Le Bonbon Nuit 71

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Février 2016 - n° 71 - WWW.lebonbon.fr


RICARD SA. au capital de 54 000 000 € - 4/6 rue Berthelot 13014 Marseille – 303 656 375 RCS Marseille

G A R Y H A R T, I A N G I B S O N , L I A M M c D E R M I D E T A N D R E W M U I R H E A D É L A B O R E N T C H A Q U E J O U R L E W H I S K Y C L A N C A M P B E L L .

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


EDITO #

Bon, je pense que ce sera mon dernier numéro du Bonbon Nuit. Je veux me lancer dans la politique. Et pour cela j’ai un plan très simple. Je vais un peu piocher dans chacun, et prendre le meilleur. Je vais créer mon petit parti. Un parti sans couleur. Ça s’appellera le… PRDDGEDD, le parti républicain démocrate de gauche et de droite, ça sonne bien, ça fait propre. Ce sera le premier parti d’extrême centre. Parce que bon… y'en a marre ! Mais d’abord, il me faut une mesure forte, une mesure utopiste. Je propose que chaque personne active gagne 3000 euros par mois. Et si on ne travaille pas, c’est 1000 boules pour les chômeurs. Mais on va me traiter d’utopiste de gauche… Ok alors, 1000 euros seulement pour les chômeurs, à condition de chercher quand même un peu et d’écrire 100 fois sur une feuille de papier blanc tous les jours à Pôle Emploi : « le travail c’est la santé, oh oui je veux travailler, s’il vous plait Dieu de la croissance économique donnezmoi l’opportunité de gâcher mes talents et mon temps de vie pour engraisser le grand capital ». C’est pas mal ça. Mais après il me faut de la crédibilité… Je vais demander à mon pote réal de faire un documentaire sur moi et mon petit parcours. Comment je suis passé de petit rédacteur en chef à grand leader politique. Ça cartonnerait sur France$2 à la place de VU. Tout le monde me verra amoureux de ma fausse femme que je trompe tout le temps, je vais prendre 10 points dans les sondages.

Pour financer ma campagne ? Je vais taper un peu sur les notes de frais du Bonbon pour payer mes premiers dîners de campagne. J’inviterai des gens riches aux frais du contribuable pour leur promettre qu’ils continueront à ne pas raquer d’impôts si je gagne. Me voilà chouchou des grands groupes et des médias. France 2 diffuse enfin mon documentaire ! Mais tout ça ne me constitue pas une majorité… Je vais alors taper du point sur la table. Il faut que je retrouve une vieille valeur perdue pour faire plaisir à la France qui ne regarde pas Canal+… Et si on rétablissait la peine de mort… pour les terroristes ? Ok, c’est bien ça, c’est fort ! C’est impactant ! Et tout le monde est d’accord. Accompagné d’un petit dérapage contrôlé anti-Roms de rien du tout pour avoir les racistes dans la poche… De toute façon, les Roms, c’est comme les Français intelligents, tu peux te moquer d’eux à la télé, ça ne changera rien car ils ne votent pas. Bon bah on dirait que je suis bien, là. Et si je suis élu, promis je ne ferai rien de rien de ce que je vous ai promis, parce que c’est trop relou en fait. Je laisserai faire Bruxelles, ils sont sympas les Belges. A part peut-être donner quelques emplois fictifs par ci par là à ma fausse femme que je trompe tout le temps, cela va de soi. Mon slogan ? Hum, le voici : Vous n’oseriez jamais voter pour moi, et pourtant c’est ce que vous faites depuis 35 ans. Ça claque non ? Vive la République, et vive la France ! Raphaël Breuil

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TEAM #

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RÉDACTEUR EN CHEF DIRECTEUR ARTISTIQUE COUVERTURE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION GRAPHISTES RÉDACTEURS

RESPONSABLE DIGITAL COMMUNITY MANAGER CHEFS DE PROJETS PARTENARIATS RÉGIE PUB CHEFS DE PUBLICITÉ PRINT SAS LE BONBON IMPRIMÉ EN FRANCE

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Jacques de la Chaise Raphaël Clément Breuil Tom Gordonovitch Reda Kateb par Flavien Prioreau Louis Haeffner Coralie Bariot, Louise Goossens, Cécile Jaillard, Cyrielle Balerdi, Laura Dubé, Agathe Giraudeau, Rachel Thomas, Tiana Rafali-Clausse, Olivia Sorrel-Dejerine Antoine Viger Clément Villas Dulien Serriere, Florian Yebga Margaux Décatoire, Hugo Derien Carole Cerbu, Nicolas Portalier, Benjamin Haddad, Edouard Goisbault, Arthur Nolleau 12, rue Lamartine 75009 Paris Siret 510 580 301 00032 01 48 78 15 64


SOMMAIRE #

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À LA UNE Reda Kateb

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CINÉMA Patricia Arquette

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MUSIQUE Rocky

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MUSIQUE Corine

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MUSIQUE Holybrune

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MÉTIER DE NUIT Veilleur de nuit

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REPORTAGE Belleville 2

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HOTSPOTS # ① FÊTER UN ANNIVERSAIRE EN OR Happy Birthday Mona ! Ces dernières années, la clique de La Mona aura fait de ses soirées une ode à la danse, à la bonne musique, à la joie. Pour leurs 9 ans, Nick V nous promet 12h de pur kiff. Au programme : deux dancefloors, un dance contest, une disco room et une house music all night long avec des invités top qualité. N’oublie pas le thème : Be Gold ! Samedi 11 février, à La Bellevilloise ② UN WEEK-END SUR LA PLANÈTE PEACOCK Peacock revient encore plus fort cette année avec un line-up de fou furieux. Larry Heard, Ben Klock, Floating Points, Omar-S, Fatima Yamaha, Âme, Seth Troxler, Modeselektor, Chris Liebing… Désolé, la place nous manque pour finir la liste mais tu as bien compris que tu n’en sortiras pas indemne. 17 & 18 février, au Parc Floral de Paris ③ TRIPER EN AFRIQUE Préparez-vous à un voyage initiatique dans le berceau de l'Humanité. Les chamans d'Open Minded réunissent le meilleur de l'afrobeat en invitant le pionnier de Baobab Music Raoul K, le très apprécié Sud-Africain Culoé De Song ainsi que Mawimbi, les petits Français qui montent. Attention, le temps d'une soirée, Pigalle sera tribal ! Vendredi 24 février, à la Machine ④ FAIRE LE PLEIN DE COULEURS Ils sont deux, actifs depuis un petit moment, ils allient à la perfection leur univers graphique et leur musique dans un univers psychédélique caractéristique. Couple sur scène comme dans la vie, ils ont côtoyé les meilleurs dans leurs milieux respectifs (Cabanne, Sylvia Toledano…). MASOMENOS, pour vos yeux, vos oreilles et plus si affinités. Samedi 25 février, au Badaboum 5


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À LA UNE # T RAPHAEL BREUIL P FLAVIEN PRIOREAU

REDA KATEB, LE DERNIER PARISIEN

Hotel Intercontinental Opéra, 16h. Une armée de journalistes et de comédiens a pris possession d’un étage pour de multiples promotions de grandes machines internationales. C’est dans cette ambiance affreuse que nous réussissons à passer une demi-heure avec Reda Kateb, et ceci pour un film qu’il ne vient même pas promouvoir car il était surtout là pour parler du film de Wim

Wenders. En effet, nous avons causé des Derniers Parisiens. Une ode au quartier de Pigalle et surtout à ses habitants, le premier film de La Rumeur. L’acteur qui voulait se séparer de sa gueule cassée nous parle, le jour de ses 40 ans, de sa carrière, qui a commencé par un rôle de clown dans un salon du camping, pour finalement rejoindre Hollywood et Wim Wenders. 7


«!Peut-être qu’un jour j’aurai un truc politique à dire aux César mais j’ai toujours trouvé ça un peu bizarre de parler du monde ouvrier une coupe à la main.!!»

