Le Bonbon Nuit - 91

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Février 2019 - n° 91 - www.lebonbon.fr


DIAPHANA FILMS PRÉSENTE

JULIETTE BINOCHE

Celle que vous croyez UN FILM DE

SAFY NEBBOU FRANÇOIS CIVIL NICOLE GARCIA D’APRÈS LE ROMAN DE

CAMILLE LAURENS

le 27 février au cinéma


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Je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai passé une soirée aussi perfect. Il y avait bien longtemps que l’ambiance des fêtes parisiennes n’avait pas atteint un tel niveau de liberté, de simplicité et d’excellence en même temps. Un videur à l’entrée de la boîte vous fouille tranquillement, sans trop poser de questions, avant de vous laisser rentrer avec le sourire. Le vestiaire n’est pas blindé, à tel point qu’il y a trois personnes pour s’occuper de deux clampins. Je suis déjà dans un good mood alors que je n’ai même pas entendu les premières notes de musique. Ça peut vous paraître con, mais ne pas faire la queue en club, ça change tout. Tout était impec’. Au DJ qui nous offre une sélection au poil et en vinyl only. Au système son calibré au millimètre qui m’aura évité des acouphènes le lendemain sans m’enlever un gramme de plaisir. Aux déchets sociaux qui se pointent pour s’éclater la tête sans déranger personne. J’en ai savouré chaque instant, chaque danse, chaque errance, chaque verre, chaque découverte. Avant de me surprendre à sourire, même après qu’un zombie me percute. Après trois heures de valse interminable devant un caisson, mes genoux tremblent quand je quitte ce rêve. J’y ai pris quelques claques ; le lendemain, courbatures et mal de crâne me rappelleront qu’il n’y a pas de plus belle souffrance que celle d’un plaisir éphémère. Avant de sauter dans un Uber du “matin”, une phrase lancée à la volée résonne encore dans ma tête : « Bienvenue à Amsterdam ! » Ah. Fallait bien que ça foire à un moment… Lucas Javelle


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C O N F I S E U R R É D A C T E U R O F F I C E

E N

C O U V E R T U R E R É D A C T I O N

S R C R C H E F S

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S O C I A L

P R O J E T S

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C U LT U R E

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D É V E L O P P E U R B O N B O N

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Jacques de la Chaise Lucas Javelle Cora Payance Clément Tremblot Juliane Goustard Augustin Serres François Civil par Naïs Bessaih Alexandra Dumont Manon Merrien-Joly Pierig Leray Jacques Simonian Louis Haeffner Timothée Malbrunot Dulien Serriere Florian Yebga Gaëtan Gabriele William Baudouin Fanny Lebizay Antoine Kodio Nathalie Tric Benjamin Alazard Lionel Ponsin Caroline Deshayes Fallon Hassaïni Maxime Laigre 15, rue du Delta 75009 Paris 510 580 301 00040 Imprimé en France

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Bon Timing Les trois events à ne pas manquer François Civil, l’interview d’un chic type Norma la belle se met à poil Visite Nocturne Jacques Sirgent, vampirologue Modeselektor, curateurs d’une nouvelle génération Cinéma Tchitcha Les sorties du mois Pierig Leray Manifeste 011 La Distyllerie de Manon LeonxLeon, Artsite overbooké Paris la nuit vu par Thomas Guichard Le dernier mot de Canine

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① I’LL BE THERE FOR YOU Il doit son nom d’artiste à l’une de nos séries préférées. Ross From Friends (littéralement “Ross de la série Friends”) revient dans la capitale pour donner un de ses fameux lives. Synthés fous, boîtes à rythmes, guitare et basse… À mi-chemin entre l’analogique et le numérique, le Britannique vous balancera dans sa house lo-fi, sans filet de sécurité. Ross From Friends (live) @La Bellevilloise Jeudi 7 février ② ROMÂNIA, TE IUBESC Oui, à Paris, on l’aime notre Roumanie. Ses plages, sa culture, sa microhouse, sa minimale… Une chance que notre cher pays la mette à l’honneur en 2019 avec l’année France-Roumanie. Une occasion que saisissent l’Institut Français et Trax Magazine en organisant un nouveau format club dédié aux artistes roumains. Le tout accompagné d’une petite conférence en début de soirée. Club Trax : Ro Mania @La Rotonde Stalingrad Vendredi 15 février ③ OHÉ DU BATEAU ! Non, il ne s’agit pas d’une soirée dédiée à Henri Dès. Le CARGØ revient pour sa soirée éphémère à trois étages. Une fois de plus, le pauvre Concorde Atlantique va se faire ravager par une fête sans pareille : San Proper en all night long, un set disco de Route 8, la teuf à tous les coins de la péniche et de l’alcool coulant à flots. Comment vous dire… ça va saigner. San Proper / Route 8 @CARGØ Vendredi 22 février


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DĂŠsobĂŠissance Civil


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À l’affiche de Celle que vous croyez aux côtés de la grande Juliette Binoche, François Civil se taille petit à petit une carrière aussi hétéroclite que passionnante. On a pu le rencontrer dans la cave voûtée du Serpent à Plume par un après-midi mi-pluvieux mineigeux, une ambiance à la Blade Runner qui aura certainement influencé notre conversation, puisqu’on a principalement parlé cinéma et avenir de l’humanité.


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Le Bonbon Dans Celle que vous croyez, tu joues le rôles d’un jeune homme très connecté. Est-ce le cas dans la vraie vie ? François Civil Je le suis, oui. Il y a des aspects que je trouve géniaux, notamment le fait de ne pas avoir à passer par les médias pour parler aux gens qui suivent ton travail. Il y a un truc direct qui est super, mais après, le côté chronophage et addictif est... dangereux je crois. Il existe un risque pour la santé mentale je pense, avec une certaine aliénation due au côté trop autocentré que ça peut avoir. Du coup j’évite un peu tout ce qui est selfie etc. L.B.

Tu me disais que tu faisais de la photo, du coup Instagram doit être un outil intéressant pour toi ? F.C. Complètement. Pour le coup, Instagram est une plateforme que j’utilise assez peu pour la promotion, mais simplement pour poser des images, et si les gens y voient quelque chose de beau, ou de poétique, qu’ils s’y retrouvent, moi ça me suffit.

“les folies du genre les tweets de Trump, ça crée un malaise qui, je l’espère, va se réguler bientôt”

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L.B.

Cette grande ouverture sur le monde permise par Internet, ça te donne plutôt foi en l’humanité, ou ça te désespère, au contraire ? F.C. Mine de rien, Internet n’est pas si vieux que ça, et j’ai l’impression qu’on est en train d’explorer les limites du truc. Je pense que les choses vont se calmer naturellement, parce que les folies du genre les tweets de Trump, ça crée un malaise qui, je l’espère, va se réguler bientôt. L.B.

Est-ce que tu as envie d’utiliser ta notoriété pour faire passer des messages, pour t’engager pour certaines causes ? F.C. J’y pense mais c’est compliqué pour le moment. Pour parler de sujets de société ou de politique, j’estime qu’il faut s’y connaître, et me concernant, il faudrait déjà que je me trouve, que j’ai des avis tranchés, et même si c’est parfois le cas, je ne me sens pas prêt à être un porte-drapeau de quoi que ce soit. Après j’ai mes convictions, et j’essaye et je continuerai d’essayer de soutenir en filigrane certaines causes, oui. Ce qui me touche le plus en ce moment, c’est clairement tout ce qui touche à l’environnement, à notre rapport à la nature, à notre planète... L.B.

J’ai l’impression que cette année il se passe un peu un truc à ce niveau, non ? F.C. À la fin de l’année dernière et là, depuis début 2019, c’est un peu la période des rapports scientifiques et des tirages d’alarme, donc on s’en prend un peu dans tous les sens, ce qui est bien. Mais de plus en plus de gens se mobilisent sur des choses concrètes. Pour ma part, j’ai signé la tribune d’Aurélien Barrau dans le Monde, qui expliquait assez simplement que tout


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mouvement politique qui ne met pas l’écologie au centre de sa politique n’a pas lieu d’être. C’est une urgence absolue, c’est-à-dire que toutes les causes méritent d’être défendues, mais celle-ci défend la vie dans son essence, donc elle est une condition indispensable de toutes les autres. J’ai aussi partagé une vidéo qui appelait à porter plainte contre l’État qui ne respecte pas ses engagements sur l’écologie... Alors voilà, j’ai des potes qui m’ont dit « ouais il va rien se passer, pourquoi tu partages ça ? » mais en vrai moi ça ne me coûte rien, et au moins ça montre que les gens sont mobilisés, ça donne un élan en plus, et je pense qu’il faut les multiplier pour arriver à changer un peu quelque chose.

