Télé, chère télé… De Guillaume Moraine
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Personnages :
Geronimo / Bernadette / Jacques Cochise / La voix / Pierre Sitting Bull / Edith Pocahontas / André / Sylvie / Kirikou Cheval fou / Catherine / Jean Juju / Bill Le directeur Rex Médor Rocky
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Acte 1 ; Téléspectateur Téléspectateur n°1 Plusieurs personnes sont assises en cercle, c’est une réunion. Elles discutent en chuchotant. L’une d’entre elles se lève, s’éclaircit la voix et prend la parole. Geronimo : Bonjour, je m’appelle Geronimo. Tous : Bonjour, Geronimo ! Geronimo : Voilà, c’est vrai que ce n’est pas facile à avouer, mais, moi aussi, je suis complètement accroc à la télévision. Ils applaudissent tous, poliment. Geronimo : Je regarde la télé. J’ai toujours regardé la télé. Toute la journée, toute l’année, et je n’arrive pas à m’arrêter. Tout petit déjà j’adorais ça. Mes parents allumaient le poste, et moi je me retrouvais embarqué dans ce merveilleux univers, auquel je ne comprenais rien. Je n’étais qu’un bébé, alors les infos, la bourse, la publicité… ça n’avait aucun sens pour moi. Mais par contre, toutes ces images, ces couleurs, ces sons ! Ça clignotait sans arrêt sur l’écran, j’en avais plein les yeux et les oreilles, c’était noël tous les jours, pour moi ! Et je n’ai jamais arrêté depuis. J’ai grandit avec elle, et c’est avec elle que j’ai appris à marcher, à parler, à rire… C’est avec elle que j’ai appris à respirer. Aujourd’hui, je regarde la télé comme je respire. Par réflexe. Je ne me pose plus de question. J’inspire : je prends la télécommande. J’expire : j’appuie sur « ON ». J’inspire : je m’assoie sur le canapé. J’expire : c’est le sourire de plaisir qui vient aussitôt, avec la première image, une pub, une série, un film… Comme une grande gorgée d’eau un jour de canicule. Au cours du monologue de Geronimo, les autres hochent la tête, disent « oui », « moi c’est pareil », « je connais »… comme pour ponctuer ses propos. Geronimo : Je ne rate rien ! Je dors avec la télé, je me lève avec la télé, je mange, je travaille avec la télé ! J’aime tout ce qu’elle peut m’offrir, les dessins animés, les émissions culinaires, les infos, les séries policières, j’avale tout ! Quand je serai grand, je ferai des études de commerce et j’irai travailler dans un magasin de Hi-Fi, d’électroménager… et je demanderai à être au rayon Télévisions et jusqu’à la retraite, ou jusqu’à la fin de mes jours, je serai installé face à vingt écrans de télé qui diffuseront vingt programmes différents en même temps ! Et là ! Là ! J’aurai un aperçu du paradis ! Geronimo s’arrête pour reprendre son souffle. 3 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Tous : Ouais, ouais ! Je connais ! Il a raison ! C’est exactement ça ! Ce n’est vraiment pas facile ! Je vis la même chose… Geronimo : Il y a juste un truc. Pas grand-chose, en fait, mais ça m’interroge. Ils se penchent en avant, pour entendre la confession, comme un secret. Geronimo : Voilà, il y a juste un moment, dans la journée, pas long, hein. Un petit moment où je ne regarde plus l’écran, où je quitte la pièce… C’est de six heures à sept heures. Juste une petite heure… Pas pour faire mes devoirs, pas pour voir mes amis… Même pas pour manger… C’est juste qu’à cette heure là, mais j’ai beau faire, eh bien je peux pas… c’est vraiment trop nul ce qui passe à la télé ! Nul ! Nul ! Nul ! J’ai beau être complètement accroc, je ne peux pas regarder un truc aussi nul ! Ce n’est pas possible ! Tous : Mais c’est vrai ! Mais moi aussi ! C’est la même heure ! Pas croyable ! C’est vrai que c’est complètement nul ! Cochise : Mais pourquoi est-ce qu’ils ne mettent rien de bien à 6 heures ?
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Acte 2 ; Chez le directeur n°1 Changement de lieu, nous sommes au dernier étage de l’immeuble d’une chaîne de télévision, dans le bureau du directeur. Le directeur entre, furieux, un papier à la main, il est suivi de ses trois conseillers. Le directeur : Comment c’est possible ? Comment c’est possible ? Dites-moi comment, avec tout notre argent, tout notre pouvoir, avec de beaux costumes et de belles voitures, alors que la vie nous sourit comme elle ne sourira jamais à personne d’autre, comment on peut en arriver à ça ! (Il montre le document) Oui vous là, mais braves petits chiens, mes petits conseillers ! Vous avez fait de grandes études ! Vous vous êtes fait des noms ! Vous êtes censés être les plus redoutables ! De vrais requins ! Combien vous en avez mangé, pour arriver au poste de conseiller du directeur de la plus grande chaîne de télévision de notre pays ? Les conseillers disent oui, à tout ce qu’avance le directeur, ils lui lèchent les bottes. Ils sont d’accord sur tout ce que dit le chef. Le directeur : Vos carrières doivent être recouvertes d’amis trahis ! D’épouses et de maris délaissés ! D’enfants que vous ne voyez plus ! De solitudes terribles les week-ends ! Vous êtes des héros dans notre profession, disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept pour notre chaîne ! Le S.A.V du conseil et des idées ! Et vous êtes grassement payés pour ça ! Je n’achète pas que vos compétences ! J’achète vos vies ! Ce n’est pas un contrat que vous avez signé, c’est un pacte ! Et vous l’avez signé avec vos larmes et votre sueur ! Vous vivez pour moi, vous mangez pour moi ! Alors comment est-il possible, avec des employés aussi dévoués que vous, que nous ayons des résultats aussi lamentables ! Sur la tranche horaire de six à sept, notre audimat est au ras des pâquerettes ! Personne ne nous regarde à cette heure là ? Pourquoi ? C’est la pause syndicale pour les téléspectateurs, ou quoi ? Médor : Mais monsieur, est-ce que c’est si grave que ça ? Il peut y avoir une petite perte d’audience passagère de temps en temps… Le directeur : Ces chiffres sont indiscutables, Médor : -20% depuis le début de l’année, et ça chute encore ! Ce n’est pas une « petite perte d’audience passagère », c’est une avalanche vertigineuse ! Et vous en êtes les responsables ! Rex : Toutes nos autres émissions battent des records… pourquoi s’inquiéter de celle-ci ? Il n’y a rien de parfait… Le directeur : Pourquoi s’en inquiéter, Rex ? Pourquoi s’en inquiéter ? Mais parce que si nous ne comblons pas les envies de nos spectateurs de six à sept, ils vont zapper ! Zapper, 5 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
