La cour des miracles

Page 1

La cour des miracles De Guillaume Moraine

1 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Personnages :

Justine. Cul de jatte. Romuald. Unijambiste. Théodore. Cul de jatte. Marcel. Unijambiste. Père bourgeois (M Riche) / Cul de jatte (« Serpillère »). Mère bourgeoise (Mme Riche)/ Unijambiste (« la cigogne »). Fille bourgeoise (Mlle Riche)/ Cul de jatte (« frotte parquet »). Curé. Chef des unijambistes. Unijambiste. Patron des culs de jatte. Cul de jatte. Un unijambiste. « N’a qu’une patte ». Un cul de jatte. « Rase moquette ».

2 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 1 : Ouverture. Romuald, Marcel, Chef, N’a qu’une patte, Curé.

Le rideau s’ouvre, les unijambistes sont sur scène, habillés à peu près normalement, de blouses peut-être. Ils discutent de tout et de rien, en buvant de l’eau. Parlant du temps qu’il fait. N’a qu’une patte : Alors tu vois, chef, normalement, avec un temps pareil, tout le monde devrait être de sortie ! Il fait beau, l’air est doux, franchement, qui n’aurait pas envie de se promener ? Chef : C’est bien gentil, tout ça, N’a qu’une patte, mais tu les vois où, là les promeneurs ? Ils se cachent ? N’a Qu’une patte : J’en sais rien. Je comprends pas moi-même. Curé : Bah à partir d’un moment, c’est plus une question de si il fait beau, ou si il fait pas beau… Marcel : C’est vrai. La conjoncture économique y est pour beaucoup, aussi. Dans la situation actuelle, qui aurait envie de s’aérer ? Ce que je veux dire, c’est que se promener, prendre l’air, faire un tour… quelque part c’est un peu faire comme si tout allait bien ! Chef : Tu veux dire que les gens n’ont plus d’argent, que tout va mal ? Marcel : Non, non. Je veux dire que se promener, ça réclame de laisser de côté tous ses soucis. Et certains peuvent se sentir coupable de faire comme si ça allait bien. Même s’ils ont encore des sous. Curé : Ah, la culpabilité ! Voilà une notion fascinante ! Chef : Tu trouves, curé ? Pour le coup elle nous embête un peu, non ? Curé : Oh, chef ! La culpabilité, actuellement elle t’embête, mais d’habitude, c’est un peu ton gagne pain, non ? Comment feriez-vous sans la culpabilité ? Chef : Faut avouer, il n’a pas tort le curé. Je vais voir, je reviens. (Le chef sort à cour) Marcel : A tout de suite, chef ! (Au curé) Il devrait y avoir des niveaux tolérés de culpabilité ! Que les gens aient honte d’avoir des sous, mais pas suffisamment pour rester chez eux. N’a qu’une patte : Il faudrait une loi, sûrement. 3 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Curé : Une loi ? Les lois sont faites pour qu’on les respecte pas. Ce n’est pas une solution ! Nous à l’église, on dit qu’il faut se sentir COUPABLE, et chercher à SE REPENTIR ! Les deux en même temps, et le problème est résolu ! N’a qu’une patte : Mais nous, on est pas l’église, Curé ! Ici c’est la cour des miracles ! Ce serait mal vu si on se mettait à promettre le paradis aux gens ! (Le chef revient, en courant, il est surexcité.) Chef : Il y en a qui arrive, toute une famille ! Le père et la mère et la fille, main dans la main ! Ils ont l’air heureux comme tout, et riches !! On va peut-être faire notre journée, les gars ! Au boulot ! Tout le monde en place pour le spectacle ! Curé : Bon je vous laisse, à plus tard, travaillez bien ! Tous : Salut Curé ! Chef : Pas de grossièreté, curé, s’il te plaît !

(Les unijambistes se préparent à toute vitesse, ils enlèvent leur blouse, dessous, ils sont vêtus de haillons, ils s’échauffent et se placent, attendant la famille de bourgeois avec un air très triste, gémissant de douleur.)

4 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 2 : Les bourgeois. bourgeois. Romuald, Romuald, Marcel, Chef, N’a qu’une patte. Puis M Riche, Mme Riche, Mlle Riche. (Les unijambistes sont sur scène, en une sorte de ligne d’un bout à l’autre de la coulisse. Ils tendent la main et gémissent de douleur. La famille bourgeoise entre, main dans la main, ils ont l’air heureux.) Mme Riche : Oh mes chéris ! Quelle magnifique journée ! Tu avais raison : ce que c’est agréable de se promener en famille ! Mlle Riche : Maman a raison, je ne pense plus à mes soucis, les robes, les bals, les amis… tout cela m’occupe tellement d’habitude ! Et là, je me laisse juste porter par la promenade ! M Riche : Je vous le disais bien. Mais c’est d’autant plus agréable que nous n’avons pas de problème d’argent ! C’est la meilleure façon d’en profiter pleinement. Quoi qu’il arrive, ce soir, nous aurons à manger et nous aurons chaud ! C’est un privilège que d’autres n’ont pas. Tâchez de vous en souvenir ! Mlle et Mme Riche : Nous nous en souviendrons ! Chef : Ah monseigneur ! Bonjour Monseigneur ! Vous auriez pas une petite pièce pour un pauvre vagabond malade ? Marcel : Ah Monseigneur ! Vous avez l’air généreux Monseigneur ! Pensez à ma famille qui meurt de faim ! M Riche : Oh bon sang ! Quel idiot je suis ! C’est le coin de la ville où se réunissent tous les mendiants ! Nous aurions du faire un détour ! Mlle Riche : Qu’ils ont l’air mal en point ! M Riche : Avancez et ne les regardez pas ! Faites comme si de rien n’était ! Mme Riche : Mais mon chéri, regarde-les, ils souffrent, ils ont froid ! Romuald : La dame a raison, Monseigneur, nous souffrons atrocement, la vie n’est pas un cadeau pour nous ! Les unijambistes : Ah ça non, c’est pas un cadeau ! N’a qu’une patte : J’aimerais m’en sortir, mais je n’en ai jamais eu les moyens ! Le sort s’acharne sur moi comme si je devais expier les crimes du monde entier ! Aidez-moi, Monseigneur !

