Mai 2019 - n° 94 - www.lebonbon.fr
LES IMPRODUCTIBLES ET KALY PRODUCTIONS PRÉSENTENT
NICOLAS
GOB
ALBAN
LENOIR
MICHAËL
ABITEBOUL
DAVID
BAÏOT
ROMAIN
LANCRY
ROLAND
MENOU
GEOFFREY
COUËT
ROMAIN
BRAU
FÉLIX
MARTINEZ
“QUAND PRISCILLA PLONGE DANS LE GRAND BAIN”
“UN BEL ÉLOGE DE LA DIFFÉRENCE”
“DINGUE, DRÔLE, SINCÈRE, TOUCHANT”
“LA PROCHAINE PETITE BOMBE DU CINÉMA FRANÇAIS”
PARIS MATCH
CNEWS
OUEST-FRANCE
© PHOTOS : THIBAULT GRABHERR
CINÉ SÉRIES
UN FILM DE CÉDRIC
LE GALLO ET MAXIME GOVARE
#LesCrevettesPailletées
@UniversalFR
AU CINÉMA LE 8 MAI
MAI 2019
Il y a toujours un moment dans la matinée où l’on se demande : « Mais c’est qui, cette personne avec qui je suis en train de discuter depuis 2 heures et dont je ne connais même pas le prénom ? » Le cadre est classique : un affter déglingué dans un appart’ ou un bar de nuit ouvert le jour. Et puis, au détour de 15 pintes, un coup de foudre amical quasi-instantané s’est produit avec cet être humain dont le blase ne cesse de vous échapper. C’est un classique. Dans le jargon technique des noctambules, on appelle ça “un meilleur ami de la nuit”. Son profil est bien connu : il est franc, ouvert, et presque toujours aussi défoncé que vous. « Gneuuu, gneu, agnaa, hein ? », que je lui dis. « Gné gnéé », qu’il me répond. Ce qui est bien, c’est qu’on a le même langage, on se comprend. Avec lui, pas de jugement mais pas mal d’empathie. Ce qui vous amène presque mathématiquement à partager en onomatopées approximatives vos raisonnements métaphysiques foireux, vos névroses amoureuses et la pertinence de vos positionnements politiques. Le temps passe toujours trop vite. Au rythme des allersretours dans les toilettes, il connaît désormais presque tout de vous, et vous de lui. Vous vous dites que c’est presque mieux qu’une psychanalyse. Vous n’avez pas tort. Mais pas au niveau du prix : les tournées pour fêter cette rencontre providentielle finissent toujours par vous faire couler des larmes de sang. On s’en fout. Il est maintenant l’heure de rentrer chez soi. Avant d’entamer la marche de la lose sous le soleil, vous vous échangez comme deux gamins après une colo’ vos contacts. De toute façon, vous savez très bien que vous ne vous reverrez jamais. Et puis des “meilleurs amis de la nuit”, il en existe des milliers. Uniques mais interchangeables. Légèrement cons mais bienveillants. Un peu comme vous finalement. Car si la nuit tous les chats sont gris, tout est réciproque aussi.
N°94
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PLACES AUX JEUNES ! VOUS AVEZ MOINS DE 30 ANS ? Avec la carte adhérent à 10 , venez au théâtre en toute liberté. Tous les spectacles, tous les soirs de représentation, seul ou à deux pour 12 la place* pendant un an !
* dans la même catégorie d’âge / 2 places maximum par spectacle 23 pour les plus de 30 ans
THEATREDURONDPOINT.FR
BON TIMING, LES TROIS EVENTS À NE PAS MANQUER 7. MUSIQUE APPARAT N’EST PAS MORT 15. VISITE NOCTURNE L’HISTOIRE, LE NOUVEL UNDERGROUND 19. ART LA POLE DANCE, NOUVEL AMOUR 25. LIVRE LA FRANCE & L’ALCOOL 29. PARIS CE QUE NOTRE-DAME EST À LA NUIT 33. CINÉMA CLAIR OBSCUR, L’ÉDITO CINÉMA 35. CINÉMA CANNES 2019 SOYONS OPTIMISTES ! 37. CULTURE MUSÉES ÉVEILLÉS, CULTURE EFFRÉNÉE 39. STYLE UKRAINIAN TOUR 45. MUSIQUE LA TOUR MET LES WATTS CONFISEUR JACQUES DE LA CHAISE RÉDACTEUR EN CHEF LUCAS JAVELLE DESIGN RÉPUBLIQUE STUDIO CARACTÈRES KESSLER PAR ALARIC GARNIER @ PRODUCTION TYPE & WHYTE PAR FABIAN HARB, DINAMO GRAPHISTES CLÉMENT TREMBLOT, VICTORIA IVALDY COUVERTURE APPARAT PAR NAÏS BESSAIH RÉDACTION ALEXANDRA DUMONT, MANON MERRIEN-JOLY, PIERIG LERAY, LISA BELKEBLA, JACQUES SIMONIAN SR LOUIS HAEFFNER RÉGIE CULTURE FANNY LEBIZAY, ANTOINE KODIO RÉGIE PUB BENJAMIN ALAZARD, LIONEL PONSIN LE BONBON 15, RUE DU DELTA, 75009 PARIS SIRET 510 580 301 00040
SOMMAIRE
5. AGENDA
IMPRIMÉ EN FRANCE
261 BOULEVARD RASPAIL 75014 PARIS
EXPOSITION DU 4 AVRIL AU 16 JUIN 2019
fondation.cartier.com
design graphique : deValence
ARTS VISUELS CONCERTS PERFORMANCES DANSE DESIGN RENCONTRES ATELIERS
LES RÉSIDENTS DU MONDE
Y a-t-il une meilleure référence dans la musique électronique que Resident Advisor ? Non, mais n’essayez pas de répondre à la question, c’était rhétorique. On en veut pour preuve leur prochain évènement parisien, en compagnie des joyeux lurons de Fusion mes couilles. Une petite sauterie qui risque de faire déborder le Badaboum d’alcool, de sueur et de luxure. RA : Fusion mes couilles @Badaboum, samedi 18 mai
DANS LES RUES DE KINSHASA
C’était le duo qu’on avait le plus apprécié découvrir en 2016. Une fraîcheur inattendue, qui mélange savamment les incantations intenses de la Congolaise Faty Sy Savanet et les percussions hypnotiques de son complice franco-latino Dakou. Un beau mélange de rock, de blues, d’électro et bien évidemment de beats africains qu’on ira apprécier très vite en concert. Tshegue @Palais de la Porte Dorée, vendredi 24 mai
BON TIMING
UNE PLAGE DE RÊVE À DEUX PAS
Le retour du Marvellous, c’est synonyme de soleil, chaleur, sable fin et grosse teuf. Les pieds dans l’eau, on savoure son petit Spritz de chineur de vacances avant d’aller se dégourdir les jambes d’une sieste trop arrosée. On danse jusqu’à plus soif, on se repose un peu avant d’enchaîner le lendemain. La belle vie. Le beau weekend… Et la très belle prog’. Marvellous Island @Plage de Vaires-Torcy, 8 et 9 juin
APPARAT N’EST PAS MORT, MUSIQUE
VIVE APPARAT ! 7
T P
JACQUES SIMONIAN NAÏS BESSAIH
8/9 APPARAT MUSIQUE
Il y a des artistes, comme ça, qui nous accompagnent depuis de longues années. Chez eux, et c’est devenu une denrée de plus en plus rare, le temps n’égratigne en rien la superbe qu’ils dégagent, ni ne transforme leur passion créatrice en une sorte d’oisiveté, comme c’est parfois le cas. Sascha Ring, l’homme qui se cache derrière l’alias Apparat (son projet solo) et qui embrasse le surnom Moderat (lorsqu’il fusionne avec la paire Gernot Bronsert et Sebastian Szary de Modeselektor), vient définitivement de s’inscrire dans cette catégorie avec la sortie de son nouvel album, LP5. Un disque qui renoue avec toute la technique d’Apparat des débuts, qui se pose aussi en témoin, même, d’une mue nouvelle. À quelques heures d’un concert événement à La Gaîté lyrique parisienne, nous avons rencontré le producteur allemand pour qu’il nous parle de ce nouveau venu, pour lequel il ressent une certaine fierté.
