Le Bonbon Nuit 54

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Juin 2015 - n째 54 - lebonbon.fr



EDITO J'l'aimais bien Jean-Kevin, c'était un bon gars, on s'est connus tous les deux au collège en banlieue. Non sérieux, c'était vraiment un mec cool jusqu'au jour où il a décidé de devenir un « hipster » comme ils disent. Ouais, du jour au lendemain, je ne l'ai plus vraiment reconnu, le mec avait totalement changé de look avec sa barbe et ses cheveux longs. Keffieh autour du cou, il avait même poussé le vice jusqu'à porter des sneakers sous une grosse robe, mais bon, quoiqu'on en dise, il était stylé le Jean-Kev'. Et puis ce con est devenu de plus en plus hipster : il a arrêté de fumer des clopes, arrêté de picoler, archi-relou, il m'a même pris la tête pour que je rejoigne son mouvement parce que mon hygiène de vie était « trop impure ». C'est à partir de ce moment-là que je l'ai un peu perdu de vue, il préférait clairement traîner avec ses potes barbus, sans doute qu'ils me prenaient pour un gros ringard, j'ai jamais été doué pour être à la mode. Un jour, il m'a dit qu'il se barrait à l'étranger. Bien un truc de hipster ça, ils ont de la chance de pouvoir voyager. « En Syrie » a-t-il rajouté. Ça m'aurait étonné, typiquement le genre de pays pas mainstream dans lequel ça doit être super underground de passer ses vacances. Ensuite, plus aucune nouvelle. Jusqu'à très récemment, où il m'a envoyé un message bizarre : « J'vais tout faire péter. » J'imagine que là-bas, lui et ses copains ont dû gentrifier à fond et faire plein de pognon en montant des bars à corn flakes et des espaces culturels transversaux hyper chics. Au final, quoi qu'on en dise, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, y'a quand même pas à chier : ces putains de hipsters, c'est vraiment de la dynamite. MPK

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SOMMAIRE

p. 7 À LA UNE Gilb'r p. 13 MUSIQUE Herbert p. 18 NUIT ET CINÉMA Polanski p. 21 LITTÉRATURE Les mots de minuit p. 27 MUSIQUE Torb p. 35 ÉROTISME Marika Gorgone p. 42 FESTIVAL Titi Power

RÉDACTEUR EN CHEF Michaël Pécot-Kleiner DIRECTEUR ARTISTIQUE Tom Gordonovitch DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jacques de la Chaise COUVERTURE Gilb'r par Constantin Mashinskiy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Louis Haeffner SIRET 510 580 301 00032 SIÈGE SOCIAL 12, rue Lamartine Paris 9



HOTSPOTS

- DEVENIR BARGE SUR LES BERGES Pour la première fois à Paname et pendant plus d'un mois, nos potes de RADIOMARAIS prennent le large et vous proposent des performances radiophoniques dans tous les hot spots près de la Seine. Croisières, émissions en direct, le programme se révèle chargé et plein d'imprevus. Si, si. Stay tuned. Du 1er juin au 4 juillet - www.radiomarais.fm - CONTEMPLATION PHOTOGRAPHIQUE Germaine Krull (1897-1985) est considérée comme pionnière pour le livre de photographies, et citée dans la plupart des études sur le nu féminin au XXe siècle, tout en étant à l’origine du reportage moderne. Alors t'sais quoi, si tu kiffes pas ses tofs, Germaine, elle t'en-krull. À partir du 2 juin. Jeu de Paume 1, place de la Concorde 75008 - MATER PLEIN DE COURTS-MÉTRAGES ET ÊTRE HEUREUX Plutôt pas mal la programmation de ce 24e festival Côté Court : de la fiction, de l'expérimental, des écrans libres, un focus sur Marguerite Duras… Et en plus, une soirée avec 5 live performances dont celui de Flavien Berger, le chouchou de ces dames. Bref, pop-corn. Du 10 au 20 juin - Seine Saint-Denis/Pantin - CLUBBER AVEC PAN EUROPEAN Pan European Recording est l'un des labels les plus bandants du moment. De facto, on peut aisément spéculer sur le fait que leur All night long party  sera des plus sympathiques, d'autant plus que Buvette, Poni Hoax, Juan Trip et Maid Geffray seront dans leurs habits de lumière. Vendredi 26 juin. Minuit à l'aube. Machine du Moulin Rouge. 90, bd de Clichy 75018 4


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À LA UNE T

MPK CONSTANTIN MASHINSKIY P

GILB’R — UNE FIGURE DU STYLE Dans le petit milieu de la musique électronique, Gilbert Cohen aka DJ Gilb'R fait figure de vieux briscard : ancien animateur de Radio Nova ayant connu l'époque glorieuse de Jean-François Bizot, boss depuis 1996 de Versatile (label dont le catalogue pourrait faire pâlir n'importe quelle jeune start-up de l'électro avec entre autres I:Cube, Etienne Jaumet, Acid Arab, Zombie Zombie), prod' reconnu, digger invétéré, Dj à la culture ency-

clopédique… C'est sans doute pour chacune de ces raisons qu'il était salutaire pour le Bonbon Nuit d'aller faire un tour par chez lui. Il nous livre une interview lendemain de cuite qui, tout en fraîcheur, révèle les raisons de son départ à Amsterdam, sa vision de la nuit parisienne, sa tendresse pour les losers magnifiques mais aussi la manière dont il vit sa judéité. Mazal Tov.

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“À PARTIR DU MOMENT OÙ TU PEUX COMMENTER QUELQUE CHOSE ET LUI APPORTER UN SENS NOUVEAU, ÇA LE REND VIVANT. CETTE MANIÈRE DE QUESTIONNER SANS CESSE CONSTITUE MA FAÇON D'ÊTRE AU MONDE.” 8


Gilbert, mais pourquoi es-tu parti faire ton allyah à Amsterdam ? Est-ce pour les filles derrière les vitrines ? La qualité de la weed ? Non, ni pour l'un, ni pour l'autre. Pour moi, Paris est devenu quelque peu oppressant et j'ai l'impression d'avoir fait le tour de cette ville. Ça fait plus de 25 ans que je suis à Paris, et les 3-4 dernières années, je me suis fait chier ici. En plus, j'ai rencontré ma copine qui est hollandaise, du coup, tout ça a fait que j'ai saisi cette opportunité de m'installer là-bas. Au final, ce n'est pas trop loin de Paris, et je peux gérer facilement mon label à distance. Amsterdam est réputée pour sa longue tradition de tolérance. Tu le ressens, ça ? Pour l'instant, ouais, complètement, je me suis senti super bien accueilli. Il y a une attention pour les autres que je trouve très agréable. Et effectivement, au niveau des communautés, il y a moins de prise de tête. En France, il y a cette volonté d'intégrer les gens dans une logique républicaine, mais je trouve que ce modèle est malade pour plein de raisons. Sous prétexte d'intégration, les différences ne sont plus reconnues, d'où un certain nombre de frustrations. C'est dommage, parce que potentiellement, y'a vraiment moyen de faire quelque chose d'exceptionnel, il y a un mélange qui est unique en Europe. Le problème, c'est que les gens sont hyper clivés, tant dans les tribus de la nuit que dans un univers plus « diurne ». Tout le monde se regarde en chien de faïence, et tout le monde se sent lésé. Y'a un truc pleurnichard et chiant ici. En 2011, tu disais dans une itw pour Libé que la scène électro française était encroûtée. 4 ans après, tu penses toujours la même chose ?

