réparti tout l’étage ! Tu commences à gauche, et moi je vais à droite ! (Ils sortent) Aloha: Bon sang, C’est tombé d’un coup, comme ça ! On se croirait dans un autre pays ! Je sais que je suis pas vieux, mais quand même, c’est la première fois que je vois ça ! Astrid : La première fois ! April : En deux secondes, on voyait plus rien, c’était juste un gros rideau mouillé ! À peine le temps de dire : « tiens, il va pleuvoir ! » que je me suis retrouvée trempée jusqu’aux os. C’est fou, une pluie pareille ! Astrid : Complètement fou ! April : Alors, comment ça se passe, dehors, on va bientôt pouvoir ressortir ? Archie : Il pleut toujours, ça continue encore plus fort que tout à l’heure. April : Reste à la fenêtre, et dis-nous comment ça se passe, nos parents vont s’inquiéter si on tarde trop ! Alice (de la coulisse) : Ouvrez-nous, s’il vous plait ! On est trempés ! Atontour : Il y en a d’autres, dehors, les pauvres, ils dégoulinent ! Astrid : Qu’est-ce qu’on fait, on leur ouvre ? April : (scandalisée) Bien sûr qu’on leur ouvre, on va pas les laisser dehors par ce temps, quand même ! 3 gmoraine@gmail.com
Atontour : Moi je dis ça, c’est au cas où… (Il va ouvrir la porte) Entrez, entrez vite ! (Entrent Alice et Abigaëlle) Alice : Merci, merci beaucoup, j’ai super froid, (elle éternue) je suis sûre que je vais attraper un rhume, maintenant. Abigaëlle : On avait de l’eau jusqu’aux chevilles, mes chaussettes sont bonnes à essorer, et on a rien pour se changer. April : Il reste des gens, dehors, vous en avez vu d’autres qui cherchaient à s’abriter ? (Ils font non de la tête, puis elle s’adresse à Archie) Tu en vois, toi, à travers la fenêtre ? Archie : Non, je ne vois plus personne, que de la pluie, elle tombe et l’eau monte, elle n’arrête pas de monter, je ne vois plus le sol, il n’y a qu’une immense flaque.
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2 – Premières craintes Arvin : C’est vraiment incroyable. D’habitude, on voit ça qu’à la télé, ou dans les films. Aloha: Qu’est-ce qu’on va devenir ? Arvin : Comment ça, qu’est-ce que tu veux dire par « qu’est-ce qu’on va devenir » ? Aloha: Je veux dire, on est tous là, à l’intérieur. Mais si la pluie ne s’arrête pas ? Arvin : Si la pluie ne s’arrête pas, eh bien… (Temps) Astrid : Je ne comprends pas. Annabelle : Si on reste bloqué ici pour toujours. Enfermés ici, tous ensembles, sans revoir nos parents, avec juste nos anoraks et nos chaussettes trempées. Enfermés pour toujours, quoi ! Astrid : Pour toujours ? Annabelle : Il n’y a aucune raison de s’inquiéter, il pleut beaucoup, d’accord, on a été surpris, d’accord, mais c’est tout ! Après la pluie, le beau temps, il y a bien un moment où les nuages vont s’en aller, un moment où ils seront vidés de toute leur eau. Enfermés ? pour toujours ? C’est ridicule ! Astrid : Comment c’est, dehors ? Archie : Ça ne s’arrête pas. Et l’eau monte toujours, je ne vois plus les roues des voitures, et les buissons sont presque entièrement noyés. Amélie : Alors, ce n’est peut-être pas si ridicule que ça. C’est peut-être le déluge… (Temps)
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3 – première dispute. Atontour : Je veux rentrer chez moi ! Je veux rentrer chez moi ! Je veux rentrer chez moi ! Aloha : Du calme, arrête de paniquer ! Je crois qu’on voudrait tous rentrer chez nous ! Atontour : Ce n’est pas la peine de me parler comme ça. Je suis inquiet, figure-toi ! Aloha : Je parle comme je veux. Ce n’est sûrement pas toi qui vas me dire ce que je dois faire ! Atontour : C’est toujours pareil. Aloha : Quoi ? Qu’est-ce qui est toujours pareil ? Atontour : Tu ne peux pas t’empêcher d’être désagréable avec moi. Aloha : Oh ça va ! Quel gamin, tu n’as qu’à arrêter de te plaindre tout le temps ! Atontour : J’ai quand même le droit de me plaindre ! On va peut-être rester enfermés ici et ça me fait peur ! Juste attendre comme ça, c’est insupportable ! Je me dis que mes parents s’inquiètent, que je vais être en retard au foot, que je vais rater les dessins animés ! Et surtout, j’ai peur ! Aloha : On a tous peur ! On veut tous rentrer chez nous ! Mais ce n’est pas en pleurant qu’on va trouver une solution ! (Temps) Abigaëlle : Il faut réfléchir. Tout le monde réfléchit. C’est comme ça qu’on trouve les solutions. Toi aussi, réfléchis ! (Un temps, ils réfléchissent tous)