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Tu as eu 40 ans hier. Du coup, on va faire une interview quarantenaire. Ça va tu bades pas trop ? Hier matin je me suis réveillé un peu… (silence) Tout de suite c’est un chiffre qui change quelque chose. Et puis en fait non, ça va ! Est-ce que comme Florent Pagny tu t’es acheté une Porsche pour tes 40 ans ? Non, je pense que c’est une des rares choses qui nous différencient Florent Pagny et moi. Après 10 ans de carrière, est-ce que tu regrettes ton anonymat ? Ça serait un peu déplacé d’être nostalgique de ça. Y'avait quand même beaucoup de galère et moins de place pour m’exprimer. Pour être honnête, parfois j’aimerais être anonyme, mais je continue à vivre comme si j’étais anonyme. Je cultive l’amour de mon métier, tout en cultivant ma vie, je ne suis pas un acteur dans ma vie. Certaines choses changent, mais je ne pense pas à ça du matin au soir. Très heureux de la chance que j’ai. Qu’est-ce que tu n’as jamais fait à 40 ans ? Sauter en parachute. Après y'a pas mal de trucs que j’ai pas fait et que je n’ai pas envie de faire donc je t’en parle pas. J’aimerais bien aussi faire une belle comédie. Un vrai challenge d’aller sur ce ton-là. J’ai déjà refusé des comédies. Non, je ne dirai pas lesquelles. T’as déjà eu des regrets sur des rôles refusés ? Jamais ! J’aime bien regarder les films que je refuse. Maintenant que tu as 40 ans, est-ce que tu vas profiter de ta notoriété pour faire des discours politiques aux César ? Peut-être qu’un jour j’aurai un truc politique à dire aux César, mais j’ai toujours trouvé ça un peu bizarre de parler du monde ouvrier

une coupe à la main. Je trouve qu’il faut séparer les choses, je suis citoyen au même titre que toi. Et si de temps en temps ma position peut aider à faire avancer les choses je ne dis pas non, mais j’ai beaucoup de mal à utiliser mon métier pour aller sur le terrain de l’engagement. Je préfère faire des petites choses anonymes à mon niveau. J’ai toujours eu du mal avec le côté vitrine promotionnelle de l’engagement. Lors d’interviews, je peux donner mon avis sur différents sujets, mais je n’ai jamais été un leader. Si je monte sur la scène pour recevoir ou remettre un prix, je trouve ça déplacé de voler ce moment pour des déclarations qui n’engagent que moi. Un mot sur les élections, à 40 ans tu vas retourner ta veste ? Je vois un fossé de plus en plus grand entre la parole politique et la vraie vie des gens. Cela m’inspire un peu d’anxiété pour le monde que l’on va laisser à nos enfants. Les politiques nous bercent avec des fausses promesses alors qu’ils n’ont que peu de moyens pour arranger les problèmes économiques. Et tout ça c’est le terreau d’une colère malsaine. Qui peut être récupérée par des gens qui savent très bien où ils veulent aller. Tu as réalisé des courts-métrages, est-ce que le long viendra pour la quarantaine ? C'est pas encore dans les tuyaux. J’ai réalisé un court-métrage qu’on ne peut pas encore trouver. Ça s’appelle Pitchoune, il est passé en télé/festival mais pas encore libre de droit pour que je le mette sur YouTube. Ça raconte une période de ma vie que j’ai toujours eu envie de traiter, c’est quand j’étais clown, il y a 15 ans, pour les enfants en général, et ce jour-là on m’a envoyé au salon du Campingcar dans une halte garderie. Y'avait ce ressort tragi-comique qui me plait beaucoup, que j’ai eu envie de m’offrir et d’offrir à Philippe Rebbot qui me donne la réplique dans le film.

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Est-ce qu’à 40 ans tu peux te vanter d’être le premier acteur français qui s’appelle Reda sans être "l’Arabe de service" ? Je n’ai aucun rapport communautaire à revendiquer. Si j’ai eu à m’affranchir d’une chose, c’est plus une histoire de gueule cassée, de dealer etc… Et de ce prisme communautaire des gens qui posent des questions sur la place de l’Arabe dans le cinéma. On suppose que maintenant que tu tournes avec Wenders, ton implication dans le film Les Derniers Parisiens est un peu plus qu’être acteur ? Sur le tournage c’était essentiellement être acteur. Avec La Rumeur, réalisateur du film, c’est une histoire qui date. A la base on avait un projet de mini-série pour Canal qui s’appelait De l’encre, qui finalement n’a été qu’un unitaire et ensuite un court-métrage, Ce Chemin devant moi. Sélectionné d’ailleurs à Cannes il y a quelques années. On avait ce projet de faire un long métrage ensemble, leur premier. Mon implication a été déjà d’être leur ami et d’encourager les auteurs Hamé et Ekué. Et sur le tournage, j’étais très partie prenante sur mes positions, des choix artistiques. Tu as servi de caution pour la production ? On s’est connu avant que je fasse du cinéma donc non, absolument pas. Après, étant donné que je suis plutôt dans un vent favorable ça n’a pu qu’aider, forcément. Mais j’étais quand même à la source du projet. Tous les acteurs qu’on voit sont essentiellement des amis. A part Mélanie Laurent qui est arrivée plus tardivement sur le projet. Ils se sont rencontrés dans le quartier (Pigalle), à une terrasse de café. Vous venez tous de ce coin-là ? Moi non mais eux, La Rumeur, ont une longue histoire avec Pigalle, ils se sont construits puis se sont développés là-bas. Maintenant 10

ils y ont leurs bureaux, Ekué habite là-bas et toute la faune du film sont des gens du terrain, connus de longue date. Comme les frères Dardenne, jamais plus de 20 km autour de chez eux. L’inspiration vient de là ! Et moimême j’ai besoin de travailler avec des gens qui savent où ils m’amènent, dans des lieux qu’ils connaissent bien. La réinsertion, la gentrification, la mixité sociale, le monde de la nuit, Pigalle. Quel est le vrai sujet du film ? Ça me déplait de résumer le film à une seul vision. J’ai l’impression de perdre ma liberté. La Rumeur est un groupe éminemment politique, qui a une histoire et une continuité dans un engagement politique, mais dans ce film-là, il ne se résume pas. C’est politique d’avoir filmé Paris de cette façon-là, c’est politique d’avoir à la fois une trame centrale de frères avec une narration classique et en même temps de s’attarder sur tous les autres protagonistes qui sont autour. Des gens qui généralement n’ont pas leur place sur grand écran. Ou alors ramenés au folklore ou à la caricature. Ce film propose une galerie de personnages en ne cherchant ni à la montrer antipathique, ni sympathique mais simplement comme ils sont, de rentrer dans leur vie, et de leur donner une chance. Et c’est assez rare dans le cinéma aujourd’hui. Plonger dans la vie des gens sur le trottoir d’en face à qui on n’oserait pas demander du feu. Eux aussi ont des fêlures, des rêves. Ça a plus d’engagement politique pour moi qu’un film qui voudrait qu’on soit tous de gauche et qu’on se sert la main. Y'a ce personnage de SDF qui n’apporte rien à l’histoire, il ne fait pas avancer la narration, mais ce n’est pas pour ça qu’il n’est pas intéressant. La proposition du changement de position quand on regarde quelqu’un, c’est ce qui me plait dans le cinéma. Et c’est pour ça que ce film s’appelle Les Derniers Parisiens, et pas "le" dernier.


