Le Bonbon Nuit - 97

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Septembre www.lebonbon.fr Septembre 2019 - n° 97 - www.lebonbon.fr


DÉCIBELS PRODUCTIONS_491 422 978 RCS PARIS_L2-1072531 - L3-1072532 / ARTWORK BY SPH OZR

21 & 22 SEPTEMBRE JOCKEY DISQUE (HIPPODROME D’AUTEUIL)

JAKE SHEARS FROM SCISSOR SISTERS HYPHEN HYPHEN • KIDDY SMILE DJ SET ARNAUD REBOTINI DJ SET • CHLOÉ LIVE THE PIROUETTES • SCRATCH MASSIVE DJ SET • CORINE MALIK DJOUDI • VOYOU • ALICE ET MOI RAG • BARBARA BUTCH • CRAME HAPPY & FRIENDLY GARDEN PARTY ! PARISESTTETU.COM


SEPTEMBRE 2019

Je me sens comme un hétéro dans un club gay. Je vois déjà à ta gueule déconfite que tu te demandes ce que je vais encore te raconter comme conneries, mais si tu ne comprends pas cette expression, pose-toi quelques secondes, je vais t’expliquer. L’autre fois, il devait être 4 heures du mat’, je me suis retrouvé je ne sais plus comment dans un club situé rue du Faubourg-du-Temple, le Gibus, tu connais ? J’ai été bien reçu, il n’y avait que des mecs mais je m’en foutais, j’avais besoin d’écouter de la musique et de brûler les calories qui me restaient dans le cornet, si tu vois ce que je veux dire. Je danse, le son est bon. Je vois que tout le monde est torse-poil, je fais de même, il fait putain de chaud. Je me sens à l’aise, là, entouré d’ours à casquettes, je me fonds dans le décor, ambiance vestiaire de sport, la Molly en plus. Et puis dans mon marathon, je contemple un mec à côté de moi sacrément bien gaulé. Le salaud, je me dis que c’est quand même beau un corps d’homme. Limite troublé, j’arrête pas de le mater. Et puis une voix nasillarde me titille la tête et me dit : « Attends mon petit, tu serais pas en train de virer gros pédé là ? ». Ferme-la toi, je suis un hétéro moi, un vrai de vrai. Pour preuve connard, je rétro-pédale, je change de stratégie, je ne vais plus bloquer mon regard qu’au niveau des visages. Voilà, je suis au top là, je reprends le contrôle de la situation. Et puis merde, la voix nasillarde ré-apparaît : « Mais si tu fais ça, c’est que tu dois refouler un truc, non ? ». T’as pas tort. Ouais, je vais me re-forcer à mater les corps pour me prouver que je suis pas gay. Non mais c’est complètement con ce que je fais, je suis en pleine contradiction. Seul un bon shot de poppers me montrera la voie. La suite n’appartient qu’à moi, mais il me semble bien que j’ai testé l’hétéro-curiosité. Je ne sais plus qui m’avait dit que les hétéros se bâtissent souvent en réaction à l’homosexualité. Possiblement véridique. Émancipe-toi de ça, et il se peut que tu deviennes un esprit libre.

N°97

MPK



CERRONE, L’HOMME QUI SE JOUE DU TEMPS 15. VISITE NOCTURNE HOUSE OF MODA 21. PORTRAIT THOMAS SMITH, LUMIÈRES DANS L’OMBRE 23. CINÉMA GASPARD ULLIEL, L’AMOUR AU CARRÉ 29. CINÉMA CLAIR OBSCUR, L’ÉDIT O CINÉMA 31. THÉÂTRE GHOST, RET OUR VIVANT 33. STYLE VOYAGE À VILNIUS 39. MUSIQUE FÊTE DE L’HUMA 41. INTERVIEW FRÉDÉRIC HOCQUARD CONFISEUR JACQUES DE LA CHAISE RÉDACTEUR EN CHEF LUCAS JAVELLE DESIGN RÉPUBLIQUE STUDIO GRAPHISTES CLÉMENT TREMBLOT, MAR GOT ROBERT COUVERTURE CERRONE PAR THIERRY LE GOUES RÉDACTION INÈS AGBLO, MANON MERRIEN-JOLY, PIERIG LERAY, SARAH SIREL, JACQUES SIMONIAN, MPK SR LOUIS HAEFFNER RÉGIE CULTURE FANNY LEBIZAY, ANT OINE KODIO RÉGIE PUB LIONEL PONSIN LE BONBON 15, RUE DU DELTA, 75009 PARIS SIRET 510 580 301 00040

SOMMAIRE

7. MUSIQUE

IMPRIMÉ EN FRANCE


DI R E CT I ON

Sébastien

Maud

PAS CA L

Guillaume

L E GRO S

Anne-Sophie

Astrid

Alexandre

CASTRO LE GUÉNÉDAL CLÉRICE GERMANAZ ROOS JÉRÔME

Une comédie de

DESIGN GRAPHIQUE EFIL WWW.EFIL.FR / PHOTO © BERNARD RICHEBÉ // THÉÂTRE FONTAINE. LICENCES N° 1-1056789 • 2-1056790 • 3-1056772

SÉBASTIEN CASTRO

LOCATION 01 48 74 74 40

theatrefontaine.com

Mise en scène

JOSÉ PAUL

Assistant mise en scène GUILLAUME RUBEAUD Décors JEAN-MICHEL ADAM Costumes JULIETTE CHANAUD Lumières LAURENT BÉAL Son VIRGILE HILAIRE


SOIRÉE LÉGENDAIRE

Un lieu de légende, un DJ et producteur de légende… Ça fait une soirée digne de ce nom. Directement venu de Détroit, DJ Stingray, l’homme cagoulé, continue de partager son expérience des années fondatrices de la techno, une période pendant laquelle il faisait partie de Drexciya. Avec la Danoise Solid Blake et la résidente de Rinse France Elise, le Rex Club va vibrer aux rythmes effrénés d’électro et d’acid. De l’excellence digne d’une Club Trax qui sort de son petit confort habituel pour conquérir l’un des plus grands clubs de France et de Navarre. Club Trax : DJ Stingray, Solid Blake, Elise @ Rex Club 13 septembre

UN FESTIVAL DE VALEURS

Petit nouveau du coin, Paris Est Têtu n’a pas de pertinent que le nom. Engagé pour la tolérance, la diversité et le combat des cultures alternatives, sa première année n’y va pas avec le dos de la cuillère : Chloé, Scratch Massive, Crame, Kiddy Smile, Arnaud Rebotini, Rag… La scène locale est bien présente et suffisante pour bien nous éclater le temps d’un week-end à deux pas du centre de la ville (pour les gros flemmards de la rentrée). Avec un beau soleil en prime (si possible). Paris Est Têtu Festival @ Hippodrome d’Auteuil 21-22 septembre

BON TIMING

AU CŒUR DE LA TECHNOLOGIE

Si aujourd’hui on se déglingue sur de la techno dans des clubs et entrepôts qui sentent la sueur et le bonheur, c’est grâce aux machines. Parce que c’est quand même une histoire de bip-bip sur des synthés et autres modulaires. Du coup, quand la Ferme du Buisson fait une soirée spéciale et invite des pionniers et génies de la machine comme Juan Atkins, Onur Özer, Vril ou Antigone (rien que ça…), on est prêts à aller prendre un coup d’histoire de la musique dans la gueule. Et des grosses basses. Le Champ des Machines @ La Ferme du Buisson 19 octobre



MUSIQUE

CERRONE, L’HOMME QUI SE JOUE DU TEMPS T P

JACQUES SIMONIAN ANNA SHUMANSKAIA


8/9 MUSIQUE

CERRONE

S’entretenir avec un artiste qui a traversé les âges n’est jamais une mince affaire. Si certains vont jusqu’à enterrer ces idoles avant l’heure en dégainant leur plus bel hommage, précipité, en oubliant souvent que leur actualité ne s’écrit pas qu’au passé, de notre côté, nous avons choisi la carte de l’histoire en sélectionnant des moments forts de la vie de Marc Cerrone.

Entre des folies d’antan au goût prononcé d’États-Unis, un présent passionné rythmé par des platines longtemps boudées, et un futur aussi prometteur que novateur, voici ce que nous nous sommes dit.


LE BONBON : Commençons par votre

L.B. Cette aventure n’a pas duré longtemps.

