Mars 2017 - n° 72 - www.lebonbon.fr
EDITO � J’ai vu tout le long de la rédaction de ce magazine un thème commun se dégager de toutes ces interviews, de toutes ces rencontres… c’est le passage à l’âge adulte. Je ne l’ai pas fait exprès, mais on ne peut que le remarquer. Que ce soit Seth Troxler qui a l’impression qu’on peut l’appeler "papa" parce qu’il parle d’acheter un SUV à Ibiza entre deux taffes d’un énorme joint de weed, ou alors Anna la chanteuse de Juniore, 35 ans (elle en fait 17), interviewée comme si nous étions en train de nous dater sur Tinder. Tout le mag sent l’ado attardé, je vous préviens d’avance. Nous avons aussi rencontré Calypso, que toute la presse s’arrache parce qu’elle est la fille d’Ellie et Jacno, symboles de l’éternelle adolescence des années 80. On lui a demandé de nous raconter toute sa vie en chansons, car c’est vrai après tout, elle, nous ne la connaissons pas. Et elle est là, la réelle problématique de l’adolescent qui n’arrive pas à passer à l’âge adulte : si nous sommes encore en train de jouer à la Playstation à 30 ans en attendant le prochain festival techno, et que le seul enfant qu’on voit de la journée c’est le gosse de la pub Kinder Chocolat, c’est que cette génération a une réelle incapacité à se définir en tant qu’individus. Et c’est la même chose avec notre pays. Oui, la France est aussi un ado boutonneux qui regarde trop de conneries à la télé et qui du coup se cherche, et parfois au mauvais endroit. C’est ce que pourrait vous confirmer Lucas Belvaux, en fin de mag, qui vient de réaliser un film sur les coulisses du premier parti de France, le Front National. Un parti qui joue sur nos peurs et nos frustrations. C’est inconsciemment aussi que, le même mois, je pénètre l’intimité d’une étrange photographe qui invite des personnages hauts en couleur à se déshabiller dans sa chambre. Et plus si affinité. Par le plus malheureux des hasards, nous apprenions à ce moment-là le décès de Ren Hang, photographe chinois extraordinaire avec qui elle a travaillé, lui aussi éternel adolescent qui a pris la terrible décision de ne jamais passer à l’âge adulte. Et comme si c’était fait exprès, nous terminons ce magazine par le portrait d’un tenancier de sex- shop, et lui, le passage à l’âge adulte, il en connaît un rayon ! Raphaël Breuil
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TEAM �
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RÉDACTEUR EN CHEF DIRECTEUR ARTISTIQUE COUVERTURE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION GRAPHISTES RÉDACTEURS
RESPONSABLE DIGITAL COMMUNITY MANAGER CHEFS DE PROJETS PARTENARIATS RÉGIE PUB CHEFS DE PUBLICITÉ PRINT SAS LE BONBON IMPRIMÉ EN FRANCE
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Jacques de la Chaise Raphaël Clément Breuil Tom Gordonovitch Seth Troxler par Flavien Prioreau Louis Haeffner Coralie Bariot, Cécile Jaillard, Cyrielle Balerdi, Laura Dubé, Agathe Giraudeau, Rachel Thomas, Tiana Rafali-Clausse, Olivia Sorrel-Dejerine Antoine Viger Clément Villas Dulien Serriere, Florian Yebga Margaux Décatoire, Hugo Derien Carole Cerbu, Fabienne Realan Benjamin Haddad, Arthur Nolleau 12, rue Lamartine 75009 Paris Siret 510 580 301 00032 01 48 78 15 64
SOMMAIRE �
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A LA UNE Seth Troxler
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INTERVIEW TINDER Anna Jean
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PHOTO Romy Furie
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CINÉMA Garrance Marillier
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DÉCOUVERTE Chippy Nonstop
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MÉTIER DE LA NUIT Vendeur de sex shop
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POLITIQUE Lucas Belvaux
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LE MEILLEUR DE LA NUIT EN BAS DE CHEZ TOI + DE 5 000 ADRESSES GÉOLOCALISÉES