5 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Mlle Riche : Oh papa, ne peut-on rien faire pour eux ? Donnons-leur quelque chose, après tout nous sommes riches ! M Riche : Mais tais-toi donc, petite idiote ! Mlle Riche : Papa ! Mme Riche : Quel langage ! M Riche : Excuse-moi, mais nous devons nous sortir de là le plus vite possible ! (Les unijambistes, lentement se déplacent jusqu’à les encercler, ils les harcèlent de tous les côtés.) Chef : J’aimerais sortir de là, moi aussi… Malheureusement le sort en décide autrement. Je suis condamné à rester dans la rue, manger les restes des chiens et dormir dans leurs niches, quand ils ne sont pas là… Mlle Riche : Pauvre homme. Chef : Si seulement je pouvais offrir un peu plus qu’un trognon de pomme à mes enfants, pour noël… Je me fiche de mourir de faim, mais mes enfants sont innocents ! Mme Riche : Les pauvres enfants. M Riche : Ne vous laissez pas attendrir ! Marcel : Un peu de pitié, c’est tout ce qu’on mérite… et pourtant je n’en voudrais pas… je préférerais rester un homme digne et fier… Mais la dignité n’existe que pour les estomacs pleins ! Mlle Riche : Il a raison papa ! M Riche : Tu te fais manipuler ! Ils n’ont qu’à travailler ! Mme Riche : Ce que tu es rigide ! N’a qu’une patte : J’ai voulu travailler ! Mais je boîte (il fait une démonstration), je ne l’ai pas choisi… et les patrons trouvent que ça ne plaît pas au client… M Riche : Travaillez assis ! Marcel : J’ai cherché du travail, moi aussi. (il se lève et montre ses haillons) Mais sans argent pour m’acheter un costume propre, comment me présenter à un entretien ? M Riche : Volez-le !

6 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Chef : Nous sommes honnêtes, Monseigneur ! Et c’est par honnêteté que nous mendions, pour ne pas avoir à voler ! Mlle Riche : Allez, papa, donne-leur quelque chose ! Je l’exige ! Ou je ne suis plus ta fille ! Mme Riche : Tu disais que nous sommes des privilégiés ! Nous avons de l’argent parce qu’eux n’en ont pas ! Fais preuve de charité ! Ou je ne suis plus ta femme ! M Riche : Oh bon très bien ! Mais cette promenade est définitivement gâchée ! (Il sort son porte-monnaie et distribue l’argent aux unijambistes qui l’entourent) Tenez ! Tenez ! Et fichez-moi le camp ! Voilà ! Maintenant laissez-nous passer ! N’a qu’une patte : Oh merci ! Merci Monseigneur ! Le ciel vous le rendra ! Romuald : Merci, Monseigneur ! Votre générosité est sans limite ! Vous verrez ce soir, vous dormirez mieux ! M Riche : Oui oui… Chef : Et voilà une semaine de repas pour mes enfants, merci Monseigneur ! Je leur dirais de penser à vous ! M Riche : C’est ça, c’est ça… Marcel : Avec cet argent, j’ai un nouveau costume ce soir, et un travail dès demain ! Vous m’avez sauvé la vie ! M Riche : J’en suis heureux ! Et maintenant fichez-nous la paix ! (Les mendiants s’écartent en comptant leurs sous, M Riche tire sa femme et sa fille par le bras et les emmène vers la sortie) M Riche : J’espère que vous êtes satisfaites, maintenant je n’ai plus rien, j’ai tout donné ! N’a qu’une patte : Monseigneur, si vous n’avez plus rien : on a toujours du travail, par chez nous, pour les gens de bonne volonté ! Bonne journée ! Mme Riche : Que veut-il dire ? M Riche : Que vous vous êtes fait avoir ! Complètement avoir ! Et que j’ai cédé trop vite ! Sortons ! (Ils sortent. Les unijambistes sautent de joie et se félicitent.)

7 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 3 : Joie et guerre. Chef, Marcel, Romuald, N’a qu’une patte. Puis les cul de jatte : Justine, Théodore, Rase moquette, Patron. (Les unijambistes perdent aussitôt leurs handicaps pour fêter leur victoire sur le bourgeois. Ils se serrent les mains, se félicitent, comptent leur argent.) (Pendant ce temps, les culs de jatte entrent discrètement et forment une colonne près de la coulisse. Ils les regardent méchamment) Chef : Mes amis, mes chers amis ! C’est du beau boulot ! Notre journée est faite ! Romuald : Rien de plus facile ! Avec sa femme et sa fille pour lui mettre la pression, le pauvre vieux ne pouvait rien faire ! Marcel : Ben tiens, un jeu d’enfant ! Il en faudrait plus souvent des comme ça ! N’a qu’une patte : Ils devraient toujours sortir en famille, ça devrait être obligatoire ! Chef : On va se faire une sacrée fête ce soir, pour célébrer cette victoire. Théodore : (très fort, pour surprendre les unijambistes) Hey, patron, tu vois ce que je vois ? J’ai l’impression que les chèvres sont de sortie aujourd’hui ! On les entend bêêêêêler à l’autre bout de la ville ! Patron : Tu n’as pas tort, Théodore ! Il faudrait faire quelque chose pour les calmer ! Les chèvres risqueraient de réveiller les honnêtes gens, à brailler comme ça ! (Pendant leur échange, les unijambistes se taisent et se regroupent, méfiants, leurs pires ennemis sont là, à les provoquer. On voit deux clans se former.) Rase moquette : C’est peut-être qu’elles ont faim ? On devrait leur donner un peu de foin à brouter, non ? Justine : Allons, les gars, ne les énervez pas ! Ça ne sert à rien de les provoquer gratuitement comme ça… Patron : T’es trop gentille Justine, mais les chèvres n’ont rien à faire dans la cour des miracles. Leur place est à la campagne, au grand air. Là où l’herbe est bien verte et bien grasse. Là où elles peuvent brailler autant qu’elles veulent sans déranger personne ! Chef : Tu devrais le dire plus clairement, si tu veux qu’on règle ça dans la douleur et la violence ! T’es toujours aussi bavard, cul de jatte ! Mais pour agir, il n’y a plus personne !