Les Derniers Parisiens, de Hamé et Ekué En salle le 22 février 11


PLAYLIST # P WE LOVE

PLAYLIST PEACOCK

En 2017, Peacock revient pour la première fois en hiver ! Et pas avec un line-up de discothèque de province : Ben Klock, Omar S., Seth Troxler, Floating Points, Paula Temple, Âme, Modeselektor, Chris Liebing, et j'en passe… Aujourd'hui retrouvez une playlist de tous les artistes Peacock avec 12

un parcours présentant quelques surprises que vous pourrez retrouver durant ce weekend de teuf. — The Peacock Society 17 et 18 février au Parc Floral de Vincennes thepeacocksociety.fr


Modeselektor feat. Thom Yorke Shipwreck Pour commencer par un before comme on les aime avec nos classics by Modeselektor. Âme Balandine Arrivé au Parc Floral de Paris, on entend déjà les nappes envoûtantes envoyées par les deux comparses. Omar S Thank U 4 Letting Me Be Myself On apprécie la scène house de la Squarehouse où se succèderont Omar S., Larry Heard… Les légendes sont dans la place ! Mr. Fingers (Larry Heard) Can You Feel It Larry Heard, un des godfathers de la house music, nous fait vibrer au travers de son classique. Ben Klock Sirens On se déchaîne sur la scène Warehouse plus orientée techno, ce qui n’est pas pour nous déplaire. L’esprit du Berghain flotte sur Vincennes. The Pilotwings Le RSA Petite pause dehors, on prend le temps de manger un bout dans l’un des nombreux foodtrucks présents pour l’occasion.

Jazz Cartier Wake Me Up When It's Over On découvre le pavillon qui abrite l'espace chill-out du festival avec une boîte à questions. Petite pause et bonne tranche de rigolade. Len Faki, Roman Poncet Asua Retour sur le dancefloor avec Roman Poncet aka Traumer. On chope une bière fraîche au bar et on profite de la bonne vibe du Français. Fatima Yamaha Araya Retour dans le Ciné Club avec projections de documentaires, clips et pièces visuelles et conférences avec les artistes du line-up ! Anetha Black Widow La Française cogne fort ! On fait un détour par les bains suédois #bouillants pour se détendre les muscles. The Hacker Flesh And Bone Le retour sous son alias Amato (de son vrai nom), lui qui avait fait vibrer Peacock en 2015. Retour réussi ! Bjarki I Wanna Go Bang Pictime avec Bjarki qui joue son hit de l’année précédente, le tout sous la scénographie lumière par Franz & Fritz. Pour cette édition, ils habilleront le Parc Floral d'une architecture et technologie totalement inédite.

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CINÉMA # T URSULA MICHEL

PATRICIA ARQUETTE, 3 L’AGENT SECRET D’HOLLYWOOD Longtemps petite sœur de Rosanna, Patricia Arquette s’est taillé en presque trente ans de carrière un sacré prénom, à coups de collaborations avec ce qui se fait de mieux à Hollywood (Scorsese, Lynch, Burton, Boorman, Scott pour ne citer qu’eux), distançant, et de loin, sa frangine. Consacrée aux Oscars grâce à sa performance dans Boyhood (2015), actrice chouchou du

petit écran (Medium, Broadwalk Empire et CSI : Cyber), la comédienne, discrète et grande gueule à la fois, s’est imposée comme une valeur sûre. De son enfance dans une communauté hippie à ses rencontres avec Lynch et Gondry sans oublier son rapport au glamour hollywoodien, Patricia met les choses au point en six étapes.

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Votre grand-père, votre père, votre frère, vos sœurs sont dans l’industrie du cinéma. Mais comment grandit-on chez les Arquette ? C’était cool de grandir chez les Arquette. On discutait art, politique… Et ils ont tous beaucoup d’humour et un esprit très libre. J’ai grandi dans une communauté hippie, et cela m’a ouvert des horizons inattendus. Chacun devait participer à la vie de la communauté, mais seulement six personnes travaillaient dont mon père. Nous étions pauvres. Même si nous avons eu des difficultés à joindre les deux bouts, être dans la communauté n’a rien arrangé. Quand nous avons déménagé en Californie, tout a changé. Je me rappelle qu’à l’école, un garçon m’avait demandé quelle voiture nous avions et moi j’étais juste enthousiaste d’en avoir une ! Dans la communauté nous n’en avions pas, on prenait le bus, on faisait du stop pour aller à l’épicerie, cela prenait des heures. J’étais tellement heureuse que nous ayons une voiture que je ne savais même pas qu’il y avait différentes marques. J’étais un alien. Ce que je comprenais du matérialisme se résumait à la notion de besoin mais pas du tout à la classification, au fait qu’un produit puisse être plus désirable qu’un autre. Quand tu as faim, l’important est d’avoir quelque chose à manger, peu importe la marque. Vous auriez quitté le domicile parental à 16 ans, un disque des Sex Pistols sous le bras. Mais la fillette élevée dans une communauté hippie et l’adolescente fan de punk sont-elle conciliables ? Cette anecdote est fausse mais à 15 ans, j’arborais une crête iroquoise noire et j’étais fan des Pistols, des Clash et surtout de The Ex, j’adorais leurs textes. J’ai grandi avec le punk, la new wave. Los Angeles à cette époque était une ville très sale, dangereuse, underground. Les punks étaient moins politisés que les hippies en général mais la 16

dynamique politique, la façon d’interroger l’autorité, de lutter contre l’establishment, se rejoignent. Les punks étaient juste un peu plus en colère que les hippies. Une part de cet esprit de rébellion m’a suivie. Même si je fais de la télévision aujourd’hui, je suis encore une fille bizarre. Je me suis toujours sentie à contre-courant, anti-conformiste. Du coup, je me sens un peu comme un agent secret à Hollywood. Freddy 3 marque le début de votre carrière. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ? J’étais un bébé. J’avais 18 ans, c’était juste avant que je tombe enceinte de mon fils. J’adore les films d’horreur mais celui-ci n’était pas assez flippant pour moi. Je me rappelle qu’on tournait souvent la nuit, il fallait respecter très précisément les consignes sur le plateau, on est très limité dans les possibilités de proposition sur ce type de métrages où tout est millimétré. C’est un de mes pires souvenirs artistiques. Le réalisateur me hurlait dessus dès que je proposais quelque chose. Il plaçait son visage près de la caméra et me lisait mon texte, me montrait quels gestes, quelles postures je devais adopter. Quand j’ai tourné True Romance juste après, j’étais tellement traumatisée que j’hésitais à faire part de mes idées. Et Tony Scott a été formidable. Chaque fois que je proposais quelque chose il était partant. Il m’a appris à suivre mes impulsions, à faire confiance à mon instinct. Martin Scorsese, Tim Burton, Sean Penn, Stephen Frears, John Boorman ou Tony Scott, votre tableau de chasse a de quoi impressionner. Mais un des joyaux de votre filmographie demeure Lost Highway de David Lynch. Souvenirs… Je ne sais pas si je comprends David mais il est gentil, doux, différent de ce qu’on peut imaginer à la vision de ses films. Il est très


J’AI GRANDI AVEC LE PUNK, LA NEW WAVE 17


Freddy 3 - Chuck Russell - 1997

Lost Highway - David Lynch - 1997

Human Nature - Michel Gondry - 2001

Boyhood - Richard Linklater - 2014

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ouvert aux accidents sur le plateau. Il attend que l’art se révèle de lui-même, à travers des erreurs, des éléments inattendus. Dans ses films, il n’y a pas de début ou de fin. Il n’explique rien de son univers. En tant qu’acteur, souvent la relation qu’on entretient avec le réalisateur permet de trouver des pistes pour comprendre le personnage, mais pas avec David. « Suis-je deux personnes ? Un fantôme ? Qu’en penses-tu Patricia ? », voilà comment se déroulaient nos échanges. Il me laissait libre d’interpréter. Qu’on ne se méprenne pas, il est très précis dans ses directives. Je me rappelle d’une séquence où il écoutait de la musique dans une oreille et il cherchait la bonne vitesse pour mes déplacements. Il me disait « va plus doucement, encore plus doucement » puis « accélère, encore, encore » jusqu’à trouver le bon rythme. Aujourd’hui, j’adorerais travailler avec Wong Kar Wai. 2046 et Happy Together m’ont profondément chamboulée. Avant Human Nature, il y a eu un clip pour les Rolling Stones. Comment s’est déroulé ce téléscopage entre vous l’Américaine et Michel le Français ? J’ai vu une de ses vidéos pour Björk et j’ai appelé mon agent pour qu’il se renseigne sur ce réalisateur. Je voulais savoir s’il était sur des projets car je me suis dit, ce type est un génie. Quelques mois après, on m’a proposé ce clip des Rolling Stones et j’ai découvert que c’était Michel qui devait le réaliser et qu’il pensait à moi pour ce "rôle" tandis que de mon côté je pensais aussi à lui ! Pour Human Nature, cela s’est fait naturellement. J’adore l’écriture de Charlie Kaufman, l’imagination de Michel, je suis très fière de ce film, c’est un film très spécial pour moi. Et puis je n’ai jamais été très glamour hormis peut-être dans Lost Highway et encore… Pour moi il s’agissait d’un film sur une mécanique de survie très sexualisée. Lost Highway est une sorte de fantasme. Le personnage, à travers