HOTSPOTS � ① STUDIO BARNHUS ENFIN À PARIS L’expérience Excited Night à 360° s’annonce intense et mémorable ! La Géode, lieu emblématique de la science, fusionnera avec celui de la techno pour une nuit forte en sensations. Ce rendez-vous inédit laissera s’entremêler projections, mapping et maestro de la techno. Manu Le Malin aka The Driver, le trio Möd3rn et les jeunes talents du collectif Exil. Vendredi 10 mars, à La Géode ② DÉBARQUEMENT SUR LES GDS BLVDS C’est dimanche, tu as prévu de te coucher tôt après un week-end chargé. C’était sans compter sur le débarquement sur les Grands Boulevards du trio de Français et de leur house trépidante : Apollonia. Habitués des soirées d’Ibiza, Shonky, Dyed Soundorom et Dhan Genacia reviennent à la maison pour faire vibrer toute la nuit les murs du Rex. Dimanche 26 mars, au Rex ③ DEUXIÈME QUART-TEMPS Dure Vie nous balance une nouvelle teuf stratosphérique en pleine face. Habitués a nous offrir autant de nuits survitaminées que de bougies de soufflées, les mecs envoient un line-up 5 étoiles pour leur deuxième soirée d’anniversaire. Avec Midland, Palms Trax, Moomin, Jus-Ed, Tyree Cooper, Fouk ou encore Serraw. Vendredi 24 mars, à La Machine ④ OÙ VA S’ARRÊTER LA NUIT PARISIENNE Après un début d’année riche en émotion et en sueur, H A Ï K U surenchérit en annonçant une série de cinq soirées plus folles les unes que les autres en mars, et plus particulièrement celle du 17 aux Nuits Fauves, qui nous donne des frissons… Écoute, Recondite, Mind Against, Andrew Weatherall. Aucune absence ne sera tolérée. Vendredi 17 mars, aux Nuits Fauves. 5
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À LA UNE � T RAPHAEL BREUIL P FLAVIEN PRIOREAU
CINQ A SEPT AVEC SETH AVANT SON SET « Est-ce que l’humour est compatible avec la musique ? », c’est ce que se demandait Frank Zappa en 1986 et c’est la question qu’on se pose aujourd’hui en voyant tous ces Dj's super sérieux tirer la tronche sur des portraits photo austères. C’était sans compter la bouille de Seth Troxler, toujours prêt à faire des bonnes blagues et à passer des titres chelous en plein milieu de son
set. Est-ce que le meilleur Dj 2012 Resident Advisor s’est calmé à la trentaine ? Est-ce qu’il carbure toujours autant au LSD ? Et pourquoi les beaux Dj's font de la musique de merde ? C’est ce que j’ai demandé à Seth, le plus rock des Dj's, dans une chambre d’hôtel, en 5 à 7, en chaussettes, quelques minutes avant son set au Peacock Festival.
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T’as fait quoi cet aprèm' ? Je suis allé m’acheter des shoes chez Springcourt. Tu connais pas ? C’est des chaussures de tennis françaises des années 30 que j’achète pour l’anniv' d’un pote. Je suis pas super fashion mais j’aime bien être à l’aise. C’est important le confort. Après on est allé bouffer des crêpes dans un "breizh café" (en français dans le texte, ndlr). On y a rejoint mon pote Mathias, label manager de Circus Company. On a traîné un peu. C'est quoi ton film d'horreur préféré ? Je n’aime pas trop les films d’horreur. J’aime pas trop avoir peur et je ne suis pas fan de l’idée d’une violence qui n’est pas nécessaire. Si je devais répondre un truc je dirais Le Silence des agneaux mais c’est pas vraiment un film d’horreur, c’est un thriller. Je suis très branché Hitchcock et S-F. Je suis un gros fan de Twighlight Zone (La Quatrième Dimension, série culte des années 60-70-80, ndlr), j’en regarde beaucoup beaucoup en ce moment. En particulier les saisons 3 et 5 qui sont incroyables. Tu as fondé le label Tuskegee pour promouvoir les minorités ethniques. Tu penses que ça prend une autre tournure au vu de ce qu’il se passe actuellement aux USA ? Complètement. On est en train de reconstruire le truc en ce moment en ne se basant plus que sur l’exposition des minorités, mais sur leur Histoire et leur culture, histoire que les gens soient un peu plus conscients de tout ça. Ça me fait un peu peur tout ce qui est en train d’arriver. Même en France avec Marine Le Pen. Ce n’est pas qu’un problème américain, c’est mondial et il faut le combattre avec les armes qu’on a.