8 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


N’a qu’une patte : Oh ! Qu’est-ce que vous faites encore par ici ! C’est notre territoire et vous le savez très bien. La cour des miracles n’est pas faite pour les traîne-misère dans votre genre ! Ici, c’est la cour des grands ! Théodore : La « cour des grands » ? Et vous croyez être à votre place ? Vous n’êtes pas fichu de dépouiller correctement les bourgeois ! Vous savez quoi, les chèvres ? Vous ne faites même pas pitié ! Marcel : Nous on ne fait pas pitié ? Tu veux rire ? Y a deux minutes, on faisait pleurer toute une famille ! Vous par contre, vous avez l’air bien nourri, en pleine forme ! On vous prendrait presque pour des cuisiniers ! La mine bien fraîche, le dos droit ! On croirait que vous êtes fiers de vivre ! Qu’est-ce que vous en dites les gars, de quoi ils ont l’air ? Tous les unijambistes : Ils ont l’air de travailleurs ! Tous les cul de jatte : Quoi ???!! Chef : Des travailleurs ! Vous êtes d’honnêtes travailleurs, voilà ce que vous êtes ! Romuald : T’y vas un peu fort, Chef ! Rase moquette : D’accord vous l’aurez voulu, on règle ça ici et maintenant ! (Les unijambistes se mettent en position de combat, les culs de jatte également, sauf Romuald qui traîne un peu) Romuald : Et voilà, il fallait s’y attendre… (La famille bourgeoise réapparaît tout à coup, Marcel les voit) Marcel : Attention, les pigeons ! (Tous les mendiants quittent leur position et se mettent à boiter et à gémir, jouant leur rôle. Les bourgeois traversent la scène au pas de course) M Riche : Je le savais, qu’il ne fallait pas passer par là ! Ça va mal finir je vous dis ! Mlle Riche : Papa, je ne veux plus me promener ! Plus jamais ! Mme Riche : Dorénavant, nous resterons enfermés chez nous tous les dimanches ! On regardera la télévision ! (Les bourgeois sortent, les mendiants reprennent aussitôt leurs positions de combat.) Chef : Alors, vous abandonnez, les travailleurs ? Théodore : à l’attaque ! Sus aux chèvres ! 9 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tous : A l’attaque !!! (Les mendiants se jettent les uns sur les autres, et s’attrapent, s’accrochent, on dirait une immense prise de catch. Ils ont tous l’air bloqués.)

10 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 4 : Le conteur Les mêmes, plus le curé. (Le curé entre, il jette un œil au groupe, soupire et vient à l’avant-scène.) Curé : Là, il est peut-être temps de faire un point sur la situation. Car je comprendrais très bien que ça vous semble un peu confus. Nous vivons dans la rue. Et ces bagarreurs ont décidé de vivre de la mendicité, de la générosité et de la crédulité des braves gens… Ils se sont formés en bandes dans la cour des miracles, là où nous sommes. C’est l’endroit le plus efficace pour plumer les honnêtes travailleurs. Mais deux bandes se disputent cet emplacement magique : les unijambistes et les culs de jatte… et depuis des années leur conflit a fait beaucoup de dégâts. Un exemple : ils se battent tellement souvent que les gens honnêtes n’osent pratiquement plus se promener par ici. La mendicité est devenue plus difficile, et il n’y en a vraiment plus pour tout le monde. Alors leur disputes sont d’autant plus violentes, et les pigeons ne viennent plus, donc ils se battent, donc les pigeons passent encore moins, etc… etc… etc… Ils n’en sortent pas… Et il y a des chances que sous peu, il n’y ait vraiment plus rien à mendier dans la cour des miracles. Pourtant il y aurait un espoir, assez mince, c’est vrai, mais un espoir quand même. (Le curé ressort doucement.) (Les mendiants sont toujours bloqués, personne ne veut lâcher.) Patron : Bon, alors, vous abandonnez ? N’a qu’une patte : Pas question ! Cette cour est à nous ! C’est à vous de ficher le camp d’ici ! Rase moquette : Tu rêves, la chèvre ! Justine : J’ai entendu du bruit là-bas ! C’est peut-être une sirène de police ! (Tout le monde se tait, ils sont en danger et ils le savent.) Chef : Ok, Bon on va tous s’éloigner, doucement. Et tout va bien se terminer. On ne va quand même pas aller régler ça au commissariat. Théodore : Moi ça me dérange pas ! Patron : Tais-toi, Théodore. Ça marche, à trois on se lâche et on s’éloigne. Un, Deux, Trois ! (ils se séparent doucement et les deux bandes s’éloignent l’une de l’autre. Au bout de quelques pas, ils se tournent le dos et sortent en coulisse. Justine et Romuald sont les derniers de leurs bandes. Tous sortis, ils se retournent et se regardent. Ils s’approchent un peu l’un de l’autre. On comprend qu’ils vivent quelque chose de spécial et de secret.) 11 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


(Théodore revient soudain.) Théodore : Justine ! Dépêche-toi un peu ! Justine : J’arrive ! (Théodore regarde Romuald avec haine. Romuald le lui rend bien. Puis ils sortent.)

