Novembre 2019 - n° 99 - www.lebonbon.fr
NOVEMBRE 2019
Finalement, ma vie n’était qu’un long et lent mouvement vers la désillusion la plus totale… Tout cela avait commencé avec cette histoire de père Noël quand j’étais gosse, puis s’était poursuivi un peu plus tard lorsque j’avais appris que Georges Michael, mon modèle de virilité, aimait se prendre des zgegs dans le cul. Ado, je me mis à croire très fort à la politique, pensant qu’il était vraiment possible de changer le monde par la révolution. Je ne cessais de tenir des discours d’extrême-gôche, mais je me rendis vite compte que la plupart des révolutionnaires n’étaient que des nombrilistes qui se foutaient royalement du grand soir. Je voulus alors devenir capitaliste et faire du fric, mais je n’étais réellement pas doué pour ça. Me restait la religion, elle m’anesthésia le cerveau et calma un certain temps ma peur de la mort, jusqu’au jour où je m’aperçus qu’il ne s’agissait que de dangereuses fables pour enfants. L’amour, voilà la seule chose au monde à laquelle je pouvais me rattacher. Pas de bol, le divorce des Guetta me prouva qu’il n’était pas éternel, et que ce concept sirupeux n’avait en définitive pas plus d’importance que mon compte en banque constamment vide, que les papiers administratifs que j’envoyais toujours en retard ou que mon permis de conduire que je ne passerai jamais. Rien, je ne croyais plus en rien. Et bizarrement, les épaules déchargées de tous ces poids morts, je me sentis envahi d’une immense liberté. Un léger courant d’air frais circula entre mes deux oreilles. J’étais dans la condition optimale pour sortir boire une bière.
N°99
MPK
VALD 15. PORTRAIT KOVA 17. DOSSIER POURQUOI LA PROVOC’ ? 19. SOPHIA ANTOINE 21. JOHANN ZARCA 23. LËSTER 25. HANNIBAL VOLKOFF 27. ERIK SATIE 29. DIDIER FRANCFORT 33. MODE LA SEXUALISATION 37. REPORTAGE SIERRA NEON 43. CINÉMA CLAIR OBSCUR 47. CARTE BLANCHE VALENTIN GUIOD 7. MUSIQUE
CONFISEUR JACQUES DE LA CHAISE RÉDAC’ CHEF LUCAS JAVELLE CONSULTANT MPK DESIGN RÉPUBLIQUE STUDIO GRAPHISTES CLÉMENT TREMBLOT ANTOINE MERCIER RÉDACTION LISA BELKEBLA ROBERT DE LA CHAPELLE MANON MERRIEN-JOLY FLORIN SAINT-MERRI SR LOUIS HAEFFNER RÉGIE CULTURE ANTOINE KODIO RÉGIE PUB LIONEL PONSIN LE BONBON 15, RUE DU DELTA, 75009 SIRET 510 580 301 00040
NOVEMBRE
LA JAVA
SAM
09 IMPRESSION#02 VERT RHODE & BROWN ODOTTE IMPORTED CREW VEN
15 COUVRE X CHEFS YAYOYANOH LIVE DJ MARFOX PETIT PIMENT SYLVERE VEN
22 VIE GARANTIE JEAN TURNER LIVE JOHN T. GAST LIVE APIENTO MARION GUILLET JEU
28 MUSIQUEER SAFIA NOLIN LIVE CLÉA VINCENT LIVE MARKUS CHAAK TRANSTERROR VEN
29 KHO-NNECTION #3 SOCIETY OF SILENCE LIVE SOYOON TOMA KAMI MARCOROSSO SAM
30 PROFESSEUR PROMESSES #21 JORRDEE LIVE BEA PELEA LIVE BOE STRUMMER JULIETTA FERRARI 105 RUE DU FAUBOURG DU TEMPLE 75010 PARIS
ASSEYONS-NOUS ET RÊVONS UN PEU
De la fin de journée au petit matin, l’Institut du Monde Arabe vous invite à passer une nuit des plus mémorables. Bercés par la poésie orientale, lectures et représentations en musique nous feront voyager dans l’obscurité et l’intimité de l’Institut. Pour sa quatrième édition, « elle donnera cette année voix à l’Algérie, au Soudan, à la Syrie, aux femmes et aux artistes exilés ». Notre coup de cœur pour la nuit ? La lecture en dialecte tunisien de L’Étranger de Camus. Nuit de la poésie @IMA 16 novembre
SURTOUT PAS UN BRUIT
Vous risqueriez de déranger pas mal de monde. C’est une soirée silencieuse ici, monsieur. On n’est pas dans la mondanité des soirées en boîte. Alors vous prenez votre casque, vous vous le collez sur les oreilles, et vous profitez de découvrir une fête différente, sans acouphènes. Parce que les Silencieuses, c’est une expérience à vivre au moins une fois. On vous conseille de l’enlever une fois pendant le peaktime et d’écouter les crissements de chaussures sur le sol, seul bruit apparent. Nocturne Silencieuse @Cité des sciences 28 novembre
BON TIMING
L’ESSENCE DU JAZZ
Ça fait du bien, de temps en temps, de mettre de côté son instinct sauvage pour se relaxer un peu. On profite du coup de la tenue du Blue Note Festival, label de légende du genre, pour se détendre et profiter de ce qui se fait de mieux en matière de jazz. Dans trois salles mythiques de la capitale, on ira donc se délecter sur Madeleine Peyroux, Gregory Porter, Thomas Dutronc ou encore Ben L’Oncle Soul. Un moment 100% good vibes.31 octobre-2 novembre Blue Note Festival @Trianon, Olympia & Élysée-Montmartre 25-30 novembre
MUSIQUE
VALD
PLUS MATURE ? T P
LUCAS JAVELLE NAÏS BESSAIH
MUSIQUE 8/9
VALD
Huitième saison pour Valentin Le Du, dont le synopsis est plus qu’alléchant : Ce monde est cruel. Un album signature de l’artiste qui se vante d’avoir été « plus mature » ; force est de constater que le contrat est bien rempli. Entre dépression et des potes, Vald
se pose une fois de plus au sommet du rap jeu en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “disque d’or” et “Bercy” ; l’une des plus grosses salles de France l’attend le 16 novembre. Avant son concert pour la fondation Abbé Pierre à l’Olympia, il nous reçoit en loges, accompagné d’une partie de sa bande éternelle : Suikon Blaz AD, backeur, et Merkus, manager. Une équipe solide qu’il n’est pas près de laisser derrière lui, comme le rap.