Tu as commencé ton set au De School (PaysBas) avec Tout petit la planète de Plastic Bertrand. Comment diable as-tu entendu ce truc ? Je collectionne les disques. J’adore la bonne musique, même si c’est ringard. J’ai fait pas mal de digging en France, la chance fait parfois bien les choses. Pourquoi Dj ? Tu es tellement rock'n'roll ! Je sais pas ! En vrai j’aimerais me dire que je suis un artiste. J’ai fait une école d’art, Dj c’est un hobby qui est devenu un métier. Mais maintenant je retourne un peu à des choses beaucoup plus artistiques. Là j’ouvre une galerie à Londres, je vais faire des affiches, des photos, je vais écrire des trucs cool un peu partout, tu vois ce que je veux dire ? Là je vais faire un gros projet vidéo aussi, qui va accompagner l’album. Ça fait deux ans et demi que je bosse dessus. Alors bon… Ça arrive ! Ton premier émoi avec la musique électronique quand tu étais enfant ? Ma famille a toujours baigné dans la musique. Mon beau-père avait une émission à la radio, il passait de la musique black, du hip-hop, un peu de house. Toute cette musique m’a toujours accompagné, je n’ai pas eu de révélation particulière. Mon grand-père écoutait aussi beaucoup de jazz, Duke Ellington, Miles Davis bien sûr, tous ces trucs. Mes parents adoraient Prince. Ouais, je n’ai que des souvenirs en musique finalement. C’est marrant comme déjà petit j’écoutais une chanson ici et une autre là-bas et je me disais « ah tiens, ces deux-là iraient bien ensemble » et maintenant, bah c’est mon job mec. Mon premier émoi de musique électronique ça devait être des trucs de house de Chicago, mon père écoutait ça, j’étais dans la voiture à 7 ans au début des années 90. 9
« Je suis comme tout le monde le matin, je me lève, je fume un joint, je bois du thé… Tout le monde est moche en vrai. » 10
Pas de French Touch ?
Maintenant que tu as 30 ans, est-ce que tu vas trouver un vrai job ?
Non pas vraiment. C’était bien avant tout ça ! Maintenant que tu as 30 ans, est-ce que tu vas te marier, acheter un SUV et un clébard ? Yeah ! Les trois ! Non sans déconner, là je suis avec ma meuf que tu as vu en bas (quand on s’est croisé en bas y'avait sa meuf, ndlr), on commence à y penser. Quand tu vieillis, les choses changent, je ne suis plus cette rock star délurée, je commence à penser à la politique, à l’art, je progresse ! Et c’est cool de changer, d’acheter sa petite baraque, à Ibiza, et effectivement je cherche un SUV à Ibiza aussi (rires, mais ça a l’air vrai quand même, ndlr) et aussi un chien ! Tout y est, il ne manque plus que les enfants ! Maintenant que tu as 30 ans, quelle est ta drogue préférée ? Le LSD ! Encore ? T’as jamais eu de séquelles ? Ouais ouais encore. Et non, aucune séquelle, je prends des micro doses. En vrai je me sens même plus intelligent. Y'a des trucs qui se disent de plus en plus dans les revues scientifiques à ce sujet. Toutes ces histoires de mecs qui restent ché-per c’est complètement bidon. Ça marche vachement, ça me calme, ça m’aide à résoudre mes problèmes. C’est une super thérapie que tu te fais toi-même. (silence) Et un peu de Marijuana ! Maintenant que tu as 30 ans, est-ce que tu as des problèmes d’érection quand tu prends de la drogue ? Haha ouais bien sûr ! C’est pour ça que j’ai commencé à en prendre !
Non non non. Tu sais quoi mec ? C’est horrible, mais je n’ai jamais vraiment travaillé. (M. Troxler a le don de dire ça de manière arrogante sans qu’on le prenne mal, tel un ado de 13 ans, ndlr) J’ai bossé un peu dans un record store et j’ai fait un peu de freelance en tant que graphiste. Ah oui, j’ai aussi bossé deux semaines dans un centre sportif. Je devais aider les gens à s’inscrire et ils voulaient que je me coupe les cheveux donc je les ai envoyés se faire enculer. Ouais donc tu n’as jamais travaillé. Maintenant que tu as 30 ans, est-ce que tu as trouvé Dieu ? Tu sais, j’ai beaucoup cherché Dieu. La spiritualité a toujours été quelque chose d’important pour moi. Plus tu vieillis, plus tu crois à cette idée de foi, qu’il y a quelque chose de spécial dans ce monde, qu’il y a une raison d’être bon, d’avoir une certaine moralité, d’être compatissant et de dédier ta vie à autre chose qu’à toi-même. La religion, c’est ça et pas autre chose. Je crois en Dieu, mais est-ce que je l’ai trouvé ? Je ne sais pas. Est-ce que quelqu’un l’a vraiment déjà trouvé ? Je ne crois pas. En tout cas je ne sais pas où il habite. Donc oui, c’est cool, je ne suis pas religieux, mais oui je cherche Dieu, et je continuerai à le chercher. Je ne suis pas religieux mais j’ai ma propre église… (silence) AND IT’S CALLED HOUSE ! (rires) C’est une si mauvaise blague… C’est un fait, les Dj's ne sont pas super marrants, à part toi peut-être. Oui c’est vrai. En plus je peux être sérieux sur plein de trucs mais putain le DJing, c’est pour faire la fête, pourquoi être sérieux ? 11