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4 – seconde dispute. Alice : J’ai faim. Abigaëlle : C’est pas vrai, mais je rêve, comment voulez-vous réfléchir dans ces conditions ? Je vous le demande, comment ? Atontour : Qu’est-ce qu’il se passe encore, qu’est-ce que vous avez à vous énerver, comme ça ? Abigaëlle : Elle dit qu’elle a faim ! Atontour : Et alors ? Elle a bien le droit de dire ce qu’elle veut, non ? Abigaëlle : Mais elle ne pense qu’à manger, sans arrêt ! L’autre jour, je l’ai vu fouiller dans ton sac, je suis sûr qu’elle cherchait ton goûter ! Et vous l’avez déjà vu sans rien à manger dans la main ? Alice : Ce n’est pas vrai ! Tu racontes n’importe quoi. J’ai un métabolisme exigeant, c’est ma maman qui me l’a dit ! C’est pour ça que je dois beaucoup manger. Et si je fouillais dans son sac, c’était pour lui emprunter sa règle. Atontour : D’abord, tu aurais pu me demander, avant de prendre ma règle comme ça ; et puis on se calme, on ne va pas commencer à se disputer. Si ça se trouve on en a pour plusieurs heures à rester ensembles, il vaut mieux au moins faire semblant qu’on est tous copains, vous êtes d’accord ? Abigaëlle : D’accord. Alice : D’accord, (un temps) mais j’ai quand même faim. Abigaëlle : J’en ais marre, elle m’énerve ! Alice : Ce que tu es nerveuse ! Je réfléchis mieux avec le ventre plein, et c’est pareil pour tout le monde ! Arvin : C’est vrai. Aloha: Oui, elle a raison. C’est ce qu’on dit ! On dit aussi : Ventre affamé n’a pas d’oreille ! Arvin : Et aussi : Avoir les yeux plus gros que le ventre ! Aloha : Et puis : Avoir l’estomac dans les talons ! Amélie : Mais tout ça n’a rien à voir ! Allez on vote, que tous ceux qui sont d’accord pour manger lèvent la main. 7 gmoraine@gmail.com
(Tout le monde lève la main sauf Abigaëlle) Abigaëlle : (elle va bouder au fond de la scène) Alors vous êtes tous contre moi. Non mais d’accord, de toute façon je l’ai toujours su. Espèces d’hypocrites, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre dans cette bande. Archie : Les buissons ont disparu, et les voitures ont de l’eau jusqu’au pare-brise, je vois un arbre qui flotte, il y a une barrière accrochée à ses branches, et il y a la boulangère qui est accrochée à la barrière. Elle m’a fait coucou ! Et il pleut toujours. Arvin : Bon, puisque c’est décidé, je vais voir ce qu’il y a à manger. C’est bien beau de dire qu’on mange, mais il faut en avoir dans son assiette ! Aloha: Je viens avec toi. J’en ais assez de rester à attendre. Et comme ça on pourra se servir en premier ! Alice : Qu’est-ce que vous dites ? Aloha et Arvin : Rien ! Rien ! (Ils sortent)
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5 – quelles solutions ? Amélie : Si on nageait jusqu’à nos maisons ? Un bon coup de brasse, on pourrait y arriver assez vite, il suffirait juste de faire attention au courant. Annabelle : Je ne sais pas très bien nager. Je crois que je coulerais à pic. Amélie : Moi aussi. Et puis le courant est super fort, à mon avis… Annabelle : On se ferait emporter par l’eau. On risque de traverser l’océan et de se retrouver en Amérique. Amélie : On pourrait construire un radeau, au moins on serait au sec, non ? Annabelle : C’est une idée ! Il faudrait quelque chose qui flotte. Amélie : Oui, quelque chose en bois, ou un truc gonflé, comme des bouées… (Tout le monde cherche) Annabelle : Je ne vois rien qui pourrait servir, ici, tout est trop lourd ou trop petit, ou alors c’est troué. Amélie : Rien d’assez gros pour tous nous transporter. Ou même pour en transporter quelques uns… Annabelle : Alors tant pis pour le radeau. On trouvera bien une autre solution. (Très enthousiaste) On a peut-être pas de radeau, mais on a des idées, ça c’est sûr les gars ! (Ils le regardent, surpris) Oh ça va, j’essaie de nous redonner un peu d’entrain… on est un peu jeunes pour déprimer ! Archie : Maintenant, ce sont les voitures qui se font emporter par le courant. Si elles vont toutes en Amérique, ils vont manquer de parkings là-bas ! C’est drôle, ce que je viens de dire, non ? (Tout le monde l’ignore) Bon tant pis… Amélie : Vous devriez arrêter d’essayer de faire de l’humour, tous les deux. Ça ne me détend pas du tout. (À Archie) Trop de courant, alors… Même avec un radeau, ce serait trop dangereux. Abigaëlle : C’est vrai. On est plus en sécurité ici. Finalement, il faut juste être patient.
