Le Bonbon Nuit 52

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Avril 2015 - n째 52 - lebonbon.fr



EDITO J'aime plus la nuit, j'aime plus les discothèques, foutez-moi la paix. Tiens, là, je me suis inscrit dans une salle de sport, on m'a dit que c'était le must pour avoir une vie saine. Un matin (!), je me pointe donc au Colorado Fitness Club, sorte de Kentucky Fried Chicken discount du bien-être près de Répu. Un gros kebla à l'entrée me dévisage chanmé et me demande ma carte de membre. Pas vraiment relax le physio, mais bon, j'vais pas chialer, ce nouvel environnement pour ma nouvelle vie est bien plus sain que l'enfer des discothèques. J'finis par rentrer, je me change, j'mets mon short mouleburnes, mes chaussures moule-burnes, mon t-shirt mouleburnes, j'prends ma serviette moule-burnes et c'est plein d'entrain que je débarque dans la salle. Grosse ambiance dans le bordel, ils ont foutu à fond de l'eurodance et ça schlingue la sueur, le déo et les pieds. Mais bon, ça va, j'vais pas chialer, c'est toujours plus sain que l'enfer des discothèques. J'm'installe sur une machine pour me faire les pecs', j'zyeute mes nouveaux amis : y'a Musculator 2000 qui tape dans le dos de KevindeVitry, une meuf à pédé fait ses fessiers, des tasse-pé piaillent en joggant sur des tapis roulants. Mais c'est bon, j'vais pas chialer, c'est tout de même plus sain que la populace de l'enfer des discothèques. Ah ouais, mais on dirait que ça commence à sentir le fion ! Tout le monde se mate vénère et Musculator 2000 veut taper ailleurs que dans le dos de Kevin. Bordel, c'est pire qu'un dancefloor de Province. Stop. J'vais pas chialer, hein, c'est quand même vachement plus sain que l'enfer des discothèques. Et puis Kevin me chuchote à l'oreille : « Wesh, tu veux de la dope pour ta gonflette ? » Allez… Je vais pas chialer… Et puis allez tous vous faire voir avec votre fitness, j'me casse, le mois prochain, j'me mets au Hammam. Entre hommes. Ce sera toujours plus sain que l'enfer des salles de sport. MPK

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OURS

RÉDACTEUR EN CHEF Michaël Pécot-Kleiner DIRECTEUR ARTISTIQUE Tom Gordonovitch DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jacques de la Chaise COUVERTURE Azealia Banks par Constantin Mashinskiy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Louis Haeffner RÉGIE PUBLICITAIRE regiepub@lebonbon.fr 06 33 54 65 95 CONTACTEZ-NOUS nuit@lebonbon.fr SIRET 510 580 301 00032 SIÈGE SOCIAL 12, rue Lamartine Paris 9


SOMMAIRE

p. 7 À LA UNE Azealia Banks p. 13 SOCIÉTÉ Typologie de la faune sous L.S.D. p. 17 MUSIQUE Alain Chamfort p. 23 LITTÉRATURE Encre noire pour nuit blanche p. 29 MUSIQUE Flavien Berger p. 37 ÉROTISME Misungui p. 47 COCKTAIL Americano


Le Bon

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LE CHOIX DE L’OUVERTURE GROLSCH VU PAR LE BONBON

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HOTSPOTS

- DANCING IN THE DARK Les Australiens d'Ascetic viendront à Paris pour une date exceptionnelle. Au programme : rythme martial, chant élégiaque, guitare obsédante, bref, du bon post-punk pour fêter le printemps, rien de tel. Ah oui, y'aura aussi les excellents Suédois de RA en première partie. Dimanche 19 avril, 20h. La Mécanique Ondulatoire. 8, passage Thiéré - 11e - VOIR DES BELLES IMAGES Dans cette expo, tu pourras voir plein plein plein de jolis dessins bien perchés, histoire de. De Victor Hugo à Bruno Schulz, d’Alechinsky, à Kiki Smith, de Saul Steinberg à Chaval, Sempé, Ungerer, Topor, Reiser et Vuillemin… 65 artistes se dévoilent dans leur art de gratter du papier. Tout le mois d'avril. Halle Saint-Pierre - 18e - CLUBBER ENCORE ET TOUJOURS Ce bon vieux Rex nous réserve toujours des bonnes surprises. Là, tu pourras haut-percher sur un live de Conforce et des sets des très sûrs Clément Meyer et DJ TLR. Cette soirée labelisée Get the Curse promet encore une fois de vous faire suer des pieds. On aime. Samedi 25 avril. Le Rex. 5, bd Poissonnière - 2e - CLUBBER SUR DU GABBER Il est temps pour toi d'avoir des nouvelles expériences : arrête la house pouet-pouet et viens donc t'éclater sur du bon gabber à 180 bpm. La vie est bien faite puisque les tarés de Casual Gabberz viendront mettre du gros son au Bonnie, le club le plus ghetto de la capitale. Vendredi 10 avril. Toute la nuit. Bonnie & Clyde. 12, rue Frochot - 9e 5


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À LA UNE T

HILLEL SCHLEGEL P LIKKO LAMERE + RANKIN

AZEALIA — FAIT PÉTER LA BANKS Cette fille-là va dévorer le monde. Créature toute de Vuitton vêtue au regard pétrifiant, elle se pose en gracile ogresse sur le fauteuil devant moi, pendant qu'un assistant en état de mode cérébrale lui remet du rimmel. Mais peut-on vraiment lui reprocher cette mise en scène ? Sa mutation en star planétaire est quasi-achevée, et "c'est comme ça avec les Américains, faut que tout soit nickel" me prévient l'attachée de stress qui, 5 minutes avant l'entrée en scène de la principale intéressée, était encore en train de vérifier l'angle que forment les journaux posés sur la table. Soit. On aura connu plus détendu comme entre-

tien, coincé que j'étais entre 3 personnes attentives à chaque pet de mouche, mais rendons à Azealia ce qui est à Banks : malgré l'insupportable raffut médiatique autour de ses conneries sur Twitter, ses larmes à la radio sur la question raciale ("surtout ne pas lui en parler, elle pète un câble") et ses indignations de diva sur "la récupération par les Blancs de notre musique de Noirs" (sic), on s'en fout si la choupinette a chopé un melon gros comme un carrosse. Fact : son premier album, Broke With Expensive Taste, est incroyable. La musique du futur, c'est Azealia.

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“POUR COMPRENDRE CE QUE JE FAIS, IL FAUT DE LA PERSONNALITÉ, DE LA CULTURE […] IL FAUT DISPOSER D'UN GOÛT TRÈS AU-DESSUS DE LA MOYENNE.” 8


D'un point de vue musical, ton album m'intéresse parce qu'il éclate totalement les genres. Pas une seule track ne ressemble à la précédente, mais ta voix lie très bien ensemble des instrus qui n'ont aucun rapport. Le hip-hop fusionne avec l'électro expérimentale, et ça se voit dans tes vidéos, qui sont des sortes de délires plastiques. Alors comment est-ce que toi, tu qualifierais la musique que tu fais pour des gens qui ne te connaissent pas ? Je commencerais par dire que ma musique est très abstraite. Elle est très stimulante intellectuellement. C'est ça que je dirais. Je ne fais pas de la musique pour les gens "en général" ; je dirais que je fais de la musique pour les gens qui ont déjà une petite idée sur la musique - on a un peu besoin de "faire partie du club" pour la comprendre, je pense. Si l'on n'est pas du tout dedans, on peut peut-être l'apprécier, ou peut-être pas du tout… mais on ne la comprendra pas. Je fais de la musique pour des gens qui ont déjà configuré leur cerveau pour y être réceptifs, dans un certain sens. Pour des gens qui sont déjà à un autre niveau de perception. Pour comprendre ce que je fais, il faut de la personnalité, de la culture - enfin bref, je pense qu'il faut disposer d'un goût très au-dessus de la moyenne. Pourtant, tes sons s'emparent d'éléments extrêmement mainstream (cf. les beats de 212 feat. Lazy Jay, son tube, ndlr) - de la tech-house, en l'occurrence - mais pour un résultat à nul autre pareil. Tu ne penses pas qu'aujourd'hui, ça provienne de notre uniformisation du goût, ce besoin de se réapproprier des sonorités très standardisées pour en faire quelque chose de plus personnel ? Mon son puise dans le mainstream ? Euh… non. Ce n'est pas que ma musique soit underground, c'est qu'elle est vraiment abstraite. C'est tout simplement de l'art - on est dans un niveau audessus. On est au-dessus de ce que fait Kanye

