Juin 2018 - n° 84 - www.lebonbon.fr
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LE MEILLEUR DE PARIS IN THE POCKET NEW VERSION
Disponible sur iPhone et Android
© Pussy Archy
Le Bonbon Nuit → 06/2018
En un rien de temps, la Géorgie, petit pays niché près de la mer Noire et à cheval entre l’Europe et l’Asie, est devenue l’empire du cool pour les fêtards de tous poils. Après l’intervention très musclée de la police, dans la nuit du 11 au 12 mai et sur ordre du ministre de l’Intérieur, dans deux clubs de la capitale Tbilisi, Bassiani et Cafe Gallery, et la fermeture de ceux-ci illico presto, la jeunesse locale s’est empressée, le lendemain matin, de se rassembler devant le Parlement pour demander la démission du Premier ministre et exiger la réouverture des deux clubs injustement fermés. Cette manifestation a rassemblé quelques milliers de personnes, dont les deux fondateurs de Bassiani, qui ont eu la bonne idée de brancher des enceintes et de faire jouer des Dj’s. Finalement, cette vague de contestation de la jeunesse, qui pointait également du doigt la répression envers les drogues et contre le public LGBTQI+, s’est muée en free party géante avec un mot d’ordre qui a fait le tour du monde : “We dance together, we fight together”. Dix jours plus tard, Bassiani rouvrait. Victoire. Que se serait-il passé en France si une compagnie de CRS à l’esprit mou avait pénétré dans l’enceinte du Rex ou de Concrete pour faire arrêter la fête ? Un peu la même chose, et c’est tant mieux. Car la victoire de la jeunesse géorgienne est aussi celle des autres. La mobilisation, comme souvent, n’a pas été que locale mais s’est déportée à toute une partie de la planète. Elle s’est déclinée sur les réseaux, dans les médias, dans les bouches et les actes. Elle a montré que le monde de la nuit, par essence, est éphémère – et pas seulement parce que, à un moment, le soleil se lève. Voici donc un mouvement qui fera jurisprudence. Le “we” du slogan n’est pas cantonné à un pays et à sa capitale. Sa réflexion est globale, immédiate, réfléchie. Elle dépeint une jeunesse localisée dans un territoire mais dont la pensée dépasse le cadre assigné par celui-ci. Une jeunesse dont la soif d’authenticité est grande comme plusieurs continents. Une jeunesse qui fait la fête, avec tous les excès que cela implique, mais une jeunesse qui parvient à insérer celle-ci dans une dimension culturelle plus large. Certains ont pu parler d’espoir pour décrire ce mouvement qui n’en est pas vraiment un. Ce n’est pas du tout ça. Avec l’espoir, il faut attendre. Les fondations qui conduisent à la victoire, elles, sont déjà là. V. T.
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OURS
Confiseur Rédac’ chef Design Graphistes Couverture Rédaction
SR Digital Chefs de projets Régie culture Régie Pub Le Bonbon Siret Imprimé en France
Juin 2018
Jacques de la Chaise Victor Taranne République Studio Coralie Bariot Juliette Creiser Lara Silber Kiddy Smile par Flavien Prioreau Alexandra Dumont Pierig Leray Ivan Vronsky Iris Alba Raoul La Cité Flavien Prioreau Louis Haeffner Antoine Viger Dulien Serriere Florian Yebga Fanny Lebizay Lionel Ponsin Benjamin Alazard 15, rue du Delta 75009 Paris 01 48 78 15 64 510 580 301 00040
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*Desperados Mojito est née d’une recette créative alliant une bière aromatisée Tequila à des arômes de menthe et de citron vert. Née créative.
L’A B U S D ’A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . À C O N S O M M E R A V E C M O D É R AT I O N .
HOTSPOTS
LA NUIT PAR EFFRACTION Imaginez-vous Arsène Lupin en extase dans un hangar sous beats techno/house aussi violents qu’un coup de burin derrière le dos et vous aurez un peu l’image de ce qui vous attend à la première soirée d’Intrusion, un nouveau collectif qui vous fera très certainement perdre les clés de chez vous. Vous n’aurez plus qu’à enfoncer votre porte à coups de pied, du coup. Intrusion_01 @ Secret Warehouse Samedi 9 juin
KICK DE FIN Dada Temple, la résidence surchargée d’intelligence électronique orchestrée par Théo Muller, ne continuera pas une saison de plus. Alors pour célébrer cette jeune institution trop tôt disparue, on compte sur vous pour foutre le boxon au dancefloor de La Chaufferie. Dada Temple : Fin @ La Machine du Moulin Rouge Vendredi 15 juin
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GRAND OPEN AIR À LA VILLETTE Votre plan Fête de la musique est encore flou ? Aucun problème : courez danser sur les immenses pelouses du parc de la Villette pour un grand open air orchestré par Société Ricard Live Music et Le Fair. Au programme ? Clément Bazin, DBFC et MNNQNS (lauréat du prix Société Ricard Live Music). Rendez-vous le 21 juin ! Fête de la Musique • Grand Open Air au parc de la Villette Jeudi 21 juin
UNE DANSE AVEC ALEXANDRE Sous le pont Alexandre III se cache un dancefloor. Du haut du pont, on y aperçoit toute la vie de Paris. On dit d’elle que c’est même la Ville Lumière. Sauf que les vraies lumières se cachent à l’intérieur. Pour ce soir, elles se nomment Franck Roger, Julien Sandre et SMALL. Fermez juste les yeux et écoutez. Faust x Moist : Franck Roger, Julien Sandre, SMALL. Vendredi 22 juin
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Kiddy Smile, l’esprit fluide Texte
VICTOR TARANNE FLAVIEN PRIOREAU
Photos
Enfant de la banlieue, danseur de Paris et musicien du monde, Kiddy Smile est l’artiste multiple par excellence. Un temps styliste/habilleur pour des personnalités, physio éphémère et débrouillard inspiré, le grand bonhomme est avant tout Dj et producteur d’une house énergique qui appréhende le corps comme une pâte à modeler les gestes. Sans oublier de porter un regard aiguisé sur les questions sexuelles et raciales. Juste avant la sortie de son premier album, nous avons rencontré Kiddy Smile et son esprit fluide. 7
À LA UNE
Kiddy Smile
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J’ai vu récemment qu’il y avait des ateliers drag-kings. C’est drôle ce renversement, tu ne trouves pas ? Oui. Après, ça a toujours existé, de toute façon. Mais moi, ça ne me concerne pas trop donc je ne m’y intéresse pas énormément. Habituellement, quand on pense à drag, c’est plutôt avec son qualificatif presque naturel, queen... C’est peut-être parce que le monde est extrêmement centré sur la vie des hommes. Même quand on fait du drag et qu’on enlève son maquillage et son costume on reste un homme. C’est surtout un truc d’oppresseur/opprimé. En fait, peut-être que ce qui dérange le plus dans l’idée de drag-queen, c’est que tout le monde a intégré l’idée que nous vivons dans un monde très sexy et qu’être un homme, c’est être dans une position de force. Alors pourquoi vouloir être une femme ? Après, ce sont des concepts américains qui sont arrivés très tardivement sur notre territoire. Comme ce qu’écrit Kimberlé Crenshaw, la penseuse de l’intersectionnalité (faire reposer sur une personne plusieurs types de domination, comme la race, le sexe et la classe, ndlr ) ? Cette dame est aussi importante que la personne qui a dit que la Terre tourne autour du Soleil. Tu ne peux pas trop réfuter ce qu’elle dit, en soi. Mon oppression au monde ne sera pas la même que celles que mon frère et ma soeur vivent. J’ai d’autres choses qui sont des stigmates dans la société : je suis un homme noir et homosexuel. Mais j’ai de la chance d’être relativement en bonne
santé, d’avoir des attributs physiques qui peuvent imposer une certaine force. Et du coup, même si mon petit frère était pareil, juste parce qu’il n’impose pas la même force que moi, on ne subira pas l’oppression de la même façon. Je pense que la lecture de Kimberlé Crenshaw devrait être obligatoire. Mais les gens ne veulent pas ouvrir ce chapitre-là… Ce serait reconnaître trop de choses. Cela voudrait dire que Christophe Colomb, c’est horrible, et que la colonisation est un crime contre l’humanité. Ce genre de choses… Les gens ne veulent pas trop en parler. Les livres de Kimberlé Crenshaw montrent que le monde est designé pour avantager un homme blanc hétérosexuel en bonne santé, si possible blond avec les yeux bleus et valide. Pourquoi ne découvre-t-on tout ça qu’après coup, notamment dans des lieux comme les clubs qui montrent une sexualité et un genre alternatifs ? La vie des gens que tu vois dans les lieux éphémères comme les clubs, sache qu’elle n’est pas éphémère. Leur vie est tout le temps comme ça. Il y a une majorité qui ne veut pas que leur façon de vie change et qui veulent imposer leur façon d’être aux autres. Et cela passe aussi par ne pas donner le choix car tu ne peux pas choisir quelque chose si tu ne sais pas que c’est là. Par exemple, j’ai tout de suite su que j’étais homosexuel et qu’il ne fallait pas que j’en parle. J’ai tout de suite su qu’il fallait que personne ne soit au courant, mais ce que je ne savais pas, c’est que je n’étais pas le seul. Et ça a mis très longtemps entre le fait que j’identifie que je n’étais pas comme les autres et le fait que je sache que je n’étais pas seul.