Là, par contre, ça a vachement évolué. Ces 3 dernières années, on arrive à un vrai renouveau des labels et de leur diversité. Il y a des choses beaucoup plus barrées et moins connotées « French house », ça part vraiment dans tous les sens avec des choses plus expérimentales, jazz, techno… Ouais, ça s'est vraiment bien renouvelé, y'a même plein de labels que je ne connais même pas… On échappe aux formatages, toutes les frontières se sont estompées, c'est vraiment une bonne chose. Après, au niveau des clubs, je trouve que ça reste quand même assez classique. En tant que Dj, y'en a encore pas mal qui te reçoivent avec 5 pauvres tickets de consommation, c'est un peu étriqué. Y'a aussi trop de clubs avec un soundsystem pourri : c'est comme si t'essayais de courir un 100 mètres avec une paire de sabots. En tant que client, tout est encore très cher, ça reste « consomme, danse et tais-toi. » Je pense que tout ce phénomène de teufs en banlieue s'est inscrit en réaction par rapport à ça. À 15 piges, tu fumais des pétards à Nice en écoutant du Coltrane. Qu'aurait pensé cet ado de la nouvelle tendance du « clubbing pour - de 18 ans » (cf. Pedro Winter qui fait découvrir l'electro aux enfants et le Mini Weather Festival) ? Pour moi, ce truc-là, c'est un peu comme les artistes de techno qui font des concerts avec des orchestres symphoniques. En général, quand t'en arrives là, c'est que t'as un peu vieilli et que ça sent le sapin (rires). Je trouve ça un peu bizarre… Je ne sais pas vraiment à qui ça s'adresse, si c'est pour les enfants, ou pour la bonne conscience des parents. Pas sûr que j'envoie mes gosses là-dedans (rires). Tu es connu pour être l'un des Dj's les plus fins du territoire national. Quels conseils donnerais-tu à des Dj's avancés qui aimeraient progresser ?

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« It's not what you play, it's how you play », ça résume assez bien ma manière d'envisager le mix. Et être curieux. Arriver à avoir une exigence personnelle qui reflète vraiment qui tu es au niveau musical, tout un gardant les yeux ouverts sur le public. Pour moi, c'est important la culture, ça dit beaucoup sur la personnalité. Ensuite, pour bâtir mes mixes, je pars sur 1/3 de trucs qui ne sont pas sortis, 1/3 de vieilleries, et 1/3 de nouveautés. Question ironique, mais qu'est-ce qui ramène le plus de maille quand tu es le patron d'un label ? Tourner. Faire des dates. Sinon, le ratio énergie/thune, c'est n'importe quoi, faut vraiment être super passionné pour avoir un label aujourd'hui. Je ne sais même pas comment on est encore là. Et puis j'ai l'impression qu'on a le cul entre deux chaises, j'estime que notre musique pourrait parler à beaucoup plus de gens, et que quelque part, nous sommes victimes de notre image « pointue », « élitiste ». Après, je me demande si le fait de ne pas avoir connu de gros succès commerciaux fait que nous restons dans une certaine exigence… et du coup une certaine fraîcheur. En t'écoutant parler de musique, mais aussi de tes démarches artistiques (la sortie de Disco Sympathie sous la direction de Vidal Benjamin, par exemple), on sent chez toi une certaine tendresse pour les sombres inconnus, les losers magnifiques, les destins foireux de la musique. Oui, je ne peux avoir que de la bienveillance pour ces gens-là, y'a chez eux une approche assez naïve. Sur Disco Sympathie par exemple, y'a beaucoup de producteurs du Sentier, des feujs sépharades qui se sont faits des couilles en or en vendant des jeans. Ils se sont mis à avoir un lifestyle complètement taré, genre flamber 20 000 euros à Deauville et rouler en Porsche rose… Les mecs ont voulu faire de 10

la musique, ils ont ouverts des studios, ils ont essayé de faire des tubes, ça a foiré, et après ils sont passés à autre chose. Dans un style complètement différent, il y aussi des musiciens comme Ariel Kalma : ce mec faisait de la musique new-age dans les années 70, et au début, il tournait avec Adamo, avec Higelin. Pourtant, il a rapidement compris que la musique qu'il faisait n'allait pas avoir de gros succès, donc il s'est complètement retiré du « circuit ». Ce mec a produit pendant 20 ans sans qu'on n'en sache jamais rien. Je suis quasisûr qu'il y a plein de gens comme ça, des gens qui ont fait de la musique géniale et dont on a absolument pas entendu parler. Et c'est vrai que c'est toujours un plaisir de pouvoir exhumer ces talents inconnus. En prenant de l'âge, comment gères-tu ta judéité ? Pour moi, la culture juive s'articule entre deux choses : l'écrit, en l'occurrence la Torah, et en même temps la partie orale, c'est-à-dire le commentaire du texte qui lui, est infini. À partir du moment où tu peux commenter quelque chose et lui apporter un sens nouveau, ça le rend vivant. Cette chose-là, j'essaye de la transposer un peu dans ma vie, je ne suis ni religieux, ni quoi que ce soit, mais pour moi, cette manière de questionner sans cesse constitue ma façon d'être au monde. Groucho Marx disait : « si je devais recommencer ma vie, je ferais les mêmes erreurs… mais plus tôt. » Et toi, quelles erreurs aurais-tu aimé faire plus tôt ? Mon label (rires). Sinon, pour le reste, honnêtement, je n'ai pas assez de recul pour te le dire. Ton petit remède anti-gueule de bois ? Re-boire. D'ailleurs, hier, je m'en suis mis une belle…


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MUSIQUE t

ARNAUD ROLLET p SHAKES

MATTHEW HERBERT — HUMAIN ET RÉVOLUTIONNAIRE Tantôt intimiste, tantôt boulimique de collaborations, une fois pop, l’autre weirdo (son One Pig où il « dissèque » la vie d’un porc de la naissance à la mise à mort), Matthew Herbert ne fait rien comme les autres depuis près de 20 ans. Avec lui, la surprise est toujours au rendez-vous, qu’il s’agisse du message porté,

de l’œuvre en elle-même ou des samples qu’il est le seul à utiliser. Au fond, Herbert est viscéralement humain et cherche à communiquer avec son auditoire, le faire réfléchir, rêver ou danser avec la même intensité. En témoigne son nouvel album The Shakes qui sort le 8 juin sur son label, Accidental Records. 13


Ça te fait quoi d’être un peu le seul artiste à oser prendre des risques et développer un vrai message politique à travers sa musique ? Je n’ai pas d’étiquette, et c’est surtout dur pour mon image publique car, plus je vieillis et moins je trouve ma place. J’ai fait un opéra l’an dernier et des Dj sets ,mais tu ne trouveras pas mon nom dans une liste de compositeurs d’opéra ni de Dj’s. Après, c’est vrai que je trouve étrange le fait que l’on passe à côté d’une vraie révolution musicale. Quelque part, les musiciens sont les documentaristes de notre époque, comme l’ont été les peintres depuis des siècles. Nous utilisons nos pinceaux et nos instruments de musique pour tenter de décrire le monde, ce que nous ressentons. Maintenant que nous avons des microphones et des samplers, on peut utiliser la réalité. C’est comme passer du pinceau à la caméra. En cela, c’est une révolution ,mais j’ai l’impression que personne n’ose s’y mettre. Je ne comprends pas pourquoi. Le bon côté des choses, c’est « je peux faire ce que je veux ». La seule limite, c’est l’imagination et c’est la plus grosse difficulté : il ne faut pas perdre l’envie de toujours explorer de nouveaux territoires. L’autre difficulté, c’est l’originalité. J’ai sans doute été le premier à composer un disque autour – et avec - du porc mais est-ce que cela en fait obligatoirement un bon disque ou est-ce que cela fait de moi un génie ? Non. Cela me permet juste de me dire que je n’ai copié ni volé personne. Ma principale préoccupation reste de trouver comment transformer la matière en musique. Mon prochain album sera d’ailleurs un nu, sûrement féminin, soit un autre clin d’œil à l’Histoire de l’art. Ce corps nu pissera, se lavera, chiera, mangera, dormira… et je suis déjà anxieux à l’idée de trouver le moyen de rendre ça musical. Je ne peux pas m’inspirer de ce qu’ont pu faire Miles Davis ou Jimi Hendrix, ce qui en fait un vrai 14

défi. Mais pour un artiste ou une personnalité créative, c’est d’abord un rêve que d’avoir son petit espace à soi dans le monde. Le fait d’avoir son propre label, c’est obligatoire pour ce genre d’entreprise, non ? Oui, pas sûr qu’un corps qui pisse ou qui chie leur fasse plaisir. Avoir son propre label, ça aide mais ce n’est pas une fin en soi car, aujourd’hui, tout le monde peut sortir sa propre musique et capturer le son d’un corps avec un micro couplé à un enregistreur. Le problème, c’est que la musique est surtout devenue jetable. C’est maintenant une sorte de condiment, comme le sel ou le poivre de nos vies. Son sens se perd. Là, par exemple, il y a de la musique un peu funk qui passe (dans le hall d’un hôtel, ndlr) : qu’est-ce que ça nous apporte ? Pourquoi aurions-nous besoin de funk maintenant ? Cela résume bien le souci actuel : on nous balance de la musique pour nous donner l’illusion, le sentiment d’une certaine sécurité. C’est bizarre. Tu aimes le silence ? Oui, même si le silence n’existe pas. J’aime le calme et je crois que c’est le cas de tout le monde. On en a besoin. Un livre de Seth S. Horowitz explique que la conversation moyenne est trop forte de dix décibels : ce bouquin a bien 10 ans. On parle plus fort et le monde est plus bruyant. Les machines, l’air conditionné, les voitures et les populations qui augmentent… On remplit le monde de bruits. C’est l’anarchie totale. C’est peut-être l’ultime râle d’une agonie imminente ? Peut-être, car tout me semble assez malsain en ce moment, la musique comme la nourriture. On marche sur la tête. C’est comme le droit au