“À chaque nouveau film, je découvre une facette de mon métier, et c’est vrai que je n’avais pas spécialement fait attention à cela par le passé”

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Du coup, l’espèce humaine va-telle survivre, selon toi ? F.C. Ben en ce moment justement je suis vachement ces sujets-là. Aurélien Barrau notamment, mais aussi des gars comme Pablo Servigne, qui est collapsologue, et j’essaie de garder un maximum d’optimisme face à tout ça. Ils parlent des sujets de fond, de manière très crédible, et effectivement, c’est bouleversant. On est sûr aujourd’hui que des bouleversements vont intervenir dans les 20-30 prochaines années, et c’est quelque chose qui me travaille beaucoup, ouais. L.B.

Mais c’est fou que t’arrives à rester optimiste ! F.C. Oui mais ce n’est pas un optimisme fantaisiste. Je suis persuadé qu’une forme d’effondrement va arriver, mais par contre je ressens presque une forme de jubilation par rapport au fait que cette société complètement inégale et folle qu’on a créée va s’effondrer, je suis persuadé que l’espèce humaine va faire quelque chose de beau derrière... donc voilà, on verra (sourire). L.B. Dans Celle que vous croyez, toute la première moitié du film, tu n’es qu’une voix. Est-ce que tu la travailles ? F.C. En fait j’apprends des choses à chaque fois. À chaque nouveau film, je découvre une facette de mon métier, et c’est vrai que je n’avais pas spécialement fait attention à cela par le passé. J’essaie de trouver des façons de parler à mes personnages, mais la voix en tant que telle, le timbre, j’ai dû, là, y apporter un intérêt tout particulier. On les entend tomber amoureux, on est censé sentir la connivence, la complicité, on doit les entendre sourire... C’était hyper intéressant de bosser là-dessus.


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Tu partages l’affiche avec Juliette Binoche. C’était pas trop impressionnant ? F.C. Alors, il se trouve que j’avais tourné avec elle il y a 8-10 ans déjà. À l’époque je jouais son fils, et là je joue son amant... Ça devient très incestueux cette affaire. (rires) Mais oui, le temps de ces quelques jours de tournage déjà, j’avais pris un gros shot de présence et de talent. Observer une actrice comme elle à l’œuvre, c’est une vraie leçon, c’est grâce à elle que je me suis rendu compte que tout est ouvert dans la comédie, qu’il n’y a jamais qu’une seule façon de jouer une scène, qu’on peut explorer à l’infini. L.B. As-tu un acteur modèle ? F.C. En France, des gars comme Vincent Cassel, Romain Duris, ce sont des gars que j’ai envie de voir. Après à l’étranger, je suis assez fan de feu Philip Seymour Hoffman, parce que je ne sais pas comment il faisait, mais à chaque film de son extraordinaire filmographie, il est bouleversant. Je pense notamment à son rôle dans Magnolia, il n’a pas un rôle énorme, mais il est incroyable... ou dans le film de Sidney Lumet avec Ethan Hawk (7h58 ce samedi-là, ndlr), il a une scène en voiture où il craque complètement, il a une liberté émotionnelle que j’ai rarement vue... c’est sauvage. L.B.

Tu t’es révélé grâce à Dix pour cent, une excellente série française, ce qui est plutôt rare, à mon avis. Es-tu d’accord avec ça ? F.C. Je ne pourrais pas te dire, je n’ai pas vu la série. En fait pour le cinéma, je suis obligé de voir mes films, il y a les avant-premières etc., mais là pour Dix pour cent j’ai réussi à passer entre les gouttes (rires). Cela dit j’ai quand

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même plein de gens qui me parlent de bonnes séries françaises, Le Bureau des légendes, Engrenages, et puis j’ai mon très bon pote Igor Gotesman qui est en train de réaliser une série pour Netflix qui va s’appeler Family Business, donc je suis obligé d’y croire (sourire). L.B.

Que penses-tu de l’état du cinéma français actuel ? Etait-ce “mieux avant” ? À quand une nouvelle Nouvelle Vague ? F.C. Ma cinéphilie est assez moderne en fait. Concernant la Nouvelle Vague, je n’aime pas tout, mais je suis quand même assez fan de Truffaut. Je ne suis pas dans la nostalgie, en fait. La Nouvelle Vague a posé des bases dont on se sert, qu’on déforme, mais je pense qu’on a d’autres choses à raconter. Non, je pense qu’en ce moment il y a plein de très bons réalisateurs, de bons acteurs... c’est une bonne époque. L.B.

J’ai regardé Burn Out, un film d’action dans lequel tu es très convaincant. Y a-t-il un genre dans lequel tu es plus à l’aise ? F.C. C’est pas que je suis plus à l’aise, mais quand tu fais de la comédie, et que tu fais rire le plateau, tu te dis que t’es au bon endroit, tu vois que ça marche, alors que quand tu fais des drames, c’est un peu plus incertain. Mais en réalité, je trouve mon plaisir dans la diversité : dès que c’est nouveau, que c’est inconnu, que ça me fait peur même, c’est là que ça devient le plus intéressant pour moi. L.B.

C’était un rôle plutôt physique. T’as une routine sportive pour t’entretenir ? F.C. Escalade à fond. Je suis tombé amoureux de ce sport il y a deux ans, j’adore ça.


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Quel réalisateur te donne envie de te précipiter au cinéma pour voir son dernier film ? Jacques Audiard.

L.B. Quel type de fêtard es-tu ? F.C. Je suis celui qui évite la tequila, ça me rend fou cet alcool, et très vite on peut assister au “dark Francis” (rires). L.B. Tu sors où ? F.C. N’importe quel bar un peu cool, vers Belleville, où y’a du monde. Je ne suis pas très boites, je suis plus souvent chez les potes. House party comme on dit outre-Atlantique (sourire). Plus des gros dîners qui débordent et ça finit en teuf chez quelqu’un. J’adore les trajets à pied, et les cuisines, tu vois ce que je veux dire ?

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L.B. Ton remède contre la gueule de bois ? F.C. Un doliprane, un citrate de bétaïne, ce qui reste sur mon compte en banque de sushis et la trilogie du Seigneur des Anneaux. L.B. Ce serait quoi ton épitaphe ? F.C. YOLO. (rires) Celle que vous croyez, de Safy Nebbou Avec Juliette Binoche, François Civil Sortie le 27 février


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Promenade dominicale au Père Lachaise avec Jacques Sirgent, vampirologue


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“C’est Balzac qui a lancé la mode de se faire enterrer ici” C’est par un dimanche de janvier des plus classiques, équipée d’une ramasse devenue rituelle et de quelques potes pas plus frais que moi, que je fais la connaissance de Jacques Sirgent, présenté comme le premier vampirologue au monde. Il organise chaque semaine des visites ésotériques au cimetière du Père Lachaise : « 44 hectares, 70 000 tombes, le cimetière le plus visité au monde, le plus déglingué d’Europe ».


