Service compris. De Guillaume Moraine
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Personnages :
Antoine Minnie Daisy Gustave / Client qui cherche son chemin Guide Michelin / Le guide des touristes. Inspecteur services de l’hygiène Marie-Angélique / Touriste 1 Charles-Antoine / Touriste 2
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Acte 1 Antoine entre tranquillement, il marche sur la scène, serein, il regarde tout, respire profondément, comme s’il se trouvait dans l’endroit le plus tranquille du monde. Il fini par se placer en avant-scène en souriant. Puis, sans prévenir, il se met à hurler :
Antoine (en avant scène, il crie sans se retourner, il se contente de grands mouvements de bras pour donner ses ordres) : Allez ! Allez ! Allez ! Au boulot les gars ! Au boulot on a pas une minute à perdre ! Qu’est-ce que c’est que cette bande de fainéant ! Mais qui m’a fichu des paresseux pareils ! Allez ! On brique ! On nettoie ! On installe ! Dressez les tables ! Nettoyez les vitres ! Vérifiez les ampoules ! Je veux que ça brille comme au premier jour ! Je veux que ce soit aussi propre que dans un hôpital ! Je veux que les gens se sentent sales en entrant ici ! Je veux ! Je veux !
Pendant qu’il crie, le reste de l’équipe du restaurant, Daisy, Minnie et Gustave se mettent à nettoyer toute la scène, passer le balai, le chiffon… en répondant « oui, chef ! » à chacun des ordres d’Antoine. Ils finissent par s’habiller, qui en uniforme de serveuse, qui en uniforme de cuisinier, et on apporte la veste d’Antoine. Ils se mettent en rang.
Antoine : Très bien, mes petits soldats ! Nous sommes fin prêt pour l’ouverture ! Alors attention ! Ce soir je veux que ce soit parfait ! Je veux que vous laissiez tous vos petits défauts au vestiaire ! Minnie ! Minnie : Oui, Chef ! euh … Oui, Antoine ? Antoine : Ce soir, hors de question que tu fasses ta bavarde avec les clients ! Ils ne doivent pas manger froid ! Minnie : Ah bah moi je veux bien, mais le truc c’est que l’autre fois en fait c’est Régis, Régis c’était le client oui il m’avait donné son prénom c’est mignon non ? Enfin bref c’est lui qui a commencé à me poser des questions sur le métier, moi je suis polie, d’ailleurs ma mère m’a toujours dit que j’étais extrêmement polie, elle le disait à tout le monde au village : « regardez ma petite Minnie, comme elle est polie, elle répond toujours aux gens quand ils lui posent une question ! » Elle a toujours été très fière de moi, ma mère. Quand j’avais cinq ans, le jour ou j’ai réussi à faire du vélo sans les petites roues eh bien elle a été tellement fière que …
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Antoine (Qui cherche à l’interrompre) : Minnie ! Minnie ! MINNIE !! C’est ça que je ne veux pas que tu fasses ! D’accord ? Minnie : Ben d’accord mais ma mère, quand même… (Antoine lui fait les gros yeux, elle se tait immédiatement et serre les lèvres.) Antoine : Gustave, ce soir tu te contentes de cuisiner ce qu’il y a au menu ! Pas d’improvisation, juste ce que les clients te demandent ! Gustave : Antoine, je suis désolé, mais tu assassines tout mon potentiel de créativité ! Antoine : Faire un plat avec une carotte crue, un reste de rôti et un yaourt périmé, ce n’est pas de la créativité, c’est une tentative d’assassinat ! Minnie : Je trouve que Gustave a raison, parce que… (Antoine lui refait les gros yeux, Minnie se tait à nouveau.) Antoine : Daisy, quant à toi… (Il devient tout gentil) Ne change rien, tu es parfaite ! Les deux autres : Ah ouais super ! Ils applaudissent Daisy : Oh c’est bon ! Antoine, arrête un peu de t’angoisser comme ça, ça va très bien se passer ! Antoine : Très bien se passer ? Très bien se passer ? Vous savez parfaitement que ce soir nous avons… (Les trois autres finissent les phrases d’Antoine, comme si c’était la centième fois qu’il les répétait.) Gustave : … La visite de l’inspecteur du guide michelin. Antoine : Et qu’il est indispensable… Minnie : Que nous conservions notre deuxième étoile. Antoine : Parce que sinon… Daisy : On va mettre la clef sous la porte. Antoine : C’est pas… Minnie : Comme si on avait tellement de clients… Gustave : Qu’on pouvait se permettre… Daisy : De faire des grimaces aux critiques gas-tro-no-mi-ques ! Antoine : Eh bien puisque vous le savez si bien ! Faites votre travail ! (Antoine sort, les trois autres restent sur place et le regardent partir.)
