Le Bonbon Nuit 68

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Octobre 2016 - n° 68 - www.lebonbon.fr


CRÉATION ORIGINALE


EDITO �

Dans le futur, le monde entier sera sous le joug d'une dictature de la fête. Dans le futur, tout le monde travaillera dans l’événementiel, toujours occupé à organiser des fêtes. Dans le futur, plus personne ne dormira. L’augmentation du prix des loyers a fait que le gouvernement a dû trouver une solution pour que les gens n’aient plus à rentrer dormir. D’ailleurs dans le futur, dormir sera interdit. Les gens seront obligés d’ingurgiter des gélules assez avancées technologiquement pour procurer à l’organisme tout ce dont il a besoin pour pallier une nuit de sommeil. Car c’est la nuit, durant les fêtes, que les hommes auront le loisir de consommer ce qu’ils fabriquent toute la journée. Alain Minc est d’accord : la teuf nous a sortis de la crise. Dans le futur, qui voudra dormir devra aller voir un marchand de sommeil illégal, un espace dans lequel des lits sont posés les uns à côté des autres dans des pièces insalubres, et sur lesquels les drogués du sommeil du futur iront vivre leur vie de débauche en ronflant comme des cochons. Dans le futur, l’absence de rêve crée l’absence de désir, et l’absence de créativité. Les gens n’écouteront que des "boum boum boum", et l’amour ne durera plus trois ans mais vingt-sept minutes en moyenne. Dans le futur, une seule ville résistera : La Motte Beuveron, et ses hôtels de débauche, dernier bastion où les gens dormiront pendant des heures et des heures, sans faire la fête, où ils mangeront des moules avant de dormir encore. Le rêve… Raphaël Breuil

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TEAM �

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RÉDACTEUR EN CHEF DIRECTEUR ARTISTIQUE CONCEPTION GRAPHIQUE COUVERTURE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION GRAPHISTES RÉDACTEURS

RESPONSABLE DIGITAL COMMUNITY MANAGER CHEFS DE PROJETS PARTENARIATS RÉGIE PUB DIRECTEUR DES VENTES CHEFS DE PUBLICITÉ PRINT SAS LE BONBON IMPRIMÉ EN FRANCE

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Jacques de la Chaise Raphaël Clément Breuil Tom Gordonovitch République Soko par Flavien Prioreau Louis Haeffner Coralie Bariot, Cécile Jaillard Cyrielle Balerdi, Arnaud Chaillou, Laura Dubé, Agathe Giraudeau, Rachel Thomas, Tiana Rafali-Clausse, Olivia Sorrel-Dejerine Antoine Viger Clément Villas Dulien Serriere, Florian Yebga Margaux Décatoire, Hugo Derien Thomas Bonnet, Carole Cerbu, Arnaud Laborey Hugo Delrieu Nicolas Portalier, Benjamin Haddad 12, rue Lamartine 75009 Paris Siret 510 580 301 00032 01 48 78 15 64


SOMMAIRE �

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À LA UNE Soko

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MUSIQUE Vincent Delerm

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CINÉMA Jérémie Elkaïm

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SOCIÉTÉ PariZ

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MUSIQUE Musique &Porno

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MUSIQUE Pixies

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LITTÉRATURE Watership Down

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BONBON_L148x210:MEP 25/07/16 10:49 Page1

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sept

30 oct

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5/7 rue de Fourcy 75004 Paris Téléphone: 01 44 78 75 00 Web: www.mep-fr.org M Pont-Marie ou Saint-Paul

Ouvert du mercredi au dimanche inclus, fermé lundi, mardi et jours fériés.

© Herb Ritts Foundation

HERB RITTS EN PLEINE LUMIÈRE

Exposition réalisée en collaboration avec la Fondazione Forma per la Fotografia, Milan et la Herb Ritts Foundation, Los Angeles En partenariat média avec


HOTSPOTS � ① DANSER JUSQU’À ÉPUISEMENT Un nouveau lieu pour un nouveau format ! Les mythiques soirées Mona emmenées par Nick V quittent l’antre de La Java pour celui de La Bellevilloise. Toujours sous le signe de la danse et du voguing, la Mona’s Palace s’agrandit pour encore plus de folie. Entre danses endiablées et line-up d’exception, la Mona’s Palace risque de mettre la barre très haut. Vendredi 8 octobre, à La Bellevilloise ② LA VIE EST DURE Après nous avoir fait danser les pieds dans le sable et la tête dans les nuages cet été, toute la clique Dure Vie revient avec la ferme intention de faire tourner les têtes et… les robes. Quoi de mieux qu’un set all night long des deux Allemands Max Graef et Glenn Astro en b2b avec un système son qui crache la mousseline ? Vendredi 14 octobre, au Djoon

© Flavien Prioreau

③ NAVIGUER SUR UNE MER AGITÉE Molécule revient à la Gaîté lyrique pour un show à 360°. Entre synthés, boîtes à rythmes et écran surplombant la salle, le bonhomme s’apprête à nous faire chavirer dans un océan de sons oscillant entre ambient et rave berlinoise. Une expérience totale et houleuse à ne manquer sous aucun prétexte, on vous aura prévenus. Jeudi 20 octobre, à la Gaîté lyrique ④ DÉCOUVRIR LES TALENTS Toute nouvelle résidence au Badaboum pour le jeune et talentueux Paul Cut. Sa house flirtant avec le jazz s’est illustrée chez Popcorn Recors, Ondulé Recording ou encore chez ses copains de D.KO Records. Son premier invité se nomme d’ailleurs Flabaire, figure phare du collectif. A ses côtés, le Californien Urulu pour une belle nuit d’octobre. Samedi 22 octobre, au Badaboum 5


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À LA UNE � T RAPHAËL BREUIL P FLAVIEN PRIOREAU

SOKO LE SYNDROME DE PETER PUNK

A l’affiche de La Danseuse, le premier film de Stéphanie Di Giusto dont vous n’avez pas fini d’entendre parler, Soko est en promo. Quand j’ai réussi à la choper, c’était juste après Drucker et juste avant un autre journaliste qui a probablement reçu les mêmes consignes que moi : ne parler que du film, ne pas lui parler de sa vie privée sous peine de heurter sa sensibilité. Difficile

lorsqu’on fait une interview. Alors on fait au mieux… On essaie par quelques pirouettes de saisir le paradoxe Soko, éternelle adolescente hyper active sur les réseaux sociaux bénéficiant néanmoins d’une grande maturité artistique, à la fois confiante et dans le doute permanent, toujours prise entre l’envie de rire et de pleurer. Ça passe ou ça casse… 7


« Je ne lis pas les critiques. Ma mère achète tous les magazines, elle découpe tout. Je suis sûre que quand j’aurai 80 ans je serai contente de lire tout ça mais pour l’instant, j’ai pas du tout envie.  »

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Tu vis où en ce moment ? Encore dans ta valise ? Ouais ! A fond dans ma valise ! Hier soir j’habitais à Bruxelles, ce soir j’habite à Paris, demain j’habite à Lyon. Je suis posée mais dans mon garde-meuble, c’est mon adresse fixe. Mais j’en ai marre là. J’ai eu 30 ans pendant le tournage de La Danseuse. J’ai passé huit mois en Europe, en Grèce, après je suis rentrée à Los Angeles et je me suis dit « je me pose, je me prends une maison et je bouge plus ». Et en fait j’ai bougé… (sourire) Juste je me dis que contrairement à mes frères et sœurs qui sont plus vieux, je n’ai pas d’enfants. Eux ils ont tous des vies stables, posées, c’est dur de te dire que tu as passé tout ce temps à ne faire que travailler. C’est comme dans le film, tu travailles trop et tu négliges ta vie personnelle. Tu es en train de te séparer de ton syndrome de Peter Pan ? Pas du tout. Je ne sais pas vivre autrement. C’est vraiment dur hein. J’essaie d’avoir envie, mais je n’y arrive pas. J’ai passé douze jours en quatre mois dans ma maison, donc je l’ai lâchée en août, ça sert à rien, ça coûte trop cher. Je n’ai aucune sécurité financière malgré ce qu’on peut penser. Je fais un film tous les quatre ans et avec la musique en fait je perds de l’argent. A chaque fois que je vais en tournée je perds entre 10 et 15 000€. Raconte-nous la genèse du film Avec Stéphanie (la réalisatrice) on se connaît depuis très longtemps, on s’est rencontrées sur le tournage d’A l’origine, où elle était photographe de plateau. Elle faisait plein de clips et de trucs que j’aimais beaucoup. Elle m’a dit qu’elle écrivait un truc pour moi, que c’était le rôle de ma vie ! Et franchement elle aurait pu me sortir n’importe quoi, j’ai dit oui avant de savoir quoi que ce soit. Et il se trouve que c’est l’histoire superbe d’une femme géniale (Loïe Fuller). Une danseuse de la Belle