J A C Q U E S

S I R G E N T

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“Faut pas oublier que Descartes croyait en Dieu, donc y’a plus cartésien que Descartes...” Sirgent a en réserve cent fois plus d’histoires que tous les gardiens du cimetière réunis, qui oscillent entre sessions planque dans leurs minuscules guérites et rondes frénétiques en Kangoo blanche : « ils ont bien trop peur », dit Jacques. Il annonce d’emblée : « Je ne crois pas aux vampires. Je m’intéresse plus aux gens qui ne croient qu’à leurs croyances ». Effectivement, Jacques est un slasheur avant l’heure : cet universitaire spécialiste de la littérature anglo-saxonne, en plus d’être prof’ d’anglais, a signé la seule traduction intégrale du Dracula de Bram Stoker (chez Flammarion). « La divination, ça ne m’intéresse pas, le rapport qualité/prix c’est pas mon truc », lance Sirgent à l’adresse des tordus qui seraient venus glaner leur lot d’anecdotes sordides. Pour ça, nous vous rappelons que le Parisien (qu’il cite à plusieurs reprises) fait du très bon boulot. Il publie à un rythme effréné : quatorze ouvrages à son actif (bientôt quinze) qui se succèdent comme les épisodes d’une série mêlant vampires, créatures de l’ombre et lieux hantés de Paris. Et contrairement à ce que l’on serait tenté de penser, le personnage est aussi solaire que son monde est sombre : à l’entendre parler (très vite), animé par cette passion,

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debout, dans le froid, une main sur une pierre tombale, l’autre sur l’arbre qui la protège, on se demande si finalement ce ne sont pas ces livres et, par extension, tout un monde, qui le poursuivent. Élevé « à la dure, dans un collège catholique d’Irlande du Nord », Jacques répond à des questions qu’on n’a pas le temps de poser : pourquoi la rose rouge symbolise-t-elle l’amour ? Pourquoi les portes de certains tombeaux sont-elles vert de gris ? On apprend aussi pourquoi, au XVIIIe siècle, il fallait être bien sapé pour réussir et pourquoi le tombeau d’Allan Kardec est l’un des plus haïs. Il s’arrête de temps en temps, pianote sur son petit Wiko pour montrer des photos qu’il a prises la semaine dernière, nous parle de ses « enquêtes » en cours. Sans trop vous spoiler la visite, il faut savoir que le Père Lachaise est un quartier parisien (presque) comme un autre : l’immobilier aussi bat son plein. Entre les assos qui font office de syndic pour entretenir les tombes, ceux pour qui la mort est un business circulaire – « vous trouvez ça immoral de vendre des pierres tombales ? Si c’est pas pour faire des messes noires… » – et les collectionneurs comme Jacques, qui nous confie avoir eu un bon plan après la destruction d’un cimetière de Montpellier – « trois croix pour 800€ » –, les affaires vont bon train dans l’au-delà. Et de toute façon, dit-il à propos desdites pièces, « ici quand ça tombe, c’est poubelle. ». Il y a des rues qui portent des noms, des quartiers qui craignent, des baraques de riches, des coïncidences qui sont trop grosses pour l’être : quand vous vous baladez du côté de l’Allée de la Citerne, les familles Perier et Vittel ne sont pas bien loin, d’un autre côté madame Laporte est à côté de monsieur La Clé.


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Au détour d’une allée, il s’arrête, parfois, parce qu’il pense à un truc. Puis il se ravise. Souvent, il dit : « la classe » en mentionnant le vécu de certains des habitants. Il salue un type, au loin, qui se balade mains dans les poches et dont personne n’a la moindre idée de ce qu’il fait là. Il esquive les gardes ; d’un simple frottement de nuque avec sa main, l’alerte est donnée. « Mettez-vous en plein les yeux, tout va être vendu, plus personne ne paie le loyer », prévient-il d’un geste du menton. Et après la destruction des tombes, d’autres emménageront à leur tour.

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Le prochain livre de Jacques sort au mois de février et portera sur l’Inquisition. Le vampirologue continue ses visites hebdomadaires qui ne sont à coup sûr jamais les mêmes, et est ravi de vous filer des idées de films et de livres. Si c’est le musée des Vampires qui vous botte, il va falloir être patients : sa réouverture est prévue pour février 2020. Histoires de l’inquisition, Jacques Sirgent Optimal Editions, à paraître Visites les mercredis, samedis et dimanches Réservation : sous-les-pavés.com


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Norma se met à poil T E X T E P H O T O S

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Dans l’intimité de sa chambre à coucher, derrière une porte verrouillée, Norma livre ses secrets, ses pensées, ses tourments, sur l’amour, le couple, le désir. Autant de sujets tabous dans la pop music, surtout si c’est une femme, artiste, qui s’en empare. Female Jungle, son premier album, est l’expression d’une pulsion, animale, incontrôlable, hystérique. Un disque amer, charnel et utérin. La jeune Toulousaine chante la mâchoire serrée des problématiques féminines, comme ses idoles, Kate Bush, Tori Amos, U.S. Girls et Mitski. Des chanteuses qui mettent leur fougue au service d’une écriture saine, et semblent investies d’un rôle de pédagogue, produisant chacune à leur manière un manuel d’émancipation féminine.


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Juin 2016. Norma sort le morceau Girl In The City, qualifié hâtivement de « manifeste contre le harcèlement de rue ». L’artiste, 26 ans à l’époque, est tenue de s’exprimer sur la portée militante, féministe, de ses textes dans les médias. Un positionnement qui la met mal à l’aise. « Je ne suis pas éloquente et je ne me sens pas l’âme d’une porte-parole, le poing levé, parce que je suis, moi, pleine de conflits », justifie-t-elle. Norma a fait son apprentissage du féminisme, de la féminité, de son rapport au corps, à la sexualité, dans une période charnière pour les femmes, où la parole est décomplexée, où les schémas, autrefois intégrés (sur les rapports de pouvoir et de représentation entre hommes et femmes, notamment), volent en éclat. « Girl In The City avait un côté décalé qui n’a pas été saisi, regrettet-elle. Le propos était à la fois violent, et en même temps, très fille à papa. J’appelais mon père à l’aide parce que j’avais peur dans la rue. C’était contre l’image de femme forte, girl power, sur laquelle tout le monde insistait. Cette chanson témoignait déjà de ma dualité dans mon rapport au féminisme, à la féminité, un truc que je n’ai pas résolu. » En creux, l’angoisse de révéler qui elle est, de devoir se livrer, si le débat devait se recentrer sur sa personne, et plus seulement sur sa musique. Elle se méfie du caractère « trop » intime de ses textes. Caractère qu’elle n’avait pas anticipé, et dont elle prend toute la mesure aujourd’hui, avec le recul. « Sur le moment, je ne savais pas que je parlais de moi », confie celle qui ne répondait qu’à son instinct fictionnel et cédait volontiers au mimétisme, fantasmant son personnage de scène sous les traits de Marilyn Monroe née Norma Jean Baker, Norma Desmond (Sunset Boulevard) ou Norma Jennings (Twin Peaks). Sur son premier album, elle ne porte ni masque ni costume.

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Elle est Norma, un tant soit peu personnifiée sur le titre Norma Shaped Hole (Bang Like A Bong), quand elle menace sa rivale de se retrouver avec un trou en forme de “Norma” à la place du cœur, référence ultime au cinéma. « Dans Chantons sous la pluie, il y a une scène de chorégraphie où Gene Kelly traverse un mur en laissant son empreinte, sourit-elle. C’est une fille qui m’a fait ressentir de la jalousie, mais elle n’était qu’un miroir de moi-même, de ce que je n’aimais pas chez moi. »

Bombe à retardement À 28 ans, Norma a libéré la parole. Elle lâche tout de son parcours agité, entre prise de conscience et remise en question. « Je fais des régimes depuis que j’ai 13 ans, confie-t-elle. Me rapprocher de mes amies filles m’a aidé à être plus indulgente envers moi, si je ne suis pas épilée ou si j’ai de la cellulite par exemple. » Cet album est la photographie d’un moment, et témoigne d’un basculement dans sa vie de femme. Enregistré à l’été 2017, elle en a retenu la sortie, de peur de ne pas réussir à aller au bout de sa démarche de tout mettre sur la table.

“Je ne me sens pas l’âme d’une porte-parole, le poing levé, parce que je suis, moi, pleine de conflits”


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Sentiments refoulés. Non-dits. Paralysie. Étouffement. Son corps est une cage qu’elle s’est fabriquée. Elle finit par exploser. « J’ai envoyé valser tout ce que je pensais savoir sur l’amour, le couple et la fidélité, résume-t-elle. J’étais rongée par la culpabilité. Je viens d’une famille où les femmes, du côté de ma mère, sont très dignes, et ne laissent rien paraître quand ça ne va pas. C’est tempéré par le côté italien de mon père, très sanguin. » Cet album est son premier geste émancipateur. Norma parle de sexe sans chichis, chante ses pulsions charnelles, ses angoisses, ses excès, ose une chanson sur la masturbation féminine (Like It Like That), une autre sur les menstruations (Another Red Day). La très assumée Jessica Rabbit est un clin d’œil au Wuthering Heights de Kate Bush, qui chantait ces mots : « How could you leave me when I needed to possess you ? ». Ils ont résonné longtemps dans le quotidien de Norma. Elle a au moins vécu

des émotions aussi fortes. Elle rougit. « Jessica Rabbit parle d’une part de moi avec laquelle je ne suis pas du tout à l’aise… l’image de la femme tentatrice. On m’a dit que c’était un pouvoir maléfique, que j’étais une sorcière. J’en ai souffert, en particulier dans mon besoin de posséder l’autre. » Elle exorcise son vice dans le refrain (« Cause I’m bad and you should know by now ») et assume son côté mante religieuse, reptile. « Pour moi, c’est la chanson la plus noire de l’album. Pour posséder l’autre, je n’ai reculé devant rien. J’ai fait du mal à des gens que j’aimais à cause de mes pulsions. » Dans son EP Badlands (2016), qui décrivait déjà un passage à vide, elle reprochait à son mec de ne pas être Martin Sheen. Ici, elle lui envie son indépendance, et poursuit sa quête d’altérité. « Dans le couple, je me suis toujours sentie homme, dit-elle. J’ai un côté ours solitaire, alors qu’en tant que femme, je me dois d’être maternelle, tendre et dévouée. »