“REGARDER LE MONDE EN HAUTEUR APPORTE UNE AUTRE PERSPECTIVE. C’EST AUSSI INTÉRESSANT QU’EFFRAYANT CAR ON EST PROCHE DU PRÉCIPICE.” 15


Herbert — The Shakes Accidental Records Sortie le 8 juin 16


logement : à Londres, des tas d’apparts sont inhabités alors que des professeurs travaillant dans la ville n’arrivent pas à se loger… Ce genre de situation ne devrait pas exister. D’où te viennent cette façon de penser et cet engagement politique ? J’ai accompagné mes parents à l’église pendant 20 ans. Ils étaient méthodistes, une religion simple qui repose surtout sur la morale. Mon grand-père était très croyant, si bien que, durant la guerre, il a lutté sans prendre part aux combats - tuer allant à l’encontre de ses principes. Ça, c’est mon bagage familial. Par contre, il m’a fallu du temps pour comprendre que ma musique pouvait être politique. C’est arrivé avec un remix d’un titre de Matmos tiré d’A Chance To Cut Is A Chance To Cure, un album utilisant notamment des sons d’opérations chirurgicales. Mon remix portait sur des bruits d’opération du nez et j’ai fait un tas de recherches sur le sujet. Sur la fin du remix, on m’entend carrément crier ! Cela m’a moimême surpris. J’ai pris conscience que j’avais une opinion dessus. Cette expérience m’a aussi fait réaliser que tout ce qui provoquait les maux de notre monde engendrait des sons que je pouvais utiliser. Cela me fait penser à Noise : The Political Economy of Music, un livre de Jacques Attali qui décrit bien cette situation. J’ai toujours été un gros lecteur de Chomsky et, plus généralement, de la littérature de gauche. La politique a toujours eu une place importante dans ma vie mais j’en éloignais la musique. Depuis, je suis plus intéressé par l’idée de sampler un Starbucks ou un McDonald’s qui pollue de merdes notre monde plutôt qu’une porte qui grince. Des gens peuvent aimer McDonald’s mais cette entreprise ne devrait pas être omniprésente. Elle devrait surtout dire ce qui se trouve dans ses burgers, payer ses taxes et donner des salaires corrects à ses employés.

Tu es très au fait des problèmes actuels mais arrives à garder espoir. Comment réussis-tu ça ? Cela doit être ma personnalité. J’ai lu que l’optimisme des actions est meilleur que le pessimisme de la pensée. Je crois que chacun a la possibilité de changer les choses à son échelle, tu peux planter un arbre, ne pas voter à droite ni rejoindre l’armée – et qu’un grand changement peut vite arriver. C’est ce qui est en train de se passer écologiquement parlant. Avec une catastrophe climatique, il y aura beaucoup de morts, le système se cassera la gueule et les gens comprendront enfin qu’ils doivent s’améliorer. J’espère que cela va être le cas de la finance, qui est un système complètement imaginaire basé sur des prévisions insensées. Il finira par exploser puisque les gouvernements n’ont plus d’argent à se faire soutirer. Les banques ne pourront plus jouer de la planche à billets et s’effondreront. Cela redistribuera les cartes. Quant à toutes ces enflures de banquiers, de businessmen et de politiciens, ils seront humiliés pour au moins 50 ans avant de revenir tout corrompre à nouveau. C’est cyclique et toutes les générations doivent, à un moment donné, faire face aux enfoirés. La lutte n’est pas finie. Pourtant la pochette de The Shakes montre un type prêt à se jeter dans le vide… Ce n’est pas le cas. Ça se rapproche plus de l’idée d’un artiste en haut de sa tour d’ivoire. Regarder le monde en hauteur apporte une autre perspective. C’est aussi intéressant qu’effrayant car on est proche du précipice.

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NUIT & CINÉMA t

NICOLAS MAGENHAM

LE LOCATAIRE DE POLANSKI 3 avril. J’ai enfin trouvé un appartement. C’est un studio un peu sombre qui donne sur une cour. Le contexte est plutôt inhabituel, puisque Simone, l’ancienne locataire, n’a pas officiellement quitté les lieux. Elle s’est défenestrée il y a quelques jours, pour une raison que tout le monde ignore. Mais elle est dans un coma irréversible, m’assure la concierge (qui, par ailleurs, ressemble à s’y méprendre à la mère de Lolita dans le film de Kubrick, avec 20 kilos de plus). Monsieur Zy, le vieux propriétaire, habite juste en dessous. Il m’a bien précisé que l’immeuble était très calme, et qu’il ne souhaitait pas que j’invite des « gourgandines » pour faire des galipettes. 15 avril. Tout le monde dans le quartier a l’air de savoir que je loue l’appartement de Simone. Elle avait l’habitude de prendre un chocolat et des Malboro au bar-tabac du coin, et le patron s’est mis dans l’idée de me servir la même chose et rien d’autre. 18

17 avril. Cette nuit, je me suis mis à chercher un sujet pour ma chronique ciné. Je replonge quelques années en arrière, lorsque j’étudiais le cinéma à la fac. Je me souviens avoir écrit un mémoire sur Certains l’aiment chaud de Billy Wilder. J’ai toujours été troublé par le personnage de Jack Lemmon, qui, en se travestissant en Daphné, finissait par être persuadé d’être une femme bonne à marier. En contemplant la nuit noire à travers la fenêtre de mon nouvel appartement, j’ai repensé aussi à un article de Jean-Jacques Schuhl sur Godard, que j’avais lu dans Libé. Schuhl décrivait sa fenêtre comme un écran noir, et affirmait que Baudelaire avait imaginé dès 1855 la projection d'images animées sur écran, dans son poème Obsession (car les ténèbres sont elles-mêmes des toiles où vivent, jaillissant de mon œil par milliers, des êtres disparus aux regards familiers). Tiens, Schuhl, c’est quasiment le même nom de famille que celui de Simone, l’ancienne loca-


taire. Simone Choule. 28 avril. Hier soir, je me suis produit au Pop In avec mon band. On joue des chansons d’amours meurtris, en portant des shorts à paillettes. Ça fait rire les gens. S’ils savaient que, derrière ces douces harmonies, ce qui se trame en réalité dans ma tête, c’est plutôt quelque chose comme De Natura Sonoris de Penderecki, dirigé par Pierre Boulez ! Puis on a fait une petite sauterie chez moi pour prolonger la fête, et, par la même occasion, célébrer mon installation. J’ai eu quelques plaintes de voisins. Monsieur Zy ne plaisantait pas au sujet de la réputation de l’immeuble. 9 mai. Je commence à péter sérieusement les plombs. Puisque tout le monde veut que je devienne Simone Choule, j’ai décidé de devenir Simone Choule. J’ai trouvé une de ses robes dans un placard. Après un saut rue du Faubourg Saint-Honoré pour acheter des escarpins et un

peu de maquillage, j’ai déniché une perruque très seyante dans une petite boutique spécialisée. Quand j’arpente l’appartement la nuit avec ces chaussures, ça ne plait pas beaucoup à Monsieur Zy, mais tant pis. Je réalise enfin mon rêve d’étudiant : devenir Jack Lemmon/ Daphné dans Certains l’aiment chaud. Il faut croire que le cinéma m’obsède à ce point-là. 14 mai. Je dois rendre mon papier pour le Bonbon Nuit. Finalement, je n’ai pas choisi Wilder ou Godard, mais Le Locataire de Polanski. Il y a plein de scènes de nuit là-dedans, ça fera l’affaire. Une fois l’article terminé, j’ai décidé d’aller jusqu’au bout de ma démarche : je me suis jeté par la fenêtre, comme Simone. La première tentative ne fut pas réellement concluante, la verrière ayant amorti ma chute. Bien amoché mais conscient, j’ai rampé jusqu’à l’appartement, sous les yeux ébahis de la concierge. Et j’ai plongé à nouveau.