CERRONE : Ah non ! C’est moi qui me suis

C.

passion : la batterie. C’est cet instrument qui vous a choisi dans ce magasin du boulevard Beaumarchais ?

jeté dessus. Je me souviens très bien, elle était vert pailleté comme on faisait à l’époque. J’en suis immédiatement tombé amoureux. Quand je me suis assis et que j’ai commencé à la taper, le vendeur est venu voir ma mère : « votre fils, il sait déjà jouer ! ». Depuis qu’elle m’avait dit qu’elle me ferait ce cadeau, je n’avais cessé d’écouter, sans m’en rendre compte, tous les batteurs. Dès qu’il y avait de la musique, je n’entendais même plus le chanteur. Après, j’ai commencé à motiver des copains pour que chacun chope un instrument, et j’ai monté mon premier groupe à 13 ans. Comme je n’étais pas trop mauvais, j’ai eu un peu la cote en banlieue parisienne et j’ai commencé à fréquenter des artistes de Paris. Vers l’âge de 15 ans, j’ai fait quelques séances avec des gens qui avaient entendu parler de moi, jusqu’à travailler avec Michel Colombier pour une pub DIM.

L.B. Jusqu’à arriver au Club Med. C.

Un jour mon père m’a dit : « tu ne peux pas faire ce métier, tu dois en apprendre un ». Ça ne m’a pas plu, alors j’ai fugué. Quand on se tire, on essaye de trouver des copines pour dormir ! Au bout d’un moment passé chez une, elle est partie au Club Med et je l’ai accompagnée. Là-bas, je me suis retrouvé dans une soirée organisée par Albert Trigano. Je faisais la gueule, alors il est venu me voir. Je me suis présenté et lui ai demandé pourquoi aucun groupe ne jouait dans ses villages. Ça lui a plu. Il m’a engagé comme DA.

Vous avez vite eu l’envie de monter votre groupe, Kongas. Surtout, vous avez rapidement fait une rencontre décisive.

Pour Kongas, j’ai choisi les meilleurs musiciens que j’avais fait venir dans les villages. Avant de les rejoindre en septembre, je suis parti faire un tour du côté de Saint-Tropez, avec un plateau de 4 roulettes sur lequel je foutais ma batterie. Fallait oser ! En début de soirée je faisais des solos sur le port, et elle, passait avec un chapeau récupérer les sous. On gagnait très bien notre vie. Eddie Barclay en entend parler et lui glisse un petit papier. Vous connaissez la suite : début novembre, on sortait notre premier single. Cela a duré un temps et malgré quelques succès commerciaux – beaucoup trop pop à mon goût –, je me suis lassé puis le groupe s’est arrêté.

L.B. Vous n’avez pas lâché la musique. Nous

sommes en 1976 et vous ouvrez votre magasin de disques. C’est à ce moment-là que vous avez compris l’impact du disco ?

C.

Ma copine de l’époque était enceinte, j’avais 20 ans et plus de temps à perdre, un môme arrivait. Je devais faire quelque chose alors j’ai ouvert Import Music, ça a été un carton. Mais plus que le disco, j’ai plutôt senti qu’il y avait un mouvement des discothèques. On ne pouvait plus écouter “ChampsÉlysées” de Joe Dassin dans les clubs quand il y avait des mastodontes de musique internationaux comme Barry White. À cette époque, dans les night-clubs, on dansait du rythmé puis du slow. Les DJ’s n’arrêtaient pas de jacter. C’était une émission de radio ! J’avais tellement roulé ma bosse avec Kongas dans les clubs du monde entier que j’étais au courant


10 / 11 CERRONE MUSIQUE

On commençait à me dire que ça marchait pour moi de l’autre côté de l’Atlantique. Je pensais qu’on se foutait de ma gueule, mais pas du tout. J’ai foncé dans le premier avion et j’ai signé un contrat chez Atlantic Records”



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de ce qui se faisait. Alors j’ai voulu faire mon album pour en vendre quelques-uns dans mon magasin. Je n’ai fait aucune concession.

L.B. Vous parlez de Love in C Minor, que

L.B. L’année suivante, 1977, vous sortez

CERRONE

C.

MUSIQUE

tout. Alors j’ai foncé dans le premier avion et j’ai signé un contrat chez Atlantic Records (Jackson Five, Quincy Jones, Ray Charles…).

vous avez enregistré à Londres. C’était un disque très spécial pour l’époque. Avec sa longueur, sa pochette, et cette batterie omniprésente.

Oui, au studio Trident (Franck Zappa, Rolling Stones, Lou Reed… ndlr), comme Elton John me l’avait conseillé. Je pensais que tout le monde savait que j’étais batteur, Kongas n’était pas anonyme. Cette composition me paraissait logique, mais on m’a dit : « ce pied en avant, ce n’est pas possible ! Comment fait-on pour passer ça ? ». Eddie Barclay, lui, était fou furieux. Je repars à Londres et fais fabriquer 5 000 albums. Je file 300 copies à un collègue. Il me rappelle 3 jours après en me disant qu’un de ses magasiniers, un peu imbécile, s’est planté de carton, et au lieu de renvoyer les disques de Barry White au gars de New York, a envoyé les miens ! Quand l’Américain est tombé dessus, avec cette fille nue, il l’a écouté. Coup de pot, le mec était en fait un DJ. Il a commencé à le jouer dans des clubs. De là, Frankie Crocker entend mon album et cherche absolument à me joindre. En plus des annonces radio, il réussit à convaincre Neil Bogart (producteur et fondateur de Casablanca Records, ndlr) de faire faire une cover de mon morceau par Donna Summer. Il sort cette reprise sur son label et le titre entre dans le top 10 américain. En France, on commençait à me dire que ça marchait pour moi de l’autre côté de l’Atlantique. Je pensais qu’on se foutait de ma gueule, mais pas du

C.

votre 2e album, Cerrone’s paradise, mais surtout “Supernature”, morceau inspiré par L’Île du Docteur Moreau de H.G. Wells.

Le premier album a tellement marché, qu’on se dit que c’est normal que le deuxième aussi. J’ai toujours pensé que ça allait durer 6 mois, 1 an, et que j’allais passer à autre chose. J’avais envie de faire un truc vraiment différent, alors j’ai fait “Supernature”. Il y avait des voix androgynes, un texte écolo, des sonorités inconnues pour l’époque. Résultat : j’ai reçu 5 Grammy Awards.

L.B. Qu’est-ce que ces disques ont changé à votre vie ?

C.

Ils ont fait que j’ai pu vivre ma vie entière de ma passion. Et je suis certain que si ce n’était pas parti des USA, ça n’aurait pas été aussi important. Les Américains m’ont amené mon identité : disco, pas disco, Cerrone c’est Cerrone, j’ai mon son, ma couleur, je suis un artiste à part entière. Alors que le disco battait son plein et que tout le monde s’y mettait, les labels ont voulu croquer. Ils ont pris leurs idoles locales, en France c’étaient Dalida ou autres, et ils leur ont fait faire des titres arrangés à la sauce disco. Pour eux cette mouvance c’était un pied devant et des violons ! Sauf que pour les Américains, ça ne suffit pas. C’est un état d’esprit. La preuve, c’est que les DJ’s, de génération en génération, ne se sont pas trompés.


L.B. Est-ce qu’après Cerrone by Bob Sinclar et Cerrone by Jamie Lewis vous étiez rassuré par les DJ’s ?

C.

Évidemment que ce sont des gens influents qui m’ont porté, sinon je ne serais pas en train de vous parler. Quand Emmanuel de Buretel essayait de me convaincre de mixer, j’ai appelé 3 personnes : mon vieil ami David Guetta, Calvin Harris et Bob Sinclar. Je leur ai demandé comment ils réagiraient si on leur disait que j’allais passer derrière des platines pour jouer mon répertoire. Tous m’ont répondu : « Marc, si toi, tu ne le fais pas… T’es un malade ! ».

L.B. Même si vous avez publié Red Lips

en 2016, c’est en 2018 que tout a recommencé très fort. D’abord avec le film Climax de Gaspard Noé, où l’on entend pour la première fois “Supernature” en version instrumentale.

C.

Quand j’ai écouté cette version, je me suis dit que ce n’était pas chiant du tout ! Ça m’a intéressé et j’ai commencé à faire des inters dans mes sets de plus en plus longs. Tout ça dans un esprit très électronique, c’està-dire ma période Brigade mondaine (1978). Ma maison de disques m’a poussé à développé ça et un premier titre est apparu, “The Impact”, puis un album. Je ne cherchais vraiment pas à en faire un. J’ai commencé à jouer les morceaux dans mes sets et j’ai vu la même réaction que quand je faisais mon truc avec le pied, à l’époque de Kongas. Ça m’a motivé et pendant 6 mois j’ai pondu des titres. Le résultat, c’est mon premier album instrumental.

L.B. Le premier single, “The Impact”, sortira

à la rentrée. À la différence de ce que vous avez pu faire avant, je trouve qu’il y a moins ce côté joyeux et chaud.

C.