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C’est beau la folie ! Norma a appris à dire “fuck off”. Elle est féline sur la pochette de l’album : sa façon de ne plus s’excuser d’être qui elle est. « On blâme tellement les femmes, regrette-t-elle. La charge mentale est si forte que je me suis sentie devenir folle à certains moments. » Fait rare dans la pop. Norma décrit l’hystérie et la colère féminine dans Hysterical Wife. Les émotions excessives, déraisonnables, ne sont jamais perçues comme sexy quand c’est une femme qui les exprime. Ce n’est qu’une perception de genre, et l’expression d’une oppression invisible. « Je l’ai ressenti dans le couple, témoigne Norma. Je faisais des colères, des crises, qui restaient parfaitement incomprises, parce que c’était d’un coup ! Et je cassais des assiettes ! C’est jugé très sévèrement, mais il faut se mettre à la place des femmes. » Cette chanson est une correspondance adressée à son mari, Adrien (Ryder The Eagle) – dont elle ne tait pas l’identité. Une déclaration d’amour désespérée mais pas tragique. Elle a écrit les paroles en secret pour soigner ses doutes. « You’re the best thing I ever did see with my own eyes / The warmest skin I’ve touched with my greedy eyes / You know me too well and I hate myself so I can’t let you love me / Now it’s a pickle you bet ! I must think ahead / Not treat you like a pet or my daddy just yet / Should I free you from the spell ? / Let the princess burn in hell, forget about her », chante cette écorchée vive. « À cause des hormones, comme je ne prends pas la pilule, je suis en proie à mes humeurs et j’ai des périodes de profond désespoir, justifie-t-elle. Il ne comprenait pas ce déchirement en moi, il commençait à en souffrir, alors je me suis demandé s’il fallait que je parte, que je le libère. » La chanson n’a pas de refrain.

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Son histoire n’a pas de fin définitive, comme le laisse suggérer Alone Again, qui clôture l’album. « Ce n’est pas un album de rupture, dit-elle. Il parle de moi, plus qu’il ne parle de nous. Mes chansons sont davantage des monologues intérieurs. C’est moi face à mes conflits, mes difficultés à évoluer en tant que femme. » En tant que musicienne, Norma s’est aussi sentie injustement jugée, en particulier dans son rapport à la guitare, son instrument après le piano. « La guitare m’est un peu hostile, parce qu’elle est très connotée “homme”. J’en ai fait l’apprentissage de manière honteuse, dans ma chambre. Pendant la tournée de l’EP, j’étais complètement pétrifiée quand je faisais mes solos. Je me sentais illégitime, alors qu’au piano je suis hyper à l’aise, sans doute parce que c’est plus féminin. » C’est encore une perception de genre, ancrée dans l’inconscient collectif. Elle n’y est plus du tout perméable, et invoque le droit de jouer de la guitare de manière maladroite, sans culpabiliser de son pseudo manque de technique. Du reste, elle est patronne. Elle a produit son album, signé les arrangements et créé son propre label, Shortcuts (“raccourcis” en anglais), au nez et à la barbe de ceux qui auraient voulu l’obliger à chanter en français – marketing mal placé. Dans cet esprit frondeur, elle s’autorise aussi plus de choses musicalement, sans rien s’interdire : même pas un clin d’œil appuyé à TLC et Aaliyah sur (Don’t Look Down On A) Girl Like Me. « Cet album, c’est moi extra », assure Norma. Extra libre. Norma – Female Jungle Sortie le 15 février


Modeselektor, curateurs d’une nouvelle génération


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Ils ont plus de 25 ans de musique derrière eux. Passés par des phases différentes tout au long de leur carrière, comme leur duo Moderat avec Apparat ou leur label “éphémère” 50WEAPONS, Modeselektor reviennent en tant qu’eux-mêmes avec un titre fort, Who Else. Plus qu’un album, une leçon de musique électronique qui prouve qu’ils n’ont pas vieilli d’un cheveu. Et plutôt que de s’en vanter, ils préfèrent mettre en avant une nouvelle génération d’artistes comme Flohio ou Tommy Cash – loin de leurs précédentes collaborations avec Thom Yorke. Aujourd’hui devenus petits pères de la scène berlinoise, Sebastian Szary et Gernot Bronsert se dévoilent sur cette nouvelle réalisation, qu’on aura l’honneur de découvrir en live et en avant-première à l’Élysée Montmartre le 22 février, date de sortie de l’album. What else ?


M O D E S E L E K T O R

Le Bonbon Ça fait un moment qu’on attend un nouveau Modeselektor. Ça vous a pris du temps de faire cet album ? Modeselektor Quand on avait 24 ans, on allait simplement au studio enregistrer du son, et on était contents que quelqu’un soit assez fou pour le sortir. Plus on vieillit, plus on sort de morceaux et plus on réfléchit à ce que l’on fait. On a beau venir de la techno, notre mode de production est différent. Ça dépend beaucoup de la situation, comment on se sent, etc. On a commencé à penser à cet album il y a un an et demi – peut-être même deux – sans vraiment aller au studio avec un plan. On a dû refaire tout notre studio, choper du nouveau matos… On avait toujours une excuse pour ne pas bosser dessus. On a aussi changé d’enceintes studio, ce qui est complètement con quand tu es en pleine production. Ça change tout. À la fin, il ne nous restait plus qu’un bon mois pour finir l’album, de mi-septembre à mi-octobre [2018]. L.B.

Qu’est-ce qui change par rapport à Monkeytown, votre dernier en date ?

M Toutes nos collaborations ont été directement enregistrées dans notre studio. C’est quelque chose que l’on n’avait jamais fait – on utilisait toujours Internet pour s’envoyer de la musique. Cette fois-ci, on a essayé de trouver un terrain d’entente avec les artistes qui sont tous venus au studio. C’était vraiment une super expérience. Sauf qu’ils fumaient beaucoup trop de weed. Que ce soit Flohio ou Tommy Cash, on a rarement vu ça. L.B.

Un peu comme FJAAK, vos protégés.

M

Non. Personne ne fume comme

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FJAAK. Ce sont les rois, personne ne peut les battre. On a aussi passé une semaine avec eux au studio. On a enregistré près de dix morceaux, mais malheureusement sans en avoir fini un seul pour l’album. C’était fou. Tu n’as même pas besoin de fumer avec eux ; le simple fait d’être dans la pièce est suffisant. L.B.

Votre album est un savant mélange de techno, d’IDM, d’ambient et j’en passe. C’est obligatoire aujourd’hui de mélanger les genres ?

M En tant que Modeselektor, on a toujours fait ça. On ne peut pas vraiment appartenir à 100% à la techno parce qu’on n’est pas à 100% techno. On aime la musique électronique bien produite, peu importe si c’est lent ou rapide, ou le style. Si Justice fait un bon morceau, on l’apprécie. Si Barker sort douze minutes d’une même séquence sur Ostgut Ton (label du club Berghain de Berlin, ndlr), ça nous plaît aussi. Au final, notre champ d’action est assez large. Si on avait dû faire de la techno, on ne se serait pas sentis confiants. Ça ne nous représente pas. À Berlin, on est un peu dans une bulle. Paris a une communauté techno très forte qui n’existait pas vraiment il y a sept ou huit ans – maintenant il n’est question que de Concrete, votre Panorama Bar. Les couleurs ont disparu, tout le monde porte du noir… et tout ce sexe… On est tous pris dans cette tempête. L.B.

Si Paris est très techno, c’est quoi le son de Berlin ?