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LITTÉRATURE t

TARA LENNART

ENCRE NOIRE POUR NUITS BLANCHES

Blanche comme une page, la nuit s’inscrit aux abonnés absents. Pas de marchand de sable à l’horizon ni de pilules magiques pour baver dans les bras de Morphée. Ne cherchez plus,

lisez. Et dans votre lit, c’est encore mieux ! Vous aurez une bonne raison de ne pas dormir…

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Berliner Ensemble — Cécile Wajsbrot Ah, Berlin ! Ses soirées, ses folies, ses longues rues, son Histoire… Berlinoise d’adoption et de cœur, Wajsbrot nous emmène dans une ville qu’elle connaît bien, une ville dont elle a arpenté les rues à la recherche de cette âme omniprésente et bienveillante. Cette âme qui bat secrètement dans le cœur de tous ceux qui sont tombés amoureux de Berlin, histoire de l’Histoire à chaque coin de rue, immensité si difficile à décrire. Sauf pour une écrivaine douée et sensible. — Éditions La Ville Brûle Jésus de Nazareth — Paul Verhoeven Non il n’est pas question de symboles de la Manif Pour Tous ou de Civitas. Il est question d’un type probablement né d’un viol ou d’une mère volage, un type certes intelligent et doué, mais certainement pas une créature mystique qui réalise des tours de magie. Paul Verhoeven, génie du cinéma contestataire et athée renommé, nous présente Jésus  : l’Homme, qu’il a étudié pendant des années. Et il s’avère qu’un livre comme ça soulève plus de réflexions et de mises en perspectives que tout ce que le mysticisme dépassé de l’église catholique peut générer. Amen ? — Éditions Aux Forges de Vulcain Lettres et typos — Muriel Douru Parfois, mon cerveau ressemble à une pelote de laine maltraitée par un chat schizophrène sous ecstasy. Dans ces cas-là, dormir relève du fantasme. Et lire, n’en parlons pas. Dans ces cas-là, une seule solution pour atteindre la paix intérieure sans mordre personne : la création. Oui colorier, dessiner, griffonner, sans massacrer sa maison, c’est bien. Et c’est exactement ce que permet ce joli carnet de coloriages/gribouillages pour adultes en manque de calme et d’expression créative. C’est inspirant (son auteur a de la ressource) et en plus, dans 158 ans, vous serez peut-être exposés au MoMa. — Éditions Fleurus 22

Fragments d’une traque amoureuse Fleur Zieleskiewicz Donc, il y a des gens fascinés par les aéroports. Fascinés par ce qui se passe dans ces espaces neutres, entre deux avions, deux pays, aux portes de découvertes. On pense à tout ce qui déraille, on se fixe sur les détails, les coupes mulet à Berlin, par exemple. On ouvre les yeux quand son cœur est en suspens. Cette jeune auteure a tout compris à beaucoup de choses essentielles : l’amour et les voyages. Que demander de plus comme bagages dans un monde en mouvement perpétuel ? — Éditions l’Éditeur Les Aliénés — Espedite Mort, sexe, nuit, ennui, drogue, ça vous parle ? Ce sont les éléments essentiels de ce western urbain déjanté, grinçant (comme souvent chez cet éditeur audacieux et incorruptible), qui fait l’effet d’une claque glacée. On vacille devant les descriptions, les images qui naissent sous ces mots éclatés et extatiques. On reste éveillé, en tension, le souffle court et le cerveau en plein film. C’est beau et dérangeant. C’est la vie, celle qu’on aimerait fuir, quitte à plonger dans un tourbillon fou. — Éditions Christophe Lucquin L’ombre des années sereines — Olivier Martinelli Avec cette nouvelle, on voyage dans un autre temps. Olivier Martinelli déconstruit l’espace urbain familier pour nous projeter dans un espace post-guerilla, quand un fils aimerait en savoir plus sur l’histoire de ses parents. La nouvelle prend vie sous nos yeux de lecteur habitué aux pavés sous les Stan Smith. Il y a l’univers de ce texte, très différent de ce à quoi il nous avait habitués, et il y a le livre, très bel objet, élégant et fin. Le genre de cadeau qu’on garde pour soi, sous son oreiller. — Zinc éditions


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CINÉMA t

PIERIG LERAY

LES SORTIES DU MOIS 1 mois, 4 films, 4 avis. Le problème ? On ne les a pas vus. Critiques abusives et totalement infondées des meilleurs/pires films du mois.

Ex Machina de Alex Galand Une rengaine science-fictionnelle bien connue, un classique du genre bien tapageur qui fonctionne et nous ramène éternellement à la traditionnelle question du genre humain face à l'éthique d'une science qui ne s'arrête plus de progresser dans nos vies et bientôt dans nos corps avec l'IA, l’intelligence artificielle qui rompt dangereusement toute barrière entre ce qui est conscience et ce qui ne l'est pas. Ça bourlingue pendant 2 heures mais ça marche. En plein dedans, jusqu'au reset final. sortie le 3 juin 24

Jurassic World de Colin Trevorrow Qu'il est aisé mais toujours exquis de se foutre de la gueule d'un revival forcément pathétique, manichéisme amerloque, tentative absurde de rendre cette fois-ci une bête idiote intelligente ("il communique" waouh), qui se tire forcément de sa cage aux oiseaux. Panique au village, on se fait bouffer, on court, on écrase des hélicoptères, ça gueule et ça chiale pour que l'être humain, brillant petit être de chair, gagne et en foute plein la gueule à ses abrutis de carnivores. Yes we can. sortie le 10 juin


Entourage de Doug Ellin C'est un plaisir malsain que de suivre la série Entourage et ses fresques hollywoodiennes édulcorées. Bien évidemment, en 1h30, tout sonne creux et on parie sur une redite minable, sorte de Very Bad Trip du showbizz avec un discours sans fond ni autodérision sur un milieu qui finalement était trashé cordialement dans la série. Les quelques vannes bien senties du célèbre Johnny Drama ne changeront rien à cette affaire déjà classée. sortie le 24 juin

Valley of Love de Guillaume Nicloux Quand Depardieu se regarde droit dans les yeux de Huppert, c'est un amour inconditionnel et d'un simplisme bouleversant qui jaillit à nos yeux humides. L’idée est ici de vivre le passé dans un présent éteint lors d'un voyage initiatique dans le grand Ouest américain souhaité par un fils suicidé. Pas de sentimentalisme surchargé, ni de pathos au violoncelle, c'est d'une grande sincérité et au final, le duo Depardieu-Huppert parle de sa propre vie passée. Jeu, set et match. sortie le 17 juin

Mais aussi : Graziella de M.Charef sortie le 3 juin, quand Denis Lavant est à l'écran on écoute et on apprend (4/5), Être de F. Sene sortie le 10 juin, destins croisés à la Magnolia avec Bruno Solo, laisse-moi mourir de rire (0/5), La résistance de l'air de F.Grivois sortie le 17 juin, ce titre… Reda Kateb se transforme en assassin pour sauver sa famille en galère de thune pour finir à boire du champagne en boîte, on n'a peur de rien (0/5), A love you de P. Lefèvre sortie le 24 juin (0/5), minable et faussement trash, une histoire de bourrée, un road-trip même pas drôle, et pourtant j'adore l'humour sous la ceinture mais là c'est en dessous de tout. 25