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Gustave : Il est super stressé ! On est si mauvais que ça ? Daisy : Mais non ! Enfin Minnie peut-être… Minnie : Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? Daisy : Moi ? Rien du tout ! Antoine (de loin) : On ouvre les portes ! Ils se mettent à courir pour se placer, font se baisser la lumière, et lancer la musique douce. Puis se tiennent droit, près à recevoir.
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Acte 2 (Deux clients entrent, ils sont extrêmement bien habillés. Très chics, très « bourgeois ». Ils entrent en se disputant. Et enlèvent leurs manteaux, attendant que quelqu’un vienne les chercher) Marie-Angélique : Et je vous garantis, mon ami, que si vous ne changez pas d’attitude devant ma chère mère, à qui je dois tout, tout cela pourrait très mal se terminer ! Charles-Antoine : Marie-Angélique ! Cela fait bien longtemps que vous me torturez les tympans avec ces mêmes menaces ! Votre mère est insupportable, je le maintiens ! Elle ne trouve rien de bon à tout ce que je fais ! Elle passe son temps à vous donner des conseils sur le meilleur moyen de me rendre la vie impossible ! Que ce soit ma façon de manger, ou les gens que je fréquente ! Marie-Angélique : Et a-t-elle tort ? Charles-Antoine : que faites-vous donc qui vaille l’intérêt que l’on s’y attarde ? Charles-Antoine : Ma chère ! Au moins ce qu’il faut pour vous offrir le restaurant le plus chic du quartier, le plus cher et le plus réputé ! De plus je n’ai jamais compris en quoi l’avis de votre mère avait une quelconque importance dans notre vie privée ! J’ai l’impression de vous avoir épousées toutes les deux ! Marie-Angélique : (qui n’a pas écouté la fin) L’argent ! Toujours l’argent ! Il n’y a pas que l’argent qui impose le respect ! (criant) Et est-ce que quelqu’un va enfin venir nous débarrasser de ces manteaux ? Minnie : Oh bien sûr messieurs dames ! Je vous en prie ! Je les mets tout de suite au vestiaire ! (elle sort) Marie-Angélique : Ce n’est pas trop tôt ! Ils doivent être effectivement réputés pour se permettre de laisser des clients jouer les patères ! Charles-Antoine : Marie-Angélique ! Pas de scandale, par pitié ! Tâchons de passer une soirée agréable ! Pour une fois que votre mère a la grippe et qu’elle ne peut pas nous accompagner, je voudrais en profiter un maximum ! Laissons-là où elle est ! Daisy : Si vous voulez bien me suivre jusqu’à votre table… Marie-Angélique : Mais regardez-moi ces tenues ! Ces uniformes sont d’un ennui ! Totalement passés de mode ! Je veux bien croire qu’il faille respecter les traditions ! Mais de là à habiller les serveuses en femmes de ménage ! Et le respect de la femme, alors ! Daisy : Oh vous savez, moi ça me convient très bien !