son esprit tourmenté, pense que sa femme est une pute menteuse qui fait tous ces trucs horribles. Mais il ne peut se débarrasser de son attirance pour elle. Mais je suis très différente de ça, de ce glamour. Et ma vie serait très différente si je pensais que je devais participer au monde de cette manière. Je n’ai jamais voulu être la plus belle, la plus parfaite ou la plus désirable, même étant jeune. Je voulais être libre de ces diktats, m’en éloigner le plus possible. Parfois la beauté n’est pas si belle. Alors la proposition de Michel, et la pilosité qui va avec, ne m’a posé aucun problème ! Boyhood invite à observer le temps qui passe en condensé. Douze ans de tournage à raison de 15 jours par an. Une expérience pour les spectateurs tout autant que pour les acteurs. Qu’est-ce que ce film vous a apporté ? C’était incroyable de voir les enfants grandir. Certaines années, ils se ressemblaient et à d’autres ils étaient totalement changés. Ethan et moi on a vieilli, eux ils ont grandi. J’aurais sans doute pu conserver un physique équivalent pendant les 12 ans de tournage si cela avait été ma priorité, mais cela ne l’était clairement pas et embrasser le destin de ce personnage signifiait ne pas se préoccuper de cette dimension. Boyhood ne m’a jamais semblé un projet étrange. Dès que Richard me l’a proposé, mon corps a dit oui ! C’était tellement excitant. Il n’y a aucun autre réalisateur aux Etats-Unis capable de mener un projet à la fois aussi organique et aussi spirituel. Et c’est un incroyable historien du cinéma. C’était une expérience personnelle, émotionnelle totalement formidable$! Travailler douze ans avec les mêmes personnes, voir les enfants devenir adultes… Le plus dur a été le dernier tournage l’année dernière. On a partagé tellement pendant toutes ces années, je ne voulais pas livrer ça au monde, que cela se termine. 19


CINÉMA # T PIERIG LERAY

CINEMA, LE MEILLEUR A VENIR

Dunkerque - Christopher Nolan - 2017

L'année 2016 se conclut dans le marasme d'une poésie sans espoir (Paterson de Jarmush), 2017 saura-t-il raviver notre flamme de jeune adolescent aux hormones frétillantes et à l'haleine pas toujours assurée ? 15 films qui feront 2017 à coup sûr. 15 films pour nous aérer les bronches polluées, chialer à gorge nouée, et à faible dose rire de l’absurdité. 15 films que l’on ose espérer, que l’on aime déjà détester 20

car chier sur la consanguinité du cinéma français ou les fours du cinéma déclaré d’auteur mais d’un esthétisme passéiste et sevré de talent ne sera jamais aussi plaisant. Mais oui, je vous le dis, 2017 sera bien une année de liberté, qu'elle soit isolée et remplie d’humilité ou dévastatrice et en feu. Vive le futur, vive le cinéma libre et soyons remplis d’espérance. Car dans un mois, c’est déjà fini.


TOP 5 des blockbusters ta mère ➊. Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve – Sortie le 4 octobre → Car Denis Villeneuve nous sauce avec le pire (Incendies) et parfois le meilleur (Premier contact), mais le retour de Harrisson Ford excite la nouille ➋. Star Wars 8 de Rian Johnson– Sortie le 15 décembre → Car en fait Rey est la fille de Luke et de Leia en mode inceste, et le grand méchant Snoke c’est en fait Jar-Jar Binks ➌. Dunkerque de Christopher Nolan – Sortie le 19 juillet → Car c’est le moment décisif pour Nolan, réaliser un film de guerre culte et devenir grand parmi les grands (Kubrick, Malick, Coppola) ➍. Alien Covenant de Ridley Scott – Sortie le 17 mai → Car Ridley Scott est de retour, et revient au basique : une planète isolée, un alien. ➎. La planète des singes, suprématie – Sortie le 2 août → Car je veux revoir cette putain de statue de la liberté sur la plage !

TOP 5 des films que je déteste déjà ➊. The Death and Life of J.F. Donovan de Xavier Dolan – Sortie courant 2017 → Car jeune trentenaire fan de Céline Dion, ça va faire mal, tu vas saigner et suinter, mais oui, Dolan t’enfle profond depuis des années ➋. Valerian de Luc Besson – Sortie le 26 juillet → Car c’est un film de Luc Besson ➌. Justice League de Zack Snyder – Sortie le 15 novembre → Car Zack Snyder a oublié d’être un cinéaste depuis Watchmen pour

être un très mauvais directeur de clip, esthétique à dégueuler ➍. 50 nuances plus sombres de James Foley – Sortie le 8 février → Car ça va encore bander mou, exciter les boutonneuses appareillées, et désabuser les Geishas trentenaires (les meilleures) ➎. Le redoutable de Michel Hazanavicius – Courant 2017 → Car vous avez vu la photo de Louis Garrel en Godard ? C’est une vanne n’est-ce pas ? Mais retourne à tes comédies potaches Michou !

TOP 5 des films que j’aime déjà, et je vous mentirai si je n’aime pas ➊. Voyage of time de Terrence Malick – Sortie courant 2017 → Car Malick nous expliquera à la fois la genèse et la mort de notre monde, stupeur et génie. ➋. Going places de John Turturro – Sortie courant 2017 → Car Turturro qui revisite Les Valseuses de Blier ➌. The Beguiled remake de Sofia Coppola – Sortie le 23 juin → Car je veux croire, encore, à Sofia, surtout quand elle s’attaque enfin à un film de genre (western) et quitte le vide comme espace préférentiel (Somewhere) ➍. L’homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam - Sortie courant 2017 → Car enfin, il sort. Adam Driver remplace Jean Rochefort, brillant parallèle ➎. Silence de Martin Scorsesse – Sortie le 8 février → Car Adam Driver sera vraiment l’acteur de l’année, et que Scorsese s’attaque au fondement de son cinéma, la religion catholique

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MUSIQUE # T ROMAIN CASANOVA P RENÉ HABERMACHER

ITW BCKSTG

ROCKY SORT DU RING Rocky, c’est le groupe français dont l’electro-pop aux influences multiples (house, r’n’b, pop…) a un son tout aussi puissant que les uppercuts de Monsieur Balboa. Composé d’une Parisienne et de trois Lillois, signés sur le même label que Woodkid et The Shoes, ils reviennent tout juste de tournée. Ce groupe qui fait déjà bien parler de lui est prêt à en découdre avec 2017. Dans le clip de votre track "Apologyze" j’ai l’impression que vous vous moquez de l’electro, des musiques outrancièrement répétitives, c’est ce que vous vouliez retranscrire ? On se moque plus de nous-mêmes, de nos propres paroles, c’était pour faire un lyrics video décalé. Comme pour tous nos clips et

ce qui est de notre image, le DA de notre label Pierre Leoni a fait appel à Valentin Adam, le frère d’un mec de The Bewitched Hands et qui a réalisé aussi des clips pour eux, il est très doué. Notre DA a pensé à lui, ça a tout de suite marché. Le clip est hyper simple et graphique, décalé, ce qui est drôle, vue peut-être l’image qu’on peut avoir de nous-mêmes. Vous êtes sur le même label que Woodkid, Sage et The Shoes, Guillaume Grillière a bossé avec vous sur la production d’"Apalogize", est-ce que ça vous donne envie de collaborer avec Woodkid par exemple ? Guillaume a bossé sur tout l’album, c’était une co-prod'. La collab' avec The Shoes s’est faite naturellement car on les avait rencontrés avant de signer et ils ont contribué à 23