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MUSIQUE t

MPK p TORB

TORB — TECHNO FŒTALE Une interview avec les mecs de Torb ressemble à leur live : il faut un temps d'adaptation, et puis on passe ensuite dans une autre dimension, les idées s'accélèrent enfin pour perdre joyeusement leur apparente gravité. Bien calés dans leur studio-cap Canaveral où clignotent les synthés analogiques qu'ils ont fabriqués de A à Z, on s'est

envoyés de la vodka à la santé de Laïka, première chienne de l'espace. Et on a parlé de musique technologique, de fréquences rares, de rythme cardiaque maternel… Entre l'éther sidéral et le liquide amniotique, Torb perche sec et s'inscrit comme l'une des entités sonores les plus excitantes du moment. On vous prévient, leur mise en orbite ne fait que commencer. 27


“ON ADORE L'ESPACE, ÇA NOUS REND OUF. AVEC LES SONS, ON AIMERAIT POUVOIR METTRE EN LÉVITATION DES TRUCS COMME LES TIBÉTAINS AVEC LEURS CLOCHES MAGIQUES.” 28


On pourrait croire que vous êtes des petits jeunes qui viennent de débarquer, ce n'est pas tout à fait le cas puisque vous avez tous les deux la quarantaine. Julien : Ce qui change, c'est qu'aujourd'hui on sait quelle musique on aime. On n'a plus à chercher, on va direct au but. On a passé le stade de vouloir devenir des rock stars, de niquer des meufs et les mettre enceintes. Fabien : Ça permet d'épurer les choses. Quelle est votre culture techno ? J : On a connu la musique électronique en 94, vraiment au début des premières teufs en France. Les images qui me viennent, ce sont les entrepôts, la foncedé, les Dj's qui nous faisaient vibrer sur une nouvelle musique que personne ne connaissait, des notes, des répétitions, des couleurs associées à ces sons. À Paris, il y avait les soirées avec Armand, Sonic et Pacman. Après, j'ai rencontré Francesco Farfa, et c'est à partir de ce moment que j'ai voulu acheter des platines. Ok, si je vous dis qu'il y a chez vous une volonté de remonter aux origines de la techno, de rendre hommage à sa pureté, à son côté extatique, on est d'accord ? J : On ne veut pas faire de compromis. 20 ans après, on dégurgite, on dégueule ce qu'on a entendu. On veut retrouver les sensations du corps de cette époque. F : On essaye de retrouver ces sensations, ça c'est clair. Qu'est-ce qui vous fait autant triper dans les analogiques ? J : Le grain. C'est comme la différence entre une photo numérique et une photo argentique. Le grain, la composante, la matière, ça n'a rien à voir. Et c'est un univers complètement ouvert.

Jouer avec ces machines, c'est aussi un travail sur l'imprévu, le chaotique ? J : Oui, ça dépend aussi des conditions climatiques. Aujourd'hui, il grêle, donc il faudra que l'on mette 0,004 millivolts sur un composant pour qu'il fonctionne comme d'ordinaire. F : L'incertitude est pleine parce qu'avant de commencer le live, tu ne sais pas comment ta machine va tourner. Tu ne connais pas les règles avant de démarrer la partie. J : C'est comme une vieille voiture, il peut y avoir de l'huile qui dégouline du carter, mais faut qu'on fasse au mieux pour que le moteur tourne. Comment vous situez-vous par rapport au milieu techno actuel ? J : Un peu nulle part, on vient d'arriver. Sinon, j'aime bien le label de Smagghe, Les Disques de La Mort. Et puis ce mec, j'allais le voir tout le temps en soirée, c'est un mentor pour moi, même si je ne l'ai jamais rencontré. F : On aime aussi le mec de Skryptöm, Electric Rescue. Ça fait un bout de temps qu'il tourne. On vous a souvent présentés comme des vrais geeks, limite autistes. Si vous n'aviez pas eu la musique pour vous exprimer, vous auriez fait quoi ? J : Astronaute. En fait, le fait de triturer les boutons de nos machines sert à faire décoller notre mental. On part en voyage. Attends, je vais te trouver le nom des 5 navettes spatiales : Challenger, Columbia, Discovery, Atlantis et… (il cherche, je me tourne vers Fabien) Et toi Fabien ? F : C'est une bonne question, j'avais pas prévu de plan B moi… J : Endeavour ! C'est la sixième navette. 29


En fait, on veut faire passer un message d'amour et de paix. On adore l'espace, ça nous rend ouf. Avec les sons, on aimerait pouvoir mettre en lévitation des trucs comme les Tibétains avec leurs cloches magiques. Rêvez-vous des fois que vous faites l'amour à vos machines ? J : J'ai fait un rêve la dernière fois où je dormais avec un mini-synth, mais il n'y a pas eu d'acte sexuel. Sinon, quand je rêve de machines, je rêve de potards que l'on tourne, de diodes qui clignotent… F : On préfère faire l'amour à notre public. J : Oui, la machine est le médium pour faire l'amour avec le public. Pouvez-vous m'expliquer la démarche de votre LP Night session ? J : On avait 10 jours pour faire un nouveau live, et au bout de 4, on s'est dit qu'il fallait qu'on s'enregistre en donnant le max. On avait pas mal la pression, on a tout fait dans un one shot, on voulait rien retoucher, garder les erreurs, les maladresses, les faussetés. Le deuxième défi, ça a été de le mixer, toujours en one shot. F : Et de renforcer le son, sans toucher à la structure. Il y a dans votre musique une notion de durée qui est très importante… J : Oui, on installe l'ambiance, on pèse le truc, on sent les choses, c'est vrai que l'on met du temps à démarrer. À un moment, on s'oublie, et puis on repart dans des frasques « torbesques ». 1 heure, 1 heure et demi, c'est à peu près le temps qu'il faut pour développer une histoire. Comment ressentez-vous « le point Torb » ? Le moment où votre public bascule de l'autre côté ? J : Ce moment arrive quand on va tous dans 30

la même direction. Au début, il y a un round d'observation, et au bout d'un moment, ça switche, on s'oublie, on arrête de s'écouter, on va vers le soleil. D'ailleurs, quel est votre live « fondateur » ? J : Ça va être celui d'Astropolis : une grosse scène, 15 000 personnes… Va falloir y aller, on n'a jamais fait ça encore. Évidemment, il y a la puissance des nappes analogiques dans votre son, mais j'aimerais aussi mettre en avant la base rythmique. Comment la travaillez-vous, la théorisez-vous ? J : On est surtout à 120 bpm, malgré certaines remarques qui nous disent d'accélérer parfois. Pour l'instant, on n'en a pas ressenti le besoin. 120, c'est le bpm de la house, et on greffe à ce bpm des sons techno. Vous avez entendu parler de cette théorie sur la techno ? Qu'elle reproduirait un état intra-utérin, et que les rythmes répétitifs correspondraient aux battements de cœur maternel ? F : Oui, on y croit à fond à ce truc. J : Tu sais, TORB, ça veut dire Technologie Orbital Revolutionnary Beat. Mais ça veut aussi dire Try On Reverse Birth : fais un effort pour retourner dans ton état préfœtal. Ça veut dire qu'un jour, on retournera dans cet état, on reviendra au point zéro, tout comme l'univers. Qu'est-ce que vous aimeriez que l'on dise de vous dans 10 ans ? J : J'aimerais bien qu'on vende nos synthés par milliers ? F : On est aux prémices de notre discours, on a encore plein de trucs à dire. Parler au peuple de la Terre, délivrer un message de paix et d'amour. Et faire une chanson pour tous les jeunes de l'univers.


Night Session LP Torb Trax Sortie digitale le 8 juin, physique le 9 juin. facebook.com/weloveTORB 31


PLAYLIST p

SYLVIA BOREL

LOUISE ROAM

Les pamphlets sonores de Louise Roam trouvent leurs racines dans des textures riches, aux références classiques appuyées, aux nuances mélodiques et aux beats tantôt étouffés, tantôt soutenus. Son premier EP, Raptus, a été pensé et écrit entre la Suède et le France, dans l'immersion de forêts immenses et la douceur urbaine de Paris. 32

C'est un éloge de la liberté qui se traduit par des nappes suaves, des accords piano soignés et une musicalité polysémantique parfois proche de la prise de risque. Sortie digitale le 1 juin, physique le 9 juin. Vous pourrez d'ailleurs assister à sa release party le 9 juin à 19h30 au Gibus Café, 127, rue Saint-Maur 75011.


