Été 2016 - n° 66 - www.lebonbon.fr
EDITO � Notre envoyé spécial, en direct du matin C’est un petit pas pour l’homme fainéant, mais un grand pas pour la science. Ce jour est à marquer d’une pierre blanche. Je suis actuellement en direct d’un endroit exceptionnel que je vais tenter de vous décrire. Je vous parle d’un monde qu’a rarement frôlé notre tribu. Un monde étrange et pénétrant, très privé, très guindé, qui possède ses codes, ses lois physiques et même son propre langage. Je veux parler du matin. La gravité est étrange dans le matin, chaque pas semble plus lourd. L’air est doux, et il fait bon vivre. J’entends une musique pas top dans la rue, un peu arythmique. Lorsque je demande le nom du Dj à un nain à la voix claire et au cartable Pokémon, celui-ci me répond que c’est Oizo, ou un truc dans le genre, mais je ne reconnais pas du tout son style. Je décide ensuite de courir après un homme qui court alors que personne ne court après lui. Il s’appelle Jean-Jacques, il est de super bonne humeur et il dit bonjour à tout le monde. Il fait très probablement partie d’une secte qui s’appelorio travaï. Lui et les autres adeptes se regroupent dans un appartement sans lit (!!!) avec d’autres gens habillés pareil qui se plaignent d’avoir trop de choses à faire alors qu’ils ne branlent manifestement rien de rien. L’un d’entre eux aime mon flegme et me propose de l’argent en échange de ma venue dans cet appartement tous les matins de tous les jours. Ces gens-là sont décidément très étranges. Je l’ai envoyé se faire foutre. Je vais me recoucher. Raphaël Breuil
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TEAM �
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jacques de la Chaise RÉDACTEUR EN CHEF Raphaël Clément Breuil DIRECTEUR ARTISTIQUE Tom Gordonovitch CONCEPTION GRAPHIQUE www.Republique.Studio COUVERTURE Oxmo Puccino par Flavien Prioreau SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Louis Haeffner GRAPHISTES Coralie Bariot, Cécile Jaillard, Faustine Lemens RÉDACTEURS WEB Laura Dubé, Agathe Giraudeau, Rachel Thomas, Tiana Rafali-Clausse, Olivia Sorrel-Dejerine RESPONSABLE DIGITAL Antoine Viger COMMUNITY MANAGER Cyrielle Balerdi CHEF DE PROJET Dulien Serriere PARTENARIATS Charlotte Perget RÉGIE PUB Thomas Bonnet, Carole Cerbu, Arnaud Laborey DIRECTEUR DES VENTES Hugo Delrieu CHEFS DE PUBLICITÉ PRINT Nicolas Portalier, Benjamin Haddad SAS LE BONBON 12, rue Lamartine 75009 Paris Siret 510 580 301 00032 01 48 78 15 64 IMPRIMÉ EN FRANCE
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SOMMAIRE �
9 À LA UNE Oxmo Puccino 17 ART Michel Houellebecq 27 LITTÉRATURE Beat Generation 25 MUSIQUE Karneef 27 GONZO John B. Root 33 PLAYLIST Odezenne 42 EROTISME Nuits humides
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TOUS LES VENDREDIS DE L'ÉTÉ SUR LA TERRASSE DE L’OPÉRA, À PARTIR DE 22H INSCRIPTION SUR WWW.LEBONBON.FR
HOTSPOTS � ➊ DANSER LES PIEDS DANS LE SABLE On est assez fans des teufs du webzine/ collectif Dure vie. Alors quand ceux-ci nous embarquent pour 14 heures de pur son non-stop… on imagine facilement où l’on sera ce samedi 23 juillet. Écoute un peu : de 17h à 7h, Chez Damier, Brawther, D.Ko Records, Chineurs de House ou encore Dusty Fingers et Bastel. Viens voyager ! Samedi 23 juillet, à La Plage du Glazart. ➋ S’ÉVADER POUR L’APRÈS-MIDI Trois jardins somptueux de la capitale feront office de temple de nos rêveries vacancières. Le Club Limo nous embarque dans des contrées House, Funk, Disco & Groove dépaysantes. Prends note des dates des Quartiers d’Été, on se trompe rarement. 10/07, 24/07, 6/08, 14/08 aux Buttes Chaumont, à l’amphithéâtre de Belleville et au Champ-de-Mars.
© Johanna Depute
➌ SESSION BONDAGE AVEC ARAKI L’esprit libre et curieux des femmes ligotées du photographe Nobuyoshi Araki sera exhibé au musée Guimet. Une rétrospective sur cinquante ans de travail qui nous émoustille grandement tant par son esthétique libidineuse que par son horizon spirituel. Meilleur plan date. Musée Guimet, jusqu’au 5 septembre
➍ SAUVAGE DE NUIT Nuit moite, courte et sauvage. Sous le Wanderlust, une nouvelle jungle urbaine désormais s’active. Electrique, ténébreux et intense, tels sont les mots d’ordre de Nuits Fauves. Para One, Gilles Peterson et Superpoze sont notamment au programme, de quoi faire de ce nouveau lieu de fête un QG de choix tout l’été. Nuits Fauves, 34, quai d’Austerlitz 5
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O PU XM • C O O C C XY I AP M NO PU O R C ES C IN & O
À LA UNE � T WYATT TUSÉRIAN FEAT. RCB P FLAVIEN PRIOREAU
C’est en me demandant deux feuilles pour rouler un joint que le Cactus de Sibérie a entamé cet entretien. On a parlé de rap, de sa jeunesse, de sa carrière, de craquage et bien sûr de son rapport à la nuit. C’est dans les vapeurs de cannabis
qu’Abdoulaye Diarra de son vrai nom répond à nos questions, nous dévoilant un Oxmo après 20 ans de carrière. Un bonhomme imposant qui n’est pas devenu la caricature de lui-même, chose rare pour un rappeur quarantenaire. 7
“Le fond c'est juste un prétexte. Toujours. On ne cherche que des prétextes de toute façon…”
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Selon les époques, tu as beaucoup de blases : Puccino, OX, Black Desperado, Black Popeye… Est-ce que tu signeras un jour un album de ton vrai nom ? Mon nom civil ? Non. Oxmo Puccino, c'est mon vrai nom. J'ai changé de vie radicalement à partir du moment où j'ai pris mon pseudo à 19 ans, je suis parti sur autre chose. Mon entourage n’a pas compris, mais aujourd’hui c'est logique, c'est mon nom. On a cherché partout sur Internet la signification d’Oxmo Puccino. On a lu une super théorie sur YouTube : ça serait une contraction d'oxymores et de cappuccino… Il n'y a pas de raison. Les raisons finissent mal. C'était comment de grandir à Danube / Place des Fêtes, dans le 19e ? Pour savoir que c'était dur, il fallait avoir une notion d'ailleurs. On s'y adaptait mais ça construisait des individus complètement décalés lorsqu'ils sortaient. C'est culturel, c'est social. C'est l'univers dans lequel j'ai grandi. Des professeurs et des camarades pas évidents, des gens qui ne comprennent pas, le trafic de drogue, la précarité… La question, c'est de savoir comment passer de ça au monde extérieur. Et c'est très long. J'ai passé tout le reste de ma vie à déconstruire tout ça. La déconstruction de cette identité, on la sent dans l'évolution de ta carrière avec des premiers albums très new-yorkais, très rap de rue… Puis une ouverture progressive à la musicalité pour aboutir sur quelque chose qui n'est finalement plus si " rap". Je me permets de le dire car je l'ai vu naître, je l'ai vécu, j'y ai contribué et je suis encore là : Le rap n’existe plus. C'est fini. C'est
pour ça qu'un groupe comme 1995, qui est arrivé avec des références aussi fortes et un style qui se réfère directement à cette époque-là, prouve bien qu'il n'en est plus question aujourd'hui. On fantasme sur une époque surpuissante, qui résonne encore aujourd'hui mais qui n'existe plus. Depuis les années 2000, le rap est un fleuve qui emmène vers l'estuaire de la musique. Justement, on a regardé le live que tu as fait dans les bureaux du Figaro. J’ai eu l’impression de regarder un artiste de variété. Tu prends ça comme une insulte ? Pas du tout ! Et du coup ça ne t’emmerde pas d’être encore dans le rayon Rap de la Fnac et pas dans le bac Chanson Française ? C'est plutôt avec compassion que j’observe les gens qui cherchent à classer. Il y a un gros décalage entre ce qui se passe concrètement et les idées préconçues des années 90. Les médias font leur boulot de divertissement. Ils foncent sur ce qui attire les masses, ce qui fait vibrer. Ça a toujours été comme ça. Et hélas, dans les bonnes nouvelles et dans le bon travail, il n'y a rien à prendre. A part du plaisir pour les gens sensibles. Mais pour ceux qui n'y sont pas sensibles, il faut bien trouver des histoires de clash. Mais jamais on ne parlera des salles remplies, du fan qui pleure sur une chanson et de ceux qui chantent les textes par cœur. Le rôle des médias a été contreproductif, mais ça fait partie de l'Histoire de toute la musique moderne. Tu es nostalgique de l'époque des mixtapes et des freestyles à Génération ? Un ami m'a dit récemment : « On remplace un affect par un autre ». Et je viens de me rendre compte que cette ambiance, dont est né le rap et toute son essence, cette 9