Je n’ai fait que démarrer ce que j’appelle des “entre”, des titres de mon catalogue que je joue sans arrêt. J’ai juste fait des choses pour les terminer, les emmener là où je le souhaitais. J’insiste : je n’avais pas prévu de faire un disque. Il s’est fait comme on fait des albums quand on est jeunot ! Simplement en voulant créer de la musique. Déjà d’avoir le cadeau à mon âge de m’éclater comme je m’éclate ! J’ai été voir Moroder quand il est venu à Paris récemment : 79 ans ! Ça m’a donné un espoir ! C’est fou, on vit dans une période… Profitons-en… Alors j’en profite !

CERRONE SERA DE RETOUR TRÈS BIENTÔT…


LES ADIEUX D’UNE DIVA

T P

LUCAS JAVELLE SÉBASTIEN DOLIDON

VISITE NOCTURNE

14 / 15

HOUSE OF MODA


Il y a des soirées

qu’on prévoit longtemps à l’avance. On se chauffe, on se dit que celle-là, c’est la bonne. On sait à quoi s’attendre, on imagine mal être déçu. Les petits détails qui font parfois d’une sortie en club une véritable corvée, on les oublie. Neuf balles la pinte ? Pas de problème ! Bosser à 10h le lendemain matin ou déménager ? On s’en fout ! On veut vivre, merde. Parce que la soirée vaut tous les efforts du monde. Parce que c’est la dernière. Parce que, après huit ans à faire rugir la force pure de la fête libre, House of Moda a toujours eu ce truc de la soirée où on se laisse guider les yeux fermés.


16 / 17 HOUSE OF MODA VISITE NOCTURNE

Forcément, je me suis fait embarquer. Impossible de résister à l’appel d’aller célébrer une dernière fois ce qui symbolise les soirées queer de la ville : un esprit libre, loin des préjugés habituels du petit Parisien – même si la direction se réserve le droit d’entrée. Là-bas, tout le monde s’aime, tout le monde partage et personne ne se donne de faux airs. Le plan parfait pour un vieux con comme moi qui se donne rarement l’occasion d’aller supporter les bas-fonds parisiens, cernés par les cadavres humains et l’ambiance étouffante d’un trou de balle allemand. Ici, on parle de légèreté et de finesse, même si la sueur, inévitable, coule sur les murs. Pas de brut et une toute autre animosité. Arrivés à l’heure où personne n’arrive – l’ouverture des portes –, il y a pourtant déjà une belle équipe de joyeux danseurs. Adossés à deux pas de l’entrée comme des clochards qui n’ont rien à faire en soirée LGBT, nos « belles » tronches d’hétéros sont fascinées par le spectacle qui défile peu à peu. Queer après queer, on découvre les déguisements de ceux et celles qui sont venu.e.s transpirer jusqu’à la dernière goutte ; jusqu’à la petite larme de la musique de fin, signant l’adieu d’une amie de longue date et non plus d’une soirée. Une relique de bière de plus laissée sur le muret et nous voilà fin prêts à pénétrer l’antre de la diva Moda. À l’intérieur, la Java n’a pas changé. Fidèle à elle-même, ce sont les gens qui font la déco. À peine en bas des escaliers, l’ambiance sombre du club fait briller les tenues des un.e.s et des autres. Premier à se faire remarquer, un jeune homme masqué au troisième œil, une boîte de mouchoirs en guise de parure pour souligner un peu plus la tristesse de chacun.e – il ne sera pas le seul. Dans l’obscurité, robes satinées et paillettes se distinguent de mille couleurs. Du vert, du rouge, du bleu, du rose… un arc-en-ciel de sensations. Mention spéciale à Enza

Fragola pour sa robe “montée des marches”, véritable édifice vestimentaire représentant un tapis rouge qui a trop longtemps mis à l’écart ces communautés alternatives. La soirée bat son plein, la musique fait rage et la foule danse. Entre deux morceaux, on a le temps de capter Crame, Arnaud de son véritable prénom, fondateur de la fameuse soirée tandis que son compère Reno est en bas à s’occuper de l’ambiance. Son costume bleu marine, bien plus sobre que ce à quoi le personnage a pu nous habituer, reflète à la perfection l’adieu d’une diva. L’extravagance, Crame la laissera aux autres. La tête lourde et l’âme en peine, l’artiste n’a pas le temps de se préoccuper de nos questions. Avec douceur et un soupçon de tristesse, il s’inquiète de son deuxième passage derrière les platines. « Je verrai bien en fonction de l’ambiance si je dois jouer un peu plus violent ou rester sur des classiques. » Soucieux de satisfaire son public jusqu’au bout, on le quitte plein d’émotion, avec une promesse de le revoir très vite sur le paysage culturel parisien. Une heure plus tard, le système son de la Java rugira de plus belle. Peu après notre court entretien, nos esprits s’embrument et nos corps se laissent aller dans cet environnement libre et accueillant. Venus là pour témoigner d’un moment unique, notre premier instinct de dipsomanes finira par avoir raison de nous. Pourtant, ce n’est pas l’alcool qui nous rendra ivres, mais bien l’atmosphère de la dernière House of Moda. Au milieu des homos, des queers et des cis het blancs comme nous, tout le monde se regarde mais personne ne s’observe. Lié.e.s dans la musique et dans la danse, il n’est pas encore quatre heures du matin que tout le monde s’essouffle d’un amour communautaire si fort qu’il est difficile de ne pas se laisser aller au partage. Le beat éclate jusqu’à monter dans les tréfonds de la trance et du hardcore,



VISITE NOCTURNE

HOUSE OF MODA

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“ Au cœur de la foule, le plus curieux des personnages sera ce grand jeune homme à chemise, plus hétérocoincé que la norme. Gêné, il sourit et danse maladroitement sur un rythme noir et gueulant.”

envoyant d’une violence sans pareille des gifles au visage des entêtés du premier rang, accoudés au booth dans un effort ultime. Un moment slow s’invite au milieu des kicks, et la grande Céline résonne pendant que tout le monde gueule à s’arracher les cordes vocales : « J’IRAI CHERCHER TON CŒUR SI TU L’EMPORTES AILLEUUUUURS ! ». Une pause bien méritée avant de reprendre les tambours. Au cœur de la foule, le plus curieux des personnages de la soirée sera ce grand jeune homme à chemise, plus hétérocoincé que la norme. Gêné – par timidité apparente plus que par inconfort –, il sourit

et danse maladroitement sur un rythme noir et gueulant. Soulevé par ce brouillard de love, d’alcool et de paillettes, j’entre alors en transe, porté par le poids de l’émotion. Rarement aussi déchaîné sur la piste, j’approche peu à peu du bord de scène pour profiter du spectacle. Ça fait deux heures que j’y suis et l’heure de fin approche. Derrière les platines, Crame est entouré d’une troupe de joyeux.ses luron.ne.s qui se déhanchent en montant sur les tables, jouant avec le DJ, le décor et le reste de la salle. Le club ne désemplit pas pendant qu’une version longue de “I Feel Love” se laisse aller. Les corps se rapprochent, on en oublie la chaleur et la transpiration. Le visage ruisselant, les cheveux trempés, c’est l’occasion d’une fois de plus se laisser emporter avec nos voix de casseroles : « I FEEEEL LOOOOOVE ! ». Personne ne se tient la main et pourtant tout le monde se touche avec le cœur et la musique. Crame tire alors sa révérence avec ce qui nous restera comme le plus beau moment de la soirée : “Débordement” de Jardin. Un morceau fraîchement sorti qui hurle la rancœur de la nouvelle génération, fatiguée du système et des inégalités. On y voit comme une passation de pouvoir, un clin d’œil, une confiance envers les petits nouveaux à qui revient le lourd fardeau de porter le bien-être de la communauté LGBT sur leurs épaules. Dans un silence serein et mélancolique, tout le monde se dirige vers la sortie. Pas la peine d’ajouter quoi que ce soit. Les amis partent entre eux, certains en after, d’autres au travail. On finira sur un verre au Moka, à deux pas, à balbutier sur la belle expérience qu’on vient de vivre. Pourtant, inutile d’en dire plus : la diva a fait ses adieux, la boucle est bouclée. Oui, on est tristes. Mais non, on ne pleurera pas pendant des mois à demander où est passée notre soirée préférée. Toutes les bonnes choses ont une fin.