LE BONBON : Tu t’es rangé ? VALD : Est-ce qu’on est sorti vraiment ?
partir dans tous les sens. À la base, "Ni Queue Ni Tête Mais Qui Met Quand Même Bien", c’est d’abord un écho à la musique et comment je la vois. C’est la réponse sur la vie. (AD précise :) « Pour te dire qu’à l’époque, on savait déjà que ce monde est cruel. Mais on ne savait pas comment le dire. »
C’est peut-être un album plus mature. Plus que les autres, mais je ne pense pas qu’on se soit rangés. On a voulu être chiants encore.
L.B. Faire chier différemment alors ? V. On a une autre vision de la musique,
on a d’autres attentes. On s’est rangés du côté de la bonne musique ; on essaye, en tout cas, terriblement.
L.B. Le contrat est fini, six albums passés… les V.
majors, c’est une contrainte ? Nooon, pas de pression ! (Il s’adresse à son manager) Merkus t’as eu de la pression pour finir les contrats ? (Rires) Le projet c’était Bercy, on l’avait annoncé et il nous fallait un album pour aller avec. Le vrai truc, c’était deadline un mois avant le concert. Si on arrive encore avec Xeu sur Bercy, c’est moche – ça fait deux ans qu’on tourne avec. C’était ça l’impératif.
L.B. Il fallait que tu passes par tout ça pour V.
L.B. On en vient alors à un morceau des V.
L.B. Le monde est cruel mais qu’est-ce qu’il est V.
d’autre ? Le monde est grand. Un peu d’amour… Dire que c’est cruel, c’est aussi dire qu’il y a du beau. C’est juste une vision. On peut s’échapper de sa vision ; le monde n’est pas cruel. D’ailleurs ce n’est pas le monde qui est cruel, c’est CE monde.
L.B. "NQNTMQMQMB", c’est un clin d’œil au
V.
passé, mais aussi un morceau frais avec Suikon Blaz AD qui pose. Comment tu fais le lien entre ça et tout ce qui s’est passé dans ta carrière ? Le switch de la prod’, le pull-up au début, le rock qui se transforme en… je ne sais pas comment appeler ça… en "sub Kanye West" ? Un simple sub. Avec un chien. (Rires) C’était déjà l’esprit de la première mixtape :
enfin aujourd’hui affirmer ce message haut et fort ? Fallait peut-être que je vive… C’est vrai que là, ça m’est apparu comme une évidence, mais peut-être qu’avant, je cherchais une mission. Je suis en train de m’accepter. plus intéressants sur toi, "J’pourrai". Tu pourrais, mais vas-tu le faire ? "J’pourrai", c’est un morceau qui fait hommage à notre potentiel infini, à chaque instant. Quand je dis « je pourrais tout faire à tout instant », c’est Vald qui pourrait tout faire n’importe quand. Impossible is nothing. Adidas avait raison. Et quand tu te rends compte que tu peux tout faire et que tu regardes ce que tu fais, t’as envie de faire "Je pourrai". Alors est-ce que je vais le faire ? Je n’en sais rien… Tout dépend du temps, de ce dont tu parles.
L.B. Il y a déjà une chose dedans qui semble V.
bien lancée : la bombe AD larguée solo sur le devant de la scène. On va sortir sa mixtape. Ça fait des années que je le mets sur le devant de la scène, AD ! Mais je le dis à qui veut l’entendre : ça arrive. (Rires)
L.B. Et à la fin du morceau, tu dis "je préfère V.
fumer". C’est ça le vrai frein à tout ce que tu pourrais accomplir ? Tout à fait. Je vais laisser la parole à Merkus, qui a deux ou trois
MUSIQUE VALD 10 / 11
“ C’est peut-être un album plus mature. Plus que les autres, mais je ne pense pas qu’on se soit rangés. On a voulu être chiant encore.”
MUSIQUE
phrases à ce propos. (Rires. Merkus s’exprime :) « Il l’a dit. Forcément, on connaît les effets nocifs du THC et que de temps en temps, ça pousse à procrastiner. Dans ce morceau, c’est ce qu’il exprime. Il remet à demain tout ce qu’il pourrait faire. » Il y a déjà ce potentiel infini pour tout le monde, et chez les gens qui ne fument pas, il y en a aussi une chiée qui procrastinent. Là, en fumant, c’est vrai que tu as tendance à te satisfaire de ne rien faire. Mais c’est aussi une vision de la vie : combien de moines se posent le cul par terre et ne bougent plus ? Pour eux, c’est ça le plus grand bonheur. Donc oui, je vais un peu moins vite dans la musique quand je fume, au grand dam de Merkus.
L.B. Une autre phrase : "Elle veut que je quitte V.
L.B. Un autre frein ? V. Les meufs ? Non. Mais c’est une
demande récurrente des gens qui croisent ma route. « Peut-être que si t’avais une autre vie, ça serait plus facile. » Mais c’est sacrément égocentrique d’arrêter mon métier qui nique tout pour toi. Ça va pas ?!
