Juin 2016 - n° 65 - lebonbon.fr
FESTIVAL DES CULTURES ÉLECTRONIQUES
WAREHOUSE | CLUB | VISUAL ARTS | FILMS | TALKS
PARC FLORAL, PARIS MERCREDI 13 JUILLET VEILLE DE JOUR FÉRIÉ LEN FAKI & RØDHÅD — KERRI CHANDLER JOHN TALABOT PANTHA DU PRINCE presents THE TRIAD RARESH — FUNCTION live JEREMY UNDERGROUND VIRGINIA ft. STEFFI & DEXTER live
EN VE FL T G N SU OO AR DR TA RG RP NIE ED M EO L A R — A N I1 N BA RN SU live — SV 5 M T JU — DA E N M —B O IK C VI V IL AE AR — Y Ä D LE RI A TH L S AC A — L T EI L LI UG — FU M A C U M — AX N F ( S AL D EX — IT AK T liv AC e & NIC ZP A b E LA O AT K iN and O P ET M R O IT LE IA TT IC K) E X K
BICEP
HELENA HAUFF DAX J
BOB MOSES DJ BONE AURORA HALAL TIJANA T HEARTBEAT
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SAMEDI 16 JUILLET TALE OF US — FOUR TET — BRODINSKI DJ SHADOW — SBTRKT dj set — RECONDITE BAMBOUNOU b2b MARGARET DYGAS
KIASMOS – EVIAN CHRIST dj set — BUSY P b2b ECLAIR FIFI MYKKI BLANCO — LOTIC — POINT POINT — MUMDANCE & LOGOS MARK FELL — SIMO CELL — MEZIGUE — AZAMAT B
PRÉVENTES SUR DIGITICK.COM ET THEPEACOCKSOCIETY.FR
Licences n° 2-1056649 / 3-1056650
EDITO Les bye-bye, les au revoir, les adieux, les mouchoirs qui virevoltent, c'est pas trop mon truc, alors ne compte pas sur moi pour faire dans la pleurniche. J'y peux rien, j'ai toujours détesté quand les choses se terminent, quand il faut marquer sur leur dos au fer rouge le mot F-I-N. Ouais, c'est un peu comme après une bonne branlette, tu te sens con, tu te sens gauche, tu ne sais plus où foutre tes paluches. Toute ma vie, j'ai esquivé ce genre d'instants fatidiques. Fin de soirée, fin de relation amoureuse, dernière fête avant la fermeture définitive du bar où tu as passé tes plus belles années, pot de départ avec champagne tiède dans un gobelet en plastique... Tout ça, ça me fait penser à un petit deuil, j't'avoue que j'aime bien le noir, ça amincit, mais c'est pas ma couleur favorite. Mais là, je vais faire un effort. Merde, presque trois ans à la tête de ce magazine, c'est pas rien. Des belles rencontres, des joies intenses, des emmerdes, des nuits blanches, des coups de stress, j'en ai eu plein la cartouchière. Et je remercie sincèrement tout ceux qui m'ont suivi, qui m'ont fait confiance, pas la peine de faire du name dropping, si tu lis ces lignes, tu te reconnaîtras forcément. Et puis je ne me soucie pas trop pour la suite, je passe la barre à un mec qui a du talent. Dernier paragraphe, dernière clope, dernier verre, dernier édito. Le Bonbon Nuit juin 65 est mon dernier numéro. Point presque final. Pas de spleen. Tout est magnifique. MPK
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SOMMAIRE
p. 9 À LA UNE Jacques p. 17 LITTÉRATURE Camille Emmanuelle p. 21 LITTÉRATURE Les mots de minuit p. 25 CINÉMA Les sorties du mois p. 27 MUSIQUE DC Salas p. 33 MÉDIAS François Angelier p. 42 EXPO Jean-Yves Leloup
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OURS
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jacques de la Chaise RÉDACTEUR EN CHEF Michael Pecot Kleiner DIRECTEUR ARTISTIQUE Tom Gordonovitch COUVERTURE Jacques par Flavien Prioreau SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Louis Haeffner GRAPHISTES Coralie Bariot, Cécile Jaillard, Faustine Lemens RÉDACTEURS WEB Olivia Sorrel-Dejerine, Rachel Thomas, Tiana Rafali-Clausse, Laura Dubé RESPONSABLE DIGITAL Antoine Viger COMMUNITY MANAGER Raphaël Breuil CHEF DE PROJET Dulien Serriere PARTENARIATS Charlotte Perget RÉGIE PUB Carole Cerbu, Arnaud Laborey, Thomas Bonnet DIRECTEUR DES VENTES Hugo Delrieu CHEFS DE PUBLICITÉ PRINT Julie Guedj, Nicolas Portalier SAS LE BONBON 12, rue Lamartine 75009 Paris Siret 510 580 301 00032 01 48 78 15 64 IMPRIMÉ EN FRANCE
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HOTSPOTS PERSONNE NE SORTIRA VIVANT D'ICI Les Disques de la Mort font partie de ces labels si excitants qu'il serait presque légitime de vendre les membres de ta famille dysfonctionnelle pour assister à une de leurs soirées. Non, en fait, il te faudra juste 12 balles. Et avec ces 12 balles : Smagghe, Piñol et Lokier. Youpi. Jeudi 16 juin. À partir de minuit. Rex Club.
BONHEUR Effusion de sérotonine, jet de dopamine en masse avec cerise sur la langue, une pointe d'éthanol : on aime toujours autant le Rosa. Ça ouvre tôt, ça ferme tôt, mais magiquement, on a l'impression d'y avoir dansé toute la nuit. On te conseille vraiment d'y passer écouter la house très fortement UK 90's de Kiddy Smile. Jeudi 30 juin. À partir de 20h. Rosa Bonheur. HAPPY BIRTHDAY TRESOR Non content d'avoir retourné des cervelles par paquets de mille, le mythique club/label berlinois Tresor a décidé de fêter ses 25 années d'existence par une tournée des capitales mondiales. Et ce soir-là, ça tombera sur Paris. Tu n'as objectivement pas le droit de rater ce lineup béton : Kopp, Von Oswald, Vainqueur, etc... Vendredi 17 juin à La Gaîté lyrique. CHALEUR Un peu d'exotisme discoïde dans ce monde de putes, bordel. La très sûre équipe du collectif Deviant Disco investit les hauteurs du Nüba pour distribuer de l'hédonisme conscient à la pelle. Puissance du line-up : The Populist (Yan Wagner), Relatif Yann, Eva Peel, Ygal Ohayon, Christophe Vix-Gras, Wicca... Puissance du rêve. Vendredi 24 juin. 20h-5h. Nüba 6
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À LA UNE T
MPK & HILLEL P FLAVIEN PRIOREAU
JACQUES A UNE VISION Il est 11h43 à Montreuil, dans les studios d'enregistrement du label Pain Surprises. Jacques mange une Danette au caramel et me confie qu'il a à moitié envie de pisser. Mais cette envie de pisser, Jacques va la contenir grâce à ses pouvoirs yoguiques pendant les 58 minutes que durera l'interview. Car Jacques sait indéniablement courber le
réel : depuis son excellent EP Tout est magnifique ou ses expériences vidéos du Centre national de recherche sur le Vortex, celuici ne cesse de nous inviter dans des failles spatio-temporelles. Ensemble, nous avons connecté nos cerveaux. Et sommes sortis du CADASTRE.