20 / 21

THOMAS SMITH,

LUMIÈRE DANS PORTRAIT

T

SARAH SIREL

L’OMBRE


Tu as forcément déjà croisé sa tignasse rousse au détour d’une teuf, l’appareil autour du cou. Voici Thomas Smith, le plus éclectique des photographes de nos nuits parisiennes, qui présente sa première exposition le 19 septembre à l’AntiGalerie. Il est un dinosaure dans le monde des photographes de nuit. Bientôt 10 ans que Thomas écume les soirées aux quatre coins de la capitale, quand ses collègues ne tiennent le coup que quelques années a maxima. Ses photos au flash font partie de celles qu’on admire et qu’on garde précieusement dans un coin de son ordi (et de son cœur). Des squats en bordure de Paris aux soirées LGBT en passant par les aftershows les plus prisés de la Fashion Week, Thomas Smith est un vrai caméléon, et pas un visage n’échappe à son objectif. Il a commencé par photographier les inconnus qu’il croisait pour ne pas les oublier après quelques coups dans le nez. Il compilait ses souvenirs dans un blog, The Party Diary, vitrine grâce à laquelle il a pu travailler en direct avec des organisateurs. Aujourd’hui, on le croise encore à la BLT au Maxim’s ou à La Toilette, quand il ne shoote pas pour Say Who ou Ten Days In Paris. Si ce métier lui plaît autant, c’est pour la liberté et le contact avec les fêtards qu’il procure. « C’est une façon très frontale de rencontrer les gens, d’ailleurs j’ai une photo de la première fois que j’ai rencontré la plupart de mes bons amis. » La photo de soirée, un moyen transversal pour cet oiseau de nuit de naviguer entre tous les différents milieux sociaux. « Tout le

monde se retrouve dans la fête, et tu portes un regard différent sur des gens dans un contexte festif nocturne. Les émotions sont amplifiées par l’alcool et l’exubérance, c’est un truc dont je ne me lasse pas depuis 2010. » Pour Thomas, la meilleure fête est celle qui est responsable. « À nos âges, il y a de plus en plus de gens qui se démontent la tête avec toutes sortes de drogues, qui sortent et tapent tous les soirs, moi ça me saoule. Les soirées que je préfère, c’est avec mes potes en appart’, ou en festival comme Pete The Monkey. » Des milliers de teufs, d’afters, de concerts, des milliers de gens croisés au fil des ans et autant de portraits qu’il compile dans sa première expo éphémère. C’est là, dans l’ancienne imprimerie abandonnée qu’est l’AntiGalerie, lovée dans un coin du boulevard RichardLenoir, que nous découvrirons dès le 19 septembre une grande partie des photos de Thomas. Ce soir-là, nos coudes se lèveront au rythme de l’open bar et des DJ sets de guests surprise fort léchés. Vous savez où nous trouver. THOMAS SMITH THEPARTYDIARY.FR VERNISSAGE LE 19/09 À L’ANTIGALERIE 44 BIS, BD RICHARD-LENOIR – 11e


22 / 23

GASPARD ULLIEL,

CINÉMA

L’AMOUR AU CARRÉ T P

INÈS AGBLO NAÏS BESSAIH



24 / 25 CINÉMA

GASPARD ULLIEL

Impossible de ne pas être familier avec la formule on ne peut plus clichée qui tend à demander ce que vous seriez prêt à faire par amour. Seulement, la réponse se révèle rarement être : voyager dans le temps à travers un cube.

C’est pourtant le défi que relève la minisérie Il était une seconde fois, diffusée sur Arte à partir du 29 août. Puisque rien ne nous arrête, nous avons bravé la canicule il y a quelques semaines pour parler d’amour, de happy ending et de réalité avec Gaspard Ulliel.


LE BONBON : Après Les confins du

monde, c’est la seconde fois que tu collabores avec Guillaume Nicloux. Qu’est-ce qui, dans son travail, t’a donné envie de rejouer face à son objectif ?

GASPARD ULLIEL : Ça a été, pour moi,

assez évident très rapidement qu’on allait potentiellement retravailler ensemble après Les confins du monde. Parce que je pense que c’est une rencontre qui a été vraiment significative autant pour lui que pour moi. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais voilà… Il y a des rencontres où d’un coup on se stimule l’un l’autre. Ça nous permet d’explorer des choses nouvelles. C’est une impulsion nouvelle en fait. Je parle pour moi, mais j’ai l’impression que lui aussi, je lui apporte peut-être. J’aime sa manière de penser le cinéma, sa manière de travailler. Ça correspond exactement à ce que je recherchais à ce moment-là dans mon parcours d’acteur. Ça m’a permis de réinventer mon rapport à cet exercice, celui du tournage. Et je pense que c’est ce que l’on cherche en permanence : se réinventer à chaque fois, donc c’est assez précieux oui.

L.B. Dans la série, les sentiments de Vincent

pour Louise le poussent à tout tenter pour sauver leur histoire, quitte à relayer au second plan sa vie et son fils y compris. Tu penses que les sentiments amoureux peuvent être appréhendés comme néfastes ?

G.U. Bien sûr. Mais c’est sans doute ce qui

rend la passion aussi puissante : c’est qu’il y a à un moment donné une certaine forme de souffrance. D’ailleurs, c’est assez juste de le soulever parce que, pour moi, un des thèmes récurrents chez Nicloux – et qui est au centre de cette série –,

c’est l’enfermement. Ce personnage est enfermé dans l’amour en fait. Donc l’amour peut aussi monopoliser une énergie, prendre une place dans la vie, dans le rapport au monde des êtres et peut-être parfois les éloigner d’une forme de réalité. Mais c’est ça qui est intéressant aussi, c’est de ça que parle la série. Cette temporalité vraiment propre à l’amour, propre aux amants, puisqu’il s’agit quand même d’un voyage dans le temps. J’ai l’impression que ce que Guillaume déploie dans la série, le temps du cube, c’est presque un non-temps. Un temps qui n’existe pas et qui n’appartient qu’aux seuls amants : le temps de l’amour comme une sorte de réalité parallèle. Donc oui, ça peut potentiellement être dangereux. Après, est-ce que c’est pas ça aussi qu’on recherche ? Je pense qu’il faut, dans une relation, s’affranchir de la prudence et essayer de s’éloigner de ce besoin de toujours avoir des garanties.

L.B. Le voyage dans le temps est effectué sous le prisme d’un cube en bois, un concept intelligemment absurde et inédit dans la fiction. Toi, quelles sont tes références ciné ou séries phares en termes de voyage dans le temps ?

G.U. Il y a une série que j’aime bien : The OA. Je n’ai pas encore regardé la seconde saison. C’est sur des personnages qui voyagent un peu dans une autre réalité, une autre temporalité, dans des sortes de NDE (Near Death Experience). Et pour le coup, j’ai vraiment l’impression de voyager avec cette série, oui.

L.B. Le générique de la série, à la fois esthétique et intriguant, annonce d’emblée les événements à venir. C’est un détail sur lequel tu t’arrêtes d’habitude ?


26 / 27 GASPARD ULLIEL

G.U. Oui, il révèle tout un panel de

personnages qu’on n’a pas encore vus. On les découvre de dos, donc c’est quand même assez opaque. Mais en même temps c’est intéressant, parce que ça, pour le coup, c’est un des éléments qui appartiennent vraiment aux codes de la série. Après c’est aussi une forme de teasing : c’est vraiment propre à la série dans la construction dramaturgique. Un long-métrage, on le consomme originellement dans une salle de cinéma : à priori on va rester jusqu’au bout, même si on peut sortir si ça ne nous plaît réellement pas. Alors qu’une série, il y a toujours le danger que la personne zappe, décroche, arrête pour autre chose. Alors il y a besoin d’avoir ces éléments de teasing qu’on injecte à différents moments dans le récit pour créer des micro-suspenses. Breaking Bad, en terme de storytelling et d’écriture, c’est exemplaire. Et justement, ils introduisent cet élément de teasing où ils nous montrent des plans qui sortent un peu de nulle part et qu’on retrouve plusieurs épisodes après. C’est assez intéressant.

L.B. Le titre “Il était une seconde fois” fait

appel à l’utopie des contes de fées et la série se rattache au genre de la romance. Pourtant, d’entrée, on a le sentiment qu’il ne sera pas question d’un happy ending. C’est un sentiment que tu partageais lors de la lecture du scénario ?

CINÉMA

G.U. Ouais, mais parce que je connais

Nicloux (rires). En même temps, est-ce que c’est pas un happy ending ? Bon après je ne vais pas spoiler la fin… Mais… Au final, c’est peut-être le plus beau geste d’amour, ce qui se passe à la fin. Mais oui, il y a clairement

un climat dès le départ, un ton qui est donné, avec une forme de menace un peu sourde, une forme de tension : quelque chose d’assez noir quand même, de très dramatique. Donc oui, dès le départ j’avais conscience de ça, même la première fois que j’ai ouvert le scénario.

L.B. Tout au long de la série, la musique

permet d’entretenir cette tension sousjacente que tu évoques. Est-ce qu’il y a des bandes originales qui t’ont marqué sur le petit ou grand écran ?