West, au-dessus de Rihanna - tu vois ce que je veux dire ? Je ne fais pas de la pop : c'est audessus de tout ce qu'est la pop aujourd'hui. Son effet sur le cerveau est différent. Ma musique a plusieurs visées. Évidemment qu'on peut par exemple la passer en club, mais ce n'est pas le but. Enfin bref, on s'en fout - le truc, c'est qu'avec les artistes dits mainstream, j'ai souvent l'impression qu'ils cherchent à faire des choses que tout le monde va aimer. Alors que moi, au final, je cherche à faire quelque chose que j'aime moi. Kanye, lui, son but, c'est probablement de vendre des centaines de millions d'albums ; moi, je suis satisfaite simplement si je réussis à garder mon intégrité artistique et à faire de la musique pour moi-même. Je fais de la musique pour ma propre évolution personnelle et spirituelle - pas pour le chèque à la fin. Tu déchiquettes la pop pour en extraire son essence un peu, non ? Peut-être que notre génération commence enfin à faire quelque chose de neuf en matière de pop, en triturant comme jamais ce qui pré-existe musicalement. C'est une idée très chouette - en tout cas, j'aimerais vraiment, vraiment que ce soit vrai. Parce que bien souvent, j'ai le sentiment que certains artistes pop nous donnent de faux espoirs : on sent qu'ils sont sur le point d'aboutir à quelque chose de nouveau, qu'ils vont transfigurer quelque chose, et en fait non. Ils deviennent mainstream. Genre Skrillex, avec son dubstep qui est devenu cet abominable "brostep" ? Genre Skrillex, oui. Ceci dit, j'ai toujours détesté le dubstep, c'est marrant. J'ai toujours trouvé que c'était trop de testostérone. (Rires) Ça fait bouger les mecs, ces trucs-là. Ça fait rien aux nanas ! D'ailleurs, j'ai l'impression que la trap music, qui est aujourd'hui le mètre-étalon de la production hip-hop et qu'on 9


perçoit à travers tes morceaux, est en train de connaître le même destin que le dubstep : se mainstreamiser à fond, devenir une musique de pub pour bagnoles… Non, je pense que là, tu parles de votre perception de Blancs de la trap, qui est différente de la mienne. Vous voyez la trap à travers le prisme des Dj's d'EDM qui s'en sont emparés, en déclarant "ça, c'est de la trap". Mais ça n'en est pas - la vraie trap, c'est une musique de dealeurs de drogue. C'est une musique de dealeurs purement US. Ce que les Blancs perçoivent de la trap, c'est Baauer et compagnie, mais ça n'en est pas. C'est quoi la vraie trap, alors ? Gucci Mane. Pour revenir à ta musique à toi : comment est-ce que tu fonctionnes, d'un point de vue créatif ? Tout ça est parti d'un besoin : j'avais besoin que ma musique sonne bien. Je voulais qu'elle soit adaptée à ma personnalité tel du sur-mesure. C'est dans cette optique que j'ai commencé à m'intéresser à la production et à l'écriture. J'ai commencé par faire tout moi-même, mais j'ai fait surtout de la direction artistique sur cet album. Je me vois un peu comme un producteur exécutif. Je m'adresse à mon ingé-son, et je le dirige exactement vers ce que je souhaite. Et on continue sans relâche de travailler le son de chaque morceau, jusqu'à obtenir très précisément ce que j'avais en tête. OK. Et en trois mots, comment définirais-tu ton enfance ? De bon goût. Stimulante. Et… (elle réfléchit) productive. J'ai pratiqué énormément d'activités dans mon jeune âge, ne serait-ce qu'en fonction de toutes les écoles par lesquelles je suis passée, à travers mes cours de théâtre… Je ne suis allée que dans des écoles spécialisées, donc des endroits où l'on mettait en pratique 10

des projets scientifiques assez complexes, typiquement. Oui, il paraît que même si tu as grandi à Harlem, ta mère a tout fait pour te donner un cadre éducatif à part. Et puis tu es allée à cette fameuse école d'art, LaGuardia… Tout à fait, mais là je parle vraiment de ma petite enfance. Par exemple, j'ai appris à coder en HTML dès la 6e. (Rires) Quoi d'autre ? Ah oui, j'ai aussi fait des claquettes quand j'étais gamine, j'ai appris à être sur scène, à chanter… Ce genre de trucs, quoi ! Tu viens d'une grande famille ? Tu as des frères et sœurs ? J'ai deux sœurs aînées. La plus âgée organise et fait de la DA pour des anniversaires, elle s'occupe souvent de faire de l'événementiel pour enfants… Moi, je dis d'elle qu'elle est clown professionnel. (Rires) Chez elle, elle a plein de réservoirs d'hélium, elle fait d'immenses sculptures en ballons avec, elle passe son temps à faire des décos complètement délirantes au pistolet à colle - et le résultat est toujours époustouflant, j'adore ! Elle a un talent fou pour ce qu'elle fait. Voilà, c'est ça son job. Mon autre sœur, elle vit avec sa meuf ; c'est un couple de lesbiennes qui vit à Atlanta, elles ont deux enfants. Elle prend soin de tous mes animaux de compagnie aussi - j'en ai tellement ! Je les envoie régulièrement à Atlanta, mais pas tous ensemble, j'en ai trop. Genre ma mère récupère mes petites boules de poils à quatre pattes, et ma sœur récupère souvent mon lapin, mon cochon d'Inde (qu'elle a nommé "Kanye", ndlr), mon serpent… (Rires) Pour conclure, de quoi as-tu le plus peur ? Finir vieille et seule. Et quel est ton vœu le plus cher ? Retomber amoureuse. Un jour, peut-être…


Azealia Banks / Broke With Expensive Taste Disponible sur tous supports 11


SOCIÉTÉ T

CYRIELLE DEBRUN P ALEXANDRE MIRAUT KOROBOV

TYPOLOGIE DE LA FAUNE SOUS L.S.D.

Ça fait dix, vingt piges que vous vivez à Paris, et question divertissement, vous avez franchement donné. Restos, bars, clubs, afters, égouts, vous avez rongé la ville qui vous l’a bien rendu. Vous êtes en général pauvre, blasé et en descente. Heureusement, vous 12

avez du ressort, et en ce samedi après-­midi, vous avez trouvé la parade micro­budget pour vous sortir enfin de votre ennui cosmique. 10 euros, et vous et vos potes partez pour huit heures de voyage à dos d’acide. Voici ceux dont vous vous entourerez.


L'INITIÉ À l’époque où vous découvriez la MD et qu’elle vous rendait gluant d’amour pour ensuite vous rejeter, quelques heures plus tard, violé et frigorifié, ce mec­-là concentrait ses énergies vers le centre de la Terre, le cerveau surpuissant et la conscience infinie, en pleine nature avec ses amis hippies. Il a vu la Vierge tellement de fois qu’elle passe parfois à l’improviste, il a tellement exploré sa psyché qu’il connaît les raccourcis, les digicodes et les épiciers du coin de son monde lysergique. Chaque trip est l’occasion pour lui de donner rendez-­vous à ses

architectes, ingénieurs du génie civil et land­ artistes pour faire progresser les travaux de la Connaissance, construire son âme et dessiner les cartes du continent acide. C’est le mec avec qui tripper, il connaît le chemin par cœur et avance loin devant vous, vous tendant la main avec un sourire bienveillant. Il vous dira ce que vous devez manger, fumer, boire, regarder et écouter, pendant huit heures de joie céleste. C’est peut­-être lui, Saint­-Buvard, et si vous regardez bien ses yeux, vous verrez sûrement une étoile filante. 13


LA CANDIDE

L’AMI D’ENFANCE

Quand elle vous a appelé pour savoir ce que vous faisiez cet aprèm, elle a tout de suite demandé s’il restait un carton pour elle. Puis elle vous a rejoint, ravie, sur la pelouse ensoleillée de la Villette, pour embarquer avec vous sur le Mayflower, direction le Nouveau Monde. Vous vous sentez vaguement responsable, et procédez à un check-­up complet avant de parrainer votre enfant lysergique. S’est­- elle bien nourrie ? Va-­t­-elle bien en ce moment ? A­-t­- elle libéré son emploi du temps pour les prochaines 24 heures ? De toute façon, on ne refuse pas son billet à une apôtre potentielle de Saint­-Buvard. Il est de votre devoir de lui offrir son épiphanie, la plus belle bar-mitzvah, un lever de soleil cosmique, pour qu’un jour, elle aussi transmette la parole divine. Alors c’est parti, elle va découvrir les nuages qui parlent, les arbres qui chantent, les visages qui ondulent et les larmes de joie. C’est le premier voyage, c’est le plus jeune, le plus vert, le plus innocent. Celui où l’on aperçoit de loin les centaines d’archipels enchantés du monde parallèle, mais où l’on ne fait que toucher l’eau turquoise et prendre des photos mentales. Quand elle se réveillera, elle sera un peu plus mûre, un peu plus belle, un peu plus vaste, et portera en elle l’enfant de la Sagesse.