L.B. Seezy (un de ses beatmakers, ndlr) V.
VALD
L.B. Est-ce que tu pourrais arrêter ? V. J’espère bien. C’est un comportement
déviant quand même. C’est un nuage sur ton antenne… et dans la pièce. (Rires) On est des antennes et on doit recevoir et émettre sur le monde. Le shit amène un nuage sur cette antenne. Obligé d’arrêter quand j’écris, sinon je ne peux pas. Parce que j’ai pas de concentration. Comme n’importe qui ! Tu l’as vue la vidéo de l’araignée qui tisse sa toile sous le cannabis. C’est mortel au début, et puis elle abandonne. Flemme. C’est à cause de la concentration.
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L.B. Dans ta musique ça ne se reflète pas. V. Non, parce que je ne peux pas faire
une musique quand je fume. J’en parle quoi. C’est sûr que si je ne fumais pas, je n’en parlerais pas dans le morceau. J’associe le rap, le shit, la soirée… C’est un truc de rappeur de bédave. Soit tu la vends, soit tu la consommes, soit tu en parles. Tout le monde fait ça. Snoop Dogg il a fait 30 ans de carrière là-dessus et il continue. Parce qu’on peut parler du nuage sur ton antenne, mais c’est aussi un beau moment.
le jeu rien que pour elle." Sacrément égocentrique.
prévoyait en février un album plus happy, plus joyeux. On en parle ? De ses prévisions ? Il n’avait pas totalement tort là-dessus non plus. C’est quelqu’un de déprimé, Seezy. Moi, j’ai fait le point là-dessus à cause de toutes les interviews, c’est là que je me suis rendu compte que c’est d’abord le compositeur qui est sacrément dépressif, et le reste suit. Mais, au contraire, je ne trouve pas que ça soit un album si triste. Il y a beaucoup de rayons de soleil. "Ce monde est cruel", "Keskivonfer", "Rappel", "Je pourrai"… Il y en a toute une chiée. "Ma star" ! Il y a une sensibilité de jazzman sur cet album, tu peux le retranscrire. La vie, c’est une longue dépression clairsemée de rayons de soleil. Avant même d’être une dépression, c’est une déception. C’est terriblement décevant.
L.B. La dépression, c’est un peu le mot d’ordre V.
depuis quelques temps. Comment tu la ressens, comment elle se manifeste ? Je fume du shit, je regarde YouTube, je fais du rap… Tu es juste dans un déni, tu ne te bats pas. Il faut accepter, il faut avancer. Mais c’est décevant et dur. Je sors dehors, c’est l’asile.
L.B. On peut quand même se complaire dans sa vie dépressive.
de réfléchir ! Que les gens disent « ah les batards ! ». Même les morceaux les plus durs sont positifs. Il y a toujours des gens qui vont vibrer.
L.B. Tu rêves quand même de partir, tout V.
quitter ? Ça serait quoi ta retraite idéale ? Aller vivre à la frontière peut-être. Rocking chair, YouTube… (Rires) Rester dans la prod’. Derrière de nouveaux artistes, derrière mes gars. Il n’y aura pas vraiment de retraite.
L.B. Tu disais il y a un an : « Je suis une V.
blague qui a mal tourné. » Aujourd’hui, la blague s’est arrêtée ? Je crois, oui. Il y a un malentendu qui a perduré, ça nous a ramené un sacré flux que j’ai envie de respecter. Évidemment, ce n’est plus une blague aujourd’hui.
L.B. Et « je trouve ça drôle d’avoir réussi
V. V.
C’est une raison de vivre géniale ! Pourquoi t’es en vie ? Bah je déprime. C’est plus la déprime que la dépression. On se forge dans nos problèmes, on se complait terriblement. "La souffrance, c’est sacré, on ne la donne pas n’importe comment." (Rires) Là, je suis border.
L.B. Qu’est-ce que tu retiens de positif de V.
tout ça ? Tout est terriblement positif : faire de la musique, c’est génial. C’est une sacrée réponse à la vie. On n’est en vie pour rien, ça n’a pas de sens, en attendant on fait de la musique. Et pas de la musique chiante ; on fait quelque chose qui donne envie de chanter, de sauter et de rigoler… Et
à être plus vrai que d’habitude », pourquoi "vrai" ? Qu’est-ce qu’il y avait de faux avant ? J’ai l’impression que c’est plus précis ce que je dis. Que je suis plus pointu dans ma proposition.
L.B. C’était ta quête ? V. Évidemment ! J’avais envie de dire
des trucs qui sont véritables pour moi. "Je sais pourquoi tu es dépressif / Où tu achètes c’est excessif " : c’est terriblement vrai. Ce monde est cruel, c’est vrai. Mon objectif à chaque son, chaque sortie, c’est d’être surprenant. De faire kiffer les gens de la communauté. Pour la huitième saison, on s’est dit « on la joue vrai ». Public Enemy, Ce monde est cruel, on peut changer les choses, "Pensionman" est là. C’est un régal.
VALD - CE MONDE EST CRUEL EN CONCERT LE 16 NOVEMBRE À L’ACCORHOTELS ARENA
PORTRAIT LES GENS DE LA NUIT 14 / 15
KOVA
DESSINATRICE DE NUIT
« Qu’est-ce que tu branles avec ton carnet à dessin, en train de sautiller là ? » C’est souvent ce que me disent les gens un peu hallucinés lorsqu’ils me croisent en train de crayonner dans les concerts.