Le Bonbon : C’est le premier album que tu crées sous le nom d’Apparat depuis Krieg Und Frieden (Music for Theatre), sorti en octobre 2013. Pourquoi cette envie de refaire de la musique sous ce nom ? Sascha Ring : Apparat reste mon projet principal, tu sais ! Je l’ai commencé il y a presque 20 ans maintenant ! Même si Moderat a pris une part importante dans ma vie, c’est quand même ultra rassurant d’avoir cet autre alias pour composer une musique différente. Je serais probablement devenu fou si j’avais continué de proposer une chose identique, encore et encore. Par chance, j’ai différents moyens, possibilités, pour m’exprimer. Et particulièrement après Moderat, c’était vraiment cool d’avoir Apparat, qui constitue pour moi une espèce d’espace personnel qui me permet de partager une musique plus intimiste, sans ressentir cette pression des grandes scènes, des festivals, et de tous ces trucs. C’était sympa de renouer avec ça, et d’aller un peu plus loin qu’avec mon dernier disque en tant qu’Apparat. L.B.
À la base pour LP5, j’ai lu que tu voulais adopter le même processus créatif que pour Krieg Und Frieden (Music for Theatre) : enregistrer des sessions live avec un groupe.
S.R.
Music for Theatre (MFT, ndlr) reste à ce jour l’unique album que j’ai construit du début à la fin très facilement : il était comme un soundtrack. Nous l’avons écrit et joué en live pendant longtemps, et c’est seulement après que nous avons rejoint le studio pour immortaliser ce résultat, que nous maîtrisions déjà très bien. C’est une situation très luxueuse ! La plupart des fois, c’est le contraire :
tu enregistres quelque chose et le live arrive ensuite. Pour MFT, nous ne sommes restés qu’une semaine en studio. Nous avons joué avec les instruments tout en nous amusant, et le disque était terminé. C’était une expérience vraiment cool, car normalement, créer un album, c’est une galère sans nom ! L.B.
Tu me disais que le résultat de ces sessions ne te convenait pas. Qu’est-ce qui n’allait pas ?
S.R. Pour LP5, je crois que j’ai juste essayé de ressentir à nouveau le sentiment que m’a procuré MFT. Donc avec un groupe, nous nous sommes enfermés en studio, on a jammé… Mais c’était une situation complètement différente de la dernière fois, et puis mes attentes étaient aussi beaucoup plus élevées. Comme c’est un “vrai” album, tu dois l’écrire du début à la fin, en pensant à tout, des détails les plus minimes aux plus importants… C’est assez opposé au format soundtrack, qui impose de travailler en équipe, et donc, de ne pas jouir d’autant de contrôle que ça. L.B.
Tu as quand même gardé des petits bouts d’enregistrement de ces jams pour les morceaux “Caronte” et “Brandenburg”…
S.R.
Waouh ! Comment tu sais ça ? Je l’ai raconté quelque part ? C’est marrant, parce que ce que tu dis est vrai, mais pour d’autres raisons. Effectivement, nous avons enregistré “Caronte” et “Brandenburg” avec un orchestre, mais c’est une session que nous avons faite à la toute fin du disque, simplement pour reprendre un peu les cordes. Là où tu as vu juste, c’est que, quand même, “Caronte” et “Brandenburg” sont tirés d’une
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APPARAT
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ancienne session d’enregistrement, quand l’album était encore en phase embryonnaire. C’étaient d’ailleurs des chansons complètement différentes, avec des guitares acoustiques, des cordes et autres… Généralement, c’est ce qui se passe dans ma musique : je commence avec une idée au synthétiseur, et à la fin, je me retrouve avec un orchestre, ou avec une chanson à guitare, qui elle-même devient plus techno, ou peu importe. Au bout du compte, c’est toujours un voyage ! L.B.
Même si ce que tu as obtenu avec les jams n’allait pas, tu as samplé certains enregistrements, pour ensuite les réintroduire dans les titres de l’album. Un peu à la façon dont tu travaillais au début du projet Apparat ? C’està-dire passer beaucoup de temps à obtenir un son spécifique ?
S.R.
Oui vraiment. Finalement, LP5 n’a pas autant été écrit que ça. Il a plus été construit instinctivement. Si au début je voulais adopter une direction relativement différente, je me suis retrouvé à composer comme le Apparat old school avait l’habitude de s’exprimer. À savoir : prendre des détails d’une chose ou d’une autre, et grosso modo tout mettre ensemble, à la façon d’un puzzle. Même si cet album ne sonne pas complètement comme de l’ancien Apparat, il y a aussi le sound design qui est très similaire à ce que je faisais avant. J’étais beaucoup plus patient à cette époque. Et maintenant que je gagne en âge, mon capital patience grossit de nouveau. Je sors d’une longue période ou j’étais en mode « fuck that ! ça prend trop de temps ».
L.B.
Sur LP5, on peut aussi entendre des instruments “classiques” : des batteries sur “Dawan” ; un
“ JE COMMENCE AVEC UNE IDÉE AU SYNTHÉ, ET À LA FIN, JE ME RETROUVE AVEC UNE CHANSON À GUITARE, QUI ELLE-MÊME DEVIENT PLUS TECHNO. AU BOUT DU COMPTE, C’EST TOUJOURS UN VOYAGE ! ” saxophone sur “Laminar Flow” et “Outlier” ; des cordes également pour “Brandenburg”… C’était important pour toi d’avoir aussi ce genre de sons ? Plus directs ? S.R.
“Direct” est exactement le bon mot, vu que je viens de te parler de patience. L’une des principales raisons qui m’ont poussé à utiliser de vrais instruments tenait du fait que le résultat était instantané. Tu enregistres quelque chose, et c’est là. La plupart du temps, c’est beau, et tu n’as pas besoin de faire quoi que ce soit en plus. Si tu compares ça à des programmes d’ordinateur et à
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ces logiciels où tu essayes des trucs pendant trois jours en espérant que le résultat qui en sortira soit utilisable… Donc oui, il y a un bout de temps maintenant, c’était ma principale raison pour composer avec de vrais instruments, également parce que j’étais curieux, hein. Mais désormais, cette notion est devenue complètement désuète pour moi : chaque son est le même. Je suis bien au-delà de l’idée d’acoustique, d’électronique, ou quoi que ce soit d’ailleurs. D’autres aspects sont à prendre en compte : l’apport de Philipp (Thimm, ndlr), mon coproducteur, et le nombre d’instruments que nous possédons désormais dans notre studio. Nous pouvons jouer du synthétiseur aussi facilement que du violoncelle, ou du piano, ou de ce que tu veux. Tout est là, nous avons des micros sur tout. Tu n’es plus contraint d’utiliser tel ou tel type de sonorités par fainéantise. Beaucoup de musique dans les années 80 était de la synth-music. Tu devines pourquoi ? Simplement parce que c’était facile à faire et plus abordable que d’enregistrer tout un orchestre. L.B.
Finalement, peut-on dire que LP5 est une synthèse du Apparat plus méticuleux du début, et de celui qui aime la musique plus directe, celle issue de “vrais” instruments ?
S.R.
Je ne sais pas… Je préfère voir ça comme une nouvelle étape de mon développement. Mais bien sûr, il y a toujours un peu de ce que tu étais avant. L.B. “Synthèse” n’est peut-être pas le bon mot. Une évolution ? S.R.
Oui, sûrement. Mais être sentimental, et regarder un peu derrière n’est pas nécessairement une mauvaise chose.