Ce mec­-là, vous le connaissez depuis toujours. Enfance, adolescence, âge adulte, vous avez tout su, tout vu, son visage changer, sa taille doubler et son vocabulaire passer de dix à dix mille mots. Il marche à vos côtés, c’est votre frère, votre père, votre fils et tout à la fois, selon les heures de la journée ou de la nuit, votre niveau d’alcool et de drogue. Aujourd’hui, il est évidemment là, comme toutes les autres fois où vous avez pris de l’acide. Alors cet aprèm, vous allez encore une fois voyager ensemble. Pas dans la même conscience, mais vos dimensions parallèles sont mitoyennes, vos acides sont jumelés, c’est la fête des voisins, vous avez rasé la haie qui séparait vos jardins intérieurs. C’est à lui que vous pourrez déléguer, poser des questions et mesurer votre distance par rapport au sol. Vous avez les mêmes idées aux mêmes moments, ce qui donne beaucoup plus de poids à vos tentatives d’imposer un mouvement à vos collègues pris dans la guimauve, happés par des priorités qui vous sont inconnues.

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L’INSUBMERSIBLE

LE NEURO­SCIENTIFIQUE

Les pelouses de la Villette sont aussi, quand les beaux jours reviennent, la piste d’atterrissage la plus prestigieuse de tous les mecs en after. Et quand vous arrivez au point de rendez­-vous, en ce samedi après­-midi, ça ne loupe pas. Quelques-uns de vos potes sont là, cernés par les cadavres de bières, hilares et fatigués. Vous êtes pas un mauvais gars, alors vous vous démerdez pour que le plus téméraire ait lui aussi son carton magique. C’est un peu du gâchis, mais bon, ce n’est pas vous qui lui jetterez la pierre, il serait mal venu de votre part de faire la moindre réflexion sur sa consommation, surtout à cette heure­-ci. Et puis il n’est pas né, celui qui vous verra prendre de la drogue devant des potes démunis. Bienveillant, vous faites monter à bord de votre vaisseau interstellaire un estropié à l’âme boiteuse sur laquelle on tire à coups de techno et de cocaïne depuis vendredi soir. Emmenez­-le, on ne crée par une civilisation sans personnes âgées. Saint-­Buvard lui donnera l’épaule, le portera sur son dos et fera la route en évitant les gros cailloux et les nids­de p ­ oule, et fermera ses paupières quand il mourra dans ses bras, flétri et magnifique, au coucher du soleil.

Il prend de la drogue de façon rationnelle et réfléchie. Il la connaît sous sa forme moléculaire, c’est son instrument de travail, et il est son propre cobaye. Bien loin de lui l’idée de portails cosmiques, de sixième chakra et de danse de la pluie, il a fait des études qui lui font voir le monde comme un territoire balisé et radicalisé par les sciences. Saint­ -Buvard le regarde, paternel et amusé, prendre les voies de la connaissance en blouse blanche. Il contrôle sa route, pour que l’expérience psychédélique porte des fruits terrestres. C’est là toute la beauté de l’acide, qui emmène ses fidèles sur des terres où ils pourront choisir leurs moyens d’expression, en ne leur imposant ni langue, ni hymne, ni drapeau, mais leur laissera le choix des armes. Il sera aussi extasié que vous, et vous montrera une autre dimension, une porte supplémentaire pour embrasser toute la beauté de ce petit carton à dessins.

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MUSIQUE T

FLORIN SAINT MERRI P BORIS CAMACA

ALAIN CHAMFORT — LÉGENDE DISCRÈTE Sa carrière condense en elle-même une bonne partie de l'histoire de la pop française de ces 50 dernières années : protégé de Claude François, claviériste de Dutronc, excompagnon de Lio, collaborateur de Gainsbourg, instigateur d'une new-wave roman-

tique et un brin maso dans les 80's, faiseur de tubes intersidéraux… Alain Chamfort revient ce mois-ci avec un album éponyme élégant et fragile. On en a profité pour parler avec lui de quelques anecdotes du passé, et surtout, faire une mise au point sur le présent. 17


Vous faites partie de ces physiques qui ont la particularité de plaire autant aux hommes qu'aux femmes. En quoi cette beauté a-t-elle influé sur votre carrière ? Quand j'étais jeune, c'est sûr que mon physique a été le départ de tout parce que les deux premiers producteurs qui m'ont proposé de chanter (Dick Rivers et Claude François, ndlr) n'avaient jamais entendu le son de ma voix. Dick Rivers m'avait dit « vous êtes mignon, ça va être facile. » Idem avec Claude, il a choisi de bosser avec moi parce que j'allais plaire aux minettes, non pour mes qualités vocales.

tendues. Il m'avait écrit un texte qui s'appelait Souviens-toi de m'oublier sur cette mélodie mais il me l'a repris et l'a proposé à Catherine Deneuve par la suite. Je me suis donc retrouvé sans texte sur cette chanson, et là, Lio demande à Jacques s'il peut m'écrire quelque chose. Il a répondu de suite avec 2 propositions : un texte qui s'appelait un amour en cache un autre et un deuxième, Rendez-vous au Paradis. Ce dernier fonctionnait vraiment mieux et cela a donc été notre première collaboration. On s'est par la suite découverts, appréciés jusqu'à devenir des proches.

En corrélation avec la question précédente, pouvez-vous nous parler de votre époque « chanteur inséminateur » ? Ça nous amusait avec Marc Moulin, qui était l'un des mes anciens collaborateurs, de définir un certain nombre de personnalités avec des étiquettes un peu drôles. « Chanteur inséminateur », ça collait parfaitement à un chanteur comme Herbert Léonard. Ce style de chanteur incarnait un côté très direct, très rentre dedans, le genre de mec à avoir des aventures dans les galas. On trouvait ça pathétique.

J'ai entendu dire qu'il était question de remix des morceaux de cette époque par des membres de la scène électro parisienne actuelle. Vous confirmez l'info ? Tout à fait. Je n'ai pas beaucoup d'éléments à ce sujet mais je sais que Chloé, Marco Dos Santos, Scratch Massive et d'autres bossent dessus. Le projet est en train de se mettre en place, ça devrait sortir en fin d'année. J'ai entendu quelques trucs, j'ai trouvé ça très surprenant. Je suis en tout cas très flatté, j'aime bien ces rencontres inter-générationnelles.

Donc, vous, vous n'étiez pas un « chanteur inséminateur » ? Non, c'était juste une petite moquerie par rapport à certains. Bon après c'est vrai que durant ma période « Claude François », j'avais pas mal de groupies assez exaltées.

Un petit scoop sur les titres remixés ? Je crois qu'il y a Manureva, La fièvre dans le sang, Traces de toi, Bambou, Bébé polaroid, Bons Baisers d'ici…

Et puis il y a les années 80 et votre période new-wave. On connaît le succès de votre collab' avec Gainsbourg, votre brouille avec lui également. Moins connue, c'est votre rencontre avec Jacques Duvall sur le tube éternel Rendez-vous au paradis. J'ai connu Jacques par l'intermédiaire de Lio, qui a été ma compagne pendant quelques années. Je travaillais avec Gainsbourg à ce moment-là, mais nos relations se sont un peu 18

Pour revenir à Jacques Duvall, ce nouvel album signe le grand retour de votre collaboration. Quelle en est la principale caractéristique commune ? Avec Jacques, on aime bien exprimer les expériences qui ne sont pas valorisantes. Par exemple, dans Le Diable est une blonde, il y a un rapport maso, et ce n'est pas à l'avantage de l'homme de dire : « tu me fais du mal mais je ne peux pas me passer de ça. » Toutes ces façons un peu détournées de vivre les choses nous paraissent plus complexes mais aussi plus subtiles. D'où l'intérêt des les exploiter.