vous entendez ! Et s’ils ouvrent la fenêtre à une chaîne concurrente, et que ça leur plait, il leur sera difficile de revenir chez nous, à sept heures ! Le téléspectateur est un fainéant, je vous dis ! La télé est comme une couette bien chaude et bien confortable, quand on est dedans, on est bien, on veut plus bouger ! Et il a raison ! C’est à nous de lui choisir la couette ! Quand on a attrapé le spectateur, il faut tout faire pour le garder bien contre soi, au chaud, en sécurité, bien serré comme ça, il faut lui faire des câlins pour qu’il ronronne de plaisir et qu’il n’ait pas envie de partir ! Un petit coup de froid de six à sept, et il change de couette ! On doit le bercer avec des émissions pleines de couleurs, de musique, avec des séries pleines d’action et d’humour ! Il ne doit pas lâcher l’écran ! Rocky : Sauf votre respect, monsieur le directeur, nous faisons de notre mieux pour satisfaire tous les téléspectateurs, c’est beaucoup de travail, et… Le directeur : Mais vous ne connaissez pas votre métier ! Vous ne devez pas chercher à satisfaire le téléspectateur, vous devez me satisfaire, moi ! Et vous n’êtes pas fichu de faire correctement votre travail ! Je dois être content de vous, avant tout ! C’est compris ? Tous : Oui, monsieur le directeur. Le directeur : Alors trouvez des solutions, et très vite ! Ou vous êtes tous virés, et je vous remplace par des marionnettes de conte de fée, des petites marionnettes très mignonnes ! Je suis sûr que le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon et la Mère-grand seront plus efficaces que vous : au moins, eux, ils me font rire ! Et c’est une qualité que vous n’avez même pas ! Médor ! Rex ! Rocky ! (ils se mettent au garde à vous) Trouvez-moi des idées. Et ce n’est pas une demande, messieurs, c’est un ordre ! Le directeur sort.
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Acte 3 ; Conseillers entre eux. Médor : il a dû passer une mauvaise nuit. Rex : Voire un mauvais week-end, pour être de sale humeur, comme ça ! Rocky : Après tout, on est quand même pas responsable de tout ce qui va mal dans cette boîte ! Médor : Ce n’est pas la première fois qu’il réagit comme ça, on est habitué à son caractère difficile. Rex : Rien qu’hier, il a renvoyé une secrétaire parce que le café n’était pas assez fort ! Rocky : Notre chaîne bat tous les records d’audience de la journée et de la nuit, nous sommes les premiers sur le marché, et plus de téléspectateurs, ça veut dire plus de publicité ! Médor : Et des publicités de plus en plus chères ! Rex : Et donc toujours plus d’argent, pour la boîte, pour le directeur, donc pour nous ! Rocky : Le directeur exagère, il veut qu’on en fasse plus, pour une heure d’audimat perdue dans la journée ! On sacrifie nos vies pour assurer les vingt-trois heures restantes ! Médor : Ces vingt-trois heures de télévision sont hors normes, incroyables, on ne trouve pas mieux au monde ! Et moi j’ai perdu dix kilos à les mettre en place. Rex : Mes émissions de jeu sont les plus efficaces au monde, les candidats gagnent des sommes d’argent astronomiques ! Et la chaîne gagne dix fois plus ! C’est une formule parfaite, et le public adore ça ! Mais qu’ils gagnent ! Ce sont des gens comme nous, ce sont nos voisins, nous pourrions gagner nous aussi ! Rocky : Mes reportages, mes documentaires, sont les plus passionnants de tout le paysage audiovisuel, on touche à chaque fois à des sujets de fond qui intéressent tout le monde, à l’actualité ! Et le spectateur à la sensation d’en savoir plus qu’avant sur le monde qui l’entoure, d’en ressortir plus intelligent ; et ça c’est agréable, confortable ! Ça c’est un excellent programme ! Médor (il est en train de lire les résultats d’audience) : Mes émissions de divertissements sont encore les plus regardées, sur la chaîne. Pas besoin que je défende mon travail, le téléspectateur le fait pour moi. Je bats vos jeux et vos reportages, et largement ! Vous vous compliquez la vie, quand le public a juste envie de se détendre après une dure journée de travail. De la musique, des stars de cinéma, des invités comiques… un peu de plaisir et de rigolade… c’est tout ce qu’on demande à la télévision, croyez-moi. 7 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Rex : Quoiqu’il en soit, le directeur a tort de nous mettre la pression, comme ça… Rocky : Notre travail est largement satisfaisant. Médor : Nous sommes indispensables à cette chaîne, il ne va pas nous virer comme ça. Rex : Alors il n’y a qu’à refuser de travailler plus encore. Rocky : Voilà, et qu’il décide de faire ce qu’il veut ! Nous ça y est, on a atteint notre limite. Médor : Ce n’est pas comme s’il pouvait ruiner notre carrière ! Rex : Ce n’est pas comme si il avait des amis très hauts placés en politique, et à la justice… Rocky : C’est pas comme si il pouvait détruire notre famille sur un coup de tête, avec de fausses accusations… Médor : Un contrôle du FISC… Rex : Du harcèlement policier… Rocky : Nous faire une réputation d’incompétents… (Ils se regardent, en prenant la mesure du danger qui plane au dessus de leur tête.) (En même temps, et en sortant de la scène, chacun de leur côté.) Médor : Bon c’est pas tout ça, j’ai du travail. Rex : Boulot, boulot, boulot ! Rocky : C’est que le temps passe, ça va pas se faire tout seul !