“ BEAUCOUP DE MUSIQUE DANS LES ANNÉES 80 ÉTAIT DE LA SYNTH-MUSIC. SIMPLEMENT PARCE QUE C’ÉTAIT PLUS ABORDABLE QUE D’ENREGISTRER TOUT UN ORCHESTRE ” Quand j’ai commencé à faire des disques, j’avais toujours de grandes idées plein la tête, et je voulais perpétuellement me réinventer ; changer le monde ! Bien sûr, c’est évidemment trop de stress et d’attente de soi ! Et j’en ai fait les frais : chaque fois que je commençais un projet, j’étais en dépression lors des premiers mois de studio ; je me mettais trop de pression. Mais, avec le temps, tu apprends ce qu’est réellement un disque : c’est toi. Et ton but est d’essayer de faire ressortir la meilleure version de toi, d’ajouter quelque chose de nouveau aussi, pour que tu te surprennes. Ça doit quand même être un peu un challenge, sinon, t’es fini ! Mais c’est vrai, l’héritage de ce que j’ai fait avant n’est pas totalement inutile. APPARAT — LP5 (Mute Artists) Déjà disponible
14 / 15 VISITE NOCTURNE
L’HISTOIRE, LE NOUVEL UNDER GROUND TEXTE
LUCAS JAVEL
Ce mois-ci, pas de quartier. Littéralement. Après avoir épuisé les visites intelloculturelles de Paris, qui nous emmenaient fouiller les maisons closes aujourd’hui disparues et fouiner entre les pierres tombales du célèbre Père Lachaise en compagnie d’un vampirologue, il fallait bien qu’on trouve quelque chose à faire. Que nous reste-t-il, si ce n’est les lieux de la nuit, ceux qu’on adore arpenter du vendredi au dimanche, un verre ou deux à la main pendant que les enceintes crachent et que nos oreilles sifflent ? Loin de l’insolite, au plus proche de la luxure et de la débauche. Immersion ? « Que nenni ! », comme dirait l’ancien temps. Trop facile. C’est d’ailleurs du côté de cette époque révolue qu’est le passé qu’on est allé chercher de l’inspiration, tout comme l’INA. En bon petit laborantin qui tente son expérience, l’Institut national des archives est allé installer sa tente du côté du Palais Brongniart, ancienne Bourse de Paris devenue depuis monument historique. La première édition de l’INASOUND, festival électro-intello aux conférences de maîtres et concerts de prodiges, a transformé le vieux Bro, habituellement ouvert le jour, en une nocturne éphémère et planante, qui nous aura presque fait oublier le Paris de tous les jours et de toutes les nuits.
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« En trois mots, l’INASOUND c’est : un festival unique », nous avait répondu JeanMichel Jarre en amont. Déjà, la soirée de présentation de l’évènement nous avait donné un aperçu du potentiel des arcades de Brongniart, de sa vaste hauteur sous plafond et de ses immenses salles. Rarement exploité de nuit, du moins pas pour la fête, l’ambiance change du tout au tout lorsque lumières bleues et violettes aux couleurs du festival envahissent l’espace. Lorsqu’on débarque le samedi en début de soirée pour se faire une idée, on prend finalement une claque ; l’ingéniosité des responsables du décor nous bluffe. Ce qui aurait pu faire de l’ombre à la bâtisse naturelle de l’ancien palais de la Bourse la met finalement en lumière. Si la musique nous saisit depuis le trottoir, c’est finalement le spectacle visuel qui nous rendra aphone. Aux quatre coins des murs, entre les colonnes, du sol jusqu’au plafond, lumières et visuels s’entremêlent et transforment l’ennui
“ EN TROIS MOTS, L’INASOUND C’EST : UN FESTIVAL UNIQUE ” des musées en véritable célébration de la fête elle-même. On se laisse bercer par la musique, d’une salle à l’autre, comme une visite guidée par le simple son des bizarreries auxquelles les artistes présents se sont essayés. Une joie pour les oreilles, mais un doux délice pour les yeux. Du côté du Salon d’honneur du palais, l’espace central est aménagé en booth, des panneaux de LED viennent tapisser le milieu de la salle, juste au-dessus de l’artiste. Pendant que l’ambient de Molécule nous envoie en orbite – la chaleur des machines nous ramènera, elle, six pieds sous terre –, on découvre
avec fascination les sculptures qui ornent les parois de la pièce et les œuvres au plafond. Plongées dans l’obscurité et mises à contribution par des jeux de mapping, elles prennent vie, bien plus que ce que leurs auteurs auraient pu en rêver. Et si nous n’avions pas peur que certains parlent de drogue, on pourrait presque vous assurer les avoir vues danser.
à cette visite du Paris la nuit que l’on vous impose chaque mois. On en oubliera presque l’évènement, à qui l’on doit pourtant cette belle balade nocturne. Heureusement que les derniers métros ne nous ont pas attendu pour fuir la foule à bout de souffle ; l’amertume de retrouver les murs livides et l’insalubrité du ventre de Paris nous aurait ramené à la dure réalité du quotidien.
Après avoir été abandonnés tels des orphelins lorsqu’Arnaud Rebotini termine son doigté sur ses nombreux synthés, une chose est sûre : on reviendra le lendemain. Pas (uniquement) parce que le jeu en vaut la chandelle, mais parce que Brongniart est trop grand, et ses surprises encore pleines. Notre déambulation au goût amer de fatigue et de bière un poil trop chère n’a finalement pas de prix. Après quelques dizaines de minutes de flottement au cœur de la nef dont on ne voit plus le sol marbré, on continue à lever la tête, à la recherche de petits symboles, d’ésotérisme si propre
Respect et robustesse au Brongniart dont la prestance nous aura plu, aura plu à l’INA et aura finalement réussi à attirer quelque jeunesse éloignée de la culture même. À croire qu’en 2019, les rôles se sont inversés et que les lieux chargés d’histoire sont devenus le véritable underground, délaissés par un amour surdimensionné de la consommation de l’instant.
ART
LA FAME EN AMOUR POUR
TEXTE
ALEXANDRA DUMONT
LA POLE DANCE !
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© Young Turks
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Mannequins, danseuses ou chanteuses, toutes défient les lois de la gravité dans l’industrie du disque, et contribuent à faire de la pole dance une discipline star.
© Young Turks
Cardi B en tête, mais aussi FKA Twigs, Solange (la sœur de Beyoncé) et la Française Regina Demina tendent à décloisonner cette pratique, sulfureuse, longtemps réservée aux strip clubs. Le cinéma, du film Showgirls de Verhoeven (1995) au plus récent Closer, entre adultes consentants (2005), avec une Natalie Portman stripteaseuse en perruque rose, s’en était déjà emparé, sans véritable prise de position sérieuse. Les artistes précitées, elles, s’emploient à démonter les clichés sexistes qui ont la peau dure avec une efficacité renversante.
2003. Kate Moss se dandine autour d’une barre de pole dance dans le clip des White Stripes, “I Just Don’t Know What to Do with Myself”, signé Sofia Coppola. La performance est approximative, l’approche fuyante, l’intention vaguement sexy. Ce n’est rien comparé au numéro de voltige de Ney dans la vidéo “When I Get Home” de Solange, ou plus impressionnant encore, celui que nous offre l’Anglaise FKA Twigs, perchée sur des talons aiguille de 25 cm, dans son tout dernier clip, “Cellophane”. La première chose que l’on remarque, c’est sa force. Physique. Les muscles sont saillants. « La pole, ce n’est pas que remuer son cul autour d’une barre !, affirme Anna G, 37 ans, qui a monté son école de danse Wild Pole Dance il y a trois ans, avec Elodie, devant le succès des soirées Bad girl rock the pole qu’elles organisaient au Pigalle Country Club. C’est un sport difficile et très physique. Il faut se tracter le long d’une barre en métal. On en chie. On se fait des bleus, ça brûle. »
“IL FAUT SE TRACTER LE LONG D’UNE BARRE EN MÉTAL. ON EN CHIE. ON SE FAIT DES BLEUS, ÇA BRÛLE” Son corps a changé. Il est musculeux. Elle en est fière, et enrage que « certaines filles décident d’arrêter sous la pression de leurs conjoints parce qu’elles prennent trop de bras, trop d’épaules ». Anna G enseigne à ses élèves l’acceptation de soi, la bienveillance et l’entraide. Des valeurs très girl power. « Je me balade régulièrement en string, ça décomplexe », sourit-elle. La pole dance se pratique à moitié nue. Ce n’est pas de la luxure. La peau doit accrocher la barre.