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Marie-Angélique : Je ne vous ai pas parlé à vous ! Non mais regardez, Charles-Antoine : aucune tenue, aucun style ! Elle n’a pas fait l’école d’hôtellerie, ça se voit tout de suite ! Encore une provinciale perdue dans Paris, sans éducation ! (Daisy va chercher la carte) Charles-Antoine : Vous me gênez ! Cessez de martyriser cette pauvre jeune fille ! Vous ne pouvez pas ouvrir la bouche sans être désagréable avec les gens ? Hier c’est le garagiste qui avait les mains trop sales, le boulanger qui avait le visage trop couvert de farine ! Vous êtes fichue de trouver que les oiseaux volent trop ! Ce n’est pas la serveuse que nous allons manger ce soir ! Marie-Angélique : Encore heureux. Elle est beaucoup trop maigre ! Et s’il n’y avait que les tenues ! Non mais regardez-moi cet endroit ! Charles-Antoine : Comment ça ? Je le trouve très bien, moi, ce restaurant. Intime, tamisé, authentique ! J’aime beaucoup ce côté auberge de campagne. On se sent tout de suite chez soi. Marie-Angélique : Evidemment, vous n’avez aucun goût ! Ces murs sont de travers ! Ce lustre est poussiéreux ! Les peintures s’écaillent aux entournures ! La musique m’ennuie et me donne juste l’envie d’aller me coucher ! Charles-Antoine : Ah vraiment ! Vous êtes aussi insupportable que votre mère ! On ne peut pas nier que vous soyez de la même famille ! Marie-Angélique : Qu’avez-vous dit ? Charles-Antoine : Rien, rien du tout… Je commence à avoir faim, moi… je pourrais avaler un bœuf entier ! Marie-Agélique : (tout d’un coup, elle voit le public, elle s’approche, scrute, recule : elle observe une peinture.) Charles-Antoine ! Regardez-moi cette horreur ! Quelle idée d’habiller un mur entier avec cette fresque ! Tous ces personnages figés ! C’est d’un mauvais goût ! Si encore il s’agissait du couronnement d’un roi ! Charles-Antoine : (il regarde le public) Ah moi je ne la trouve pas mal, cette peinture… un peu rustique, peut-être, c’est sûr que ce n’est pas l’œuvre d’un professionnel, mais c’est ambitieux, les projets d’ampleur imposent le respect ! Marie-Angélique : Ambitieux ? Mais c’est une croûte, ils n’ont aucune expression, les vêtements sont d’un commun ! Sans doute un artiste de la région, qui ne pouvait pas régler son repas ! Daisy : Puis-je vous donner la carte ? (Ils vont se rasseoir.) Charles-Antoine : Eh bien, au moins nous n’allons pas mourir de faim. Vous allez voir, ma chère ! C’est pour son menu que l’on m’a recommandé ce restaurant ! Des plats originaux composés avec le plus grand soin ! Je m’en lèche les babines !
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Daisy : ce soir, nous pouvons vous proposer le plat du jour, une soupe d’ailerons de requins marinés dans une vinaigrette aux champignons. Avec en entrée, si vous le souhaitez… Marie-Angélique : Rien du tout ! Rien que le nom me donne la nausée ! Ramenez-nous nos manteaux ! (Minnie revient aussitôt, les manteaux à la main) Et indiquez-nous l’un de vos concurrents ! Un qui ne cherchera pas à nous empoisonner ! Daisy : Eh bien : il y a toujours le McDonald’s, en bas de la rue. Minnie : Juste après la station service. Marie-Angélique : Ah, un écossais, très bien ! Eux ils savent recevoir ! Venez, CharlesAntoine ! (Elle sort, Charles-Antoine enfile son manteau en soupirant) Daisy : Monsieur ? Charles-Antoine : Oui ? Daisy : Bonne chance ! Charles-Antoine : Oh, vous savez, mademoiselle, il ne s’agit plus de chance, après tant d’années de mariage ! C’est la force de l’habitude ! J’ai de la chance quand sa mère a la grippe ! Ou quand elle, elle perd la voix. Le reste, c’est la force de l’habitude… La force de l’habitude… Et puis il me reste mes copains… enfin, quand elle ne m’empêche pas de les voir. Au revoir mesdemoiselles… Au revoir… (Il sort, boudeur, Minnie et Daisy lui font au revoir de la main) (Antoine entre) Antoine : Qu’est-ce que j’entends, on a déjà des clients ? Et pourquoi vous restez là debout, toutes les deux ? Et où ils sont d’abord ? Daisy : Finalement, ils ont décidé de changer de restaurant. Minnie : Ils ont été impressionnés par notre sophistication ! Ils préféraient le Macdo’ ! Antoine : Je rêve ! Vous les avez fait fuir, j’en suis sûr ! Daisy et Minnie : Mais non ! Antoine : Je vous préviens que le prochain client a intérêt à passer la plus belle soirée de sa vie ! Sinon c’est vous qui finirez au snack ! Dans les odeurs de fritures ! Daisy et Minnie : On fera de notre mieux, Antoine, c’est promis !