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6 – Nourriture. Arvin : On a rien trouvé à manger, il n’y a rien ici, même pas un vieux morceau de pain rassis… il n’y a pas de cuisine ici, alors des trucs corrects à se mettre dans le ventre, c’est même pas la peine d’y penser… Aloha: Et j’ai de plus en plus faim. Ça arrête pas de gronder là-dedans, j’ai l’impression d’avoir avaler un ours en colère ! Un ours… ça doit être bon à manger, ça, rôti avec des patates sautées… Amélie : Oh, moi j’aimerais bien des spaghettis à la sauce tomate, avec du fromage râpé saupoudré dessus, une assiette énorme de spaghettis ! Atontour : Une pizza. Une pizza géante avec des champignons, des oignons, de la viande hachée et du jambon, et du fromage de chèvre et du poivron ! Avec une pâte épaisse comme ça ! Alice : Un maxi hamburger. Astrid : Deux maxi hamburgers et du coca, un litre de coca ! Amélie : Avec des frites, plein de frites bien dorées et dégoulinantes d’huile ! Atontour : Et en dessert, hein, il faut surtout pas oublier le dessert ! Alice : Une grosse part de gâteau au chocolat ! Non, le gâteau entier ! Astrid : Avec de la chantilly dessus ! Et du sucre glace ! Et de la glace ! Amélie : J’AI FAIM !! April : Mais arrêtez de parler de manger, c’est insupportable, j’en ais mal au ventre avec vos idioties ! Abigaëlle : C’est vrai, pitié, vous nous donnez encore plus faim que tout à l’heure. April : En plus vous vous faites du mal, et ça ne sert à rien. Essayez plutôt de penser à autre chose ! Occupez-vous, je sais pas, révisez vos leçons ! Tous font : « oh, n’importe quoi, non mais quelle idée, nos leçons !…) Astrid : Et si ça nous fait plaisir de parler de nourriture ? On est en démocratie après tout, je revendique ma liberté de nespresso ! Atontour : D’expression, Astrid, on dit « liberté d’expression » Et puis oui, elle a raison ! En plus, peut-être qu’en imaginant très fort qu’on est en train de manger. 11 gmoraine@gmail.com
Astrid : Peut-être qu’on aura l’impression de remplir nos estomacs. Alice : Et qu’on sera rassasié sans prendre un gramme. Astrid : Sans attraper de caries. Atontour : Sans se laver les mains. Alice : On est même pas obligé d’imaginer des légumes. C’est génial comme idée ! April : N’importe quoi ! Vous êtes désespérants ! Vous faites ce que vous voulez mais en silence ! Parce qu’en ce qui me concerne, moi, je ne veux pas vous écouter. Aloha/ Annabelle / Abigaëlle : Nous non plus. Arvin : On y va ? Amélie : On essaie ? On se met où ? Arvin : Mettons-nous à table. Prenez votre assiette, vos couverts, quelqu’un veut une serviette ? Un peu d’eau ? Voilà le premier plat ! (Ils s’installent à une table imaginaire, se servent dans des assiettes imaginaires et commencent à faire semblant de manger. Certains peuvent demander le plat, du sel, le pichet d’eau… c’est un repas comme chez soi.) Archie : Il y a des canards qui sont arrivés, ils ont l’air ravis de toute cette eau. Ça en fait au moins quelques uns de contents. Si on était des canards, la vie serait plus simple, sûrement… J’ai même vu un poisson, c’était un gros poisson argenté, il brillait fort dans l’eau, c’est la première fois que j’en vois un comme ça. Par contre il pleut toujours, très fort. (Long silence, les uns mangent, les autres boudent.)