Epoque, une pionnière qui a changé le cours de la danse. Et en plus de ça, c’est un destin de femme dingue qu’on ne connaît pas du tout. Quand elle dit "le rôle de ta vie", il y a un double sens, car ça ressemble un peu à ta vie non ? Oui et non, c’est une artiste qui se dévoue à sa passion, donc oui cet aspect me parle beaucoup, ainsi qu’à Stéphanie, parce qu’elle aussi s’est dépassée et a été jusqu’au bout de ses rêves pour faire son premier film. Elle découvre son art, et moi aussi. Je n’ai pas voulu être doublée, j’ai fait sept heures de danse par jour. J’ai accompagné Stéphanie pendant 6 ans, aux premiers rendez-vous avec les producteurs, j’ai participé à toutes les étapes de casting, j’ai été avec elle tout le temps. C’est aussi le film de sa vie. Elle m’a aussi suivie et s’inspirait vachement de moi, de comment je me comportais, comment je parlais à mes musiciens, comment je crachais partout, du fait que je ne boive pas d’alcool. Y'a plein de trucs à moi là-dedans. J’ai lu ça dans une interview un peu "fan club" que tu as peur de ne pas te réveiller le matin. C’est pour ça que le personnage que tu interprètes dort avec un pistolet sous l’oreiller ? Ah oui, c’est marrant que tu le vois comme ça ! J’attache beaucoup d’importance à mes rêves. Après ça n’a rien à voir avec le pistolet, mais peut-être… J’ai perdu mon père quand j’avais 5 ans (mort dans son sommeil, ndlr). Je pense que c’est de là que me vient mon envie de créer sans cesse. Et le film commence avec la mort du père. Je me suis rendu compte de ça y'a deux semaines seulement. Tu as lu les premières critiques ? Je ne lis pas les critiques. Pour moi le plaisir n’est pas du tout là-dedans. Ma mère achète tous les magazines, elle découpe tout. Elle veut absolument que je lise. Elle est trop 9


mignonne. Je suis sûre que quand j’aurai 80 ans je serai contente de lire tout ça mais pour l’instant, j’ai pas du tout envie. C’est très gênant. Je fais ça toute la journée, des interviews. Les gens pensent savoir comment je suis à travers la perception de quelqu’un que j’ai rencontré vingt minutes ou une heure mais c’est faux. On a la chance aujourd’hui d’avoir les réseaux sociaux, on peut donner notre vision des choses. J’ai aujourd’hui le droit d’exister MOI, pas seulement à travers des films et des critiques ou interviews. Comment tu l’as trouvée la petite LilyRose Depp ? Son rôle aussi est très ironique, la petite impertinente qui transpire le talent et le succès. Bah c’est ma copine, depuis plus longtemps que le tournage. Tu la mets devant la caméra elle explose. C’est un rôle sur-mesure sauf que ce n’est pas une méchante. Elle s’est prise au jeu d’être le poison du film. Elle est vraiment hyper mature, elle n’avait que 16 ans pendant le tournage. Elle est très ouverte, pour moi c’est la relève, la nouvelle génération hyper talentueuse. Tu te dis que c’est un peu injuste parce qu’ils font rien et ils ont déjà tout ! Ils ont déjà tout acquis, exactement comme Isadora, tu as l’impression que ça vient sans effort. Et c’est un peu vrai. Est-ce que comme Loïe Fuller, quelqu’un t’a déjà piqué une idée en te mettant folle de rage ? Oui… (Elle se met à pleurer). Pour te dire la vérité j’étais pas bien à cause de ça juste avant de venir. J’ai une amie qui est un peu plus jeune que moi, que j’ai complètement prise sous mon aile, je l’ai présentée à tout le monde. Elle a fait un film dans mon dos avec tous mes amis, avec les mêmes producteurs que moi, sans me dire. C’est très violent. Juste avant de venir j’ai vu une photo de mon ex-copine avec qui j’étais quand on faisait La Danseuse, qui était sur son tournage à elle. 10

On va changer de sujet… La musique c’en est où ? J’y suis déjà à fond ! J’ai passé tout le mois d’août à NYC pour enregistrer, écrire. J’étais chez un pote qui s’appelle Sean Lennon. J’ai squatté chez lui, j’ai joué de tous ses instruments et il m’a laissé enregistrer dans son studio, c’était super. Il va peut être co-produire avec moi. Ah tu produis ? Pourtant tu as bossé avec Ross Robinson (Korn, Limp Bizkit, Slipknot… et un album de Cure qui n’a pas marqué l’Histoire). Oui je produis tout le temps. Parfois il faut donner du crédit aux gens mais j’ai des idées tellement précises de ce que je veux que… Moi c’est plus pour le côté Cure que j’ai travaillé avec Ross, qui est un ami. Le neo metal, c’est tout ce que je déteste. Il a compris que je voulais faire un disque sensible avec un univers particulier. J’avais des envies de son punk, new wave, Cure est mon groupe préféré. Ross c’est devenu ma famille. J’ai vécu huit mois avec lui, à faire du yoga, prendre le petit-déj’ et faire de la musique. Ça va sonner comment ? J’ai envie que ça sonne comme le moment où t’es dans un lit avec la personne de qui tu es en train de tomber amoureux. Et tu te dis « ah je suis dans la merde ». C’est un album pour faire des câlins. Vachement plus shoegaze 90’s, dream pop, post punk. Très minimal, très simple. Plein de guitare avec plein de chorus. Un peu comme un rêve. J’espère. Slowdive c’est mon groupe préféré. Souvlaki c’est mon album préféré du monde entier. C’est l’album avec lequel je m’endors. Soko dans La Danseuse Wild Bunch Réalisé par Stéphanie Di Giusto En salles actuellement


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PLAYLIST � P CAUBOYZ

LA DISCOLIST DE VINCENT DELERM

Vous pensiez que le plus dépressif et réaliste des chanteurs français ne savait pas danser. Détrompez-vous. Pour la sortie de son 6e album studio, on lui a téléphoné et on lui 12

a demandé de nous faire danser. Voici la compil qu'il nous a envoyée. Ça déboite. Nouvel album A présent Sortie le 7 octobre chez Tôt ou Tard


Metronomy A Thing For Me Affection pour ce genre de danse lente, où tout le monde fait un peu de sur place en tentant d'inventer des figures ultra sensuelles avec les mains. Tame Impala Let It Happen Titre permettant aux gens ayant dansé à bloc sur Marcia Baïla deux minutes auparavant de prouver qu'ils sont malgré tout en phase avec des groupes apparus récemment. Dominique A Le courage des oiseaux Souvenir d'un après-concert à Genève avec un Dj qui passait uniquement des titres français à priori pas très dansables, et finalement tout le monde dansait. Adam Green Friends Of Mine Des fois on peut danser tout seul chez soi. Dexy's midnight runner Come On Eileen Chanson offrant la possibilité de se diriger vers une personne inconnue, de lui choper les deux mains et de tournicoter avec elle en faisant des bonds d'une manière qui rappelle assez clairement la deuxième année de maternelle. Little things We'll Make It Right C'est le genre de titre qui passe dans le garage chez Gabrielle pour son anniversaire et j'aime bien Gabrielle.