M Berlin n’a pas vraiment une identité sonore à proprement parler. C’est plus un mode de vie ; rester “éveillé” aussi longtemps que possible. Se donner corps et âme au club. Aujourd’hui, le cœur du public a entre 18 et 30 ans ; c’est la


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“Un jour, ça deviendra cool de ne pas avoir de smartphone. Un peu comme les gens qui achètent de la bouffe organique. ”

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génération smartphone, réseaux sociaux… Ils ont changé la façon dont les gens découvrent et ressentent la musique… Plus personne ne lit quoi que ce soit : ils ont leur téléphone. Le seul endroit où il est interdit, c’est dans les clubs. Donc tu ne peux pas texter tes potes constamment : « Oh, j’ai pris un taz », « Oh, j’ai rencontré quelqu’un et on va niquer dans les chiottes ». Tu te focalises juste sur la musique. Ça a toujours été comme ça. Tu ne peux pas “traduire” Berlin en musique. C’est très techno, bien sûr, mais c’est surtout un mode de vie spécial. L.B.

Vous pensez que cette politique du téléphone interdit devrait être présente partout dans le monde ?

M On pense qu’un jour, ça deviendra cool de ne pas avoir de smartphone. Ça a déjà commencé, c’est un peu comme les gens qui achètent de la bouffe organique.


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Les smartphones, c’est comme les clopes : c’est juste mauvais pour la santé. Beaucoup de jeunes que l’on rencontre sont atteints de maladies et problèmes psychologiques avec lesquels on n’est pas familiers. Parce qu’on est occupés tout le temps, on n’est pas dans ce délire. On est complètement immergés dans la musique électronique. Tommy Cash est un bon exemple. Quand il est venu, on aurait dit un gosse qui découvre le monde ; on lui a appris plein de trucs. Mais lui aussi nous a éclairés sur Internet et comment tout s’y passe aussi vite. Quand on a commencé, ça existait à peine – disons qu’on est de la génération MySpace. On a vu tout ça arriver, mais de loin. Pendant nos quatre semaines de studio, on s’est éloignés de tous les réseaux sociaux et d’Internet. Comme une cure de désintox’ digitale. L.B.

“C’est très important de développer une nouvelle génération. D’éviter que de nouveaux talents sombrent dans une piscine commerciale”

Comment vous en êtes arrivés à faire de la musique avec Tommy Cash ?

M On a regardé ses clips et ça nous a beaucoup amusés. On y a vu ses références à Chris Cunningham (vidéaste d’Aphex Twin, ndlr) notamment. On lui a écrit sur Instagram : « Hey, tu veux enregistrer de la musique bien cool ? » Il a répondu très vite. Il est venu à Berlin deux fois, on a enregistré quatre ou cinq morceaux mais on n’a gardé que celui qu’on a pu finir. L.B. Dans Monkeytown, les collaborations étaient tournées vers des artistes déjà confirmés comme Thom Yorke. 50WEAPONS, votre label éphémère, faisait principalement la promotion de nouveaux talents. Vous vous tournez de plus en plus vers les jeunes pousses du milieu ?


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M C’est très important de développer une nouvelle génération. D’éviter que de nouveaux talents sombrent dans une piscine commerciale où s’accumulent promoteurs, labels et artistes. Oui, il y a beaucoup d’argent en jeu, mais le produit fini n’est pas à la hauteur des artistes. On cherche d’abord les passionnés. Tommy Cash a réussi tout seul et c’est ce qui nous a plu. Il a tout fait lui-même, avec sa petite amie. Il a financé ses vidéos, les a tournées et a réussi à trouver des bénévoles. Il n’a reçu aucune véritable aide, aucun management. C’est ça qui est intéressant. Ce n’est pas un rappeur, c’est un artiste complètement passionné. Flohio est pareil. Aucun des deux n’a la grosse tête ; on ne pourrait pas travailler avec des gens comme ça de toute façon. On ne travaille pas avec quelqu’un parce qu’on sait que ça va vendre ou nous rapporter une résidence à Ibiza. Monkeytown était une autre époque. La relation que l’on avait avec Thom Yorke était purement musicale : on s’envoyait des sons, et si un truc pouvait se faire on le faisait. Après des années sur Moderat (du nom de leur trio avec Apparat, ndlr), il nous fallait un son à part pour bien faire la différence avec Modeselektor. L.B.

Tommy Cash à Tallinn, Flohio à Londres, FJAAK à Spandau… Et les jeunes talents parisiens ?

M À vrai dire, on a rencontré Simo Cell, mais il est plus dans une niche UK. Il ne représente pas vraiment le “son de Paris”. Bien évidemment, il y a notre cher Bambounou, mais sa musique n’est pas non plus “française”. Ils pourraient tous les deux vivre en Angleterre que personne ne ferait la différence. Récemment, on a écouté Berg Jaär, qui a sorti un EP sur Planet Rhythm. C’est de la techno, mais super fraîche. S’il est intelligent et

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que quelqu’un le prend sous son aile, il peut vraiment exploser. Le hic, c’est qu’on s’est d’abord approché d’une scène alternative quand on a fait de la musique avec TTC en 2004. Ce n’était pas la scène techno. Heureusement qu’il y a cette connexion “techno” forte entre Berlin et Paris. L.B.

Depuis la fin de 50WEAPONS, comment vous faites pour promouvoir cette nouvelle génération ?

M On a un “nouveau” label – qu’on avait en fait créé en 1994 – au nom imprononçable : Seilscheibenpfeiler. Il y a eu une réédition du premier disque qui était sorti à l’époque, et depuis ce ne sont presque que des nouveaux artistes : FJAAK, Nautiluss, Fadi Mohem… C’est comme ça qu’on continue à soutenir les jeunes talents et à leur donner chances et opportunités. Quand on a trouvé Bambounou, il avait 19 ans et vivait dans la maison de sa maman. Avec une seule enceinte pour faire de la musique… On l’a signé et il a réalisé son disque le plus célèbre sur notre label. L.B.

Vous devez vous sentir vieux…

M Justement, pas du tout. (Gernot parle en son nom, ndlr) J’ai deux fils de 11 et 6 ans. Ce matin, je les déposais à l’école quand le plus jeune m’a posé cette question sortie de nulle part : « Papa, pourquoi as-tu l’air si jeune ? » Parce que je me sens jeune ! On fait ça surtout parce qu’on ne veut pas grandir. On ne l’accepte pas. On ne veut pas travailler pour vivre, on fait tout ce bordel pour ne surtout pas rentrer dans le système. Modeselektor – Who Else Sortie le 22 février


P A R

P I E R I G

L E R A Y

Cinéma

La Favorite de Y. Lanthimos Sortie le 6 février 3/5 Après le fabuleux Mise à mort du cerf sacré, Lanthimos s’attaque au film de costumes dans la mondanité anglaise de la cour royale du XVIIIe siècle. C’est l’histoire de la petite sarkozyste avide de pouvoir qui tente de piquer la place de la malade reine Anne et ses déboires durant la guerre avec la France. Lanthimos continue son chemin de croix pour tenter le parallélisme forcé avec Kubrick (ici Barry Lindon, après Shining dans son dernier film). Loin de moi l’idée de comparer, mais l’on y retrouve dans la mise en scène du “kubrickisme” (why not) par la combinaison de tragique et de second degré qui envole, du reste, la banalité du sujet (la conquête de pouvoir) dans un monde étrange, intemporel, et malgré le foisonnement de pantalons bouffants, ultra moderne.

All inclusive de F. Onteniente Sortie le 13 février 3/5 Les plus gros “beaufs” de France sont de retour (Dubosc, Onteniente) dans une lourdeur devenue coutume, et une comédie potache à l’humour baveux et flatulencié, tentant de décomplexer la sexualité qui manque justement cruellement de pudeur. Dans l’esprit bien lointain des Bronzés première édition, les scènes de ménage s’enchainent dans une vacuité constante et harassante. C’est grossier et bizarrement désopilant. Pas de quoi en faire des caisses non plus, même si l’on se laisse entraîner à contrecourant de nos valeurs pour s’esclaffer soudainement. Patience étant mère de vertu, on donnera quand même une chance à ce Camping camouflé. Allez-y, la curiosité n’est pas qu’un vilain défaut.