"GAINSBOURG M'AVAIT MIS SUR LA PISTE DU BULLSHOT : C'ÉTAIT À BASE DE CONSOMMÉ DE BŒUF, VODKA, WORCESTERSHIRE SAUCE, CITRON VERT. ÇA SE BUVAIT COMME UN BOUILLON DE LÉGUMES, ON POUVAIT EN PRENDRE 5-6 DE SUITE." 19


Alain Chamfort/Alain Chamfort Pias le label sortie le 13 avril. 20


Vous avez réussi à être autant aimé des média « intello » que des médias plus populaires. Vous expliquez ça comment ? La musique est un média qui a la capacité de toucher des gens très différents. J'ai commencé par des chansons très populaires, j'ai ensuite eu cette période « Manureva » qui a touché un autre public, puis j'ai eu des titres qui ont eu une autre forme de reconnaissance. Si on ajoute toutes ces personnes, on couvre un spectre très large. On pourrait dire qu'un chanteur comme Dutronc arrive aussi à faire ce grand écart… Oui, mais Dutronc il capitalise encore sur ses succès des années 60. Ce qui est intéressant, c'est d'être toujours « vivant » et d'être toujours dans l'actualité. Mais je crois qu'il prépare un nouvel album. Oui, où il fait un duo avec Annie Cordy, des trucs improbables. Ce n'est pas trop ma came. Vous avez toujours été très discret quant à votre vie privée. Ce mystère participe aussi de votre personnage. J'ai vite compris que ça ne servait à pas grandchose de trop s'exposer. Par exemple, je reprochais à Gainsbourg d'avoir fait monter Lulu sur scène quand il était gosse. Le pauvre, il avait 3 ans, il était déjà sur la scène du Zénith, c'était fait d'une manière complètement inconsidérée. On ne sait pas ce que ça a pu causer comme traumatisme sur lui. Et puis un buzz en efface un autre, une semaine vous êtes à la une de Paris Match, la suivante, on oublie que vous y étiez. Ce qui reste, c'est ce qu'on fait, la musique, les chansons… C'est vrai que dans les années 60, les années de Johnny et consort, ils ont beaucoup joué avec ça, ils racontaient leur vie. Pourquoi pas. Moi, je suis venu après cette génération-là, et déjà, je trouvais que ça faisait

réchauffé. Et puis j'ai toujours considéré qu'il fallait garder un peu de mystère. Le drogue ou l'alcool ont-ils été des béquilles dans votre vie artistique ? J'ai tenté, mais sous forme d'expérience. Ça ne m'a pas forcément déplu. Gainsbourg m'avait mis sur la piste du Bullshot : c'était à base de consommé de bœuf, vodka, Worcestershire sauce, citron vert. Ça se buvait comme un bouillon de légumes, on pouvait en prendre 5-6 de suite. Je me suis alors rendu compte que j'avais développé une allergie à l'alcool, ça me rendait un œil complètement rouge sang et ça me faisait mal, du coup, j'ai dû rayer l'alcool de ma vie. Après j'ai fumé des pétards comme tout le monde, pris de la coke dans les années 70. J'en ai jamais fait un principe, c'était plus festif. Je me suis aperçu que ça marchait pas, j'ai essayé de composer sous influence, et franchement, le lendemain, je réécoutais, c'était une sombre merde. Je ne suis jamais aussi passé à la catégorie dure comme l'héro. Je n'aime pas trop perdre le contrôle, c'est dans ma nature. Pour vous, le temps, vous le sentez courir comment ? Il y a un livre de Françoise Hardy qui fait pas mal de bruit où elle parle de ses problèmes digestifs, de ses visites avec les médecins… C'est un angle (sourire). Philip Roth a traité également de la chair qui n'est plus la même, qui perd de sa vigueur, bon, c'est les affres de l'âge. Après, une fois de plus, quand on fait un métier comme ça, la musique vous permet de vous intéresser « à ce qu'il se passe », on continue à être dans l'action, à ressentir l'air du temps, les tendances. Même si je ne suis plus complètement connecté à ça, parce que je ne suis pas un hipster, je ne suis pas non plus enfermé dans ma cave à la campagne. J'ai besoin de ce lien-là, la musique aide beaucoup à ça. Avec la musique, on n'a moins conscience du temps qui passe. Les rencontres font perdurer la jeunesse. 21


NEAL

CASSADY

DINGUE DE LA VIE

& DE TOI & DE TOUT LETTRES 1951-1968

FINITUDE 22


LITTÉRATURE T

TARA LENNART

ENCRE NOIRE POUR NUIT BLANCHE

Blanche comme une page, la nuit s’inscrit aux abonnés absents. Pas de marchand de sable à l’horizon ni de pilules magiques pour baver dans les bras de Morphée. Ne cherchez plus,

lisez. Et dans votre lit, c’est encore mieux ! Vous aurez une bonne raison de ne pas dormir…

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Dingue de la vie & de toi & de tout de Neal Cassady Sans Neal Cassady, la Beat Generation n’aurait sans doute jamais vu le jour, jamais pris comme une trainée de poudre à travers la folie créatrice d’une poignée de hipsters sillonnant les USA comme des fous furieux. De cette étoile filante, homme à femmes et voleur de voitures, il reste sa prose, magnifique et rythmée comme un jazz endiablé. Éditions Finitude

Et ils oublieront la colère d’Elsa Marpeau Pourquoi ce professeur obsédé par les « tondues » de la Seconde Guerre mondiale a-t-il été assassiné dans un bled paumé, à quelques pas d’un lac ? Une gendarme tenace et futée mène une enquête qui va la faire voyager jusqu’en 1944, en pleine France occupée. Et vous, vous n’êtes pas près de dormir, signe que vous avez un bon polar entre les mains. Éditions Gallimard Série Noire

La Théorie de la Tartine de Titiou Lecoq Bloggeuse professionnelle et journaliste, Titiou Lecoq représente à merveille la génération qui se perd dans les dernières lettres de l’alphabet. Entre cynisme et humour, elle dépeint trois personnages représentatifs de notre époque dominée par Internet, avantages et limites à la clé. C’est agaçant parce qu’elle a souvent raison et qu’on préfèrerait qu’elle se trompe plus sur la vision qu’elle donne de nos rapports sociaux et de nos cerveaux ! Éditions Le Diable Vauvert

Fin de Mission de Phil Klay Le tour de la guerre d’Irak en 12 nouvelles, c’est possible ? Oui, si vous embarquez avec Phil Klay, ce vétéran à la plume sans concession. Pas de prosélytisme ni de patriotisme dans ces textes glaçants de lucidité, toujours à la limite du reportage et de la fiction. On ne gagne pas le National Book Awards pour rien, c’est certain ! Éditions Gallmeister

Gueules d’Andréas Becker Il y a les photos, il y a les peintures et il y a les textes. Les photos d’époque et les peintures et textes de maintenant, de la main de l’artiste Andréas Becker. Le livre se vit comme une expérience : d’abord on rencontre ces gueules cassées de la Première Guerre mondiale, humains défigurés plus proches du zombie que de l’Homme. Puis on se distancie à travers les dessins pour les entendre nous parler, dans un français bizarre, presque surréaliste et désuet, raconter leur vie, celles de leurs frères abimés, leur vécu. On jongle entre la littérature et l’art, et on a du mal à sortir de ce cabinet de curiosités. Éditions d’En Bas

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Fairyland d’Alysia Abott Fille de hippies, fille d’un artiste homosexuel, fille des années 70, Alysia Abott a choisi de raconter son enfance atypique à la mort de son père, du SIDA. Enfant bohème, entre fêtes, lectures, déménagements, petits copains du père, colocations et moments de remise en question, Alysia grandit dans un milieu oscillant entre créativité et procrastination. Il en ressort un témoignage exceptionnel et un magnifique livre sur l’amour tout en profondeur et en doutes qu’on peut porter à ses parents. Éditions Le Globe


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PLAYLIST P

DR

HER MAJESTY’S SHIP

Charlotte Decroix et David Shaw sont les boss du label parisien Her Majesty’s Ship qui réunit des artistes français et internationaux autour d’une esthétique commune : l’électronique comme avatar moderne d’un rock moite. À son rythme familial, HMS nourrit régulièrement l’air du temps de ses 26

productions organiques et iconoclastes. Dj's, producteurs, musiciens, chanteurs et chanteuses, mi-dandys mi-voyous, louvoient entre mélodies sensuelles et rythmiques chamaniques. À l’occasion de ses 3 ans, le label rassemblera tous ses artistes pour une soirée au Badaboum le 22 avril.