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Acte 4 ; Téléspectateur n°2. La réunion des spectateurs a repris, ils sont à nouveau assis sur leurs chaises, en train de parler tout bas. Cochise se lève pour prendre la parole à son tour. Cochise : bonjour, je m’appelle Cochise. Tous : Bonjour Cochise. Cochise : Voilà, comme Geronimo, et comme chacun d’entre nous ici, je suis accroc à la télévision. (Ils applaudissent poliment) Cochise : hier, de six à sept, il n’y avait rien de rien d’intéressant à l’écran, vous le savez, et il m’est arrivé un truc très étrange. C’est bizarre, je ne voudrais pas que vous me preniez pour un fou. Geronimo : On est là pour ça, Cochise, tu peux tout raconter : tu parles à des gens qui ont une télévision dans leurs toilettes ! Cochise : Oui, c’est vrai… eh bien, je m’ennuyais tellement, je me suis levé du canapé pour me dégourdir un peu les jambes. Après plusieurs heures à rester assis, c’est vrai des fois, on a plus de sang dans les pattes ! Alors en marchant dans le salon, comme ça, à un moment je suis tombé sur la bibliothèque de mes parents. Ce n’est pas une bibliothèque municipale, mais il y a quelques livres quand même. Je m’ennuyais tellement, à rien faire, que j’ai commencé à regarder les titres des livres. Y a un titre qui m’a semblé amusant… alors j’ai pris le livre, c’était bizarre, comme sensation… c’est tout petit, pas très lourd. Je l’ai ouvert et j’ai commencé à lire. Au début je survolais les phrases, je m’en fichais un peu, c’était pour m’occuper les mains, vous comprenez. Et puis une phrase a attiré mon attention et je l’ai lue en entier, et puis la suivante, et encore celle d’après, j’ai fini par m’asseoir parce que j’avais mal à la nuque. Et j’ai continué comme ça à lire l’histoire. Il y a des mots que je ne comprenais pas, mais en gros je pigeais ce que ça racontait. Enfin c’est pas le plus important… Ce que je veux dire, c’est que de fil en aiguille, ben j’ai lu pendant trois heures d’affilée ! Tous : Quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ? C’est pas possible, trois heures ? Incroyable ! Cochise : Trois heures, je vous jure, j’ai lu pendant trois heures, j’ai oublié de manger, mais c’est pas le plus grave : j’ai raté mon émission préférée ! Je n’ai jamais manqué ce rendezvous depuis que je sais que la télévision existe ! Je l’attendais, ce rendez-vous, avec impatience, fébrilement. 9 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
C’était presque un rendez-vous amoureux. Vous auriez raté un rendez-vous amoureux, vous ? Tous : Ben… peut-être… ça peut arriver… Cochise : A cause d’un livre ? Tous : Ah non ! Sûrement pas ! Pas pour un bouquin ! Un livre, comment tu écris ça ? Cochise : eh ben là, je l’ai raté, parce que je lisais… et en fait ça ne m’a même pas mis en colère… Sitting-Bull : Ce que tu racontes est très perturbant… Tu rates ton émission et ça ne te met pas en rogne ? Cochise : Ben non… On ne se doute pas à quel point le monde est compliqué…
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Acte 5 ; Chez le directeur n°2 Les trois conseillers sont dans le bureau du directeur, ils sont en train de se consulter pour savoir lequel d’entre eux va commencer à présenter ses idées, c’est une dispute chuchotée. Quand le directeur entre dans le bureau, ils se mettent au garde à vous. Le directeur : Alors, mes braves petits toutous, par lequel on commence ? Qui me montre les tours qu’il a appris à faire ? mmm ? Qui fait la culbute, qui donne la papatte ? Qui vient me faire des léchouilles pour me montrer combien il m’aime ? C’est pas tout ça, mais nous perdons toujours plus d’audimat de six à sept, -10% depuis hier. Ils doivent être encore deux ou trois, à tout casser, à regarder notre chaîne à cette heure là. Moi, j’ai dépassé le stade de la colère. Je deviens froid, comme un glaçon. Comme une avalanche de neige, j’écrase tout sur mon passage sans me poser de questions. Il va falloir me convaincre, gentils toutous, si vous ne voulez pas finir sous trois mètres de neige glacée. Médor et Rocky poussent Rex devant eux. Le directeur : Ah Rex, Rex, Rex… Allez mon petit, trouve-moi la solution miracle, qu’est-ce qu’on programme de six à sept pour rattraper l’audimat ? Rex : Eh bien, Monsieur le directeur, j’y ai réfléchit toute la nuit, et je crois avoir le programme parfait. Le directeur : Je m’en lèche les babines… et c’est ? Rex : Un jeu, monsieur le directeur. Le directeur : Nous avons déjà beaucoup de jeux… Rex : Oui, mais là c’est un concept tout nouveau ! C’est un jeu comme il n’en existe pas encore ! Imaginez ! Avant on laissait rêver le spectateur sur les cadeaux, l’argent qu’il y avait à gagner ! Plus le jeu était facile, plus le spectateur accrochait, parce qu’il connaissait toutes les réponses ! Tout le monde pouvait gagner les millions d’euros de la cagnotte ! La victoire était à sa portée ! Même si c’était quelqu’un d’autre qui gagnait, il savait qu’il aurait pu, lui aussi, dire combien font deux plus deux, ou quel roi s’est fait décapiter à la révolution ! Médor : Quatre ! Rocky : Louis XVI ! Le directeur et Rex les regardent, surpris. 11 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Médor et Rocky : Désolé. Rex : Mais je change le principe, on ne va plus lui faire miroiter des millions et des rêves de bateaux, de voitures, de villas… On va le rendre unique ! C’est un jeu aux règles super compliquées, presque incompréhensibles, qui va laisser le spectateur dans l’attente du miracle de la compréhension ! Il va rester accroché à l’écran, en essayant de deviner le fonctionnement de l’émission ! C’est le bon moment pour le faire, puisque aujourd’hui le spectateur est persuadé que les jeux sont super simples, il va rester pour chercher à comprendre ! Et le jour où, miracle, il aura capté le fonctionnement, il se sentira supérieur au monde. Il va pouvoir l’expliquer à ses voisins qui ne comprendront pas encore ! L’illusion d’être supérieur ! Voilà qui va le valoriser et le rendre fidèle à l’émission ! Il imite un spectateur Ah, bah, oui, je le connais bien ce jeu. Bien sûr que je connais les règles, mais c’est pas donné à tout le monde ! C’est du haut niveau, ça ! Il faut s’y connaître pour apprécier ! Le directeur : Intéressant. Rex : Pour le rire, et la détente, je mets une voix off, quelqu’un de très présent mais qu’on ne voit pas. Médor : Ca s’est déjà fait. Rex : J’admets, mais ça fait toujours son petit effet. Elle viendra se moquer des candidats, les déconcentrer, rendre le jeu plus difficile pour eux… On peut monter les enchères, comme ça ! Beaucoup plus d’argent à gagner, puisqu’ils ne gagneront pas souvent ! Ce sera l’événement quand on aura un gagnant ! Les questions, difficiles, cultivées… le téléspectateur doit se croire intelligent, comme devant un jeu de société dont on fini par connaître les réponses par cœur ! Les questions, elles tournent et elles reviennent, et à force le public retient les réponses ! Il imite un spectateur. Mais comment peut-on ne pas connaître la capitale de l’Ouganda ? Normalement. On le prend au sérieux le spectateur, avec l’illusion de l’intelligence ! Et là on le gagne et on le garde ! Et ce qu’on lui offre, il ne le trouve nulle part ailleurs ! Le directeur : Montre-nous ça, Rex ! Rex : Ca marche ! Au boulot !