G.U. Oui, par exemple The Leftovers avec

la musique de Max Richter qui est assez entêtante : elle m’a beaucoup marqué. Après oui, je pense que c’est un élément très important au cinéma : la musique, le sound design… Surtout quand on l’utilise comme Guillaume, c’est-à-dire avec des sortes de nappes sonores qui créent vraiment un climat, quelque chose d’un peu trouble, nébuleux. Et là, il a fait appel à Julia Kent. C’est vrai que c’est profondément cinématographique ce qu’elle fait. Donc ça colle parfaitement oui. Il y a un film aussi où je trouve qu’il y a un travail incroyable de musique, c’est Under the Skin de Jonathan Glazer. C’est Mica Levi – une jeune femme qui fait de l’électro – qui fait la musique.

L.B. À ton avis, une morale se dégage au

terme de la série ? Et si oui, laquelle ?

G.U. Je ne sais pas si c’est vraiment la

volonté de Guillaume d’asséner une morale, ou de dire quelque chose de façon affirmée sur l’amour ou sur la façon d’être à l’autre, au monde, ou sur l’existence. Je pense que ce sont des choses beaucoup plus nébuleuses, beaucoup plus abstraites en fait. Je pense que lui-même n’a


Claire Sermonne qui a notamment joué dans la série américaine Outlander. Toi, tu aimerais travailler davantage pour le petit écran ?

G.U. Hum… Oui. En tout cas, je ne suis pas

pas les réponses. Et très souvent, les films racontent quelque chose que les cinéastes n’avaient pas forcément anticipé. Mais comme un poème, une peinture impressionniste, le fait de coller un plan à un autre, de laisser durer une image plus longtemps qu’une autre, comme choisir de mettre tel mot après celui-ci dans un poème ou de mettre une touche de bleu. Et ça crée quelque chose qui est de l’ordre de l’abstraction la plus totale, mais c’est ça qui va peut-être créer les sensations ou avoir le sens le plus puissant, le plus profond pour la personne qui le découvre. C’est plus dans ce sens-là que Guillaume essaye d’avancer, de continuer à chercher, d’explorer de film en film.

L.B. Au sein du casting, on retrouve en têtes

d’affiche, à tes côtés, Freya Mavor qui a été révélée par la série anglaise Skins, ou

du tout fermé à l’idée. Je suis même assez tenté par l’expérience. Je dirais que là j’ai eu un avant-goût. Après, c’est une mini-série. Mais c’est vrai que l’idée de travailler, explorer un personnage sur une durée un peu plus longue, d’épisode en épisode, c’est ce qui depuis longtemps m’attirait. Ça dépendra des projets, mais… Y’a pas très longtemps, on m’a proposé une série où il fallait s’engager sur six ans. Et je ne me sens pas prêt à un tel engagement pour l’instant. Je sais que je passerais à côté d’autres projets potentiellement très intéressants. Et c’est pareil dans mon expérience de spectateur. Ça me décourage un peu de me dire, voilà, il y a quatre saisons qui ont été faites. Mais en même temps, je dois dire qu’aujourd’hui, il se passe tellement de choses grâce aux séries. Il y a une sorte d’émulation créative avec l’émergence de plein de nouveaux talents, que ce soit des auteurs, des cinéastes, même des acteurs qui sont révélés. Le public est plus exigeant de par la série. Parce qu’ils ont été habitués à des histoires beaucoup plus denses, plus larges, plus fouillées, avec plein de rebondissements, avec des processus dramaturgiques plus élaborés, du suspense… Du coup, j’ai l’impression que ça déteint aussi forcément sur les longs-métrages de fiction où, d’un coup, il y a cette exigence renouvelée chez les spectateurs. Ce qui est plutôt bien, ça pousse à faire mieux.

IL ÉTAIT UNE SECONDE FOIS SUR ARTE.TV JUSQU’AU 28 SEPTEMBRE


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T

PIERIG LERAY

CLAIR OBSCUR, L’ÉDITO CINÉMA


La rentrée de septembre offre toujours cette étrange sensation d’un été toujours trop court et jamais assez chaud… Cette angoissante impression de n’avoir pu déconnecter d’un monde qui n’arrête jamais de se détraquer : son élite qui continue de partouzer notre planète comme un vulgaire vagin epsteinien, en toute impunité et dans une inexorable descente aux fourneaux, les degrés qui s’emballent et la banquise qui se noie. La salle de cinéma semble donc l’isoloir parfait à la connerie humaine, quoi que souvent bien présente dans la salle (le bruxisme à pop-corn) ou à l’écran (le forcément raté Ça et son come-back le 11 septembre ou le pas moins lourdingue retour de Rambo le 25 septembre). Mais si se couper du monde le temps d’un film semble être le programme idéal d’une rentrée toujours difficile, il n’en reste pas moins obligatoire de se taper les concours d’UV à la machine à café, les histoires de cul type Cap d’Agde du collègue sans pudeur et le saroual de l’amie partie en Inde (« Non, mais ça a changé ma vision du monde, voire cette pauvreté en bas de mon palace colonial, ça m’a bouleversée ») : le réveil sonne bien la rentrée des castes. Mais pas que. La rentrée, c’est aussi l’émoustillement d’un nouveau départ, de nouvelles rencontres. Et peut-être celle d’un amour éternel ou éphémère. Le cinéma s’est attaqué à bien de ses versants. Ce mois-ci, Klapisch nous le raconte via le prisme malaisant des réseaux sociaux, hétéronormé dans une relation de couple de Parigots tinderisés à la con. Ça ne devrait pas voler très haut (Deux Moi, sortie le 11 septembre). C’est alors que je me rappelle avec bien plus de douceur d’un film à transgenre branché dans le milieu du voguing new-yorkais découvert à Cannes (ça claque des dents chez le bobo, là) : Port Authority de Danielle Lessovitz (sortie le 25 septembre). Un jeune blanc-bec s’amourache d’une re-noi, tout les

oppose, bla-bla. Puis il tombe raide dingue de cette meuf, reine du voguing underground et entourée de son crew gay. Le mec commence à flipper car il traînasse avec une enflure de néo-nazi qui veut taper du PD. Puis il découvre que la meuf est un trans. Chamboulement ? Pas vraiment. C’est beau, c’est simple, ce n’est pas un grand film, mais il n’en reste pas moins nécessaire dans le contexte social de méfiance qui nous débecte. Liberté d’ailleurs, titre du dernier film d’Albert Serra, partouze de pérruqués XVIIIe siècle dans les bois de la forêt noire germanique (pas de jeux de mots, promis) : festival de cul dans une liberté perverse de scato, sado et tout ce qui finit par O. D’une prétention démesurée, interminable malaise d’un huis clos quasi-risible (sortie le 4 septembre). Si c’est ça le prix de la liberté, permettez-moi de rester enfermé dans ma levrette hebdomadaire. Allez, courage, le mois de septembre c’est aussi le fabuleux Jeanne de Bruno Dumont (sortie le 11 septembre) et sa musique originale bouleversante de Christophe, les photos de vacances de maman toujours mal cadrées, les babouches en plastique ramenées par mamie de son voyage à Marrakech, la carte postale des plus belles bites des sculptures italiennes de ton pire ami, qui sera suivie probablement du tablier de cuisine de la même veine, mais surtout la conviction que l’année prochaine, ça ne pourra pas être pire que ton Airbnb chiottes sur le palier de cette année. Mais attention, l’être humain est plein de ressources inespérées et ne recule devant rien : il est même capable de rire ouvertement d’une jeune adolescente porte-parole d’un monde qui se meurt, avec les yeux fermés et le cigare au bec ; caricatural, bien pire qu’un méchant de mauvais film d’espion, car celui-ci est bien réel.


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Nous sommes en l’an de grâce 1990 et le cinéma hollywoodien n’a jamais aussi bien fonctionné. En moins de dix ans, le nombre de comédies musico-romantiques – dont on taira les noms pour éviter de chanter à tue-tête – n’a fait qu’augmenter, nous perdant peu à peu dans les méandres de ce monde à l’eau de rose visité et revisité. Fort heureusement, Ghost ne fera pas partie de ces films.


GHOST, RETOUR VIVANT Ghost, c’est l’histoire de Sam Wheat (Patrick Swayze) qui file le parfait amour avec Molly Jensen (Demi Moore) jusqu’au jour où il se fait exécuter tragiquement dans les rues et meurt dans les bras de sa dulcinée. Revenu d’entre les morts sous forme de fantôme, il va errer à la recherche de quelqu’un qui pourra le voir ou l’entendre. Il trouvera sa rédemption auprès d’Oda Mae Brown (Whoopi Goldberg), fausse voyante qui a vraisemblablement de vrais pouvoirs psychiques et communique avec le défunt. Il essaye alors d’élucider le mystère de son meurtre en compagnie de sa veuve.

comédie musicale, où elle sera jouée du 17 septembre 2019 au 21 juin 2020.