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notre signature. On s’est super bien entendus, dans les influences on se retrouve et c’était vraiment la grosse collab' qui était attendue sur le label. Bosser avec les autres artistes c’est plus compliqué, ils sont dans un univers très différent ; même si on aime Woodkid, le featuring est moins évident. Ce soir vous jouez pour un show privé, c’est un peu particulier, qu’est-ce qu’il se passe dans les loges de Rocky ? Les accueils qu’on vous réserve dans les lieux ? La première fois qu’on a fait Calvi On The Rocks, la fille qui nous a accueillis était d’une patience, d’une gentillesse et d’une beauté à couper le souffle (rires). Tu arrives à Calvi, c’est assez hype, avec ton petit groupe au milieu de gens super connus et elle a été hyper sympa, on a été super bien accueillis. En ce qui concerne les après concert, comme on est un groupe c’est plus chiant qu’on ne le croit. On se retrouve en loges, on boit des coups, on doit ranger et remonter le matos qu’on ne peut pas laisser sur scène ou dans les loges. Une fois le camion sorti, il faut le garer pour éviter de se le faire voler, puis tu retournes dans les loges et tu t’aperçois que tout le monde a sifflé tes bières (rires). Une bonne anecdote, à l’Olympia on avait bien rigolé pour Diplo, une partie du public, tout le staff et tous les groupes de la soirée étaient dans notre loge. On ne sait pas trop pourquoi ils n’étaient pas dans les leurs mais dans la nôtre. C’était à l’américaine, on a fait une battle de twerk avec des danseuses (rires). Vous revenez de votre première tournée avec Ricard, comment ça s’est passé ? C’était super, les morceaux n’existaient pas, l’album n’était pas sorti et c’était une sorte de tour de chauffe. C’était un petit laboratoire sur une dizaine de dates. On a vu ce qu’il y avait à améliorer, mais au final on est très satisfaits de cette version du live, même si il faut qu’on travaille certains aspects. 26

Quels étaient les meilleurs moments ? La dernière date à Montpellier était particulièrement folle, le public était à fond et tout le staff dansait sur scène. Aussi à Toulouse au Bikini, le catering était incroyable, il y avait une sorte de grille avec une cheminée dans la salle. C’était un restaurant à la base qui a été transformé, le directeur du lieu est le chef, il fait de la super bouffe. A la Rochelle on a bien mangé aussi, c’était plus exotique avec un super buffet. Laurent : Moi je suis végétalien, c’est agréable d’avoir de la bonne salade, tiens tu me passe le reste de nuggets à côté de toi s’il te plaît ? (rires) Vous avez des exigences pour vos riders ? Une seule, la Corona, on carbure à ça, après si il n’y en a pas on joue quand même, hein$! Niveau bouffe on veut juste des produits locaux si possible. Vous venez tous de Lille, à part votre chanteuse qui est parisienne, une ville qui bouge culturellement, ça a eu des conséquences sur l’histoire du groupe ? C’est une grosse ville de concerts, avec le Grand Mix et l’Aeronef qui sont importantes en France, mais aussi La Cave aux Poètes, la Gare Saint-Sauveur, la Condition publique… Plein de lieux culturels qui sont nées en 2004 quand Lille est devenue capitale de la culture. C’est des salles qui aident les groupes à jouer, tu peux avoir facilement des subventions grâce à eux, les conditions pour jouer sont bonnes. Ça nous a beaucoup aidés, les gens sortent énormément. La scène musicale est riche, Panteros vient de là, Boston Bun et Brodinski y ont vécu pas mal de temps. Concernant votre musique, y'a pas mal de sonorités différentes dans ce que vous faites, house/garage, pop, Inès votre chanteuse apporte une touche r’n’b, même si globalement vous êtes un groupe d’elec-


tro-pop, qu’est-ce qui vous influenceW? Vous êtes plutôt vieux jeu ? Rocky: Effectivement on est un groupe electro-pop même si c’est moche à dire (rires). Dans ta question tu as tout dit, on aime tout. Que ce soit vieux ou récent, on aime autant les Talking Heads que LCD Sound System, la vieille disco et la house plus récente, The Weeknd autant que Michael Jackson (rires). Au fait LCD Sound System reviennent, qu’est-ce que vous en pensez ? Laurent: Personnellement je trouve que c’est un peu tôt, ils ont arrêté en finissant par un DVD de malade, avec un concert magnifique au Madison Square Garden pour terminer. Cinq ans plus tard ils reviennent comme si de rien n'était. On se sentait déjà trahis et en plus ils reviennent ! J’espère que James Murphy ne lira jamais cet article sinon la première partie pour Rocky c’est mort ! (Rires)

Un peu à la Jospin ? Laurent : Ouais, Lionel si tu nous entends, reviens, la France à besoin de toi ! Lionel au secours ! (rires) Non mais après James a écrit une lettre superbe pour expliquer son retour, mais c’est un malin, il écrit super bien. Olivier : Je ne suis pas d’accord, ça fait débat chez nous. (rires) Je trouve qu’ils reviennent sur une lourde décision, je suis super content, ça reste de la bonne musique. Laurent : Les deux arguments se valent, les miens sont rageux, je pense aux gens qui ont payé le billet pour le concert de closing assez cher et derrière le groupe se reforme… Olivier : Bon aussi il faut pas se leurrer, il y a des gros sous derrière donc ça joue aussi, mais on est quand même contents de les revoir.

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MUSIQUE # T RAPHAEL BREUIL P ZOÉ KOVACS

CORINE, FILLE DE MA RÉGION

Mais qui est Corine ? Son clip est partagé par tous les fanzines branchés, elle se fait inviter chez Canal+ avec à peine 1000 fans sur Facebook et on lui prête des liens avec Marc Collin, le créateur de Nouvelle Vague.

J’avais envie de rencontrer la Française qui va retourner la disco, histoire d’en savoir plus, ne serait-ce que pour essayer de la pécho, ce qui ne va pas être facile, car je n’ai pas (encore) de moustache. 29


Est-ce que je peux te vouvoyer ? J’ai toujours eu pour habitude de vouvoyer les Corine. Quelle galanterie, tu me fais rougir. Et moi, je peux te tutoyer ? Comment avez-vous fait Corine pour obtenir une interview chez Antoine De Caune, plein de papiers et reviews dans les mags les plus branchés de Paris, mais surtout six pages dans le Bonbon Nuit et avec seulement un EP et 1000 fans sur Facebook ? Ah ça… c’est la magie du disco. Et puis lorsqu’on vient d’une région comme la mienne, tout peut arriver. D’ailleurs je suis en train d’écrire un livre de recettes : Corine fait des tubes, dans lequel il y a le mode d’emploi. Corine c’est quoi, c’est un vinyle de 1982 qu’on vient de retrouver ou c’est un truc complètement ancré en 2017 ? C’est un vinyle de 2017 totalement ancré en 82. Je profite d’être ici pour faire un gros bisou à ma famille, surtout à Didier mon petit neveu. Y'a une ambiance très film français des années 80 comme Le Père Noel est une ordure, une espèce de disco funk un peu kitsch qui prend aux tripes et donne envie de danser, ça vous fait vraiment kiffer ou c’est pour rigoler Corine ? Kiffer, cela veut dire "aimer" c’est ça ? L’un n’empêche pas l’autre non ? Je me fais plaisir, mais tu vas voir que je ne fais pas que rigoler, je sais aussi pleurer. Pourquoi ce retour aux années Giscard ? Vous militez secrètement pour Emmanuel Macron et le retour de la croissance ? Si cette croissance implique un taux de pommes d’amour par habitant supérieur à celui des années précédentes, alors je suis ouverte à la discussion. Jean-Pierre Papin ne se présente-t-il toujours pas en 2017 ? 30