spontanéité, je l'ai retrouvée avec les musiciens. Quand je suis avec Eddy, il prend sa guitare, il commence à jouer, il fait la rythmique en même temps, tout le monde chante… Tout d'un coup, il change, il part en impro, on a une idée, ça tape dans les mains… Cette spontanéité, ce plaisir, je l'ai retrouvé là. On va dans un sens et on ne revient jamais. Je n’ai pas de nostalgie. Ça va trop vite et il y a trop de trucs à faire. En regardant des interviews filmées, on avait un peu peur et en fait t’es super gentil. C’est l’effet caméra qui te rend aigri tu crois ? Ouais, j'ai un problème avec mon image. Tout le monde n'est pas préparé à se regarder, à voir tous ses défauts. Ce n’est pas évident de se faire face. Pourtant tu fais face à ta feuille quand tu écris. Non, parce que l'écriture, c’est un métier. On a le temps de se demander comment dire la chose de la manière la plus forte. Quel angle prendre, quelle vitesse, quelle heure, quel support… C'est tout un travail. Dans mes textes, j'écris des choses qui me touchent mais qui ne me concernent pas toujours. Ou pas de manière visible. Ecrire, c'est une question de bagage. Moi, je n’ai pas assez de feuilles pour écrire tout ce que j'ai à dire… Les personnes qui manquent d'inspiration se foutent de la gueule du monde ! Le fond c'est juste un prétexte. Toujours. On ne cherche que des prétextes de toute façon… Tu dis que tu aimes bosser le matin, c’est étonnant pour un rappeur. Qu’estce que tu fais la nuit ? La nuit… C'est un moment où on n'est plus dans le même état. La nuit, les gens changent de visage. L'ambiance est différente. La nuit est dangereuse parce qu'il 10
fait noir. Parce qu'on ne voit pas. On joue avec d'autres règles. J'ai longtemps vécu la nuit. Je rôdais, je trainais avec des potes, j'allais dans les bars… Jusqu'à ce que je pousse trop ! Tu as écrit tout un album, Lipopette Bar, dont le storytelling prend vie à travers les différents personnages d'un bar. T’as un rapport spécial avec le bar ? Le bar, j'y allais petit avec mon père, ensuite j'ai commencé à trainer devant, j'ai trainé dans les parties de cartes après la fermeture. Il y a toujours ce truc, cette odeur. L'alcool aidant, la fumée aidant, les gens se libèrent. C'est une sorte de sousmonde… Et ce mélange délivre quelque chose d'inexplicable mais de tellement nourrissant, tellement vrai, tellement sincère. Quelque chose de dur aussi, car les gens viennent avec leurs problèmes. Et toi tu as des problèmes ? Tu n'as jamais pété les plombs ? Si, bien sûr. T'es obligé de péter les plombs. J'ai voulu arrêter la musique de 2001 à 2004. On ne peut pas passer impunément de l'anonymat à une sorte de reconnaissance. C'est impossible. C'est comme passer le mur du son sans être équipé. Pourtant tu es quelqu'un de discret, tu n’as pas fait ton JoeyStarr ou ton Gyneco. Heureusement pour moi. La hauteur de la chute est proportionnelle à la manière dont tu vis l'événement. Il y en a qui pètent les plombs en devenant excessifs, exubérants aux yeux du monde. Moi j'étais dans ma tanière. Une petite disparition sans trop de frasques. Après, il faut revenir et ça prend des années… Mais tout le monde pète les plombs. C'est impossible à gérer. Personne n'est préparé à ça. Personne.
Le 9 juillet en concert au Festival Terre du Son Le 23 novembre au Casino de Paris Album La Voix LactĂŠe High Life Music / DLP 11
CINÉMA � T PIERRIG LERAY
SUEUR ET VOLUPTE 12
Aller au cinéma en plein été, c’est un peu comme mettre une glace au micro-ondes lorsqu’on la trouve trop froide, c’est un peu con. Mais quand on y réfléchit, ce n’est pas si con. Par contre, ce n’est pas dans une salle obscure que la raie blanche va se différencier de vos fesses oranges, nous sommes d’accord. Mais comment ne pas profiter des plus beaux étés filmés pour observer la sueur dégouliner sans la sentir, le soleil taper sans que votre mère vous oblige à porter cette casquette Peugeot ridicule pour éviter l’insolation, ou encore sauter d’un plongeoir sans vous éclater le bide d’un plat honteux. L’été au cinéma, c’est la certitude d’être blanc comme un cachet, mais fier de pouvoir éviter le pathétisme drainé par le vacancier. Evacuons d’entrée le topic pistoche, entre La Piscine de Derey en 1969 et le bronzage delonien à faire pâlir Morandini et Swimming Pool de Ozon en 2003. Un petit Plongeon de Frank Perry en 1968, road trip entre bassins chlorés en moule-burnes sixties pour ressortir bodybuildé et la mèche toujours implacable comme Patrick Swayze dans Point Break en 1991. L’été, ce n’est pas que les mycoses au pied, c’est aussi le sable qui gratte et qui te colle au gland même après la douche collective du Glamour au Cap d’Agde. Mais surtout Moonrise Kingdom de Wes Anderson et sa danse improvisée en petites culottes sur une crique isolée, Jules et Jim, où l’élégance prend sa définition dans la marinière de Jeanne Moreau sous son ombrelle jusqu’à 50 ans plus tard, découvrir que la plage nous sauvera tous (et Dieu aussi) avec la fin de Tree of Life de Malick. Mais la plage, l’été, c’est surtout savoir jouer du Ramones en costume blanc cassé sans se faire des auréoles qui gouttent, comme Miguel Gomes nous le fait croire dans Tabou.
Trois personnalités nous racontent leur vision du cinéma l’été, entre expérience personnelle et références indispensables. Le plateau repas exécrable d’Air France et les turbulences du Pacifique qui te décuvent de tes mignonnettes de sky, pas pour Pauline Clément qui en a un meilleur souvenir. La néo-"de la Comédie Française" (à l’affiche en ce moment d'Un chapeau de paille d’Italie) se souvient d’un été 2013 et huit heures d’avion devant elle. L’été au cinoche, c’est pour elle un écran dans un avion et l'odeur de la papaye verte de Tran Anh Hund. « Pas de dialogues, une beauté époustouflante, et une envie terrible de détourner l’avion en mode kamikaze pour (se faire) sauter au dessus du Vietnam ». Pour l’artiste Thierry Théolier, c’est le cinoche en Marcel, « tu attends la permission parentale pour aller au ciné du village à 22 heures, une armée de moustiques débarque en même temps que le film de genre pour les grands, du violent et du tripant en mode Piranhas de Joe Dante, tu captes que dalle avec des doublages d’espagnols qui sur-jouent et une bandeson bricolée ». Eté et cinéma pour notre prince des villes, l’excellent Guillaume Teyssier (Tigersushi), c’est trois films référence, la décadence junky en mode Santorin et More de Schroeder, « l’autre versant du rêve hippie sur la musique de Pink Floyd », La nuit de l’iguane de Richard Burton, « le puritanisme américain en prend pour son grade dans un coin reculé du Mexique », et The Long Goodbye de Robert Altman, « de la poussière, de la sueur et du whisky pour une enquête de bord de mer en string taille haute à Malibu ». Le message est bien passé ? Barrez-vous des plages bondées pour squatter les salles de cinés désertées ! 13
CINEMA 1 mois, 4 films, 4 avis.
Le BGG - Le Bon gros géant de Steven Spielberg Sortie le 20 juillet
La couleur de la victoire de Stephen Hopkins Sortie le 27 juillet
Disney sans Pixar, c’est l’éternelle conséquence d’un conte enfantin et puéril, où la magie d’une rencontre entre une minuscule petite fille et un géant touche notre sensibilité nostalgique, mais ennuie rapidement notre désir d’ailleurs. Spielberg est un grand conteur d’histoires, et sa réussite est totale, l’humour grassouillet pour faire marrer ma nièce mais, à part un sourire en coin et l’impression d’avoir rêvassé comme à mon jeune âge, peu d’émotions découlent de cette fable rocambolesque (qui se finit par l’intervention de la reine d’Angleterre).
Je n’en peux plus de ces biopics à la con qui nous saucent la gueule à coups de démonstration de morale et d’idolâtrie neuneu. Le pauvre Jesse Owens ne m’en voudra pas avec son poing sculpté dans l’Histoire, mais le mélodrame mis en scène par un pauvre réalisateur de série (House of Lies, Shameless) assomme de sa tiédeur. « Non les gars, vous êtes noirs, on prend nos douches avant vous », ça balance grave, et ça n’a pas peur des conséquences ! Zéro pointé, matez plutôt le documentaire Luz Long/Jesse Owens, bien plus instructif.