CHARLOTTE DECROIX

DAVID SHAW

S.R. Krebs For Losers (Nadia Ksaiba remix) Je me souviens encore du jour où Nadia m'a envoyé son remix, j'ai cru que j'allais pleurer ! C'est tout ce que j'aime vraiment, de la pop synthétique avec une touche eighties funky.

B52's Deep Sleep J'adore les B52's depuis toujours ! Ici produit par Byrne, ce morceau me berce tout particulierment, son côté "1001 nuits" me rend dingue.

La Mverte A Game Called Tarot Je prêche encore pour ma paroisse mais je dois dire que ce nouveau titre d'Alexandre Berly m'a immédiatement bluffée. Avec cette voix bizarroïde et ce rythme effréné… c'est totalement addictif!

Mijo Para Pura Morceau musclé du maxi qu'Alec Sander aka Mijo a sorti sur HMS ! Alec me l'avait fait écouter il y a maintenant deux ans, je le passe tout le temps et ne m'en lasse toujours pas ! Il a réussi la parfaite synthèse entre cheese et techno.

Le Noiseur Sexual Tourism (David Shaw and The Beat remix) J'adore jouer ce remix en warm up, il est imparable. Et je dois avouer que j'ai une petite faiblesse pour Le Noiseur, ses textes ciselés, sa voix grave et nonchalante. C'est pour moi l'un des meilleurs auteurs français actuellement.

Ralphi Rosario In The Night Classique house que j'adore jouer assez souvent ! Il représente exactement l'image que j'aime me faire de la nuit : sale, sexy, cul !

Debbie Deb Lookout Weekend Un tube eighties que j'ai découvert récemment (soit presque 30 ans après tout le monde) mais qui fait déjà partie de mes classiques. Mieux vaut tard que jamais n'est-ce pas ? DBFC Bright Light Cette chanson est une véritable perle pop et je ne m'en lasse pas ! Les harmonies vocales sont sublimes, et le hook me donne des frissons. J'aimerais vraiment que tout le monde le sache !

Nirvana Lithium Nirvana a toujours beaucoup compté pour moi. Nevermind n'est pas mon album préféré, mais ce morceau me rappelle énormément de souvenirs en Angleterre quand je sortais avec mes potes à Blackpool, c'était un peu notre hymne avant de sortir. Kraftwerk Neon Lights Pas grand-chose à dire sur eux, toujours aussi incroyables à chaque écoute, toujours aussi modernes et visionnaires. Neon Lights est vraiment le morceau qui m'a marqué à vie. La façon dont le morceau évolue dans la seconde partie me met toujours autant par terre !

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MUSIQUE T

ARNAUD ROLLET P LOU

FLAVIEN BERGER — SONAR AU CLAIR DE LUNE Arrêtez tout. Mettez en suspens le cours de votre existence juste pour une heure. Le temps de vous plonger dans l’univers proposé par Léviathan, le premier album de Flavien Berger qui sort chez Pan European. Ce disque est une merveille de justesse. Une musique qui vous servira de mètre-étalon pour les prochains vinyles, CD's, liens YouTube ou MP3 que vous serez amenés à écouter par la suite. Dedans, il y a de la pop, du groove, de l’électronique, du rockabilly, de la poésie, de l’audace, de l’acid, des sérénades, de la sciencefiction, une fête foraine, du français, de l’anglais, la mer, l’espace, un répondeur

et même pas une once de mauvais goût. Léviathan envoie du rêve et c’est bien normal : le son est prétexte au fantasme pour son auteur, comme il l’explique lui-même. Présent Chez Aimé, un bar minuscule du 18 e dont l’intérieur arbore des couvertures de Charlie Hebdo, Flavien est venu ce soirlà pour l’un des premiers lives de Keep Dancing Inc, un groupe de petits jeunes qui fait de la cold zouk. Avant le début du show dans le rade exigu, il commande une blonde, se pose en terrasse et, surtout, accepte de remonter le temps pour retracer ce parcours qui l’a amené à créer cette œuvre qui semble venir du futur. 29


"C’EST CE À QUOI JE TRAVAILLE : SURPRENDRE TOUT EN CONFORTANT. ÉROTICO-RASSURANT. COMME LES VOIX D’AIR FRANCE À L’AÉROPORT. INSTALLER UN CLIMAT ET, DÈS QUE C’EST LE CAS, POUVOIR FAIRE L’ANGUILLE." 30


Tu viens d’où ? De Paris. Mes parents s’y sont installés à leur mariage et j’y ai grandi. C’était dans le 13 e arrondissement, Chinatown, le Sud. Dans un appart au 10e étage avec moquette, bibliothèque, Hi-Fi, vue sur le coucher de soleil et les tours au loin. Côté cour, vue sur toutes les tours de la dalle des Olympiades. Une vision un peu tokyoïte adolescente. Une vision qui n’est donc pas du tout proche de celle de ton album, très portée sur l’océan. Ma musique, c’est justement du fantasme, des choses que je ne connais pas ou que je n’ai pas vécues. Ça me permet de les vivre par rêves, par des vaisseaux d’imaginaire. On ressent l’influence de la sciencefiction dans le nom des morceaux, les textes ou le choix de certaines sonorités. Du coup, qu’est-ce qui est arrivé en premier dans ta vie : la musique ou la S-F ? La musique. Elle agit comme filtre de mes passions et la S-F en est une. Pour autant, même si j’aime la S-F de par son côté vortex de trips, je ne m’y connais pas hyper bien : je n’ai pas lu les Fondation (les nouvelles d’Isaac Asimov, ndlr) par exemple. Et côté BD ? Mœbius, je connais. Aldébaran de Leo aussi. J’adore car, même si les dessins sont un peu moches façon Tendre Banlieue (une BD apparue pour la première fois dans Okapi au début des années 80, ndlr), l’histoire est incroyable. J’aime aussi les films de S-F, surtout les mauvais. D’ailleurs, je trouve que les films de S-F sont un prisme

génial : ce sont clairement des baromètres de notre époque, tu vois comment va l’imagination dans les années où ça se passe. Ça, je kiffe trop. Et la musique, comme je te disais, c’est un filtre : le jour où je kifferai l’épistolaire romantique et bien je le traduirai en musique. La musique, tu as commencé quand ? J’ai commencé au collège sans savoir vraiment que je commençais. Je crois que j’avais acheté un jeu vidéo d’occasion dans un Cash Converter, un jeu de musique qui s’appelait Music sur Playstation 1. Après, un pote m’a donné la suite, Music 2000. Là, je commençais à faire de pseudo instrus, mes premiers sons, je samplais, etc. Bref, c’est venu à l’adolescence, quand je testais différents trucs - j’étais en classe art pla’ tu vois, donc j’essayais de m’exprimer. La musique, c’est ce que je fais de manière la plus constante, la plus chevronnée : je ne vois pas le temps passer. C’est le truc sur lequel je suis le plus exigeant mais aussi le plus relâché en même temps. Tu ne fais donc pas partie de ceux qui faisaient de la musique pour eux seuls. Non. Il n’y a pas longtemps, une copine a même posté sur Facebook une mixtape que j’avais faite au collège, avec le tracklist écrit au feutre bleu d’effaceur. Il y avait l’intro, des noms de morceaux mal écrits façon tags, avec des flèches mal placées… C’était du hip-hop ? Ouais, des intrus de « pera », avec justement la vision formatée qu’un adolescent pouvait avoir du rap à l’époque : une chanson love, une dream, une consciente, etc. Des thèmes 31