Comment j’en suis venue à faire ça ? C’est assez simple, je trainais pas mal avec des amis photographes de concert, et je ne voulais pas faire comme tout le monde. Le seul truc pour lequel j’étais douée, c’était le dessin. Je me suis alors mise à croquer les artistes en plein milieu de la foule. Du coup, je capte mieux l’énergie de la scène, des musiciens, du public, tout ça circule en moi. Je ne suis jamais statique quand je dessine, parfois, il y a même des traits improbables quand je me fais bousculer par des mecs bourrés. Je trouve ça plus intéressant que d’être dans un coin toute seule. Finalement, ce que je fais se rapproche plus d’une performance que d’un simple dessin d’observation. Expo le 12 novembre à la Patronnerie 51 Rue de la Fontaine au Roi, 75011
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LA PROVOC’
DOSSIER
DOSSIER SPÉCIAL
POURQUOI
LA PROVOC’? Simple instrument de manipulation ou réel moyen de communication ? Présente à chaque coin de rue, sensée ou non, nous sommes allés à la rencontre de ceux qui en ont fait leur inspiration. Artistes, écrivains, photographes et autres intervenants ont partagé leur point de vue.
Dossier : La rédaction Illustrations : Antoine Mercier
DOSSIER
“LA PROVOCATION EST L’ARME POLITIQUE ET PACIFIQUE DES OPPRIMÉ.ES” SOPHIA ANTOINE, FEMEN
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LA PROVOC’
Photo © Capucine Henry
Rompues aux actions coup de poing, les FEMEN sont devenues des expertes de la provoc’ médiatique. Sophia Antoine, l’une d’entre elles depuis 7 ans, nous en explique la philosophie. Provoquer, c’est faire bouger des lignes, interpeller les esprits, ouvrir le débat, favoriser une émulation autour de problématiques qui sont invisibilisées. Nous, les FEMEN, on veut mettre un coup de projecteur là-dessus, on veut que la société civile et la sphère politicomédiatique s’emparent de ces sujets. Avec humour ou gravité, on essaye d’apparaître toujours là où l’on ne nous attend pas, de créer l’effet de surprise en utilisant nos corps et des slogans percutants. L’important est de désarçonner. Bien sûr, nos provocations sont le fruit d’une stratégie, elles sont ciblées. Il y a une grande porosité avec l’actualité. On est aussi en lien très étroit avec le tissu féministe. Pour nous, provoquer, c’est aussi créer et fédérer. Par exemple, pour notre dernière action sur les féminicides, l’idée était d’incarner nos mortes parce qu’elles ne font pas la une des journaux (les FEMEN ont défilé le 5 octobre dernier au cimetière du Père Lachaise pour dénoncer les crimes conjugaux, ndlr). Et bien nous, on leur donne le premier rôle. En réalité, la provocation est l’arme politique et pacifique des opprimé.es. On utilise l’espace public pour diffuser un message qui a du sens. Sans violence, nous célébrons la liberté d’expression.
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LA PROVOC’
DOSSIER
“PROVOQUER, C’EST REMUER L’INERTIE POUR SUSCITER UNE RÉACTION” JOHANN ZARCA, ÉCRIVAIN
Photo © Naïs Bessaih
Beigbeder dit de sa prose qu’elle est grossière, agressive, glauque mais « drôle comme une fête dont on ne se souvient pas. » En quelques années, Johann Zarca s’est imposé comme l’une des plumes les plus créatives de sa génération. Il nous livre sa vision personnelle de la provocation. Quand j’ai eu le prix de Flore en 2017 pour Paname Underground, je ne peux pas dire que c’était vraiment une provocation, parce que je ne l’avais pas choisi. Par contre, dans le milieu de la littérature, ça a été perçu comme tel. Après, faut dire que j’en ai rajouté une bonne couche lorsque le lendemain j’ai écrit : « Comment j’ai fisté la littérature ». T’es quand même dans un microcosme à l’ancienne, un peu coincé, et moi j’écris ça et je pose en faisant deux doigts d’honneur et en leur disant d’aller se faire voir… Ça, oui, c’était de la provoc’. D’ailleurs, ça n’a pas plu à une partie du milieu. J’ai fait aussi d’autres trucs bien débiles, comme foutre du shit dans les bouquins que j’envoyais à la presse, et communiquer dessus. Ça me faisait marrer. Pour moi, la provocation, c’est remuer l’inertie pour susciter une réaction.