Cinéma,
TCHI 14
CINEMA Le problème ? On ne les a pas vus !
S.O.S Fantômes de Paul Feig Sortie le 10 août Vraiment ? Je dois vraiment m’infliger une ligne sur ce revival génération Y ? Tentant désespérément de jouer sur notre nostalgie Bill Murray et Vistore (la musique originale), le roi des nanars Paul Feig et son troupeau d’acteurs de seconde zone vient s’éclater le ionf’ sur un gode-ceinture bien trop large pour lui. Ne jamais s’attaquer à un original trop épais, ça finit toujours en bain de sang.
cinéma…
Toni Erdmann de Maren Ade Sortie le 17 août Ma Palme d’or cannoise 2016, Toni Erdmann est l’indispensable de cet été. D’une histoire ordinaire, Maren Ade tire la quintessence d’une beauté extraordinaire. Une fille se perd dans la déprime d’un boulot sans âme, son père s’inventant un personnage s’immisce dans sa vie quotidienne, pour la bouleverser à sa manière, par le rire et les situations loufoques qui en découlent. L’affiche est énigmatique et signe une scène qui change tout (no spoiler, promis), celle qui enlève le film vers un sommet auparavant désert, une comédie allemande hilarante et d’une humanité naïve. Sincère, et forcément réussi. A ne rater sous aucun prétexte.
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ART � T HILLEL SCHLEGEL P MICHEL HOUELLEBECQ
MICHEL HOUELLEBECQ — EXTENSION DU DOMAINE DE LA CHUTE Houellebecq artiste = Beigbeder Dj ? « Non non non non ! La photographie et le multimédia ont toujours, toujouuurs fait partie de sa pratique artistique, cette exposition est to-ta-le-ment logique et légitime », qu'on nous serine dès qu'on met un pied dans "l'expo-événement" de cet été, Rester vivant. Comme quoi, ils doivent bien sentir qu'il y'a un truc qui cloche un peu, au Palais de Tokyo. Enfin bon. Mercredi dernier, j'étais donc invité à l'avant-première - spéciale presse, attention - de l'exposition de Monsieur Michel Houellebecq, qui, sur une grosse vingtaine
de salles de surfaces diverses, rassemble un peu de tout : textes, installations, oeuvres d'artistes invités "sur le thème de Michel Houellebecq", sculptures, extraits de films (réalisés par Houellebecq)… et beaucoup, beaucoup de photos (avec ou sans messages en gras par-dessus). En compagnie de tout le bétail de la presse dite culturelle d'un joli petit troupeau d'éminents confrères, j'ai ainsi pu parcourir de bout en bout ce concentré de houellebecquitude houellebecquisante. Impressions.
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Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir (d'apprendre quelque chose de neuf) : voilà ce que je retiendrai de cette exposition. Mais qu'il est bon d'être connu ! Houellebecq est donc désormais artiste, chanteur, danseur, auteur-compositeur, photographe, cinéaste et pétomane en bâtiment, et cette exposition est là pour le confirmer à la France entière. En réalité, Houellebecq est à mon sens en premier lieu un humoriste dépressif - et ne seraitce que pour cet aspect, je dois avant toute chose préciser que j'éprouve une immense sympathie pour ses textes en général, de ses débuts littéraires jusqu'au fabuleusement caustique Soumission. Ceci étant posé, ai-je envie de me taper toute une expo sur le bonhomme ? Le titre est pourtant bien trouvé, et alléchant : Rester vivant fait écho à un livre sur H. P. Lovecraft qu'il a commis en 1991. Et il faut
France #012 — Espagne #005 — Espagne #003 — France #017
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bien dire que ça fonctionne : quoi de mieux qu'une expo pour, entre deux bouquins, rester vivant ? Malin ! Alors que voit-on dans ce qu'on nous présente comme « une expérience sensorielle, un voyage à travers l'univers de Michel Houellebecq » ? Plus ou moins dans l'ordre des salles, nous faisons face à : - Une ambiance sonore, tout d'abord : les sons rigolos de la société consomm'actrice et éco-citoyenne (« tududum ! Nous vous rappelons qu'il est interdit de fumer dans l'enceinte de cette gare ! »). - Des photos barrées de messages : « faites vos jeux », « les morts sont habillés en bleu », « et les Bleus sont habillés en morts », « le sang des petits mammifères est nécessaire à l'équilibre »... - Des photos de banlieues dépressives, et ce qu'on pourrait appeler "La merde vue du ciel" : des Leader Price dans la forêt
qui n'ont rien à foutre là, des ensembles de cités sans âme et des parkings au milieu de rien. La dépression postmoderne habituelle de Michel, et une parfaite mise en images de son ton désillusionné qui fait désormais des millions. - Des saynètes cocasses sous le vernis de sérieux (un extrait filmique très "LOL avec l'art contemporain", mettant en vedette un électricien soupe-au-lait qui débranche une installation), des scènes tirées de ses films, un extrait de La possibilité d'une île, Arielle Dombasle en Arielle Dombasle. - Ses aphorismes humoristiques habituels en forme de poésies visuelles désabusées. Michel serait-il un artiste à message ? Diantre. Me voilà tout chamboulé. - Un autel à sa propre mort, avec un crâne figuratif de sa propre relique (1958-2037), entouré d'une armature de canettes de Coca vides. Je note dans mon téléphone : « Vanité, société de consommation, absence d'ambition nietzschéenne, tout ça tout ça. » Houellebecq ferait-il du Houellebecq ??? - Des "artistes invités" - par exemple Renaud Marchand, qui illustre explicitement La possibilité d'une île avec une installation sur l'ADN. Quelque chose me frappe alors : Rester vivant, ce n'est plus le livre du film, c'est l'expo du livre. Pourquoi pas. C'est là qu'on comprend effectivement la notion de voyage - une déambulation physique à travers l'œuvre de Michel Houellebecq. « Vous avez aimé le livre ? Vous allez adorer l'expo. » Ça c'est du concept. - Des photos de statues de Bouddha accompagnées de tomographies. Sur mon téléphone toujours, je note : « dérisoire finitude médicale de l'homme renvoyée dos à dos avec les tentatives de transcendance humaine. » Est-ce vraiment étonnant de la part de MH ? - Une salle vidéo ambiance The Tree of Life
(salle vidéo avec des extraits du film réalisé par lui-même, courts extraits très "art contemporain"). Livre, film, sons, lumières, renvois autoréferentiels et mises en abyme à foison. Ohlala. On frôle dangereusement le Gesamtkunstwerk. - Puis un changement d'ambiance complet. D'un seul coup, on passe des ténèbres dans lesquelles nous sommes plongés depuis le début dans une salle hyper-lumineuse, avec musique d'ascenseur et dont le sol est constitué d'une forêt de cartes postales. Au mur, pour l'instant, on a donc eu des photos de vaches, des photos de centres pétrochimiques, des photos de parkings et des photos de complexes hôteliers. Ah, la France ! Terre de contrastes. - On enchaîne sur un mégamix d'artistes invités pour parler de MH (comme on pourrait parler de MJ). Le concept de "l'expo du livre" devient ainsi on ne peut plus clair : Rester vivant est une installation par et sur Houellebecq, on le savait, mais on ne peut que dire bravo - d'aucuns font illustrer leurs livres, Michel Houellebecq peut donc bien faire illustrer ses concepts. - Suite à quoi, on arrive dans ce qu'on pourrait prendre pour le vif du sujet : du cul. Mais on s'aperçoit vite que c'est accessoire. Pas grand-chose à dire là-dessus : une salle avec des photos de nanas vaguement à poil, « avec lesquelles [MH] n'a même pas baisé » (comme l'auteur le précise dans le dossier de l'expo). Soit. Car enfin, le clou de l'exposition est à venir juste après : le Youki ! Le Youki ! Hé oui ! la traversée de l'exposition se termine sur l'autel à son chien décédé, a loving machine [sic, en anglais dans le texte]. Aka des jouets qui lui ont appartenu, des photos du chien-chien, son coussin favori, même une projection de diapos de vacances avec pépé et mémé - bref, tout ce qui se rapporte à ce cœur pur [re-sic] 19