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À LA UNE
Toi qui est un acteur du clubbing par la danse et par la musique, ne penses-tu pas que ces endroits sont oppressants, ne serait-ce qu’au regard du porte-monnaie ? Je ne suis pas la bonne personne pour te parler parce que je ne sors que dans des clubs où je connais les gens qui organisent la soirée. C’est assez rare que j’ouvre mon portefeuille pour aller en soirée. Et ce n’est pas parce que maintenant je commence une carrière musicale, mais je pense que j’ai très rarement payé pour aller dans un club. J’ai plus payé pour aller dans des événements de danse, et mon expérience en tant que danseur, c’est que le club n’est pas la seule opportunité pour moi de danser. Je peux danser dans beaucoup de circonstances. Mais si je sors dans un club, c’est d’abord pour la musique. Je ne vais pas dans un club pour boire ou prendre des drogues. Et je ne vais pas en club pour me retrouver avec mes amis. J’y vais pour danser et écouter de la musique. J’y vais aussi pour danser mais j’ai l’impression que ce n’est pas de la même manière que toi ! Toi, tu es lié à la scène ballroom. Qu’est-ce que c’est d’ailleurs ? La communauté ballroom a été créée à New York à la fin des années 60 par des drag-queens qui se sentaient biaisées par leur ethnicité dans des concours de drag traditionnels, et du coup ils ont choisi de créer leurs propres concours. Il y avait au départ des concours de beauté drag, mais à cela se sont ajoutées beaucoup de catégories comme la danse, le mannequinat, la sape. Les gens ont été répartis un peu par house,
Kiddy Smile
c’est un peu comme des gangs gérés de façon familiale, et le but était de créer un espace safe pour les communautés LGBT et racisées afin qu’elles puissent s’exprimer en se libérant de leur oppression au monde dans cet espace. Est-ce que ce n’est pas une manière d’exorciser ce qu’il se passe à l’extérieur, soit l’oppression, en reproduisant son fonctionnement à l’intérieur par un affrontement, sans violence certes, de différents gangs rivaux ? Ce qu’il se passait dans les balls, en ce qui concerne certaines catégories, c’était surtout une grosse satire de la société. Mais derrière, il y avait surtout un désir des gens d’être acceptés. Mais pas à n’importe quel prix. Le fait de s’affronter, c’est pour avoir le prix. S’il n’y avait pas de compétition en termes d’événements, il n’y aurait pas d’affrontement. Mais la communauté reste soudée malgré les tensions qu’il peut y avoir. Toi qui fais de la house, est-ce que tu penses qu’elle a encore des choses à apporter ? Ce n’est pas quelque chose qui me concerne, en fait. Les gens font des lasagnes depuis des siècles, mais les gens ne cherchent pas nécessairement la nouveauté dans les lasagnes. Tu fais des lasagnes, tu mets ton amour et ton histoire dedans, et elles ont le goût qu’elles ont, en fait. Je pense que c’est dû à la technologie qui est utilisée pour créer la house music, mais ce n’est pas des choses qui sont demandées aux gens qui font du rock
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Qu’est-ce qui va changer par rapport au premier EP que tu as sorti ? Une dimension un peu plus pop, je dirais. Déjà, il y a une vocation à faire des chansons, ce qui n’était pas le cas des choses précédentes. Après il y a des mélodies un peu moins club, même si ça reste fait pour le club. Volontairement, ce n’est pas très club. Mais joué en live, ça le sera.
ou du jazz. Ce n’est même pas ce qu’on demande aux gens qui font du hip-hop. Mais bizarrement, les gens qui font de la musique électronique ont cette obligation de fraîcheur et d’inédit. Ce n’est pas le but de la house music. Son but doit uniquement être de rassembler les gens. Dans les lasagnes, il y a une technique pour les faire. Ce qui fait l’art, c’est l’émotion que tu mets dedans, pas la technicité. Ton prochain album sera donc un bon plat de lasagnes… J’espère. En tout cas, c’est un peu de lasagnes que moi j’aime bien et que j’ai fait avec tout mon cœur. Et avec des gens que j’admire. Je suis très fier d’eux. J’espère que les gens l’aimeront autant que je l’aime.
Est-ce que tu te définirais comme un homme ? Oui. Je suis un homme et je suis heureux de l’être. Après je ne pense pas être l’homme que la société attend que je sois. Il y a plein de catégories pour tout, mais ça n’est pas important pour moi. Je sais que je suis un homme et que j’assume bien ma part de féminité qui est peut-être plus grande que chez les autres. Alors peut-être que tu es plutôt queer, dans le sens de “sans étiquette” ? Si tu utilises le mot queer, c’est que tu appartiens à la communauté LGBT et que tu as un engagement politique. Et parce que tu fais partie d’une minorité, tu ne peux pas tenir un discours oppressant sur une autre minorité. Ce mot queer implique que tu es contre le sexisme, contre le racisme, contre toutes les autres oppressions. C’est pourquoi j’oppose souvent les hommes gay et les hommes queer. Pour être queer, il faut une expérience de vie LGBT engagée. Être témoin et le vivre, ce sont deux choses différentes. Après, tu as des alliés qui ne vivent pas ce qu’on vit mais dont on a cruellement besoin. Je dis souvent
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À LA UNE
Kiddy Smile
One Trick Pony (Defected Records), son premier album, sortira le 15 août 2018. L’artiste sera également à l’affiche du festival Le Magnifique Society, à Rennes, les 15, 16 et 17 juin.
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“J’essaie toujours d’emmener les gens aux racines de la house music, c’est-à-dire en Afrique.” aux gens que ce n’est pas moi qui vais convertir un mec qui vote FN, qui n’a jamais rencontré les Noirs mais qui les déteste. C’est la personne qui n’est pas racisée qui va déconstruire le racisme de cette personne. Pourquoi ? Parce qu’il y a un lien. Tu as aussi bossé dans la mode. C’est quoi le fashion faux pas ? Le fashion faux pas arrive quand des gens mettent des choses qu’on leur a dit de porter alors qu’ils n’avaient pas franchement envie de les porter. C’est mettre des vêtements qu’on n’assume pas vraiment. En fait, pour moi, il n’y a pas vraiment de fashion faux pas. Il n’y a pas de vêtements interdits ou à ne pas mettre. S’ils te procurent de la confiance quand tu les mets, vas-y. Et les célébrités que tu as habillées, elles n’avaient peutêtre pas envie de porter certaines choses, non ? J’étais un bon styliste-habilleur, je n’essayais pas de changer les gens. Simplement de mettre des épices sur ce que ces gens voulaient. Je n’ai pas eu de formation pour faire ça. Ils me disaient
simplement : « Mon style, c’est ça ». Et quand j’allais dans les show-rooms, je regardais et confectionnais des looks. C’était plus un boulot alimentaire, pour moi. Ce n’est pas l’expérience la plus excitante de ma vie. Tu n’as jamais voulu lancer une marque de sapes ? Je crée des fringues pour moi. Mais par défaut puisqu’il n’y a pas ma taille ! S’il y avait ma taille, j’irais à la boutique. Je ne passerais pas six heures à confectionner un blouson. Il y a un diktat du prêt-à-porter ? C’est en train de changer. Ils se rendent compte qu’ils perdent de l’argent. Toutes ces choses-là sont basées sur le capitalisme. Du coup, le moment où les marques se sont rendues compte que les gros avaient de l’argent, elles se sont dit que les gros pouvaient peutêtre leur donner un peu d’argent à elles plutôt qu’à l’industrie agro-alimentaire. Parce que c’est ce qu’il se passe, quand tu es gros et que tu vas chercher des vêtements mais que tu n’en trouves pas à ta taille, pour te réconforter tu vas acheter à bouffer. Mais les choses changent, tout doucement. Le métier de Dj a-t-il une autre portée que de faire danser les gens ? J’essaie toujours d’emmener les gens aux racines de la house music, c’est-àdire enAfrique. Il y aura toujours un moment très afro dans mes sets. Après, peut-être que des fois il y a des vocations éducatives. Mais très souvent, je joue les mêmes morceaux parce que je n’écoute pas les promos.