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“LES HYPEUX SONT AVEUGLÉS PAR LE FAIT DE SE SENTIR MALINS. C'EST COMME MA COIFFURE, J'ARRIVE À LEUR FAIRE CROIRE QUE C'EST STYLÉ, ALORS QU'EN RÉALITÉ, C'EST SUPER NAZE.” 10
Pour simplifier à l'extrême, disons que tu produis une électro "concrète" faite à partir de bruits de la vie quotidienne. Connais-tu Chassol ? Nous l'avons interviewé récemment sur sa notion d'harmonisation du réel. J'ai l'impression que ta démarche est inversée, toi, tu rends "réelle" l'harmonie. Qu'en penses-tu ? J'aime beaucoup ce que fait Chassol. Oui, ma démarche actuelle est plus de chercher les harmonies directement dans la réalité sans essayer de rejouer dessus. Parfois, j'ai l'impression que Chassol, sur certains de ses morceaux, a tendance à expliquer la blague : il y a une mélodie dans une voix, dans une foule, etc... et lui, il va jouer la mélodie au piano par-dessus, alors que l'on a basiquement compris que ces éléments du réel créaient de la musique. Tout ça, ça fait résonance à une culture qui moi ne me parle pas trop, qui est la culture jazz/free jazz. Il y a un côté un peu performance savante qui me fait retomber. Tu vois, j'ai encore trop de voiles culturels avec ça. Perso, je suis plus dans une optique bordélique : j'ai l'impression d'être une machine qui fabrique des sacs à la chaine, et dans chaque sac, il y a des sons du réel. « Tout peut tout être ». Ce qu'il y a de remarquable chez toi, c'est qu'il y a un discours "métaphysique" intrinsèque à ta pratique artistique. Tu as refusé par exemple de faire des études car celles-ci "cloisonnent" le savoir. Toi tu cherches justement à décloisonner le réel mais à force de vouloir tout décloisonner, ne risque-t-on pas la confusion ? Il faut décloisonner le concept de cloisonnement avec celui de décloisonnement. C'est beaucoup plus subtil que de décloisonner tout. Si tu décloisonnes tout, c'est très dangereux, tu peux devenir schizo, En fait, le truc, c'est faire des allers-retours très rapides entre le monde où tout se vaut, aucune gravité, et le monde dans lequel tout est hiérarchisé.
À quoi correspond ce monde de la "nongravité" ? Tout le monde l'a en soi, tu y es quand tu te foncedé, quand tu as un orgasme, quand tu as un sentiment d'accomplissement, une levée de culpabilité, etc... Tout ça, c'est des moments où ton mental se calme. Il y a dans nos civilisations une culture globale qui est une maladie : on se fait croire que l'accès à cet état de non-gravité doit être mérité. Alors qu'il n'a pas du tout besoin d'être mérité. La preuve est que lorsque tu es bébé, tu es déjà dedans. Il ne faut rien faire pour l'obtenir. C'est une des raisons pour lesquelles je pense que les études, ça peut détraquer les gens, ça les met dans une maladie banale, qui est la croyance en un futur meilleur. Le bonheur est dans l'ici et maintenant. Mais ce monde de la non-gravité, où tout se vaut, peut-il te faire apprécier des musiques de merde ? C'est un peu le propos de Tout est magnifique. C'est vraiment une question de ressenti. Même quelque chose de très hostile peut être chargé de quelque chose de "bon". De plus en plus, j'essaie de baisser mes voiles culturels pour comprendre quel plaisir a trouvé telle ou telle personne quand il a créé sa musique. Maintenant, j'écoute du rap, PNL, etc... Même Guetta j'aime bien. Pour moi, tout ça, ce n'est pas un problème. Rien n'arrivera à me faire croire qu'un moment agréable mérite d'être accompagné d'une culpabilité. C'est justement ce style de raisonnement qui mène à la gravité. C'est ce qui nous agglutine au sol, c'est de l'auto-flagellation. C'est là où je me rends compte que les gens de l'underground ont basé leur personnalité par rapport à une réaction au mainstream. Ne serait-ce que par empathie, j'aurais du mal à dire que Guetta ou Bieber c'est de la merde sans avoir l'impression de snober la majorité. Je ne me construis pas par rapport au 1% de la population que constitue la branchouille réac'. 11
Comment ne pas t'auto-caricaturer ? Je suis déjà une caricature de moi-même. J'ai l'impression d'avoir pris possession de "Jacques Auberger", j'ai limite fait son deuil. Le mec est grillé. Si je me rends compte un jour que je dessers mon propos, à ce moment-là, je rentrerai dans le silence, un silence qui entretiendra la confiance que quelqu'un reprenne mon discours. Donc, à la question « comment ne pas devenir une caricature de moi-même ? », j'aimerais surtout répondre : « pourquoi ne pas devenir une caricature de moi-même ? ». Il faut accepter que ça ne durera pas, et que je ferai d'autres trucs. De base, je pense m'être posé cette question en amont, ce qui explique que j'ai fait de la com' sur le fait qu'il y ait plusieurs Jacques, le fait qu'il y ait un "s" à "Jacques", que j'aie sorti un clip avec 30 Jacques différents (Phonochose #1, ndlr). Si maintenant, les gens se disent : « ok, Jacques, son délire c'est l'étonnement, et de taper toujours là où on ne l'attend pas », il y a un moment où forcément, pour les surprendre, il va falloir que j'arrête de les surprendre. Comme j'en suis conscient, ça sera facile pour moi d'aller faire du continu quand on attend du discontinu, et réciproquement. Le jour où il sera de bon ton de ne pas m'aimer, d'ici 9 mois/1 an, quand on dira « Jacques, c'est pas si bien », hé bien je ferai une vidéo où j'assisterai à mon concert en train de m'emmerder. J'ai déjà prévu un clip où je vais brûler des photos de moi, tirer des fléchettes sur ma gueule... Il faut juste que ce soit sorti au bon moment. Le mainstream suit son instinct, et quelqu'un qui suit son instinct va plaire au mainstream. Pour ça, je ne m'en fais pas. Après, les gens qui sont dans l'annexe, dans la hype, le "underground", ils se croient indépendants alors qu'ils ne font les choses que par réaction. Les hypeux sont hyper vulnérables et manipulables parce qu'ils se sentent malins. Ils sont aveuglés par le fait de se sentir malins. C'est comme ma coiffure, j'arrive à leur faire croire que c'est stylé, alors qu'en réalité, c'est super naze.