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Acte 6 ; Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Le plateau télé du jeu se met en place à toute vitesse, trois candidats, trois pupitres et l’animateur. Un comédien reste en coulisse pour faire la voix off. Trois comédiens vont jouer les pupitres et imiter les bruits de klaxon. Rex : désolé pour le décor, Monsieur le directeur, mais en si peu de temps… J’ai été obligé de faire appel à des stagiaires pour la démonstration. Que le jeu commence ! La musique du jeu se lance, l’animateur entre sur scène, un micro à la main, sous les applaudissements des candidats. Juju : Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, bonsoir ! Je suis Juju Wisconsing, et bienvenue pour notre rendez-vous quotidien dans ce merveilleux univers de « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » ! Nos trois candidats sont prêts à relever les défis de ce soir, et nous verrons bien s’ils s’en sortent ou s’ils se perdent ! Tout d’abord notre gagnant depuis cinq semaines : André ! Bonsoir André ! André : Bonsoir Juju. Juju : Alors, André, vous allez bien aujourd’hui ? Vous croyez que vous allez encore rester parmi nous ce soir ? André : Je vais faire de mon mieux ! Juju : Vos adversaires ce soir : Catherine ! Bonsoir Catherine ! Catherine : Bonsoir, Juju ! Juju : On ne vous connaît pas encore, Catherine ! Catherine : Mais vous allez apprendre, Juju ! Juju : Oula ! Mais c’est une battante ! Et enfin Bernadette ! Bonsoir Bernadette ! Bernadette : Bonsoir Juju, bonsoir à tous ! Juju : Une belle partie qui s’annonce ! La voix est-elle là ? Allo la voix ? Tu es là ? La voix : Je suis là ! Juju ! Vous avez une mine épouvantable ! 13 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Juju : J’ai mal dormi, la nuit dernière… La voix : Vous avez toujours une mine épouvantable… Juju : Ok… bon, c’est parti, qui prend la main ? Pour le savoir, chers candidats, répondez à cette question : combien d’agents atomiques faut-il pour écrire un poème en japonais ? Les candidats appuient sur les buzzers. Juju : Catherine ? Catherine : je ne réponds pas, je laisse la main à André mais je récupère un joker dans le sac de Bernadette. Coup de buzzer. Juju : André ? André : il me semble qu’avec le japonais, il faut compter sur une dizaine de feuilles de menthe, et deux litres d’eau. Juju : Eh non ! Désolé, vous perdez vos avantages, ça fait trois points pour Catherine. Bernadette, attention, vous n’avez plus que deux jokers et un avantage réduit, que répondezvous ? Bernadette : Ca dépend du temps qu’il fait, avec un ciel bas et des averses par intermittence, je dirais cinq atomes. Par grand soleil, on n’a pas besoin de menthe. Juju : C’est une bonne réponse ! La voix : Etonnant ! Elle n’a pourtant pas l’air très maligne ! Juju : Bernadette prend la main, ce qui lui fait d’office cinq points ! André : Je profite de ses points pour récupérer ses jokers, nous en avons quatre de différence. Et je lui oppose une question piège. Juju : C’est très bien joué André, voici le piège, Bernadette : citez-moi les producteurs de galets par ordre décroissant. Bernadette : L’Angola, la Russie, la Norvège, l’Espagne, le Mexique… La voix : Elle stresse, la pauvre Bernadette, elle stresse ! Bernadette : Le Luxembourg, la Chine, euh… La voix : Elle va craquer ? Elle va craquer ? 14 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Bernadette : Le … La Grèce… euh… L’Espagne ? La voix : Eh non ! Juju : Ah désolé, Bernadette, vous l’aviez déjà cité… Vous aviez la main, mais vous prenez la porte ! Au revoir Bernadette ! Bernadette sort. Juju : Vous n’êtes plus que deux, André et Catherine ! La voix : Mais aussi mauvais l’un que l’autre ! Juju : oui, merci la voix… Donc, pour le duel, que décidez-vous ? Buzzers. Juju : Catherine ? Catherine : Je me retire aujourd’hui, mais j’empoche le portefeuille de bananes d’André ! André : j’oppose un Joker ! Juju : Ce qui vous fait trois points chacun ! La question duel, maintenant ! Rhinoplastie ? Catherine et André réfléchissent, les buzzers égrènent les secondes du compte à rebours. A la fin du temps, un buzzer vibre plus fort. Juju : Alors ? André : 355 moutons et quatre vaches… Catherine : le sénat et l’assemblée nationale… La voix : Et encore une fois vainqueur ! Juju : félicitations André ! Vous êtes reconduits pour toute la semaine ! Catherine, désolé, peut-être à une prochaine fois ! Bonne soirée à tous, c’était « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » A bientôt ! La musique du jeu revient, tout le plateau sort en musique.