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Tchitcha

Grâce à Dieu de F. Ozon Sortie le 20 février 4/5 À quand remonte le dernier bon film de Ozon ? Potiche il y a 9 ans ? J’ai pas mieux. On s’attend au pire lorsque le cinéma pédant d’Ozon s’attaque à la pédophilie dans l’église. Et pourtant, mené comme toujours par un impeccable Melvil Poupaud, Grâce à Dieu est un modèle de combat contre l’injustice silencieuse, celle qui est enracinée par le poids des non-dits, le poison de la peur et de la honte qui transforme la victime en une bête muette et amorphe. C’est aussi le reflet générationnel de la victoire du “non”, du refus catégorique et intransigeant de toute forme de violence humaine. Ozon a retrouvé de l’humilité, et la pudeur de sa caméra à filmer un combat qui mérite le plus grand résonnement en fait sa réussite.

Les Éternels de J. Zhangke Sortie le 27 février 2/5 Découvert en 2013 avec A Touch of Sin, Zhang-Ke s’étend à narrer une longue histoire d’amour entre une jeune femme candide et d’apparence naïvement idiote et un roi de la pègre de quartier de 2001 à 2018, par le prisme de l’évolution technologique du téléphone portable. Zhang-Ke nous parle d’amour à travers une relation sans sexe, sans tendresse, comme si l’amour était un devoir, une obligation éthique sans sentiments. L’angle est certes porteur, mais le résultat est glaçant : aucune émotion ne laisse transparaître à travers ces deux (très) longues heures. La mise en scène est certes brillante, calibrée à la virgule et baignée dans une bande-son tout aussi juste, mais l’ensemble accouche d’un film probablement trop propre. On ressort avec un goût âcre de fadeur bien moite au fond de la gorge. Glaçant comme un bon vieux mois de février à goutter du nez.


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Manifeste011 T E X T E P H O T O S

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Tous les mois, le Bonbon se mue en une “distyllerie” décomposant le style et les références esthétiques de ceux qui donnent le pouls du Paris d’aujourd’hui. Ce mois-ci, le concept store Manifeste011 célèbre ses 1 an avec à la clé une collaboration parisiano-marseillaise. À sa tête, Maud et Judith Pouzin, deux jumelles aussi pleines de fougue qu’engagées. Rencontre.


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Un pied dans la musique, l’autre dans la mode, Maud nous accueille vêtue de noir de pied en cap dans la boutique située rue Jean-Macé, dans le 11e arrondissement. La rue, elle, est recouverte d’un manteau de neige. Pour ceux qui auraient passé l’année précédente dans une crypte, Manifeste 011 est un shop pensé écolo du sol au plafond, proposant exclusivement des sapes véganes et cassant une bonne fois pour toutes la réputation babos du genre. En entrant, vous trouverez pièce par pièce tout ce que vous n’auriez jamais considéré comme végan. Du cuir (beaucoup), des pièces modernes et audacieuses. L.B. Salut Maud, vous fêtez les un an de Manifeste011 avec un label marseillais, Atelier Bartavelle. Tu peux nous en dire plus sur la genèse du projet ? M. Pour notre première collaboration, on a souhaité s’associer avec une marque française qui a un ADN engagé, des valeurs fortes qui se rapprochent des nôtres. Il en naît la robe Nemat qui s’adapte à toutes les morphologies : grâce à sa forme kimono, tu peux la mettre que tu fasses 70 ou 40 kilos. Une mode qui va à tous les types de femme, donc, et qui est le plus propre possible : fabriquée en France, dans des conditions strictes et clean – c’est pour ça qu’on s’est déplacées dans les ateliers. Je suis partie avec Jacob Khrist, photographe, qui s’est chargé de réaliser un reportage sur cette expérience. Par ailleurs, la robe est disponible en précommande, c’est-à-dire qu’on l’a sur le site mais on n’a pas voulu en produire à l’avance, pour n’avoir aucun surplus. Et une fois que les gens commandent, on les informe en temps réel à chaque étape de la production.

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L.B. Sur votre site, on peut lire de nouveaux mots un peu futuristes : transcouture, métagenre, datanature, ça correspond à quoi exactement ? M. Ce sont des mots qu’on a identifiés avec Judith quand on s’est lancées dans le projet. On voulait trouver des mots qui nous ressemblent sans placarder les mots “mode végane responsable”. Donc couture + trans ça fait référence à la transversalité, transsexualité et plus généralement à la convergence des luttes. On se bat pour une mode différente mais aussi contre toutes formes d’oppression, d’inégalité, on est très proches des combats antiracistes et anti-homophobes. Datanature est une référence à la fashion tech, qui permet de créer des choses absolument géniales : des matières moins polluantes, des machines qui permettent de désolidariser les fibres pour les recycler. La technologie, c’est pas forcément dystopique. L.B. Comme cette nana qui a créé une veste en peau à partir d’ADN humain, Tina Gorjanc. M. J’ai trouvé ça un peu flippant, moi. Par contre chez les véganes, il y a une société, Modern Meadow, qui développe du cuir de bêtes qui n’ont pas existé : ils produisent en laboratoire du cuir en extrayant les ADN d’animaux, donc il n’y a pas de souffrance animale, et tu peux créer la forme et la couleur que tu veux. Sur le même principe que celle qui développe l’ADN humain en fait. Mais il faut aussi réfléchir au fait qu’à partir du moment où tu crées, tu produis des déchets.


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L.B. Donc j’imagine que vous avez des marques qui font de l’upcycling ? M. Bien sûr. Fade Out, par exemple est un label berlinois dont on a rentré cette veste, avant le mouvement des Gilets jaunes (elle dégage du portant une veste cropped jaune fluo façon chantier, ndlr). Il y a aussi Super Marché, basée aux Grands Voisins, proche de Fashion Revolution (organisation internationale visant à promouvoir une mode plus responsable, ndlr). Il y a aussi Fantôme, qui fait des sacs à partir de chambres à air de vélo.

Au début, notre offre était très européenne, mais les choses sont en train de changer. D’autre part, on essaie d’approfondir le projet en organisant régulièrement des événements où on propose aux gens de rencontrer les marques : c’était le cas pour Façon Jacmin, Gaëlle Constantini et Fade Out. On est aussi intervenues dans des écoles, la Casa 93 notamment (une école de mode située à Saint-Ouen prônant la responsabilité environnementale et l’insertion sociale, ndlr), avec qui on va collaborer pour la Fashion Revolution en avril.

L.B. Votre boutique est la seule boutique de vêtements à la fois responsables et véganes à Paris. Après un an, quel bilan vous en tirez ? M. Depuis qu’on a ouvert, on s’est rendu compte qu’il y a de plus en plus de marques qui se créent en France.

L.B. Il y a aussi une visée éducative, donc. M. On a fait un choix, c’est de ne pas écrire en gros sur la façade “mode végane et responsable” : résultat, les gens qui viennent ici découvrent de nouveaux matériaux comme le chanvre, le cuir d’ananas, de pomme, des matériaux faits à partir de polymère de céréales...


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Finalement, depuis le début, on refuse d’être dans un discours culpabilisant. Moi je ne suis pas née végane, j’ai été très longtemps chez Zara et H&M, je ne me posais même pas la question, ça a été un chemin qui n’est pas non plus facile. À partir de ce moment, changer tes habitudes, c’est un effort que certains refusent de faire par manque de temps, d’argent... Même si shopper en fripe revient moins cher et que les vêtements sont souvent de meilleure qualité. L.B. Tu as longtemps été attachée de presse dans la musique, comment tu as glissé vers la mode ? M. Je continue encore un peu la musique, je fais moins de projets mais j’en fais encore. En ce moment je bosse sur Kompromat, le nouveau projet de Rebeka Warrior (Sexy Sushi) et Vitalic. J’ai eu envie de fonder un projet avec ma sœur, et faire quelque chose qui avait du sens. C’est pas que travailler dans la musique ça n’a pas de sens, mais ça faisait dix ans que je faisais ça et j’avais envie de faire un truc qui soit en accord avec mes valeurs politiques et proposer une alternative. Et parce que je n’arrivais pas à me fringuer, tout simplement. L.B. Tu peux nous parler un peu de l’événement du 7 février ? M. Pour célébrer cette collaboration,

on a aussi fait appel à l’application Clothparency, qui permet de mesurer l’impact social et environnemental des vêtements que l’on porte. On est en train de préparer un dispositif de réalité virtuelle : tu enfiles les lunettes, tu regardes la robe et tu comprends comment elle a été faite de façon interactive. Et puis évidemment, il y aura une teuf. Ça se passera à la Java où on a invité des artistes qui nous tiennent vraiment à cœur : Rebeka Warrior, Safia BahmedSchwartz, CLUB MEDiéval, Paul seul des Casual Gabberz, Moesha 13 et Fatma Wicca. L.B. La personnalité d’un autre temps qui fréquenterait Manifeste011 ? M. Matthäus Schwarz (un comptable allemand qui a écrit ce que l’on considère


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comme le premier livre de mode au monde, répertoriant les vêtements qu’il portait entre 1520 et 1560, ndlr).

mettre de la rustine à grands renforts de greenwashing du style « en 2045, je vais essayer de faire des efforts », non, il y a des solutions plus radicales à mettre en place. Je crois beaucoup au législatif, le fait de créer des lois qui fixent notamment la rémunération minimum des employés. Ça, ce sont des normes qui sont nécessaires au niveau mondial. Mais on avance petit à petit, je pense à la loi qui interdit de brûler les invendus. Mais il faut encore aller plus loin.