« DANSER, C’EST PAS BAISER »
« Il y a une mémoire du corps qui s’habitue au frottement, confirme Hélène, 29 ans, infirmière passionnée de pole dance depuis deux ans. Au début, certains mouvements ne sont pas naturels, comme le fait de s’inverser littéralement dans une position acrobatique. C’est dangereux, mais on a le sentiment de voler et c’est indescriptible ! » La pole dance fait de plus en plus d’adeptes. Au Wild Pole Studio, les inscrits ont entre 19 et 55 ans. Sa directrice, Anna G, formée à la danse classique et contemporaine, vient du théâtre alternatif et performatif. Elle pratique ce sport depuis 6 ans, à raison de 25h/semaine.
« À partir du moment où tu fais de la pole dance, t’es cataloguée pétasse ! », assène l’artiste et chanteuse Regina Demina, au moment d’évoquer son passé de pole-danseuse dans les clubs. La Française, musicienne, vidéaste et performeuse, en a fait un métier pendant 5 ans pour payer ses cours de théâtre, le temps d’acquérir une solide réputation dans le domaine de l’art contemporain. « C’est un milieu de merde, hardcore, agressif, mafieux, et glamour pour les clients, pas pour les filles », relativise celle qui se méfie du discours d’empowerment féminin, qui va de pair avec la démocratisation de cette pratique dans notre société, où ce sport devient pour beaucoup une activité-plaisir. « La pole dance n’était pas à la mode il y a 8 ans, quand j’ai
ART
LA POLE DANCE, NOUVEL AMOUR
© Abricot Dore
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SEXISME RENVERSÉ
commencé, précise-t-elle. Je me suis fait jeter de jobs de mannequinat ou d’acting. On m’a foutu des pressions chelous. Un mec me file un rendez-vous pour me proposer de produire un film, et puis, il commence à me parler de mon corps de femme-enfant, avant de me demander la couleur de ma culotte. Comme j’ai fait du strip, on part du principe que ce genre d’attitude ne devrait pas me déranger. » Anna G se bat contre ces préjugés, quotidiennement. « Danser, c’est pas baiser » assenait Verhoeven dans Showgirls, boudé par la critique et les spectateurs à sa sortie en 1995 – le film devrait toutefois bénéficier d’un retour de hype via le documentaire de Jeffrey Schwarz, Goddess : The Fall and The Rise of Showgirls, prévu pour 2020. « Quand j’ai commencé la pole, toutes les filles voulaient faire du sexy, se souvient Anna G. Et puis il y a eu la volonté d’en faire un sport, avec l’apparition des premières fédés de pole-fit. C’était comme faire des tractions, du trapèze ou des barres parallèles. Mais récemment, je ressens un vrai revival avec un nouveau courant importé de Russie, l’exotic dance, du pole-sport en talons aiguilles ! » « C’est très suggestif et très sensuel, ajoute Hélène, qui suit des cours à l’école Pole Dance Attitude. On se caresse en pleine journée. C’est difficile d’oser, mais au fond on retrouve une féminité. »
Décomplexée, Regina Demina recommence à documenter cette pratique sur son compte Instagram, et devrait progressivement l’intégrer à son art, notamment dans son prochain clip, “Couzin”, coréalisé avec James Coote. La jeune femme a grandi à Champssur-Marne, où on la traitait de « pute quand [elle] mettait une jupe », a quitté le domicile familial prématurément avant sa majorité pour emménager avec un garçon, puis avec une fille, qui l’a introduite au pole dance. « C’était une période révolutionnaire, dit-elle. J’avais une idée erronée de ce qui était pur et impur. J’étais dégoutée de grandir. Je ne voulais pas prendre de formes ni avoir mes règles. » Avec le recul, peu importe la brutalité avec laquelle elle est entrée dans la vie active, elle ne connaît pas meilleure école d’acting. « Tu es perpétuellement dans des rôles, pour donner à chaque personne ce qui le fait fantasmer, justifie-t-elle. Mon rapport à la féminité a changé, je me suis rendu compte que j’avais un pouvoir. » Ce pouvoir, c’est aussi celui dont s’est emparé Cardi B. L’ancienne stripteaseuse devenue une star du rap remonte sur la barre dans le clip très bling “Money”, extrait de la réédition de son premier disque Invasion of Privacy (2018) – c’est la première femme à décrocher le Grammy du meilleur album rap. Loin du Bronx qui l’a vu grandir, l’Américaine, d’origine caribéenne, se met en scène dans un strip club où l’argent coule à flots et les femmes règnent en maîtres. Soufflait déjà dans les paroles de son premier tube, “Bodak Yellow”, un vent de revanche sur son ancienne vie : « Look, I don’t dance now / I Make Money Moves » (Regarde, je ne danse plus / Je fais des placements). « Les rappeuses comme Cardi B sont au même niveau que les mecs, et réinvestissent les codes du genre masculin, avec les bifftons, les bijoux, tout en jouant de leurs attributs, commente Anna G. Elles prennent un plaisir égoïste à revendiquer l’idée selon laquelle on peut être
“CE SONT DES DÉESSES PERCHÉES SUR DES PANTOUFLES DE VERRE À PLATEFORMES. C’EST FANTASMAGORIQUE”
répond Anna G. J’aime montrer mon cul, je l’assume et je vous emmerde. » Transformer une pratique née de la sexploitation en discipline artistique est la clé de voûte dans leur revendication d’une liberté totale de corps et de sexualité. « J’ai mis des années à renverser le truc, confie Regina. Dans le milieu artistique, la pole dance est un instrument d’humiliation sociale. Aujourd’hui, parce que je l’assume et je la drive, ça devient une force. » Debout pour les femmes, contre le patriarcat.
sexy, sulfureuse, en jouer et puis en rire. » Sur grand écran, Cardi B fera bientôt partie d’un gang de stripteaseuses qui rêvent de plumer leurs riches clients de Wall Street.
Regina Demina, comme Cardi B, se jouent des clichés sexistes, véhiculés dans leur cas par leur pratique de la pole. Elles mettent en scène ce que la société condamne et fantasme, se réapproprient les signes de subordination face au machisme, à commencer par l’image de la femme-objet, usant et abusant de son potentiel érotique. Elles sont sexy, sulfureuses. Et provoquent dans leur façon d’assumer une féminité ostentatoire. « Je ne trouve pas ça malsain ou suspect, plaide Regina Demina. Quand on fait ce métier, on se fait atomiser par la beauté des filles. Ce sont des déesses perchées sur des pantoufles de verre à plateforme. C’est fantasmagorique, et j’aime ça. » Le papa “gâteux” de “Sugar Daddy” (ou “cougar” au masculin), sorti à Noël, échange des siestes crapuleuses et malsaines contre des bagues et des colliers. S’offrir, peau neuve, à la générosité d’un vieux riche est la nouvelle tendance freaky. « Y’a une fragilité dans le m’as-tu-vu que je trouve touchante », justifiet-elle. « Ça fait du bien de ne plus se cacher, lui
© WEA/Warner Music France
NE PLUS SE CACHER
REGINA DEMINA Nouveau single “Couzin” le 31 mai FKA TWIGS- En concert le 1er juin au festival We Love Green CARDI B - Prochainement au cinéma dans Hustlers, de Lorene Scafaria WILD POLE STUDIO @wild.pole.studio POLE DANCE ATTITUDE @poledanceattitudeparis
TEXTE
l'abus d'alcool est dangereux pour la santé à consommer avec modération
LIVRE
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LA FRANCE & L’ALCOOL MANON MERRIEN-JOLY
Où se retrouve-t-on depuis que les bistrots ferment les uns après les autres ? Doit-on boire pour gagner une campagne électorale ? Par quels biais la start-up nation veut-elle vous faire boire autrement ? Comment les bières artisanales ont-elles progressivement envahi les tireuses de France ? Dans un essai qui ne voit le verre ni à moitié plein, ni à moitié vide, Thomas Pitrel et Victor Le Grand auscultent la France sous le prisme de son rapport à l’alcool, du banquet gaulois à l’afterwork. En parcourant le livre, on a d’emblée l’alcool mauvais, notamment quand il s’agit de s’attarder sur l’hécatombe des cafés, derniers espaces de convivialité pour certaines villes, comme celle de Pussay dans l’Essonne, conséquence de la crise de 2008 mais surtout de l’installation des hypermarchés dans les années 1960. Cependant, pas le temps de gueuler « rendez-nous nos PMU ! », car d’autres dilemmes nous attendent. Tiraillés par le “french paradox” alimenté par la guerre des lobbys (qui remportera la coupe, entre les associations de prévention contre les risques liés à l’alcool et les viticulteurs désireux de préserver leur patrimoine ?), on s’engouffre dans de nouvelles pratiques pas forcément rassurantes. À commencer par nos habituels sauveteurs de la start-up nation pour qui le vin est un produit comme les autres : tu connais