Flinguer un consensus mou. Être dans la transgression pour repousser les limites. Alors c’est vrai qu’il n’y a pas toujours un message derrière, des fois tu provoques parce que t’es casse-burnes et que t’as juste envie de casser des burnes. Il y a aussi un plaisir dans la provocation. Mais ce n’est pas un plaisir de blesser. J’ai plus une provoc’ pour faire marrer et remuer, mais je ne vais pas aller provoquer des cathos en leur montrant ma teub. Les gens qui font ça, ça ne va pas m’exciter. Le mot le plus provocateur de la langue française ? C’est clairement "putain". C’est une insulte sans l’être, ça a quasiment remplacé les virgules, c’est devenu une respiration dans la langue à l’oral. Et niveau écrivain, Houellebecq et Despentes restent de grands provocateurs. Autre chose : il y a tellement de place donnée à l’originalité aujourd’hui que c’est compliqué de se positionner là-dessus. Provoquer, c’est se faire remarquer. Si tout le monde provoque, où se situe la provoc’ ? À force de provoquer, ne sommes-nous tous pas en train de créer un nouveau consensus ? — Braquo sauce samourai (fleuve noir)
DOSSIER
“LA PROVOCATION, C’EST UNE HISTOIRE D’AMOUR ENTRE UN ARTISTE ET SON PISTOLET.” LËSTER, MUSICIEN
22/23
LA PROVOC’
Lëster, jeune artiste à la rencontre de la pop et du hardcore, nous confie son rapport à la provoc’. Je suis toujours resté un peu coincé dans mon adolescence, entre emo et gothique. J’écoutais Marilyn Manson et Britney Spears quand j’étais petit. À la base, j’avais découvert Manson quand j’avais 9 ou 10 ans, et j’étais plus attiré par le personnage lui-même. À cet âge, on n’a pas de modèle qui casse autant les codes. En me penchant sur les textes et la production des morceaux, je me suis rendu compte que c’est hyper riche. Le morceau le plus provocateur pour moi, ça serait "The Love Song", où il fait une déclaration d’amour à un pistolet. Je vois ma musique un peu comme ça ; une espèce de mélange entre une esthétique très pop et une plus sombre. Plus que dans la provocation, je suis dans le trash. Je regarde beaucoup de films d’horreur, et c’est une grande source d’inspiration, musicale et visuelle. Comme le film Ginger Snaps (2000), où deux adolescentes font un projet photo où elles mettent en scène leur suicide. Ça m’a inspiré notamment pour la cover de l’EP, et c’est un thème qu’on retrouve dans mon titre "What About Us?" : l’histoire de moi, mort, qui appelle presque au suicide la personne que j’aime pour la retrouver dans l’au-delà. Lëster – Sadness Lessons Sortie le 15 novembre (bORDEL)
Photo © Daphné Borenstein
DOSSIER LA PROVOC’
HANNIBAL VOLKOFF
24/25
(Photographe) Se poser la question d’une photographie "provocante", c’est se poser la question d’images qui s’en prennent à des valeurs, un système et une idéologie dominants – des images politiques, donc. En militant à travers ses images ou en témoignant simplement de la répression de mouvements sociaux, on découvre qu’il peut nous en coûter notre intégrité physique. Voilà une charmante manière de constater que nos photographies sont subversives. Photo © Hannibal Volkoff
DOSSIER LA PROVOC’ 26/27
LE JOUR OÙ ERIK SATIE S’EST MIS À DOS LA MUSIQUE CLASSIQUE FRANÇAISE Bien connu pour n’avoir été la majeur partie de sa vie qu’un vieux bougre solitaire sans le sou enfermé dans ses idéaux et ses convictions artistiques, Erik Satie n’en était pas moins un génie, notamment un génie de la provocation. Passionné de l’exercice épistolaire, il tient une correspondance abondante avec bon nombre de ses pairs, pour les uns appréciés (Debussy, Picasso, Cocteau, Stravinsky…) et les autres bien moins (Auric, Poueigh, Ravel…). Peu à peu, reclus dans sa maison d’Arcueil, l’artiste cherche la notoriété, allant jusqu’à s’affilier à la Rose-Croix, "mouvement artistique" (comprendre secte), pour en devenir compositeur officiel. Un geste qui soulève vite l’indignation de ses congénères. Cassant les codes de la musique classique dans sa composition – Satie composera Vexations des suites d’une rupture en reprenant 840 fois le même motif –, il casse également ses confrères, n’hésitant pas dans des missives meurtrières à remettre en place qui bon lui semble. Lui qui prônait la parole franche dans sa provocation – bien qu’elle ne soit pas toujours à son avantage – refusait les réponses longues de ses correspondants. « Vous avez quelque chose à dire, précisait-il lors d’une lettre à un ami, vous l’écrivez. Faites court. » C’est
avec un goût de la métaphore et du jeu de mots qu’Erik Satie insulte tour à tour les grands de l’art et du monde contemporain. La mère de Jean Cocteau recevait, à propos de Maurice Ravel, des propos crus : « Dites à Germaine Tailleferre que Ravel, son Dieu, est un veau, et mal cuit encore ! ». Au critique et compositeur Jean Poueigh, il envoyait : « Vilain cul, je t’emmerde à tour de bras… » Parlant de Georges Auric à une connaissance, il disait : « Avoir du talent et se conduire comme un trou du cul ! » Car s’il y avait bien une chose que Satie respectait, c’était le talent. Persuadé d’en avoir parfois trop, parfois beaucoup moins que les autres (« Stravinsky est un magnifique oiseau ; moi, je suis un petit poisson »), Satie est un éternel déchiré, atteint d’une dépression qu’il ne réalise pas et manipule comme un jeu du sort. Certains le qualifiaient de « sentencieux crétin », il répondait alors à Willy, premier époux de Colette : « Désormais, taisez-vous, je défends que l’on parle avant, pendant et après moi. » On se doit alors de parler ici d’œuvre épistolaire plus que de recueil d’insultes, tant Satie a réussi à montrer qu’il excellait dans la provocation, en musique comme dans la vie. — Correspondance presque complète, Ornella Volta
28/29
LA PROVOC’
DOSSIER
LA CULTURE DE LA PROVOCATION DIDIER FRANCFORT
Historien universitaire et spécialiste de la question Quel est le rôle de la provocation ? C’est la mise en évidence des limites de la société, de ces ferments qui se manifestent à l’occasion de cette provocation. Une sorte d’accélérateur des changements sociaux pour mettre en place un jeu d’interaction qui implique que l’adversaire, la majorité stagnante, ne peut plus réagir. Quel cas de l’Histoire pourrait bien illustrer ce rôle ? La Marseillaise de Gainsbourg. D’une certaine manière, il a eu de la chance que cet idiot de Michel Droit réagisse de façon aussi violente contre lui, parce que ça a pris une dimension provocatrice qui n’était pas nécessairement présente. C’est parce qu’il y a eu réponse. Quel mécanisme de transgression cela implique ? La transgression de choses taboues, sacrées… La nudité, l’évocation de la mort… Les choses les plus fondamentales ! Sinon c’est de la provocation de rien du tout qui n’est pas gênante. Il faut forcément aller au plus grave pour provoquer ou la susceptibilité a aujourd’hui sa place ?