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Acte 3 (Un client entre, rapidement, Daisy, Minnie et Antoine se jettent sur lui) Le client égaré : Bonsoir, messieurs dames ! Excusez-moi, est-ce qu’il serait possible ? Antoine : Mais bonsoir monsieur ! Evidemment que ce serait possible ! Daisy : c’est un plaisir de vous recevoir dans notre modeste restaurant ! Antoine : Un honneur ! Daisy : Vous ne serez pas déçu du service ! Minnie : Je peux prendre votre manteau ? (Le client cherche à échapper à leurs bras, ils le poursuivent, presque pour lui faire des câlins) Le client : Eh bien en fait, c’est que j’ai un problème ! Antoine : Vous avez faim ! C’est un problème que nous pouvons résoudre ! Daisy : Et le café vous sera offert, bien entendu ! Le client : Mais attendez… Minnie : Votre manteau, monsieur ? Antoine : Nous sommes le meilleur restaurant du quartier ! Le client : Je n’en doute pas ! Daisy : Notre cuisinier s’est formé chez les plus grands ! Le client : Il a bien de la chance ! Minnie : Et je m’occupe très bien des manteaux ! Le client : Vous en avez l’air ! Antoine : Allons monsieur ! Je suis sûr que notre menu va vous plaire ! Des viandes ! Des poissons ! À toutes les sauces ! Le client : C’est alléchant, mais… gmoraine@gmail.com
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Minnie : Votre manteau ? (Un second client entre, tranquillement, austère, il observe autour de lui.) Le second client : Excusez-moi… Antoine : (au second client) Un instant je vous prie. (Au premier) Et nos desserts ! Laissezmoi vous parler de nos desserts ! Le premier client : Je n’ai pas le temps ! Je viens vous demander comment rejoindre l’autoroute ! Le second client : Excusez-moi, je voudrais… ! Daisy : Oh vous ! Soyez patient ! Vous n’êtes pas seul au monde ! Le second client : Pardon ? Antoine : C’est vrai, quel manque de politesse ! Le second client : Pardon ?! Minnie : Votre manteau !!!!! (Elle hurle. Tout le monde se tait.) Votre manteau, s’il vous plaît. Antoine : Minnie. Monsieur ne veut pas dîner, il vient demander son chemin. Minnie : Oh… Daisy : Celle-là alors… bon, pour l’autoroute, vous sortez de la rue, et vous tournez à gauche jusqu’au stop… Antoine : Mais non, le plus simple c’est encore de couper à travers le petit bois, derrière la boulangerie ! Le premier client : La boulangerie ? Minnie : Mais oui, après le bois, vous suivez la direction du lac, tout droit, et vous y êtes ! Daisy : Mais non, c’est en travaux, à cet endroit ! Le second client : Je commence à m’impatienter ! Antoine : Ah vous ! Où vous croyez-vous ? Nous sommes en train de renseigner monsieur ! Nous nous occuperons de vous après ! Peut-être ! Mais il va falloir changer d’attitude !