la WineTech ? Cette charmante sauterie, présentée comme « la première coordination mondiale des start-ups du secteur du vin », vous est proposée par (entre autres) un ancien énarque qui donne envie de pleurer du sang à la lecture de son témoignage, (« je suis un peu un anarchiste de droite, en fait ») entre deux rondelles de sauciflard dans son appartement vide du 8e arrondissement. La formidable ascension continue lorsqu’il en vient au moment où l’idée germe : « bon les gars, ont se fait chier, on est petits, on n’a pas de pognon, les journalistes ne comprennent pas ce qu’on fait. Je vous propose de créer un machin qui va s’appeler la WineTech. On va faire un logo sympa, une page web commune, bombarder sur les réseaux sociaux ». Décidément anar jusqu’au bout, ce haut fonctionnaire dit ne pas gagner d’argent, « mais de l’influence et une certaine aura ». Pourtant, se désole-t-il, « le vin est un milieu très traditionnel, conservateur. Les mecs qui ont du pognon
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préfèrent acheter des vignes que de le mettre dans une start-up ». Mais une fois de plus, pas le temps de s’attarder sur le cas de ce pionnier de l’e-viticulture puisque comme le dit l’adage, vomir c’est repartir. C’est donc reparti pour une grosse marrade en lisant les paroles rapportées de Françoise Grossetête, députée européenne qui dénonce, armée d’une confiance en soi à toute épreuve, « le problème de la bière, c’est que les jeunes en font des compétitions. Les jeunes ne boivent pas de vin, ils se saoulent à la bière qu’ils mélangent avec de la drogue, de la vodka. ». Si le mélange ne vous écœure pas, n’hésitez pas à le corser avec une bonne dose de déconstruction de clichés offerte par Stéphanie Pillonca, qui parle de son bouquin sur les premières fois : « On a l’impression qu’une fille qui boit doit le faire avec élégance, du chien, de la mesure. Quelque chose de pondéré. Une nana ne va pas te dire publiquement qu’elle s’est mise minable au Montana et qu’elle a gerbé dans les chiottes. ».
Et pourtant, elle voit dans l’alcool un des vecteurs de décomplexion chez les femmes qui « maintenant, ont une façon de célébrer la vie très forte. Elles sont dans le partage ». Aux sympathiques piliers de bars et auteurs alcooliques pour qui l’alcool est « le vecteur-même de l’essence métaphysique », si l’on en croit l’écrivain Alexandre Lacroix, Pitrel et Le Grand opposent Jean-Paul Sartre, « Polytoxicomane, consommateur d’amphétamines [qui] tombe, tous les jours, deux litres de bière, une bouteille de vin et presque une demi-bouteille de whisky, en plus de deux paquets de cigarettes. ». Sa productivité ne s’en voit nullement ralentie, lui qui est capable « de lire un livre et d’écrire entre 20 et 50 feuillets en vingt-quatre heures, et ce jusqu’à 75 ans ». Pause symbolique à la buvette où on croise quelques députés qui retracent le rôle-clé qu’ont joué les vins et spiritueux (deuxième plus gros succès français après l’aéronautique en 2017) dans les relations diplomatiques. Certains sont nostalgiques, à
“LES JEUNES NE BOIVENT PAS DE VIN, ILS SE SAOULENT À LA BIÈRE QU’ILS MÉLANGENT AVEC DE LA DROGUE, DE LA VODKA”
l'abus d'alcool est dangereux pour la santé à consommer avec modération
l’image de Jean Lassalle qui déplore « l’absence de proximité avec le peuple », lui qui, pour annoncer une mauvaise nouvelle à quelqu’un, « l’invitait à boire un coup ». Il y a ceux qu’on attendait au tournant (qu’aurait eu l’air d’un bouquin sur la France et l’alcool sans un témoignage de Joey Starr ?) mais aussi ceux qui savent balancer les anecdotes croustillantes au bon endroit et au bon moment, comme Ardisson, quelques mois après le dossier fleuve publié par Society également produit par VLG – ici, notre soif de ragots est étanchée par les anecdotes de Beigbeder vomissant dans les loges avant une émission de Tout le monde en parle, ou la baston dopée à l’éthanol entre François Berléand et Renaud. Il y a ceux qui se livrent, ceux qui, comme Vincent Maraval, tentent de mettre de l’ordre dans tout ça (« est-ce qu’on est meilleur quand on est sobre ou quand on est bourré ? »), et ceux qui préfèrent observer, à l’image de Philippe Jaenada qui dit si joliment que « aller au bar, c’est comme
se faire un petit jacuzzi dans la société ». Autant de voix qui interrogent la place de l’alcool dans le processus de création. Alors, alcoolisme ou culture de l’alcool ? À l’issue de la lecture du livre, on n’a toujours pas la réponse. C’est pas tellement le but. On est surtout galvanisé de cette tournée générale de tous les alcools du pays auprès de ceux qui les font, de ceux qui les boivent et de ceux qui en parlent parce que finalement, eux, ben c’est un peu nous. J’vous remets la p’tite sœur ?
TOURNÉE GÉNÉRALE LA FRANCE ET L’ALCOOL de Thomas Pitrel et Victor Le Grand aux éditions Flammarion
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CE QUE NOTRE-DAME
© Viacheslav Lopatin
EST À LA NUIT PARIS
TEXTE
THOMAS GUICHARD
Les abords du quai de Montebello commencent à être blindés. Ça presse contre les boîtes des bouquinistes, qui ont déserté les parapets à cette heure. La nuit tombe et ne restent que les flammes qui montent depuis le transept de la cathédrale Notre-Dame. En silence. L’incendie s’est déclaré à 18h50. Il faut s’éloigner un peu, se glisser jusqu’à la place Saint-Michel, pour trouver un peu d’espace. On ne voit pas grand-chose de toute façon. On ne se parle pas beaucoup. Dans la foule hétéroclite, des lueurs s’échappent des mains jointes de plusieurs voisins. Des bougies. Parfois même un chapelet, coincé entre leurs doigts. Il est 22h17, et les Parisiens,
résidents ou de passage, baissent pavillon. Les regards sont fixes, humides, et les joues rougies par les heures qui passent. « La tour nord va s’effondrer ». Il est 22h19, les prières qui jaillissent çà et là veulent y croire. À quoi, un miracle ? Personne ne sait, mais on y croit. Viendront, par intermittence, stupeur, tristesse et rage. Et puis l’incompréhension. Pourquoi Paris brûle-t-il toujours la nuit ? On en aurait presque oublié les images du Bataclan. Impossible de ne pas y songer maintenant. Il est 22h30 passées, Notre-Dame appartient à la nuit désormais. Peut-être lui a-t-elle
PARIS
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toujours appartenu en fin de compte. Les Parisiens qui fuient les endroits touristiques ne l’avoueront pas tous, mais la plaine qu’elle domine demeure l’un des cœurs battants de nos nuits. Je n’ai pas connu le Paris du grand Hugo, convoqué depuis l’incendie pour entamer la thérapie collective, l’« après 15-Avril ». Esmeralda, Quasimodo, Frollo ; les souvenirs de la culture populaire se bousculent dans les tribunes des journaux. Mis à part ses cloches qui résonnèrent le soir du 13-Novembre, personne n’évoque la cathédrale de nos nuits. Rien sur ces générations d’adolescents qui terminent leurs soirées face à ce géant de pierres. Rien sur ces millions d’inconnus qui s’y sont embrassés sur fond de soleil couchant, faisant – ironiquement – du monument l’un des plus sensuels de la “ville de l’amour”. Rien non plus sur les étudiants en galère qui, chaque soir, enchaînent les arpèges sur le pont au Double, qui jouxte l’église. En fouillant mon esprit, toutes les images qui me viennent de Notre-Dame ressemblent aux lampadaires de la place Jean-Paul II, à cette lumière jaune qui se brise contre la façade calcaire. Saint-Michel, Saint-Louis, Saint-Paul, Saint-Jacques… Les quartiers alentours, dignes de foi ne serait-ce que par leur nom, habitent tout un pan des nuits chéries de la capitale. Arrêtons-nous rue de la Huchette, venelle criblée de drapeaux de tous les continents et de menus en anglais, chinois et espagnol, qui clignotent à la nuit tombée. Tout du long exhale une odeur de lave-vitre, parfum têtu qui se mêle à celui des cornets de frites renversés sur le bas-côté. Depuis le square René Viniani – dont les parterres de glaïeuls sont piétinés avec régularité par les ados en Interrail – jusqu’à la rue de Bièvre, le voisinage n’a pas de visage familier. C’est le quartier des passants internationaux venus visiter NotreDame avec plus ou moins de catéchisme.