12 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 5 : Romuald 1. Romuald, Marcel. Puis La cigogne. (Romuald s’apprête à sortir. Mais Marcel revient et vient jusqu’au milieu de la scène. Il regarde du côté des culs de jattes. Romuald reste donc sur scène.) Marcel : Ils sont vraiment partis. Un de ces jours il va arriver quelque chose de grave. Cette petite guerre ne peut pas bien se terminer. Romuald : On ne sait jamais. Il y a toujours de l’espoir… peut-être qu’on finira tous amis bientôt… Va savoir ! Marcel : T’as toujours été un romantique. T’as trop de cœur, Romuald, ça te jouera des tours. Romuald : On ne peut pas être un escroc et avoir du cœur ? Marcel : Le cœur, c’est utile pour faire pitié. Si tu n’as pas de cœur, les gens le sentent. Et pas de pitié pour les méchants ! Alors ils ne donnent rien. Romuald : Donc, c’est bon ? Marcel : Si t’as trop de cœur. Tu risques, toi, d’avoir pitié des autres. Romuald : Eh bien… Et s’il s’agissait juste… d’essayer d’arrêter cette guerre ? Marcel : Tu veux abandonner la cour des miracles ? Partir ? Romuald : Non… Marcel : Eux non plus. Il n’y a pas d’issue à cette guerre. Sauf si l’une des deux bandes disparaît… Ils doivent disparaître. Tous. Romuald (inquiet) : Disparaître ?... (La cigogne entre. Elle arrive de chez les culs de jatte.) La cigogne : Romuald ! Romuald ! J’ai un message pour toi ! Marcel : Salut La Cigogne. D’où tu arrives, comme ça. La Cigogne : De par là… (Elle indique vaguement le coin des culs de jatte) J’ai un message pour Romuald. (La cigogne attend. Patiemment. Romuald et elle restent silencieux. Marcel est de trop et ils le lui font sentir.) 13 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Marcel : Oh, ça va, j’ai compris. Et souviens-toi, Romuald, ils doivent tous disparaître. (Marcel sort) (Romuald et La Cigogne se rapprochent, et prennent une attitude de conspirateurs) Romuald : Alors, la Cigogne, qu’est-ce que tu veux me dire ? (La Cigogne elle fait un petit tour de scène, pour vérifier qu’ils sont bien seuls.) Romuald : On est seul, t’inquiètes pas. La Cigogne : Hey, gamin ! Tu sais très bien ce que je risque à jouer les entremetteuses, pour toi et l’autre cul de jatte ! Alors ne viens pas me dire que je suis trop inquiète, d’accord ? Romuald : D’accord, d’accord. Excuse-moi, La Cigogne. Qu’est-ce que tu viens me dire ? La Cigogne : Justine veut te voir. Maintenant. Romuald : Comment ça, maintenant ? Où est-ce qu’elle est ? La Cigogne : Là, juste à côté. Je vais la chercher ? Romuald : Bien sûr que tu y vas, et après tu t’en vas. La Cigogne (elle s’arrête, vexée d’être traitée ainsi) : Un petit merci, peut-être ? Romuald : Merci. Bien sûr, merci ! (La Cigogne sort.)

14 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 6 : Romuald 2. Romuald, puis Justine. Puis Frotte Parquet. (Justine entre. Elle et Romuald se regardent tendrement, de loin, puis se rapprochent l’un de l’autre. Ils finissent par se retrouver à l’avant-scène, un peu éloignés l’un de l’autre, comme s’ils étaient très timides à leur première rencontre.) Justine : Romuald… Romuald : Justine. Ça va ? Justine : Tu sais, si jamais les autres savaient, pour nous deux. Ça se passeraient sûrement super mal… ça fait tellement longtemps qu’ils ne vous supportent pas… ça mettrait le feu aux poudres… (Romuald répond par des « mmm… », Comme s’il réfléchissait lui aussi) Mais en même temps, on ne va pas passer notre vie à nous cacher ! Non ? Romuald : Oh non ! Justine : Ben alors, il faut leur dire. Romuald : Oh non !!! Justine : Ecoute, là moi j’en ai assez ! Je sais que c’est risqué, mais c’est la seule solution ! On n’a pas le choix ! Autrement ce n’est plus la peine de se voir ! Romuald : Et je te raconte pas la bagarre qu’il va y avoir, on les connaît ! Ce coup-ci il pourrait y avoir des blessés, peut-être pire ! Justine : Alors on ne fait rien ? On arrête de se voir, c’est ce que tu veux ? Romuald : Mais non, attends… Faut juste qu’ils comprennent que c’est comme ça et puis c’est tout, qu’il n’y a rien à y faire… Justine : On se marie. (Romuald s’arrête, surpris, il la regarde) Mais oui ! Si on se marie, ils ne se diront pas que c’est un coup de folie, ou une arnaque ! Ce sera sérieux, tu comprends ? En plus… Peut-être qu’avec un mariage, ils vont se sentir forcés de se rapprocher… Comme des belles-familles, obligés de s’entendre un petit peu. Un mariage, ça crée des liens… ce serait une alliance entre nos deux bandes. Romuald : C’est une idée géniale, Justine ! Géniale ! Ça pourrait tout régler ! Et on se marie quand ? Justine : Ce soir ? Je t’enverrais La Cigogne pour t’emmener voir le prêtre. J’y serai déjà. En attendant pas un mot ou ils vont tout faire pour gâcher ça. 15 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Romuald : d’accord, à ce soir. (Il sort en courant, Justine le regarde partir.) Justine (vers la coulisse) : Frotte Parquet !!!! (Frotte Parquet arrive en courant.) Frotte Parquet : Oui, Justine ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Justine : Je veux que tu ailles voir le curé. Tu lui dis de me retrouver ici ce soir. Frotte Parquet : Euh, ben d’accord… Justine : Et reste discrète, c’est compris ? Frotte Parquet : Discrète ? D’accord aussi… C’est comme un secret, quoi ? Justine : Exactement. Allez vas-y. (Frotte Parquet s’en va du côté des unijambistes en criant « curé, curé ! ». Justine sort de l’autre côté)