La susceptibilité peut avoir sa place et être nécessaire pour ruser. Parfois, dans les régimes autoritaires ou violents, on ne peut provoquer que de façon très discrète ; on peut de temps en temps faire le pari de l’intelligence. Existe-t-il une bonne et une mauvaise provocation ? C’est une question en définitive d’éthique qui à tout moment implique à chacun d’avoir un travail de vigilance pour voir où il place la barrière entre bonne et mauvaise provocation. Quelles sont les limites de cette provocation ? Il existe là-dessus une législation. Je n’ai pas de scrupule à dire simplement qu’il y a une loi, on l’applique et voilà. Il faut éviter cette absence de loi qui rendrait nécessaire une renégociation qui risque de tourner au conflit inutile. Faut-il provoquer pour réussir ? Ça peut marcher, mais très vite, ça déçoit. Si un producteur de culture n’a à offrir et partager que sa provocation ou son indignation, ça finira par retomber. Culture de la provocation, éd. PU Nancy
DOSSIER
PROVOCATION LE MOT DE LA FIN
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LA PROVOC’
Photo © Hannibal Volkoff
Pour s’approcher au mieux de ce que l’on peut considérer comme une définition adéquate de la provocation, nous avons été obligés de l’aborder de son origine à ses dérivés contemporains. Des envolées d’un littéraire qui trouve du plaisir à s’attirer les foudres de ses compères – à la manière d’un Satie désabusé par l’art qu’il pratique – aux clichés virulents d’un photographe subversif, c’est témoignage après témoignage que nous nous sommes finalement posé la question : pourquoi la provoc’ ? Parce que les démonstrations se multiplient avec le temps. Précurseur en son heure, Erik Satie avait cent ans d’avance sur la provocation d’aujourd’hui et s’était bâti une réputation de rentre-dedans qui l’a suivi post-mortem – génie malgré lui. Aujourd’hui, ces pratiques sont d’autant plus réelles : le monde du rap repose sur une base solide d’extravagance, d’abus et de luxure – sujets parmi les plus offensants auprès du commun des mortels. À l’opposé d’un machisme bien affirmé, les communautés LGBT et féministes se rejoignent sur une provocation plus crue : celle du corps. Dans une société aux traditions souvent encore
trop ancrées, ce qui touche de près ou de loin à un organe génital ou un bout de sein déplaît, à tel point que la réaction suscitée profite au succès. « L’important, c’est de désarçonner », nous expliquait l’activiste FEMEN. Le problème, c’est la libre interprétation. Notre cher pays, bien que passé par toutes les étapes et genres de la provocation sur plusieurs siècles, de la Révolution à Pierre Desproges, s’éteint aujourd’hui dans un acquis de conscience bien trop disproportionné. On peut rire de tout mais on ne rit plus de rien ; arabes, juifs, noirs, asiatiques, homosexuels, transsexuels… tour à tour, ethnies et classes sociales en prennent pour leur grade et ça dérange. Face aux divergences de l’ordre commun et ce bon vieil adage de « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres », le politiquement correct a pris le dessus sur la provocation, et celle-ci est devenue un instrument marketing plus qu’une idéologie. Casser les codes pour faire parler. Créer de la réaction pour arriver à la reconnaissance, bonne ou mauvaise. Un exemple qui fait défaut à ceux qui veulent encore inciter le monde à changer par la rupture.
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MODE
Cécile (à gauche) : Robe WAB (We Are Baddies) Boots Bocage // Manteau Marius Loulou (à droite) : Veste H Robertson // Haut WAB (We Are Baddies) // Pantalon L.A.N. // Boots perso
MODE
T P
MANON MERRIEN-JOLY NAÏS BESSAIH
LA
SEXUALISATION COMME 34/35
MOYEN D’EMPOWERMENT ? Remerciements : Le Brakadabar // Agence Dresscode // Bumbies Paris Agence F141 // Cécile Duval // Loulou Leroy
Cécile (à droite) : Robe WAB (We Are Baddies) // Boots Bocage Loulou (à gauche) : Veste H Robertson // Haut WAB (We Are Baddies) // Pantalon L.A.N. // Boots perso
Un regard moqueur sur la cagole, la nympho, la chagasse et l’allumeuse glisse vers les beurettes, les proies de la yellow fever et autres panthères noires… Usons des raccourcis injurieux pour entrer directement dans le vif du sujet : la sexualisation permanente de la femme. À en croire les nombreuses voix qui s’élèvent contre ces qualificatifs, les femmes seraient victimes des clichés sexuels qui leur sont apposés sans pouvoir en sortir. Pourtant, d’autres s’en emparent, les enfilent et les assument. MUTANTES EN CUISSARDES En 2009, dans son documentaire Mutantes (Féminisme Porno Punk), Virginie Despentes rencontre celles qui prônent le féminisme pro-sexe, faisant « du corps, du plaisir et du travail sexuel des outils politiques dont les femmes doivent s’emparer ». Huit ans plus tard, la journaliste Camille Emmanuelle publie Sexpowerment, un essai dans lequel elle se débarrasse des diktats de la société sur le corps, la sexualité et le genre pour prôner un féminisme incarné. Si elle est la catégorie la plus recherchée en France sur Pornhub, la “beurette” est également en proie à ces injonctions, désignant péjorativement la femme maghrébine. L’influenceuse Lisa Bouteldja, diplômée en mode de la Central Saint Martins, s’empare du personnage pour poser fesses apparentes, gestes lascifs et look mettant en valeur sa kalashicha, nous invitant à célébrer la “beurettocratie”. Si les maisons de mode traditionnelles restent frileuses à l’extravagance vulgaire, de jeunes marques remettent le sexy d’actualité. C’est le cas de la jeune marque parisienne We Are Baddies, qui fait ainsi poser la chanteuse Lolo Zouai en robe de cuir et collier de chaînes sur une mini-motocross, ou une étudiante maintenant fièrement ses seins dépourvus de soutien-gorge dans la rue, les yeux mi-hagards, mi-aguicheurs.