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Le second client : Alors ça c’est gonflé ! Daisy : Pas de grossièreté, je vous prie ! Minnie : Alors le plus simple, c’est tourner à droite après la boulangerie, et de reprendre par le domaine du Père Mathieu. Antoine et Daisy : C’est le mieux. Le premier client : Très bien, eh bien merci beaucoup messieurs dames. Au revoir. Ah oui, et au fait ! Votre peinture, là (il montre le public), c’est un peu osé, mais j’aime bien. Peutêtre que si elle n’avait pas l’air aussi… figée. Les vêtements des personnages manquent un peu de couleurs… et ils ont l’air d’avoir trop chaud… Mais sinon c’est pas mal du tout. Bon eh bien au revoir. Tous les trois : Au revoir ! (Le premier client sort, ils se tournent vers le second client) Minnie : Bon à vous. (Elle avance vers lui, menaçante, puis tout sourire :) Votre manteau ? Le second client : Je ne suis plus tout à fait sûr de vouloir rester ici ! Antoine : ça nous importe peu ! Nous n’avons rien à faire avec des clients malpolis ! Le second client : Vous croyez ? Vous n’avez pas l’air d’être surchargés de travail, pourtant ! J’ignore ce que vaut votre cuisine, mais votre accueil est déplorable ! Vous harcelez les clients, vous les négligez ! Votre musique d’ambiance est déprimante ! Et ce tableau ! Ce tableau ! Je suis désolé, mais il casse toute envie de dîner ici ! On ne peut pas passer un repas avec l’impression d’être observé, comme ça par deux cents personnes ! En plus il n’est pas du tout réaliste ! Daisy : Votre avis ne nous intéresse pas. Le second client : Tiens donc ? Antoine : Elle a raison, vous avez l’air bien sûr de vous pour critiquer notre restaurant ! Je ne vous salue pas ! Le second client : C'est-à-dire que c’est un peu mon métier. Antoine : Pardon ? Le second client se présentant : Jules Billard, critique gastronomique pour le guide michelin. Et je vous remercie : ça a été l’inspection la plus croûte de ma carrière. La plus courte, je veux dire, ma langue a fourché à cause de cette peinture… Antoine : Le guide michelin.
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Le second client : Lui-même. Et je ne vous salue pas non plus ; messieurs dames ! (Il s’en va) (Ils restent tous, abasourdis, sans bouger.) Antoine : (tout petit) monsieur…
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Acte 4 (Ils se regardent, tous les trois. Leur monde s’effondre. Un troisième client entre. Il est tout sourire au début, mais ils le regardent avec méfiance. Ils s’attendent à ce qu’une nouvelle catastrophe leur tombe dessus.) L’inspecteur de l’hygiène : Bonsoir, messieurs dames. (Personne ne répond) Je voudrais savoir, si ce serait possible. (Personne ne répond, tout ce qu’il dit tombe dans le vide) J’arrive au mauvais moment ? Vous êtes fermés ? C’est que j’aurais besoin qu’on m’accorde un peu d’attention… (Il regarde autour de lui, observe les murs, le plafond, le public.) J’aime bien, cette musique, c’est paisible… on se croirait dans un salon, un soir d’hiver avec un feu de cheminée… (Personne ne répond, il est gêné d’être ainsi observé) Et cette peinture, très intéressante ! Je ne suis pas un grand amateur d’art… mais je dois avouer qu’elle me plaît beaucoup… tous ces personnages… on a l’impression qu’ils attendent quelque chose de nous, qu’ils nous écoutent attentivement… On pourrait presque les voir bouger… Très réaliste ! Antoine : Vous n’avez rien contre la décoration ? L’inspecteur de l’hygiène : Ce n’est pas vraiment mon problème, la décoration… je dirais même que c’est accessoire. Daisy : Et la musique ne vous déplait pas, c’est vrai ? L’inspecteur de l’hygiène : Oh vous savez, quand je suis dans un restaurant, j’aime être dans une ambiance calme… on s’énerve tellement facilement… Minnie : Et le tableau, vous l’aimez ? L’inspecteur : Je viens de le dire. Antoine : Vous n’êtes pas inspecteur au guide Michelin, au moins ? L’inspecteur : Oh que non ! Pas au guide Michelin ! Quelle drôle d’idée ! (Ils soupirent tous de soulagement) L’inspecteur de l’hygiène : (il change d’humeur, sort une paire de gants qu’il enfile aussitôt) Par contre, je suis inspecteur aux services de l’hygiène, et je viens contrôler votre restaurant, pour vérifier que tout est conforme ! Qu’il n’y a aucun risque pour vos clients ! gmoraine@gmail.com