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Tu as organisé des soirées, monté des squats. Quelle est ta vision de la nuit ? Le monde de la nuit, c'est l'endroit où les extrêmes sont liés. C'est le point de rencontre entre la spontanéité la plus totale, la plus enfantine et noble, et le snobisme absolu. Ce point de rencontre s'appelle la "coolitude". T'es vraiment cool mais tu sens qu'à un moment dans les clubs, ça flanche, il y a un moment où tu passes d'une majorité spontanée à une majorité surjouée. Tu peux imaginer que la lune passe à côté d'une planète, et d'un seul coup, clac, tu passes de l'un à l'autre. C'est une vision complètement personnelle. Dans une soirée, on vit à petite échelle ce qui peut être la trajectoire d'une société ou d'une civilisation. Au début, ça galère un peu, ensuite ça se décoince et ça devient spontané, puis on arrive ensuite dans la décadence. Comme je ne bois pas et que je ne me drogue pas, j'ai tendance à vachement voir ça. C'est pour ça que je ne vais jamais en after, pour moi les afters, c'est l'enfer sur Terre. Vraiment, je vois l'enfer comme un after éternel : tu kiffes, mais sur une trame de fond complètement inutile, le kif se met à son propre service. C'est là où tu butes toute ta naïveté. Et puis dormir c'est bien. Et prendre de la coke, ça rend con.
— Tout est magnifique EP (Pain Surprises) — Guettez ce mois-ci la sortie de son single À la radio EP (Pain Surprises). — Petit message : Jacques cherche une boutique de 80 m2 à Paris, dans laquelle il peut mettre du son. Il veut y faire un calendrier de l'Avent musical entre le 1er et le 24 décembre. Et ensuite passer Noël avec tous les gens qui n'ont pas de famille.
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Mauricette par Amaury Grisel. Retrouver son travail magnifiquement SM sur amaury-grisel-shibari.tumblr.com et fb.com/amaury.grisel.art
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LITTÉRATURE T
TARA LENNART P JEAN SÉRIEN
CAMILLE EMMANUELLE — LE SEXE EST UN TERRAIN DE JEU Décomplexé. Ludique. Positif. Intelligent. Sexpowerment, l’essai gonzo de Camille Emmanuelle, bouscule les idées reçues et les tabous sur la sexualité, le genre, le fémi-
nisme et autre sujets devenus épineux. Sans contrefaçon ni posture, sans langue de bois ni langue dans sa poche. Rencontre avec une féministe qu’on a envie d’écouter. 17
Ton livre s’appelle Sexpowerment, d’où te vient ce concept ? Comment l’expliques-tu au futur lecteur qui a juste vu "sex" dans ton titre ? Tant mieux si il ou elle l'a acheté en voyant le mot "sex" ! C'est la stratégie de la jument de Troie : je t'attire avec le mot "sex", pour te parler certes sexualité, corps, plaisir, désir, et porno. Mais bim, je te parle aussi injonctions sociétales, politique et féminisme. Le concept de Sexpowerment est un néologisme créé à partir d'empowerment, qui veut dire, en gros, "processus d'émancipation". L'idée de cet ouvrage est donc que le sexe et le discours sur les sexualités font partie intégrante du processus d'émancipation individuelle et collective des femmes, et aussi des hommes. Tant qu'on ne sera pas débarrassés des stéréotypes sur la sexualité féminine et masculine, on continuera à véhiculer des clichés sur les hommes et les femmes "en général". Ton livre donne une vision décomplexée du sexe, et c’est vivifiant ! Penses-tu que le côté "tabou" commence à décliner pour de bon ? J'espère offrir une vision décomplexée, sans rajouter de nouvelles injonctions, de nouvelles pressions. L'équilibre, dans le discours sur le sexe, est difficile à trouver. Je souhaite inciter hommes et femmes à connaître vraiment leur corps, à s'interroger sur leur désir, à se sentir libres, à jouer avec la norme et le hors-norme, à vivre du sexe joyeux et émancipateur. Mais pour autant je ne vais pas donner de recettes toutes prêtes, et dire aux gens qu'il faut à tout prix baiser pour être heureux, et ce tous les jours, aux femmes qu'il faut être multi-orgasmiques, avoir 25 sextoys dans un placard, deux amants dans un autre, et encore mieux une amante, parce que « c'est trop tendance en 2016, être bi, hihi » (cf certains articles de la presse féminine...).