Si tu es la mère de Corine, son père c’est Marc Collin, dont l’immense succès a été la reprise de standards des 80’s. Est-ce que tout ça, c’est une façon de dire qu’on a un peu fait le tour de la musique pop et que le meilleur a déjà été fait ? Ou tu crois qu’il y a des choses novatrices qui sortent encore aujourd’hui ? Tout d’abord soyons clairs : je suis Corine. Je dirais plutôt que j’ai deux pères dans cette aventure, l’un biologique - Marc Collin -, l’autre spirituel - Dorion Fiszel. Novateur ou déjà fait, les possibilités sont infinies : notre trio est habité par cette fougue commune du disco-french-boogie, qui n’a jamais été mort. Savez-vous si Marc a eu comme inspiration la très riche musique des films pornos des années 70/80, notamment ceux avec Brigitte Lahaie ? Parce que parfois ça y ressemble. A nous trois, nous créons une orgie de références diverses et variées. Dans ce projet, Marc est animé par les 70's et les musiques de Brigade mondaine ou d’Emmanuelle. Dorion, le Dj, plutôt les 80’s et leur érotisme electrico-disco ; quant à moi, plutôt le cinéma de la Nouvelle Vague et ses dialogues féminins naïfs mais si subtils. Quoi qu’il en soit, votre musique donne un peu la gaule, est-ce que ça vous plait Corine ? La Gaule ? C’est dans quelle région ça ? Dans une interview, vous dites que l’utilisation de ce style dansant et rétro, c’est une façon de lutter contre l’austérité ambiante. Qu’est-ce que vous trouvez austère aujourd’hui Corine ? Le lait caillé, le beurre rance, les mocassins, les zones industrielles, les cheveux plats, les pointes cassantes, les aires d’autoroute sans restaurant, le JT, les photos médicales sur les paquets de clopes, une piste de danse vide,


«!Je veux me battre pour toute femme comptable n’ayant pas eu la chance de s’appeler comme moi.!»

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les ongles sans vernis, les œufs en tube, le surimi, la clim', la sécheresse, les chaussettes mouillées après la neige, un Banco perdant, le mousseux mais surtout, surtout, les pommes sans amour. Les années 70, début 80, sont la dernière époque ou l’on était encore optimiste et confiant pour notre avenir, nous voulions croire au progrès technologique. Vous êtes un peu réac' Corine ? -tive, oui je suis très réactive. Quand êtes-vous née Corine ? J’ai été conçue en décembre 2015, puis née en novembre 2016. 32

De ma région certes, mais de quelle région venez-vous ? Une région chaude, humide, brute, raffinée, profonde, sombre, mystérieuse. On y mange tantôt du pâté, tantôt du ceviche, tantôt du chocolat au lait, tantôt du chocolat noir. Est-ce que vous surnommer fille de ta région, c’est un peu une façon d’annoncer que la "fille de ta région" que te promettent les pubs M6 depuis 30 ans est enfin arrivée et existe vraiment ? Je dois t’annoncer que cette fille a toujours été là, près de toi. C’est la coiffeuse de ton village, la barmaid de ton quartier, la femme


de ménage de ta mairie, l’institutrice dont tu rêvais en CM2, la secrétaire de ton dentiste… Quel est votre type d’homme ? Un homme à la pilosité lui permettant une moustache bien taillée, avec son flacon d’huile d’amande douce toujours en poche. Un homme à qui le peignoir sied comme un gant de toilette humide à la sortie d’un hammam-spa brûlant, un homme sauvage dont le regard se perd sous des verres fumés, l’air robuste, le torse généreusement bombé, mais n’ayant pas peur de verser une larme. Vous savez que les moustaches c’est un nid à microbes ? Comme disait ma grand-mère : « les microbes c’est la santé », ou mon grandpère « pierre qui rousse n’amasse pas moule » ou un truc du genre. Toutes les stars des années 80 se sont révélées être devenues un peu con, engagées et souvent réac', ça sera votre cas dans 30 ans ? Ah bon, toutes ? J’ai bien de quoi démolir ta théorie en quelques mots gracieux : Catherine Ringer, Etienne Daho, Elli Medeiros… et j’en passe. Pour qui allez-vous voter en 1995 ? Chirac ou Jospin ? Je n’ai toujours pas ma carte d’électrice, ma chevelure n’entrant jamais dans le cadre de la photo demandée. Vous ne trouvez pas qu’on vit dans un univers un peu trop nostalgique ? Je sais pas si vous regardez South Park, mais c’est un thème récurrent dans la dernière saison et la théorie des auteurs serait que c’est cet excès de nostalgie qui aurait amené à l’élection de Trump et ça nous ramène à une espèce de fascination qu’on a en France pour les 30 Glorieuses, les années Chirac…

Tu penses que Corine participe à ça ou qu’elle est sans danger ? Effectivement, je n’avais pas vu les choses sous cet angle. Il est désormais très possible que je sois dangereuse pour la France. Courage, fuyez. Plus sérieusement, l’esprit Corine c’est effectivement retrouver une certaine naïveté, l’innocence et aller au bout de ses idées sans tabou. On se moque aujourd’hui des hits du Top 50 d’alors, mais finalement on envie un peu secrètement la légèreté d’approche des ces artistes, je pense a Lio ou Niagara par exemple. Mes influences sont très notables, mais je les digère bien, non ? Après le disco, il y a eu le punk. Est-ce que Corine va se vénère dans un prochain album ? Ou alors Corine attendra le revival dance dans 20 ans ? La grande vague du disco est contemporaine à l’explosion du punk et s’est finalement réinventée de décennie en décennie. Le disco n’est pas qu’une musique, c’est un esprit, une révolution - sucrée, ne l’oubliez pas. Pourquoi avoir pris le nom de toute une génération de femmes devenues comptables ? Tu veux te battre pour elles ? Certains me taxeront de prosélytisme, mais je veux surtout me battre pour toute femme comptable n’ayant pas eu la chance de s’appeler comme moi. Chaque musique est associée à une drogue, quelle est celle de Corine ? Corine ? "Corine" dans le jargon de ma région, ça veut dire cocaïne. En revanche je n’en consomme pas. Serait-ce donc moi le stupéfiant ?

— Corine Fille de ta région Kwaidan records 33


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MUSIQUE # T ALEXANDRA DUMONT

HOLYBRUNE GARCE OU SAINTE ?

Repérée avec une reprise sensuelle de Julien Doré, la Française Holybrune n’a pas froid aux yeux et milite pour un monde sans différence entre les sexes. Rencontre avec la nouvelle badass du r'n'b à l’américaine.

Pétasse romantique ou déesse démoniaque, diva trash ou gangster, Holybrune occupe tous les rôles. Dans ses clips, ultra-glam et clinquants – signés SJD (Sérapis Joël Diras) -, elle révèle ses plus bas instincts. « Il y a une 35


part de fantasme bien sûr, modère-t-elle. Mais ça me correspond, je ne m’invente pas une vie ! » Elle s’impose avec un style radical, un brin provoc’, parfois violent. Comme sur le refrain de Ainsi Soit-Il : « C’est ainsi que je danse, prends la musique dans les dents ! » « C’est une réponse aux haters, je suis fatiguée d’essayer de me fondre dans le moule ! » Derrière ses yeux de biche et sa voix enjôleuse, on devine un caractère impulsif. « C’est des sentiments que j’ai besoin d’extérioriser dans mes vidéos. Ils sont évidemment poussés à l’extrême puisque je ne braque pas des épiceries dans la vie réelle (rires) ! » Ado, elle voue un culte aux princesses Disney, Pocahontas en tête, pour son côté fier. Pas si surprenant quand on y pense ! Son caractère fort, Laura Chaudet, 27 ans, le tient de son éducation. Elle est l’aînée d’une famille recomposée de cinq enfants : « Je suis la grande sœur. Je me dois de leur montrer l’exemple. Il faut s’endurcir pour avancer dans la vie ! » Bonne élève, plutôt sage, elle est titulaire d’un master en marketing, un bagage indispensable « y compris dans le monde de la musique ». Née en Picardie, d’un père mélomane et d’une mère au foyer, ancienne choriste d’Henri Salvador, elle a grandi dans l’Oise avant d’emménager en banlieue parisienne quand elle avait 13 ans. De la génération 2.0, elle se passionne autant pour le r'n'b des années 90 – Musiq Soulchild, Aaliyah et les Destiny’s Child – que pour la variété française – Michel Polnareff, Alain Souchon et Mylène Farmer. Incapable de trancher ! SEXY EN DIABLE Sur son nouvel EP, Pandémonium, elle vampirise le rappeur américain Jonah Cruzz, l’entraînant dans les bas-fonds des nuits parisiennes, où le r'n'b drague le rap et l’électro-pop. « Je n’ai pas l’âme d’une rappeuse, 36