Cindy Lauper Girls Just Wanna Have Fun Grand souvenir d'un soir à Valladolid au Mexique il y a dix ans, une rue perdue, la nuit noire, aucune musique entendue depuis deux semaines et au fond d'un café sur une télé minable : MTV diffusant Girls Just Wanna Have Fun. Danse de folie dans la tête. Outkast Hey Ya Il faut vraiment un commentaire pour chaque titre ? Madness Night Boat To Cairo Parce qu'on peut vraiment danser n'importe comment là-dessus, à la manière de Suggs, le leader du groupe, qui se met en général une serviette éponge sur la tête dès l'introduction de la chanson. Mathieu Boogaerts Jambe Pour l'ensemble de l'œuvre groovy de l'ami Mathieu (en interview dans le prochain numéro du Bonbon Nuit) Abba Dancing Queen Avec beaucoup de reverb et trop d'aigus, pour faire comme si on était à la patinoire. The Jackson Five I Want You Back Parce que mon fils de six ans danse mieux que moi, et que c'est sur cette chanson que cela m'apparaît très clairement…

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CINÉMA � T PIERIG LERAY P YANN CARADEC

JÉRÉMIE ELKAÏM • LOSEUR NOCTAMBULE

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Après Cannes, me voilà dans le très intimiste festival du film de Locarno, isolé au bord du lac Majeur en Suisse italienne. Le bronzage flambe, les lunettes de soleil cachent le Spritz de trop, et me voilà esseulé dans un bar rustique du casino de la ville. Devant moi débarque un jeune quadra un peu paumé, d’une ivresse de sortie de table mesurée, un Perrier tranche en main, Jérémie Elkaïm. La guerre est déclarée, Main dans la main, ses films avec son "ex-futur-qui sait ?" femme et réalisatrice Valérie Donzelli, montrent à l’écran un personnage proche de sa propre réalité, lui qui se définit comme dénué de premier degré. Il est là aujourd’hui pour parler de Dans la forêt, film de Gilles Marchand qui sortira en salles le 15 février 2017. Navigation à vue dans cet entretien hors du temps, où Jérémie Elkaïm peut passer d’un discours sur Daesh à la texture de sa veste APC. Tout un programme. Tu représentes pour moi le quadra loser, en galère, marrant mais complètement à l’ouest, avec une vision de l’amour rétrograde. Tu m’en veux pas trop ? J’adore l’idée du quadra loser, ça me plaît, elle me tranquillise. C’est Woody Allen qui disait, « l’existence est une tartine de merde mais on en veut toujours plus ». Moi c’est ma conception de l’existence, beaucoup de tristesse, de drame, mais on ne veut jamais que ça s’arrête. Je me vois comme un loser car c’est tranquillisant. La réussite serait un sacrilège. J’ai toujours œuvré pour écarter ce qui me ferait réussir. Au-delà de l’antihéros régressif américain, il y a quelque chose de plus profond. Daesh nous autorise à être des losers, à vivre merveilleusement bien le présent, ce verre au bar en plus qu’on s’interdisait de boire. Tu es toujours sur une ligne sinueuse et étroite entre folie, pédagogie, retenue, 16

un combat intérieur, un jeu d’équilibriste intéressant. C’est tout comme moi, je ne me définis pas, je suis paumé. Je suis en admiration devant Vincent Macaigne et Louis Garrel, que je vois être des poissons dans l’eau, sans problème de légitimité, et j’ai une admiration pour eux, pour leur sociabilité, et leur force à transformer leur névrose en rire, faire de l’autodérision. Moi je suis bordélique, torturé, j’aime le premier degré, je suis à l’ouest, un prototype qui suis incapable de parler de moi. J’adore Adam Driver par exemple, très premier degré, il remplit l’espace, il a juste l’excès qu’il faut, ce n’est pas un malin. Adam Driver me ressemble plus dans ce film que le lien avec Nicholson et Shining. Paumé comme tous les personnages de Jeff Nichols, parallèle plus qu’évident non ? En tout cas je le prends comme un vrai compliment. Après je ne sais pas s'il y a un véritable lien. Mais plus que de la nostalgie, on retrouve surtout de la mélancolie. On ne s’est pas torturé à faire un personnage psychologique, mais un homme simple, habité par des démons. Et comme les pères d’aujourd’hui, il a besoin d’être éduqué par ses enfants. Il est persuadé que son fils a un sixième sens, une capacité miraculeuse de le libérer. Un personnage fou et dangereux, si tu décides de le jouer, tu es pathétique et tu finis en force comme un téléfilm. Et moi j’ai joué un mec qui veut que ça se passe bien, avec un désir de transmission à son enfant. Le monde de la nuit a une part importante dans ce film, l’insomnie, le sommeil impossible, quelle est ta relation avec lui ? J’ai une immense affection pour tout ce qui se passe la nuit. J’ai l’impression qu’il y a une égalisation des classes sociales, et ça me


« Au-delà de l’antihéros régressif américain, il y a quelque chose de plus profond. Daesh nous autorise à être des losers, à vivre merveilleusement bien le présent, ce verre au bar en plus qu’on s’interdisait de boire.  »

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touche. On peut réinventer son identité, et tout peut se jouer. Il y a encore, je crois, une possibilité de transgression. On peut encore être là où on ne pourrait être de jour. Et cette idée d’égalisation est bouleversante. Moimême je suis un insomniaque complet. Pour le combattre, je me mets parfois dans une hygiène de vie drastique, au lit à une heure régulière, disons 22h. Ou alors, c’est tout l’inverse, je passe mes nuits dehors, à rencontrer, éprouver. Et d’ailleurs, comment te comportes-tu la nuit ? J’ai beaucoup regardé la nuit. J’observe, ivre, dans un coin. Il n’y a rien de plus triste qu’une boite de nuit de jour. Ça sent mauvais, c’est sale. Une fois que ça s’habite, ça se chauffe, les enjeux commencent, des destinées brisées ou à l’inverse, qui s’envolent, des stars qui naissent. Et c’est transgressif. Mais il y a aussi une immense tristesse la nuit, une tristesse qui me touche beaucoup. La nuit me donne envie de pleurer. L’alcool, la danse, la perdition, tout est autorisé. C’est un royaume où tout se joue, les gens se mettent en scène, jouent des rôles et ça m’intéresse. C’est le lieu des gens cachés.

la musique de variété, j’aime danser dessus, mais j’aime aussi les gens qui pleurent la nuit. L’alcool mauvais, l’agressivité, la tristesse. J’aime voir et vivre tout ça. Pendant très longtemps, je restais très tard, jusqu’au bout. Tu sais comme c’est méprisé de rester le dernier dans une fête. Moi je trouve ça génial.

« J’ai beaucoup regardé la nuit. J’observe, ivre, dans un coin.  »

Mais n’est-elle pas non plus le synonyme le plus violent d’une vie superficielle, un brin pathétique ? La nuit est vue comme superficielle et légère, moi je veux y mettre de la grandeur. J’adore

Parle-moi de ce nouveau rapport à la nature, cette nature transcendantale et immuable, piégeuse, et surtout innocente. On la découvre durant ce film, et on sent bien que toi aussi. Car on imagine bien que le Jérémie Elkaïm en pantalon à pinces était un peu paumé ? Gilles définissait mot pour mot la nature ainsi. On se baladait en Suède et il nous disait bien qu’elle n’avait pas besoin de nous, et j’ai trouvé ça magnifique. Mais bien sûr qu’au départ, ça fait marrer de voir Elkaïm et sa veste APC paumé au milieu d’une forêt. Moi je suis un urbain, je n’avais jamais mis les pieds dans une nature aussi sauvage, j’étais angoissé, inquiet, mais je me suis laissé envahir et ça m’a dépassé. Je ne ressors pas indemne de cette expérience.