J’ai lu plein d’interviews de toi où tu craches un peu sur le music business, et en particulier sur l’EDM. Maintenant que tu as 30 ans, tu es plus modéré ? Tu sais maintenant j’en ai plus rien à foutre. Chacun fait son truc, j’ai arrêté de mon soucier de qui fait quoi, et ça m’a rendu meilleur Dj que je ne l’étais. Maintenant je ne fais plus trop attention à ce que je joue, je passe de la musique chelou que j’aime bien. L’année dernière, j’ai perdu pas mal de places dans un classement à la con mais j’étais à côté de mecs que j’adore. Tu sais, tant que tu es content en tant qu’artiste le reste on s’en fout un peu. Je pense toujours que c’est un peu de la musique de merde hein, mais en vrai c’est un peu en train de changer. Maintenant la tech house est devenue le nouvel EDM, c’est très très chiant. Mais le côté cool, c’est que maintenant la musique médiocre ne ressemble plus trop à celle que je fais. C’était super frustrant de voir des mecs qui avaient plus de succès avec des versions merdiques de la musique que toi tu fais. Quand on voit la plupart des Dj's, ils sont tous super lookés, blonds, allemands avec la petite mèche, un peu nazi, et toi on te voit débouler avec ton gros bide. C’est fait exprès non ? Non non, c’est vraiment moi. Regarde j’ai une tâche dégueu sur mon sweat. Je ne me moque pas de vous, je ne prends pas soin de mes cheveux, je fume plein de pétards… Je me moque de moi ! Je suis vraiment comme ça. Tu sais je suis comme tout le monde le matin, je me lève, je fume un joint, je bois du thé, tout le monde est moche en vrai. Tu sais on peut se permettre d’être moche, parce qu’on est bons dans ce qu’on fait. Maintenant les Dj's sont tous super beaux, super stylés, mais le resultat final a un goût de merde, parce que les gens beaux ont des goûts de 12
chiottes. Plus un Dj est beau, plus son son va être de la merde. Tu ne penses pas que tout cet engouement pour la techno, la house, même l’EDM, va bientôt se terminer ? Non ! Je pense que les trucs fastoches, comme je te disais tout à l’heure, c’est terminé. Mais avec toute cette montée conservatrice, Trump et tout le tralala, la techno et l’acid techno vont revenir comme un mouvement de protestation, ça va devenir le drapeau underground des kids qui ont envie de protester. C’est anti-pop, c’est anti-société de consommation, avec tout ça à mon avis la musique électronique va devenir plus forte que jamais. C’est le nouveau punk ! N’y a-t-il pas une petite probabilité pour que justement le vrai punk old school remplisse ce rôle et que l’EDM et la techno soient au contraire associés aux gens qui s’en foutent ? Je bosse en ce moment sur un projet avec pas mal de gens et notamment Tiga (Dj et producteur canadien, ndlr) ,qui consiste à lire des textes anti-fascistes sur des sons techno. C’est très punk comme projet, ça rejoint le vrai punk. Mais effectivement, si ta passion c’est l’EDM, et qu’il n’y a rien derrière, que tu danses et que tu t’en fous, oui dans pas mal de cas, tu peux avoir raison ! On nous a chuchoté que tes grands copains Martinez Brothers seront les headliners du Peacock de cet été, est-ce que tu as un petit mot, un tips ou autre à leur transmettre ? Portez des Bonegangs pour toute la vie ! C’est quoi ? Ils sauront ce que c’est !
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PLAYLIST � P WE LOVE
LA PLAYLIFE DE CALYPSO VALOIS
Fruit de l’amour de deux icônes pop des années 80, Elli et Jacno, repérée au cinéma par Gondry et Assayas, cette jeune femme fluette se lance dans la chanson avec son premier single Le Jour, avec un clip réalisé 14
par Christophe Honoré. Classe. Sa réputation la précède, mais nous avons voulu faire plus ample connaissance avec elle en lui demandant de nous raconter sa vie, sa vraie vie, en chansons. Voilà le résultat.