Le film a aujourd’hui presque 30 ans, et la meilleure façon de continuer à faire vivre ce petit bout d’histoire du cinéma romantique, c’est encore de le mettre à jour. Depuis 2011, la comédie musicale Ghost sillonne le monde, de Manchester à Broadway en passant par l’Australie ou la Russie, et redonne un boost mélodique à l’œuvre. Après avoir fait du pied au public français pendant un moment, elle débarque enfin à Paris, du côté du théâtre Mogador (9e), vétéran du théâtre et de la

Au vu du potentiel de Moniek Boersma et Grégory Benchenafi dans les rôles principaux, on ne doute pas qu’elle sera reprise en beauté. À découvrir.

La particularité de cette représentation, en dehors de sa mise à jour, c’est son casting qui change d’un pays à l’autre ; le nôtre avait été annoncé au printemps avec une certaine Claudia Tagbo, comédienne de carrière et voyante dans la pièce. Si on ne doute pas de ses talents pour remplacer la géniale Whoopi Goldberg, on se pose surtout beaucoup de questions quant à la célèbre scène de poterie entre Sam et Molly, monument du romantisme audiovisuel.

GHOST THÉÂTRE MOGADOR – 9e DU 17 SEPTEMBRE AU 21 JUIN PLUS D’INFOS SUR THEATREMOGADOR.COM


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TRANSE

STYLE

STYLISTIQUE ET SPIRITUELLE EN TERRITOIRE LITUANIEN T&P

MANON MERRIEN-JOLY


Tous les mois, le Bonbon Nuit se mue en une Distyllerie, décomposant le style et les références esthétiques de ceux qui donneront le pouls du Paris de demain. Pour cette dernière virée mode en Europe de l’Est, notre reporter s’est lancée dans une quête stylistique et spirituelle en territoire lituanien, de Vilnius à la forêt de Ežeraitis où se tient le Yaga Festival, à 45 kilomètres au sud de la capitale.


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MARDI 13 AOÛT 8h20 Cet article n’a failli jamais voir le jour : à quarante minutes du départ du zingue, je suis encore dans la navette à l’odeur de moquette poussiéreuse qui me conduit jusqu’à l’aéroport de “Paris” Beauvais Tillé. Mon avion décolle à neuf heures pétantes.

STYLE

VOYAGE À VILNIUS

8h31 J’arrive en courant, gesticulant et criant pour que les agents de sécurité amorphes checkent au plus vite l’enclume que j’ai sur l’épaule. Je passe les portiques avec brio, pour finalement me rendre compte qu’une masse de pécores attend comme moi l’ouverture de l’embarquement. 10h40 Arrivée à Vilnius sous une météo aussi maussade que la tronche qu’affichent les locaux. Heureusement, notre humeur est à l’épreuve des frontières et nous partons braver le charme paisible de la ville. Notre

premier point d’ancrage se situe dans un restaurant typiquement touristique où l’une d’entre nous se risque à goûter un breuvage local, le kvas, un alcool composé de pain fermenté avec du blé, du seigle ou de l’orge. Qui se révèlera étrangement savoureux. Si vous me permettez une légère digression à l’adresse de ceux qui, comme moi, se lanceraient dans une quête stylistique en Lituanie, la Halle Market de Vilnius n’est pas l’endroit où vous trouverez réponses à vos interrogations mais par contre, vous y mangerez et boirez très bien, du smoothie à l’amande à la galette frite servie avec un genre de tzatziki. Ne vous risquez pas à chiner du textile là-bas cependant, vous risqueriez d’y perdre la vue. Allez plutôt chiner du côté d’Uzupis, la république indépendante et quartier autogéré niché au sein même de la capitale. MERCREDI 14 AOÛT Sous une pluie torrentielle, on décide d’aller écumer les friperies du coin pour s’attifer de costumes qui, je l’espère, ouvriront mes chakras stylistiques. Bonne pioche : la fripe Humana (comme on en trouve dans


toutes les villes d’Europe) se révèle être un véritable coffre à trésors proposant une promotion ce jour-là : “VISI PO VIENA EURA” - “TOUT À UN EURO”. En résulte : deux shorts de cycliste identiques en lycra estampillés Mitsubishi, un imperméable blanc sur lequel figure au dos un pélican ridant une vague sur une planche de surf, pipe au bec, un voile de marié(e), une coiffe de diseuse de bonne aventure, un maillot cycliste sponsorisé par Yoplait, un costume de lutteur et d’autres chiffons qui n’entreront pas dans la postérité. Quelques heures auparavant, mes acolytes m’avaient gentiment déniché un costume de cirque imperméable taille enfant. Nous étions fin prêts à partir. JEUDI 16 AOÛT 16h12 C’est pourvue d’une armée de neuf potes surexcités que je m’enfonce dans la forêt et franchis les portes du festival, à deux kilomètres de la route goudronnée la plus proche. Le soleil est au beau fixe, nous nous étions déjà planté de route donc étions certains d’être au bon endroit. Les arbres, d’immenses lances de bois, semblaient transpercer le ciel et faire un pied de nez menaçant aux inconscients qui tenteraient de les escalader. Nous arrivons au-dessus d’un cours d’eau, la source où nous nous

abreuverons pour les quatre jours à venir. Progressivement, le sentier se fait chemin et nous apercevons les premières installations, où commencent à grouiller des festivaliers épars qui semblent tout droit sortis de la série Vikings. Blonds, des dreads dominant leurs grands corps, parfois beaucoup de tatouages, des silhouettes musclées et élancées qui feraient passer Avatar pour un documentaire. En les voyant, je comprends très rapidement que l’élégance naturelle des Lituaniens ne suffira pas à nourrir ma soif d’inspiration en matière de mode. Non, je vais plutôt devoir aller chercher du côté de l’abstrait, de l’architectural et de l’onirique. Ça tombe plutôt bien, l’édition 2019 du Yaga est placée sous le signe de la sorcellerie. 20h48 Le soleil se couche peu à peu et les premières lumières apparaissent. La scène ambient, non loin de nos tentes, est parsemée de carrés de couleurs translucides éclairés par des spots. Une musicienne, dans un ensemble de toile, sur la scène, fait


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ses balances. Un peu plus loin, on trouve un marché parsemé de tipis où des artisans venus de toute l’Europe de l’Est vendent des produits artisanaux : miels, fringues chinées ou fabriquées, pierres et amulettes, tapis et tissus baltes ou aztèques. Je repense à Mona Chollet et ses sorcières. Je me demande quels genres de pouvoirs m’auraient valu le bûcher il y a quelques siècles de cela. À ce moment-là, un homme vêtu d’un haut-de-forme, d’un pantalon de toile bouffant et d’un gilet de costume pourpres déambule en parlant tout seul, s’appuyant sur un morceau de bois faisant office de bâton de marche. Je l’imagine en grand prophète du style, déclamant à qui veut l’entendre ses conseils de gourou, croisement entre le chapelier fou et le pirate ayant perdu la boule. Je le quitte lorsqu’il salue une connaissance à lui, un malabar au crâne rasé, mono-tresse et T-shirt où il est crié “HARDCORE” sur le dos.

“ Des conférences et projections sur des thèmes aussi variés que «  La 5G est-elle l’œuvre du diable ? »” VENDREDI 17 AOÛT

23h32

13h08

La nuit est tombée, la scène psytrance vient alimenter mes pérégrinations mentales : et si le règne parisien du monochrome devait s’arrêter là où se distordent ces écailles tendues au-dessus de la piste ? Pourquoi ne pas tout miser sur le fluo de ses lumières traversant la rivière et son nuage de fumée, et devenir ainsi le guide autoproclamé d’une génération en mal d’émotions, prête à imploser et libérer toutes ses nuances de folie, de colère et d’amour à travers le peu de tissu qu’elle arbore pour cacher ce qu’elle a de plus intime ?