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INTERVIEW
Ibeyi
Ibeyi, sacrées militantes TEXTE PHOTO
ALEXANDRA DUMONT DAVID UZOCHUKWU, AMBER MAHONEY, SOPHIE WRIGHT
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Les jumelles f
ranco -cub ain
es Ibeyi
n’en finissent plus de sillonner les routes du monde entier, multipliant les rencontres providentielles et redoublant d’assurance devant (le regretté) Prince ou Beyoncé. Leur deuxième album sorti l’an passé est un nouveau succès. La production musclée au hip-hop et dancehall renforce le propos résolument engagé. D’origines vénézuélienne et tunisienne par leur mère (qui est aussi leur manager), nigériane et béninoise par leur père, le percussionniste Angá Diaz (Buena Vista Social Club), elles revendiquent leur métissage et défendent avec ferveur la transmission de leur culture yoruba de génération en génération. 15
INTERVIEW
Où avez-vous grandi ? Vous sentiez-vous comme des nomades ? Naomi : On a grandi entre Paris, San Juan y Martínez et La Havane, à Cuba. Lisa-Kaindé : On n’était pas des nomades, même si on voyageait plus que les enfants de notre âge. Notre mère et notre grandmère ont réussi à créer un matelas confortable. On n’a jamais eu l’impression d’être baladées. C’est tout le contraire maintenant, on n’est jamais chez nous. (rires) Vous n’en finissez plus de tourner. Vous vous êtes arrêtées seulement un mois entre la tournée du premier album et l’enregistrement du second… L-K : Oui complètement, c’était au mois d’août dernier ! Pas vraiment d’ailleurs, parce que je terminais d’écrire les chansons. N : On aimerait prendre du temps pour nous. On en a besoin ! Je mise sur six mois-un an. (sourire) L-K : Un an… je pense que tu exagères ! N : Ce sera un challenge parce qu’on s’ennuie très vite. Mais j’ai envie de voyager autrement.
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L-K : C’est vrai ? Tu vas allez où ? Mais il faudra créer ! Moi, ce dont j’ai envie, c’est de ne rien faire, au moins le premier mois. (sourire) Me lever à l’heure que je veux, courir les expos, voir tous les films que j’ai loupés, aller à l’opéra… et ensuite, j’aimerais rencontrer des artistes, participer à des ateliers d’écriture, continuer d’ouvrir un peu plus notre spectrum et écrire pour d’autres si l’occasion se présente. N : Perspective août 2019 ! (rires) Qu’associez-vous au mot « frontière » ? L-K : Notre chanson Ash, extrait de notre deuxième album du même nom : « We can see through the walls / Through the ceilings and the floors / We are ashes moving around ». Je n’ai jamais vraiment compris le concept de frontière, au risque de paraître cul-cul. N : Elles ne font que rétrécir ton esprit. L-K : Oui, et c’est surtout un enjeu économique ! Beaucoup de gens diraient que les frontières servent à protéger une culture ou un savoir-faire, mais je suis persuadée du contraire. Une génération peut décider du jour au lendemain qu’elle se fout de savoir tresser des paniers en
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“J’adore le fait de voyager parce que j’ai l’impression d’exploser les frontières” 17
INTERVIEW
osier, mais peut-être que cette tradition pourrait survivre si des personnes du monde entier y avaient accès. Je trouve Internet et l’art extraordinaires pour ça. J’adore aussi le fait de voyager, parce que j’ai l’impression d’exploser les frontières justement ! C’était le point de départ de cette chanson ? L-K : En quelque sorte. On l’a écrite après l’élection de Donald Trump, qui est le spécialiste pour ériger des murs entre les gens. On était sous le choc ! On entrait à peine en studio, et plutôt que de faire
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des beats comme on l’avait prévu, on a écrit Ash et Away Away, deux chansons le premier jour, puis deux chansons par jour, avec la même intensité. Avez-vous encore des attaches familiales à Cuba ? L-K : Oui, notre famille, nos amis d’enfance et nos rencontres récentes. On a notre maison à Cuba, et celle de nos grandsparents où habite notre tante. Notre père est enterré à Cuba. Donc c’est chez nous. Naomi y retourne plus régulièrement que moi. N : Dès que je le peux… ça me nourrit.
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L-K : Elle change, comme si toute une partie d’elle n’existait pas ailleurs. Elle est plus solaire quand elle est à Cuba. Là-bas, on est attachés aux plaisirs simples. Notre seule préoccupation est de trouver des haricots verts, tandis que de retour à Paris, on se demande comment on fera quand on aura 60 ans et pas d’appartement pour vivre. (rires) Quelle histoire retenez-vous de vos ancêtres ? L-K : On est très connectées à notre histoire et celle de nos ancêtres. Notre père nous disait toujours qu’il fallait écouter les anciens, qu’on avait beaucoup à apprendre d’eux. On les célèbre tous les soirs dans des chants yoruba. On peut sentir ceux qui les ont chantés avant nous. Même si on ne connaît pas le nom de nos ancêtres esclaves, on sait qu’ils viennent du Nigéria et du Bénin. On sait aussi combien ils ont été braves et combien ils ont lutté pour transmettre ces chants de génération en génération alors que c’était interdit. On est très fières de les inclure dans notre musique, de les porter sur scène devant un public et d’être un maillon de plus dans cette chaîne. N : À Cuba, les esclaves ont réussi à préserver leur culte grâce au syncrétisme (fusion de deux ou plusieurs religions ou cultes en un(e) seul(e), ndlr). Obatala, le père des Orishas (divinités du culte yoruba, ndlr) et de toute l’Humanité, est devenu Saint Lazare et Yemaya, la déesse de la mer, est devenue la Vierge Noire de Regla. L-K : Au Brésil aussi, ils ont réussi à conserver leur culture, le candomblé, l’équivalent de la santería chez nous. En Jamaïque, ils ont perdu leur culture d’origine, mais là où c’est dingue, c’est qu’ils se sont révoltés. Ils ont couru
dans les montagnes et créé un nouveau culte, le rastafari. Mon pote jamaïcain de Londres me fait rire quand il me dit : « C’est pour ça que j’ai des grandes jambes ! ». Aux États-Unis, par contre, l’esclavage a perduré pendant des années et il y a encore des répercussions aujourd’hui. Vous devriez regarder ce documentaire Netflix 13TH (par Ava DuVernay, sur les liens entre la race, la justice et l’incarcération de masse aux États-Unis, ndlr) sur l’instrumentalisation des non-citoyens qui n’ont pas le droit de vote, et qui sont enfermés pour des délits mineurs. D’où vous vient cette nouvelle conscience politique ? L-K : On a toujours été engagées, sauf dans la sphère publique. C’est sorti à force de voyager et de voir ce qui se passe dans le monde, pas seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe. Comment avez-vous vécu le fait d’être métisses quand vous étiez ados ? L-K : On discutait beaucoup de notre métissage avec notre grand-mère. On savait qu’on n’était ni totalement noires, ni totalement blanches, mais on l’a toujours très bien vécu, aussi parce qu’on a fréquenté des écoles publiques avec des gens de toutes les origines. N : On a toujours assumé le fait d’être franco-cubaines et nos deux familles s’entendaient très bien. On n’avait aucune raison de le cacher. L-K : Oui, car ça n’impressionnait personne. (sourire) Mais parfois, la réalité nous rattrape quand on est une femme et qu’on porte l’afro. On a droit à des réflexions du type « je n’aime pas ça » dans le métro ou dans la rue.