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Acte 7 ; chez le directeur n°3. Rex : voilà, Monsieur le directeur, alors, qu’en pensez-vous ? Le directeur : Je déteste ce concept, je déteste ce jeu et je vous déteste, vous ! Comment avez-vous pu croire qu’une idée pareille aurait une seule petite chance de réussir ? Rex : Mais monsieur… Le directeur : Réfléchissez un peu ! On ne comprend rien à ce jeu, rien de rien, c’est des coups à attraper des migraines tous les soirs et à se coucher tôt ! Il nous reste quelques spectateurs, encore, et je tiens à les garder ! Un jeu aussi compliqué va tous les faire fuir ! Rex : mais c’est fait exprès ! Le directeur : Jamais aucun spectateur ne fera l’effort de regarder un jeu dont il ne comprend pas les règles ! Il va zapper sur une autre chaîne, c’est tout ! Vous ne connaissez rien à ce métier ! Rex ! Vous êtes viré ! Médor ! Rocky ! Médor et Rocky : Oui, monsieur ? Le directeur : Trouvez-moi une idée géniale. Il sort, vite suivi par ses conseillers.
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Acte 8 ; Le téléspectateur n°3 On est à nouveau dans la réunion des accrocs de la télé. Cochise : Vas-y, Sitting-Bull, tu voulais raconter quelque chose, je crois, on t’écoute… Sitting-Bull est gêné de raconter tout ça, comme timide. Sitting-Bull : Merci Cochise… En fait, vous savez que depuis un moment, on regarde plus la télévision, de six à sept… Eh bien, plutôt que de tourner en rond chez moi à attendre l’émission de sept heures, hier, j’ai pris rendez-vous avec des amis à six heures, pour une ballade en ville, de six à sept… vous voyez… Mais pour être sûr de ne pas être en retard, j’ai pris sur moi de rater la série de cinq heures, elle est super cette série, pleine d’action, et des bons sentiments… Mais c’est pas grave quelqu’un me la racontée depuis… Donc on était en ville, et il s’est mis à pleuvoir. Alors, on est entré dans un musée, pour se protéger au début… C’était bizarre, des gens super concentrés pour regarder des peintures. Un peu étrange, comme habitude… ils froncent tous les sourcils… Je comprenais pas tout, un employé du musée a essayé de m’expliquer une peinture. C’était pas simple, le courant artistique, l’époque, l’artiste et la politique, des trucs pas clairs… Et je me suis dit qu’il faudrait que j’y retourne, pour discuter. Pour voir si je comprends mieux… Géronimo : Et t’as aimé ça ? Sitting-Bull : Pas trop, en fait, c’est rien comprendre qui est énervant. Mais mes amis c’est comme moi, ils ont rien compris ! La fille au musée elle m’a dit que c’était normal, de ne pas tout piger du premier coup, que ça faisait partie du jeu… Enfin c’était bizarre, quoi. Cochise : Mais pourquoi tu nous racontes tout ça ? Sitting-Bull : Quand je suis rentré chez moi, il était neuf heures… Tous : Quoi ? Quoi ? Quoi ? Neuf heures ? T’as raté la série ! Et les infos, t’as pas vu les infos, ni la météo ! T’as même pas vu le début du film ! T’as rien du comprendre après ! Mais c’est pas croyable ! Et tu vas bien, là ? T’as pas des trucs à l’estomac ? T’es pas en manque ? Ça va ? Sitting-Bull : Mais arrêtez, sans rire ! Vous êtes lourds ! Je vais super bien, et même mieux qu’avant ! Fichez-moi la paix ! Sitting-Bull sort, en colère. Pocahontas : Il reviendra, ils reviennent toujours à la télé… Ils regardent tous dans la direction où est parti Sitting Bull, au cas où il reviendrait. 17 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Acte 9 : Chez le directeur n°4 Le directeur entre, toujours aussi mécontent. Rocky et Médor le suivent, tête baissée. Le directeur : Alors racontez-moi. Quelle est l’étendue du désastre ? Médor (il lit un document) : La perte d’audimat de six à sept est pire qu’avant, presque la plus mauvaise de toutes les chaînes du pays. Il doit y avoir deux ou trois personnes à la regarder encore aujourd’hui, et je pense que c’est nous… Rocky (lit un document) : Et maintenant, ça commence à faire boule de neige. Vous aviez raison monsieur le directeur. Le directeur : Oui, je sais, j’ai toujours raison. Rocky : C’est très contagieux, on perd de l’audience aussi de cinq à six et de sept à huit, à vitesse grand V… Et ça s’étend aussi petit à petit sur les horaires suivants. Le directeur : il faut soigner cette maladie d’urgence !! Pas de spectateur, personne pour regarder les pubs, donc des pubs moins chères, donc moins d’argent pour nous, vous savez ce que ça veut dire ? Médor : pas d’augmentation cette année ? Rocky : Pas de crèche d’entreprise ? Médor : Pas de prime de fin d’année ? Le directeur : Je ne vais pas pouvoir payer le crédit pour ma villa ! Et ça me met de très mauvaise humeur ! Pas d’argent, je vire des gens, et vous les premiers ! Alors ? Quelles idées géniales avez-vous pondues ? Médor et Rocky se regardent, pour décider qui se lance le premier. Médor s’avance. Médor : J’ai une idée d’émission originale… Les téléspectateurs sont de plus en plus passionnés par la vie privée des autres, les stars, les politiques et tout et tout… Et en même temps par les petits soucis des gens comme eux… On fait un mixe de tout ça, et hop ! On leur montre la vie privée des gens comme eux ! On enferme n’importe qui dans un appartement, on les laisse vivre et on filme : ça coûte pas cher, et c’est efficace ! Comme quand on regarde une série, on veut connaître la suite même si on n’aime pas, par principe, c’est comme une drogue ! On veut savoir ce qui va se passer même si ça n’a pas d’intérêt ! Avec cette émission, les gens reviendront la voir tous les jours pour savoir ce qui va se passer, et il ne se passe rien ! On joue sur la promesse de l’action ! Que la promesse ! 18 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Il imite un animateur. Attention, peut-être demain il va arriver un truc important, ne ratez pas ! On l’appellerait « Apartment adventures », à l’anglaise, ça en jette ! Rocky : Quoi, comment ? Pardon ? Médor : « Apartment adventures ! », Aventures en appartement, en fait ! Rocky : Ah, oui… Le directeur : C’est bien beau, les grandes phrases, Médor, montrez-moi ça maintenant ! Médor : Tout de suite, monsieur le directeur ! Au boulot !