Tu portes en tout cas très bien les Quechua. Rire final. Dans la Forêt Réalisé par Gilles Marchand Sortie le 15 février 2017 19


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MÉTIER DE NUIT � T AURORE KAEPPELIN

OSCAR, LE

DE

M E C

PETIT

BANGALORE 21


Ou le biz des briquets moches et des objets lumineux inutiles avec les gens bourrés J’ai voulu l’appeler Oscar. Dès que je l’ai vu. Il avait un port de tête audacieux, comme la statue dorée qu’on a donnée à Marion Cotillard pour son rôle dans La Môme. Oscar bosse la nuit, il est souvent vers Pigalle, ça lui arrive parfois de choisir la ligne 4 et Strasbourg Saint-Denis, mais vous aurez plus de chances de le rencontrer dans le haut du neuvième, vers "So-Pi" comme certains disent ( j’aimerais revenir le temps de 196 signes sur cette appellation. Pourrait-on proposer à l’Assemblée un projet de loi visant à interdire toute utilisation, reproduction et diffusion de ce terme ? Merci). Il porte un petit sac à dos ainsi qu’une poche plastique monoprix, le grand format payant qui pend devant les caisses. Dans ce sac assez costaud, son trésor, son gagnepain, ses outils de travail. Il est copieusement rempli de choses extraordinaires, inventives et totalement inutiles : des briquets en forme de fausses gaufrettes, des petits bonhommes en plastique qu’on aime balancer sur les murs de son appartement pour les voir dégringoler en petits déhanchés, comme s’ils faisaient de l’escalade à l’envers en dansant la lambada. Il y a aussi des objets un peu plus rocambolesques comme le poisson qui gigote en chantant Gangnam Style comme s’il était défoncé au Soju. Il y a même une reconstitution très mal faite d’environnement amazonien avec un ara multicolore au plumage négligé. Oscar a tout ça dans son cabas Monop' et tous les soirs, il saute de terrasse en terrasse avec un gros sourire pour vendre ces frivolités que seuls des gens ivres, légers et insouciants peuvent acheter.

Je l’ai vu pour la première fois au Mansart. J’étais déjà un peu ivre et légère et le poisson défoncé m’a fait de l’œil. Oscar a immédiatement remarqué le rictus sur mes babines intéressées et m’a présenté Poisson. J’ai su que j’allais devenir mère d’un vertébré orange et bourré. Mes échanges avec Oscar ont vite été monétaires. Je voulais acquérir la chose avec les deux pièces de un euro dans ma poche. Le négoce a été subitement interrompu par des amis de comptoir aussi ivres et légers que moi, qui ont soudain mis une option sur Poisson. Alors que j’avais eu la politesse de saluer Oscar avant tout échange financier, les débiles du comptoir se sont juste précipités sur le sac Monop' à la recherche d’un autre Poisson. Oscar

« Forcément il avait de lumineux, ça attire les m

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était transparent. Pas une seule fois les pupilles des débiles ne se sont arrêtées sur lui. L’ivresse n’empêche pas les égards. J’ai mis un billet de cinq sur le comptoir et ai pris Poisson. J’ai demandé à Oscar s’il avait fait de bonnes recettes ce soir, et quel était son chiffre d’affaires nocturne mais un cortège de voix criardes avait déjà accaparé Oscar. Forcément il avait des serre-têtes roses et lumineux, ça attire les mineures écervelées. Leurs pupilles ont réagi de la même manière que celles des aveugles du comptoir. Il était 22 heures, j’allais suivre Oscar dans ses sauts de terrasses et de bars. On est allé un peu plus à l’Est à quelques pas. Chez le cousin du Mansart, au Sans Souci.


Il y avait encore plus de monde et il est complexe de trouver un passage entre les gens extravertis qui font des mouvements absurdes avec leur bras et ceux qui ont perdu leur téléphone et se mettent par terre à chercher comme des terriers allemands. Ça laisse peu de place à Oscar toutes ces personnes qui œuvrent à se divertir. A un moment donné, une meuf me bouscule et par effet de dominos, Oscar fait tomber son baluchon et tous ses amusoires. Elle était plus que jolie, était hyper bien sapée et ses cheveux faisaient du mal à mes orbites tellement ils étaient soyeux. On aura dit Cindy Crawford 1991, époque où elle portait des maillots de bain une pièce ultra échancrés comme dans Alerte à Malibu et

pour lui gâcher la soirée puis me suis ravisée). Oscar, lui, était déjà en train de plier bagage, je l’avais perdu de vue quelques minutes à cause de la meuf trop bonne. Il était minuit passé et on s’est retrouvés dans un troisième bar un peu plus au Nord. Oscar avait pris des inutilités de son sac à dos pour réapprovisionner la poche plastique, ce qui me faisait dire que c’était une bonne nuit. Ma voix de fille ivre a de nouveau essayé d’aborder le sujet financier mais Oscar m’a largué un sourire un peu las en guise de réponse, je crois que je commençais à l’ennuyer avec mes questions, qu’il était là pour autre chose. Les voix criardes écervelées ont croisé notre dernier saut de bar, elles sont passées devant nous sans rien voir. Et là sur cette terrasse, après le passage des cris de filles, Oscar a fait la meilleure vente de sa soirée. Un mec qui avait l’air complètement sobre au milieu de ses compères beaucoup moins sereins a payé comptant la forêt amazonienne et son perroquet. Quinze euros. Je ne l’ai pas interrogé sur son choix, je l’ai compris. L’objet était laid mais époustouflant. J’y ai vu un investissement sur le long terme. Oscar a clos sa soirée sur la vente du volatile et je l’ai vu partir prendre la 12 à Pigalle. Je sais qu’Oscar a probablement sa famille à Bangalore, que la journée il ne dort pas mais vend des roses bleues aux terrasses des restaurants, et que l’oseille de sa soirée ne lui reviendra pas.

es serre-têtes roses et mineures écervelées.  » qu’elle avait l’air cool quand même. A tous les coups cette connasse allait marcher sur les frivolités d’Oscar. Elle s’est baissée, a tout ramassé avec sa tête de fille trop jolie, confuse et chagrinée. Elle s’est excusée quatre fois et a rendu sa poche plastique à Oscar. Elle lui a demandé si ça allait et si les affaires marchaient bien ce soir. Je l’ai sentie peinée d’avoir foutu le bordel dans les outils de travail de mon compagnon de nuit. Du coup elle lui a acheté le briquet gaufrettes sur lequel j’avais également des vues par ailleurs. La meuf était tellement belle et adorable que j’ai proposé à un gars du bar de la demander en mariage immédiatement ( j’ai aussi envisagé de lui faire pipi dessus

Mais je sais aussi qu’un jour Oscar lancera son biz de trucs encore plus inutiles, montera une équipe et sera une nuit assez ivre, léger et insouciant pour acheter un briquet gaufrettes.

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© Romy Alizée


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SOCIÉTÉ � T RAPHAËL BREUIL P VALENTIN PINEL

“PARIZ” SOUS LES BOMBES Né en 77, comme le punk et comme Star Wars, Rodolphe Casso est un vrai mélange de tout ça, du fun et du fond = du found ! Il débarque chez toi en foutant un gros coup de pompe dans la porte avec son premier roman PariZ, l’histoire de trois clochards qui cherchent de la tise dans un Paris apocalyptique… On vous laisse avec lui. D'où viens-tu ? Qui es-tu là pour écrire un livre comme ça ? Je suis journaliste depuis plus de 15 ans. J’ai commencé dans la presse musicale et

j’ai continué en écrivant sur les jeux vidéos, le cinéma, la télé… Principalement dans le secteur culturel donc, sinon parfois quelques sujets de société. J’ai fait l’erreur de travailler dans la presse écrite, qui meurt à petit feu. C’est devenu un véritable challenge de payer son loyer avec ce métier. J’ai vu les magazines tomber les uns après les autres, et moi avec, souvent. Je viens de Paris, j’y suis né et ça va faire bientôt 40 ans que je traîne mes guêtres dans cette ville. On peut donc dire que je maîtrise mon sujet.