16 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 7 : les mendiants. N’a N’a qu’une patte, Rase Moquette. (N’a qu’une patte entre en gémissant, il boîte, souffre le martyr, il en fait des tonnes.) N’a qu’une Patte : Messeigneurs, un peu de pitié pour un pauvre infirme ! Une petite pièce pour manger ! De quoi m’acheter le morceau de pain rassis qui me fera vivre une journée de plus… Pitié messeigneurs ! Ma vie est entre vos mains ! Me laissez-vous mourir là, à vos pieds ? (De l’autre côté, Rase Moquette entre à son tour, il est en train de mendier sur la même zone que N’a qu’une Patte. Celui-ci s’arrête aussitôt et le regarde avec colère.) Rase Moquette : Messeigneurs, je vous en supplie, le choléra me brûle les poumons ! il me faudrait un médicament, mais je n’ai pas les moyens de l’acheter ! Permettez moi de me soigner, je vous en prie, laissez-moi soigner ce choléra avant que je contamine ma femme et mes enfants, ils sont innocents les pauvres chéris ! N’a qu’une Patte : Quel baratineur ! Tu n’as pas d’enfants ! Rase Moquette est surpris de cette intervention, mais ne se démonte pas. Rase Moquette : Hélas non… mais j’aimerais bien… ma femme voudrait tant en avoir elle aussi ! Mais avec ce choléra, comment oser prendre des risques ? Aidez-moi à me soigner, messeigneurs, que je puisse offrir à ma femme le bonheur qu’elle mérite… N’a qu’une Patte : Tu n’es pas marié non plus… Rase Moquette : Eh bien, eh bien… si ce n’est pas pour moi, faites-le pour vous ! Le choléra est une maladie terrible, et qui se répand si vite ! Et elle se fiche que l’on soit pauvre ou riche ! Soignez-moi, messeigneurs, pour sauver vos vies ! Je risque de provoquer une épidémie ! N’a qu’une Patte : Très jolie pirouette ! Rase Moquette : (qui cesse aussitôt de simuler) N’est-ce pas ? J’en suis très fier ! Mais c’est pas facile de rebondir comme ça, tu vois… ça demande de l’instinct, du talent… (Il s’aperçoit qu’il a cessé de simuler, et que les gens s’en sont sûrement aperçus eux aussi) Tu m’as cassé la baraque ! C’est honteux de faire ça entre professionnels ! N’a qu’une Patte : T’as qu’à pas travailler ici, c’est chez nous ! Cette cour est à nous ! Quand est-ce que vous allez enfin le comprendre ! Rase Moquette : Chez vous ! Ah tu me fais bien rigoler, la chèvre ! Vous n’avez aucun talent, vous n’arrivez pas à arnaquer plus de trois pigeons par jour ! Et toujours la même histoire ! (il se moque) J’ai faim ! Oh aidez-moi j’ai faim ! Il faut savoir varier les gars, sinon 17 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


les gens vont s’ennuyer. Chez nous c’est de l’art ! on multiplie les souffrances ! On lui en donne pour son argent ! C’est du spectacle ! N’a qu’une Patte : Ce n’est pas du spectacle, c’est de l’escroquerie, et il n’y a que vous pour croire le contraire. Soyez au moins honnête avec vous-même !

18 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 8 : Théodore. N’a qu’une Patte, Rase Moquette, puis Théodore, puis Frotte Parquet. Théodore entre d’un coup, et il voit les deux mendiants en train d’avoir une conversation. Alors qu’ils devraient se battre.) Théodore : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Vous voulez que je vous apporte du thé ? Rase Moquette ? Tu pactises avec l’ennemi, maintenant ? Rase Moquette : Pas du tout, Théodore, c’est lui qui… enfin… mais c’est parce que… Théodore : Retourne avec les autres ! (Rase Moquette sort du côté des culs de jatte) Il te fait causer pour t’empêcher de bosser ! (Il se retourne vers N’a qu’une Patte) Quant à toi, la chèvre… Tu ferais mieux de déguerpir sur le champ. N’a qu’une Patte : T’inquiète pas, travailleur ! De toute façon on a eu notre compte pour la journée, vous pouvez toujours vous amuser avec les restes ! (Il sort du côté des unijambistes et croise Frotte Parquet) N’a qu’une Patte : Eh bien ! Voilà que les vôtres se sentent bien chez nous ! Vous gênez pas, les gars ! Vous êtes les bienvenus ! (Frotte Parquet s’arrête devant Théodore. Gênée.) Théodore : Frotte Parquet ? Frotte Parquet : Théodore ? Théodore : Tu viens d’où, comme ça ? Frotte Parquet : … Théodore : Frotte Parquet ? Frotte Parquet : Je n’ai pas le droit de le dire, c’est comme un secret. (Théodore lève la main comme pour la frapper. Frotte Parquet se protège et craque aussitôt, elle raconte tout très vite.) Frotte Parquet : C’est Justine qui m’a demandé d’aller chez les unijambistes pour voir le curé et lui dire qu’elle lui donne rendez-vous ce soir ici et que je ne dois le dire à personne mais juste avant je l’ai vue qui parlait avec Romuald alors peut-être que ça a un rapport mais je n’en sais pas plus s’il te plaît ne me tape pas pitié pitié pitié !