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Acte 10 ; “apartment “apartment adventures” adventures” L’animateur de l’émission entre sur scène, sur la musique de générique, il a un air mystérieux… Bill : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, nous voilà de retour pour notre petit regard voyeur dans « apartment adventures ». Rappelez-vous, dans l’épisode d’hier, Jean et jacques se sont violemment disputés sur une question cruciale : faut-il ajouter du gruyère dans les pâtes ? Ou du beurre ? Depuis l’ambiance est tendue dans l’appartement, et Sylvie ne sait plus de qui elle est amoureuse, son cœur balance et c’est passionnant ! Elle a fait le ménage dans la salle de bain, hier, et Pierre en a profité pour discuter avec Jacques de l’importance de laver la vaisselle après chaque repas ! Que va-t-il arriver aujourd’hui ? Quelles questions essentielles vont être soulevées ? Vous regardez « Apartment adventures » ! On voit entrer les candidats de l’émission, tranquillement, il y en a un qui lit, l’autre qui va se couper les ongles, les autres ne font rien. Pierre : Salut, les gars, bien dormi ? Jean : Ca va. J’ai fait un cauchemar, un train me fonçait dessus, et j’avais les jambes bloquées, je pouvais pas bouger, et le conducteur de train était aveugle et sourd… Jacques : Le train, c’est parce que Pierre ronfle. Tu fais vibrer les murs de l’appartement quand tu dors. Pierre : Désolé… Sylvie : Qu’est-ce qu’on mange, aujourd’hui ? Jean : Aucune idée… T’as une envie ? Sylvie : Non… En fait, peut-être des pâtes au beurre… Jacques : Je préférerais avec du gruyère… Jean : Tu vas pas recommencer, avec ça ? Jacques : On avait pas réglé la question ! Moi je dis du gruyère ! Jean : Je supporte pas le goût ! Tu pourrais penser aux autres ! Pierre : Silence, je lis… Jean et Jacques : Désolés… 20 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Grand silence, tout le monde s’ennuie terriblement. Sylvie : Et si on faisait des pommes de terre ? L’animateur revient. Bill : Aha ! Voilà un événement de première importance ? Peut-être que Sylvie va raccommoder les deux garçons en proposant un autre menu ? Des pommes de terre ! C’est une idée de génie ! Si vous voulez connaître la suite du menu, rendez-vous demain à la même heure pour un nouvel épisode de « apartment adventures ». Bonne soirée à tous !
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Acte 11 ; Chez le directeur n°5. n°5. Médor fait partir les candidats et l’animateur, comme on fait fuir des oiseaux. Médor : Allez, allez, allez… Alors monsieur le directeur, qu’en pensez-vous ? C’est génial comme idée ? Le directeur : Vous avez cinq minutes pour faire vos cartons et quitter l’immeuble. Médor : Pardon ? Mais pourtant je vous disais… Le directeur : C’est d’un ennui mortel, votre truc ! Si les gens s’endorment, ils vont rater les pubs ! C’est ça que vous voulez ? Qu’on perde nos annonceurs ? Ils ne sont pas bêtes les publicitaires, ils vont voir qu’avec cette émission les gens vont en profiter pour faire la sieste, et qu’ils n’entendront pas parler des shampoings et des barres chocolatées ! Ils nous lâcheront tous ! Vous voulez me ruiner, c’est ça ? En fait, vous êtes à la solde d’une chaîne concurrente, avouez ! Dehors, Médor, allez ! Vous êtes viré ! Médor fait mine de vouloir se défendre, mais le directeur lui indique la sortie. Médor sort la tête basse. Le directeur regarde Rocky, avec un air méchant. Rocky : Ne vous inquiétez pas, monsieur le directeur, je vais faire de mon mieux, vous ne serez pas déçu. Le directeur sort, Rocky le suit de loin.