1- Mon premier amour : Ballade en sol mineur, op. 23 de Chopin 2- La B.O. des nuits insomniaques de mon enfance : The Velvet Underground and Nico 3- Un des thèmes du cinéma qui m'a le plus marquée : Pierrot le Fou - Thème de Ferdinand de Antoine Duhamel 4- Mon premier souvenir de chant : Cantique de Jean Racine, op. 11 de Fauré 5- Le morceau qui me donne envie de danser : You Should Be Dancing des Bee Gees 6- Le morceau que j'écoutais avec mon père : Ode Funèbre Maçonnique K477 de Mozart
7- Le morceau qui m'a le plus émue en concert : L' Adorer d'Etienne Daho 8- Mon disque de chevet : La Jeune Fille et la Mort, quatuor à cordes n°14 de Schubert 9- Le disque qui m'a le plus aliénée : Rock Bottom de Robert Wyatt 10- Le morceau le plus déchirant : Sonate Pathétique de Beethoven 11- Le morceau le plus délirant : Chez les Aborigènes de Véronique Vincent et Aksak Maboul 12- Le morceau que j'écoute le plus en ce moment : Erbarme Dich (Passion selon SaintMathieu) de Bach, interprété par Delphine Galou 15
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BLIND DATE � T RAPHAËL BREUIL P SANDRA MATAMOROS & HEDI SLIMANE
L’INTERVIEW TINDER AVEC ANNA JEAN DE JUNIORE
Jeudi soir, 19h, j’ai rendez-vous avec Anna dans un bar d’afterwork atroce. Qu’elle était belle et grande. Je me suis senti comme une merde pour notre premier
rendez-vous. On a parlé de sa musique, de politique, de relations amoureuses et de sa jeunesse à Nice. Je sais pas pourquoi, mais je sens que je vais conclure… 17
ASV (age sexe ville, pour ceux qui n’ont pas connu les années Caramail) Demain je vais avoir 35 ans ! Ouais t’es déçu hein ? Je suis vieille et grande… A priori je suis une fille, et ville Paris, dans le 10e !
car on a quand même 10 ans de plus qu’eux. Faire du rock à 35 ans, c’est un retour à l’âge ado un peu ? Oui complètement, si tant est qu’on l’ait quitté.
Qu’est-ce que tu bois ? Ça veut dire quoi pour toi ? Un cidre T’es bretonne ? Oui ! Tu fais quoi dans la vie ? Je fais de la musique. Et sinon je fais des traductions pour payer les factures. Alors ça marche ton petit groupe ? C’est quoi ton actu ? Ça marchote ! On va sortir un truc bientôt ! Ça sort le 3 mars, l’album s’appelle Ouh là là. Et c’est toi qui composes tout ? T’es pas un peu dictatrice ? Oui ! Je crois que je suis un peu dictatrice et je me persuade que je le suis pas. Ta famille a peur que tu fasses du rock ? Un peu ! Parfois ma mère me dit « passe un concours ! Deviens fonctionnaire ! ». Peutêtre que je le ferai un jour, mais bon… Ça t’emmerde pas si on te dit que votre musique ça ressemble à La Femme ? Pas du tout ! Je suis fière je les adore ! On a commencé en même temps à peu près. Le fait qu’ils existent a fait que nous on existe aussi. Mais ce sont nos "petits grands frères", 18
Je pense que je suis bien dans mon époque. C’est nul de grandir, c’est pas si facile que ça, tout est très compliqué. Et quitte à avoir une vie précaire, autant s’amuser. Y'a une dimension politique dans le titre de ton album Ouh là là ? Un peu… Pas vraiment… Un peu ! Ça veut dire quoi pour toi ? Bah je sais pas… Quand je regarde un peu ce qu’il se passe en ce moment je me dis « Ouh là là » Bah voilà ! Ça peut être autre chose aussi, mais je crois que c’est vraiment ça ! T’es une artiste qui se regarde le nombril ou tu traites de sujets universels ? Je crois que c’est toujours un peu narcissique… des histoires personnelles mais qui peuvent peut-être parler aux autres. T’écoutais quoi au collège ? J’écoutais beaucoup Pharcyde et les Beastie Boys. J’écoutais des vieilleries rock, mais je suis passée complètement à côté de la mode neo-metal.
« Au lycée, je jouais du Satie dans le noir. C’était deep. »
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T’étais skateuse ou caillera ? Caillera, je mettais des jogging Lacoste. Je viens de Nice où tout est beau, il fait beau, je voulais me différencier des cagoles.