confie-t-elle. C’est une grosse prise de risque et je n’ai pas la technique. Un jour peutêtre. » Depuis ses débuts, elle peut compter sur le soutien indéfectible du producteur David Saïd aka Dabeull, qui compose ses chansons. Une rencontre décisive qui l’a encouragée à monter son projet il y a trois ans. Elle a d’abord commencé par collaborer à ses productions en anglais puis sa plume s’est aiguisée, en français. « Il m’a donné confiance en moi, ajoute-t-elle. Ça n’a pas été facile de trouver quelqu’un avec qui je sois en phase. J’avais déjà travaillé avec des beatmakers, mais ça n’a jamais rien donné. C’était une excuse pour me draguer ! » Une expérience regrettable pour la jeune femme. Dans ses nouvelles chansons, elle règle ses comptes tout en revendiquant le pouvoir de sa sensualité, comme Abra ou FKA Twigs. Une génération de femmes artistes « dans l’air du temps » jouant de leurs corps et assumant leur féminité. « C’est une manière pour les femmes de s’émanciper, dit-elle. Je n’ai pas peur d’être sexy ! » Elle cite Lena Dunham de la série Girls comme référence. « Elle ose montrer son corps même si elle n’a pas la taille mannequin. Je suis comme elle, je prône le naturel. » Féministe mais pas engagée – « je ne veux pas non plus faire la guerre aux hommes », elle réclame plus d’égalité sur le titre JFS (pour "Jeune Femme Sympathique"). « Aujourd’hui, les filles utilisent Tinder et consomment l’amour comme les mecs mais elles sont jugées pour ça. Ce n’est pas normal ! » Sur scène, elle s’imagine jouer les grandes prêtresses dans une messe noire dont elle serait le seul guide spirituel. Les hommes n’auront qu’à bien se tenir. Girl power ! — Holybrune Pandemonium Les Autres Sortie le 17 février 2017


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JACO, GARDIEN D’HÔTEL, VEILLEUR DE NUIT, INSOMNIAQUE ET COPAIN DES PUTES 38


MÉTIER DE LA NUIT #

T

AURORE KAEPPELIN P OLIVIER DE PALMA

En 2016, Bowie nous a quittés, une éclipse solaire totale a eu lieu en Micronésie, les Anglais se sont barrés de l’Union Européenne et un imbécile orange à houppette a pris la tête de la première puissance mondiale. Mais ce qui a vraiment compté en 2016, c'est le pétage de plomb de KW sur scène (aka Kanye West) et le braquage de sa bien-aimée KK à Paris dans

une résidence de luxe. La jeune femme au postérieur de la taille des anneaux de Saturne a été ligotée dans sa salle de bain avec le gardien, le temps que les gredins s'emparent de ses bagouzes. Tous les gardiens d’hôtel n'ont pas la chance de passer de doux moments ligotés avec KK près d'un lavabo, mais ils vivent souvent de trépidants petits moments. 39


Jaco exerce le métier de veilleur de nuit depuis cinq ans dans un charmant petit hôtel familial de bonne réputation dans les environs d'Opéra. Il exhibe trois jolies étoiles et accueille donc une clientèle plutôt aisée et sympathique mais qui ne possède pas pour autant la bourse d’un banquier zurichois. L'hôtel est feutré et affiche une dominante de violine sur ses descentes de lit, sa moquette, sur le velours des fauteuils et sur les pans de papier peint. Jaco profite de cette teinte violacée trois nuits par semaine (c'est sa peau contre ma peau et je suis avec elle). Jaco est un minuscule dormeur, un insomniaque. Il profite de cette particularité physique pour gagner ses deniers. Il exerce la nuit une activité tantôt ennuyeuse, tantôt exaltante mais rémunératrice, et le jour une activité artistique peu ou pas payée. Depuis tout le temps qu'il est gardien d’hôtel, Jaco a vu défiler un paquet de personnages qui ont tous laissé une estampe sur un bout de son cerveau. Des individus souvent aimables, parfois attachants, et de temps en temps fascinants. Il y a des habitués comme l'Anglais débonnaire qui porte le sympathique nom de Kant. Il vient chaque semaine depuis au moins un an. Il est selon toute vraisemblance soit barbier, soit agent secret, mais avant tout poli, accorte et sympathique. Un jour est venue une toute aussi sympathique famille d’Américains. Le père, la mère et la fille ont séjourné quelques jours dans l'hôtel violet. Et Jaco s'est trouvé un sérieux point commun avec leur fille de huit ans : le jeu vidéo Minecraft. Ils ont discuté stratégie et objectifs. Ce fut un débat passionnant. Une autre fois encore une charmante vieille dame s'est assise dans le lobby et a commandé un whisky on the rock. Une chose en entrainant une autre, l'ordinaire petite dame s'est mise à raconter des choses extraordinaires de son étourdissante vie. La faute à une ambiance nocturne propice aux 40

confidences. Son récit avait pour décor la Seconde Guerre mondiale et il s’y déroulait de délirantes intrigues. Jaco ne se souvient pas de tous les détails mais se rappelle que sa vie ressemblait à un film. Jaco se souvient aussi de choses un peu moins avouables, une nuit qu'il était à se morfondre derrière son desk, il entend une phrase étonnante : «!oh oui vas y suce-moi!». Interloqué par la familiarité de ces mots, il lève la tête et aperçoit un client, dégarni mais jeune, gentiment occupé à regarder un film d'adulte dans le petit salon (toujours violet) de l'hôtel. Le client lève la tête et comprend que Jaco a compris, une gêne se répand alors jusqu'à Mairie d’Issy (pour avoir une idée de la taille de gêne rappelez-vous que l’hôtel se situe à Opéra). Jaco se demande bien pourquoi le client n'est pas allé laisser s’épanouir sa cinéphilie dans sa chambre et se rappelle quasiment instantanément que la femme du coquin est à ce moment même en train de se reposer dans la 22. Ceci explique cela. Un autre client a fait un jour appel aux services d'une fille de joie (ou pute pour parler plus franchement). Une chose en entrainant une autre, Jaco se retrouve à échanger quelques banalités avec ladite pute, dehors, la cigarette au bec. Jaco lui demande assez ouvertement si son métier n'est pas trop dur et la demoiselle répond assez désabusée «!oh vous savez c'est la routine!». La nuit poussant les gens à consommer des substances ayant des effets confondants sur les organismes, Jaco a observé des réactions humaines déconcertantes. Une nuit de Saint-Sylvestre, un monsieur somme toute normal crachait un flot interminable de paroles insensées$; il disait qu'il avait vu des scorpions verts dans l'hôtel alors que sa fille était à l'armée (le lien de causalité reste aujourd’hui encore à expliquer). Jaco n'a su que répondre. Un soir il a galamment aidé une


trentenaire beurrée comme un tabernacle à rejoindre ses pénates. Elle s’était endormie sur sa porte, le contenant du sac répandu un peu partout dans le couloir. Un peu plus tard dans la nuit, la femme ivrogne vomit un peu partout sur le lit. Beaucoup de stars ont foulé la moquette prune de cette maison bien tenue et honnête (la plupart du temps). La sœur désargentée de Muriel Robin a passé une nuit à l’hôtel, et le jour suivant Mumu est passée régler la chambre. C’était gentil de sa part. Le gagnant de The Voice Portugal (édition inconnue) est passé jouer quelques notes du ukulélé de Jaco. Malgré sont statut de

personnalité mondialement connue, il a fait preuve de gentillesse et de bonhommie. Selon Jaco, le musicien se débrouillait assez bien à la petite guitare. Et puis une fois, il y a eu ce monsieur, le petit-fils de Marlène Dietrich, il a laissé échapper quelques mots à propos de sa grand-mère qui fut sans doute la première grande actrice d’Hollywood, la plus admirée, la plus libre. Il passait la voir dans son appartement parisien les dernières années de sa vie. Elle était recluse, ne sortait plus, ne vivait plus vraiment. Le monsieur ne travaille pas dans le cinéma mais dans l’industrie des jeux vidéos, et c’est peut-être lui qui est à l’origine du débat entre Jaco et la petite américaine de 8 ans.