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Acte 12 ; Le téléspectateur n°4 Réunion des accrocs de la télé. Tout le monde est assis, sauf Pocahontas qui entre paniquée. Cochise : Eh, bien, Pocahontas, Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as eu un accident ? Pocahontas : Pire, Cochise ! Bien pire ! Je sais pas si j’arriverais à m’en remettre… Cochise : Respire, calme-toi… Assieds-toi, si tu veux… Pocahontas : Non, non, je suis bien trop énervée… écoutez, hier je me suis levée, normalement, j’avais prévu de faire quelques petites choses dans la journée, rien de bien extraordinaire… Pendant mon petit déjeuner, j’ai continué à lire le bouquin que j’avais commencé. Et comme ça je me suis retrouvé, eh bien la matinée était bien entamée… Alors j’ai pris ma douche, et après j’ai reçu un coup de fil… une copine. Elle voulait retourner dans un musée l’après-midi… Je savais pas trop, ça peut être super ennuyeux, quand même. Mais elle avait l’air d’en avoir très envie, alors j’ai dit d’accord. On a passé près d’une heure au téléphone, à regarder quel musée on pourrait aller visiter… Quand on s’est décidé, il était l’heure de déjeuner. J’ai mangé, et après le repas j’ai foncé rejoindre ma copine, on est allées au musée, tout l’après-midi. Franchement j’ai pas du tout aimé ce qu’ils montraient… mais on peut pas toujours aimer… Quand je suis rentré le soir, ma mère est venue me casser les pieds pour que je fasse mes devoirs. J’avais pas envie de me battre avec elle, alors j’ai fait mes leçons. Puis on a mangé, et puis j’ai joué aux jeux vidéos avec mon frère. Après il a du aller se coucher… Moi j’ai continué mon livre, dans mon lit, je l’ai fini, d’ailleurs… il faudra que je retourne à la médiathèque, pour en prendre un autre… Et j’ai éteint. Et je me suis endormie… Mais le plus terrible, c’est que de toute la journée, je n’ai pas allumé une seule fois la télévision ! Pas une seule fois ! Même pour ma série ! Même pour un jeu ! En entendant ça, ils s’écartent tous, comme si elle avait la peste. Même pour les infos de mes parents ! Pas une fois dans la journée ! J’ai passé une journée complète sans regarder la télé ! Je me sens tout drôle… Pocahontas manque de s’évanouir, Cochise et Geronimo se lèvent pour l’empêcher de tomber, ils l’assoient. Cheval Fou : Ca va aller, Pocahontas ? Pocahontas : Non, laissez-moi, je dois passer à la médiathèque, désolée, je vous laisse… Pocahontas s’en va. Ils la regardent partir. 23 Télé, chère télé, gmoraine@gmail.com
Cheval Fou : Elle reviendra… Cochise : Sitting-Bull aussi devait revenir…
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Acte 13 ; Chez le directeur n°6 Le directeur entre, il est bien plus mal habillé, presque en guenilles. Loin le super costume, il a l’air d’un clochard. Il n’est plus en colère, il est épuisé. Rocky le suit, ou le soutient pour l’aider à marcher. Le directeur : La chaîne est en train de couler, tranquillement… les publicitaires nous ont abandonnés. Il y a une entreprise de sardines qui a proposé de la racheter, pour en faire une usine de conserves, je crois… Rocky : C’est terrible, monsieur le directeur… Le directeur : Ils ont promis de ne licencier personne, mais ça va leur faire drôle de passer de la caméra à la sardine en boîte… Enfin il faut savoir s’adapter. Nous vivons dans un monde cruel. Rocky : Mais non, monsieur le directeur, vous allez rebondir ! Vous êtes un battant ! Un vainqueur ! C’est vous qui faites peur aux gens ! Ce ne sont pas des sardines qui vont vous effrayer ! Le directeur : C’est gentil, Rocky, vous êtes un brave toutou… Mais les derniers chiffres sont très clairs. Depuis l’effet boule de neige, à cause de la plage horaire de six à sept qui était vide, plus personne ne regarde notre chaîne, nous n’avons plus les moyens d’acheter des séries ou de payer des animateurs… Quant à ma villa… Rocky : Mais on va trouver l’idée géniale ! Avec une bonne émission de six à sept, les téléspectateurs vont tous revenir, et reprendre goût au petit écran. On va voir la boule de neige aller dans l’autre sens ! Vous allez voir ! Le directeur : C’est quoi votre idée d’émission ? Rocky : Un documentaire animalier ! Le directeur : On est complètement fichus… Rocky : Mais si ! Les gens aiment les animaux ! Ils les adorent, c’est comme une émission sur les bébés ! C’est émouvant, attachant, ça nous fait sourire et on commence bien notre soirée. Les animaux, c’est porteur ! Il y a de plus en plus d’animaux de compagnie, et les plus divers ! Chats et chiens, bien sûr, mais aussi hamsters, lapins, oiseaux, souris et rats ! Et des serpents, araignées, chevaux (mais il vaut mieux avoir un jardin) ! Et ça ne fait qu’augmenter, jusqu’aux plus exotiques : crocodiles, perroquets, pourquoi pas les pandas ?
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La seule limite, c’est les espèces protégées, mais si les gens en demandent, ils vont les faire se reproduire, et elles ne seront plus protégées, et les gens en auront, et ils pourront laisser libre cours à leur imagination, à leurs envies !! Et nous, on sera là ! La référence en matière de documentaires animaliers ! Les précurseurs de l’entretien et des soins à apporter à un éléphant dans un immeuble ! Prophètes de la nourriture la plus adaptée à un piranha dans un aquarium ! Il lui faut du bœuf ou du poulet, au piranha ? Mmm ? Le directeur : J’en sais rien. Rocky : Moi non plus ! Mais bientôt, avec mon émission, les gens sauront ! Asseyez-vous, monsieur le directeur, je vous montre la démo. En place tout le monde !
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Acte 14 ; Nos chères bébêtes. bébêtes. Une animatrice vient à l’avant scène, des papiers à la main. Derrière elle, une journaliste attend qu’on l’interroge, comme si elle portait une oreillette. Edith : Bonsoir, chers téléspectateurs, dans « nos chères bébêtes », aujourd’hui, nous allons approcher quelques uns des plus étranges spécimens de la gente animale, tout d’abord, je vous propose de rejoindre immédiatement notre envoyé spéciale en Australie, Kirikou. Allo Kirikou, vous m’entendez ? Kirikou : Je vous entends très bien, Edith, je me trouve actuellement… Edith : Bonsoir ! Kirikou : Oui, bonsoir ! Donc je suis actuellement en Australie, où nous allons pouvoir approcher et observer un animal extrêmement rare, très étrange dans ses habitudes. Il s’agit d’un iguane violet à crête droite. Il n’en existe plus qu’un tout petit nombre au monde, et il a des habitudes très inhabituelles. Je crois qu’il arrive, nous allons pouvoir l’observer ! Un comédien entre, déguisé en iguane violet à crête droite. Le directeur : Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Rocky : Je n’ai pas eu le temps de dégotter un véritable iguane violet… alors j’ai déguisé des stagiaires, pour la démonstration… Kirikou : L’iguane violet est une espèce qui se tient un peu comme un être humain, il a quelques manies amusantes, comme… se jeter au sol sans raison ; marcher à quatre pattes ; danser sur de la techno ; c’est aussi un animal très affectueux… Il est carnivore, et il s’approche de ses proies en leur faisant des câlins, pour détourner leur attention, et je… ahhaaaa !! À l’aide !!! Pendant que Kirikou décrit ce que fait l’iguane, l’iguane obéit, puis il vient se frotter à Kirikou, comme un chat affectueux, et la pousse en coulisse pour la manger. Edith : Kirikou ? Kirikou ? Ah, je crois qu’on a été coupés, sans transition, passons à la rubrique suivante, l’animal de la semaine, il s’agit du lemming ! Le lemming vit toujours en groupe très soudé. La communauté des lemmings est tellement solidaire qu’un lemming fera toujours exactement la même chose que son voisin. Nous allons avoir un passage de lemmings tout de suite, ah les voilà !