qui représentent ce que la radio a fait du rap pendant les années 2000, c’est-à-dire une espèce de gros gâteau à tranches pour taper un peu dans tout. J’écoutais du « pera » à la radio en 2000 et c’était nul. Très vite, grâce à Internet, j’ai pu m’ouvrir à plein de trucs après l’adolescence, refaire ma culture et me rendre compte que j’aimais des trucs dont j’aurais pu me moquer. J’ai eu cette espèce de truc trop kiffant quand je me suis aperçu que j’aimais la négation de ce que j’avais pu aimer adolescent. Le rap peut être une musique assez sclérosante finalement – non au rock, non à la techno, etc. – avec certains groupes qui sont parfois réactionnaires. À 20 ans par exemple, je me suis rendu compte que la dance, c’était mortel et qu’il y avait des trucs géniaux dedans. Et tu as toujours fait ça en solo ? Je n’ai jamais eu de « vrai » groupe mais j’aurais adoré en avoir un. À fond même. Quand j’avais 12 ans, j’en avais bien monté un qui s’appelait Les 2 Bâtards avec un pote mais, au bout d’un an, il en a eu marre. J’ai donc commencé tout seul. Bien plus tard, pendant mes études supérieures, avec des potes, j’ai monté un collectif de musique expérimentale qui existe toujours : le Collectif Sin. Mais là, ce n’est pas un groupe mais bien un collectif, ce qui signifie que chacun n’a pas de place, que tout le monde est polyvalent. J’ai donc toujours continué à faire mon truc de mon côté. En live, tu es aussi seul ? Oui. L’émergence a eu lieu en 2014. Judah Warsky (un autre artiste de Pan European, ndlr) m’a demandé de faire un concert à sa carte blanche au Point Éphémère. Je venais de sortir Glitter Gaze sur le label et n’avais alors jamais fait de live seul. Il fallait que 32

je trouve un système. Je me suis dit que j’allais balancer des boucles préenregistrées de mes morceaux sur lesquelles j’allais faire des rides, des effets ouverts, des montées, etc. Comme le synthé, ma voix est un instrument et, en fait, j’ai utilisé des techniques de dynamique de Dj pour être chanteur. Je suis un homme-machines. Mon pote Buvette (encore un « Pan-é », ndlr) fait pareil, Judah ou Koudlam font ça aussi. Mais on est des chanteurs, pas des Dj’s : c’est notre musique qu’on propose sur scène. Je suis donc seul avec mes machines mais le centre, c’est ma voix. Parfois j’assure la première partie de groupes un peu calmes où je balance la grosse sauce pendant 30 minutes et les mecs hallucinent. Parfois je prends le temps de faire des nappes, des plages… Ça dépend de ton état d’esprit. On arrive justement au truc : il s’agit d’improviser. À part quelques formules – comme quand je dois jouer Océan Rouge, c’est de l’impro. Même pour les paroles. Par exemple, mon morceau Les Véliplanchistes, j’en chante rarement les vraies paroles. Je joue vachement là-dessus. J’essaye de proposer une espèce de double-face, une alternative à la musique que les gens connaissent déjà. Ça ne m’intéresse pas de faire le skeud. Il faut trouver un juste milieu pour que les gens s’y retrouvent : s’ils sont là, c’est pour entendre ce qu’ils aiment mais on peut aussi leur proposer autre chose. C’est ce à quoi je travaille : surprendre tout en confortant. Érotico-rassurant. Comme les voix d’Air France à l’aéroport. Installer un climat et, dès que c’est le cas, pouvoir faire l’anguille. Flavien Berger / Leviathan Pan European Recording Dispo le 20 avril


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CINÉMA T

PIERIG LERAY

LES SORTIES DU MOIS 1 mois, 4 films, 4 avis. Le problème ? On ne les a pas vus. Critiques abusives et totalement infondées des meilleurs/pires films du mois.

Cerise de J. Enrico Le film "fils de" imbitable du mois, un sujet usé jusqu'à la racine rougeâtre de la nièce Adjani qui s'explose dès sa première sortie. La stupidité profonde d'une ado vulgaire qui finit par servir la soupe populaire en Ukraine, un scénario écrit, au mieux, pour se marrer ivre mort en fin de soirée. Au pire, sérieusement en pensant pousser à la réflexion sur le conflit ukrainien : "la guerre c'est vraiment dégueulasse". sortie le 1er avril 34

Caprice de E. Mouret Il faut se le dire, regarder un film d'Emmanuel Mouret est une torture, la fameuse recette du couple à 3 bien périmée, une Virgina Effira qui fout le bourdon et des histoires de cul d'un prof ’ de math aux sourcils d'Emmanuel Chain aussi charismatique qu'une huître mal ouverte (Mouret himself ). Et un résumé du côté obscur du film français : scénario ringard, mise en scène absente. sortie le 22 avril


Le Tournoi de E. Namer Tenter de rendre une partie d'échecs aussi sexy qu'une finale de Super Bowl est déjà une belle tentative. Y incorporer du vice et du cul comme si Kasparov était Cristiano Ronaldo, pourquoi pas. Mais jouer la carte de la descente aux enfers en créant un duel avec un nabot de 10 ans (Messi ?), là on suit plus. C'est des échecs man ! sortie le 29 avril

Cake de D. Barnz Ah le fameux « film de la maturité » de Jennifer Aniston… Jouer une quinqua dépressive qui se balade en robe de chambre dans un motel miteux avec un regard de Yorkshire à poils longs n'a jamais fait une grande actrice. Aniston tente la Drama social à faire chialer les fans de Friends devenus aujourd'hui chauves, obèses et célibataires. Pathetic. sortie le 8 avril

Mais aussi : Fast & Furious 7 de J. Wan, sortie le 1er avril, le septième ? Bien trop rapide à suivre ces bolides à pectoraux (0/5), L'astragale de B. Sy, sortie le 8 avril, Leila Bekhti tente inlassablement de croire qu'elle est une grande actrice, fatiguant (1/5), Enfant 44 de D. Espinosa sortie le 15 avril, un serial killer de gosses chez les staliniens en 45, pourquoi pas ? (3/5), 10 000 km de C. Marquet-Marcet sortie le 29 avril, Skype peut-il sauver les relations à distance ? On s'en branle (1/5) 35


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ÉROTISME T

MPK P BORIS CAMACA

MISUNGUI — ANARCHY IN THE UC

27 piges, le cul bien foutu et la cervelle pleine de plomb bouillant, Misungui fait partie de cette nouvelle génération de performeuses porno qui revendique pleinement le renverse-

ment des codes phallocratiques à la papa. La belle ayant quelque peu excité notre curiosité, nous avons voulu en savoir un peu plus à son sujet. Rencontre. 37


Misungui, tu te décris toi-même comme une féministe pro-sexe, mais également comme une anarco-communiste. Comment connectes-tu cet engagement politique avec ta pratique de la performance érotico-porno ? Faudrait que je raconte un peu d'où je viens politiquement pour comprendre ce que je mets sous ces étiquettes réductrices. Je suis née dans une famille communiste, grand-père ouvrier chez Thompson, militant syndicaliste de la première heure, et ma grand-mère, déterminée à faire des études, l'avait rencontré après avoir été convertie au communisme par son premier mari (alibi pour quitter la famille et poursuivre ses études…). Bref, ma mère a repris le flambeau et m'a bien inculqué le « sois indépendante ma fille ». J'ai très vite aimé la transgression et le cul est devenu rapidement un de mes moyens d'expression préféré… J'ai quitté la montagne à 18 ans après un bac théâtre pour faire une licence de sciences politiques à Paris 8, choix conscient. Et puis j'ai fait un master en études du genre. Alors bon, la critique du capitalisme et celle du patriarcat, ça a toujours été de pair chez moi. Et j'ajoute que mon féminisme est profondément anarchiste. Je souhaite que chaque individu puisse construire sa propre identité, le plus indépendamment possible des modèles établis. Je crois aussi que la distinction première est celle du genre, elle est le système-exemple de toutes les autres hiérarchisations, discriminations, oppressions… Pour ce qui est de la performance, je me suis dit après avoir écrit plus de 500 pages sur mes idées politiques, féministes, que peut-être il existait un moyen plus direct de s'adresser aux gens et plus précisément aux non-convaincus. Je dis que j'occupe du temps de cerveau disponible. Je montre ma chatte, j'obtiens l'attention et la hop ! Ni vu ni connu je te manipule. On apprend pas au vieux singe à faire des grimaces. (sourire) 38