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REPORTAGE # T AURORE KAEPPELIN P OLIVIER DE PALMA

BELLEVILLE LA NUIT EPISODE==2 LES MARCHEUSES

La dernière fois que j’ai vu nos marcheuses bellevilloises c’était un lundi, il y a deux jours. C’était les premières lueurs nocturnes, il devait pas être 17h30. C’était le moment où les lampadaires s’allument. Le moment où le Président et le Zorba branchent leurs néons. Le moment où les gens en terrasse passent du thé vert Sencha au Picon bière. Le moment où nos marcheuses commencent vraiment leur métier de prostituées. Il pleuvait ce soir-là. Pas la pluie torrentielle des tropiques qui gifle la totalité des éléments vivants ou inanimés, pas non plus la pluie qui déverse des gouttes au diamètre

semblable à celui d’une supernova (et qui explosent au moment précis où vous passez sous cette gouttière et s’insèrent comme des sombres connasses entre votre écharpe et votre pull). Non, la pluie juste assez fine pour supporter de ne pas avoir de couvrechef le temps d’un court trajet (par exemple une casquette Von Dutch) mais assez perturbante sur la durée pour les filles qui déambulent sur le bitume en attendant le client. Mes marcheuses ce soir-là avaient donc toutes des parapluies. Elles faisaient de petits pas sur le terre-plein central du boulevard de la Villette et de loin on aurait dit une danse tribale de parapluies colorés. 43


L’image était assez poétique pour une réalité plutôt ombrageuse. Celles qui n’étaient pas sur le terre-plein central restaient debout, collées de façon assez hasardeuse aux portes des immeubles et donc à la merci des gouttes-supernovas. La plupart d’entre elles n’ont plus vingt ans. Leur visage est souvent déjà accidenté. On ne sait pas vraiment qui est à l’origine de ça, un passé compliqué ou un maquillage contestable. Leurs corps semblent désabusés avec leurs épaules qui regardent vers le goudron. Il y a comme un code vestimentaire qui permet de les identifier intuitivement. Non pas qu’elles soient dans l’extravagance ou dans la vulgarité indiscutable qu’on prête souvent aux filles de l’Est, c’est plutôt leurs bottes et leurs doudounes qui sont reconnaissables. Elles portent deux sortes de doudounes : la version courte qui s’arrête au nombril, ou bien la longue qu’elles resserrent à la taille avec une vilaine ceinture à gros fermoir doré, ou en forme de dauphin (ou céphalopode pour les plus intrépides). Leurs bottes, en tissu fin voilé, n’ont pas de talons outranciers, s’enfilent comme des chaussons et se rabougrissent sous les plis. Leurs collants aussi font des plis, comme ceux des mamies qui ont pris une taille trop grande. Je peux comprendre les ennuis de collants, en revanche le choix de la doudoune n’est plus acceptable (un arrêté préfectorale dit "arrêté de la doudoune" interdit le port de cette matière depuis le 1er décembre 2016 dans un rayon de 3 milliards d’années lumière). Mes marcheuses sont souvent en groupe et c’est difficile de les approcher quand on n’est pas un client, elles ne maîtrisent, pour la plupart, pas du tout le français (ni l’anglais d’ailleurs), j’imagine donc qu’elles disposent exclusivement d’un vocabulaire de prestations sexuelles ainsi que quelques

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notions de commerce. Un ami un jour s’est fait abordé par l’une d’entre elles qui visiblement avait très envie d’en faire son client. Elle s’est approchée de lui et a hurlé comme une marchande de lampe à pétrole : « 50€ »… « 40€ », … « 30€ »…allez « 20€$»$! Je n’ai pas eu très envie de savoir jusqu’où elle était prête à descendre pour offrir son corps. Les bonhommes que j’ai vu céder à leur charme sont souvent un peu vieux, un peu bizarres, un peu moches. Elles négocient le prix de l’ouvrage en bas puis amènent les mecs dans un immeuble décrépi plus haut dans la rue de Belleville, là où des chambres sont aussi réservées à la pratique de jeux clandestins. Finalement on n’est pas loin des activités des maisons closes. Les marcheuses sont souvent entre elles car elles ne sont pas du tout acceptées par la communauté chinoise Wen Zhou et les gens du quartier (des copropriétés ont lancé des pétitions pour les faire partir). Parfois il arrive que les flics les ramassent, parfois il arrive que des asso passent dans le coin et fassent de la prévention auprès de nos Bellevilloises. Parfois aussi il arrive que des habitants finissent par sympathiser avec elles, échanger des formules de politesse élémentaires et refuser de signer des pétitions merdiques et honteuses. Souvent il arrive que je passe à côté d’elles et qu’elles soient en train de s’esclaffer ou de parler très fort de sujets dont j’ignore complètement la teneur. Elles sont devenues un peu l’âme du quartier au fil du temps. Quand je passe à côté du Zorba ou devant la CFDT, j’en reconnais certaines, je voudrais juste les saluer et leur donner quelques conseils en matière de souliers. Ah et pour 2017, je voudrais aussi que "l’arrêté de la doudoune" soit vrai et que celui anti-burkini ne soit, lui, qu’une fable…


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© Romy Alizée


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AGENDA #

VENDREDI 10 FÉVRIER 00h La Machine du Moulin Rouge 15€ La Mamie's presente: Kai Alce, Rick Wade & La Mamie's 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr 23hNuits Fauves 25€ Detroit Love with Carl Craig, Moodyman, Waajeed, Kyle Hall, Jay Daniel SAMEDI 11 FÉVRIER 00h Faust 15€ Faust x Reset: Dominik Eulberg, Gardens Of God, Nozen 00h La Machine du Moulin Rouge 12€ Anniversaire Rinse France 23h Nuits Fauves 15€ Open Minded Party : Perc & Truss, Antigone, Marcelus & Eastel 20h La Bellevilloise 15€ Mona is 9 Patrice Scott, Franck Roger, DJ Steaw, Nick V & Guests

SAMEDI 18 FÉVRIER 00h Rex Club 12€ Bass Culture 20th Birthday Part 1 : Dyed Soundorom, D'julz 23h Batofar Lobster Theremin Label Night — Route 8 Chicago Flotation Device - Nthng 20h Panic Room Gratuit Family Approved #2 House Vinyl DIMANCHE 19 FÉVRIER 18h Djoon 5€ Dance Culture JEUDI 23 FÉVRIER 00h Rex Club 8€ French Waves

JEUDI 16 FÉVRIER 22h Grand Rivage 10€ Bouteille à la mer : D.Ko Records

VENDREDI 24 FÉVRIER 00h La Machine du Moulin Rouge 15€ Open Minded presente : Culoe de Song, Mr Raoul K, Mawimbi 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr 23h30 Supersonic 7€ Zoll Nacht with Demuja, House Monkey Records & Zoll Projekt 00h Rex Club 12€ Paul Ritch All Night Long

VENDREDI 17 FÉVRIER 18h Parc Floral de Paris 40€ The Peacock Society Winter Edition 00h Rex Club 12€ Blocaus : Peter Van Hoesen Live, Claudio Prc, Blndr Live, Awb 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr

SAMEDI 24 FÉVRIER 00h Batofar 12€ Jackin' Groove with Jerome Sydenham & Janne Tavi 23h30 Badaboum 12€ Masomenos all Night Long 00h Rex Club 12€ Headon : Brawther, Kosme, Molly

DIMANCHE 12 FÉVRIER 00h Rex Club 20€ Un Rêve : Laurent Garnier, Moms

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