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“Un petit geste peut tout changer.” 20
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Vous citez la poétesse américaine Claudia Rankine et son livre Citizen sur le racisme. Une prise de conscience tardive vous concernant. Comment l’expliquez-vous ? L-K : On a cette chance d’avoir été protégées. C’est quelque chose qu’on a appréhendé davantage à l’adolescence. Ça me fait mal physiquement quand j’entends parler du racisme, et ça me donne une telle rage ! Deathless raconte mon expérience. Un jour, un policier m’a prise à partie à Gare du Nord car, pour lui, une nana avec une afro et une salopette ne pouvait être qu’une dealeuse. Il m’a fait enlever mes chaussures, il a regardé sous les semelles, répandu mon sac par terre, et quand il a vu ma partition de Chopin, il est parti en courant ! Mais ce n’est pas lui qui m’a fait le plus mal, ce sont les gens autour de moi qui n’ont pas bougé, alors même qu’ils avaient pitié de moi. S’ils m’avaient aidé ce jour-là, ça m’aurait fait un bien fou. C’est pour ça que j’ai écrit cette chanson, parce qu’un petit geste peut tout changer. J’ai toujours en mémoire l’histoire de ce gars qui s’était fait agresser sans raison. On l’avait pris par le col, on essayait de l’étrangler jusqu’à ce qu’il pointe un passant du doigt en criant : « Toi, aidemoi ! ». J’ai trouvé ça hyper intelligent. Dans le clip, on vous voit accoucher l’une de l’autre dans un mouvement infini, en chantant : « Quoi qu’il arrive nous sommes éternelles ». L-K : Deathless est notre petit hymne. On a envie de donner aux gens la force de changer les choses. Ça ne veut pas dire
changer le monde, juste faire preuve de compassion, car même un sourire échangé dans la rue peut faire la différence. En concert, on veut que notre public chante ces mots avec nous, de plus en plus fort, pour qu’il sente leur pouvoir. On ne s’arrête que lorsqu’on est tous ensemble au diapason. Ed Morris a réalisé le clip. Une idée brillante dans un flow de propositions douteuses. L-K : On a reçu quarante-cinq propositions pour ce clip mais chaque fois, c’était la même idée. On nous voyait dans un pays d’Afrique, entourées d’enfants qui jouaient du tambour, et on était habillées avec des costumes futuristes. Dès que tu as un lien avec l’Afrique, on te ressert la même chose ! On ne voulait pas d’un clip qui ne nous ressemble pas, surtout pas pour cette chanson. Aussi, parce que la seule manière de faire bouger les choses, c’est de montrer qu’il y a 1000 manières d’être une femme avec une afro, une Franco-Cubaine, de faire de la musique. Ed a compris ça. Je l’ai appelé en crise de panique. Il n’avait pas le temps alors je l’ai supplié, et dans l’heure, on a reçu un fax avec un petit dessin de Naomi allongée par terre pour me donner naissance, et ainsi de suite. J’aurais pu pleurer ! C’est vraiment mon âme-sœur visuelle. Je ne lui ai jamais dit, je suis trop pudique. (sourire) En concert au Festival Fnac Live qui se déroulera les 5, 6 et 7 juillet 2018 à Paris. Les deux sœurs feront également un Olympia le 16 octobre 2018. Leur album, Ash (XL Recordings), est toujours disponible.
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REPORTAGE
En after au Royaume du bien-être Texte
RAOUL LA CITÉ CHLOÉ ATTAL
Photos
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Je suis dans le métro et je n’en mène pas large. Une heure plus tôt, je me trouvais dans un squat du 10e à enchaîner shooter sur shooter, à m’activer dans tous les sens sur une piste de danse, hilare, et à oublier que le lendemain, à 9h30 du mat’ pétantes (et pas 9h32, hein), je devais être au boulot. Au lieu de ça, je foutais le bordel avec ma vie, celle des autres et celle de ce petit chat tout mignon qui venait tout juste d’être pris en otage par un fêtard bordélique qui a eu la fausse bonne idée de repeindre cette petite boule de poils en vert pomme avant de tenter de lui faire boire un shot de tequila, “pour le fun”. Moi, j’étais confortablement installé dans un fauteuil en cuir et je ne comptais pas bouger le petit doigt pour ce chat postanarchiste qui n’a même pas voulu que je le caresse quelques minutes plus tôt. Bon débarras, mon gars. Le métro tangue dans les virages et ça me donne juste l’envie pressante d’extraire de mon bide tout ce qui s’y est accumulé ces dernières 24h – une pizza à 5€ franchement dégueu, une viennoise au chocolat toute sèche et une part de tarte quelconque que j’ai trouvée dans le frigo du boulot. À ma droite, deux mecs tout en blanc m’observent avec un léger mépris doublé d’une interrogation furtive. Qu’est-ce que ces mecs tout droit sortis d’une mauvaise adaptation d’un Isaac Asimov foutent à 5h45 du mat’ dans un métro habillé comme des Storm Troopers du bitume ? Ok, je suis habillé tout en noir, j’ai le nez qui saigne presque et j’ai la gueule d’une perruche sous amphét’, mais je ne mérite clairement pas cet examen visuel de ma personne alors que je cherche juste à caler ma tête tranquille sur la vitre en attendant que ma nausée s’évade.