IMPROMPTU - Jean Sibelius Cet impromtu me rapelle mon premier sentiment de joie puis la découverte des paysages scandinaves au travers de cette matière sonore vivante. On y entend l'importance de la respiration et du silence dans la musique. Surtout écouter l'interpretation qu'en fait l'Orchestre des Jeunes d'Île-de-France sous la direction de Yves Pruvot. I FELL IN LOVE - Gidge Je passe des heures à écouter ce duo de Umeå. Je me retrouve en Suède au milieu de forêts vertigineuses dans un havre de paix. Il suffit de fermer les yeux... Ils sont sur le label Atomnation qui recèle pas mal de pépites. AIRPLANES - Local Natives Parfait pour prendre la route quelle que soit l'heure. Je me mets à chanter à tue-tête comme une pré-ado tout l'album. La formidable régression ! Je remets ça sur le second album Hummingbird, où les harmonies vocales sont toutes célestes. NORTHERN LIGHTS - Saycet Quand Pierre Lefeuvre m'a fait écouter ce titre en studio, j'étais scotchée au siège. Sa musique relève d'une grande justesse, il sait s'arrêter avant l'emphase. J'ai l'honneur de l'accompagner sur scène, c'est toujours une grande leçon pour moi. FLY ON THE WALL - The Jesus Lizard Mon péché mignon... On est en 94. Je vole et je m'écrase contre le mur à chaque écoute comme le chien, la gueule ouverte, sur la pochette. Le riff de guitare qui coule me rend dingue. À écouter toujours trop fort.

ALBUM TOTAL 13 - Backyard Babies Je le sors à chaque soirée entre deux Céline Dion, et je fais chier tout le monde. C'est ma deuxième rencontre avec la scandinavie. J'en ai toutes les éditions, j'ai 14 ans. L'énergie y est dingue. Je n'ai toujours pas compris les albums suivants... Ils existent encore ? BIRTH OF STARS - Joseph Merrick Je mange des glasses en écoutant la folk de Joseph Merrick. Et passer un moment avec Joseph est tout aussi rafraîchissant, il est une bible vivante de la musique avec fou rire garanti. BLACK RIVER FEAT. MARK LANEGAN - Gui Boratto Remix Il fait noir et lumineux à l'écoute de ce classique. Une guitare, une basse, UNE voix, la pate de Boratto et tout est là. Mlle Caro avait l'habitude de finir ses warm up au Rex de cette jolie manière. STRENGTH OF STRINGS - Gene Clark Un chef-d'œuvre de 1974. Plus je l'écoute, plus il me fascine, plus il m'hypnotise. Quand la voix de Gene surgit au bout de deux minutes : "In my life the piano sings, Brings me words that are not the strength of strings…" on ne s'attend jamais à aller aussi haut. CONFESSION - Baudelaire J'ai toujours dans ma poche un exemplaire des Fleurs du Mal que je lis surtout la nuit. Tout n'y est que musique. C'est une exceptionnelle source d'inspiration pour moi.

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ÉROTISME t

MPK p CORTEZ 77

MARIKA GORGONE — DISCIPLINE IN DISORDER Au carrefour de l'art, de l'érotisme, de la pornographie et du SM, le bondage japonais (shibari) fascine autant qu'il questionne, excite nos nerfs, ré-active des zones inconscientes, décompresse des soupapes sociales, bref, prend la forme d'une véritable machine à

créer des fantasmes. Pour incarner cette discipline qui joue avec le désordre, nous avons rencontré la jeune et pourtant déjà expérimentée Marika Gorgone. La parole précise, la respiration maîtrisée, elle nous parle de cette pratique si attachante en toute subjectivité. 35


Quels sont en général les préjugés auxquels tu es confrontée ? Il y en a beaucoup. Les questions qui reviennent tout le temps sont sur la douleur et l'aspect SM. Pas mal de gens pensent aussi que c'est dégradant pour une femme de faire ça, certaines féministes me disent qu'elles se sont battues pour être respectées, non pour être soumises et objectifiées. Il y a aussi des mecs qui viennent me voir après une performance et qui sont très choqués parce qu'ils sont coincés entre le plaisir et la culpabilité. Ils se sentent coupables parce qu'on leur a appris très jeune qu'il ne fallait pas taper les filles, etc. Au final, en refusant le droit à la femme de jouer un jeu dans lequel elle teste ses limites corporelles et émotionnelles, le message que tous ces préjugés envoient est complètement anti-féministe. Peux-tu nous expliquer les origines du shibari ? Originellement, cette pratique vient du Japon féodal. Une des forces de police de cette époque pratiquait le hojojutsu, un art martial de capture et d'immobilisation avec les cordes. Celui-ci comportait 4 grandes règles : 1/Que la personne ne puisse pas se détacher. 2/Qu'une personne profane à cet art ne comprenne pas la manière dont cela a été fait. 3/Visuellement, les figures d'attache devaient être différentes en fonction du statut social du prisonnier. 4/ Cela devait être esthétique. Quel type de plaisir prend-on lorsque l'on est attaché ? C'est une question que je me pose régulièrement. Ça a commencé par être un plaisir purement physique lorsque je me suis rendu compte de ce que mon corps était capable de faire. Pour moi, ça a été une grande révélation, un moyen de m'incarner et de m'approprier ma chair. Ma première année d'expérience 36

dans le shibari a donc été très égoïste, ça se passait entre les cordes et moi, la personne qui attachait n'était qu'un catalyseur. Progressivement, le plaisir est devenu plus psychologique, plus émotionnel. Les cordes ont pris un second plan, et avec la notion de duo avec l'attacheur , le plaisir s'est orienté vers la sensualité. Après, tout dépend du contexte : est-ce que je me fais attacher sur scène ? À la maison par mon mec ? Dans un workshop par un élève ? Pour une vidéo d'art contemporain ? Le plaisir peut vraiment se situer à des niveaux très différents : émotionnel, analytique, physique, sexuel… ou tous à la fois. Je suis très polyvalente. Et lorsque l'on attache ? Il m'a fallu du temps pour prendre du plaisir à attacher. Pendant longtemps, cela a juste été une curiosité. Mon approche était très martiale, je voulais comprendre la technique et la mécanique de tout ça. À force d'être attachée, je me suis rendue compte que je savais attacher. A priori, c'était difficile pour moi de prendre cette place de dominante dans le couple. À chaque fois, dans les deux sens, il m'a fallu laisser de côté ce qui se passe entre la corde et moi, pour pouvoir m'ouvrir à l'autre. En fait, maintenant que j'attache autant que je me fais attacher, je me rends compte que la notion de pouvoir est beaucoup plus subtile et complexe. Plus j'attache, et plus je m'aperçois que j'ai du pouvoir lorsque je me fais attacher. Être le dominant, c'est prétendre, faire semblant d'avoir le pouvoir, mais en fait tu ne l'as pas du tout. Pour moi, dominer, c'est l'exploration de la précarité d'un pouvoir qui n'est pas réel. Est-ce que finalement tout ceci n'est pas une métaphore, une sublimation de l'acte sexuel ? Je ne sais pas parce que cette notion de passivité et d'activité est super paradoxale. Déjà,


“TU PEUX DANSER AVEC QUELQU'UN ET Y METTRE UNE CHARGE SEXUELLE GIGANTESQUE TOUT COMME TU PEUX AVOIR UNE QUEUE EN TOI SANS QUE TU NE RESSENTES RIEN D'EXCITANT.” 37


www.gorgone-kinbaku.com 38


j'aimerais savoir ce que l'on entend par « acte sexuel » ? Est-ce que l'on parle de la pénétration ? C'est ça aussi qui devient intéressant lorsque l'on commence à explorer une sexualité plus créative : tu te rends compte que ça devient très difficile de définir le sexe, l'érotique, le SM, car les frontières ne sont pas étanches. Personnellement, tout ce que je fais dans la vie est à la fois artistique, sexuel et psychologique. Quand je suis dans la sexualité, je ne peux pas m'empêcher d'y mettre une notion de créativité et de psychologie, quand je fais de l'art, j'y mets de la sexualité et de la psychologie, etc… Tu peux danser avec quelqu'un et y mettre une charge sexuelle gigantesque tout comme tu peux avoir une queue en toi sans que tu ne ressentes rien d'excitant. Qui sont tes maîtres dans cet art ? Principalement Naka Akira. J'aime beaucoup aussi Nawashi Kana, qui est l'héritier officiel d'Akechi Denki, et Kinoko Hajime, qui travaille dans le même style. D'accord, donc tu apprends au jour le jour à leur contact. Tu es un peu leur disciple ? ll ne faut vraiment pas utiliser ces mots-là, la notion de disciple est très délicate au Japon. C'est une relation très officielle dans laquelle le maître choisit le disciple. Un professeur va enseigner à ses élèves la technique, le maître enseigne au disciple son esprit. Moi, je me sens élève parce que j'ai toujours refusé d'avoir un seul maître, j'ai aussi envie de pratiquer plusieurs styles différents. De plus, les disciples rigidifient souvent les enseignements, et comme je suis anti-dogmatique, je n'ai vraiment pas envie de tomber dans ces cristallisations.