En quoi le corps capitaliste est-il une aliénation ? Je crois que je ne fais pas ce genre de distinction. Je comprends bien la question mais je pense sincèrement que l'essentiel est de prendre son pied, que l'on soit totalement « aliéné » par la culture porn et que nos orgasmes ressemblent à des simulations, même quand ils sont réels, ou que l'on se la joue « nature ». Tout cela n'est jamais qu'un moyen de se branler le cerveau et d'arriver à ses fins. Je ne juge pas ce genre de choses. Après, ce qui fait chier, c'est quand on a la sensation qu'il n'existe qu'une seule façon valable de baiser, un peu comme avec les religions par exemple. C'est pour ça qu'il est important de rendre visibles toutes les sexualités, tous les corps, pour éviter d'en normaliser une plus que l'autre, afin de montrer l'incroyable créativité dont peut faire preuve l'être humain… Peux-tu nous opérer un distinguo sexe libertaire / sexe-capital ? Le sexe-capital c'est le viol, de l'esprit comme du corps. C'est le devoir conjugal, c'est le harcèlement de rue, c'est la publicité, c'est les supermarchés… Le sexe libertaire, c'est juste le sexe. Politiquement, comment expliques-tu la montée des « pensées rigides » ? Je n'explique pas la montée des pensées rigides, j'explique quel est l'intérêt pour le pouvoir en place de laisser penser que les « extrêmes » (sans distinctions apparemment…) montent. Moi je dis : 1/ Si seulement ! (Et là, qu'on me comprenne bien, je pense à l'extrême gauche et aux révolutionnaires libertaires en général) 2/ Les fascismes et les totalitarismes ont été pour la plupart menés au pouvoir par les pseudo démocraties (en fait régimes représentatifs et présidentiels), donc notre société


"LE SEXE-CAPITAL C'EST LE VIOL, DE L'ESPRIT COMME DU CORPS. C'EST LE DEVOIR CONJUGAL, C'EST LE HARCÈLEMENT DE RUE, C'EST LA PUBLICITÉ, C'EST LES SUPERMARCHÉS… LE SEXE LIBERTAIRE, C'EST JUSTE LE SEXE." 39


misungui.tumblr.com 40


n'est rien d'autre qu'un état fascisant qui détermine qui sont les bons citoyens ou les mauvais, récompense les uns et punit les autres comme dans toute dictature bien en place. Aussi, plus concrètement, le nombre de votants pour Marine Le Pen aux dernières élections n'a pas augmenté, seul le pourcentage le laisse penser, mais c'est sans prendre en compte l'abstention et les votes nuls en constante augmentation… En fait, qui est l'ennemi ? Les fachos ? Ou le système en place ? Y a-t-il une différence entre les deux ? À méditer… Tu as une stratégie particulière sur les réseaux sociaux ? J'essaie d'avoir toujours deux comptes Facebook parce qu'ils sautent souvent à cause de ma « fausse identité », Marc n'aime pas les pseudos… et surtout j'utilise Tumblr. Misungui : que signifie ce pseudo ? On dirait un mot japonais… D'ailleurs, tu pratiques également le shibari il me semble… À ton avis, pourquoi l'imaginaire sexuel japonais est beaucoup plus riche et débridé qu'en Occident ? Misungui est mon nom d'initiée à une plante maîtresse des pygmées du Gabon (iboga). Ça veut dire « l'esprit du chat sauvage ». J'en dis pas plus, si ça vous intéresse faites des recherches au sujet de cette plante. Donc aucun rapport avec le Japon, et non, je n'ai aucune origine asiatique connue. Cela dit, j'aime bien les Japonais, comme d'autres peuples d'ailleurs. Et oui je pratique le shibari qui fait partie de leurs nombreuses inventions en matière de fantasmagorie. Je suis pas spécialiste, mais j'imagine que leur société très protocolaire et prude les a amenés à développer une sexualité décentrée des organes génitaux, avec des fétichismes un peu dingues comme le léchage de globe oculaire. (rires)

Je crois que tu es actuellement en train de tourner dans un porno féministe et lesbien. La question semble conne, mais en quoi ce porno se différencie-t-il du porno straight ? Je sais pas si ce porno est féministe ou pas, straight ou pas, lesbien ou pas. Moi j'ai rencontré une chouette nana qui s'appelle Sarah et qui a envie de faire des trucs, j'aime bien lui donner la possibilité d'aller au bout de son idée et j'ai beaucoup aimé rencontrer Ludmillya avec qui j'ai passé un délicieux dimanche. J'ai aussi tourné un porno pour Sarah, seule avec des fruits et du riz à sushi, c'était drôle, excitant, jubilatoire même, voilà. Je prends du plaisir à faire des trucs, je suis filmée par une pote, tout est fait en une seule prise ou presque, l'image est belle, simple, et si des gens ont envie de regarder bah tant mieux ! Moi je mate du porno tout à fait mainstream pour me branler le mardi après-midi, tout comme je me monte des scénarios toute seule ou que je mate Crash Pad… ça dépend de l'humeur. Y'a pas de porno pour filles ou de boulards pour mecs. Comme les barbies et les camions, c'est pas inscrit dans l'ADN. Si on te dit que tu fais bander les hommes, tu le prends comment ? Je fais de l'érotisme et du porno, à ma façon certes, mais quand même. Donc si personne se branle sur mes images je suis triste ! Que ce soient des hommes, des femmes, des trans ou des chèvres, ça me fait le même effet à vrai dire ! Si je faisais pleurer les gens sans le vouloir, ce serait problématique mais là… bah c'est juste logique ! Tu as un remède spécial contre la gueule de bois ? Se plaindre beaucoup, dormir beaucoup, manger des coquillettes au beurre et boire plein d'eau. Surtout ne rien faire de la journée. 41


GONZO T

SIMON KINSKI ZNATY

THÉÂTRE DE BOULARD Je déteste au théâtre les habitués pédants avec leur collier de barbe pervers, la sodomie quand tu payes tes 4 cl de whisky, cette gène à être dans une pièce avec pleins d’inconnus qui ont décidé de faire comme toi, et cette tension qui précède les trois coups de bâton. Malgré tout, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas fait une sortie culturelle. Mon professionnalisme prend le dessus et s’empare du clavier après avoir fermé cette vidéo de chats acrobates : il me faut un théâtre ce soir. Par mauvaise saisie providentielle, je tape « théâtre sucoir » et tombe sur LE Théâtre Suçoir, « Tournage d’une scène X en direct ». Mon excentricité sexuelle prend le dessus et s’empare de ma souris. Je ne devrais pas être déçu, le porno c’est comme une pizza, quand c’est bon, c’est bon, et quand c’est pas bon, c’est quand même plutôt sympa. J’appelle le numéro et tombe sur Jean-Luc, qui m’explique sa soirée « coquine mais pas libertine » : du hard et de la convivialité au rendez vous. J’ai presque envie d’inviter ma meuf, mais j’en ai pas et j’me dis que c’est pas étonnant vu les endroits où j’traine. 42

J’arrive donc à 21h à l’adresse indiquée. Je trouve un restaurant asiatique tenu par des juifs, jusqu’à là rien qui ne sorte de l’ordinaire. Jean-Luc me souhaite la bienvenue et m’invite à manger un bout. Je prend quelques lychees bien juteux pour me mettre dans le bain et m’assoie à coté de Karine et Gregory. « C’est l’occasion de sortir de la routine » me dit la fonctionnaire. Je me retourne et remarque un autre couple, très jeune. « Je cherchais un cadeau d’anniversaire original et je suis tombé là dessus» m’explique Sheba. Une femme deux fois plus âgée que moi rejoint la joyeuse tablée. Elle porte un haut très, très échancré et une ceinture avec un cobra en diamant style « Histoire sans fin ». J’ai affaire à Charlie Spark, pornstar catégorie « Femmes mûres », 20 ans de cul derrière elle, je ne peux qu’être impressionné. « Spark, comme les étincelles, comme le groupe ». Vous savez, les copains des Rita Mitsouko dont le pianiste portait la moustache façon Hitler ? Je lui demande si elle joue ce soir, autrement dit, si j’aurais l’honneur de la voir se faire baiser. « Ah non, ou alors en séance privée… ». Je commence à être excité. « Ce soir je tiens la caméra, j’me recycle. Le porno ça a beaucoup changé avec