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Plusieurs comédiens, déguisés en lemmings, entrent à la queue leu leu, se suivant de très près, le premier fait quelque chose, et les autres l’imitent aussitôt. Ils entrent en dansant une chorégraphie brésilienne, en chantant à tue-tête. Edith : Ils sont en train de se préparer pour le carnaval de Rio, sans doute ! C’est une espèce en voie de disparition, car si l’un d’entre eux meurt, par solidarité, toute la communauté meurt aussi, c’est un réflexe qui fait des ravages parmi ces animaux. Un lemming a une crise cardiaque, jusqu’à ce qu’il meurt. Tous les autres le regardent, se consultent du regard, haussent les épaules, et font tous une crise cardiaque. Ils restent au sol. Edith : maintenant, la rubrique petites annonces, je suis un chat de cinq ans très gentil, roux avec des tâches noires, je recherche une compagne de litière pour partager mes croquettes devant un feu de cheminée…
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Acte 15 ; Chez le directeur n°7 Le directeur : Ca suffit, arrêtez ça, tout le monde dehors ! C’est la pire émission qu’on m’ait jamais proposée ! Comment avez-vous pu oser me montrer ça ? Vous êtes viré ! Ah vous allez en remplir, des boîtes de sardines, vous allez voir ! Où vous avez eu vos diplômes ? Vous avez été pistonné pour avoir ce poste ? Vous êtes le fils de qui ? Dehors ! Dehors ! Dehors ! Le directeur prend Rocky par le col et le pousse dehors, il sort aussi.
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Acte 16 ; Le téléspectat téléspectateur n°5 La réunion, il ne reste que Cochise, Geronimo et cheval fou. Cheval fou : Je ne regarde plus la télévision depuis un mois… mais un truc me dérange. Geronimo : Qu’est-ce que c’est ? Cheval fou : La semaine dernière, je suis allé faire une randonnée en forêt avec des copains. Un truc sympa, toute la journée, pique-nique, ballades, les arbres, les rivières… il faisait beau, on s’est baigné dans un lac, une bonne journée, quoi… On a vu une famille de lapins, un pivert qui tapait sur le tronc d’un arbre, comme dans les dessins animés. Je savais même pas à quoi ça ressemblait, en vrai. Mais une chose m’embête, c’est que cette rando, c’est moi qui ai eu l’idée. C’était une bonne idée, elle a plu à mes copains. Mais en fait, c’est en regardant la télé que j’ai eu l’idée, dans une émission… Cochise : C’est la télé qui t’a poussé à sortir ? Cheval fou : Mais j’ai peur ! Maintenant j’ai peur ! Parce que si des fois y a de bonnes idées à la télé, je vais replonger ! Je veux pas replonger ! Je me suis mis à discuter avec plein de gens, ça se passe vachement mieux avec mes parents, et j’ai même une copine ! Je veux pas replonger ! La télé je vais la balancer, je vais l’exploser à coups de marteaux ! En tout petits bouts brillants ! Et je vais l’enfourner dans un sac poubelle et je vais la mettre sur le trottoir et j’en entendrai plus jamais parler ! Plus jamais ! Il sort en courant. Cochise : Ils étaient quand même plus calmes quand ils étaient accroc à l’écran…
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Acte 17 ; Le téléspectateur.
directeur
et
le
Le directeur entre sur scène, il est habillé en clochard. Le directeur : bonsoir, excusez-moi, mais, vous voudriez pas m’acheter un aspirateur ? Je me suis reconverti, la télévision c’est pas pour moi. Alors je vends des aspirateurs, mais personne n’en veut… Ca ne m’étonne pas, je suis complètement nul comme vendeur ! J’étais directeur d’une grande chaîne de télévision, et j’ai tout raté, et me voilà ! Mais si vous pouviez m’en prendre au moins un, un aspirateur. Ça m’aiderait à payer le crédit pour mon appartement… Cheval fou entre et vient se mettre à côté du directeur. Cheval fou : Je suis déçu ! J’ai pas réussi à détruire la télé ! J’avais pris un marteau dans le garage, je suis entré en furie dans le salon. Arrivé face à l’écran, je me suis arrêté, incapable de faire un geste, de donner un coup de marteau. Mes parents étaient là, devant la télé. Ils regardaient un truc. J’ai essayé de leur expliquer qu’il fallait absolument détruire cette chose, que c’était une question de survie, pour qu’on continue à voir des gens ! Je leur ais dit qu’ils comprenaient rien ! Que c’était toujours pareil, qu’on pouvait rien faire dans cette maison !! Mon père m’a expliqué que si je touchais à la télévision, c’était direct la pension, puis l’école militaire, et corvée de vaisselle pendant trois mois et plus d’argent de poche pendant un an, et qu’il fallait que je me taise parce qu’ils regardaient un truc intéressant. Ah bon, j’ai dit. Je me suis assis sur le canapé, à côté d’eux, pour regarder aussi. C’était vraiment très intéressant, effectivement. Le directeur : Qu’est-ce que c’était, comme émission ? Cheval fou : Un truc sur les animaux, vous saviez que les iguanes violets étaient carnivores, et qu’il fallait pas les laisser nous faire des câlins ? Et les lemmings, vous connaissez les lemmings ? Ils se déplacent toujours en groupe, et s’il y en a un qui tombe dans un trou, ils le suivent et ils sautent tous ! C’était trop bizarre ! Le directeur : Et ça, ça t’a plu ? Cheval fou : Ah ouais, c’était très sympa ! On le regarde tous les jours avec mes parents ! C’est devenu notre émission préférée… « Nos chères bébêtes » ça s’appelle. Vous devriez regarder ! Cheval fou sort. Le directeur reste tout seul.
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Le directeur : vous êtes sûr que vous ne voulez pas un aspirateur ? Ou un canapé ? Je vends aussi des canapés, et des bols, et de l’assurance-vie, je vends tout ce que vous voulez ! Un petit aspirateur, madame ? Le noir se fait lentement quand le directeur parle.
Noir Rideau Rideau
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