Tu fais partie du clan des meufs tellement belles et grandes qu’elles ne se font jamais draguer ? Non je pense que c’est parce que j’ai l’air pas sympa ! Mais c’est que de la timidité.
T’avais un groupe au lycée ? Non même pas, je faisais de la musique mais seul tout. Je jouais du Satie dans le noir. C’était deep. Est-ce que tu vas voter Macron ? Non. Bon du coup on s’entend bien ! On va mater un film chez toi ? On regarde quoi ? On va regarder… Alors si je t’aime bien je pense qu’on va regarder Step Brothers. C’est un film avec Will Ferrell ! Ok du coup on va regarder un film que t’as déjà vu… Super ! Mais si je t’aime pas trop on va regarder Antichrist.
Ça doit être le côté rock star. Je te le dis en tant qu’homme, je sais pas si j’irais à leur place. De toute façon je suis trop vieille pour toi. Plus tu vieillis moins tu te fais draguer. Je suis pile dans l’âge où tu te fais plus draguer. Est-ce que tu sais que sur OK Cupide, tu peux aller voir les statistiques et, il est dit que les filles acceptent de dater des mecs qui ont 10 ans de moins et 15 ans de plus. Alors que les mecs acceptent de dater des filles qui ont 20 ans de moins et 2 ans de plus ! C’est l’âge où tu veux des enfants… Bah voilà c’est toi qui l’as dit direct ! Alors que pourtant c’est l’inverse, à 22 ans j’étais hyper relou. Bon… On se refait un 2e date quand tu fais un prochain album ?
Ou S21, l’enfer Khmer Rouge ? Ça va être long, d’ici là tu m’auras oubliée. Pas de problème ! Dis donc c’est un peu long pour du Tinder, on m’a dit que c’était vachement plus rapide ! Je pensais que c’était une appli pour pécho, soit ça marche soit ça marche pas. C’est ce que tu veux en faire en vrai, c’est comme un bar ! Y'a beaucoup de gens qui cherchent à long terme aussi. Je pense que c’est bien pour les gens timides. Moi par exemple je ne me fais jamais draguer.
Je viendrai te voir à ton concert, c’est quand ? Le 21 mars à la Boule Noire. Et si jamais tu peux pas venir, y'a la Maroquinerie le 13 juin ! — Juniore sera en concert à la Boule Noire le 21 mars www.facebook.com/heyjuniore heyjuniore.bandcamp.com
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PHOTO � T CLÉMENT VILLAS P ROMY FURIE
DANS LA CHAMBRE DE ROMY FURIE Cela fait maintenant six mois que ses photos arpentent les éditions du Bonbon Nuit. Une double-page d’érotisme réaliste, jamais vulgaire, où l’on plonge dans l’intimité d’une chambre où il se passe beaucoup de choses. On avait envie d’en savoir plus sur la jeune responsable de ces moments, qui en profitera pour un humble hommage à Ren Hang, disparu au moment où nous bouclons le magazine. Comment a commencé tout ça ? J'ai posé nue pour la première fois à 20 ans, puis je me suis fait agresser sexuellement sur ce premier shooting. Mais au lieu d'arrêter comme on me l'a vivement conseillé, j'ai continué, très fort. En 2014, j'ai pris mes premières images. J'en avais un peu marre que la photographie érotique soit majoritairement masculine. Et puis j'avais des idées, envie de bousculer un peu le regard qu'on pose sur la nudité.