L.B. Comment tu vois le futur de la mode ? M. Je trouve déjà que beaucoup de choses ont évolué dans le secteur. Le fait que des créateurs de luxe s’intéressent aux nouvelles matières, que des grands groupes comme Kering investissent dans la recherche aide à provoquer cette impulsion ; c’est bien, il faut de l’argent pour changer les choses. Le fait que les technologies, en termes de nouvelles matières, se développent, tout comme le souhait des grandes maisons de proscrire la fourrure, est une avancée. En revanche, il y a un nouveau modèle à réinventer. On ne peut pas

— Manifeste 011 x Atelier Bartavelle 7 février de 19h à 22h 14, rue Jean-Macé – 11e


LeonxLeon,

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Artiste overbookĂŠ


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J A C Q U E S S I M O N I A N N A Ï S B E S S A I H

La vie fait parfois bien les choses. D’autres fois, ce sont les gens qui font bien les choses. LeonxLeon, dernier protégé de la pépinière Cracki Records, est de ceux-là. Même s’il arrive un peu en retard à notre rendez-vous, le DJ a développé au fil des années cette capacité à bien gérer son temps, accordant ce qu’il en faut à chacune de ses passions : la musique, l’escalade et la médecine. Un quotidien savamment huilé, dans lequel LeonxLeon se sent parfaitement à l’aise. Ce soir-là, il apparaît même heureux à l’idée de nous parler de son EP Rokambo, qui vient juste de sortir : une bouffée d’air frais qui emmène avec elle des sonorités empruntées au zouk ou à la house, qui puise son inspiration autant dans la musique de Todd Terje, Soichi Terada, que chez les producteurs d’italo disco.


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Le Bonbon Tu as d’abord commencé la musique au conservatoire, avec les percussions. Tu gardes une relation particulière avec elles ?

L.B.

LeonxLeon Complètement, je fais super attention au rythme de batterie dans mes morceaux. C’est très important dans la musique électronique que les percussions soient bien d’un point de vue composition et qualité du son. C’est ça qui fait danser les gens !

LxL Mon père me racontait que dans les années 70, il était rêveur quand il voyait les synthés américains. Mais à ce moment-là, ces machines coûtaient cher et lui n’était pas spécialement riche. Chaque mois, il suivait une revue qui s’appelait Elektor Formant, dans laquelle il y avait toujours quelques pages qui expliquaient comment construire son propre synthé. Il les a fidèlement suivies, et a fabriqué petit à petit le sien en allant chercher ses propres composants. Je n’étais pas au courant de ça et je ne l’ai appris que bien des années après que j’ai commencé la musique électronique. Du coup, quand je l’ai trouvé dans notre grenier, il m’a aidé à m’en servir et ça l’a bien amusé. Il l’a quand même remis au goût du jour, en rajoutant des fonctionnalités comme la compatibilité MIDI, ou d’autres options de synthèse analogique.

L.B.

Je crois savoir que tu incorpores dans chacun de tes sons un instrument bien unique : les quijadas…

LxL Oui, je me suis rendu compte que je les utilisais toujours (rires) ! Au moment des breaks, on peut mettre soit un coup de cymbale, soit d’autres trucs… Tout ça, ça remplit un peu la même fonction. Et à force de mettre partout cet effet, je me suis dit, mais c’est quoi ce truc ? En fait, les quijadas sont une mâchoire d’âne frottée avec un bâton. D’ailleurs, il y a pas mal d’instruments frottés comme ça, même dans le blues. Ça donne des sons intéressants. Ça rajoute de la texture. L.B.

Ton père travaillait comme ingénieur du son. Vous aviez une relation spéciale avec la musique, ensemble ?

LxL Pas tant que ça. Il était assez secret. J’ai découvert tard qu’il avait fait des démos, des essais de musique électronique. Il n’en parlait pas trop et ne m’encourageait pas spécialement quand j’en faisais.

L.B.

Il a pourtant construit un synthétiseur que tu as réutilisé dans ton EP. Tu peux me parler de ce Elektor Formant ?

C’était important de l’inclure dans ton disque ?

LxL Déjà, c’était gratos (rire) ! Puis surtout, je suis super fier que mon père ait fait ça. C’est trop cool d’avoir un synthé maison ! Je n’ai presque jamais vu ça. Puis logiquement, il produit un son assez unique, même si ce n’est “qu’un” son de synthé, ça reste assez stéréotypé. Vu que j’avais une histoire avec cette machine, j’avais vraiment une raison de me servir d’un synthé. Je l’ai utilisé dans Formant Sweep. Ce titre est construit autour d’un sweep (un balayage de toutes les fréquences audio, ndlr), technique que ce synthé fait particulièrement bien. Sans rentrer dans les détails techniques,


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“Je suis hyper libre, mais j’aimerais presque parfois qu’on me drive un peu plus.”

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je trouvais que c’était vraiment une bonne utilisation de cette machine. L.B.

En parallèle de l’aventure avec le collectif Les Yeux Oranges, tu as collaboré avec Red Laser Records, chez qui tu as même sorti un premier projet, My Solar Brass. Comment ça s’est fait avec ce label anglais ?

LxL Exactement. C’est vraiment eux qui ont tout lancé. À l’époque, même si ça faisait déjà une dizaine d’années que je faisais du son, je mettais mes démos sur un SoundCloud, dont je changeais d’ailleurs tout le temps le pseudonyme. Christian (Wood, le patron du label, ndlr) en a trouvé une qu’il aimait bien et m’a proposé de la sortir en vinyle. C’était un des plus beaux jours de ma vie (rire). Je m’y suis mis à fond, et petit à petit ça a très doucement pris de l’ampleur.


L E O N X L E O N

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Pourquoi tu as décidé de sortir ton EP chez Cracki et pas avec eux ?

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L.B.

Dans ton EP, on retrouve plein d’influences. Pourtant le résultat est très cohérent. Comment tu t’y prends ?

LxL Car ils m’apportaient d’autres choses. Par exemple, j’adore jouer en club, et Cracki m’amène plus de notoriété en France, où je peux potentiellement plus être booké. Aussi, je suis hyper libre chez eux, j’aimerais presque parfois qu’on me drive un peu plus (rire). Ça te fait gagner du temps et je n’en ai pas beaucoup, comme tu peux l’imaginer. Le fait d’avoir des objectifs précis t’aide à ne pas te disperser, à ne pas partir dans tous les sens.

LxL Ça fait plaisir d’entendre ça, c’était vraiment un de mes objectifs. En fait, je n’utilise pas tant de synthés différents. Ça va être les mêmes, mais qui vont faire des styles divers. Il y a donc déjà une certaine cohérence dans le matériel que j’utilise. Aussi, au fil de l’EP, on retrouve la même base, comme dans Horizon et Red Footpath.

L.B.

L.B.

J’ai lu que tu adorerais qu’on te demande quels sont les musiciens actuels qui t’inspirent. Tu parlais de Todd Terje.

LxL Oui, c’est vrai ! J’adore ce gars, son disque It’s Album Time (2014), aussi ses projets plus anciens comme Ragysh (2011). C’est vraiment ce qui se fait de mieux en termes de qualité de production et de construction d’un track. Il réussit à faire un truc super dancefloor, hyper intéressant à écouter, avec très peu, au final. Je n’arrive pas à faire ça. Je me sens un peu obligé parfois de mettre beaucoup d’instruments, de sons, dans mes morceaux. Peut-être par peur que les gens s’ennuient quand ils les écoutent. Mais lui arrive à faire en sorte que ça n’arrive pas, malgré le fait que ses productions soient vraiment dépouillées. J’adore aussi Jex Opolis. On s’inspire des mêmes choses, de l’italo disco, des débuts de la musique électronique au moment où les mecs étaient de vrais musiciens. Il n’y a aucun mépris dans ce que je dis, je ne me considère pas comme musicien !