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En France, il y a peu de féministes prosexe ou « sex positive », comme tu le définis. Pourquoi ce côté un peu "coincé", selon toi ? Il y a des personnalités féministes sex positives en France. Ovidie, Emilie Jouvet, Wendy Delorme, Virginie Despentes, Louise de Ville, etc etc. Des femmes qui ont marqué ma pensée. Mais on n'est pas rassemblées en association, or les médias français aiment bien interviewer des représentants d'associations, sur les sujets d'actu. Donc on va demander quasi systématiquement à la porte-parole d'Osez le féminisme son avis sur tel ou tel sujet, et titrer ensuite "Les féministes pensent que...". C'est assez énervant. Et pour répondre plus précisément à ta question, c'est vrai qu'en France il y a plus de féministes abolitionnistes (qui souhaitent abolir la prostitution) et anti-porno, que de féministes sex positives. Mais ça bouge, je crois, depuis quelques années. En tout cas un des objectifs de mon livre est de rendre ces questions plus grand public. On en entend de toutes les couleurs en matière de féminisme en ce moment… Comment penses-tu que ta vision, ton message, puisse faire son chemin dans la tête de quelqu’un qui sera un peu réac' à la base ? J'espère surtout convaincre celles qui pensent qu'elles ne sont pas féministes parce que : elles aiment les hommes, elles aiment le cul, elles aiment parfois porter des chaussures à talons limite pou-pouffes, elles n'ont pas envie d'être étiquetées "victimes", etc etc. Dans mon livre je leur dis : ben ouais, je suis comme vous, mais je suis féministe, car je prône l'égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. Et vous aussi. Or les droits que nos grand-mères ont acquis pour nous sont fragiles, il y a encore beaucoup trop d'homophobie dans la société française, le retour du religieux peut mettre
en péril les libertés sexuelles. Donc chacune (et chacun, car les hommes aussi peuvent être féministes) peut à son petit niveau faire avancer les choses, ne serait-ce que dans les mots. En faisant déjà en sorte que "féminisme" ne soit pas un gros mot. C’est quoi l’avenir du sexe selon toi ? De la vision du sexe ? Je parle dans mon livre d'un mot que j'ai inventé, la "pansensualité". La pansensualité existe, cela veut dire être potentiellement attiré sexuellement et/ou sentimentalement par d'autres individus de tous sexes ou genres. La
pansensualité, c'est intégrer dans son couple (hétéro, gay, ou lesbien) un dialogue sexuel au sein duquel le genre est fluide, et mouvant. On peut, pendant une partie de jambes en l'air, être homme-homme, femme-femme, homme-femme, femme-homme. Le sexe est un terrain de jeux, et c'est le seul espace où l'on peut faire tomber le masque social. Et le masque du genre aussi. C'est fabuleux ! Bref, si un jour je deviens gourou, je prônerai cette pansensualité. — Sexpowerment. Editions Anne Carrière. La Chose en collab avec Brain. Editions Privé
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LITTÉRATURE T
LES
TARA LENNART
MOTS MINUIT
Blanche comme une page, la nuit s’inscrit aux abonnés absents. Pas de marchand de sable à l’horizon ni de pilules magiques pour baver
DE
dans les bras de Morphée. Ne cherchez plus, lisez. Et dans votre lit, c’est encore mieux !
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Spada Bogdan Teodorescu — Editions Agullo Un tueur étrange tue des Roms et personne ne s’inquiète vraiment… Qui se préoccupe des Roms, après tout ? La jeune maison Agullo ouvre ses pages aux littératures des pays de l’Est, ici la Roumanie, et nous donne une belle leçon de multiculturalité. Ce polar sale (et c’est une qualité pour un polar !), écrit par un écrivain considéré comme le père du modernisme roumain, nous lance sur les traces de ce tueur, sans oublier de démonter le système médiatique et politique roumain. Conseil : à ne pas commencer avant de dormir. Sinon vous ne dormirez pas, vive la politique-fiction… Retour à Babylone Kenneth Anger — Editions Tristram Kenneth Anger, pape du cinéma arty underground étrange, ne fait pas que donner son nom pour des blousons chers et ornés d’un arc-en-ciel destinés à des hipsters fétichistes. Il continue à distiller ses connaissances sur les coulisses du mythe hollywoodien avec une plume acerbe, acide et implacable doublée d’un humour grinçant. Avec lui, l’usine à rêves prend un coup et nous montre que les stars sont des gens "normaux", avec leur lot de perversions, secrets, addictions et zones d’ombre plus ou moins glauques. Et évidemment, c’est totalement addictif ! Un chant de Pierre Ian Banks — Editions L’Œil d’Or Amateurs d’écriture choisie, de mots ciselés et d’ambiances étranges, ce livre vous séduira et rendra vos nuits aussi blanches que la couverture de ce grand roman gothique. A une époque indéfinie, en hiver, une guerre fait rage. Un style époustouflant nous transporte dans cet univers étouffant, menaçant, incertain, où tout devient possible, où le danger menace et les apparences jouent des tours. Magnifique road movie qui rappelle un peu les ambiances glaciales de Cormac Mc Carthy et de sa Route.
Poésies Isidore Ducasse — Editions Allia On a tous un romantique qui sommeille dans nos baskets, un poète maudit qui hausse les sourcils et lève les yeux au ciel. Afin de parfaire le personnage, plonge-toi dans les superbes textes du premier des hipsters chouineurs, bien plus doué que toi et moi. Isidore Ducasse, aka Lautréamont, lâche le masque gothique et livre ici une poésie en prose subtile, vénéneuse et délicieusement nihiliste, doublée d’une ironie glaçante. Et facile à glisser dans la poche, pratique pour draguer ! La Nuit nous grandissons Ben Brooks — Editions La Belle Colère Le petit Jasper a 17 ans, l’âge de toutes les expérimentations, de l’obsession sexuelle et des fêtes entre copains. L’âge d’or, mais on ne le sait pas. On préfère fantasmer sur la majorité toute proche… Jasper ne fait pas exception, sauf qu’il possède un cynisme et un humour noir jouissifs. Il est prêt à tout pour arriver à ses fins, enfin, c’est ce qu’il aime mettre en avant… Sous ses airs fanfarons d’accro au porno et d’obsédé par le sexe se cache un personnage tout en finesse, en lucidité et en observation. Tout à fait le genre d’ado qu’on est nombreux à souhaiter avoir été. Il n’est jamais trop tard ! Une femme chez les chasseurs de têtes Titaÿna — Editions Marchialy HS Thompson, tiens-toi bien ! La « creative non fiction » se portait déjà bien entre 1925 et 1939, époque à laquelle cette femme française, rare dans son genre à être grand reporter, parcourait le monde. Et là, c’est un périple au fin fond de l’Indonésie, chez des "chasseurs de têtes", qui nous est raconté dans un style poétique, où descriptions ultra précises et piques d’humour se mélangent. On lit ce reportage comme on regarde une série ambiance Indiana Jones. Et on prend une bonne claque en passant : le journalisme, et le féminisme, c’était mieux avant.
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CINÉMA T
PIERIG LERAY
LES SORTIES CINÉ
Ils sont partout d'Yvan Attal Sortie le 1er juin Cet Yvan Attal qui ose attaquer le festival de Cannes qui selon ses dires n'a pas le cran de programmer de tels films sociétaux. Qu'on le rassure, cette décharge de bien-pensance où l'antisémitisme est tartiné à contre-sens pour mieux porter un message dégradant et puéril n'a pas été sélectionné car c'est un vide sans importance (qui a dit que mes phrases étaient trop longues ?). Pire, il ose s'attaquer à un réel sujet et le bafoue d'un non-sens cinématographique. C'est une daube qui tire son sujet vers le bas. Et ça peut en devenir grave.