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Tous les trois : Quoi ? L’inspecteur de l’hygiène : Exactement ! Je vais vérifier toutes les pièces de votre établissement ! Je vais fouiller jusqu’au plus petit recoin de cet endroit ! Et il y a intérêt à ce que je ne trouve aucune poussière ! Aucun parasite ! Pas le moindre reste de fromage dans un coin ! Tous les trois : C’est un cauchemar ! L’inspecteur de l’hygiène : Mais non, un simple contrôle de routine ! Tout devrait bien se passer, si vous n’avez rien à vous reprocher ! (Gustave entre.) Gustave : Dites ! J’ai une idée pour un nouveau plat ! Vous croyez que je peux utiliser la boîte d’œufs qui traînent depuis trois mois derrière le frigo ? L’inspecteur de l’hygiène : Ca tombe très bien ! Je vais commencer par la cuisine ! Gustave : C’est qui, celui-là ? L’inspecteur : Celui-là, c’est l’inspecteur de l’hygiène, et je vais vérifier que vous utilisez bien des produits frais dans vos recettes ! Gustave : Vous me prenez pour un amateur, Monsieur ? L’inspecteur : Non, Monsieur ! Je vous prends pour ce que vous êtes : un cuisinier suspect ! J’espère que votre vaisselle est correctement lavée ! Et que je ne trouverai rien de périmé dans vos ingrédients, Monsieur ! Gustave : Vous me traitez d’empoisonneur, monsieur ? L’inspecteur : Le devrais-je, Monsieur ? Gustave : Nous n’allons pas nous entendre, Monsieur. L’inspecteur : Je ne suis pas payé pour me faire des copains, Monsieur. Montrez-moi la cuisine, je vous prie. Monsieur. Gustave : Après vous. Monsieur. (L’inspecteur entre en cuisine, Gustave se tourne vers Antoine) Antoine, je crois que ça ne va pas très bien se passer. Antoine : Au point où on en est… (Antoine s’assied par terre, déprimé. Les deux autres le regardent. Puis cherchent à le consoler.)
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Acte 5 (Un homme entre, un guide touristique. Il est d’abord étonné. Il a peur de déranger.) Le guide : Bonsoir, c’est ouvert ? Je sais que j’aurais du réserver, mais je suis avec un car de touristes, et on ne savait pas trop où on allait s’arrêter pour manger… vous avez toujours des tables de libres ? Ils ont sacrément faim ! Les touristes frappent à la porte, énervés. On les entend crier de l’extérieur. Le guide : Excusez-moi, serait-il possible qu’on s’occupe de nous ? Parce que là j’ai peur qu’ils s’énervent vraiment ! Des touristes affamés, y a pas pire ! Les touristes : Alors ! On y va ! On a faim ! On a faim ! Plus vite ! Sinon on mange le chauffeur ! Le guide : S’il vous plaît ! Moi je suis payé au pourboire ! S’ils ne sont pas contents, je ne serai pas payé ! Bon tant pis, on va chercher ailleurs… J’ai cru voir un Macdo un peu plus bas… Daisy : Attendez, Monsieur ! (À Minnie) C’est peut-être notre chance, on va sauver la soirée ! Monsieur, Bien sûr que nous pouvons vous recevoir ! Combien êtes-vous ? Le guide : Avec moi, on sera trois. Vous avez de la place ? Les touristes : On a faim ! À manger ! À manger ! Tout de suite à manger ! Daisy : Ils font autant de bruit que s’ils étaient vingt… Le guide : Des touristes, je vous dis ! Ça ira quand même ? Daisy : Bien sûr ! Allez les chercher ! Le guide : Merci ! Vous me sauvez ! (Il sort) Daisy (à Minnie) : C’est plutôt lui qui nous sauve ! Le guide (en coulisses) : On va pouvoir manger, mes amis ! Les touristes : AAAAHHHH !! Minnie : Antoine ! Tout va aller beaucoup mieux, maintenant ! (Antoine ne réagit pas.) Bon ne t’en fais pas, on s’occupe de tout ! Le guide : Et voici la troupe !