19 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Théodore : Un rendez-vous avec le curé, en secret ? Après avoir parlé à Romuald ? Je dois en avoir le cœur net. (A Frotte Parquet) Fiche le camp, toi. (Frotte Parquet s’enfuit à toute vitesse. Théodore réfléchit un instant, puis lentement il recule pour aller se cacher derrière le rideau du fond.)

20 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 9 : Mariage. Théodore caché. Puis Romuald, puis le curé, puis Justine. (Romuald entre discrètement, il regarde alentours, puis le curé vient le rejoindre. Ils se regardent un instant, et viennent à l’avant-scène.)

Curé : Alors, c’est le grand soir, Romuald ? Pas de regrets ? Romuald : Pas encore, curé. (Justine entre à son tour. Elle les rejoint à l’avant-scène. Elle et Romuald se prennent les mains et sourient.) Justine : Bonsoir, curé. Romuald, je suis impatiente. Romuald : Tu es sûre de toi ? Justine : On a pas le choix. Et il ne peut en sortir que du bon pour tout le monde. Allons-y. Curé : Allons-y. (Le curé vient se mettre devant eux, et les fait s’agenouiller.) Curé : Romuald, Justine, vous êtes tous deux réunis ici pour vous marier. C’est un acte sérieux qui demande des sacrifices de votre part, et ce dans l’espoir de connaître le bonheur ensemble. C’est vachement bien. Romuald, tu veux épouser Justine ? Romuald : Je le veux, curé. Curé : Justine, tu veux épouser Romuald ? Justine : Je le veux, curé. Curé : Alors je vous déclare mariés sous les lois de la cour des miracles et de la mendicité. Romuald et Justine, désormais vous ne demanderez la charité que pour votre confort à tous les deux, sans rien devoir à personne d’autre. D’accord ? Justine et Romuald : D’accord. Curé : Toutes mes félicitations. Maintenant je vais aller boire un coup. (Il sort du côté des culs de jatte) Romuald : Il va du côté qu’il veut, il a de la chance. De quel côté on va aller, nous ? 21 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Justine : On changera un jour sur deux. Aujourd’hui on a qu’à aller habiter chez les tiens. (ils sortent du côté des unijambistes. Théodore sort de sa cachette et revient à l’avant-scène, il regarde des deux côtés, pour prendre la mesure de ce qu’il vient de se passer.) Théodore : Alors ça, c’est gonflé.

22 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 10 : Le patron. Le patron, Rase Moquette, Frotte Parquet Le patron entre, il a l’air fatigué. Patron : Je sais bien, moi où on va. Avec ces histoires, nous allons directement dans le mur. En ligne droite, la tête la première et « BOUM ! Le mur ! ». A ne pas s’entendre, comme ça, tout le monde y perd. Comme si, alors qu’il fait froid, on tirait tous sur le même pull pour ne l’avoir qu’à soi, et que le pull finissait en morceaux. Et nous autour, morts de froid, à regarder le pull sans comprendre comment on en est arrivé là. Et le pire, c’est que j’ai l’impression qu’on en sortira pas. On a trop de principes, pour des mendiants. Frotte Parquet entre en courant, paniqué. Il est suivi de Rase Moquette.. Frotte Parquet : Patron ! Patron ! Il y a Théodore qui est furieux ! Il veut se battre contre tout le monde ! Déjà qu’hier il m’a menacé… Alors que je me contentais d’obéir aux ordres de Justine… Patron : Oh là ! Qu’est ce que tu racontes ? Théodore veut se battre contre Justine ? Frotte Parquet : Maiiiiiss noooooonn ! C’est aux unijambistes qu’il en veut, il dit qu’il va les manger un par un et se faire des cure-dent avec leurs os ! Patron : C’est vrai, ça, Rase Moquette ? Rase Moquette : C’est vrai, patron. Il est de plus en plus agressif. A la moindre réflexion, il est capable de nous mordre ! Alors avec le coup de Justine, Je ne vous raconte pas l’état dans lequel il est ! Patron : Le coup de Justine ? Quel coup de Justine ? Frotte Parquet : Vous ne savez pas, patron ? Le patron ne sait pas ? Ah bah ça alors c’est gonflé, toute la cour des miracles est au courant, et vous vous ne savez pas ? Patron : Frotte Parquet… Frotte Parquet : C’est que Justine elle s’est mariée avec Romuald, même que c’était hier au soir et qu’elle m’avait demandé d’aller prévenir le curé pour elle, elle me fait confiance, Justine ! Je suis quelqu’un de confiance ! Rase Moquette : Je vois ça, tu n’es pas du tout du genre à le raconter à tout le monde, quant on te confie un secret. Frotte Parquet : Exactement !