C’est décidé, je serai une bonne élève. Sont proposés tout au long du Yaga des conférences et projections cinématographiques sur des thèmes aussi variés que “la 5G est-elle l’œuvre du diable ?”, “les premiers hommes cyborgs et les dilemmes d’une société cyborg”, “les tenants et aboutissants du microdosing de LSD ou de champignons hallucinogènes” ou la création de la communauté Queercore. Des ateliers sont aussi dispensés pour concevoir ses propres amulettes et attrape-rêves, apprendre le facepainting,


mode m’insuffle une belle dose de confiance. Je me lance dans la lecture des phrases qui sont diffusées sur la scène principale. Après examen, elles s’avèrent être l’histoire des Lettres édifiantes et curieuses publiées entre 1702 et 1776 en 34 volumes qui contribua à l’ouverture de la France aux cultures non-européennes et à l’émergence du siècle des Lumières. Elles signeront la fin (provisoire) de ma quête : la céramique, l’aromathérapie ou encore la fabrication d’encens. Puissent mes sens s’imprégner de toute cette connaissance afin de m’élever au rang de prêtresse du style. SAMEDI 18 AOÛT 17h16 Je sors vidée de mon cours d’acroyoga au cours duquel je me suis fait porter à tirelarigot en incarnant une baleine volante (sic). Quelques mètres plus loin, je passe récupérer mon œuvre mise au point suivant la technique du “Cyanotype”, un procédé d’impression qui réagit à la couleur et teint en bleu ce que l’on a précédemment collé ou peint. Pour ma part, ce seront des épis de blé séchés mêlés à des enluminures grossières. Je demeure sceptique quelques secondes avant d’accepter que le principal, c’est d’expérimenter. J’en tire une belle leçon de vie. Mais pas le temps de m’émouvoir puisque ce soir, c’est le grand soir pour nous, la tournée d’adieux, le final. 22h20 Les lignes acid transpercent l’air, ellesmêmes croisées par les projections sur les arbres de formes psychédéliques et de la figure de David Bowie. La vision de ce grand manitou de la musique et de la

“In one of the volumes of the Lettres édifiantes et curieuses that appeared in Paris during the first half of the eighteenth century, Father Fontecchio of the Society of Jesus planned a study of the superstitions and misinformation of the common people of Canton ; in the preliminary outline he noted that the Fish was a shifting and shining creature that nobody had ever caught but that many said they had glimpsed in the depths of mirrors…”


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OH D JAD JA

C’EST LA FÊTE DE L’HUMA


On parle souvent d’expérience, d’expertise et de savoir-faire quand on essaye de vous convaincre de vous rendre à un évènement… Mais lorsqu’on parle de la Fête de l’Humanité, a-t-on vraiment besoin de rappeler tout cela ? Un événement vieux de près de 100 ans dont la 84e édition est déjà bientôt prête à nous accueillir, loin du cliché premier de réunion prolo ; “l’Huma”, aujourd’hui, c’est surtout une bien belle fête à passer en compagnie de ses potes autour de réjouissances musicales venues des quatre coins du globe. Trois jours au cœur du parc Georges-Valbon, à La Courneuve, c’est déjà une belle offre. Si le retour de vacances nous reste en travers de la gorge, l’Huma nous propose une rentrée idéale pour nous amuser en oubliant notre train-train quotidien, en musique, mais aussi de façon responsable à travers des actions engagées pour l’environnement et la tolérance. Un moment hors du temps, toujours en compagnie d’artistes d’exception. Si certains se souviennent peut-être encore du passage de Pink Floyd en 1970 ou des Who trois ans après, d’autres peuvent mettre leur jalousie de côté : chaque édition vaut le détour. Représentants de tous les genres, du funk au rap en passant par les musiques du monde et une touche électro pour certains, il y aura suffisamment d’artistes à se mettre sous la dent, quels que soient les goûts et les couleurs. C’est donc normal de retrouver sur l’une des trois scènes de l’Huma à la fois Aya Nakamura, Shaka Ponk, Youssou N’Dour, Eddy de Pretto, Soprano, Les Fatals Picards, Didier Super et Paul Kalkbrenner. Auxquels

s’ajoutent bien évidemment une multitude de noms connus ou fraîchement cueillis parmi les jeunes pousses : Pouvoir Magique, L’Or Du Commun, Dope Saint Jude, Sônge, Lord Esperanza, Student Kay, Alysce ou encore le Voilaaa Soundsystem… En plus de sa musique, l’Huma c’est aussi une bonne dose d’activités pour passer le temps entre deux concerts ou se reposer un peu du volume sonore. On retrouvera alors cette année un coin MMA pour s’entraîner et assister à des démonstrations de ce sport de combat, son espace de jeux accessibles aux 7-77 ans, mais aussi des conférences et débats sur le progrès social et les valeurs de chacun… Sans oublier de se remplir la panse ! Comme chaque année, il y aura de quoi faire pour contenter les affamés avec près de 400 stands et des saveurs du monde entier. Et pour ceux qui avaient l’habitude de se perdre dans ce vaste espace hédoniste, plus d’inquiétude : l’Huma a mis au point une application officielle pour accéder à toutes les infos pratiques, les horaires des débats, spectacles et autres projections, ainsi qu’un service de géolocalisation pour vous y retrouver !

FÊTE DE L’HUMANITÉ DU JEU. 12 AU SAM. 14 SEPT. AU PARC DE L’AIRE DES VENTS, DUGNY


INTERVIEW

T/ MPK P/ NAÏS BESSAIH

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FRÉDÉRIC HOCQUARD

NUITS FRANCHES



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FRÉDÉRIC HOCQUARD

Frédéric Hocquard est le genre de mec à avoir bien roulé sa bosse (directeur de lieux culturels et alternatifs comme Confluence ; président de Actif, réseau de salles festives, etc…) avant de devenir, en 2014, l’adjoint d’Anne Hidalgo sur la question de la vie nocturne et de la diversité de l’économie culturelle.

Le titre fait un peu pompeux, le type ne l’est pas, et c’est plus en homme de terrain qu’en technocrate que celui-ci nous a parlé des nuits de la capitale, ce qui est plutôt une bonne chose, avouons-le. Avec lui, nous avons passé en revue les enjeux, les obstacles, les défis et le possible avenir de notre cher monde sub-lunaire.


LE BONBON : La nuit n’est-elle pas

fondamentalement un espace qui rend les utopies possibles ? FRÉDÉRIC HOCQUARD : Oui, c’est vrai que les relations sociales sont différentes la nuit, je ne dis pas que toutes les barrières se cassent, mais elles ne sont pas les mêmes. Il y a plein de nuits où la vie s’est ré-inventée, comme la Nuit de l’abolition des privilèges pendant la Révolution française, la Nuit des barricades en 68… Le philosophe Jacques Rancière a écrit un bouquin qui s’appelle La Nuit des Prolétaires. Il y raconte comment au XIXe siècle, alors qu’ils bossaient 10 à 15h par jour, les ouvriers saintsimoniens prenaient le temps, la nuit, au café, de penser une cité utopique. Il faut lire aussi Les Nuit Parisiennes de Restif de La Bretonne, où il peint avec précision les nuits du XVIIIe. Et puis Roland Barthes, quand il décrit la faune bigarrée qu’il rencontre au Palace. C’est tout ça la nuit, au-delà du monde de la sortie, de la fête…

rendre possible la variété, la diversité, en les poussant sous toutes les formes qu’elles peuvent avoir. Paris, ce n’est pas Sim City, il faut que la nuit reste cet endroit interstitiel, intermédiaire. Malgré tout, la ville édicte du règlement, de la norme, donc on ne peut pas faire n’importe quoi. Rendre les choses possibles, ça veut dire aussi : « faites gaffe au voisinage ». Parce que toutes les villes dans lesquelles il n’y a pas eu cette sorte de compromis entre le voisinage et la nuit, la nuit a perdu. C’est très flagrant à Londres et à Barcelone, la nuit a perdu parce qu’il n’y a pas eu de médiation. Nous, c’est cette médiation que nous voulons mettre en avant.

L.B. La fermeture de Concrete – qui avait en

balader la nuit, ce qui est la définition même du “noctambule”. Je crois savoir aussi que vous aimez bien mettre le nez de temps en temps au Petit Palace… c’est exact ? F.H. Oui, j’aime bien. Lionel (Lionel Bensemoun, créateur emblématique du feu Baron et Calvi on the Rocks, ndlr) et Gypsy (son bras droit, ndlr) ont fait du super boulot. L’endroit est clairement beaucoup mieux qu’avant.

quelque sorte inauguré cette décennie dorée – a pu paraître pour certains observateurs comme un signe avantcoureur de déclin… F.H. Il était hors de question qu’un club emblématique disparaisse du territoire parisien. On les a d’ailleurs aidés à trouver un nouveau lieu. Le soutien fort affirmé par la Ville de Paris montre que les temps ont changé. J’ai été extrêmement étonné qu’Anne Hidalgo fasse un courrier, et que le conseil de Paris, dans son intégralité, gauche comme droite, ait voté un vœu de soutien. Et ce, à l’unanimité. Il y a 10 ans, ce genre de sujet serait passé à la trappe. C’est bien la preuve que la nuit à Paris a évolué.