After yoga, y’a quoi ? « Hé les mecs, vous allez où comme ça ? », je leur lâche sèchement. Après réflexion et conciliation visuelle, les deux gus’ daignent me répondre : « À une fête organisée dans la matinée avant de filer au boulot, c’est un truc qui s’appelle DayBreaker, y’a du yoga au début, de 6 à 7, puis jusqu’à 9h t’as un Dj qui passe des disques, y’a à manger et à boire. Que des trucs bio. Ça met la pêche à fond, c’est parfait pour le bien-être et la cohésion avec toi-même et les autres qui t’entourent. Et toi ? » Moi : « À la maison. Je rentre de soirée et je compte prendre une petite douche avant d’aller au taf… » Panique dans l’assistance. Je vois dans leurs yeux que je fais partie de ces gens-là, les déshérités, la déchéance humaine, ceux qui envisagent de ne pas voter, qui défendent la ZAD ou qui s’enfilent des soirées de 24h en pensant sauver le monde par la liberté de la fête. Ceux qui se tuent la santé, surtout, et qui mourront (trop) jeunes. Moi (encore) : « Vous savez quoi ? Je vais venir avec vous. C’est combien votre truc ? » C’était 20€. Et j’ai eu l’impression d’avoir vendu mon âme au Diable rien qu’en pénétrant dans l’ascenseur et en scrutant les gens autour de moi. Déjà, les gens étaient à l’opposé de moi : j’étais sale, puant et habillé tout de noir, du jean au t-shirt en passant par les cernes qui creusaient mes yeux ; eux étaient donc en blanc, ils sentaient les fragrances Sephora et avaient déjà plein de paillettes tout autour des yeux. Ils avaient l’air beau. La crème de la crème de notre société. De jeunes cadres dynamiques sortis de grandes écoles, certainement. En fait, une myriade de gens aux parcours variés, du coiffeur au consultant en consulting en passant par le chef de publicité ou
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REPORTAGE
l’étudiant qui gère un BDE. Plein de gens différents. « Nous, on bosse chez Facebook et Apple. On a fait un concours pour savoir qui des deux entreprises ramènerait le plus de monde » Super, les gars. C’est un jeu très amusant à 6h du matin. En tout cas, si on parle d’impôts, je pense que vous pouvez tout de suite abandonner la compétition. Arrivé tout en haut, au dernier étage, ma compagnie du bien-être et de l’hightech s’émerveille en chœur. « Wouah », « Oh », « Comme c’est beau », « Trop bien », « Ouah, t’as vu cette vue ». C’est justement le principe, idiote. En effet, la vue est magnifique. De là-haut, on voit tout Paname. Le Paris des monuments (tour Eiffel, Montmartre...) et le Paris des petites gens (le 9-3, La Chapelle, Barbès...). Une grande et jolie brune à
En after au Royaume du bien-être
l’accent nordique nous accueille, mon petit groupe et moi. Je paie mon entrée et le gars de la caisse prend mon billet avec l’élan d’un jeune macroniste, le déguisement en plus. Puis j’ai le droit à un gros câlin avec la grande et jolie brune, qui ne s’est d’ailleurs pas présentée. Moi, je m’appelle Raoul, enchanté. C’était agréable mais j’espère juste qu’elle n’a pas remarqué ma mauvaise odeur. La fête, ça use. Graines de chia et grand gourou Arrivé dans la grande salle, tout un tas de tapis sont posés au sol. Les gens sont en tenue de sport et s’activent dans de grands mouvements défiant les lois de la gravité. Pour ma part, je suis en tenue d’after – chaussures sales, jean sale, t-shirt sale, le complet du crade. Et je crois que je pue de la gueule. Ça tombe bien, j’aperçois un petit buffet au loin et plein de jus de fruits dessus. Affamé, je m’empresse d’y aller, sans oublier au passage d’observer cette foule pleine d’énergie qui bouge les fesses en rythme : « Un, deux, un, deux, à droite, à gauche, et on agrandit, et on agrandit. Ouais, comme ça ! », scandent les deux jeunes femmes qui donnent ce cours de yoga plus tonique qu’un shot de fournaise au Zorba à 8h du mat’. Sur le buffet, c’est l’orgie. Un grand thermos de café répand sa douce odeur dans mes narines engorgées, des petits biscuits aux herbes naturelles sont disposés ça et là, des jus de fruits avec des globules à l’intérieur sont offerts et les graines de chia règnent en maître. J’ai toujours détesté ce genre de conneries, mais faut avouer que c’est pas trop mal. Et apparemment, c’est au top pour la santé, comme le suggère la petite indication “Agriculture biologique”. Au passage, un
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cinquantenaire en chemise et à la peau luisante en profite pour faire la promo de son produit, dont il sert de petits échantillons aux chalands. C’est comme un shot, mais sans alcool. En fait, c’est juste du thé avec un joli packaging qu’il essaie tout de même de me vendre. « Désolé mon vieux, j’ai lâché mes derniers deniers à la caisse. »
biberonnés à la soupe post-Beatnik et néo-hippie, qui ont découvert les joies du Burning Man, des bicyclettes autosuffisantes et de l’entrepreunariat social et solidaire, ont ensuite lancé un concept cool basé sur l’affirmation de soi, de son corps, de ses qualités, du bien-être et des gens qui nous entourent. Qui nierait les vertus de tout ça ? Sûrement pas moi.
Le yoga termine tout juste dans la célébration la plus complète. Ici, si j’ai bien compris, on vénère la vie et toute son intensité. Le Dj lâche son premier disque. Bizarrement, je pensais que la musique serait toute naze, comme celle dont les Américains raffolent habituellement. D’ailleurs, ce concept de before work vient directement de chez eux. De San Francisco, pour être plus précis. Les jeunes cadres dynamiques de la Bay Area,
La gerbe de très haut Ce qui m’a un peu plus dérangé, en revanche, c’est la persistance de ce mec à clamer tout haut des évidences que tout le monde n’ose même plus penser à Paris, du style « Aimez-vous », « Vous êtes magnifiques », « La vie vaut la peine d’être vécue à fond », « N’oubliez pas que rien n’est impossible et que tout est à votre portée ». En after avec une enclume dans la tête, qui a envie d’entendre ça ?
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REPORTAGE
En after au Royaume du bien-être
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Sûrement pas moi. Surtout que le mec est une anguille vivante se faufilant à travers la foule avec l’agilité d’un lynx et l’éclat d’un tigre. Moi, je suis plutôt d’humeur crapaud et me demande à quoi ce mec tourne. Je n’ai pas osé demander aux gens un petit remontant, de peur qu’ils m’excluent illico presto de leur petite assemblée matinale – en réalité 200 personnes remontées comme des horloges qui ont justement déjoué l’inertie de celles-ci pour se pointer si tôt dans une salle, il faut le dire, exceptionnelle. Au lieu de ça, j’ai la nausée et m’échappe sur la terrasse pour lâcher un petit rot. Il fait un peu frisquet mais le soleil tape sur nos fronts. Et puis comme je suis habillé tout en noir, le soleil me réchauffe sûrement plus que les autres. C’est logique : le noir attire la lumière, même en after. N’empêche que la petite galette visqueuse sort tout de même de mon estomac et qu’elle s’échappe en contrebas. Splash. C’est direct comme une droite de forain. De tout là-haut, de toute façon, mon mal de bide me semble presque anodin. Arroser Paris de sa gerbe avec une vue pareille, c’est un luxe ultime, non ? « J’adore le concept. Franchement, c’est top de pouvoir se lâcher comme ça. C’est que du bonheur », me lâche une jeune femme à l’accent du Sud fort prononcé. Un peu plus loin, de retour sur la piste de danse, je m’enivre du set du Dj de la matinée. Lui, j’en suis sûr, je l’ai déjà croisé dans une fête, super bourré. Mais j’oublie et regarde la bande délurée commencer
une chenille, comme aux plus grandes heures de Patrick Sébastien. Devant moi, je remarque un mec que je croise à tous les afters de Paris – et croyez-moi, j’en connais un paquet. Il fait mine de ne pas me reconnaître, hyper gêné. Un repenti qui a troqué les transactions douteuses dans les toilettes des clubs contre un pack de jus de fruits et des baies de goji ? Ou bien peut-être qu’il est lui-même en after ? L’histoire ne le dit pas. Quelques minutes plus tard, une chose étrange se passe. Tout à coup, la musique s’arrête, au grand dam des danseurs surexcités. Le relou qui crachait toute sa bien-pensance au micro fait se rapprocher les gens comme s’ils s’apprêtaient à entamer une grande mêlée de rugby. Avec toutes ces personnes habillées en blanc, cela ressemble à une grande prêche. Ça en prend d’ailleurs très clairement la direction. Le prêtre en sueur propose de nous prendre par les bras et commence son discours. « Vous êtes magnifiques et la vie l’est tout autant. Célébrons-la ensemble ! » À ce moment-là, je prends peur : il est déjà neuf heures du mat’, je ne suis toujours pas douché et je dois être au boulot dans 30 minutes. Je m’enfuis en courant et entre dans l’ascenceur. À l’intérieur, deux jeunes femmes discutent. L’une dit à l’autre : « Ah tu sais, je reviens de Berlin, c’était incroyable. J’ai fait la fête pratiquement tout le temps et découvert des clubs de fou. » Et là, j’ai compris que tous ces gens étaient en fait (presque) comme moi.
“En after avec une enclume dans la tête, qui a envie d’entendre ça ? Sûrement pas moi.” 27
CINÉMA
Par Pierig Leray
Juin
Les deux boulettes du palmarès de Cannes
Capharnaüm de N. Labaki Sortie le 3 octobre C’est ce genre de film qui te viole l’esprit et te remue le bide après la projection, mais une fois les quelques larmes séchées, c’est le regret de t’être fait berner qui prime (jurisprudence Dolan et son Mommy mielleux). Le misérabilisme de Labaki avec ses gros plans sur la gueule crasseuse d’un petit garçon abandonné dans les bidonvilles de Beyrouth va jusqu’à attacher un nourrisson au pied pour tenter de nous faire chialer. C’est d’une telle lourdeur, filmée à la truelle comme un mauvais téléfilm, sans compter sur un happy end pathétique et complètement incongru. On a craint la palme, elle repart avec un Prix du Jury incompréhensible.