Parfois je suis gêné de regarder tes photos alors que cela n’est pas porno du tout. C’est de ta faute ou de la faute du porno ? Il faut te demander ce qui te gêne d'abord. Est-ce la simple nudité ? J'imagine que le côté très intime et organique de mes images peut mettre mal à l'aise quelqu'un qui voit la sphère privée comme quelque chose qui doit le rester à tout prix. Surtout venant d'une fille, ça peut vite être dérangeant car on stigmatise les filles qui travaillent avec leur corps. Mes images confrontent certainement des gens à leurs propres blocages ou fantasmes et je peux aussi imaginer que la sincérité de ce que je fais effraie un peu. Quel est ton rapport avec le porno tradi ? Je regarde moins de pornos qu'avant et je ne suis pas fan du porno mainstream. Ça m'ennuie. J'essaye de trouver des pornos plus inventifs, des pornos queer, ou bien je fouille carrément dans les films des 70's. 23
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On te sent très intime avec tes modèles. Comment est-ce que tu travailles ? Certaines images sont prises dans l'instant, donc ça se fait assez spontanément. Parfois, j'ai une idée d'image bien précise et dans ce cas, je propose à quelqu'un de poser. Par exemple, j'ai eu envie dernièrement de faire une photo de moi assise sur un homme et j'ai pensé à un garçon en particulier, parce que j'avais envie de l'avoir comme modèle depuis quelques temps. Raconte un peu ton parcours. J'ai grandi aux Sables d'Olonne où je me suis toujours fait royalement chier. Je suis arrivée à Paris pour faire une école de théâtre mais ils ont fini par me virer. Alors je suis allée à l'Actors Factory et en parallèle j'ai continué à poser nue et à affiner ma démarche artistique. La première fois, c’était quoi ? J'avais un deal avec un photographe. Il me ramenait une pellicule noir et blanc et me laissait le photographier avec son Olympus en fin de shooting. C'était en 2014 et ça m'a beaucoup plu. En 2015, je n'ai quasiment pas touché à mon appareil, j'ai passé la pire année de ma vie. Puis en 2016 l'inspiration est revenue, comme par magie. Tes modèles, tu les baises vraiment, non ? Oui évidemment. Comment veux-tu ne pas baiser avec d'aussi belles personnes ! Sérieusement, je ne baise pas mes modèles. Je baise souvent avec des gens qui deviennent mes modèles mais je photographie aussi beaucoup d'amiEs très proches et quelques rares inconnuEs. Ce n'est donc pas un baisodrome ! Je vais te raconter une jolie histoire. J'avais proposé à Antoine de poser. Il est venu et je lui ai innocemment demandé s'il voulait bien faire une photo de baiser avec moi car je voulais un truc un peu doux. Donc on a fait cette photo, que tu as publiée, et 26
c'était un moment ultra fort car j'ai eu tout de suite très envie de lui mais ce n'était pas du tout prévu, et je pensais aussi à ma photo. J'ai fait trois images du baiser mais la première est la mieux, la plus sincère. On dirait qu'il m'aspire la bouche. Raconte-nous un peu l’histoire de la photo du fist. C'est une pratique que je trouve très intense et excitante mais un peu mal vue. J'ai demandé à ma copine Mila de me fister et William, son copain, a fait l'assistant. C'était assez technique car je voulais faire plusieurs prises de vue, donc il fallait à chaque fois que Mila me fiste, retire sa main pour que je change de cadrage, et rebelote. On apprend à l’instant le décès de Ren Hang, avec qui tu as pu travailler pour Vice. Raconte un peu cette journée. Comment c’était de bosser avec lui ? C'était chouette, on était huit modèles. Il avait quelque chose de touchant, très timide. Il a fait beaucoup d'images ce jour-là. Je me souviens d'un moment très intense où j'étais dans les arbres, dehors en plein mois de janvier, avec ma pote Victoria, nues. Il pleuvait à mort et tout le monde s'était réfugié dans la galerie mais Ren Hang était trop content et il voulait continuer à nous shooter. Je suis rentrée avec un rhume et de beaux souvenirs. C'est triste qu'il soit parti. Triste que tant de jeunes personnes décident de se suicider. Est-ce qu’il y a un but politique ou sociétal dans ce que tu fais ? Je fais des images parce que ça me plaît, mais aussi parce que je veux imposer une autre forme d'érotisme. Plus réaliste, organique et frontale. Bien sûr, je suis une femme et ma démarche est également militante. Là où un mec se ferait mousser en faisant ce type d'images, moi, je peux surtout être stigmatisée. Je m'en fiche, je revendique le droit