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Pourquoi est-ce que je devrais parler de ton bouquin dans le Bonbon Nuit ? Parce que le Bonbon parle de Paris et que je te propose d’en découvrir le côté obscur, loin de son faste, de son luxe et des clichés pour touristes chinois à la Amélie Poulain. On oublie souvent que Paris porte encore les stigmates d’une Histoire très violente : la Révolution, la Commune, l’Occupation… Mais aussi une violence sociale qui tend à s’aggraver avec la pression immobilière et la gentrification. C’est pas Disneyland. Les images d’Epinal qui attirent le monde entier à Paris n’ont plus cours dans mon livre. Tu nous pitches le livre ? Paris est envahie par les zombies. Trois clochards et un chien se planquent dans la station de métro Charles de Gaulle – Etoile pour échapper à une mort certaine. Là, ils vont rencontrer deux paramilitaires appartenant à un groupuscule du genre néo-nazi. Ces types pensent avoir un plan génial pour débarrasser la ville des morts-vivants. Mais les clodos s’en foutent pas mal. Eux, tout ce qu’ils veulent, c’est trouver de l’alcool. Or, en suivant les fachos dans leur délire, ils vont former une fine équipe, mettre la main sur quelques beaux stocks d’alcool… tout en semant chaos et destruction derrière eux. T'es fan de zombies ou tu voulais juste détruire Paris ? L’objectif principal était de détruire Paris. C’est une ville ingrate qui ne se préoccupe jamais de ses natifs et préfère choyer les possédants et les Qataris. Par ailleurs, comme je suis assez fan de zombies, de postapocalyptique ou de films catastrophe, j’ai décidé de réunir tous ces éléments dans un livre. On accuse toujours les Parisiens d’être des zombies au quotidien : métro-boulotdodo, ils font la gueule, ils ont les traits tirés, toujours désagréables, toujours l’air au bout du rouleau… Eh bien j’ai décidé de donner 28

vie à ce cliché et d’en faire d’authentiques morts-vivants. Ton film de zombies préféré ? Bienvenue à Zombieland, parce que c’est à mourir de rire et que le générique de début est l’un des plus sublimes de toute l’histoire du cinéma. Tu trouves pas que Walking Dead c'est devenu de la merde ? Non, ça reste de très bonne facture. Il y a juste un problème de redondance, comme dans toutes les séries qui dépassent les quatre ou cinq saisons. Les scénaristes ont de plus en plus de mal à varier les situations et faire mourir leurs personnages emblématiques, mais la série me surprend encore. T'as kiffé hein ? (détruire Paris) Raconte. Je reconnais y avoir pris beaucoup de plaisir. Un peu comme un gamin qui détruit sa tour de Kapla. C’était un acte cathartique et je dois t’avouer que, depuis, je me sens beaucoup mieux. Je m’en prends à certains lieux emblématiques de Paris et certains de ses monuments. A un moment donné, la Restauration Française (groupe paramilitaire d’extrême droite) cherche à attirer en masse les zombies sur les Champs-Elysées pour les bombarder. Ils vont mener l'opération depuis le sommet de l'Arc de Triomphe. Je me fais aussi l'Assemblée nationale, l’armée régulière va essayer de déloger les fachos du Palais Bourbon. Tout le monde s’est entendu, siècle après siècle, pour les conserver et les valoriser, au nom de la mémoire collective, d’un passé glorieux, de nos racines, de notre identité. Hors, dans un monde où seule la survie compte, la mémoire collective, le passé, l’Histoire avec un grand "H", tout ça ne vaut plus tripette. On s’en fout. On fait table rase. C’est une façon de dire : « Vous voyez, vous pensiez être éternels avec


vos bibelots géants, mais vous n’avez rien vu venir. En faisant de Paris un musée à ciel ouvert, vous étiez pétris de prétention mais, au final, vous vous êtes pris la tête pour rien. » Je sais, c’est un peu vicieux. Pourquoi avoir utilisé des clochards et des punks à chien comme héros ? Pour éviter le rachat par Spielberg ? Parce que les clochards sont déjà des zombies. Alors, quand la ville est envahie par les morts-vivants, finalement, ça ne change pas grand-chose pour eux. C’est juste un peu plus dangereux qu’avant. Les clodos sont des survivants par nature, ils affrontent au quotidien des situations extrêmes. Le Parisien de base, qui ne sait rien faire de ses dix doigts, quand les zombies débarquent, on ne lui donne pas trente secondes avant de se faire charcuter. Y compris moi. Quant au rachat par Spielberg, je dirais que je cherche plutôt le rachat par Luc Besson. Son film Subway est l’une des influences

majeures de ce livre, qui se déroule en grande partie dans le métro. Tu installes une intrigue plus ou moins politique, il y a une opinion derrière ? Il y a un sous-texte social, peut-être un peu politique, sur les rapports de maîtres à esclaves, le racisme, les échos avec un passé dramatique de la ville, la réalité des clochards de Paris mais aussi celle des gens d’extrême droite hardcore qui rêvent de prendre le pouvoir au nom d’une France éternelle fantasmée, voire périmée. Mais au final le but des persos c'est de picoler, ne serais-tu pas un enfoiré de punk anarchiste ? Probablement, et tu peux ajouter nihiliste au tableau. PariZ de Rodolphe CASSO Prix conseillé : 22€

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1 mois, 4 films, 4 avis

CINÉMA

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Chouf de Karim Dridi Sortie le 5 octobre

(Sur-) annoncé comme le film coup de poing du dernier festival de Cannes, Chouf prend l’allure d’un beau barreau de chaise bien tassé mais se transforme rapidement en herbes de Provence du poulet dominical. L’échec ne vient pas des acteurs, pour la plupart amateurs, mais bien de Karim Dridi qui nous sort une mise en scène téléfilm France 2 ringarde au possible, une chasse à l’image choc permanente, de la redondance pesante et un vide émotionnel sidéral. Rien ne ressort de cette guerre de gangs d’une violence presque inutile.

L’Odyssée de Jérôme Salle Sortie le 12 octobre

Le bon vieux biopic français du mois, le tirelarmes sous la mer, Jérome Salle s’attaque à Cousteau après avoir coulé Largo Winch. Pierre Niney et Audrey Tautou, bonjour la mièvrerie pathos et la patate tiède qu’on ose même pas refiler. C’est d’un tel ennui profond qu’il rendrait presque les documentaires du néo-Qatari Yann ArthusBertrand songeurs et touchants. C’est dire le fiasco de cette photographie surexposée qui arrive à rendre moche la beauté vierge d’un océan, sacrée performance. Et Lambert Wilson porte particulièrement mal le bonnet rouge.


Louis Garrel fait son Louis Garrel, ténébreux et pesant au possible, farouchement ennuyeux mais néanmoins charismatique. Marion Cottillard lui répond d’un jeu idiot, feintant la folie et plongeant surtout dans la surenchère, mais soyons honnête, d’une justesse rare la concernant. Et puis Nicole Garcia qui nous la joue fantastique avec un twist à la Shyamalan venant ainsi effondrer le soubresaut amoureux délicat et tendre qu’elle avait tendu entre ses deux comédiens. A l’instar du pétage de plomb d’Olivier Assayas et ses caspers dans Personal Shopper.

Snowden de Oliver Stone Sortie le 1er novembre

Bien loin son JFK, ses trois longues heures de recherches, de paperasserie, d’interviews et d’une investigation hors du commun. C’est désormais en à peine deux heures, et dans une furie hollywoodienne à gerber, qu’Oliver Stone décide de mettre en scène l’un des plus grands et des plus importants scandales du XXIe siècle. Simplification à outrance, rythme effréné pour faire passer le supo, courses-poursuites pour exciter l’ado, c’est "Snowden pour les simplets". Oubliez-moi cette daube et regardez Citizenfour, le documentaire sur Edward Snowden de Laura Poitras. Vous en sortirez bien moins cons.

Par notre cher Pierig Leray

Mal de Pierre de Nicole Garcia Sortie le 19 octobre

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MUSIQUE � T ARNAUD ROLLET P FRANCIS MISCHKIND FFCM

LA MUSIQUE ET LE PORNO, BANDE ORIGINAL

Elle a marqué les esprits, son époque et aussi un nombre incalculable de mouchoirs en papier : Brigitte Lahaie est une star du cul comme on n’en fait plus. Pour rendre hommage à la filmographie de la reine française du porno, Cédric Grand Guillot et Guillaume Le Disez sortent au mois de novembre Brigitte Lahaie, les films de culte, un ouvrage hyper documenté et graphique

à lire à une ou deux mains. Dans la foulée, le duo a également lancé une campagne de crowdfunding pour financer Le disque de culte, un vinyle collector compilant des musiques inédites composées et dirigées par le génial Alain Goraguer pour plusieurs films de la divine blonde. Sûrement le projet le plus bandant de l’année.