Chaque soir, c’est la même rengaine. La route, inerte, qui traverse l’île de la Cité, est parsemée de jeunes filles au cœur léger, s’époumonant sur des “classiques” des années 2000 à en réveiller les morts de l’Hôtel-Dieu. Certaines sortent des caves et des sous-sols de bars à thème qui forment une ceinture autour de l’église Saint-Séverin. La fête version teenager embellie de néons verts couplés à une paire de stroboscopes fatigués. Le videur ne demande jamais les pièces d’identité au Salsero Pub Latino, paraît-il. Les fossés sont parsemés de tessons jusque sur les quais. Au bord de l’eau, j’ai vu mon premier coma éthylique lors d’une soirée chaude de juin ; j’avais 15 ans. Je me souviens aussi des garçons à la virilité ostentatoire plantés les nuits d’été sur les berges de Seine pour gratter nonchalamment leur guitare jusqu’à des heures interdites. Au bout de la presqu’île, sous l’imposante bâtisse, je n’ai vu que des hommes : des hommes seuls, courbés, occupés à terminer une bière en canette, ou à en commencer une autre, dans une lumière à demi éteinte. Les joies innocentes qui explosent de l’autre côté de la Seine, le long de la place Louis-Aragon qui termine l’île Saint-Louis, sont un crève-cœur à regarder pour l’un de ces solitaires qui n’ont pas de nom. « Les jeunes, les jeunes » répète-t-il dans un souffle. Une croix sans âge repose sur son torse. Notre-Dame n’est jamais aussi belle que quand elle se fait oublier, protectrice de nos nuits, jusqu’à ce que le charme s’estompe aux premières lueurs du quotidien. Les quelques cafés de luxe offrant une “vue sur” embauchent aux heures des touristes. Autant dire qu’il est inutile de venir demander son café avant 9h. Port altier, un serveur du Aux Tours de Notre-Dame, sis à l’un des quatre angles de la place, éparpille les chaises de la terrasse dans un silence de cloître. Les gens qui passent ont leurs horaires, Notre-Dame, elle, reste.
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CLAIR OBSCUR, L’ÉDITO CINÉMA
CINÉMA
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PIERIG LERAY
Notre-Dame flambe, et l’idiot que je suis imaginais alors un soutien sans faille, et un élan populaire dénué de polémiques. Quelle naïveté juvénile et acnéique. Les anti-curés se réjouissent, les moralistes s’étouffent des donations du CAC 40, et les complotistes imaginent un fantôme macroniste dansant sur des ruines incandescentes. Rien ne vaut un drame national pour mieux contempler les dysfonctionnements moraux d’une société agonisante. Ou peut-être le cinéma, qui sait parfaitement les mettre en image. On pense directement aux frères Dardenne, et l’humilité d’un cinéma du réel porteur de messages forts. On se rappelle avec vigueur du superbe Deux jours, une nuit et de sa plongée dans la violence du marché du travail, on s’enthousiasme aujourd’hui du Jeune Ahmed (sortie le 22 mai, sélection officielle cannoise), croisade adolescente en Belgique. La dichotomie absurde de l’idéal religieux et son diktat de règles abusives, avec la prétendue liberté du sentimentalisme hormonal du collégien, cette guerre interne, ultra violente, au moment le plus fragile, à la genèse de sa personnalité. Just Charlie de Rabekah Fortune (sortie le 15 mai) aborde d’un autre regard un thème similaire, la crise identitaire. Un jeune footballeur, empoisonné par le désir égoïste d’un père invasif, voulant soigner son propre échec par la réussite de son fils, s’empêtre dans une vie qu’il n’a jamais voulue. On pense immédiatement au Girl de Lukas Dhont, et la cage que peut représenter un corps qui ne nous appartient plus, une peau, des poils, le dessin d’un visage qui n’est plus en adéquation avec l’essence même de son être. Déchirant moment de vérité, lorsque encore aujourd’hui, des transgenres se font agresser en bas de nos rues, dans la capitale prétendument égalitaire parisienne.
Au moment où Julian Assanges se fait choper à Londres après avoir bombardé la planète entière de ses vérités cachées (WikiLeaks), notre Macron national manigançait son leak à lui en laissant filtrer son discours pour mieux nous la fourrer. C’est un peu comme les cascades et les films costumés dans le cinéma français, il vaut mieux le laisser aux Anglo-Saxons, carrément plus doués en la matière. Autre terrain qui leur est cher, les biopics. On se souvient encore avec douleur des deux Saint Laurent, et avec plus de douceur de Bohemian Rhapsody dernièrement. Eh bien Dexter Fletcher remet le couvert avec Rocketman (sortie le 29 mai, hors compétition à Cannes) et l’histoire rocambolesque d’une des dernières rock stars encore en vie, Elton John. De la lose aux paillettes, c’est Taron Egerton (vu dans les Kingsman) qui enfile le justaucorps. Ça sonne déjà faux avec sa ribambelle de clichetons à Oscars, mais moi qui chiais sur Le grand bain avant de le voir, je retiens ma langue vipéreuse. Je ne dirais donc rien non plus du film de Nicolas Bedos (La belle époque, qui sortira en novembre). Et mon Dieu que j’ai envie d’être injuste ! En plein festival de Cannes, le mois de mai est archi-bandant. On compte bien entendu sur la sortie en parallèle de l’ouverture du festival de The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch (sortie le 14 mai, sélection officielle) pour redécouvrir Jarmusch dans un film de genre après les vampires de Only Lovers Lefft Alive. Voir Iggy Pop en zombie matraqué par Bill Murray, ça n’a pas de prix.
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CANNES 2019 T
PIERIG LERAY
CINÉMA
SOYONS OPTIMISTES ! On emmerde souvent Thierry Frémaux pour nous refourguer la nouvelle tendance du cinéma mondial, ce que représente, quoi qu’on en dise, une sélection officielle à Cannes. Il nous parle alors de politique, de romantisme, d’une vision populaire, de l’abandon du penchant historique pour se recentrer sur l’humain et la communauté. Mais plus surprenant, nous qui vivotons dans un marasme obscur (la planète est en
train de crever, juste pour dire), il lâche le mot « optimisme ». Il m’a fallu vérifier dans le Larousse. Si longtemps que je n’avais entendu un tel mot. Plutôt réconfortant. Au lieu de vous présenter les lose annoncées, je veux mon papier à l’image du festival de Cannes 2019, optimiste. Alors voici le top 5 des films les plus excitants balancés en sélection officielle.
1. Une vie cachée de Terrence Malick Après avoir conclu de toute beauté sa trilogie amoureuse avec Song to Song, Malick revient avec un film de guerre, après l’immense La Ligne rouge. Tiré d’une histoire vraie d’un héros méconnu de la Seconde Guerre mondiale, Malick mettra en scène forcément brillamment l’amour, la foi, la nature, et utilisera ce prétexte historique pour nous questionner sur le sens même de la vie, question à laquelle il nous a déjà livré une partie de réponse avec The Tree of Life en 2011 et sa Palme d’or. 2. Parasite de Bong Joon-Ho Après Okja et sa litanie végane ratée, Bong Joon-Ho revient à l’horreur après le génial The Host. Une horreur semble-t-il psychologique et perverse où une famille de friqués s’associe à une famille de chômeurs dans une critique sociétale horrifique et malaisante. Ultra excitant, avec une affiche bien flippante, et la certitude d’en sortir perturbé. 3. Le traître de Marco Bellocchio Enfin le retour d’un film de mafiosi à Cannes. On fantasme De Palma et Scorsese, on espère une violence réfléchie, une plongée viscérale dans la guerre sicilienne, et surtout une approche réaliste et coup de poing d’une autre histoire vraie, celle de la rencontre du chef de la mafia avec la justice italienne, devant Le traître.
4. Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles Après Aquarius, comment ne pas fantasmer sur le nouveau film de Filho. Et surtout lorsqu’il est annoncé comme un film de genre mêlant science-fiction, horreur, et western (hein ?), ce foutraque hors-du-temps verra un cinéaste être happé par les secrets d’un village qu’il étudiait pour un documentaire. 5. Sibyl de Justine Triet On a tellement aimé Victoria, bien plus qu’une comédie sur une quadra ratée… petit clin d’œil à Justine Triet que l’on n’attendait pas à ce niveau. Avec de nouveau Virgine Effira en tête de proue, ce drame psychologique verra une patiente envahir l’espace créatif d’une psychanalyste. Improbable, et donc forcément attirant. Rarement une sélection n’avait été si avenante sur ces dernières années, et je ne peux oublier de citer Ken Loach, Desplechin, Pedro Almodovar, ou encore mon ennemi d’une vie, le très prolifique Xavier Dolan, tous en sélection officielle. On n’oublie pas les sélections parallèles dont je n’ai à ce jour pas encore les noms (Acid, Semaine de la critique et la Quinzaine des réalisateurs), et la sélection Un certain regard avec notamment Christophe Honoré, le Jeanne de Bruno Dumont et le film d’animation de Zabou Breitman, Les hirondelles de Kaboul.
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MUSÉES ÉVEILLÉS,
CULTURE
© Paris Musées _ Pierre Antoine
La nuit, il y a ceux qui dorment et il y a ceux qui sortent. À la rédac’ du Nuit, on fait partie de ceux qui aiment arpenter les rues de Paris à l’heure où le soleil est bercé par Morphée. Sans surprise. On dit que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, mais on a toujours trouvé ce dicton infondé : chers amis, c’est à la nuit qu’appartiennent nos plus belles expériences de vie. La preuve avec ce rendez-vous du 18 mai, où les musées resteront éveillés.
CULTURE EFFRÉNÉE Quittez vos couettes et vos oreillers, on aura tout le temps de dormir quand on sera morts. En revanche, visiter des musées la nuit, et sans dépenser le moindre sou, ça n’arrive qu’une fois par an, et ça ne dure que quelques heures. Quand la culture se rend accessible pour tous, on crie « vive Paris ! ». Et vive ses musées aussi. Dans ce moment inédit au cœur de la nuit, ils nous ouvriront leurs portes gratuitement et nous pourrons déambuler dans des galeries où les œuvres veillent tardivement. Sous le coup de l’excitation et l’envie pressante de réitérer cette expérience (puisqu’il s’agira de la 15e édition), on a déjà plus ou moins tracé notre parcours : cette année, honneur à Paris Musées. Parce que la Ville de Paris compte 14 musées municipaux, on doit avouer qu’on n’a pas eu l’occasion de tous les visiter. Et ce malgré la gratuité de leurs collections permanentes. Paris, shame on me…
Mais on y remédiera, et on s’accordera quelques heures au musée Carnavalet, déménagé dans la Crypte archéologique de l’île de la Cité, qui rendra hommage à NotreDame ce soir-là. Charmés par la beauté des lectures poétiques de textes de Victor Hugo, puis emportés par le concert de Musique Sacrée, notre visite sonnera comme un arrêt dans le temps. Comme si la cathédrale n’avait jamais fait couler nos larmes. Puis on ira se consoler au Musée d’art moderne pour danser sur des DJ sets enflammés entre deux visites guidées, et on se remettra de nos émotions au musée Cognacq-Jay pour découvrir des œuvres du XVIIIe siècle. Pour clore cette escapade nocturne, notre âme éprise de poésie voudra nous mener au Petit Palais pour nous plonger dans le XIXe siècle et son énigmatique Boulevard du Crime, où le théâtre dramatique fascinait plus que tout. Une belle façon de se préparer à la grande expo de la fin du mois sur les Romantiques. On vous l’avait dit, l’avenir est à la culture ce que la culture est aux couche-tard.
STYLE
UKRAINIAN TOUR TEXTE
MANON MERRIEN-JOLY
Tous les mois, le Bonbon Nuit se mue en une Distyllerie, décomposant le style et les références esthétiques de ceux qui donnent le pouls du Paris d’aujourd’hui. Ce mois-ci et pour les trois à venir, le Bonbon s’octroie un tour de l’Europe de l’Est et se met à la recherche des designers qui imaginent ce que les Parisiens porteront demain. Direction l’Ukraine, à la découverte de ceux qui portent la création contemporaine, de Kiev à Odessa.
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Lorsqu’on tente de s’immiscer dans l’imaginaire de la mode est-européenne, la Russie s’érige en phare, Gosha Rubchinskiy en capitaine de navire. Et pourtant ! Le mois dernier, nous faisions un rapide saut en Géorgie pour échanger avec Beso Turazashvili, directeur artistique du collectif Berhasm (n°93). En mai, nous mettons le cap sur l’Ukraine pour mettre en lumière ce que certains surnomment la “génération Maïdan”, en référence à la révolution de février 2014, née d’un mouvement proeuropéen et théâtre de nombreuses émeutes réprimées par le gouvernement. Turazashvili a eu cette jolie formule, dont semblent s’inspirer les designers ukrainiens : “Toutes les plus belles choses arrivent en temps de crise, quand les temps sont durs.” “POOR BUT COOL”, ENTRE PATRIOTISME ET ENTRAIDE La première fois que le monde a véritablement entendu parler d’Anton Belinskiy, c’était en 2015 pour sa nomination au prix LVMH, sorte de starting-block de la mode qui a propulsé (entre autres) Simon Porte Jacquemus et Marine Serre. Il ne le remportera pas, mais comme ce sont aussi les perdants qui font l’histoire, la collection de Belinskiy, intitulée “poor but cool”, a fait parler d’elle et les médias se sont chargés du reste. Si l’appellation peut en laisser plus d’un songeurs, il s’agit de garder en tête que le salaire moyen en Ukraine ne dépasse pas les 270 €. Pas de quoi décourager le créateur de 28 ans à l’époque, qui avait shooté sa collection sur la place de l’Indépendance avant de distribuer ses sapes dans les orphelinats voisins. On est bien loin de la collection SDF de Galliano. De designer patriote mobilisant le drapeau jaune et bleu, Belinskiy se fait aujourd’hui chantre du bizarre sur son Instagram où une myriade de weirdos cohabitent affublés de combos chapeau pointu-robe en vinyle / costume de flic-masque d’animaux pour un maximum de malaise.