TWERK ET REGGAETON, ENNEMIS DU FÉMINISME ? Les détracteurs du reggaeton ont une fâcheuse tendance à oublier que cette danse, contrôlée par la femme, est bourrée de paroles machistes mais également d’un empowerment au féminin qui n’a pas son pareil. Prenez “Despacito”, pour mettre tout le monde d’accord non pas sur la qualité de la musique mais sur l’invitation au consentement qu’elle contient : “Je veux être à ton rythme / Que tu apprennes à ma bouche tes endroits préférés / Permets-moi de dépasser tes zones de danger / Jusqu’à ce que tu cries / Et en oublies ton nom.” On peut également citer l’injonction “Dale papi Dale!” (“Vas-y chéri, vas-y”) que l’on entend régulièrement dans les sons reggaeton, où le consentement est criant. Dans son essai-enquête Jouir, la journaliste Sarah Bermak fustige le slut shaming pratiqué par les femmes vers les femmes, et en particulier en ce qui concerne le twerk. Selon elle, « les femmes blanches se sont senties investies d’une mission : sermonner Beyoncé et ses copines parce que, tout de même “le twerking c’est pas féministe”, comme l’a déclaré Annie Lennox (…) Cet épisode s’inscrit dans un schéma assez récurrent à travers l’histoire du féminisme, celui de femmes blanches décidant ce qui mérite d’être considéré comme féministe. Souvent, ce polissage s’est soldé par l’exclusion de femmes racisées, des lesbiennes et de femmes transgenres ». Elle mentionne Fannie Sosa, universitaire, artiste et danseuse travaillant sur le twerking. Dans sa vidéo Cosmic Ass, véritable ode au twerk, Sosa explique son processus : « je connecte ce que j’appelle “les beaux quartiers” que sont le visage et l’ego avec le ghetto qu’est mon corps ». Et si au lieu de les shamer, on encourageait un peu plus les salopes ?
REPORTAGE 36/37
SIERRA NEON P
NAÏS BESSAIH
T P
ROBERT DE LA CHAPELLE NAÏS BESSAIH
Il n’y aurait pas eu de meilleure définition pour cet endroit que “frivole”. Un mot pourtant peu séduisant qui prend tout son sens dans cette soirée : tout a peu ou rien n’a d’importance. Qui que l’on soit, d’où que l’on provienne. Le Sierra Neon réussit là où warehouses, friches et autres petites habitudes du Grand Paris n’ont pas toujours été au point : ici, personne ne vous juge. Fête rime avec liberté, partage, désinvolture et bien d’autres mots du champ lexical de l’instant.
REPORTAGE
SIERRA NEON
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REPORTAGE SIERRA NEON 40/41
Pour l’ouverture du Sierra Neon, situé au 87, rue de Strasbourg à Saint-Denis, Kambiz, tenancier des lieux et fondateur d’Open Minded, livre un sans-faute de la fête moderne. Brute et néon à la fois, le club reflète bien l’esprit du collectif rebelle Qui Embrouille Qui auquel Kambiz est attaché, un brin de folie en plus. Artistiquement parlant, on n’en attendait pas moins d’une soirée qui accueillait aux commandes La Toilette ; le rythme accéléré et étouffant d’une techno énervée démonte un à un les plus téméraires, brillants sous une lumière bleue, à la rencontre du troisième beat. Tel un ovni de la scène électronique, le Sierra Neon nous capture dans son faisceau d’énergie. Le lendemain matin, on n’en oubliera presque ce qui avait réussi à nous promener entre rêve et surréalisme. Entre deux clignements d’yeux, on réussira quand même à ressaisir la réalité qui nous entoure pour contempler avec admiration
un décor authentique : des corps, tous mélangés dans une danse frénétique, luisants de bonheur, qui se déchaînent sous les coups de massue d’un système-son calibré pour dégustation. À mesure que la soirée défile, la fête n’en est que plus belle. Des frissons nous parcourent la colonne vertébrale sous les cris enragés de CRAVE en live, debout sur le booth, micro à la main. Certains en profitent pour s’essorer, s’abreuver et se reposer. On restera devant, profitant que l’artiste extériorise pour nous une colère intérieure irrationnelle. Libres de ce poids qu’on ne saurait expliquer que par une frustration de chaque jour vivre à Paris, il fallait bien que l’on s’en éloigne – à peine – pour s’en débarrasser. Laissant derrière nous un bordel heureux, on sort repus des lieux. Dans un flou incertain qui nous ramène chez nous, on hésite encore, déjà perdus dans nos souvenirs. On y était ? On n’y était pas ? On y retournera.