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La musique et le porno, c’est une formidable histoire d’amour. Capable d’engendrer des relations passionnées (l’Ode à Chasey Lain du Bloodhound Gang, l’album concept Porno Soundtracks du Forbidden Ensemble), purement physiques (la vidéo Hustlaz Diary of a Pimp de Snoop Dogg, la campagne Fuck for Forest chez les métalleux, le fameux In bed with Doc Gynéco) ou carrément foireuses (Clara Morgane qui troque les chibres contre un micro), l’association des deux a connu son paroxysme dans les années 70 grâce à des esprits coquins qui n’oubliaient pas d’être coquets. En France, le duo Burd TranbareeAlain Goraguer a ainsi fait les beaux jours des mélomanes adeptes d’escapades torrides sur grand écran. L’un à la réalisation, l’autre à la composition. Une alchimie qui a vite décidé les auteurs du bouquin sur Brigitte d’aller plus loin et de tenter l’hommage discographique. Sexe auditif Accompagné du digger Aurélien Bacot, amateur de raretés funk et soul vintage, Guillaume Le Disez s’est donc plongé dans un vrai travail de selector pour réunir onze merveilles sonores dans l’importante filmographie commune de Brigitte, Burd et Alain. Tirées de La Rabatteuse, Autostoppeuses en chaleur, Perversion d'une jeune mariée, Nuits brûlantes, Esclaves sexuels sur catalogue et Parties de chasse en Sologne, les musiques retenues donnent terriblement envie de gigoter seul ou dans quelqu’un. Et à en croire Guillaume, ils n’avaient que l’embarras du choix. « A chaque fois, Goraguer était dans un exercice très libre : il avait une grande relation de confiance avec Tranbaree qui n’était autre que son ami de longue date Claude Bernard-Aubert. Avant le porno, ce dernier faisait déjà appel à lui pour ses films, comme L’affaire Dominici avec Gabin. Pour les films X, il ne lui 34

donnait que quelques instructions : parfois des indications sur le thème ou le titre du film, d’autres sur le lieu, etc. A partir de là, Goraguer se faisait plaisir en travaillant avec exactement les mêmes musiciens que d’habitude, ceux-là même qui l’accompagnaient dans ses compositions pour le cinéma ou pour des chanteurs. » Retrouvées soigneusement endormies depuis près de 40 ans dans les coffres de Francis Mischkind, producteur de ces films, ces bandes originales sans voix et sans dialogue, utilisées pour les ventes à l’export, ont été parfaitement restaurées par les experts du Color Sound Studio. Une façon de rappeler le sublime des œuvres lubriques de Goraguer.

Le porno, c’est sérieux Grand jazzman et faiseur de tubes (notamment auprès de Jean Ferrat et Gainsbourg), Alain Goraguer est également devenu une référence pour beaucoup d’artistes de la scène électronique avec ses premières expérimentations dans les années 60, mais surtout sa musique pour La Planète Sauvage en 1973. Professionnel intraitable, le compositeur abordait le cinéma du rentre-dedans comme un terrain de jeu (il y mélangeait allègrement des inspirations psychédéliques, funk, salsa…) dans lequel il fallait tout de même procéder avec sérieux. « BernardAubert et Goraguer travaillaient dans le porno avec des compétences et un savoirfaire tirés du cinéma traditionnel, ajoute Guillaume. Ensemble, ils avaient le même niveau d’exigence, avec un peu plus de liberté. Ils devaient aussi travailler vite, à un rythme soutenu. Ils étaient d’ailleurs réunis lors du mixage audio et cela leur demandait beaucoup de temps : ils pouvaient passer jusqu’à quatre jours dessus, soit la même durée que pour un film non porno. En plus de fonctionner sorties de leur contexte, ces


musiques marchent donc aussi très bien à l’écran car elles sont montées à l’image. Un bon exemple, qui n’est pas sur la compile car pas assez funk, c’est le film La Maison des phantasmes, où Richard "Queue de béton" Allan joue un professeur de piano auquel est marié Brigitte. L’essentiel du film repose sur des thèmes au piano et la musique est vraiment ajustée. » Au fond, rien n’était trop beau pour les pornos de ce que beaucoup appellent "l’âge d’or du X". Un temps qui semble révolu à l’heure du règne sans partage des Brazzers, YouPorn et consorts. « Ces films étaient faits pour être vus en salle avec monsieur et madame, pas pour se pignoler seul dans son coin. C’étaient des vrais films. À l’époque, le porno, c’était du cinéma. Aujourd’hui, le porno, c’est juste du porno. »

Nul doute que les nostalgiques ressortiront leur mouchoir en papier en feuilletant ce livre et en écoutant ce disque. Pour essuyer des larmes de joie, bien entendu. Brigitte Lahaie, les films de culte de Cédric Grand Guillot et Guillaume Le Disez, Éditions Glénat. Brigitte Lahaie, le disque de culte (Autoprod), vinyle à réserver (rapidement) chez une poignée de disquaires ou sur le kisskissbankbank du projet. Plus d’infos sur twitter.com/lesfilmsdeculte facebook.com/ BrigitteLahaieLeDisqueDeCulte

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MUSIQUE � T P

RAPHAËL BREUIL TRAVIS SHINN

PIXIES IS NOT DEAD TRACK BY TRACK

Il y a deux types de groupes. Il y a les groupes un peu nuls et simplets qui "évoluent" et finissent par faire de la daube. On peut citer Muse, U2, Coldplay, MGMT, j’en passe et des meilleurs. Et puis il y a ceux qui ont compris qu’après un certain succès, leur groupe et leur musique ne leur appartenaient plus et qui se contentent de

réaliser la prouesse de faire la même chose mais en nouveau, ce qui au final est plus dur. Sonic Youth est un bon exemple : 30 ans qu’ils nous font la même chanson, mais on va toujours la kiffer. Voyons si Pixies est capable de faire la même chose avec leur sixième album Head Carrier.

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Deuxième album depuis leur reformation en 2014 avec l’album Indie Cindy, Head Carrier promet selon eux d’être le vrai retour aux sources malgré un départ de Kim Deal qui s’est fait sentir. Elle est remplacée au pied levé par Paz, petite jeunesse si on la compare au reste du groupe, sur qui nous nous attarderons plus tard. L’album commence mollement. Les deux premiers tracks quoique bien foutus laissent une impression de déjà entendu, déjà mâché. On ne les aimera à en mourir qu’au bout de la troisième écoute. Car oui les enfants, même si l’objet-album est délaissé ces derniers temps, nous sommes en présence d’un bon vieux skeud à la papa avec ce Head Carrier, soyez-en sûrs. Une grosse demi-heure qu’on écoute d’un bloc ou qu’on n'écoute pas. Nous sommes revenus au temps de Doolitle ou Surfer Rosa, sortis il y a presque 30 ans… (dur) Ce n’est qu’à partir de la troisième, et surtout la cinquième chanson (Oona et son riff que vous fredonnerez pendant des jours) que la magie opère. Si le précédent opus Indie Cindy n’était pour moi qu’un "essai" et une source de revenus pour payer les impôts de Frank Black, cette galette a une âme, une vraie. On voit des vieux souvenirs de lycée défiler, c’est le sound of the 90’s baby, merci à la production de Tom Dalgety (Surfer Blood, Killing Joke…). La chanson Talent a des relans de Bossa Nova, album souvent détesté par les fans, on en veut au groupe de ne pas avoir sorti le bouzin trois mois plus tôt pour qu’on parte en vacances dans le sud de la France avec cette song en boucle sous le cagnard. L’EPREUVE DE LA 7 : Que la 7 est cheesy pour une 7 ! Normalement la 7, c’est la meilleure d’un album, c’est bien connu. Là, ils nous sortent la plus "facile" de toute leur carrière. Le refrain est un mélange de Police et de Phil Collins, on se voit déjà l’entendre en train d’acheter des pâtes chez Shopi. Ensuite, 38