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7 – imagination. (Archie fait quelques mouvements d’étirement, comme s’il était un peu ankylosé, à rester à la fenêtre. Puis il regarde à nouveau.) Archie : L’eau est au niveau de la fenêtre, maintenant, on dirait un gigantesque aquarium. Il y a beaucoup de poissons maintenant. April : Vous devriez en profiter pour aller pêcher. Une vraie truite, c’est quand même mieux qu’un hamburger imaginaire ! Tant qu’à faire, soyez efficaces ! Arvin : Chut, on se concentre. J’essaie de me souvenir de toutes les saveurs d’un poulet rôti, et c’est compliqué ! Amélie : C’est vraiment très bon. C’est le meilleur repas que j’ai jamais fait. Mais je ne peux plus rien avaler. J’ai beaucoup trop mangé. Atontour : Moi aussi, je n’en peux plus. C’est malin, je vais me sentir lourd toute la journée, ça va pas être facile de digérer tout ça ! Alice : En fait, je n’ai plus faim du tout. Mais une petite sieste, ça aiderait à faire passer tout ça. Comme dit mon papa : « y a rien de tel qu’un petit sieston après un bon gueuleton ! » Astrid (elle se tient le ventre et a du mal à parler): Peux plus rien avaler. J’espère…je …vais… pas vomir… Arvin : Ça a marché ! C’est génial ! On est rassasié ! Amélie : On a réussi ! C’est trop fort ! April : Ce n’est pas possible. Vous racontez des histoires. On peut pas couper la faim en imaginant juste qu’on mange ! Sinon y aurait plus de famines dans le monde ! Arvin : Puisqu’on te le dit. C’est peut-être parce que personne n’y croit que personne n’essaie ! Comme toi : tu restes sur ta faim !
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8 – imagination 2. Archie : Le bâtiment est presque entièrement sous l’eau. Moi je vois plus la surface. Il y a de plus en plus de poissons, et de toutes les couleurs, je vois aussi des algues et des coquillages. Je savais pas qu’il y avait autant de vie dans l’eau. C’est impressionnant. En fait, vous devriez imaginer qu’il ne pleut plus, parce que là ça ne s’arrête pas. Atontour : Ce n’est pas bête. Archie : Je disais ça pour rire. Vous n’avez vraiment pas d’humour. Alice : Et pourquoi pas ? Si l’imagination peut couper la faim, elle peut arrêter la pluie ! C’est certain. April : N’importe quoi ! Astrid : Tu crois ? Ce serait aussi simple ? Alice : C’est ça le problème, à mon avis il faut y croire. Arvin : Je propose qu’on essaie ! On a rien à perdre de toute façon. Amélie : Je suis d’accord. Arvin : Allons-y. (Le groupe des mangeurs ferme les yeux et chuchote « il ne pleut plus, il ne pleut plus ») Arvin : Alors ? Archie : Il pleut toujours. April : Ah, vous voyez ! Arvin : Recommençons. (Ils recommencent) Arvin : Alors ? Archie : Toujours rien, j’ai même l’impression qu’il pleut encore plus fort. Atontour : Ça marcherait si nous le faisions tous. Il y a de mauvaises ondes par là-bas. April : Qu’est-ce que tu en sais ? Atontour : Je n’en sais rien, mais ça ne coûte rien d’essayer. Allez, quoi, faites un effort. 14 gmoraine@gmail.com
Alice : Et puis, plus on est nombreux, plus on est fort. (ils la regardent tous) Oui, c’est mon papa qui dit ça, aussi. Astrid : Qu’est-ce que vous en pensez ? Il n’y a qu’ensemble qu’on peut s’en sortir ! (Un temps) Aloha: Ça marche pour moi. Annabelle : C’est d’accord, on imagine tous ensemble. Abigaëlle : Il faut y croire. (Tous chuchotent, les yeux fermés « il ne pleut plus, il ne pleut plus ») Archie : La pluie s’est arrêtée !
Fin.
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