REPORTAGE 42/43
CLAIR OBSCUR L’ÉDITO CINÉMA Le Joker de Todd Philips a dépassé le million et demi d’entrées : comment d’un tel abattage médiatique et bain de pieds collectif à litanie de compliments sans retenue cette société de l’image arrive-t-elle à nous imposer à sa guise sa bien-pensance culturelle ? T
PIERIG LERAY
CINÉMA 42/43
Déjà vu avant de le voir, avec son matraquage d’images et d’esclaffements publiques, Joker est le symbole de l’escroquerie artistique moderne, où les dires et le marketing deviennent plus importants que la qualité de l’œuvre. Car il est un film purement anodin, avec un Joaquin Phœnix hérissé en cachemisère d’une absence sidérante de réflexion socio-psychologique, et qui tire sur plus de deux heures une succession de sketchs sans liant, pas même une esquisse d’analyse, de réponse aux interrogations soulevées, comme si le film dépassait son propre metteur en scène. Alors comment un tel film peut-il autant s’imposer à nous, rendant même son visionnage obligatoire tant il s’est imposé en sujet de société ? Ne pas le voir reviendrait à fauter, “être passé à côté”. Je crois que la thématique omniprésente de la détresse sociale, d’une forme de fraternité oubliée par la froideur néo-libérale est une
partie de l’explication. Son sujet en pleine actualité, à défaut de réponse, nous offre à minima un début de questionnement. Car il nous renvoit aujourd’hui au Chili qui prend feu, au Liban qui porte son masque, au Venezuela en guerre civile : les démons du passé resurgissant, les militaires sont dans la rue, et la misère sociale bascule en détresse puis contestation, avant l’affrontement et les morts. La violence par le chaos est-elle l’unique solution d’une société qui collapse ? Tuer et détruire, ravager les espaces publics, accepter de mourir pour une cause plus grande que soi, est-ce finalement là le dernier espoir de reconquête d’une certaine humanité mourante ? On peut honnêtement le croire, mais l’Histoire nous prouve le contraire, car une révolution peut tout aussi bien naître du courage d’un homme seul qui s’oppose
par l’écriture à une autorité malade et dictatoriale de la pensée. C’est ce que nous raconte Roman Polanski avec sa lecture personnelle de l’affaire Dreyfus dans J’accuse (en salle le 13 novembre) à travers le personnage emblématique du Colonel Picquard. Ladj Ly et sa vision moderniste des Misérables (en salle le 20 novembre) repose cette question de la colère, de la violence face à la loi, des flics au regard perdu, désabusés et mutés en cow-boys des cités. Comment réagir face à l’insoutenable injustice d’un État censé défendre ses citoyens, alors qu’il finit par les harceler et les matraquer ? La confrontation en devient cette fois-ci inévitable, tant tout paraît si éloigné de nos regards bourgeois et des considérations élitistes de nos politiques isolés du monde. Les Misérables n’est pas un film de banlieue, il est un grand film sociétal
qui répond avec ardeur et intensité au démantèlement progressif d’une société qui s’isole et se communautarise. Là aussi, c’est l’histoire d’un jeune homme abandonné, fils d’immigré, orphelin, et laissé à la merci d’une famille qui ne l’aime pas. Face à lui, sa main qu’il s’est coupé et qui tente de le retrouver. J’ai perdu mon corps de Jeremy Clapin (sortie le 6 novembre) est un film d’animation bouleversant, qui arrive d’une élégance magistrale à jouer l’équilibre entre l’intensité d’action et l’émotion brute, on ne peut s’arrêter d’écouler des larmes chaudes de détresse, puis d’espoir dans une vision humble mais si juste d’une vie injuste. Grandiose. Capital mois de novembre donc où les révolutions éclatent à travers le monde, et le cinéma tente d’en déjouer les origines. Du cinéma à la rue il n’y a qu’un pas, qui peut être décisif.
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VALENTIN GUIOD
CARTE BLANCHE
@valentinguiod / valentinguiod.com
AGENDA
VENDREDI 1er NOVEMBRE 23h Djoon 15€ Les Résidents Sarcus : Gabriel • Hoser & Malouane • Jacky Jeane 00h Dehors Brut 15€ Dehors Brut: Anna, Sama’, Toscan Haas 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur le bonbon.fr SAMEDI 2 NOVEMBRE 23h30 Cargø 15€ Cargø x Dxl invite Fumiya Tanaka 00h Petit Bain 12€ Kindergarten #14 23h30 Badaboum 16€ Label Night : Increase the Groove 00h Rex Club 20€ Pont Neuf • KX9000 Release Party JEUDI 7 NOVEMBRE 23h30 Badaboum 10€ NOIR.E // Episode IV : Rui Ho VENDREDI 8 NOVEMBRE 23h La Station 14€ Subtyl x RND w/ Crystal Geometry, Monya 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur le bonbon.fr SAMEDI 9 NOVEMBRE 00h Glazart 15€ Bender 23h30 Pavillon Cambon Capucines 27€ Chez Gustave x Newtrack 23h La Station 13€ Tech Noire XXL Part II : Molchat Doma, War Scenes & Moonia
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JEUDI 14 NOVEMBRE 23h Glazart 15€ Jeudi Banco : Manni Dee
IMPRIMÉ EN FRANCE
VENDREDI 15 NOVEMBRE 23h30 Djoon 16€ Djoon x Alelah Teuf: Marcellus Pittman 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur le bonbon.fr 00h Petit Bain 10€ Chevry Agency | 1st Anniversary SAMEDI 16 NOVEMBRE 23h30 YOYO Palais de Tokyo 20€ DISCO DISCO Opening : Paul 00h Petit Bain 11€ L’anniversaire de La Darude 21h Le Zorba 5€ Novichok Release Party (Doggo Agostino) 00h La Rotonde Stalingrad 6€ Les Yeux Orange All Night Long VENDREDI 22 NOVEMBRE 00h La Machine du Moulin Rouge 18€ Club Trax : Detroit Swindle (live) 23h La Seine Musicale 17€ BLOOM w/ Kobosil & Norman Nodge 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur le bonbon.fr SAMEDI 23 NOVEMBRE 23h30 Badaboum 15€ Club : Jayda G, Gideön 20h La Bellevilloise 10€ Soirées Bongo’s Bingo à la Bellevilloise JEUDI 28 NOVEMBRE 00h Rex Club 8€ Edyfis Agency : ABSL, Blush Response… VENDREDI 29 NOVEMBRE 00h La Machine du Moulin Rouge 17€ RAW x Tapage Nocturne 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur le bonbon.fr SAMEDI 30 NOVEMBRE 19h La Gaîté lyrique 25€ Marathon ! / Donato Dozzy, Max Cooper, Terry Riley, Apollo Noir 23h Djoon 17€ Into The Deep : Hunee all night long