BlacKkKlansman de S. Lee Sortie le 22 août Spike Lee et ses gros sabots terr eux d’amerloque au message aussi lourdingue qu’un Audiard raté (De rouille et d’os) nous sert un blac k power gluant à travers cette histoire vrai e (un jeune inspecteur infiltre le Ku Klux Klan pour déjouer un attentat) qui se morfond dans un discours anti-trumpiste ras de la jupe. Certes, c’est efficace, l’his toire emballante, Adam Driver autr ement plus à l’aise que dans le misérab le Don Quichotte de Terry Gilliam . Mais un Grand prix du Jury ? Là enc ore, le message socio-politique prévaut sur la qualité cinématographique. Quelle tristesse.
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Les deux oublis du palmarès de Cannes
Leto de K. Serebrennikov Sortie le 5 aout ieu Nous voilà plongés dans le mil des ieu mil du ue iétiq sov ll ’n’ro rock ent tent pe années 80 ; Sam et son grou de ial de percer le cocon dictator leader l’URSS et s’associent au futur loser exp e fair r de Kino, Viktor, pou un noir s Dan . lles ure cult les frontières v niko bren Sere , eux ptu et blanc som s troi à our d’am oire hist une intègre e upé eco tellement contemporaine, entr s che tou des de scènes de vidéo-clip avec e scèn la à e d’animation en hommag Sex rock anglo-saxonne (Lou Reed, el, ionn érat gén , eux Pistols). Somptu i essa vrai un et e, form original par sa t obje , que uni ique aph cinématogr intemporel qui aurait mérité une l ! reconnaissance du jury. Skanda
Burning de L. Chang-Dong Sortie le 29 août Il y a d’un côté la jeunesse dor ée, beauté factice, presque irréelle, de la Corée du Sud moderne et décomplexée (Ben). De l’autre, la terre et la réalité viol ente de l’abandon et du silence des cam pagnes (Jong-Soo). Au milieu, Haemi, sublime jeune femme virevoltante d’es poir et de générosité. Le tout encadré avec brio par Chang-Dong dans une mise en scène transcendantale et une photogr aphie lumineuse. La suite, je vous lais se la découvrir et notamment lorsque le film bascule dans le drame. Burning est un grand film, et la Palme d’or aur ait dû lui revenir. Skandal bis !
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CHRONIQUE
Par Victor Taranne
La contreculture
a enfin son anti-dico 30
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« Le seul truc qui compte pour moi, ce n’est évidemment pas la politique ou toutes ces choses-là, c’est la culture. Et la culture, c’est les idées. » Ainsi s’exprime, au micro de Radio Nova, Jean Rouzaud, personnage protéiforme, inclassable, à la fois chroniqueur et chroniqué, journaliste et inteviewé, interviewer et auteur, personnage à lui tout seul mais aussi créateur de personnages dans ses romans et BD, cultivé mais surtout pas cul-terré ni apeuré par les petites choses qui dérangent les puissants. Aujourd’hui, c’est en qualité d’auteur que ce personnage haut en couleur fait l’actualité, avec la parution aux Editions Nova d’une somme magnifique et inspirante, Contre-culture. Un petit pavé de près de 500 pages qu’on aurait volontiers pu jeter à la tronche des CRS si l’on avait manqué de pavés. À l’intérieur de ce livre, des chroniques. Un tas de chroniques. Des flamboyantes, des incisives, des bourrées d’anecdotes, des dithyrambiques, des très ironiques, des bienveillantes et des très rigolotes. Mais toujours des chroniques informées, drôles, souterraines. Des chroniques qui défendent la culture, donc, celle des oublié.e.s ou des un peu moins, celle de celles et ceux qui ont fait l’Histoire en négatif des bouquins d’école. Conçu comme un petit dictionnaire qui va donc de A à Z en répertoriant ce qui, aux yeux de l’auteur, sort des cavernes du temps pour irriguer tout le présent, cette Contre-culture que nous livre ici Jean Rouzaud devrait être placée entre toutes les mains. Pourquoi ? Parce que « la plupart des gens, dans ce pays, sont dans une méconnaissance totale, sauf les
spécialistes de chaque domaine, de cette culture. ». Laquelle ? Celle de John Cage, de Balençiaga, de Guy Debord, de Marcel Duchamp, de Bob Dylan, de René Magrite, d’Henri Michaux, de Georges Bataille, mais aussi d’Anaïs Nin, de Niki de Saint Phalle, d’Edith Sitwell, d’Asia Argento , de Cecil Beaton, de Shirley Clarke ou Nancy Cunnard. Mais aussi celle des mouvements, groupes, esthétiques, styles ou modes qui ont marqué leur époque. Cette somme éminemment subjective respire pourtant un petit souffle d’universel. Toutes les entrées qui constituent cette Contre-culture, nous dit l’auteur, sont « nées dans la rue ». Et qu’y a-t-il de plus universel que la rue ? Tout le monde la traverse, l’appréhende, la rejette ou la vénère. La rue est l’axe par lequel nous habitons le monde. Avec ce bouquin, qu’il convient peut-être de lire au pied d’un bâtiment afin de lui rendre hommage, Jean Rouzaud apporte un regard frais sur ceux qui déroutent le monde de leurs idées, de leurs actes et de leurs vies. Étrangeté de l’ouvrage, la lettre Q n’y est pas abordée. Serait-ce parce qu’elle déforme ce si joli mot qu’est la culture, ou bien parce que, tout simplement, le Q n’est pas vraiment de la culture ? Pour l’auteur, recommandons alors, dans une version que nous aimerions voir augmentée à l’avenir, le personnage de Quasimodo. Sans en dire trop… Contre-culture, Jean Rouzaud, Editions Nova, 2018
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FICTION
Épisode 5
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VOYAGE AU BOUT DE LA TEUF Texte
IVAN VRONSKY
Photos
PROPAGANDA MOSCOW
Nos teufs semblent bien trop pâles dans les chroniques. Ou plutôt, elles sont plates. C’en est désespérant. Pourtant, votre humble serviteur ici présent a ratissé le fond lubrique de cette satanée nuit parisienne. Pris de vertige face à la purulence et la satiété, la haine et la joie, voici le récit personnalisé des visages de ceux qui accueillent sans répit vos haleines chargées d’alcool et d’éther, vos mines fripées et vos airs religieux. Cessez de croire que cette nuit est ludique pour tout le monde. Il y en a, dans les bas-fonds écorchés de vos soirées, qui en bavent. Voici leurs portraits. 33
FICTION
Starf’, l’histoire qui commence n’est pas aussi chiante que les précédentes – Dieu merci. Ici, on rentre dans le lard, le rythme est breaké, ça porte un marcel moulant, les muscles saillants. Fini les minauderies, les trucs gonflés qui vous font lever les yeux au ciel, on y est. J’m’appelle Steve et votre malheur est mon business. Mais avant de venir vous expliquer pourquoi vous niquer est mon travail, je dois décrire ma situation actuelle. Sans cela, rien de tout ce que je dirai n’aura de valeur. Il va falloir être patient et surtout accepter de fermer votre claque-merde. Oui, vous avez bien compris. Ce texte vous pisse dessus. Avouez-le, vous aimez ça. Cette tête d’artichaut, en plus d’avoir une dentition qui rappelle l’Ancien Régime, Anne Roumanoff et ma pute de prof’ de
Épisode 5
Français à Vitry, me harcèle en frappant sur le plexi’ dès que possible. Il rigole à chaque fois, sa matraque dans la main gauche, suant sous sa chemise bleu clair. La lumière verdâtre de ma cellule n’a aucun exutoire, c’est triste. Je trouve toujours le moyen de m’occuper en garde à vue mais cette fois-ci je suis tombé sur un os. Faut pas chier, l’OPJ (Officier de Police Judiciaire, pour toi, l’bourgeois qui n’a jamais dormi au poste) commence « à en avoir ras l’cul de me voir ». Il m’a donc foutu dans la cellule la plus crasseuse du comico. Pire, je suis tout seul depuis 20 heures, si mon horloge biologique ne déconne pas… Il croit quoi tête de queue ? Que je frétille d’excitation de l’avoir en face ? Que c’est un plaisir d’être obligé de sentir son haleine au pastis, reluquer ses pellicules et son style façon inspecteur