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Peshmerga de Bernard-Henry Levy Sortie le 8 juin Comment ne pas sourire jaune devant ce documentaire dictatorial du "libéral" BHL ? En étirant sur 1h30 son voyage initiatique guerrier dans un nuage plombé par les balles mais aussi par une propagande pro-kurde incessante et d'un autre temps, BHL bafoue ses propres convictions. Je ne peux comprendre ce choix de dernière minute au festival de Cannes, tant la motivation de son cinéaste est nauséabonde. Pas d'esprit, pas de réflexion, manichéisme jusqu'au-boutiste sans faille. Là aussi, le cinéma fait froid dans le dos quand il véhicule, j'allais dire de la sournoiserie, mais vu l'éloquence assumée du film, même pas. Un simple martèlement pour choper de l'opinion publique anti-Daesh. Drôle de sensation, désagréable sueur guerrière.
Mais aussi : Retour chez ma mère de E. Lavaine, c'est pour ce genre de merdouille française que je souhaite secrètement la mort de Canal +, qu'on arrête de payer la famille Lamy (0/5), L'idéal de F. Beigbeder sortie le 15 juin, on adore Gaspard Proust, mais la comédie potache et la déglingue sexe, drogue, VRP de Beigbeder, c'est tellement du passé (1/5), Le monde de Dory de A. Stanton sortie le 22 juin, Pixar a du mal avec les suites (excepté Toy Story), mais l'amnésie de Dora remporte la perle de l'océan (4/5).
The Neon Demon de de N. Winding Refn Sortie le 8 juin
La loi de la jungle de Antonin Peretjatko Sortie le 15 juin
Au départ clivant et perturbant, le dernier Refn se macère dans un ventre noué et nauséeux pour en ressortir plus avisé, comme cet œil degueulé en scène finale. Objet pop hors du temps, sur-esthétisme épileptique, scène déjà culte (la discothèque), Neon Demon joue avec nos sens primitifs. Parfois déboussolé, voir gêné par l'excès, il gagne son duel acharné par sa question posée, « qu'est-ce que la beauté ? » « La beauté ne fait pas tout, elle est tout. » Tristement oublié par un jury cannois complètement à côté de ses pompes, Neon Demon est une expérience hors du temps, car déjà en avance sur lui. Il ne laissera personne indifférent, car il est déjà culte.
Pourquoi s'entêter à vouloir faire un film branché ? Et par définition déjà désuet. Le cinéma contemporain n'est pas un pot-pourri de ramassis de cinéma de genre : un peu de Nouvelle Vague au rabais (regardez-moi cette bande-annonce grotesque), de Wes Anderson déjà bien limité mais là on en tire le pire, de Miguel Gomes et son Tabou sans la poésie. La liste est non exhaustive et donne une bête hybride sans saveur, résultante au mieux d'un mauvais critique de cinéma qui s'essayerait à la mise en scène, au pire d'un cinéaste prétentieux sans talent. Et il n'y a personne pour dire que Vincent Macaigne devient intolérable et ressemble de plus en plus à Kad Merad avec une perruque époque Comédie ? Je suis Debout, et je ne bougerai pas. 25
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MUSIQUE T
DC
ARNAUD ROLLET P MAURINE TOUSSAINT
SALAS — GENDRE IDÉAL
Depuis Peru jusqu’à l’EP When You Left, DC Salas ne nous a jamais déçus. Aussi doué dans la cabine que derrière les machines, le Dj-producteur pourrait aisément se vanter
d’être l’un des casseurs de reins les plus en vue de Belgique. Trop modeste, il ne le fera pas. On s’en occupe alors à sa place.
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Appeler son premier maxi Peru quand on est d’origine péruvienne, ce n’est pas un peu cliché ? Ça pourrait, mais les gens ne connaissent pas forcément mes origines. J’ai écrit ce morceau dans un avion qui me ramenait de là-bas. Or, quand je vais au Pérou, c’est souvent pour des voyages d’un à deux mois entouré de ma famille. C’est cette nostalgie, ce ressenti, que je voulais exprimer. Il y a derrière une intention différente que celle de simplement dire « je suis péruvien ». À sa sortie en 2010, le track s’est retrouvé dans les sets de pas mal de Dj’s. Ce succès t’a-t-il ouvert des portes là-bas ? Ben non ! À l’époque, la scène électronique péruvienne n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Par contre, un Dj espagnol booké à Lima m’avait envoyé une très belle vidéo de lui, en train de passer le morceau devant 3 000 personnes, sur la plage… C’était beau ! Jouer au Pérou est donc un rêve pour moi, car la musique en Amérique du Sud occupe une place centrale dans la vie des gens. Être Dj làbas, c’est une autre dimension qu’en Europe. Tu n’as pas d’agent ni de booker ? Jusqu’à présent, c’était l’un de mes meilleurs amis qui s’occupait de mes bookings, mais maintenant qu’il a un job, je m’en occupe moimême. Et ça devient vraiment compliqué. Avis à tout booker intéressé, déchargez-moi de ce boulot ! On sait que tu as grandi avec Brassens, Brel, les Beatles... Par contre, on ignore ton premier contact avec la musique électronique. Pour le coup, ça va sûrement être un peu cliché, mais ça s’est fait avec le premier album des Daft Punk. J’avais 9 ans en 1997 et cet album était impressionnant tellement il changeait les codes. C’est lui qui m’a fait m’intéresser à cette mouvance. Avec mon père, j’allais toutes les 28
semaines à la médiathèque de Bruxelles et je prenais cinq à dix albums à chaque fois. Après les Daft, j’ai dû bouffer les trois quarts du rayon musique électronique en un mois et demi ! Quels autres artistes ont forgé ta culture électro ? Laurent Garnier, Sound Of The Big Babou, et dans un autre genre, Prodigy. Il y a aussi deux compiles mixées : le DJ-Kicks de Tiga, un mix très riche que j’écoute d’ailleurs encore beaucoup aujourd’hui, et le Radio Soulwax, qui m’a encore plus impressionné. Ce mix-là, avec tout son mélange d’influences, m’a fait voir une autre facette de ce que pouvaient être le Djing et la musique électro. Même si on a toujours fait une musique assez hybride en Belgique, ce mix a été une bonne claque dans la gueule. Sur le Net, tu soutiens d’ailleurs régulièrement la scène belge… Il faut ! On est un petit pays : il faut être fier de ce qu’on fait et de ces ainés qui ont pu tracer une route dont on peut s’inspirer par moments. Est-ce que la petite taille du pays t’a permis de percer plus facilement ? Ouais, je pense. Mais avant même de parler de la Belgique, on peut parler de Bruxelles. Moi, j’ai commencé dans la musique électronique via la radio, avec Electrochoc, une émission de deux heures que j’ai animée dès l’âge de 13-14 ans et où on invitait à chaque fois un artiste ou Dj belge, avec une interview et un petit Dj set. Grâce à elle, j’ai pu rencontrer un peu tous les artistes et promoteurs bruxellois. Et une fois que tu connais ce petit groupe, tu connais tout le monde. Ici, tout le monde collabore avec tout le monde. C’est un petit village, avec ses bons et ses mauvais côtés. Côté collab’, tu sembles être un "sidekick" idéal pour tes compatriotes, que ce soit avec le groupe Joy Wellboy, Mugwump (voir Le Bonbon Nuit 46) ou
Thomas Sari avec qui tu formes Polar. Tu es plus à l’aise entouré qu’en solo ? C’est drôle car, au départ, je ne suis pas très porté sur la chose, dans le sens où faire des collab’ pour faire des collab’ ne m’intéressait pas. Mes collaborations sont avant tout "humaines" : cela vient toujours d’une rencontre, de points communs artistiques et après, ça prend forme. Avec Geoffroy (aka Mugwump) par exemple, on se croisait fréquemment à Bruxelles et un jour, il m’a proposé de faire un remix ensemble, puis un EP, etc. Avec Joy Wellboy, j’ai commencé par faire du live avec eux, puis des remixes et maintenant on fait des morceaux ensemble pour mon album. Pour moi, ce sont des parenthèses, des petites bulles d’oxygène dans ce quotidien assez solitaire lié à ma façon de produire. Ça me sort de la routine et me permet ensuite de revenir avec des idées encore plus fraîches.