23 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Patron : Eh bien, c’est une drôle d’histoire. Normalement un mariage, c’est heureux, il ya de la joie, du bonheur ! On le fête ! On envie les jeunes époux, on voudrait être à leur place ! Et pourtant, là, j’ai un mauvais pressentiment. Ce mariage n’aurait jamais du avoir lieu. Rase Moquette : On l’annule ? Patron : Le mal est fait. Théodore est un véritable fauve, quand il s’énerve. On ne pourra pas lui faire entendre raison. Et nous là-dedans ? De quoi aurions-nous l’air ? Ce sont nos ennemis ! Nous n’y pouvons rien ! Frotte Parquet : Justine n’est pas notre ennemie. Patron : Et finalement, Romuald ne l’est plus non plus. Avec ce mariage, il sont juste en train de monter leur propre bande dans leur coin. Rase Moquette : Une autre bande ? C’est qu’on est déjà vachement serrés, avec les unijambistes… Patron : C’est exactement ça. On vit tout ça comme s’il ne pouvait y avoir que deux bandes dans la cour des miracles. Si Justine et Romuald forment une famille de plus, alors les culs de jatte, ou les unijambistes… Il y en a un des deux qui va devoir disparaître. Rase Moquette : Elle tourne pas drôle du tout cette histoire… (Les deux autres le regardent) Enfin moi, je dis ça… Il ne faudrait pas non plus que ça finisse dans les larmes !

24 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 11 : Marcel. Marcel, puis Romuald, puis Théodore et les culs de jatte. (Marcel est sur scène, entrain de s’échauffer à demander pitié et la charité.) Marcel : Pitié !... non c’est pas ça… pittiiiiiiéé… trop larmoyant… la charité par pitiéééé… trop long ça, ça va les faire rire… par pitié pitié pitié… chhaaaaritiiééé… et voilà que je m’embrouille ! ouh je me sens pas en forme aujourd’hui ! (Romuald entre, il est heureux comme tout.) Romuald : Salut Marcel ! Tu vas bien mon copain ! J’ai une de ces santés aujourd’hui ! Marcel : Oui, tu sens le bonheur à des kilomètres. C’est pas bon pour le boulot, ça. Tu devrais t’enfoncer la tête dans la boue, pour avoir l’air un peu plus triste. Romuald : Ca ne marcherait pas, je suis tellement content que même la boue ne resterait pas collée, elle s’envolerait ! Comme un papillon rose qui s’élance vers le soleil luisant d’une belle journée de printemps ! Marcel : Alors là c’est clair, tu as perdu la raison ! Romuald : Oh non, c’est bien mieux, tu veux savoir ? Marcel : Ah bah oui, ça je veux bien. (Théodore arrive soudain, accompagné des autres culs de jatte, sauf Justine. Il se détache du groupe et s’approche de Romuald.) Théodore : (à Romuald) Toi, la chèvre de compétition ! Romuald : Quoi ? Que veux-tu ? Théodore : Je te lance un défi. Allez viens, on règle ça une bonne fois pour toutes. Entre nous, entre mendiants, comme des hommes ! Romuald : Je ne vais pas me battre contre toi. Marcel : Quoi ? Il t’a lancé un défi, tu ne peux pas refuser. Romuald : Je ne me battrai pas contre lui. Théodore : Tu trembles, la chèvre ? T’as les genoux tout mous ? Tu veux que je t’apporte un petit fauteuil, pour te reposer ? Marcel : Tu peux pas le laisser dire ! 25 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Romuald : Je ne me battrai pas contre lui. Ecoute : je viens d’épouser Justine. Marcel : Tu as fait quoi ?! Théodore : Hey, Romuald, je t’aime bien, en fait. J’ai bien vu que tu étais dans le besoin. Alors j’ai fait les petites annonces, et je t’ai trouvé un emploi : immigré clandestin ! Et tu commences demain, ils passent te prendre, avec les gendarmes, c’est pas beau ça ? Marcel : Tu n’aurais pas du faire ça ! (Marcel sort de ses gonds et se jette sur Théodore, ils se battent. Marcel se retrouve au sol, sans connaissance, mort.) Romuald : (il va au secours de Marcel) Marcel, non ! C’est pas vrai ! Théodore : C’est lui qui a commencé ! Vous avez bien vu ! Romuald : Théodore !!! (Il se jette sur Théodore, c’est une nouvelle bagarre. Et Théodore tombe à son tour sans connaissance. Romuald regarde autour de lui, vérifie du bout du pied que Théodore est bien mort. Puis il s’enfuit en courant.) Patron : Alors là, c’est vraiment mal parti. (Les unijambistes entrent, voient les deux corps. Les deux bandent se jaugent un instant. Puis ils récupèrent celui de marcel et sortent. Les culs de jatte récupèrent alors le corps de Théodore et sortent à leur tour. Justine entre et croise le cortège. Elle en arrête un avant qu’il sorte.)