au milieu de tous ces hommes misérables, que la noble bête aimera malgré tout, featuring Houellebecq encadré avec ledit Youki sous toutes les coutures. Thème de cette dernière salle ? On vous le donne en mille : l'amour inconditionnel de l'animal, qui vous vouera un culte désintéressé jusqu'à trépas, quand bien même vous êtes, vous, la plus pathétique des créatures… On n'aurait pas déjà lu ça cinquante fois partout ailleurs ? Enfin, on sait bien que Mimi cherche l'amour que les tristes êtres humains ne peuvent pas lui donner, ça transparaît dans toute son œuvre. Mais c'est normal : c'est parce que Michel, c'est un artiste à message (cf. plus haut). Sauf que là, avec ses phrases sur des photos, on a plutôt l'impression d'avoir affaire à un artiste à demotivational posters avant tout : "Le monde de Houellebecq", on aime bien, mais qu'est-ce que ça tourne en rond... Au final, en ce qui me concerne, l'entretien entre Michel Houellebecq et Jean de Loisy dans la revue de l'exposition fournie aux journalistes me confirme que je préfère lire que "regarder" MH : dans ces lignes, c'est en toute franchise que Michel parle de lui-même, se montrant très lucide sur la mégalomanie inhérente à l'écrivain qui se met en scène, sur son propre positionnement social par rapport au statut "d'artiste" et sur "les possibilités d'une exposition" (qui, par essence, "expose", donc donne à voir au public certains aspects choisis d'une œuvre, quelle qu'elle soit). Il ajoute : « Les gens n'aiment pas les touche-à-tout. Après, on vous prend moins au sérieux ». On ne peut qu'être d'accord avec lui ; c'est une phrase clichée et rebattue, rabâchée par tous ceux qui veulent se justifier de leur omniprésence médiatique (au hasard : Léa Seydoux ?), allant souvent de pair avec l'affirmation que « c'est vraiment typique de la France, de vouloir à tout prix mettre 20
des gens dans des cases » - mais force est de constater qu'elle est ici parfaitement justifiée. En effet, qu'on soit ou non sensible à la pratique première d'un artiste donné, il est terrible d'observer à quel point, en général, la démultiplication soudaine de son champ d'action a tendance à décrédibiliser son image auprès du public. Car enfin, qu'est-ce qui marche "chez les gens" ? Des artistes intégralement dévoués à une seule chose, une seule cause esthétique, une seule pratique, un seul "univers" - qu'il s'agisse de peintres, d'écrivains, de musiciens… La répétition et les multiples ne sont tolérés qu'en tant qu'avatars d'une obsession unique, gage d'authenticité artistique. Or en ce sens, Houellebecq joue parfaitement le jeu de l'authenticité. Il se décline à l'infini, il fait de tout, mais c'est toujours pareil : le public ne sera pas dérouté pour un sou, le Palais de Tokyo peut se frotter les mains. En somme, Rester vivant est bel et bien ce qui était annoncé : rien de plus qu'une introduction à "l'univers de Houellebecq", une sorte de Reader's Digest de son œuvre, résumé vaguement conceptuel mais en réalité parfaitement accessible et grand public des thèmes fétiches de l'écrivain, qui a désormais achevé sa transmutation en marque. "La marque MH" : à quand la déclinaison en vin (pas très) fin ? En clopes ? En films de cul ? Ah, on me signale que ce dernier point est déjà réglé (La rivière, téléfilm érotique de MH, Canal +, 2001… déjà). Bref : on ne sait pas trop si MH reste vivant (surtout quand on voit ses dernières photos de presse, LOL), mais rester présent, ça il sait faire. Tout le monde va s'y retrouver, et puis ça permet de briller à peu de frais en société sans trop se creuser la tête. Vous n'avez rien compris à Houellebecq ? Prenez la ligne 9, tapez-vous 20 minutes d'expo et vous saurez tout ce qu'il vous savoir.
Mission #020
Rester vivant de Michel Houellebecq Jusqu’au 11 septembre Palais de Tokyo 21
FESTIVAL � T FLORIAN YEGBA
THE PEACOCK SOCIETY Le festival de musiques électroniques revient du 13 au 16 juillet au parc floral de Vincennes. On a shortlisté nos coups de cœur du festival.
Bambounou Le petit Frenchie a déjà tout d’un grand. Ses différentes sorties sur ClekClekBoom et 50WEAPONS - le label éphémère tant regretté aux 50 EP - en attestent. Adepte d’une techno ronde, profonde et qui sort des sentiers battus, Bambounou réussit à nous transporter dans un autre monde. Une fois n’est pas coutume, il n’officiera pas avec son acolyte French Fries mais sera en B2B avec Margaret Dygas ! 22
Margaret Dygas Deep House : tel est le mot d’ordre de notre petite Polonaise préférée. Discrète en dehors du DJ booth, Margaret devient une véritable killeuse dès lors qu’elle fait résonner les premières notes de son set. Précise, elle arrive à électriser la foule. Elle avait déjà réussi le pari d’enflammer la warehouse l’été dernier. On a hâte de la voir en B2B inédit avec Bambounou - avec qui elle a une sortie commune d’EP sur 50WEAPONS
DJ Shadow Il existe des beatmakers qui disparaissent un temps de la scène et qui tentent un retour parfois précipité, parfois raté. Ce n’est clairement pas le cas de DJ Shadow. Véritable figure de proue du hip-hop expérimental, l’Américain revient sur le devant de la scène après 5 ans d’absence avec un nouvel album qu’il viendra défendre au parc floral de Vincennes. Scratch, beats old school, on est comme des petits fous à l’idée de voir cette légende. Et on va pas se mentir, un peu de hip-hop au milieu de toute cette techno ne fera pas de mal à nos petits esprits. Catch him !
Kerri Chandler CHALEUR, SOURIRE, GROOVE. Si on devait résumer à quoi ressemble une performance de Kerri Chandler, on utiliserait seulement ces trois mots. L’Américain sait comment s’y prendre avec le public. Véritable amoureux de Paris, il revient deux ans après une cloture mémorable de la Peacock (on s’en souvient encore !) pour à nouveau faire transpirer les corps. On a hâte qu’il nous sorte son clavier pour ponctuer d’envolées jazzy les nombreuses tracks house qu’il aura le plaisir de nous envoyer !
Maceo Plex Sa présence dans la capitale est assez rare. Pourtant, le boss d’Ellum a su depuis plusieurs années tracer son chemin. De par ses différents alias (Maetrik, Mariel Ito, Maceo Plex), le Dj est capable de jouer sur plusieurs registres (deep house, techno et même italo-disco) pour notre plus grand plaisir. C’est également un véritable dénicheur de talents - comme avec Garden Of Gods, un petit Lituanien qu’on apprécie particulièrement ici. Son set sera donc à coup sûr composé de nombreux unreleased, comme c’est souvent le cas avec lui. Alors pour prendre une véritable claque de découvertes, on sera au RDV !
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Boue — CÊcile Jaillard cecilejaillard.com
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LITTÉRATURE � T CARMEN BRAMLY P HENRY MILLER
ET SI LA BEAT GENERATION ETAIT APPARUE EN 2016 ? S’il est aujourd’hui entendu que la Beat Generation a totalement révolutionné l’Amérique puritaine des années 50, qu’en serait-il si la bande à Kerouac était apparue dans notre époque cynique et
tourmentée ? Epiphénomène d’avantgarde ou bien Beat demi-molle tendance hipster risible qui n’aurait même pas eu sa place sur le plateau de Cyril Hanouna ?