À quoi ressemblera ce premier album et où sortira-t-il ? Ce sera sur Biologic, la plateforme qui me permet d’être le plus indépendant possible et d’exprimer ce que je veux. Le sortir dessus, c’est aussi une manière de défendre ce label dont je m’occupe avec Harold (aka le Français Abstraxion), de lui apporter autant que ce qu’il m’apporte. Quant à l’album en lui-même, je mise sur une sortie début 2017 : j’ai déjà une douzaine de démos en cours et un premier single quasi prêt. Par contre, ce ne sera pas un album club, mais une histoire, des tranches de vie, quelque chose de plus mélodieux que mon dernier EP. Ça se rapprochera plus de Peru et de ce que j’ai pu déjà faire avec Joy Wellboy. C’est aussi pour pouvoir l’exprimer en live et sortir de ce chemin "électronique-club-120 BPM-white noise-les mains en l’air".
When You Left EP (Biologic Records) 29
Au dessus : Robarts Evan, Cinderella, 2016 Plâtre FGR sur carreaux en vinyle montés sur panneau de bois, 182x213x5 cm Ci-contre : Gagliardi Louisa, 7:30 pm, 2016 Vernis à ongles, gel medium, encre sur vinyl, 115x165 cm — Expo Retiens la Nuit, carte blanche à Hugo Vitrani. Du 2 au 25 juin à la galerie Rabouan Moussion. 11, rue Pastourelle Paris 3e
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MÉDIAS T
MPK P VALENTIN PINEL
FRANÇOIS ANGELIER — UNE MYSTIQUE DE LA DISSIDENCE Mauvais genres sur France Culture est sans exagération aucune l'une des meilleures émissions radiophoniques de l'univers persistant. Pour les âmes damnées qui ne connaissent pas encore cette bénédiction, nous dirons que celle-ci explore la littérature déviante, les polars, la SF, le gore, la porno-
graphie clandestine... mais toujours avec le souci de mettre en avant des productions qui rongent et qui tordent les discours dominants. Nous avons eu l'honneur de rencontrer François Angelier, responsable de cette subversion culturelle depuis bientôt presque 20 ans. 33
François Angelier, pourriez-vous nous donner une définition plus personnelle mais aussi plus précise du "mauvais genre" ? C'est très compliqué. Effectivement, mon émission a deux axes qui en définitive se rejoignent : le premier, c'est d'être un magazine hebdomadaire de la culture de genre. Le deuxième, c'est l'exploration complexe du mauvais genre, un concept qui ne se définit pas mais qui s'éprouve et qui se ressent. Le mauvais genre, c'est donc un sentiment un peu étrange qui vous fait dire qu'une production artistique fait partie de cette catégorie ou non. Beaucoup de gens se donnent du mal pour l'être mais ne le sont pas, et d'autres qui n'y pensent pas, le sont totalement. Le mauvais genre finalement, c'est une façon d'inquié-
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ter le système, de sortir de sa quiétude et de subvertir toute les formes d'encadrement, de culture, de comportement... S'il y a un "mauvais" genre, c'est qu'il y aussi un mètre-étalon, un "bon" genre. Quelles sont pour vous les caractéristiques de ce "bon" genre ? Le problème, c'est qu'aujourd'hui, plus personne ne veut être bon genre. Aujourd'hui, le bon genre est totalement ignoré, et je pense même que les gens qui aimeraient faire du bon genre n'y arriveraient pas. Cette étiquette correspond à une époque révolue, le bon genre a disparu après 68. À cette époque, il y avait des gens qui considéraient qu'il y avait les honnêtes gens et les voyous, etc... Aujourd'hui, on est dans un mauvais genre généralisé, qui a été
digéré et banalisé, commercialisé... Plutôt que de combattre par le feu et par le fer le mauvais genre, il est plus efficace de le digérer et de le mettre en circulation sous une forme aseptisée et la plus inoffensive possible. La culture dominante a intégré comme code ce qui doit échapper aux codes, et en a fait finalement un nouveau code. Le mauvais genre peut-il être grand public ? On peut trouver des productions de masse, ou des productions confidentielles, et parmi celles-ci, il y a celles qui nous intéressent ou pas. Stephen King, Kubrik, certains films de Walt Disney sont totalement mauvais genre tout en étant grand public. On ne privilégie pas la rareté. On considère que s'il y a mauvais genre, il est certes dans la nature même de l'objet, comme lorsque l'on traite de Kenneth Anger, Joel Peter Witkins, etc., mais ce qui nous intéresse le plus, c'est le mauvais genre dans l'angle. Le mauvais genre ne réside non pas dans l'objet, mais dans l'œil de l'observateur, dans son regard. Si mauvais genre il y a, il est donc plutôt radicalement dans le regard que dans l'objet du regard. Parmi la pléthore d'invités que vous avez reçus dans votre émission, quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ? C'est souvent dans le domaine du polar américain qu'il y a des personnalités fortes. Des gens comme Edward Bunker, Jerry Stahl, Kenneth Anderson, Ellroy... Ils m'ont beaucoup plus marqué que les auteurs de littérature fantastique. Vous savez, dans l'ensemble, les gens qui écrivent des choses hallucinantes, vertigineuses, transgressives, sont en réalité des gens très paisibles. Les auteurs de polar américain, eux, ont souvent un vécu très border-line. Votre première expérience radiophonique a eu lieu en 1983, déjà sur France Culture. Vous aviez 25 ans et vous aviez