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Les touristes : 1 - AAAAhhhh ! Bah quand même, c’est pas trop tôt ! 2 - C’est pas une heure pour souper ! ça ! Ils ont des habitudes bizarres, ces gens ! 1 - Que voulez-vous ? Il n’y a que chez soi qu’on est vraiment bien ! 2 - Moi j’aime bien quand même, c’est dépaysant ! Et vous avez entendu leur façon de parler ? 1 - Oh oui ! J’adore ! C’est tellement exotique ! 2 - Et regardez ce tableau ! Tous - OOOOOhhh ! 1 - Bah dis donc ! 2 - C’est de l’art régional, ça ! Vous avez vu ces vêtements ? Ils n’ont pas de magazine de mode par ici ? 1 - Et ces coiffures ! Les femmes, surtout ! On dirait qu’elles sortent juste du travail ! 2 - C’est peut-être le cas ! Ce ne sont pas des modèles professionnels ! 1 - Ça se voit tout de suite ! 2 - Par contre le peintre n’aimait pas la lumière ! Ce qu’elle est sombre cette toile ! 1 - C’est pour donner un effet tamisé, sûrement ! Minnie : Mesdames et messieurs, bonsoir. Puis-je prendre vos manteaux ? Ma collègue va vous conduire à votre table. (Les touristes enlèvent leurs manteaux et les jettent au visage de Minnie.) Le guide : Excusez-les, la faim leur fait faire n’importe quoi ! (Les touristes se regroupent autour d’Antoine, qui ne bouge toujours pas.) Les touristes : 2 - Et là, regardez ! Une statue de cire ! 1 - Oh c’est d’un goût ! Je n’aime pas du tout ! Je n’aimerais pas manger avec ça à côté de moi ! 2 - Oh ce n’est jamais qu’une bougie géante ! Après tout l’important c’est ce qu’il y a dans l’assiette ! 1 - Vous la trouvez réaliste, vous, cette statue ? 2 - Oh moi, vous savez, l’art contemporain ! Antoine : (il se relève brutalement) Mais vous allez me laisser tranquille, oui ? Tous : Aaaahhh ! 1 - Elle est super réaliste, cette statue ! Antoine : On est vraiment obligé de les recevoir, ces zouaves ? Daisy : Si tu veux garder le restaurant ouvert : oui ! Antoine : Mais là on touche le fond ! Le guide : Ecoutez ! Donnez-leur à manger, ils payent et bonsoir ! Plus vite ils seront servis, plus vite ils seront partis ! (Il prend Antoine à part et cherche à le convaincre en chuchotant)
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Les touristes : 2 - Bon, alors, Qu’est ce qu’on mange ? Moi je pourrais avaler une vache ! 1 - Un éléphant ! 2 - Tout le troupeau ! 1 - Mais avec des frites ! Tous - Ah ça oui, avec des frites ! Et de la bière ! Minnie : Eh bien, messieurs dames, ce soir en plat du jour, nous pouvons vous proposer une soupe d’aileron de requin, marinée dans une vinaigrette aux champignons, servi sur sa feuille de laitue. Les touristes : Tant qu’il y a des frites. 2 - Et de la bière ! Minnie : eh bien, en fait, la soupe est accompagnée d’une jardinière de légumes verts, avec une eau gazeuse, pour bien faire ressortir le goût de la laitue. Les touristes : Avec des frites ! 1 - Et de la bière ! Minnie : Oui, oui bien sûr… Et en dessert, un clafouti à la cerise nappé d’une confiture d’abricot. Un régal ! Les touristes : Avec des frites ! 2 - Et de la bière ! Daisy : mais arrêtez avec vos frites ! Et votre bière ! On n’a pas de frites ! Minnie : Ni de bière, d’ailleurs… Les touristes : Quoi ? 1 - Pas de frites ? 2 - Pas de bières ? 1 - C’est un scandale ! Un véritable scandale ! 2 - Qu’est-ce que c’est que ce restaurant ! 1 - On ne veut pas de vos plats bizarres ! 2 - On veut manger correctement ! 1 - Oh j’ai faim ! Je veux des frites ! 2 - De bonnes grosses frites bien grasses ! 1 - Noyées dans la bière ! Antoine : Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? Le guide : Allons, calmez-vous ! Quel est le problème ? Les touristes : Ils n’ont pas de frites !!!