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Longtemps j’ai adulé cette littérature emportée, répétant comme un mantra, dans l’intimité de ma chambre de jeune fille, les phrases mystérieuses des auteurs de cette génération, la Beat. Puis j’ai grandi et j’ai quitté le rivage de ces mots sans suite, aux atours si hipster. Car, cessons de nous voiler la face, la Beat Generation annonce les prémisses de son ère : loosers, drogués, ratiocinant un maelstrom de concepts tapageurs pour se distinguer de la masse. J’en suis donc venue à me demander ce qui se serait passé si la Beat avait éclos à l’époque des bonnets rouges et de l’amicale du matcha. Les aurions-nous considérés, à l’instar des hipsters, comme une sous-culture, un navire de fortune dessalant dans les courants du mainstream ? La Beat en 2016, ce serait quoi ? Mais d’abord, la Beat, c’est qui ? Ce sont des hommes, un peu queer sur les bords, très éduqués, une bande de Peter Pan hallucinés, snobs et hautains, fuyant toute responsabilité, insurgés contre l’ordre établi et fascinés par l’incandescence potentielle de toute chose. Leur littérature, politique, engagée, révoltée, insoumise, oscillant entre charabia et surgissement vertical du verbe, se base sur une mauvaise appropriation de Yeats, Céline et Genêt, une interprétation foireuse de Walt Whitman et une admiration crasse portée à Henry Miller (largement surévalué, mais c’est un autre débat). Au puritanisme ambiant, à la société de consommation et aux pensées consensuelles, ils opposent jazz, sueur, sperme, mescaline, parties génitales, nudité, sublimés par un vocabulaire biblique, lumineux et franchement lassant. En d’autres termes, ça se touche pas mal chez les Beatniks. On connaît Jack Kerouac et sa route, les poètes Gregory Corso et Allen Ginsberg, le charmant 28
William S. Burroughs et sa passion pour les armes à feu, les serpents et les drogues dures (nota bene, Burroughs a tué sa femme, ivre, en tirant sur une pomme placée sur sa tête #Guillaumefail), et leur éditeur à tous, Lucien Carr, ancien camarade de Columbia. A présent, voyons en quoi ces délicieux personnages, s’ils avaient vécu à notre époque, auraient été traités avec le même mépris que celui affiché à l’égard des hipsters. Nous les aurions trouvés tout aussi ridicules, et je m’en vais le démontrer. Si la Beat avait eu accès aux nouvelles technologies, nous aurions pu lire le blog de Corso, ce qui lui aurait évité de publier à compte d’auteur. Nous aurions également pu reposter les articles anti-militaristes de Ginsberg, nous délecter de ses mini scandales personnels, partager ses photos de plats vegan, suivre ses virées Downtown sur Instagram et visionner ses conférences TED-X sur les bienfaits du LSD. Son Twitter serait bombardé d’aphorismes incompréhensibles et de citations approximatives d’Apollinaire. Quant au clip du Subterranean Homesick Blues de Dylan, dans lequel il apparaît toute barbe dehors, la vidéo serait devenue virale et il aurait fini sur le plateau de Morandini pour expliquer sa démarche. Burroughs, de son côté, s’en donnerait à cœur joie sur Grinder et finirait par se réfugier à Tanger après dix rehabs ratées où il serait devenu ami avec Macaulay Culkin, l’ex-enfant star des années quatre-vingt-dix. Après la fusillade d’Orlando, nous aurions tous pu partager une photo d’Allen Ginsberg et William Burroughs en train de se rouler une bonne grosse pèle devant un drapeau arc-en-ciel. Kerouac n’aurait plus à faire de stop et se rendrait à Frisco en Blablacar. Lucien Carr, le pauvre garçon, serait éditeur online. Avec la crise du marché du livre, qui prendrait le risque de publier les auteurs de la Beat ?
Sur le plan politique, nous les aurions retrouvés aux côtés de Bernie Sanders, militant pour désarmer les US, abolir les frais de scolarité et légaliser le cannabis. Le poème America de Ginsberg, écrit en protestation contre la guerre, contre la bonne morale puritaine, contre les gros titres du Time Magazine, où Allen avoue avoir été communiste dans sa jeunesse et ne pas s’en repentir, aurait eu l’effet d’un pet foireux. La communauté LGBT aurait peut-être récupéré les dernières lignes « America I'm putting my queer shoulder to the wheel », mais sans plus. Ginsberg, aujourd’hui, ne serait qu’un trentenaire de plus avec des aspirations arty, un bonnet péruvien et une ambition ne dépassant pas les 24h en tweet tendance. Son message prendrait une légère teinte dérisoire, à l’époque de Daesh plus personne n’écume les supermarchés à la recherche de Walt Whitman et de Garcia Lorca, au rayon pastèque. Burroughs passerait pour un looser, l’héroïne n’ayant pas trop la côte ces derniers temps, et au lieu de zoner avec Warhol, on le retrouverait aux côtés de JR, drogué sans conséquence. Finalement, la Beat, en 2016, ce serait un mélange de jus verts et de restos vegan. On croiserait Lucien Carr chez BioC’Bon avec à son bras un Ginsberg en gueule de bois. Pour lutter contre la pollution, Kerouac proposerait un road trip en voiture électrique, Sur la Route perdrait un peu de sa saveur, mais pas de sa substance. Ils n’écouteraient pas de jazz mais se contenteraient d’un saxophone synthétisé sur des beats de deep house, se laisseraient aller à quelques folies R&B pour le côté appropriation de la culture noire. D’une certaine manière, ils afficheraient ce même lifestyle régressif que nos amis les hispters. Transposée en 2016, la Beat, c’est la même chienlit contre-culturelle.
Enfin, si d’aventure il vous fallait des preuves supplémentaires pour soutenir ma thèse, laissez-moi vous parler du plagiat par anticipation. Concept pour le moins intéressant, le plagiat par anticipation est emprunté à l’OULIPO, l’Ouvroir de Littérature Potentielle, groupuscule expérimental mathématico-littéraire. Le plagiat par anticipation c’est un plagiat rétrospectif. Par exemple, l’OULIPO accusait Lewis Caroll de lui avoir tout pompé. Ainsi, grâce au plagiat par anticipation, je peux affirmer que la Beat Generation a tout volé aux hipsters. Si la Beat veut faire croire qu’elle a inventé le concept du hipster, qui signifie à l’origine "initié" dans l’argot des jazzmen, dixit Ginsberg qui dans Howl évoquait les « angel-headed hipsters », en vérité, la Beat leur a tout volé. Il est donc temps de rétablir la vérité. Le mouvement Beatnik n’est qu’un dérivé de la culture branchée, comme je viens de le démontrer, par cette petite transposition temporelle. Donc, afin de conclure cette petite démonstration, si la Beat Generation débarquait en 2016, nous les considérerions comme une bande d’adolescents attardés en décalage avec les réalités contemporaines, vivant dans leur petite bulle intello iconoclaste déphasée. Le comble serait quand même que nos enfants lisent les poèmes d’Harmony Korine comme nous avons lu Howl, en cachette, sous la couette, nourrissant nos fantasmes exponentiels de fuite et de stupre. Une bonne leçon, pour nous apprendre à faire attention lorsqu’on encense des blaireaux au moindre signe d’un début de talent : ils pourraient un jour entrer dans l’Histoire…
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Karneef n’a jamais fait la couv’ des Inrocks, ni été une seule fois remixé par un mec booké à Concrete. Avec ses quelques 1100 "fans" sur Facebook et 200 abonnés sur SoundCloud, on peut même dire de lui qu’il est un inconnu au bataillon de la hype. Heureusement, le Bonbon Nuit est là pour changer ça. Du haut de ses 33 ans, le Canadien Karneef est plus excitant que la plupart des artistes que tu écoutes à longueur de journée sur Spotify. On parle quand même d’un mec qui produit seul 30
des albums hybrides entre funk, électro, drum’n’bass et rock à la densité rare et qui, pas bégueule, les file gratuitement sur la toile. Après Love Between Us (2013) et Musique Impossible (2015), le voilà qui livre I’m Phoof, toujours en free dl. L’occasion d’enfin te le faire découvrir avec une interview "track by track" de ce nouvel album jouissif. Un concept journalistique tellement innovant qu’on redoute un suicide collectif chez Vice façon Temple solaire.
MUSIQUE � T ARNAUD ROLLET P KARNEEF
K A R N E E F ➊ When You're Forced To Move On La majorité des morceaux se basent sur ma vision des échanges entre les gens, que ce soit avec mes amis, mes relations sentimentales, ma famille, mes ennemis… Selon avec qui tu traînes, tu n’es qu’une facette de ta personnalité et c’est parfois une version toxique de toi-même. A un moment donné, tu dois sortir de ça, t’en éloigner. Tu te dois d’avancer pour te forcer à grandir.