L.B. Venons-en maintenant à notre sujet,

L.B. Quelles sont les spécificités de la

L.B. Je crois savoir que vous adorez vous

Paris et la nuit. Cette dernière décennie a été une décennie dorée pour le clubbing parisien. Comment faire perdurer ce “golden age” ? F.H. Le vrai sujet sur lequel on travaille, nous, à la Mairie de Paris, c’est de rendre les choses possibles. On veut

nuit parisienne actuelle ? En quoi se distingue-t-elle des autres capitales ? F.H. Le principal atout de la nuit parisienne, c’est sa diversité, sa variété. Il y a tout, on a le Péripate, l’équipe Concrete, les parcs et les jardins qui sont ouverts toute la


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nuit, les voies sur berge, le Petit Palace, la Clairière, des clubs plus conventionnels… bon, j’en oublie plein, mais voilà, il y en a pour tous les goûts. Pour que cette diversité continue d’exister, il faut la soutenir, éviter les concentrations économiques, être inventif, avoir des idées. Sinon, on peut vite retomber dans l’uniformité.

L.B. La géographie hyper dense de Paris

n’influe-t-elle pas aussi sur ses nuits ?

INTERVIEW

FRÉDÉRIC HOCQUARD

F.H. Nous, on veut garder l’effervescence

DANS Paris. J’aime beaucoup ce qui se passe à Pantin, Montreuil, etc…, mais pourquoi il n’y aurait rien dans Paris ? Paris devrait être une ville-musée où l’on va s’endormir et avoir juste des clubs institutionnels ? Non, l’ADN de cette ville, c’est d’avoir plein de quartiers festifs. Après oui, les warehouses en intra-muros, c’est compliqué, mais c’est une histoire de place, ça.

L.B. Justement, en parlant de warehouse,

quelles sont les nouvelles du côté d’un autre club emblématique : le Péripate ? F.H. Le Péripate, c’est un lieu qui a tourné à l’excès, ce qui fait que la préfecture de police a signé la fin de la récré, en disant qu’il y avait des normes à respecter. Personnellement, j’en ai parlé à Aladdin (le papa de la Péripate, ndlr), en le prévenant qu’il y avait des travaux à faire s’il veut qu’on poursuive l’expérience. Je l’avais d’ailleurs rencontré à l’époque du Pipi Caca, c’est Gaspard Delanoé (fondateur du squat 59 Rivoli, ndlr) qui m’avait amené dedans, j’avais trouvé ça marrant. Il a ensuite installé le Péripate dans un bâtiment municipal, j’ai dit ok, il nous a présenté le projet, c’était dans les clous. Après, l’aspect restauration a un peu disparu pour céder la place au côté festif, or nous, on voulait

un équilibre. C’est pas grave, je suis sûr qu’il va rattraper le coup. Il a une convention avec la ville qui finit au mois de décembre 2019, si tout roule et que les travaux sont faits, on discutera de la prolongation.

L.B. Il y aussi pas mal de bars musicaux qui

rencontrent des problèmes. Il me semble qu’il suffise qu’un voisin porte plainte pour qu’un établissement soit menacé. Comment assouplir cette loi ? F.H. C’est un peu plus compliqué. On a mis en place dans les arrondissements les plus festifs des commissions de régulation de débits de boisson, dans lesquels il y a les commissariats, la ville, et les organisations professionnelles. On fait le tri en fonction des plaintes, si elles sont nombreuses et répétitives sur un établissement, là, il y a souci. L.B. Cette loi, c’est donc une légende ? F.H. Oui, mais après, ce qui est vrai, c’est


“ Les plaintes par rapport aux bruits de la place Pigalle…. Qu’est-ce que je pouvais leur répondre ? Depuis 100 ans il y a du bruit place Pigalle !”

ont commencé à avancer. Je prends un exemple : à Londres, 30 % des clubs ont fermé entre 2012 et 2016. Du coup, ils ont modifié la loi de telle sorte que si vous construisez un bâtiment nouveau à côté d’un bar, c’est à vous d’isoler le lieu, pas au bar. Je suis très demandeur à ce que l’on travaille sur des sujets comme ça. On ne peut plus rester sur cette législation du XIXe siècle qui met tout sur le dos des débits de boisson. Après, on a mis un fonds de soutien avec le Centre National des Variétés pour que les salles de concert puissent faire des travaux, ça va être le cas de la Mécanique Ondulatoire, par exemple.

L.B. La nuit parisienne, vous la voyez comment dans 10 ans ?

F.H. On va voir si ce que je vous raconte que cette législation est héritée du XIXe siècle, une époque où le bar était le seul lieu où on vendait de l’alcool, ce qui le rendait très responsable de tout ce qui se passait autour de lui. On en est encore là. Par exemple, si un bar tourne depuis des années, qu’il est aux normes d’un point de vue acoustique, et qu’une personne achète juste au-dessus et se plaint du bruit, elle a le droit d’acter en justice et de faire condamner le bar. À un moment donné, il va falloir qu’on fasse rentrer cette loi dans des questions d’usage. Moi, quand j’ai été élu en 2014, l’un des premiers courriers que je reçois de la part de riverains, c’est des plaintes par rapport aux bruits de la place Pigalle. Qu’est-ce que je pouvais leur répondre ? Depuis 100 ans il y a du bruit place Pigalle ! Si je ferme les établissements place Pigalle, je tue une âme de Paris ! On est en retard sur les questions législatives là-dessus, il y a des pays qui

sur la diversité va tenir ou pas. Ça peut exploser, que tout se retrouve à la périphérie, que Paris soit complètement gentrifiée, ce que je ne souhaite pas. Et puis il y a une chose importante : les prochaines années, nous allons connaître des canicules à répétition. Il va falloir que l’on organise notre vie, et donc la nuit en fonction de ça. Pourquoi ne pas passer à l’heure espagnole et décaler nos horaires ? Entre la climatisation à outrance et l’heure espagnole, je choisis la deuxième solution, elle est bien plus écologique. Ce changement de rythme impliquera le fait de vivre plus tard, ce qui aura une conséquence bénéfique sur l’économie nocturne. Nous serons aussi immanquablement à la recherche d’espaces frais, et cette fraîcheur, nous pourrons la trouver dans toutes les anciennes caves parisiennes. En s’adaptant à ces nouvelles conditions climatiques, les sous-sols de la capitale vont devenir des nouveaux terrains de jeu !


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THOMAS SMITH

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JEUDI 5 SEPTEMBRE 20h Point Éphémère 16 € Voiron (live), Krampf, Paul Seul 00h Rex Club 8 € CrazyJack in da house VENDREDI 6 SEPTEMBRE 20h Dehors Brut 15 € Deena Abdelwahed, Ivan Smagghe 21h LaPlage de Glazart 14 € PWFM – Summerclub n°4 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr 00h Nouveau Casino Motion #10 – Paris Classic SAMEDI 7 SEPTEMBRE 00h La Java 10 € Trou aux Biches 00h Badaboum 15 € DJ Boring (live), Andy Garvey 00h Petit Bain 15 € Skylax House Explosion MERCREDI 11 SEPTEMBRE 19h Safari Boat La croisière de Bachar Mar-Khalifé 00h Rex Club 8 € Overground VI w/ Moonwalk, Deviant Lads JEUDI 12 SEPTEMBRE 23h NF-34 15 € Jeudi Banco Closing : Blawan

AGENDA

VENDREDI 13 SEPTEMBRE 12h Parc Georges-Valbon 40 € Fête de l’Humanité 23h Djoon 18 € Palms Trax all night long 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr 00h Rex Club 15 € Club Trax : DJ Stingray, Solid Blake

SAMEDI 14 SEPTEMBRE 23h NF-34 11 € Ellen Allien, Maxime Iko, A1ST 00h Rex Club 25 € Moodymann, Siler, Mad Rey 00h La Machine du Moulin Rouge 16 € La Mamie’s Trip w/ Marcellus Pittman VENDREDI 20 SEPTEMBRE 23h La Machine du Moulin Rouge 16 € Toronto-Paris – RBMF 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr 00h Badaboum 15 € Mor Elian + guests 00h Petit Bain 16 € Silent Servant x Ceremony NWPP SAMEDI 21 SEPTEMBRE 22h Docks de Paris 42 € Dream Nation Festival 2019 23h La Java 10 € Hors-Sol – Effluves d’amour ! 23h Dehors Brut 15 € Musique Vivante – RBMF MERCREDI 25 SEPTEMBRE 13h Gaîté Lyrique Paris Electronic Week 2019 VENDREDI 27 SEPTEMBRE 21h LaPlage de Glazart 22 € Les Plages Psychédéliques Oréades 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr 00h Protocol Kamikaze Space Programme 00h Rex Club 15 € Techno Body Music #2 SAMEDI 28 SEPTEMBRE 12h Paris Techno Parade 2019 22h La Clairière Inner City (live), Kevin Saunderson




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