fait une sorte d'opéra très expérimental sur Lovecraft. Qu'est-ce qui vous a fait résonner chez cet auteur très particulier ? La culture de l'indicible, ou quand la vision se dévore elle-même. L'horreur ultime, c'est vraiment ça qui m'a plu chez Lovecraft. Et surtout aussi l'idée qu'on part d'un quotidien assez banal et puis une minuscule fissure apparaît et s'élargit, s'élargit, et finit par avaler l'univers entier. François Angelier, vous êtes un fécond paradoxe, puisque en parallèle, vous êtes également érudit en matière de religion, ou plutôt de mysticisme. Y'at-il un mysticisme du mauvais genre, et un mauvais genre du mysticisme ? Oui, tout ça finalement c'est la même chose. Bon, je n'irai pas jusqu'à dire que Dracula et Thérèse d'Avila, c'est pareil, mais ça participe du même phénomène, c'est la même nature d'évènement. Ce sont des phénomènes qui excèdent, des phénomènes excessifs et marginaux. Ce sont à la fois des cas d'espèces, des exceptions, et en même temps des révélateurs. Je pense que la mystique, dans toute forme de cadre de religion, est un mauvais genre absolu. La mystique est le mauvais genre de la foi : ils ne demandent pas d'autorisation, ils ont accès à Dieu en direct, ils sont souvent pourchassés, persécutés, tenus en bride, en lisière, c'est EXACTEMENT pareil pour les figures du mauvais genre. Votre remède "mauvais genre" contre la gueule de bois ? Une deuxième gueule de bois. Vous savez, c'est comme dans Le Salaire de la peur : pour éteindre un derrick en feu, il faut une explosion encore plus forte. — Mauvais Genres sur France Culture, le samedi de 21h à 23h. 35
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leonardbutler.fr
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ENQUÊTE T
PHILIPPE BUVARD
L’ACIDE DÉVELOPPE-T-IL LA CRÉATIVITÉ ? Ah l'art et les acides… Une longue histoire d’amour qui mine de rien à changé à tout jamais la face du Rock. Que seraient devenu les Beatles sans Lucy in the sky ? Santana aurait fait de la samba, Funkadelik du Cool and the Gang. Aujourd’hui encore, regardez Tame Impala sans ses nappes suintant le lysergide, ça ressemblerait à du Kyo pour Australien. Mais qu’apporte le buvard magique à l’inspiration musicale ? C’est ce que j’ai été demander à un petit groupe de punk parisien pendant leur répète de merde. Je leur donne à chacun une méga dose de diéthylamide de l'acide lysergique, communément appelé un acide, un ace, un carton, une perche, un trip… Au début, ce sont quelques erreurs d’accords, des mauvaises notes par-ci par-là, des cris bizarres de la part du chanteur. Ce dernier semble avoir un cheveu sur la langue qu’il n’arrive pas à trouver. Tous commencent à jouer dans une rythmique beaucoup plus lente, le morceau devient davantage… musical. Leur punk strident et d’habitude inaudible (et chiant) devient tout à coup mélodique. Chiant quand même rassurez-vous… Johnny le leader interrompt cette partouze de fausses notes pour une pause pétard. S’en suit une dispute incohérente sur « l’avenir » du groupe. Kroutch, le bassiste, a des envies de chanson plus douces, en a marre de la violence de leurs songs. Le batteur, à son tour, insiste lourdement pour
acheter un gong à la Baguetterie. Le chanteur lui, veut créer un nouveau style de musique qui s’appellerio le « Quézac ». « C’est un genre que tu sais pas encore ce que c’est. » Bref, ils sont tous devenus super cons. Après une tirade de Johnny sur le « Quézac » au micro, un mélange entre le I have a dream de MLK et JCVD, le chanteur, guitariste propose une reprise de Another Day in Paradise de Phil Collins, performé dans le noir complet. Le résultat est étonnamment super nul, mais eux sont à fond dedans. Une sorte d’improvisation foireuse qui respecte plus ou moins l’originale de ce cher Phil, mais avec des sons de basse pouvant être confondus avec des bruits de pets de loutre que Johnny visualise dans le noir et surnommera plus tard le « bruit jaune ». Joseph, le batteur, n’arrive pas à jouer tellement ce con est mort de peur. Finalement la décision est prise, le « Quézac », ce style inventé il y a 20 minutes, aux rythmes de samba rockisé puis ralenti à l’extrême, à mi chemin entre Slipknot et Isabelle Bouley, s’appelera désormais le « Yellow ». Après cette magnifique prestation, le groupe est euphorique à l’idée de réécouter leur jam en fumant des pétards et en se caressant les cuisses. Le verdict est unanime et sans appel : c’était vraiment de la merde. Merci. 39
Tombé en fascination, tout gamin, sur des exemplaires 70's du magazine Photo, Alain STHR pratique depuis 20 ans, et sans aucune régularité, l’enregistrement photographique de ses ami(e)s. Alain est attentif aux couleurs et aux marques du corps, à une certaine mélancolie, et aime faire ressortir la force et la lumière de ses modèles. alainsthr.tumblr.com
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EXPO T
MPK MAURINE TOUSSAINT P
JEAN-YVES LELOUP — ÉLECTROENCYCLOPÉDIQUE Ex-rédacteur en chef de Radio FG et exrédacteur en chef adjoint de feu Coda, journaliste hyperactif ayant collaboré entre autres pour Libé, Actuel ou Tsugi, écrivain, Dj, musicien, designer sonore, prof chargé de cours à la Sorbonne... Jean-Yves Leloup est ce que l'on appelle en matière de musique électro-
nique un érudit. Une érudition qu'il a choisi de nous faire partager en co-organisant avec Jean-Louis Frechin et Uros Petrevski la très belle et très exhaustive expo ElectroSound, du lab au dancefloor. Un brin de conversation avec lui s'imposait.