I’M P H O O F ➋ Slim's Return C’est une référence à mon ami Warren "Slim" Williams, un musicien professionnel américain venu s’installer au Canada à la fin des années 70 pour jouer dans un groupe funk. On fait souvent de la musique ensemble et c’est en traînant chez lui, dans les Laurentides (des montagnes pas loin de Montréal) que j’ai pu élaborer ce morceau avec des synthés Yamaha datant de la fin des années 90. Ces trucs possèdent des 31
millions de sons qui, au-delà de leur aspect débile, sont finalement assez élaborés et bizarrement quasiment jamais utilisés dans tout ce que j’ai pu entendre par le passé. ➌ Clean Gear Ça parle d’Arcade Fire, de la drogue et du fait que certaines personnes souhaitent prendre du bon temps sans blesser quiconque. Le truc, c’est qu’en tant que musicien, quand ta notoriété augmente, on te signifie que tu n’as plus tellement le droit de déconner comme avant. Mais je crois que certains peuvent se permettre de continuer. Un Justin Bieber par exemple, il peut se droguer toute la journée et foncer avec sa Lamborghini dans un mur, il n’en aura rien à cirer. Je ne connais pas Arcade Fire personnellement, mais j’ai des amis qui ont pu bosser avec eux ou pour eux et je crois qu’ils sont aussi capables de ça. ➍ Same Family Je bossais simplement sur un beat pour m’amuser quand Slim m’a rejoint pour jouer du piano dessus. On a pas mal déliré, on a enregistré la session et le lendemain, le morceau était fini. A propos de famille, la mienne a toujours été très portée sur la musique : mon père joue de la guitare, ma sœur de la basse et ma mère, qui m’a toujours encouragé, a fait un peu de piano dans sa jeunesse. Pour autant, je ne peux pas vraiment leur demander de conseils pour ma carrière. A vrai dire, ils sont encore surpris de voir à quel point je continue de m’impliquer là-dedans. ➎ Maybe One Day A la question de savoir ce que je voudrais peut-être faire un jour, je prends exemple 32
sur Dylan, un ami compositeur et chanteur qui va bientôt donner des cours dans une très bonne école de musique à Francfort. Enseigner, ça me botte bien. Mais avant de penser à ça, mon rêve est de réussir à trouver le moyen de monter un live qui tienne la route pour jouer devant le plus de monde possible. Jouer avec des musiciens, partager une même énergie sur scène et répandre du bonheur dans la foule, c’est la base de tout. Si j’ai la possibilité de voir des gens sourire et rire, je ne vais pas la gâcher. ➏ Browser Wars Sur ce morceau et deux-trois autres, Hansford Rowe vient me prêter main forte. C’est un musicien qui a déjà joué avec Mike Oldfield – l'auteur de Tubular Bells – et a fait partie de Gong, le groupe de rock-jazz progressif de Benoit et Pierre Moerlen. Hansford vit à Montréal avec sa femme, une Québécoise. Il a découvert ma musique il y a quelques années et a déjà bossé un peu avec moi sur Love Between Us. Ce qui est marrant, c’est que la plupart des personnes qui aiment ma musique ont facilement la quarantaine, voire plus, et ont grandi en écoutant de la musique progressive. ➐ I'm Leb En téléchargeant des banques de sons pour mon sampler, je suis tombé sur ces boucles de tabla et ces sonorités arabiques. Il fallait que j’en fasse quelque chose. Contrairement à mon père qui, de par son enfance à Beyrouth, a été "saturé" de musique orientale et n’en écoute plus du tout à l’exception de quelques artistes comme Fairuz, une célèbre chanteuse libanaise, moi, j’aime bien ces sonorités. J’ai même plusieurs cassettes de pop
égyptienne que je m’écoute de temps en temps. ➑ I'm The Server Cela peut être difficile à croire, mais je n’ai pas utilisé de drum kit sur la majorité des morceaux. Toutes les parties de batterie ont été faites à la main et, la plupart du temps, avec le clavier de base de mon ordinateur. C’est un de mes trucs, ça : je ne me préoccupe pas de la vélocité quand je compose. En fait, je la modifie après coup, manuellement et méticuleusement, une fois que les rythmes sont entrés dans l’ordi. D’où cette batterie qui sonne très métal, avec de la double-pédale et une grosse énergie déployée. ➒ Old School Raver Dans la vie, je monte et répare des ordinateurs. Comme la demande est forte et que je ne suis pas un pro de l’organisation, j’ai du mal à concilier ça avec mon envie de faire de la musique. Il m’arrive aussi de faire d’autres tafs que je ne garde jamais bien longtemps. Voilà comment je me suis retrouvé à nettoyer pendant trois jours la baraque bordélique d’un Old School Raver. Ado, ce mec a commencé à aller en teuf et continue encore aujourd’hui, alors qu’il a la quarantaine. Comme quoi, à défaut d’être sympas, ces jobs me permettent toujours de tirer quelque chose de positif, dont des idées de chansons. ➊⓿ You're Dead De façon générale, je ne m’attarde jamais longtemps sur le titre de mes disques. J’essaye d’y mettre le moins d’énergie possible. Pour celui-ci, si j’ai opté pour I’m Phoof, un truc qui ne veut strictement rien dire, il devait au départ s’appeler "I’m
Dead", un titre plus morbide qui faisait référence à une expérience de mort imminente très intéressante que j’ai eue récemment avec la drogue. De façon plus générale, l‘âge aidant, j’ai tendance à de plus en plus penser à la mortalité. ➊➊ Princess Of The Laurentians / Prince Of Have Some More Dedans, il y a de la guitare sèche, pas du tout électronique. C’est un track assez lounge en fait. Selon moi, l’importance d’avoir des morceaux instrumentaux sur un album a vachement été négligée au fil du temps. C’est idiot car ce sont des passerelles qui donnent de la profondeur à l’ensemble. Ce sont des respirations. Par exemple, l’un de mes albums préférés de Genesis, The Lamb Lies Down On Broadway, en comporte pas mal : ils sont tellement incroyables qu’ils pourraient se suffire à eux-mêmes ! ➊➋ Run Away J’ai grandi à Ottawa, au milieu de nulle part. Il n’y a pas grand-chose à faire làbas à part grimper aux arbres et, si j’avais voulu fuir, je ne serais pas allé bien loin : j’aurais atterri dans une forêt. Aujourd’hui, vu que je vis en ville depuis un bail, ça me dirait bien de fuir pour me retrouver dans une forêt. Sauf qu’il n’y en a pas aux alentours. Voilà pourquoi j’ai ce fantasme de sauter dans une voiture de sport pour rouler vers l’inconnu. C’est peut-être aussi pour ça que j’aime partir en tournée. D’ailleurs, mon prochain objectif, c’est de trouver un moyen pour faire des dates en Europe et en Asie. I’m Phoof, dispo en téléchargement libre : www.soundcloud.com/karneef www.facebook.com/karneef 33
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GONZO � T RAPHAËL BREUIL P LES VENANTS
UNE DURE JOURNEE AVEC JOHN B. ROOT La première fois que j’ai vu un film de John B. Root, c’était en 1998. Je l’avais enregistré en cachette sur une cassette VHS à la place des Tortues Ninja, histoire d’être sûr que mes parents ne tombent pas dessus. Depuis, le touche-à-toutes a survécu à l’arrivée du porno sur Internet et à l’hégémonie de Marc Dorcel et de son "porno pour vieux de droite", comme le dit si bien Jean Guilloré, de son vrai nom, amateur
de miches fraîches et de belles tournures. Il fallait que je rencontre la bête, et c’est chose faite en ce samedi matin, jour de tournage. Routine de bureau presque traditionnelle, 9h30 - 17h, sauf qu’aggraffeuses et intercalaires sont remplacés par pots de vaseline et talons aiguilles. Journée classique finalement, mais bien remplie.
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Depuis des années, c’est le même traintrain pour le spécialiste du film d’arrièretrain : un tournage de scénettes X par mois, et le reste du temps, des montages et des mises en ligne de photos sur son site internet au design vintage. John B. Root est un artisan du cul. Il ne gagne pas des mille et des cents, mais il réussit à nourrir sa famille et ses actrices qui n’ont pas l’air, elles, d’avoir la dalle. Et en bonus, un gros film au scénario plus élaboré vendu tous les ans à Canal+. - Qu’est-ce que ce sera cette année ? - Un film sur des vendanges avec tous mes acteurs préférés, avec en exclu une scène d’éjac' féminine sur la gueule d’un acteur par Nikita Bellucci. Et pour une fois, Canal+ n’a pas censuré la scène, le film sera diffusé dans sa version intégrale. On a hâte. 9h30 — Le Cigare du pharaon Tout le monde arrive déchiré, je vous rappelle qu’on est samedi matin, pas mal ont picolé la veille. Les deux actrices sont elles restées sérieuses. Elles se présentent à moi : Fira Ventura, 19 ans, et Luna Rival, 20 ans, deux espoirs féminins du film X. Comme deux bonnes ouvrières, les deux jeunes travailleuses pointent en arrivant. Ça sera un café pour Luna et un jus d’orange sanguine pour Fira. Ça fume des clopes, histoire de se réveiller un peu. J’avais déjà aperçu Luna il me semble sur des sites spécialisés avant notre rencontre, apparemment c’est la nouvelle étoile montante du porno, possédant des capacités vaginales et anales extraordinaires. Celle-ci passe direct à la douche en arrivant, une obligation avant chaque scène, pendant que celle qui lui donnera la réplique passe au maquillage.