26 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


27 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 12 : Justine. Justine, Serpillière, Serpillière, Justine : Serpillière ! Serpillière : Quoi ? Qu’est-ce que tu veux, toi ? Justine : Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Serpillière : Tu te marie avec n’importe qui, tu préviens personne, alors tout le monde s’énerve et voilà le résultat ! T’es contente de toi ? Justine : Tout le monde est au courant, alors. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Serpillière : Théodore a provoqué Romuald, Marcel s’est interposé. Et ils se sont entretués ! Résultat : Théodore et marcel mangent les pissenlits par la racine. Et Romuald s’est enfui. Il fait bien d’ailleurs. Si jamais on l’attrape… Justine : On s’est marié pour provoquer la paix. Serpillière : Eh bien c’est réussi. (Se calmant) C’était pour la paix ? C’est plutôt louable, comme intention… Justine : Tu veux bien m’aider, Serpillière ? Serpillière : Tu plaisantes ? Justine : S’il te plaît s’il te plaît s’il te plaît !! Serpillière : Bon. Attends que je réfléchisse. Votre mariage provoque la bagarre. Normal, les gens heureux, ça rend jaloux… Justine : Je n’y avais pas pensé. Serpillière : Par contre, dans le malheur, on a tendance à se serrer les coudes. Si vous êtes morts tous les deux, les deux bandes vont se retrouver dans le même chagrin. Justine : Excellente idée !! Euh… C’est obligé qu’on meure ? Serpillière : Vous ferez semblant ! Ecoute, ça fait un moment que je fais des recherches sur une potion… Pour le boulot, tu vois… Histoire de faire encore plus pitié, je me suis dit que demander la charité pour les obsèques d’un ami, avec son corps dans les bras, ce serait très efficace. Cette potion, elle donne l’apparence de la mort, mais au bout de quelques temps, tu te réveilles comme s’il ne s’était rien passé. Tu bois cette potion, je vais prévenir Romuald, il « meurt » lui aussi. Tout le monde pleure, vous vous enfuyez, et hop ! Qu’est-ce que tu en penses ? 28 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Justine : D’accord. Donne, et va le prévenir ! (Serpillière lui donne la potion, puis court du côté des unijambistes. Justine contemple le flacon, prend sa décision et boit son contenu d’une traite. Elle ne sent rien au début, puis est saisie de convulsions. Elle fini par perdre connaissance et s’étaler au sol.)

29 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tableau Tableau 13 : Ah l’amour ! Justine, puis La Cigogne, puis Romuald, puis Serpillière, Serpillière, puis les bandes. (Justine est au sol. La Cigogne entre et la voit.) La Cigogne : Justine ? Justine ? Je viens te voir de la part de Romuald. Il s’est caché de l’autre côté de la cour des miracles. Il veut que tu le rejoignes. Il propose que vous partiez tous les deux pour l’Amérique, vous pourrez refaire vos vies là-bas. Tout le monde est riche, là-bas, à ce qu’il paraît. Alors ça va faire un paquet de pigeon à plumer ! Il veut t’expliquer ce qui est arrivé avec Théodore… Justine ? (Elle s’approche et cherche son pouls) Oh bon sang ! C’est pas vrai ! Romuald ! Romuald ! (Elle court dans une autre coulisse. Romuald entre par cette coulisse un petit peu plus tard.) (Les culs de jatte entrent, lentement, ils sont gênés.)

Romuald : C’est pas vrai ! Justine ! Justine ! Oh non ! Mais qu’est-ce qui t’a pris ? Pourquoi tu as fait ça ! On aurait pu s’en sortir, on aurait trouvé une solution ! (Il voit les culs de jatte.) Romuald : C’est de votre faute ! Vous avez voulu briser notre rêve, par bêtise ! Et voilà le résultat ? Vous êtes content de vous ? Vous êtes content ? Justine, je vais te rejoindre ! Je sais que tu n’aurais pas voulu, mais je ne continuerai pas à demander la charité sans toi. Je ne veux pas faire pitié pour de vrai, je ne veux pas de vrai chagrin ! Et là je ne pourrais plus jamais mentir sur ma souffrance. (Il crie) Est-ce que quelqu’un a du poison ? Personne ? Allons Messeigneurs, un peu de poison pour un chagrin d’amour dont je veux guérir ! La charité messeigneurs, une petite potion de poison pour un gros chagrin… (Aux Culs de jatte.) Vous en avez, vous ? Vous avez du poison ? Qui a du poison ? (Frotte Parquet lève la main, timidement.) Romuald : Toi ? Donne ! Donne-le-moi. (Il prend la fiole) C’est la première fois que je souffre vraiment. Je ne supporte pas. (Il boit la fiole, est pris de convulsions et s’effondre.) (Les culs de jatte s’approchent doucement. Justine se relève alors, en sursaut. Ils reculent en hurlant.) Justine : Ouah, quel cauchemar ! Plus jamais ça ! Je ne serai plus jamais morte, on fait des rêves terribles dans la mort ! (Aux culs de jatte) Ah, vous êtes là ? (Elle voit Romuald) Et toi aussi ? (Elle se rend compte qu’il est vraiment mort. Elle s’approche, récupère la fiole, la renifle. Regarde les culs de jatte.) Qui lui a donné ça ? (Le cul de jatte lève la main) Il t’en reste ? Frotte Parquet : Bien sûr, tiens (il lui donne une autre fiole, Justine la prend et la boit. Elle s’effondre.) 30 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


(Serpillière entre en courant. Il est essoufflé.) Serpillière : Romuald ! Romuald ! (Il voit les deux corps.) Oh non, trop tard ! Quel idiot ! (Il serre sa poitrine, tout à coup, pris d’une crise cardiaque, il tombe au sol.) (Les unijambistes entrent et voient la situation.) Les unijambistes : Romuald ! Justine ! Oh non ! (Ils s’effondrent tous au sol, une épidémie de crises cardiaques) (Les culs de jatte se mêlent aux cadavres, se déplacent au milieu de l’hécatombe. Puis ils se regardent entre eux, haussent les épaules et s’effondrent tous.)

31 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Tab 14 : Ah la mort. Tous. Le patron se relève. Patron : Oh attendez ! Ça ne peut pas finir comme ça ! Tous : Pourquoi ? Patron : Elle est nulle cette mort ! On est mort n’importe comment ! C’était pas propre ! On recommence ! Ça manque de spectaculaire ! Qui sait faire ? Vas-y montre. Non, manque d’entrain ! Trop timide ! À toi ! Non c’est nul ! A toi ! Ah bah voilà, du lyrisme ! De la poésie ! Tous ensembles, vous êtes prêt ? Trois quatre !

Danse

Noir. Rideau.

32 La cour des miracles, gmoraine@gmail.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.