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Antoine : Mais c’est un restaurant gastronomique, ici ! On ne sert que des recettes travaillées, originales, qui… Les touristes : pas de friiiiiiites ! Antoine : Je vais craquer ! (L’inspecteur est jeté de la cuisine. Gustave le suit de près.) Gustave : Hors de ma vue ! Fouineur ! Grossier personnage ! Sortez d’ici ou je vous rôtis ! L’inspecteur : Ah ça vous allez entendre parler de moi ! Cette cuisine est une honte ! On a jamais vu ça ! Je vais vous faire fermer, moi ! Vous allez voir ! Gustave : Vous n’y connaissez rien. Chaque chose dans cette cuisine est à sa place, et est utile à ma cuisine ! L’inspecteur : Les rats aussi, ils sont utiles ? Gustave : Oui, ils font partis d’une nouvelle recette que je viens de créer ! Servis en papillotes, les rats sont délicieux ! L’inspecteur : Et les cafards, aussi, vous avez une recette, sans doute ? Pourquoi pas en brochettes ? Gustave : Oh ça c’est une excellente idée ! Avec des poivrons ! Et le tout gratiné au four ! L’inspecteur : (à Antoine) Monsieur, je vais faire un rapport sur votre établissement ! Attendez-vous à devoir mettre la clé sous la porte ! (à Gustave) Quant à vous, espèce de brute ! (Gustave s’approche en le menaçant, l’inspecteur s’enfuit) Au secours ! Gustave : Antoine, alors comme ça, sous prétexte qu’il y a des rats et des cafards, parce que les œufs sont verts et que les poissons sentent mauvais, on est pas un bon cuisinier ? Les touristes : 2 - OOOhhh 1 - Quelle horreur ! 2 - Je vais vomir ! 1 - Allons-nous-en ! Allons-nous-en ! (Ils sortent, nauséeux) Le guide : Bon, ben, merci de nous avoir reçus ! (Il court rattraper le groupe de touristes)
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Acte 6 Ils se retrouvent tous les quatre, dans le silence le plus complet. Minnie a toujours les manteaux dans les bras. Minnie : Ils ont oublié leurs vêtements, qu’est-ce que j’en fais ? Gustave : fais les poches ! On aura peut-être pas perdu notre soirée ! Pas de gentillesse avec ces sauvages ! Antoine : Tu crois que tu pourrais nous préparer quelque chose à manger, Gustave ? Gustave : Mais bien sûr ! Pas de problème ! Je vais voir si je peux attraper quelques cafards ! Vous n’avez rien contre les poivrons, au moins ? Antoine : Minnie ! Minnie ! Mais arrête de fouiller ces manteaux, et essaie de les rattraper pour les leur rendre ! Minnie : Tout de suite, Patron ! Daisy : Bon, et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Antoine : On trouve des cartons, et on emballe ! Que veux-tu qu’on fasse ? Daisy : Il faut qu’on rebondisse, Antoine ! Il nous faut trouver le moyen de continuer à travailler sans prendre de risque ! Antoine : Eh bien, pour ça ! Il faut se passer d’idées originales, de cuisinier, et il ne faut servir que des frites ! Là on ne risquera rien ! (Ils se regardent, ils ont la même idée ensemble) Antoine et Daisy : On va ouvrir un macdo’ !!! Gustave : (entrant) Qu’est-ce que j’entends ? On va ouvrir un macdo’ ? Mais j’ai des idées géniales ! Ça c’est un projet qui me plaît ! Imaginez : des cafards nuggets ! Le raton giant ! Le
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double royal cafard ! La glace au rat avec pépites de chocolat ! ! Des brochettes de cafards frites dans la graisse de rat ! Une salade de gésier de rat sur son lit de cafards ! Antoine : Gustave ! Gustave ! Gustave ! Minnie : (revenant) Mais oui ! En plus ma mère disait toujours qu’il fallait surfer sur le courant de la mode, elle était très intelligente ma mère ! D’ailleurs tout le monde dit que je lui ressemble, y a qu’à voir comme je suis intelligente, moi-même ! Alors un macdo’ oui, c’est une bonne idée mais il va falloir voir pour les tenues parce que celles-là elles n’iront pas c’est sûr… Daisy : Minnie ! Minnie ! Minnie ! Antoine et Daisy : Gustave ! Minnie !
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