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Colombo ? Tous ces comicos sont des repères de gros bizus. On les connaît tous, ces “Patrick” et “Jordan”, ces morveux qu’on poursuivait dans la cour pour leur rentrer des coups de compas dans la tête. On a tous adoré les voir pleurer après une balayette laser. On a tous rigolé quand ils prenaient des tartes pour avoir essayé de draguer lourdement Mélanie la bonnasse de la classe. Ces bâtards se vengent comme des gosses depuis qu’ils ont une plaque et un flingue. Leurs tonfas sont des “bons de vengeance”. Ils appliquent avec zèle leur “ordre public” foireux. Leurs équipes sont des ramassis de clichés. Mon OPJ à moi, il pue la Gauloise et l’alcoolisme juvénile. Ça sent à plein nez les branlettes moites chez son cousin José, l’adolescence frustrée dans les quartiers pavillonnaires, les kro’ de Papa bues en douce, les longues branlées en retour et cette haine de Mehdi qui l’a poussé une fois dans l’escalier “pour rigoler”. Il me rappelle que “lui et moi”, on est décidément pas du même monde. Faudrait qu’il essaye de regarder un miroir de temps en temps. Pour comprendre que ce vieux bouc et cette bague en forme de dragon font de lui une merde humaine pour qui on ne peut plus rien faire. Les merdes humaines, je connais. Rassurez-vous, je sais que j’en fais partie. Seulement, au lieu d’être un passif connard, je reste actif dans ma pourriture. Ce que je fais ? Je vends de la drogue. Je suis l’ange
de vos malaisantes soirées. Celui qui est là au moment où vous flanchez. Lorsque, d’un œil allumé, vous vous dites “pourquoi pas ?” – le satané tentateur, c’est moi. Il y aura toujours un côté biblique dans nos vies, nos manières de purger nos vices, d’hurler nos rancœurs et surtout d’oublier cette satanée société. Je suis le serpent qui fait de l’argent pour que vous puissiez être une “autre personne”. Du moins, pendant quelques heures. Tête d’artichaut revient, un air de gros con sur sa gueule. Il sourit en ouvrant brutalement la cellule. Je me rappelle, trop tard, que je l’ai traité de « gros fils de pute » et que j’ai menacé de violer sa grand-mère il y a peu. Mais non, ce n’est pas sa tonfa que je vais goûter. C’est l’heure du repas. Il me balance mon plat, du « blé aux légumes du soleil » en claquant des lèvres. Son air fier et goguenard lui donne une tête de touriste cocu de la dernière espèce. J’essaye de ne rien dire en soulevant l’opercule. Vous ne le savez sûrement pas, et c’est tant mieux pour vous, mais la nourriture donnée aux détenus dans les commissariats évoque principalement les sursauts fiévreux d’un alcoolique chiasseux un lendemain de coma éthylique. J’essaye toujours d’éviter les comas. Qui dit coma dit pompiers. Qui dit pompiers dit keufs. C’est mauvais pour
“Les clients ne savent jamais que leur petit plaisir n’est que l’écho d’une misère à laquelle ils ne veulent jamais se confronter” 35
FICTION
Épisode 5
le business. N’empêche, ces petits cons sont incapables de se tenir dès qu’ils ont ingurgité plus d’un verre. Je les vois toujours, immodérément cons, à avaler des shots de rhum d’un air heureux et me hurler dans mes Persols « t’as pas un taz ? ». Bien sûr que j’en ai. Seulement, avec tout ce que tu bois, tu transpires. Puis, avec tout ce que t’as sniffé, tu trembles. Il ne manquerait plus que tu gobes mon ecsta’ avec un air de vainqueur. On aura l’apogée visuelle de toi qui tombes lourdement sur le sol en crachant un liquide blanc et mousseux sur nos pompes. J’essaye d’éviter ces moments humiliants pour tout le monde. J’en viens donc à devoir choisir le client. Bordel, si ces gamins n’étaient pas aussi écervelés, le business serait florissant. Seulement, ma gamme de produits va dans le sens du dépottage. Faut pas dire, j’ai de quoi shooter un régiment jusqu’à Pâques dans mes poches. D’abord, ce qui fait aujourd’hui un carton, c’est les pilules d’ecstasy. J’essaye toujours d’avoir des formes qui les font rire. Ils adorent les “fraises tagadas”, les “superman” ou les “facebook”. Ils en parlent aux potes et les autres rameutent dans l’heure pour récupérer leur petit tour. Tout ça, c’est pour les minots. J’essaye donc de sélectionner les abrutis qui vont s’arracher les gencives avec. Faut tout leur expliquer. Puis, on passe à la vitesse supérieure. La “K”. Comme Kétamine, pas Koala. Cette drogue, c’est pour les vainqueurs. J’évite tous les loosers qui croiraient que c’est de la cocaïne et tenteraient de se faire “Paris-Tokyo” en tout quiétude. Ici encore, les fonblards sans expérience sont des dangereux clients. Ils aboutissent au même combo que cité avant. À la fin, un dégueuli blanchâtre et mousseux sur nos pompes.
J’crache et c’est une satanée pâteuse qui s’en va coller le bitume de ma geôle. Leur gelée de grumauts censée s’apparanter à de la bouffe, je l’ai laissée de côté. Il faudrait accepter les règles et bouffer ce qu’on me donne. Je préfère attendre le baveux en jeûnant. Ce dernier doit être heureux d’avoir eu la décence de me défendre la première fois que l’on s’est rencontrés. Il est tombé sur le bon filon. Ce n’est pas comme si j’essayais de retourner à la case prison dès que possible. Seulement, j’ai eu tendance durant les cinq années de notre relation fusionnelle à n’avoir pas beaucoup de chance et à vite retrouver ces bracelets métalliques et leur étreinte vicieuse. Pourtant, j’avais trouvé une place pour faire fructifier mon affaire en toute quiétude. Cette boîte de nuit semblait relativement stable pour mon business. D’abord, le lieu n’était pas un repère sécurisé, avec des videurs aussi cons qu’un jeune de Roubaix. Aussi, j’avais rapidement su amadouer le physio. Cette tête de fouine n’avait qu’un seul mot à l’esprit. Je lui filais quelques traces et c’était terminé. Son addiction était mon ticket d’entrée dans ce lieu. Il me sortait de tous les mauvais coups. Il m’avait à la bonne, du moins, il avait à la bonne ma marchandise. Ainsi, il faisait tout pour me laisser seul dealer dans cet antre de la nuit parisienne. La concurrence se faisait éclater dans les ruelles aux alentours par leurs têtes lisses, d’un seul claquement de doigts de ce petit gars. J’étais en situation de monopole. Tous les clients de cette discothèque n’en avaient que pour mon polo Fred Perry et mes Persol. Ils faisaient quasiment la queue pour avoir accès à mes services. Puis, la concurrence s’est tellement diversifiée que je n’ai plus pu tenir cette position si jouissive.
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Voyez-vous, les drogués des soirées sont passés à un autre niveau. Ce qui était de l’ordre de la récréation endiablée est devenu incontrôlable. Au lieu de rester bien gentils à sniffer en douce et à rentrer chez eux à 7 heures du z’bard, les pantalons retroussés ont voulu clarifier leur situation en ingurgitant du GBL, soit un décapant pour jantes. Légal qui plus est. Cette merde a foutu en l’air tout mon business plan. Les types foutent quatre gouttes dans leur verre et c’est parti pour la fête. L’histoire, c’est que cette drogue d’abrutis est une machine à coma. Il suffit d’un mélange sans précaution avec de l’alcool et ils s’effondrent. Dès lors, tout ce qui faisait mon quotidien s’est mangé la gueule dans le bitume.