internet, tout est gratuit, on est payé comme des débutantes. Y’avait pleins de théâtres érotiques à l’époque, vers Montmartre y’avait les travelos, la bande à Bono, beaucoup de touristes… Moi j’aime pas les bobos. ». Je descend au sous-sol et prend ma conso au bar. Je vois mes vieilles névroses théâtrales à travers un prisme sexuel, c’est la 4ème dimension du cul. Un habitué jovial avec son collier de barbe pervers, la sodomie assumée tout court, cette gène à être dans une pièce avec pleins d’inconnus venus se rincer l’œil comme toi, et cette tension sexuel qui précède et encadre tous les coups de bâtons. Je croise la jeune actrice de ce soir, Silvia. C’est son dépucelage Suçoir, elle se produit devant un public pour la première fois. « Qu’il y ait des spectateurs ou pas, ça ne change rien pour moi je sais ce que je dois faire ». Silvia retourne à sa séance photo préliminaire, alors je vais voir Michael, son partenaire, qui travaille depuis longtemps avec Jean-Luc et perfor(me) également à des salons érotiques. « À l’origine je faisais du théâtre, puis du porno, maintenant je fais les deux ». Le rideau se lève, ainsi que la gaule de Michael qui se branle dans les chiottes pendant que Jean-Luc fait son speech. Le maître de cérémonie nous remercie de notre présence. « Ça devient une famille ici, pas une secte » plaisante t-il. « On espère faire une représentation par mois le jeudi et une soirée par mois le samedi. Donc profitez bien, après tout on est les seuls en France à faire ça, c’est en quelque sorte une exclusivité », c’est presque bobo comme pièce en fait, elle en pense quoi Charlie Spark ? Chut ! Ça commence. Silvia se déshabille : « Je ne sais pas ce que vous avez l’habitude de voir… » Dit-elle avec une sensualité contrasté par son accent provincial, « Tout ! » Répond Teddy, un habitué qui vient régulièrement avec sa bande

de pote, une bouteille de champagne sur la table. Michael, bien échauffé et chewing gum en bouche se fait sucer devant Charlie Spark qui filme en souriant. Elle fait signe au Dj de monter le son. Vraiment, elle prend son pied. La petite Silvia rit, hurle et insulte Michael, un jeu d’actrice captivant et des répliques à la Audiard. « Baise moi fort ! Putain, putain, putain ! Fais moi jouir ! ». Le public se tape des barres, Michael se tape Silvia, j’me tape mon whisky, vraiment, c’est une bonne ambiance le porno. On me demande de me baisser, c’est Sheba qui semble encore plus captivée que son mec. 45 minutes de hard, c’est dur, ça change de position deux trois fois avant de finir sur le sol juste devant moi, c’est comme la 3D, il me suffirait de tendre les bras pour toucher les protagaulistes, avec l’odeur en bonus. La tragédie de Silvia suit sa machination infernal et comme Antigone, elle sait que les dieux lui réservent à la fin la fatalité d’une éjaculation facial. Le public applaudit chaleureusement la pièce et ce bouquetquette final. Je me retourne, Sheba et Jeremy sont déjà partis, ça donne des idées comme spectacle. Karine et Gregory sont déçus, ils pensaient que ça serait plus long. Moi je reste toujours sans voix après une bonne tragi-rococomédie. Les spectateurs débriefent, chacun y va de son commentaire, la boucle est bouclée : je suis vraiment au théâtre. « On peut avoir le respect de la gaule ! », « Les films de boules c’est excitant mais ça non, tout le monde est à moitié mort de rire », « Si c’était vraiment un tournage, ça aurait été plus intéressant, mais là c’est pas le même budget », on retrouve le fameux client pédant : « Le concept global est marrant. Pour avoir travailler dans des soirées partouzes, le mec fait pas ça pour l’amour de l’art, c’est une opération financière, ce n’est pas subversif ». C’est bon de se cultiver, vraiment. 43


LES NUITS “IMPOSSIBLE” fb

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JACOB KHRIST


VOMY PARTY CHEZ ALADDIN

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COCKTAIL T

ROGER DE LILLE P JACOB KHRIST

AMERICANO Mars, mois des fous… Tu m'étonnes. À croire que vous me lisez pour ensuite me donner raison puissance dix-huit mille. Ce mois-ci, rien de tout ça. Un cocktail désuet et italien. Mon côté autocentré qui doit reprendre le dessus sans doute. Avant l'Americano, il y eut le Milano-Torino. Milano pour le Campari, Torino parce que le vermouth utilisé était du Cinzano, de Turin donc. Inventé à la seconde moitié du XIXe siècle par Gaspare Campari dont le rade était fréquenté par du beau monde. Du beau monde mondain et alcoolique. La classe quoi. Genre Hemingway, Edouard VII et Verdi. En 1917, les Américains trainent beaucoup sur les côtes italiennes et rallongent leur MilanoTorino d'eau gazeuse, rendant le mélange plus léger. Les locaux renomment donc la recette. Recette qui gagne et gagne en popularité parce qu'elle échappe à la prohibition. Eh oui jeunesse, on considère vermouth et Campari non comme des alcools mais comme des médicaments. Les médicaments sont pas interdits, donc c'est un peu un des rares moyens pour pouvoir picoler en restant certain de pas devenir aveugle. 1933, déclin du machin. Le Negroni fait plus viril. Alors du coup l'Americano devient un peu un cocktail de beauf. Rajoutons à ça Ian Fleming – qui a écrit les James Bond – qui déclare que c'est un cocktail minable, ainsi oui, c'est sûr que ça ne se boit plus en public. Je rappelle 46

qu'en plus de James Bond il a aussi créé le Vesper Martini. Donc, dans un verre old fashioned garni de glace, versez 4 centilitres de Campari sur 2 de vermouth rouge. Mélangez, allongez d'eau gazeuse, décorez d'un zeste d'orange et d'une demi-tranche d'orange, servez. Sans eau gazeuse, avec 2 centilitres de Campari en moins et 2 centilitres de gin en plus ça fait un Negroni, plus viril, moins fillette et celui-ci ne s'est pas fait démonter par Ian Fleming, donc on peut le boire sans rougir. Certains aiment rajouter de l'angostura mais si on les écoutait, on serait sous perfusion permanente d'angostura. De mon côté je vous conseille de l'éviter. C'est fatiguant à la longue et l'impression qui a tendance à me tarauder c'est que ça donne le même goût à tout. D'autres aiment rajouter du vermouth blanc dedans. Un quart de vermouth blanc, un quart de vermouth rouge, un quart de Campari et le dernier quart de gin. C'est amer comme cocktail, venez pas me dire que vous n'aimez pas parce que ça vous évoquait l'Italie et le sucre pour une raison qui m'échapperait. Sans eau gazeuse, on l'a dit tout à l'heure, c'est donc un Milano-Torino. 4 cl de Campari, 4 de vermouth rouge. Pour le coup c'est uniquement du classique, donc je m'inquiète peu pour vous. Buvez désuet de temps en temps. Et italien, c'est bien, ça me rappelle ma maman. [Merci au Panic Room pour la photo]


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AGENDA

VENDREDI 3 AVRIL 23h Institut du Monde Arabe 17€ Arabic Sound System #3 w/ Acid Arab (live), Clap ! Clap ! Toukadime, Mawimbi, Camion Bazaar, [RER], D.KO Records

SAMEDI 18 AVRIL 23h30 La Machine 12€ Encore la Mamie’s ! w/ Shifted Skudge (live), Sigha, Yan, Kaylen (live) Mamie’s Crew

SAMEDI 4 AVRIL 23h Monseigneur 12€ Move D b2b Jus-Ed all night long

DIMANCHE 19 AVRIL 7h Concrete 20€ Luke Slater, Marcel Fengler, Francois X, Shlomo (live), Anetha

DIMANCHE 5 AVRIL 7h Concrete 20€ Apollonia, Margaret Dygas, DJ QU Detroit Swindle (live), Lazare Hoche, Lowris

JEUDI 23 AVRIL 00h Rex Club 10€ French Kitchen w/ Damien Lazarus, Sucré Salé, Jay Call

VENDREDI 10 AVRIL 20h Le Petit Bain Gratuit/11€ Release Party w/ Africaine 808 (live), Jenovah, Mawimbi Crew, Loâzo

VENDREDI 24 AVRIL 00h Rex Club 20€ Un Reve w/ Derrick May, Francesco Tristano, Thomas Muller

SAMEDI 11 AVRIL 23h La Java 10€ Mona Disco Club w/ James Hillard, Nick V

DIMANCHE 26 AVRIL 15h La Chesnaie du Roy 10/15€ Cocobeach Opening Party w/ Visionquest, French Kitchen, Fact, D.KO, Romain Play

VENDREDI 17 AVRIL 23h Monseigneur 8€ D.KO Label Night w/ Braque, Flabaire, Gabriel, Micky P

JEUDI 30 AVRIL 23h30 Zig Zag 10/20€ Wihmini Festival #5 w/ Kerry Chandler, Point G, Lil Fülla

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ALASDAIR GRAHAM, DAVID PETTIGREW ET GRAHAM LORIMER ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.

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POUR LE CLAN,

RICARD SA. au capital de 54 000 000 € - 4/6 rue Berthelot 13014 Marseille – 303 656 375 RCS Marseille

LE CLAN CAMPBELL.

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


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