La house domine quand même tes tracks.

LxL Oui complètement. J’ai repris le style de Soichi Terada. Pour la petite anecdote, je lui ai même envoyé un message pour lui demander comment il faisait ce son de basse. Une fois mon titre terminé, Donatien (l’un des fondateurs de Cracki, ndlr) m’a dit : « c’est vraiment du Soichi Terada ton affaire, tu ne veux pas le bidouiller un peu ? ». Alors j’ai repris le morceau en essayant des nouvelles choses, mais ça ne collait pas. Donc j’ai fini par renvoyer un mail à Soichi avec la version finale du track, pour avoir son avis. Il m’a répondu : « c’est ton morceau, il est super ! Fais-en ce que tu veux ! ». Ça m’a fait grave plaisir et le gars est adorable ! L.B.

À côté de la musique et de l’escalade, tu es médecin. Ce n’est pas trop compliqué d’allier ces deux styles de vie ?

LxL Ce n’est pas si incompatible que ça. Vu ma spécialité et le service dans lequel je travaille, on n’a pas de patients hospitalisés, donc on n’est jamais appelé la nuit pour des urgences. On bosse très


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rarement le week-end et quand c’est le cas, c’est prévisible à l’avance. Vu que les soirées en club se passent le vendredi et le samedi, ça ne va à aucun moment empiéter sur mon travail. Tout ce qui concerne la création, composition des morceaux, c’est vrai que je suis très flemmard et que je mets beaucoup de temps à m’y mettre, mais quand je suis lancé, je vais assez vite. L.B.

Je trouve que ta musique, à la différence de ton travail qui est lui très protocolaire, ne l’est pas du tout. Tu crois que cette façon d’appréhender ta musique est une conséquence de ton travail ?

LxL Tu as raison pour cette tendance ultra protocolaire, mais on dit quand même que c’est un art. Ce que j’aime dans la médecine, c’est justement tout ce côté en dehors du protocole. On peut aussi trouver son style dans ce domaine. C’est vrai qu’il y a des côtés où tu dois être ultra rigoureux. C’est pareil dans la musique de toute façon, avec le respect de l’harmonie par exemple. Finalement, tu as une bonne dose de liberté dans les deux, même si elle n’est pas la même. Tu dois apprendre à jouer avec cette marge. LeonxLeon – Rokambo Sortie le 18 janvier

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“Ce que j’aime dans la médecine, c’est justement tout ce côté en dehors du protocole. On peut aussi trouver son style dans ce domaine”


P H O T O S

T H O M A S

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@ T H O M A S . S O L A L

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Canine Le dernier mot Une voix bien acérée, des crocs et des mots tranchants… Canine, c’est le renouveau de la scène pop française, une aventure discrète à la conquête des cœurs, déjà acclamée par un premier EP éponyme en 2018. La suite de l’histoire ne nous est révélée qu’il y a peu, pour la sortie de l’album Dune, prévue le 22 février, en concert le 28 au Centre Pompidou. Pour le public, Canine est une énigme. Qui est-il/elle ? Une personne du nom de Magali nous donne le mot de la fin. Au vu de ses goûts, une chose est sûre : Canine, c’est toi, c’est moi, c’est eux. À l’apéro, vous buvez quoi ? Rosé, blanc, bière, Ricard. Bien frais et dans cet ordre. Le meilleur moment de la soirée, c’est quoi ? L’apéro, et plus précisément la première


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gorgée. Puis le premier rire, la première idée absurde, la première bouchée au restaurant, le premier verre qui suit le resto… Tous les débuts en fait. La musique parfaite pour finir sa soirée ? Canine, pas mieux. Les meilleures soirées, c’est où ? Dans les appart’ de mes amis ou après 2h du matin, derrières certains rideaux de fer de bars dont on connaît les patronnes. L’after, c’est important ? En été, c’est très important. L’hiver, c’est plus contraignant, mais ça peut compter quand même. Il est où l’after ? L’hiver en appartement, l’été n’importe où pourvu que ce soit dehors. Toits, parcs, terrasses… La drogue, c’est mal ? C’est mal si ça te fait du mal. Comme tout. Le sexe, c’est comment ? Ça n’est jamais mal et c’est souvent bien. Une bouffe de fin de party ? Je n’ai jamais faim quand je rentre, mon corps est déjà plein de choses en tout genre. Après une grosse teuf, c’est quoi le remède ? Une série au lit, la réhydratation, une ou deux siestes dans la journée et repartir vers un apéro pas trop tard. Un spot vraiment underground ? Certains toits à Paris. Un lopin de terre pour s’allonger dans l’herbe ? La nuit, il faut escalader. Le square de la Turlure dans le 18e peut être franchi par une

M O T

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grille sans pic. Le bois de Boulogne est une valeur sûre, à condition de vraiment savoir où aller. Un artiste sous les radars ? Le projet d’un artiste très confirmé qui se nomme Lebeau et dont on va bientôt entendre parler. Un lieu coupe-gorge à Paris ? N’importe quel lieu si on ne connaît pas Paris, passé une certaine heure. Une ville plus folle que Paris ? Tout dépend de ce qu’on y fait. J’aime beaucoup New York, mais Paris… Un bar pour se la coller sans complexe ? Le Condor. C’est dans le 9e arrondissement bien sûr. Un havre d’humanité dans un quartier bourgeois et peu fréquentable. Un endroit où danser pour la dernière fois ? Un salon pour danser nu en toute quiétude. Un souvenir du Paris d’antan ? Un fantasme plutôt : connaître la vraie époque des cabarets de Montmartre. Un truc à faire au moins une fois dans sa vie ? Plonger à 30 mètres, voir le Grand Canyon, vivre une histoire d’amitié avec un animal, observer les icebergs, chanter sur scène… Il y en a trop pour choisir. Un péché mignon ? Ne plus avoir d’argent sur son compte et aller se faire masser dans un endroit qui coûte cher. Une dernière volonté ? Ne pas mourir. Un dernier mot ? Je t’aime. T’es qui au fait ?


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JEUDI 7 FÉVRIER 20h La Bellevilloise 19€ Ross From Friends (live) 22h La Java 6€ JJ & Manifeste011 – 1 an 00h Rex Club 17€ Claptone VENDREDI 8 FÉVRIER 23h T7 30€ FKJ & Friends 00h Badaboum 15€ DJ Seinfeld 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 9 FÉVRIER 23h Les Caves Saint Sabin 15€ Nostromo Bone Collector 00h Concrete 15€ Lone B2B Special Request, Simo Cell… 00h La Machine du Moulin Rouge 13€ Rinse France a 5 ans DIMANCHE 10 FÉVRIER 16h Concrete Matcha’ : Seth Troxler, S3A (live) VENDREDI 15 FÉVRIER 23h YOYO – Palais de Tokyo 22€ DISCO DISCO 00h Rex Club 14€ RAW x EXIL w/ Etapp Kyle, Gijensu… 00h La Rotonde Stalingrad 15€ Club Trax : Ro Mania 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr

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SAMEDI 16 FÉVRIER 20h La Bellevilloise 13€ Kumquat w/ Pardonnez-nous, Vryche House 22h La Station 10€ Anticlub #4 – Magnificent Seven 00h Rex Club 14€ Bass Culture : Derrick May & D’Julz VENDREDI 22 FÉVRIER 23h CARGØ 16€ San Proper all night long 00h La Rotonde Stalingrad 6€ VERTV #12 w/ Armless Kid 00h Rex Club 14€ WE ARE RAVE 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 23 FÉVRIER 20h Petit Bain 10€ Dis’care • Tapage #2 23h Pavillon Cambon 30€ Chez Gustave : Jeremy Underground, D.KO 00h La Machine du Moulin Rouge 20€ RAW x Tapage Nocturne : IHM & Mézigue JEUDI 28 FÉVRIER 00h Rex Club 14€ He.She.They w/ Maya Janes Coles VENDREDI 1ER MARS 00h Nouveau Casino 15€ Paris Paradis : Romain Play x Grego G 00h Rex Club 14€ Max Cooper all night long 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr




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