Pourquoi le japon a-t-il un imaginaire sexuel plus riche mais aussi plus violent que le nôtre ? Je pense qu'il faut replacer le Japon géographiquement pour répondre à ta question : c'est une petite île sur la ceinture de feu du Pacifique, et la nature y est extrêmement violente tout en étant extrêmement belle. Cette ambivalence se ressent partout dans leur culture, et évidemment dans leur rapport à la sexualité et à l'intimité. Dans le shibari, on a complètement cette dramatique de construction/ déconstruction, que ce soit avec les cordes ou dans l'émotion : on voit très souvent des modèles bien coiffées, bien apprêtées en petit kimono, et qui à la fin de la performance, se retrouvent dans un état pas possible ; elles ont les cheveux en vrac au milieu de la tronche, de la morve qui coule, elles se bavent dessus, etc… Je pense que tout cela est vraiment un symptôme de cette dramaturgie face à l'éphémère. Dans la mentalité japonaise, tout ce qui est construit ne dure pas, mais ce qui est détruit ne dure pas non plus parce que l'on va le reconstruire. Je dis souvent que le shibari est comme un frisson qui se transforme en tremblement de terre. Mais après les tremblements de terre, les fleurs repoussent toujours. On retrouve d'ailleurs cette idée dans le porno japonais : la femme y a très souvent ce côté enfantin, pur et virginal, et il y a toujours cette recherche de destruction de l'agneau blanc. Ensuite celle-ci va se reconstruire et devenir quelqu'un de plus fort, de plus sage, avec plus d'expérience. Tu as une technique bien particulière contre la gueule de bois ? Je bois très peu, et mon devoir d'éducatrice me fait dire qu'on ne devrait jamais pratiquer le shibari quand on est ou a été sous l'influence de l'alcool…

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DIVAGATION t

SYDNEY VALETTE

LA FAIM DU MONDE Chaque mois, Sydney Valette nous partage l'un de ses rêves. Et cette fois, il nous a fait un beau bad trip. Nous sommes en 2056. Tout est fini. Ou plutôt tout est train de se terminer. Nous sommes le 1er juin 2056, et c’est le jour de l’Apocalypse. Je suis avec ma Maman dans la rue, nous sommes pouilleux, le Soleil luit au travers d’une brume, donnant au Ciel une couleur jaunâtre dégueulasse. L’humanité a épuisé la majeure partie des ressources existantes. Il n’y a plus rien à faire, aujourd’hui est le dernier jour. Dans les villes, les gens luttent pour trouver dans la rue les derniers restes de nourriture, au milieu des ruines balayées par des vents violents. L’économie mondiale est à l’agonie, le monde entier est à l’agonie. Partout, la panique règne dans les villes, les gens meurent de faim par milliards, les gens se tuent par millions. Tout cela n’a rien d’impressionnant, il n’y a rien de chevaleresque, ce n’est pas une Apocalypse nucléaire, humaine, maîtrisée, programmée, pas de guerre pour imposer une vision du Monde. C’est la Grande Vengeance de l’Univers : pas d’explosion foudroyante, pas d’affreux combats sur des champs de bataille ravagés, pas de camps de concentration, de chambres à gaz, seulement des pauvres gens mourant de 40

déshydratation et de faim par milliards, quand ce ne sont pas les éléments qui se déchainent contre eux… les seuls combats existants étant des combats de désespérés, pour se disputer les dernières miettes de pain jonchant les rues défoncées. Et je suis dans la rue avec ma Maman, abasourdi de désespoir. Quoi que nous fassions, dans quelques heures, peut-être quelques minutes, nous allons mourir, ma Maman et moi, au milieu des vents violents, de même que les quelques survivants restant ici. Mon désespoir n’est pas seulement celui d’un homme qui va mourir plus tôt qu’il l'aurait voulu. C’est ici mon peuple, mon espèce qui disparaît, toute considération posthume est devenue caduque à 100%. Le sens de ce que nous avons construit depuis des millénaires est ici réduit à Néant. Plus rien. Ainsi, mon histoire personnelle est évacuée, par l’angoisse fulgurante de l’absurdité générale. Dans un réflexe de survie animale, nous cherchons des restes de nourriture par terre, dans les recoins poussiéreux des ruines de ce qui fut jadis, notre « civilisation ». Les animaux se font sûrement un honneur de mourir le ventre plein…


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WEATHER FESTIVAL t

SIMON KINSKI ZNATY

TITI POWER Parmi toutes les stars internationales présente lors du Weather Festival qui se tiendra du 28 mai au 7 juin (OFF et ON), voici notre

sélection des Dj's/prod 100% parigots qui porteront haut les couleurs de la capitale. Pas de quartier, full support ! Pseudo : Romain Play "mais pas trop, juste ce qu'il faut" Label : CamionBazar, salon records, Forecast label, chez dédé la frite Âge/Taille/Poids : Intemporel / 1m79 debout (mais de dos) / 26 kg avec chaussures en plomb Signe particulier : œil de biche, corne de cerf, petit corps mais grand cœur Style de jeu : Comme un 4x4. Sur autoroute. Ou dans Paris Où et quand te voir durant le Weather ? : Faudra chercher la cachette secrète !

Pseudo : Shlomo Label : Taapion records Âge / Taille / Poids : 27 ans / 1m82 / 70 kg Signe particulier : Lépidoptérophile Style de jeu : Offensif et précis, je mise tout sur la pression psychologique Où et quand te voir durant le Weather ? : Vendredi 29 mai au Batofar avec la légende de Detroit Blake Baxter. Je jouerai en b2b2b avec mes partenaires du crime AWB et PVNV, "Taapion soundsystem" floqué dans le dos 42


Pseudo : Gabriel le mac de Chaville Label : D.KO Records, Pantruche Âge/Taille/Poids : 22ans, 1m85 pour 80 kg comme tous les D.KO Signe particulier: Un téton plus rose que l’autre Style de jeu : En 4-4-2, une touche de balle. Toujours taper fort devant le but ! Où et quand te voir durant le Weather ? : Avec papa et maman sur la scène CamionBazar, le samedi de 16h à 8h avec les dkollègues

Pseudo : Clouclou Label : La Mamie's Âge/Taille/Poids : 25 ans/ 1m80/ 75 kilos Signe particulier : Sens aiguisé du Groove Style de jeu : Que des numéros 10 dans ma team Où et quand te voir durant le Weather ? : Scène Été vendredi !

Pseudo : Pit Spector Label : RER / Prospector Âge/Taille/Poids : 32 /Mi lourd / mi raisin Signe particulier : Polutropos et Poikilomêtês Style de jeu : Lancer de galette et clef de bras Où et quand te voir durant le Weather ? : 30 mai Live @ Mini Weather / 6 juin Dj @ Scène Printemps

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LES NUITS “IMPOSSIBLE” fb

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JACOB KHRIST


Suite à l'arrestation brutale des activistes FEMEN lors du 1er mai par les militants du Front National, FEMEN appelle chacune et chacun à faire son choix. Choisissez l'humanisme plutôt que le fascisme ! Le pacifisme et l'humour, pas la répression violente ! L'union plutôt que la ségrégation ! Partagez les idées de FEMEN, pas du FN !