Après deux comas dans ce lieu, tout ce qui s’apparentait à de la drogue était persona non grata. Le physio pouvait bien essayer de me couvrir, les videurs sous la pression du patron et des flics ont commencé à faire des tours à la lampe de poche pour débusquer les cons qui ne s’enjaillaient pas qu’au mojito. Mon chiffre d’affaires s’est dégonflé. J’ai dû baisser les prix, couper ma came, prendre plus de risques… Jusqu’à finir ici presque une fois par mois. Tout ce qui compte dès lors c’est de sortir. Les clients ne savent jamais que leur petit plaisir n’est que l’écho d’une misère à laquelle ils ne veulent jamais se confronter. Je me saisis certes volontairement de leur déchéance d’un soir pour gagner mes sous. À qui la faute ? Je ne le saurai sûrement jamais.
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INNOVATION
Festival
L’Homme baigne déjà dans le futur 38
Le Bonbon Nuit → 12/2017
Au départ, on a trouvé ça étrange. Une biennale internationale située à Enghienles-Bains sur le thème du futur de l’Humanité au centre d’un environnement post-industriel et post-urbain qui la constitue, et alors même que la ville ellemême où cette biennale est organisée fait office de temple de la villégiature tranquille pour jeunes Parisiens en vadrouille. Puis finalement, on s’est dit que c’était l’endroit parfait pour cela. Déjà, la ville a plusieurs atouts de taille : un casino connu dans toute la France et même jusqu’en Navarre, un lac absolument divin dont la plupart des Parisiens sont jaloux, mais, plus simplement, un cadre agréable, à deux pas de la capitale. Ensuite, la ville accueille donc Les Bains Numériques, le rendez-vous printanier incontournable de la ville, un festival hors-norme et complètement gratuit qui permet à tout un chacun d’interroger la place de l’Homme dans un environnement technologique qui l’encadre, l’encercle et le constitue. Justement, pour sa dixième édition, le festival porté par la Ville d’Enghien-lesBains, et qui s’étend dans une grande diversité d’espaces de celle-ci, invite à l’interrogation concrète des participants en les invitant à réfléchir sur un thème fondamental : le futur de l’Homme au
centre de cet environnement qui évolue aussi vite que la lumière. Avec Human Future, donc, ce sont les thématiques du big data, de l’intelligence artificielle, de la robotique et des technologies encore inconnues qui seront abordées. Entre expositions mutantes, installations interactives et immersives, robots biologiques, arts électroniques, poésie post-humaine, images animées, l’ensemble des expositions présentées esquissent un monde numérique impressionnant de potentialités humaines, ou un peu moins. Et puis ne ratez pas non plus les Dj sets en plein air et les concerts sur la scène flottante (avec notamment Vitalic et Whomadewho), le showroom de l’innovation ainsi que les nombreux spectacles et performances prévues. Dernières raisons : les histoires incroyables que vous pourrez raconter et la garantie quasi-certaine que vous percevrez le monde d’une autre manière une fois rentré chez vous. Et ça, ça n’a pas de prix. Ça tombe bien, le festival est gratuit. Le futur de l’Humanité, on ne le connaît peut-être pas encore, mais votre futur proche, lui, on peut déjà en esquisser une petite idée. Les Bains Numériques, peut-être ? — Les Bains Numériques Enghien-les-Bains, du 13 au 17 juin 2018 Entrée gratuite
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PHOTO
Portfolio
KEFFER, CLICHÉS D’UNE NUIT MULTIPLE
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La nuit n’est pas la même pour tous mais tous sont attirés par ses sirènes. Les appels du vice, les distances qui se réduisent et les vieux fous qui en constituent ses personnages les plus vils ou magnifiques. Keffer les immortalise avec The Night Day, une somme photographique peuplée d’inconnus et/ou de stars qui respirent sous le feu des projecteurs et qui s’épuisent à mesure que la nuit s’étale. Poétique, enivrant et interrogatif, ce bouquin est également accompagné des morceaux de Chassol, DJ Deep ou Ichon & Myth Syzer. Petite sélection alternative.
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PHOTO
Portfolio
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MUSIQUE
Oklou
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Le Bonbon Nuit → 06/2018
Oklou, c’est un peu la fille qu’on aurait aimé avoir comme grande sœur. Musicienne de chambre à la voix cristalline, biberonnée à l’esthétique MTV et shootée à tout ce qu’Internet a de mieux à offrir, l’artiste, qui réside désormais à Londres, vient tout juste de lâcher The Rite Of May, un EP hypersensible paru sur le label d'outre-Manche Nuxxe. Certains ont pu dire qu’elle était la représentante d’un nouveau r’n’b ou d’une esthétique post-Internet. Disons qu’elle est surtout la digne héritière d’un blues urbain mélancolique qui part des champs de coton pour arriver jusqu’à nous, au milieu des barres d’immeubles de béton.
À l’apéro, tu bois quoi ? Du Martini blanc. Un lieu coupe-gorge à Paris ? La rue. L’after, c’est important ? Ouais. Mon pref’, c’est l’after M6 Replay. Une ville plus folle que Paris ? Poitiers. La drogue, c’est mal ? Non, rien n’est mal tant qu’on préfère la vie sobre. Un artiste sous les radars ? Sara d’Ibiza. Après une teuf, c’est quoi la solution ? La solution micellaire. Un spot vraiment underground ? Le métro. Le sexe, c’est comment ? Bah, c’est nice. Un truc vraiment chelou ? Cette avant-dernière question.
© Holly_Blakey
— Retrouvez Oklou au Sónar Festival du 14 au 16 juin, à Barcelone.
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www.irisalba.com @irisalbaphotographer
AGENDA
JEUDI 7 JUIN 19h La Plage du Glazart Gratuit Laplage 2018 Opening VENDREDI 8 JUIN 23h45 Secret Place (Paris 18e) 12€ L’Atelier First Year Anniversary Paris 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 9 JUIN 23h Secret Warehouse 15€ Intrusion_01 00h La Machine du Moulin Rouge 12€ Encore : Paris vs Lyon All Stars JEUDI 14 JUIN 00h Rex Club 5€ Récital Meets Club Midi : Mihigh, Kaitaro & Coriesu (live), Saar VENDREDI 15 JUIN 23h45 La Machine du Moulin Rouge 12€ Dada Temple : Fin 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 16 JUIN 22h30 La Clairière 20€ La Clairière: Acid Arab, Point G, Rozzma, Crame 23h Djoon 8€ Djoon presents Jayda G & Clémentine
JEUDI 21 JUIN 00h La Java 5€ Fête de la Musique: Habibi Funk & Cheb Gero VENDREDI 22 JUIN 23h30 Badaboum 12€ Divine Avec Lone & Duñe 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 23 JUIN 23h Garage 5€ Intergalactic Gary, Sebastopol, Ora Kan 00h La Java 5€ Vie Garantie with Dj Sundae, Design A Wave (Live), Marion Guillet JEUDI 28 JUIN 19h Garage 5€ Garage x À l’eau : Max Graef & L’Orangeade VENDREDI 29 JUIN 21h La Plage du Glazart 15€ Vryche Dat Beach 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr 00h La Machine du Moulin Rouge 12€ Opening Macki Music Festival SAMEDI 30 JUIN 22h Concrete 15€ Concrete X Half Baked 23h La Bellevilloise 18€ Free Your Funk: Kenny Dope Plays Hip Hop, Soul, Funk, Disco
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CLÉMENT BAZIN DBFC MNNQNS + INVITÉ SECRET
FÊTE DE LA MUSIQUE 21⁄06⁄18
CONCERT GRATUIT
OPEN AIR
LAURÉAT DU PRIX SOCIÉTÉ RICARD LIVE MUSIC
PARIS PARC DE LA VILLETTE
PORTE DE PANTIN
RICARD S.A. au capital de 54 000 000 euros - 4 et 6 rue Berthelot 13014 Marseille - 303656375 RCS Marseille - Groupe Soumère - Licence 2ème catégorie : 1027566 - Licence 3ème catégorie : 1025472. Crédits photos : Sarah Bastin
ET LE
Ricard SAS au capital de 54 000 000 euros - 4&6 rue Berthelot 13014 Marseille - 303 656 375 RCS Marseille
SWEDISH BY NATURE* É L A B O R É E À PA R T I R D ’ E A U D E S O U R C E P U R E P U I S É E D I R E C T E M E N T E N S U È D E . D E P U I S 1 8 79. *S U É D O I S P A R N A T U R E.
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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.