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Les blagues de cul fusent. Elle sont souvent d’un haut niveau (ex : champ contre-champ / chatte contre chatte), ce qui donne aux préliminaires une ambiance bon enfant. Luna sort nue de la douche, toison au vent, première et dernière gêne de cette journée. Car c’est vrai que si tu rentres dans la salle 5 minutes au mauvais moment, tu vois un mec d’une cinquantaine d’années donner des consignes salaces à une post-ado en train de chercher un truc dans son cul, ça peut paraître un peu dégueulasse. Mais au bout d’un moment, on se rend compte de l’aspect routinier de la chose et le malaise passe. On comprend vite que ces gens ont fait fi de toute pudeur et de toute morale, qui par ailleurs n’a plus vraiment lieu d’être finalement. Tout ça pour vendre ces images à un public frustré, comme nous le sommes tous. 12h — On a marché sur ta lune Après un shooting très court de clichés qui seront publiés sur son site web, John B. Root annonce la pause déjeuner. Les filles se rhabillent, et accompagnent leur mentor au Shopi d’à côté pour promener Le Chien, c’est son nom, présent à chaque tournage, et acheter des sandwichs triangle. On se croirait un peu dans Californication. Les clichés sont réels, les filles sont en poum poum short et enchaînent les conversations débiles. Mais elles l’assument, je ne laisserai jamais personne se moquer de la stupidité de ces filles qui malgré tout sont encore des enfants. Pas besoin de toute façon, elles sont pleines d’autodérision. Entre elles, elle s’appellent les poufs. Le déjeuner me permet de faire connaissance avec deux jeunes femmes bien installées dans leur époque, à l’aise dans leurs baskets, car c’est littéralement tout ce qu’elles portent, les deux sont nues à nouveau, ce quart d’heure chez les gens habillés devait
être très fatiguant. Férues de réseaux sociaux, toutes deux me montrent leurs derniers tweets. Sauf que les selfies en boîte de nuit ou de brunch des jeunes femmes traditionnelles sont ici des screenshots de double-pénétration avec Rocco ou d’extraits de scènes uro. Certains peuvent dire qu’elles aiment le cul, je ne me risquerai pas à dire cela. Je pense qu’elles aiment le porno, la performance, ce n’est pas pour moi de la nymphomanie. Luna par exemple n’arrive à jouir qu’avec son petit ami, photographe de charme. Sinon elle prend chaque relation sexuelle comme une tâche qui mérite salaire. Dommage, moi qui espérais que ça parte en partouze. « Les gens nous imaginent à bouffer toutes les queues qui passent mais ce n’est pas vrai » me confie Fira entre deux bouchées de Sodebo, alors qu’une miette lui tombe
sur la foufoune. Mais ça ne me gênait plus. Je m’étonnais même d’avoir des conversations sérieuses une fois l’étape "fuir du regard leurs organes génitaux" passée. De temps en temps, je tombais par inadvertance sur un téton ou un clitoris, mais personne n’y prêtait attention. Sa salade terminée, John médite sur son fauteuil. Il imagine la scène qu’il va tourner au fur et à mesure. Rien n’est écrit, tout est improvisé. Le réal annonce la couleur : aujourd’hui ça sera "mignon". John pratique le gonzo car c’est ce qui se consomme sur le net, mais en réalité le bonhomme est adepte du porno à l’ancienne, le bon vieux boulard avec scénar et porn star qui joue mal son rôle. C’est vrai qu’il y a un petit charme à la discipline, et notre ami n’est pas prêt de laisser tomber. Mais bon, il faut bien bouffer, la plupart de ses productions 37
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actuelles sont des gonzos, des scènes de sexe brutes, (presque) sans scénario, donc. « Aujourd’hui on va faire du mignon. Je veux que ce soit hardcore en sentiments » lance-t-il avant de commencer les hostilités. Pourtant, avant de devenir JBR, Jean Guilloré écrivait des histoires pour enfants, dans J’aime Lire notamment. Quand je vous dis que ce mec m’a suivi toute ma vie. En me renseignant avant de le rencontrer, j’ai lu que le journaliste-écrivain-photographe avait pour projet de lancer un CD-Rom interactif jeunesse qui utilisait les prouesses technologiques du début des années 90. Se voyant refuser le financement, Jean devient John et compte accumuler du liquide en transposant son concept en version porno. Ça fonctionne. S’ensuit son heure de gloire sur Canal+, John devient celui qui impose la capote en France et à la télé. Il est le seul à l’époque à penser aux ados qui regardent malgré les interdictions. Il insuffle donc à toutes ses productions une éthique. Toutes les relations sexuelles se feront avec préservatif, et il n’y aura pas de crachats, d’insultes et encore mois d’assouvissement de la femme, qui reste toujours au centre de ses histoires. C’est l’homme qui est l’objet dans ses films. Finalement, la légende John B. Root se cantonnera à faire du porno pendant 22 ans. Je lui demande si "l’accident" qui l’a amené à faire ce métier n’était qu’un hasard. « Il n’y a pas de hasard. Si je suis là, c’est parce que je suis un obsédé sexuel. Allez on y va ! » 14h — L’affaire tourne au sol Doryann Marguet arrive, la trentaine, je ne parlerai que peu avec lui. C’est vrai quoi,
je lui en voulais, j’avais l’impression d’être revenu à une boom de collège. Ça fait deux heures que je parle avec deux meufs trop bonnes, et lui débarque la queue entre les jambes et va les niquer toutes les deux. Très professionnels, les acteurs enchaînent les prises et les positions. Entre deux scènes, les actrices s’embrassent, l’acteur se branle, se fait quelques fois suçoter pour garder l’érection. On peut se dire qu’ils ne prennent aucun plaisir, on ne le saura jamais. Mais je peux vous dire que pour l’avoir vu, ils aiment quand même ça. A un moment, Luna tente, littéralement les deux jambes en l’air, une scène de squirt, appelé aussi éjaculation féminine, autrement dit je comprends que c’est une "femme fontaine". Elle réussit. Tout le monde l’applaudit. Et je comprends à ce moment les défis permanants qu'impose ce métier. Il s’agit d’un sport, d’une gymnastique. Je comprends qui peut être doué ou pas, quel film est intéressant à regarder ou pas. Je saisis l’intérêt, sans forcément le partager, de regarder une production de deux heures avec une quinzaine de scènes de cul. Il n’y a plus de recherche éjaculatoire quand on devient un fan de porno, on aime la perf’. « Fais un raccord maquillage, y'a Luna qui s’est pissé sur la gueule » 17h — Cock en stock Après deux heures de retournage dans tous les sens, ça sent la foufoune dans le studio. Je vous avoue que malgré mes efforts de professionnel, mon métabolisme commence à me rappeler que je suis un homme en âge de procréer. L’éjac' est terminée, tout le monde s’applaudit, s’embrasse, c’est un tournage comme les autres, avec pas mal de trous du cul sur le plateau. Tout le monde remballe pour aller se coucher, l’équipe en a plein le cul. 39
MUSIQUE � P MAXIME GENOUD
LA SUMMER PLAYLIST D’ODEZENNE
On a demandé au plus grand groupe de dépressos français de nous concocter une playlist d’été, un truc joyeux, un truc qu’on 40
peut mettre dans la bagnole… Eh bien figurez-vous qu’ils ont joué le jeu, et avec brio !
Jacno Rectangle Un morceau que l'on a découvert dans un bar à Berlin, et qui nous a fait beaucoup de bien à l'époque. Il a fini par s'immiscer un peu dans nos compos, comme une des influences 80's de notre disque. Gainsbourg La Javanaise Une ritournelle presqu'infinie... un bel air de vacances. Salut c'est cool Le jardinier magicien Sûrement un de leurs plus beaux morceaux, une vraie jolie chanson cool. Mansfield Tya Gilbert Leclerc On aime beaucoup Mansfield, on les a vu deux fois en concert, la première fois à Bourges. Elles ont joué cette chanson, différemment que sur le disque, avec un riff de gratte à tomber par terre. Magnifique. Equipe de foot The Way You Swim Un jeune groupe bordelais qu'on apprécie beaucoup, avec un son pas si loin des Presidents of the USA qu'on écoutait dans les années 90. Très frais. Frank Ocean Super Rich Kids Une très jolie ballade, qui fleure bon l'été et qui nous rappelle notre escapade à Montréal, son festival et ces afters dans le quartier de Miles end.