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GONZO t

RAPHAËL BREUIL

MÉMOIRES D'OUTRETOMBE C’est aux abords d’une bouche d’égout que je fis la connaissance de Beber il y a quelques mois. Ce petit gars habillé comme s’il sortait de ta fosse septique était en train de car-jacker une bouche d’égout avec un pied de biche à 4h du mat’. Un peu curieux et taquin, je décidai d’aller me foutre un peu de sa gueule avant de rentrer me pieuter. Jamais je n’aurais salué ce con si j’avais su préalablement que je ne sortirais pas de sous terre avant 9h du matin. Beber fait partie de cette communauté que l’on appelle les cataphiles. Non, ce ne sont pas des gens qui enculent des catamarans, mais des gens qui vouent un culte sans fond aux catacombes de Paris. Je ne vous parle pas de cette parcelle ridicule que tu vas visiter à 12 ans avec ta grand-mère à Denfert-Rochereau, mais plutôt de presque 400 bornes de carrières strictement interdites au public. Ca servait à l’époque de Napoléon pour faire je ne sais plus trop quoi, et après aux nazis pour faire d’autres trucs. Enfin bref, un lieu chargé d’Histoire… Beber s’en branle bien profond de l’Histoire,

il défonce une plaque et me somme de vite le suivre ou de mourir ignorant. En bon journaliste d’investigation (pigiste au Bonbon Nuit), je suis le lapin gland dans sa fosse septique, bravant tous les dangers et une amende de 200 balles, certes, mais surtout un putain de vertige qui me fait encore mal aux balloches dès que j’y pense. On descend beaucoup. Plusieurs centaines de mètres. À l’échelle, sans corde de rappel… Bon, ça se fait par petits paliers, je vous l’avoue, mais je vous jure que ça fait un putain de choc. Une fois en bas, c’est beau. Ça fait un peu décor de cinéma, un mélange entre les bunkers de Lost et les métros de Subway de Luc Besson. C’est très officiel, ces carrières sont encore utilisées aujourd’hui, ça se sent, le mobilier est moderne. Pendant qu’on marche sur des passerelles qui surplombent le vide, Beber me fait un petit historique des cataphiles. Des mecs qui ont pas mal de connaissances dans tous les domaines techniques du bâtiment se font chier à étudier des plans toute la journée pour creuser de toutes petits chatières dans les murs en béton. Lui, c’est un suiveur, il n’est pas aussi doué ni haut


placé, mais il suit les bons plans sur Internet. Il connaît chaque recoin par cœur. Sans lui, je serais mort à l’heure actuelle. Il est facile de se perdre dans ce labyrinthe de couloirs et de petites chatières qui parfois ne mènent à rien. C’est même un peu angoissant, heureusement que j’avais mon quart de Lexomil. Beber passe pas mal de temps en bas. Il me dit qu’il y va au moins trois fois par semaine. Parfois même seul, comme ce soir. Il y va lire, et puis dormir. Il a un hamac là-bas, il va se poser une petite dizaine d’heures pour bouquiner Les Fleurs du Mal, puis remonte à la surface, faire face à sa vie de merde. Mais de ça, il ne veut pas en parler. Beber, c’est Beber, et même si son nom est certainement Bertrand, ou Bernard, ici, c’est Beber, un point c’est tout. Tout le monde a son petit surnom ici. On croise Scroutch, Joko, Fine lame, et Johnny, allongé sur un petit banc avec une cagoule. Apparemment il pionce. Notre guide m’explique qu’il dort avec une cagoule pour faire peur aux gens qui auraient envie de le dépouiller. C’est vrai qu’avec une cagoule, on ne peut pas faire la différence entre Booba et Elie Semoun… Notre soirée ne ressemblait en rien à ce qu’on peut lire sur les catas sur Internet. Même si on a croisé deux ou trois punks à chien, il n’y avait aucune fête à la Matrix, ni aucun gang de graffeurs. Je ne sais pas si la grande époque est révolue, ou si on est tombé sur le mauvais soir. Selon Beber, les soirées et la culture underground continuent à faire leur bout de chemin. Mais pas ce soir… Ce qui n’est pas plus mal. Ce n’est pas que je n’aime pas les punks à chien, c’est que, souvent, je n’ai rien à leur dire. Et puis je ne peux pas saquer les clébards. N’ayant rien d’autre à faire ce soir, mon ami allume sa cata-torche et m’emmène boire des cata-bières dans un ancien bunker de

cata-nazis. On n’y distingue plus grand-chose à part peut-être des restes de latrines. Ça me fait une drôle de sensation de pisser au même endroit où chiaient ces cocksuckers. Mais comme d’habitude, c’est aux chiottes que tu te rends compte que tu es complètement bourré. C’est vrai qu’on s’était enfilés pas mal de catakro. Difficile alors d’encaisser le programme de Beber : ce couillon décide de faire un gros tour avant de rentrer. Plus de cinq bornes de couloirs pour pouvoir enfin pioncer tranquille. On croise pas mal de flotte, parfois ça monte jusqu’aux couilles, je n’avais rien prévu pour… Lui se marre devant à chaque fois que je couine comme une fiotte quand je crois toucher un rat. Mais encore une fois, pas le choix faut y aller, sans le mec je suis cuit. Personne ne me retrouvera avant plusieurs semaines. On s’arrête quelques minutes pour fumer un pétard sur des ossements humains. Le mec me dit que ce sont des cadavres de malades de la peste, enfoncés bien profond sous terre à l’époque pour ne pas que se propage la maladie. C’est du moins ce que me dit l’animal, qui n’est pas Christian Jacques non plus, le gars n’est pas une source historique super fiable. Dernière étape du bizutage : on passe par une chatière de plusieurs mètres dans laquelle Cauet n’aurait pas eu sa chance. C’est super angoissant, on a à peine la place de respirer, je reprends un demi-Lexomil. La traversée dure une bonne demi-heure (cinq minutes en réalité). On sort de là par miracle de la nature et on atterrit directement sur des voies désaffectées. Le soleil est déjà debout depuis bien longtemps. On est pleins de boue, on pue la mort. Ce petit tour dans le Scion de Matrix, le Paris underground et contre-culturel, anti-social, fut une belle et épique alternative à notre société de merde. Je propose à Beber un McMorning pour le remercier. 47


AGENDA

MERCREDI 3 JUIN 6h30 Péniche Le Quai 20€ Wakatepe Wakeup Party w/ Mawimbi Crew, Jackson Thelemaque

MERCREDI 17 JUIN 00h Rex Club 8€ Overground w/ Tube & Berger, Juliet Sikora, Edouard

JEUDI 4 JUIN 00h Batofar 7€ Fee Croquer w/ The Welderz, Run X Morgan Tomas, Illnurse, Menace & Baliverne

VENDREDI 19 JUIN 23h30 Showcase 12€ Kevin Saunderson & Aleqs Notal

4, 5, 6 JUIN Bois de Vincennes Pass 3 jours 107€ Weather Festival w/ Derrick May, Omar Souleyman, Jeff Mills, Motor City Drum Ensemble, Nina Kraviz… DIMANCHE 7 JUIN 16h Chalet des Îles Gratuit Kiwi Summer Camp de la Barcaza w/ Joachim Labrande, The Mekanism, Dure Vie… VENDREDI 12 JUIN 23h30 Batofar 12/15€ Smalville presente Brunette w/ John Roberts (Live), Jacques Bon, Pawel SAMEDI 13 JUIN 21h Concrete Gratuit / 15€ Jus Ed, Session Victim (Live), Richard Zepezauer, Eliott Litrowski

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SAMEDI 20 JUIN 11h00 Ferme Bonheur 20€ Alter Paname #8 L'Alter de Pan w/ Camion Bazar, Chris Carrier, Alex Murak, Kermit VENDREDI 26 JUIN 23h Machine du Moulin Rouge 9€ Cracki Records Présente Aton Night #4 Cracki Crew, Ian Tocor, Eli Verveine SAMEDI 27 JUIN 00h District Factory 18€ Closing Party – L'état des lieux TBA DIMANCHE 28 JUIN 16h Chalet des Îles Gratuit Kiwi invite D.KO Records w/ Secret Value Orchestra (Live), D.KO Crew



ALASDAIR GRAHAM, DAVID PETTIGREW ET GRAHAM LORIMER ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.

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