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J'ai envie de commencer cette interview par une question de sémantique. Il y a quelques années encore, l'on parlait du terme générique "techno" pour parler de l'ensemble des musiques électroniques. Et puis la "techno" est devenue l'"électro". De quoi ce glissement est-il le symptôme ? En effet, dans les années 90, même si le mot "house" était très présent, le mot "techno" était dominant. C'était au départ un genre musical relativement précis, et puis c'est devenu un mot qui désigne dans son ensemble toutes les musiques électroniques dansantes. Ensuite, on est passé à "musiques électroniques" au pluriel, un terme plus vaste qui traduisait la volonté qu'il y ait plusieurs tendances, que ce soit une culture à part entière : à partir de la période de répression qui commence au milieu des années 90, le mouvement techno s'est constitué une sorte de lobby avec des expositions, la Techno Parade, les actions de Radio FG, etc... Au début des années 2000, on a commencé à parler d'"électro house" quand la house est devenue plus agressive avec des sons médium en perdant sa deepness et son côté soulful, elle a gagné un aspect plus synthétique, parfois cru, parfois racoleur. Je ne sais pas très bien comment le terme "électro" s'est imposé... Dans les années 2000, il y a eu un vrai retour en grâce du rock, dans les médias, dans la mode, dans l'imagerie - qui aujourd'hui a totalement disparu -, et peut-être que le terme "électro" traduit cette nouvelle vague qui est née à partir de 2006-2007 avec tout le courant "banger/turbine"... C'est un terme qui traduit en tout cas la domination actuelle sur la jeunesse de toutes les formes de musiques électroniques. Il y a dans l'expo Electrosound une volonté d'être "universel", une ambition de tout dire à tout le monde en passant par différents médias, qu'ils soient technologiques, musicaux, picturaux. Parmi 44
les multiples facettes de la musique électronique explorées par l'expo, concentrons-nous sur son pouvoir rassembleur, œcuménique, extatique. On touche presque à quelque chose de dionysiaque. Peux-tu un peu développer ce lien techno-Dionysos ? Ce concept de dionysiaque a vraiment été exprimé pour la première fois a propos des soirées rave par le sociologue Michel Maffesoli. Il n'y a pas très longtemps, j'ai vu une définition très claire de cette notion par Didier Péron dans Libération. Il y décrit parfaitement le mélange de communautés sociales et éphémères qui se crée autour de la musique, autour de la nuit. Il y a cette perte temporelle qui paradoxalement imprime nos souvenirs de manière très très forte. Le temps se dilue dans une grande soirée techno, il semble se dilater, on peut danser jusqu'à très tard, et s'oublier dans la masse. Cela a en partie à voir avec la définition du dionysiaque tel que l'avaient imaginé les Grecs. La musique électronique est-elle rentrée dans le rang ? A-t-elle toujours sa charge politique et subversive, ou bien est-elle un pur object de consommation hédoniste ? Est-ce qu'on peut opposer le plaisir et la réflexion ? La techno et les grands festivals, les raves, sont des manifestations éminemment politiques parce qu'ils rassemblent des gens autour d'une forme d'idéal esthétique commun. C'est très générationnel : parfois cette période dure 3-4 ans, c'est une période de transition qui a été étudiée par les sociologues et qui se situe entre la post-adolescence et l'âge adulte. Cette période peut-être sociale, sociétale, mais elle peut être politique. Je pense que c'est en révolutionnant les formes que l'on peut révolutionner la société en profondeur. Il n'y a rien de plus réactionnaire que des chanteurs contestataires qui ne font que reproduire des schémas esthétiques qui sont les mêmes. La
politique, dans la techno, elle ne s'exprime pas dans les samples, ni dans les paroles. Elle s'est exprimée à travers différents aspects, que ce soit les free parties avec la gratuité, les labels indépendants, les réseaux alternatifs, l'émancipation des minorités sexuelles, le "combat" pour une certaine forme d'anonymat pour déraciner l'égo de l'artiste... Tu as choisi d'illustrer une partie de l'expo qui traite du dancefloor par les photos d'un photographe que l'on aime beaucoup, Jacob Khrist. Que nous apprend son regard sur les nuits électroniques actuelles ? Je pense que son regard raconte très bien la jeunesse de son époque. C'est ça qui m'a
frappé, moi qui aie maintenant la quarantaine passée. Je trouve que Jacob est quelqu'un qui documente l'époque de manière très belle. Il y a beaucoup de tendresse dans son regard pour les danseurs, les fêtards, même quand ça devient un peu trash. Oui, il y a une forme de tendresse trash chez lui. Que ce soit quelqu'un qui prend de la kétamine, un type à moitié à poil, deux jeunes danseuses de 18 ans qui partent en goguette au Weather, il y a chez lui toujours à la fois un respect et une volonté de documenter, ce qui est assez rare. — ElectroSound, du lab au dancefloor Jusqu'au 2 octobre 2016 Espace Fondation EDF 6, rue Récamier, 75007 45
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AGENDA
JEUDI 9 JUIN 16h Le Chalet du Lac 10€ La Paramour x Senju w/ Nozwan, Paul Cut, Emmanuel Russ, Alex Troubetzkoy, Saverio Dima & more VENDREDI 10 JUIN Bonbon Boumette A partir de 22h à l'Opéra Garnier SAMEDI 11 JUIN 00h Le Batofar 15€ RENASCENCE w/ MALL GRAB, CHAOS IN THE CBD & MYN DIMANCHE 12 JUIN 14h Chalet du Lac 15€ Le SOUQ w/ Nu, Lum, Oceanvs Orientalis, Viken Arman MERCREDI 15 JUIN 17h Nüba gratuit Dure Vie • L'erreur du Mercredi w/ Vito et Clouclou La Mamie's, Discomatin, Limonadier, La Klepto VENDREDI 17 JUIN Bonbon Boumette A partir de 22h à l'Opéra Garnier
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SAMEDI 18 JUIN 00h Punk Paradise 10€ Imported Party w/ Pascal Viscardi DIMANCHE 19 JUIN 7h Concrete 20€ Kenny Dope, Sonja Moonear, Dorisburg, Seuil,Anil, Playground Paris Union.. JEUDI 23 JUIN 00h La Java 5€ Jeudi Minuit Invite Pardonnez-Nous VENDREDI 24 JUIN Bonbon Boumette A partir de 22h à l'Opéra Garnier SAMEDI 25 JUIN 23h30 Cabaret Sauvage 24€ Crepuscule #5 w/ Omar-S, Phil Weeks, Jasper James DIMANCHE 26 JUIN 14h La Plage du Glazart gratuit DansonsParis : Playa Bonita ! w/Marcel Vogel, Nick V, Into The Deep
ALASDAIR GRAHAM, DAVID PETTIGREW ET GRAHAM LORIMER ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.
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LE CLAN CAMPBELL.
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
création pure UNE EAU DE SOURCE PURE UNE VODKA DISTILLÉE EN CONTINU UNE CRÉATION ORIGINALE