on écoute un peu les paroles, on regarde le nom de la chanson (Tenement Song)… et on se dit que (peut-être que) tout est étudié… Les fans trouveront ça génial, les autres tout pourri. En fait au milieu du CD, on comprend un peu le plan de Frank Black : nous présenter Paz, la petite nouvelle. Elle arrive petit à petit sur Might As Well Be Gone et prend de plus en plus d’ampleur au fil de l’album. On note que Bel Esprit aurait tout à fait pu figurer sur Doolitle et aurait pu (dû ?) être un duo Deal / Black à l’ancienne. Ça fonctionne. La petite s’impose jusqu’à ce qu’on en explose de joie sur All I Think About Now. Chanson que vous allez détester les cinq premières secondes pour sa ressemblance avec un Where Is My Mind gâché par trop de diffusion dans les émissions d’M6 de recherche d’appartements ou maisons. Mais ne vous leurrez pas trop longtemps, ce track est un chef-d’œuvre. A moitié composé par la petite nouvelle, c’est un sucre d’orge. On enchaîne direct avec le single. Pur morceau de rock and roll à la sauce Pixies. D’une violence rare s'ils voulaient passer à nouveau sur NRJ. C’est loupé… Mais nous ça nous fait sauter sur le lit et c’est le plus important. Si je devais nommer un défaut, ça serait celui que je donnerais à tous les albums des Pixies, une tracklist complètement incohérente. Les morceaux les moins bons au début. Du coup, on peut dire que définitivement, les Pixies sont de retour, même à 50 balais ! Revenons à Paz, certaines mauvaises langues de puriste diront qu’elle n’est qu’une pâle copie de Kim Deal. Mais laissez tomber, c’est parce qu’ils ont 40 ans et qu’ils commencent à voter à droite. Cette meuf apporte la fraîcheur dont ils avaient besoin pour ne pas ressembler à un groupe de banquiers en vacances. Elle compose et remplace Kim Deal à merveille. Pas sûr qu’elle sache tenir le choc sur un Gigantic en live… Réponse en novembre au Zénith.


Pixies — Head Carrier [PIAS]

Tracklist 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Head Carrier Classic Masher Baals Back Might As Well Be Gone Oona Talent Tenement Song Bel Esprit All I Think About Now Um Chagga Lagga Plaster Of Paris All The Saints

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CINÉMA DE MINUIT �

CARMEN BRAMLY

LA D C G EJ H O E IN DA A O N RD -L ISE UC ,

T

Si vous cherchez un film un peu intello, pour passer une soirée cinéphile entre couilles binoclardes, pour impressionner une petite étudiante à la révolte facile ou pour mettre des images au bout de votre joint, vous

avez pioché la bonne carte. Sinon, pour les autres, La Chinoise de Godard demeure une curiosité, un petit bijou, pour un cinéma toujours plus destructuré et autoréflexif.

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En 1967, Godard réalise La Chinoise, un film qui se moque gentiement de la fascination exercée par Mao sur un groupe d'étudiants français. Dans un appartement bourgeois, prêté par ses parents le temps d'un été, Véronique, étudiante en philosophie à Nanterre, Guillaume, son boyfriend, jeune acteur engagé, et leurs amis Yvonne, une fille de la campagne, Henri, un ingénieur, et Kirilov, le stéréotype de l'artiste torturé, jouent à la révolution, énoncent de grands discours, élaborent des slogans, ourdissent le meurtre d'un dignitaire soviétique et miment la dévotion maoïste. Avec un humour peut-être inconscient, Godard brosse le portrait de cette génération du babyboom, épargnée par les deux guerres, et sa soif idéaliste de lutte et d'égalité, de réforme, au sein d'un système universitaire sclérosé et impérialiste, dans la France du Général de Gaulle. Anne Wiazemsky, la nouvelle muse du cinéaste, et sa petite amie de l'époque, casquette bien vissée sur la tête, interprète Véronique. Au départ, investie par Godard d'une mission d'enquêtrice, elle était chargée de lui faire un rapport sur l'état d'esprit qui animait la jeunesse de Nanterre, et sur ses différentes factions socialistes, conférant au film une dimension de documentaire, sur laquelle nous reviendrons plus tard. Le choix de Godard, concernant Anne Wiazemsky, est 42

d'autant plus ironique et juste qu'elle est la petite fille de l'écrivain François Mauriac. Lui qui rêvait d'un idéal chrétien socialisant se retrouve avec une descendance coco, avouez que c'est cocasse. Dans le film, l'actrice incarne à merveille son rôle de wannabe révolutionnaire, aux discours longuets, véhéments, qui ne font que trahir son statut de petite bourgeoise parisienne indignée. Elle prononce Engels comme "Angels" (de Hells Angels à Heil Engels, il n'y qu'un pas). En d'autres termes, les robes à smoke ne sont pas si loin. L'entendre dire « il est génial cet ouvrier » a quelque chose de presque jouissif, en ce que la phrase dénote tout le paradoxe du personnage, et révèle un genre de tendresse amusée que le cinéaste pouvait ressentir à l'égard de son sujet. Quant à Jean-Pierre Léaud, jouer les acteurs lui sied à ravir, lui qui finalement n'a toujours fait que ça, jouer à distance, jouer celui qui joue, avec son timbre de fausset, babtou fragile devant l'éternel. Ainsi, si les personnages se veulent un groupe, ils sont vite rattrapés par leurs habitus. Jean-Pierre Léaud et Anne Wiazemsky prennent le thé dans de gros fauteuils et savent très bien manier la porcelaine de papa, tandis que la jeune fermière raconte qu'elle se prostituait à Stalingrad pour payer son loyer. Si La Chinoise ressemble à un film situationniste (cf. La Dialectique


peut-elle casser des briques ou La société du Spectacle), avec son huis clos, sa musique, son côté un peu outré, anarratif et ses longs discours sur le prolétariat, le réduire à sa dimension politique évidente serait passer à côté de tout ce qui fait la richesse de ce film. Comme l'indique le carton, en introduction, vous assistez avant toute chose à un film en train de se faire, d'où la dimension autotélique, de métacinéma, pour emprunter des mots barbares. Ce que vous voyez avant-tout, c'est une œuvre en cours. Godard opère un véritable travail de distanciation, comme le suggère ce plan où Anne Wiazemsky efface un à un des noms écrits en vrac sur un tableau noir, pour n'en laisser plus qu'un, au centre, celui de Brecht. Ainsi, Godard rappelle au spectateur qu'il assiste à une fiction, une fiction qui se dit ellemême. Néamoins, le réalisateur joue avec les frontières, entre documentaire et fiction. Certaines scènes pourraient faire partie d'un reportage sur la jeunesse pré-68 ou bien avoir été tirées d'une archive de l'INA, quand d'autres font figure de véritables compositions picturales. On entend d'ailleurs à plusieurs reprises la voix de Godard, interrogeant ses personnages, lors d'entretiens avec le cinéaste (qui ont probablement inspiré les confessions face cam de Secret Story). Godard fait même apparaître Francis Jeanson, le professeur de philosophie de l'actrice, à Nanterre, dans

un train, où il évoque une certaine désillusion gauchiste. La guerre du Vietnam se change en guerre de dinette, représentée par des coloriages, des photographies et des jouets, le tout agrémenté d'une chanson aux ritournelles enfantines « Le Vietnam brûle et moi je cris Mao Mao ». Sans cesse Godard fait des allers et retours entre pure fiction et quasi-réalité, à base de dialogues hachurés et de plans savamment étudiés. Le huis clos du film rappelle, d'ailleurs, ce jeu sur les frontières. L'appartement dans lequel les personnages sont enfermés installe le film et ses protagonistes dans le domaine de la fiction, une fiction aussi bien identitaire que scénaristique. Pour conclure, si le film parle de l'engagement maoïste et semble anticiper mai 68, il fait bien plus. En somme, Godard esthétise la politique, à travers une forme de contre-culture des images. L'utopie maophile se traduit essentiellement dans l'omniprésence de la couleur rouge, jusqu'à en devenir étouffante. Si l'on reprend la fameuse phrase de Mc Luhan, le média est le message, ici, le média, l'image donc, force les associations d'idées et façonne les comportements. C'est peut-être ce que dit l'actrice, à la fin du film, quand elle affirme « c’est de la fiction, mais ça m’a rapproché du réel». C'est un film, mais il dit le réel, c'est un film, mais c'est un message, c'est un film, en prise avec une certaine réalité. 43


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LITTÉRATURE � T TARA LENNART

WATERSHIP DOWN RÉÉDITION D’UN CHEFD’ŒUVRE DE LA LITTÉRATURE TRIPÉE 45


On a beau adorer une maison d’édition, lui vouer une confiance aveugle de fanatique du livre objet, parfois, parfois… Quand on lit qu’il a prévu de rééditer un livre mythique avec des lapins en héros, on se demande un peu si on a bien lu, quand même. Juste un peu. Des lapins ? Dans un livre pour adultes ? Je ne connaissais pas, honte à moi, cette fameuse histoire mondialement célèbre, avant qu’un de mes éditeurs favoris annonce ce chamboulement dans le paysage littéraire de la rentrée 2016. J’adorais les Histoires comme ça, de Kipling. Juste qu’on me les lise et qu’il y ait une morale rigolote, et que ce soit un vieux livre à l’ancienne, relié et usé. Et que ça m’ennuie moins que les Fables de la Fontaine, où bon, on a un peu compris la musique, le principe, être gentil, sinon c’est méchant, tout ça. Bizarrement, j’ai beaucoup mieux retenu les fables que les contes de Kipling, le cerveau est mal foutu. Mais ça ne fait pas avancer le schmilblik en matière de lapins anglais paumés au milieu de la garenne dont Watership Down fait écho.