RETOURNER SA VESTE À l’heure où nous commémorons le sixième anniversaire du drame du Rana Plaza et où l’on connaît les conséquences sociales et environnementales de l’industrie de la mode, le processus de création est inversé : avec tous ces kilos de textile en trop (pas de summer body pour le secteur), les designers préfèrent créer à partir de la matière existante pour lui donner une seconde vie. Faut vivre avec son temps, comme on dit. Le couple derrière le label Ksenia Schnaider en est un exemple particulièrement pertinent. En lançant en mars dernier une collection en coton et polyester recyclé avec ISKO, géant du denim, ils s’inscrivent dans la lignée d’une vision responsable entamée dès sa création en 2011. Si leur nom vous dit quelque chose, c’est que le duo avait fait parler de lui avec son jean asymétrique, moitié slim et moitié flare, à l’allure folle, qui avait enflammé l’Internet, composé à 30 % de denim recyclé. Un chiffre qui va
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“ON SE PLAINT BEAUCOUP EN UKRAINE. MAIS SI NOUS VIVIONS EN EUROPE DE L’OUEST, PAR EXEMPLE, JE PENSE QUE JE N’ARRIVERAIS PLUS JAMAIS À CRÉER.”
croître dans les années à venir, si l’on en croit l’équipe de création, qui avait réussi la prouesse de réaliser un manteau façon fausse fourrure… en denim, là aussi. Triste gage de succès, le “demi-denim” imaginé par le duo avait inondé les rayons des enseignes de fast-fashion. Côté inspiration, l’heure est à la nostalgie, mais surtout pas contemplative : le souvenir de la révolution soviétique est toujours présent. Ksenia Schnaider évoque régulièrement le luxe que représentait à l’époque le fait de porter un jean, et la vision de sa mère empruntant l’unique paire que possédait son mari. Et étrangement, nous, Européens de l’Ouest, déplorant un monde aseptisé et une création homogénéisée, sommes friands de cette résurgence d’un passé que l’on n’a pas vécu. Anton Schnaider, qui se charge de la partie graphique, le soulignait lors d’un entretien pour i-D : « On se plaint beaucoup en Ukraine. Mais si nous vivions ailleurs en Europe de l’Ouest, par exemple, je pense que je n’arriverais plus jamais à créer. Tout est si ordonné. Il n’y a rien à arranger. ». Commercialisées à 300 $ la paire de jeans en moyenne, les pièces de Ksenia Schnaider demeurent cependant au stade de rêve pour bon nombre d’Ukrainiens. On n’échappe jamais à la répétition de l’histoire.
“UNE CHOSE EST SÛRE, LA RÉVOLUTION DE LA MODE UKRAINIENNE EST BEL EST BIEN EN MARCHE”
S’OUVRIR SUR LE MONDE Première Ukrainienne à étudier à la prestigieuse Central Saint Martins de Londres, Masha Reva va susciter la curiosité du milieu pour son pays natal. Et lui rendre hommage à 100 %. Avec Anton Belinskiy, ils montent le projet “Kids of Kiev” et peignent des motifs directement sur les physiques atypiques des jeunes locaux. Incarnation de l’effervescence et de la créativité ukrainienne, la créatrice à mini-frange possède un pedigree qui en dit long sur sa destinée : son père, sculpteur, et sa mère, qui a étudié le stylisme, sortent tous deux de la Saint-Petersbourg Art Academy. Des collaborations, Masha Reva en tient une liste longue comme le bras : avec Converse, sur une quarantaine de modèles commercialisés uniquement dans la capitale ukrainienne, avec Jacquemus, en tant que directrice artistique pour son livre Marseille Je t’aime, ode du Gadjo à la Cité Phocéenne. On citera également la robe qu’elle a réalisée pour le Rijksmuseum d’Amsterdam qui collaborait lui-même avec le site DIY Etsy. Ses propres créations se trouvent au carrefour de la mode et de l’illustration, véritables patchworks romantico-anarchistes faits de coupes nobles taillées dans des sacs plastiques et de déconstructions qui semblent renvoyer au tumulte de la révolution. Concrètement, le futur n’est pas le même pour Masha Reva, qui rêve de matériaux high-tech, que pour le duo Ksenia Schnaider, laborantin de l’éthique tandis qu’Anton Belinskiy fait des marges son territoire. Par contre, une chose est sûre, la révolution de la mode ukrainienne est bel est bien en marche.
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LA TOUR MET LES WATTS TEXTE
LISA BELKEBLA
Le 8 juin, on s’offre une virée festive et éco-responsable dans le 78, à l’occasion de la troisième édition du festival La Tour Met Les Watts…
Si vous aviez raté les deux grandes premières, on vous conseille de répondre présent lors de la troisième : faire la fête c’est cool, mais faire la fête avec le sentiment d’œuvrer positivement pour la planète, c’est mieux ! Et ça nous fait un bien fou. À l’heure où le soleil décide de ne (presque) plus dormir, on choisit de faire pareil et on entame l’été avec des veillées effrénées. Et, si possible, avec ce sentiment d’être déjà un peu en vacances ; ras-le-bol du train-train parisien, on veut du son, de la musique et des copains ! Ça tombe bien, début juin on fonce au festival La Tour Met Les Watts, du côté de la cour Decauville à Voisins-le-Bretonneux. Là, on se prend des étoiles dans les yeux, un grand bol d’air frais dans la figure et des coups de kicks précis dans les oreilles. On adore. Dans ce cadre unique où ruralité et ville nouvelle se côtoient, la musique retentit sur deux scènes aux ambiances singulières. On teufe alors tout près du caisson de droite de la cour de l’Espace Culturel Decauville,
puis on profite de la beauté du cadre naturel du jardin Eugène Fleuré. Et on nous glisse dans l’oreillette qu’une troisième se cachera dans les toilettes sèches… Uriner ne nous aura jamais autant fait raver ! En parlant rave, le festival nous invite à taper du pied dans une ambiance bass music des plus intrépides. Au programme ? Du reggae avec le légendaire groupe Sinsemilia ou les étoiles montantes de The Sunvizors, de l’électro à travers les performances électriques de M.o.k.o ou du célèbre Dubmatix, de la world music avec Watt the Fox et du rock aux allures de rap avec Shaps. Parmi tant d’autres. Mais à La Tour Met Les Watts, on n’y va pas que pour danser. Derrière le festival se cache la team MET’ASSOS, particulièrement active sur le plan écologique. Et nous, on soutient ce projet à fond. Mais lequel ? Celui de promouvoir un évènement qui prend en compte à la fois son environnement écologique, son territoire et sa population. Aux teufeurs la planète reconnaissante !
SOUS L’OEIL DE…
THOMAS GUICHARD @thomas.solal
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MARDI 7 MAI 22h Lieu inconnu 18 € TechNo_ChurCh 9.2 00h Badaboum 15 € Dure Vie prés. Mad Rey all night long VENDREDI 10 MAI 00h Glazart 13 € Boarding :VOL 1005 w/ Clouds… 00h La Rotonde 15 € La Tudobem w/ Casper Tielrooij… 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 11 MAI 23h Lieu Inconnu 18 € Vryche Basement VII 23h Les Caves Saint Sabin 10 € 756 Black Edition : Luc Ringeisen… 00h Petit Bain 12 € Kindergarten #11 JEUDI 16 MAI 00h Rex Club 10€ Deviant Discorama #4: Pional, Eva Peel… VENDREDI 17 MAI 17h Canal Barboteur Cielle Ouvert : Disco Canal ! 00h La Machine du Moulin Rouge 18 € Quartiers Rouges: Positive Education #4 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr
AGENDA
SAMEDI 18 MAI 18h Musée d’Art moderne Nuit européenne des Musées 2019 23h Le Trac 10 €
We Should Buy A Club #1 00h Le Klub 10 € Escape Velocity w/ Mara Lakour… JEUDI 23 MAI 00h Rex Club 12 € Cloakroom w/ La Fraicheur, Illnurse… VENDREDI 24 MAI 19h Le Kilowatt 60 € Festival Sur Les Pointes #11 23h A la folie Paris 10 € Red House w/ Gerd Janson… 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 25 MAI 23h Concrete 15 € Concrete: Shlømo, Pär Grindvik… 00h NF-34 11 € FORM w/ POPOF, Eats Everything… MERCREDI 29 MAI 23h La Bellevilloise 17 € Free your funk : GUTS all night long 00h Rex Club 12 € Rex Club prés. Purple Disco Machine… JEUDI 30 MAI 23h NF-34 10 € Jeudi Banco Opening: Blawan… VENDREDI 31 MAI 00h Rex Club 15 € La Hafla : Acid Arab, DJ Plead… 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr
H Entreprise RCS Nanterre 414842062
AFFICHE CRÉÉE PAR ROMAIN BOÉ X MAALAVIDAA
PHOTOGRAPHE ET DIGITAL ARTIST ÉMERGENTS
L’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . À C O N S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N .
Ricard SAS au capital de 54 000 000 euros - 4&6 rue Berthelot 13014 Marseille - 303 656 375 RCS Marseille
SWEDISH BY NATURE É L A B O R É E À PA R T I R D ’ E A U D E S O U R C E P U R E P U I S É E D I R E C T E M E N T E N S U È D E . D E P U I S 1 8 79. S U É D O I S P A R N A T U R E.
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.