Robert B. Sherman and Richard M. Sherman Let's Go Fly A Kite Le grand final de Mary Poppins. Mansfield Tya Bleu lagon Un morceau qu'on chante (qu'on crie) très souvent quand on rentre de concert au milieu de la nuit pour aller à l'hôtel. Quand notre sondier est en forme, il nous fait cadeau d'un joli slam dans le camion. Mac de Marco Blue Boy une chanson qui donne envie d'avoir 20 ans à nouveau, louer un van, et de tracer la route (avec une jolie fille). Robbing Millions Ritualistic Un groupe bruxellois qu'on adore, rempli de bonnes et belles idées. Phone Plaything Un morceau sans paroles et très joyeux. Enfin presque sans paroles, notre grand ami réalisateur Undi Lee, un CoréenAustralien, a fini par y rajouter un « tout est nickel ! » crié et répété en boucle sur la chanson, avec son accent des plus heureux. La bionda I Wanna Be Your Lover Une pépite découverte par notre ingénieur son avec qui on a mixé Dolziger. Ils ont pu être forts ces Italiens. 41
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PARIS BY NIGHT �
CLÉMENT VILLAS ARNAUD CHAILLOU
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N BE FE N DE R EV S FE D O S E LE TI S VA L
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C’est en me rendant à l’un des 1600 festivals français de musiques actuelles que je rencontrai Chloé et Charlène. Ces deux Bordelaises de 19 ans ont quitté leur province natale le temps d’un week-end pour devenir bénévoles de festoche. C’est ainsi qu’elles se sont retrouvées à être en
charge de scanner mon digitick en PDF sur mon iPhone. C’est d’abord la mauvaise organisation du(pas)dit festival, puis le sourire à l’envers de Chloé qui m’ont poussé à lui poser les quelques questions me taraudant, le soir même, dans leur petite chambrée de fortune à Montreuil. 43
Le résultat de cette rencontre n’est pas une liste exhaustive des dysfonctionnements d’un événement, les faits relatés n’ont pas pour but d’incriminer le festival en question, ils fonctionnent tous de la même manière de toute façon. Ceci est une humble transcription du récit de deux post-ados de province, ne roulant pas sur l’or, qui échangent un peu de leur temps et de leurs forces dans l’espoir de voir jouer gratuitement leurs groupes préférés. C’est Chloé qui avait trouvé la chambre sur Airbnb trois jours avant leur départ de Bordeaux. La déco était franchement ringarde, et les filles n’avaient qu’un petit lit pour deux. C’était manifestement la location la moins chère qu’elles avaient pu trouver. Charlène nous fait des pâtes à tous les trois pendant que son acolyte m’offre une Kro. Toutes deux sont étudiantes, l’une en management culturel, l’autre en lettres et journalisme. Pas les moyens pour venir à Paris, pour se payer un festival. Nous crevions la dalle, normal car nous avons mis deux heures à sortir du festival et trouver un Uber qui veuille bien nous ramener. Les deux amies de lycée sont défoncées. Non pas par les deux pétards qu’elles ont fumé dans la soirée, mais par la fatigante journée passée à aider les organisateurs de ce "festival de bobos". Elles me racontent leur journée. Après 9h de bus lowcost inconfortable avec des gens pas sympas, les filles arrivent dans un festival mal organisé où les responsables des bénévoles sont eux aussi bénévoles. Aucun référant en cas de problème. Selon Charlène, la plupart sont des bénévoles comme elles mais qui auraient plus d’expérience… en bénévolat. Elles ont bossé 7 heures par jour, pour environ 3 heures de "quartier libre" pour tenter de voir un ou deux concerts. Le travail est 44
déjà dur, mais quand il y a des couacs à l’entrée, personne n’est en mesure de les aiguiller. Lorsqu’elles croisent un responsable, un employé qui a la chance d’être rémunéré, celui-ci est en pause et fume des clopes. Alors que les filles passent leur journée à scanner une vingtaine d’entrées à 50 euros par minute, celles-ci n’ont droit qu’à un seul coupon pour manger, sur les deux repas que comptent une journée, et encore ce dernier n’est pas valable dans tous les food trucks présents durant le festival. Quant aux boissons, n’en parlons même pas, on leur avait promis "des tickets" pour prendre quelques bières à l’œil pour les dédommager du service. D’autres festivals en donnent trois ou quatre. Aucun stand n’a bien voulu reconnaître leur statut de bénévoles pour leur offrir ne serait-ce qu’un demi. Certains étaient tellement fatigués qu’ils sont rentrés chez eux après leur service, sans même aller voir un seul concert. Quand on compare aux employés de bars, ceux-ci sont payés 150 euros pour un week-end. Même s'ils profitent moins des concerts, je pense que l’expérience est à peu près similaire, et avec un taf moins relou où on peut boire à l’œil. « On fait la même chose que ces gens en Angleterre, qui selon la légende payent leurs repas en faisant la vaisselle. » Le lendemain, face au manque de sérieux et au foutage de gueule général, beaucoup manquent à l’appel. A la fin du festival, aucun remerciement n’a été formulé de la part de la responsable des bénévoles. Trois jours après, un petit mail général pour toute l’équipe, sans aucun mot spécifique pour les quelques centaines de personnes qui sont venues gratuitement les aider. « Pas cool ».
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EROTISME � T CORINNE DE LA COMPTA
LES NUITS HUMIDES DE COCO
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Je n’ai pas pour habitude de convier mes matchs Tinder chez moi directement, mais avec lui c’était différent. Il me plaisait beaucoup, ses textos avaient attisé ma curiosité. Il m’avait raconté ce qu’il projetait de me faire, je savais que je n’en ferai qu’une bouchée. Il est arrivé une bouteille de vin à la main, souriant. Il voulait discuter, pas moi. J’avais menti sur mon identité, je n’avais envie que d’une chose, qu’il me fasse l’amour. Il était beau, ses yeux bleus me faisaient chavirer, sa bouche m’envoûtait, le désir était trop fort ! Je montais sur lui et l’embrassais sans retenue. Mes mains, exploratrices, palpaient partout, je sentais son pénis se durcir contre moi. Ses mains sur mes hanches, il retira ma robe pour mieux caresser mon corps. Je devins tigresse, il m’affolait. Il m’allongea sur le canapé, déshabillée, je sentais ce chaud effluve s’écouler entre mes cuisses. Ses doigts partout à m’explorer, il embrassait mon cou, caressait mes seins, mon ventre… La pointe de sa langue remplaça sa main curieuse, sa bouche buvait la liqueur qui s’échappait de ma fente. Je me cambrai, mes mains frêles et soyeuses capturèrent sa tête, je tressaillis. A l’écoute de tous mes sens, il attendait l’instant précieux où je susurrerai « prends-moi ». Exaltée par tant de plaisir, j’inondai sa bouche et son visage de ma jouissance. Enivrée, je retirai son pantalon, je passai ma langue sur ses lèvres, mes lèvres sur son torse, je le caressai doucement. La pression montait, j’aimais qu’il me regarde et j’aimais le regarder. Je voyais dans ses yeux cette lueur de désir. J’engloutis sa queue, je collai ma langue, je suçotai le velours de son gland, délicatement. Epris de ce doux massage, ses
mains, vives, m’empoignèrent les cheveux. Son corps frissonna, il donnait le rythme pour atteindre l’extase. Brûlante, je m’offrai à lui. Ses paumes chaudes et fermes malaxaient mes fesses avec ferveur pour mieux dévoiler mes orifices ; il me pénétra sans ménagement. Sentir sa queue tendue en moi était jouissif. Sa main serrée sur mon cou, l’autre tirant mes cheveux, il mordilla mon oreille tout en mangeant mon cou. Nos corps bouillonnaient, proches de l’orgasme. Ses allées et venues puissantes et brutales me faisaient défaillir, je gémissai, il aimait ça. Il écarta mes cuisses, je contractai mon vagin pour plus d’excitation. Il glissa un doigt dans mon anus, je sentis son souffle contre mon cou, nos cœurs battaient la chamade, c’était délicieux. Le souffle coupé, à l’apogée du plaisir, je n’entendai que ses râles et mon corps se tordait de plaisir. Mon visage bascula, exhibant ma gorge pour qu’il s’y déverse. Rassasiés, nous laissâmes nos corps refroidir peu à peu… Il quitta mon appartement peu après, il devait soi-disant se coucher tôt... ce n’était pas pour me déplaire. J’arrive la première au bureau, fringante. Mon boss veut me parler. Quelqu’un attend dans son bureau, quelqu’un qu’il veut me présenter. J’arrive, le mec se retourne. Ce même mec qui me baisait sauvagement la veille est devant moi à nouveau, accompagné de l’arrogance qui m'avait tant plu. Mon patron me présente quelqu’un que je connais bien, très bien… Et en profondeur… Il sera mon collègue d’ici une quinzaine de jours. A suivre…
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AGENDA �
JEUDI 8 JUILLET • 17h La Plage du Glazart gratuit avant 19h Acid Avengers w/ Emmanuel Top, Drax & More
VENDREDI 15 JUILLET • 23h30 Djoon 15€ Pont Neuf Invite Damiano Von Erckert & Young Marco
DIMANCHE 17 JUILLET • 16h Jardin du Musée du Quai Branly gratuit Les Siestes Électroniques w/ L’ocelle Mare, Voiski
JEUDI 22 JUILLET • 22h Djoon 10€ A Dance Ritual w/ Louie Vega
VENDREDI 23 JUILLET • 17h La Plage du Glazart gratuit avant 19h Dure Vie w/ Chez Damier, Brawther, D KO Records, Chineurs De House… 18h Trabendo 15€ Smallville & Friends DJ Fett Burger, PLO Man, DJ Slyngshot, …
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VENDREDI 29 JUILLET • 20h Concrete 15€ w/ Tony Humphries, San Soda, Sweely Live
SAMEDI 30 JUILLET • 12h Le 6B Pwfm 001 : Prologue
DIMANCHE 31 JUILLET • 07h Concrete 15€ Ben Klock, Antigone, Freddy K, Dr. Rubinstein, Madalba
VENDREDI 5 AOÛT • 20h Concrete 15€ w/ Jus Ed, Dj Sprinkles, T.B. Arthur Live
JEUDI 19 AOÛT • 00h Faust 15€ Discothrill : Tâches, Un Deux, Discorazor & Veens
SAMEDI 27 AOÛT • 17h La Plage du Glazart gratuit avant 19h Insomnia rec. x LA Clap : Barac, Arapu
ALASDAIR GRAHAM, DAVID PETTIGREW ET GRAHAM LORIMER ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.
ICI, LE TORRENT EMPORTE L’EAU
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LE CLAN CAMPBELL.
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.