à la fois (pour ce dernier exemple, je me fie à l’avis éclairé d’un critique américain parce que, contrairement au reste, je ne sais pas de quoi je parle). On s’embarque avec Hazel, le héros, et son frère Fyveer aux drôles de visions. Hazel mène un groupe de lapins loin de leur garenne natale menacée par des dangers insurmontables. Comme dans toutes les aventures et les quêtes épiques, trouver une herbe plus verte ne s’avèrera pas de tout repos. Surtout quand on relativise le monde à l’échelle d’un lapin. S’ils sont tout de même très futés, plus que des humains, ils restent des proies faciles pour une foule de bes-

Bon, ils font quoi ces léporidés adulés par 50 millions de lecteurs ? (au moins, on peut vendre autant que 50 Nuances de Grey et présenter une qualité littéraire réelle) Pourquoi présentent-ils un intérêt particulier ? Valent-ils vraiment la peine de manger 540 pages de papier à l’odeur caractéristique (qui me rappelle fâcheusement des lectures d’adolescence, sans doute un livre majeur, lui aussi imprimé sur un papier Snowbright 70 g, mais impossible de retrouver lequel) ? Eh bien oui, sinon je ne serais pas en train d’en parler comme d’une vieille connaissance. C’est Star Wars, Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux et même un peu Walking Dead

tioles, dangers, imprévus… Comme dans une grande odyssée, mais là, traverser un cours d’eau s’avère extrêmement complexe et risqué. Et on se surprend à frémir, écarquiller les yeux, hausser les sourcils, se mordiller les lèvres, tourner les pages aussi vite que le permet la lecture de cette épopée moderne qui se savoure, comme si on prenait le temps de changer de dimension, de respirer, d’apprécier la langue fluide et parfois moqueuse d’Adams. Adams dont c’est le premier roman, écrit sur les conseils de ses filles, qui aimaient bien les histoires que leur racontait leur ancien militaire de père reconverti en fonctionnaire au ministère de l’Agriculture.

« Notons un goût pri sale petit pervers drogué aventurier qui ferait p globe-trotteur équi

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Et fervent amoureux de la nature, ce que l’on devine aux premières lignes de ce livre, où chaque détail, chaque élément de décor semblent vivants, invoqués par la plume de cet écologiste avant-gardiste. Nature, culture, les écrivains anglais possèdent un truc inimitable, quelque chose qui les hisse sur un podium magique estampillé "Royaume-Uni". Oui, car CS Lewis, JRR Tolkien, Lewis Caroll, JK Rowling et Douglas Adams ont tous un trait commun : leurs origines géographiques. Et ils ont écrit des histoires barrées, oniriques, magiques et donnant souvent une place importante aux

Puis les typos. Le papier intérieur. Le papier de couverture. Le relief du texte sur ladite couverture. Les illustrations. La maquette. Les petits détails rigolos sur le code barre. TOUT. Au final, ses livres sont des écrins pour des textes présentés comme des pièces de collection. Des œuvres d’art. Des objets de vénération et de culte, ni plus ni moins. Au final, je me suis trouvée bien stupide avec mes réserves. Des lapins, des aventures, des paraboles, c’est bon on a compris, on est en 2016. Et ? En 2016, il n’y aurait donc plus de place pour le merveilleux ? Il faudrait que l’on soit littéral, collé à notre réalité blafarde et entraîné dans cette spirale chaotique démarrée dans les années 1980 ? Nos nuits doivent se draper de poudreuse, de sueur, d’excès, de BPM et notre imaginaire, s’y coller comme la paille à la trace. Bien sûr, chaque époque enfante ses propres démons, son propre bestiaire et sa propre symbolique. Peut-être n’écrirons-nous plus d’épopées valeureuses, de grandes aventures, peut-être nous contenterons-nous d’arpenter des terres connues en nous persuadant que nous ne pouvons nous passer de nos gadgets électroniques. Peut-être aussi savoureronsnous longtemps le plaisir d’un roman doudou qui nous prend dans ses bras et nous transporte ailleurs, dans une autre dimension. Un monde où l’âge, l’époque, le temps, n’ont que peu d’importance tangible. Tout ce qui importe, c’est de savoir ce qui va arriver à ces lapins…

ivilégié pour le lapin, é chez Caroll et valeureux passer Ulysse pour un ipé d’un iPhone 7.  » animaux. Notons un goût privilégié pour le lapin, sale petit pervers drogué chez Caroll et valeureux aventurier qui ferait passer Ulysse pour un globe-trotteur équipé d’un iPhone 7. Watership Down se raconte difficilement, en fait. Il se vit. Comme toujours, Monsieur Toussaint Louverture n’a pas fait les choses à moitié. Si ce petit éditeur psychopathe ne publie que peu de titres par an, ce n’est pas pour rien. Ni pour rien que je vous dis qu’il est psychopathe. Ce type soigne absolument tout. Tout. Tout. Le choix du texte évidemment, d’abord, puis la traduction à faire ou refaire.

Watership Down de Richard Adams. Editions Monsieur Toussaint Louverture.

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AGENDA �

VENDREDI 7 OCTOBRE • 00h La Machine du Moulin Rouge 18€ Voodoo Artists, Mind Against, Vril, His Master Voice 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr

SAMEDI 22 OCTOBRE • 00H Rex Club 15€ Sebo K's Scenario Night: Delano Smith, John Jastszbeski, Sebo K 23h30 Badaboum 15€ Paul Cut Invite Urulu & Flabaire

SAMEDI 8 OCTOBRE • 22h La Belleviloise 15€ Mona's Palace : Boris, Daniel Wang & Nick V 00h Rex Club 15€ Crazyjack 5 Years : Audio Werner, Psykoloco, Bassam

JEUDI 27 OCTOBRE • 00h Rex Club 8€ Hold Youth Residency : Dj Masda, Hold Youth aka Seuil & Le Loup

VENDREDI 14 OCTOBRE • 00h Rex Club 15€ Lil'louis All Night Long 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr 23h30 Djoon 15€ Dure Vie • Max Graef & Glenn Astro all Night Long JEUDI 20 OCTOBRE • 20h Gaîté lyrique 20€ Molécule Live 360°

VENDREDI 21 OCTOBRE • 23h45 Gibus Club 15€ Possession : Answer Code Request, Sigha, Ritzi Lee, Anetha, Parfait 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr

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VENDREDI 28 OCTOBRE • 23h La Machine du Moulin Rouge 20€ H A ï K U with Kink, Youandewan 00h Rex Club 15€ Skryptom : Rrose Live, Cleric, Electric Rescue 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr SAMEDI 29 OCTOBRE • 20h Concrete 15€ Konstantin Sibold, Huerco S, Baltra Live, G'boï & Jean Mi 00h Batofar 10€ Jackin' Groove with Gardens of God & Mattheis LUNDI 31 OCTOBRE • 20h Concrete [Halloween] 15€ Paula Temple, Vatican Shadow Live, Cio D'or, AZF


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Larguée et sans diplôme, Romy Alizée photographie avec amour les corps nus de ses ami.es et de ses amant.es, et passe des nuits entières à faire transpirer le sien. the-room-got-heavy.tumblr.com instagram.com/romixalizee

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