d'être une femme aux fantasmes multiples, à la sexualité aventureuse et à l'exhibitionnisme assumé. T’as fait une photo avec ta mère. On suppose donc qu’elle suit un peu ce que tu fais. C’est comment quand tu dînes avec elle : « Ouais, aujourd’hui on a pris une photo de fist et après je me suis touchée dans un cinéma » ? Sur cette photo tu peux voir que ma mère et moi n'avons pas l'air joyeuses. En fait, on venait de se prendre la tête, on était vraiment fâchées et puis j'ai dit « vas-y je vais prendre une photo maintenant ». C'était un peu violent mais je suis fière de cette image. Ma mère sait tout ce que je fais, elle va parfois sur mon site. Quand je lui demande « mais pourquoi tu ne commentes pas mon image de fist ? », elle est un peu gênée, et moi je rigole de ma bêtise. Elle n'aime pas tellement la nudité dans l'art. En fait, je pense qu'elle est dépassée depuis longtemps par ce que je fais de manière générale, donc un fist, un porno, finalement plus rien ne la choque. Quels sont tes projets à venir Le fanzine de ma série Nuits Blanches sort en mars aux éditions les crocs électriques, et j'en ai auto-édité un autre qui fera partie d'une série de cinq fanzines, vendus à prix libre. Et je suis toujours publiée dans le magazine Le Bateau. On me verra bientôt dans le courtmétrage de Poppy Sanchez, produit par Lucie Blush sur la musique de Jardin. Puis courant
2017 sortira My Body My Rules, long métrage de Emilie Jouvet dans lequel je fais l'amour avec Maria Riot. J'exposerai aussi fin avril à La Compagnie, un espace de co-working dédié à l'art, organisé par All Mecen, et le 28-29 avril au bunker 105 avec l'asso Scampi Club autour des sexualités plurielles. 27
1 mois, 4 films, 4 avis
CINÉMA
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T2, Trainspotting de Danny Boyle Sortie le 1er mars
Mais pourquoi Danny Boyle nous inflige un saut dans le passé qui ne fait que nous rappeler la pauvreté de nos âmes paumées ? Enfoiré, rien n'a changé. Pire, la dope est moins bien coupée, les racines sont décolorées sur une chevelure clairsemée, et la quête fougueuse de la déglingue se transforme en une course en sac minable de junk’ sur le retour. Qu'y a-t-il de pire qu'un vieux qui se prend pour un jeune ? C’est bien là le problème, un film de vieux libidineux paresseux qui s'entête à recréer à coups de Viagra périmé la trique d'une jeunesse d'antan. Ridé et mou.
The Lost city of Z de James Gray Sortie le 15 mars
Que de lourdeur dans ce mélodrame à délire colonial sardoussien ! Ah l’homme blanc qui brandit la culture (un livre) pour réprimer l'oppression sauvage (des flèches), ça nous rappelle le bon temps des colonies. Je dis bravo à la métaphore de "Bachelor Philo" salle 2013. James Gray nous achève avec la petitesse de son éternel combat perdu d'avance : la quête d'une liberté illusoire (dans The Immigrant notamment). Merci bien pour cette seconde lecture qu'il nous tartine à tout bout de champ (de vision) et qui vient planter généreusement mon cher Bob Pattinson, que je porte au cœur.
Peut-on faire d'un film pour mémère grabataire une succession de clichetons vieux comme Hérode ? Mais oui, le cinéma français regorge d'ambition et est prêt à tout pour son interview de Delahousse dans le JT du week-end. Bravo à Provost pour cette bouse combinant Frot-Deneveuve (les temps sont durs sur le marché de Dinard, le turbo est de plus en plus cher), énième duel entre la réservée et la nympho excentrique, un duo "explosif" comme dira Télé Z. Moi je n'en peux plus du cinéma français sans idée qui massacre nos gloires passées. Et encore, je vous évite mon vomi bileux et ma syncope épileptique devant Gangsterdam…
Ghost in the Shell de Rupert Sanders Sortie le 29 mars
Consacré après sa première mise en scène brillante, Blanche-Neige et le chasseur, Rupert Sanders signe enfin le film de la maturité pour sa seconde tentative. Image à couper le souffle, la 3D porte les explosions au plus près du spectateur bouche bée, Scarlett Johansson fera féconder le plus stérile des vasectomisés, et voici donc que le pari fou de la ré-interprétation d’une bande dessinée obscure niakwée est bien validée haut la main. Vous en aurez plein la gueule, et que ça ferme la bouche à ces enculés d’intellosbobos restés au cinéma noir et blanc. In your faces, bitches !
Par notre cher Pierig Leray
Sage Femme de Martin Provost Sortie le 22 mars
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CINÉMA � T STÉPHANIE CHERMONT P JULIA DUCOURNAU
GARANCE MARILLIER, L’ACTRICE QUI MONTE GRAVE
C’est le film événement du mois de mars, Grave, un premier long métrage de Julia Ducournau. Entre cannibalisme, histoire estudiantine et familiale, le film est incroyablement bien réalisé et audacieux. L’actrice principale du film, Garance Marillier, nous a accordé du temps alors
qu’elle passe son baccalauréat dans quelques semaines. De ses débuts à 11 ans, révélée dans les courts-métrages de Julia Ducournau, à son premier grand rôle dans Grave, découverte d’un talent que l’on n’a pas fini de voir sur nos écrans.
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De quelle manière peux-tu nous décrire le film, sans le spoiler ? C’est l’histoire d’une jeune fille surdouée, qui arrive dans un monde de jeunes adultes. Elle est candide. Sa grande sœur est dans la même école, elle a un an de plus qu’elle et pourtant, elle est plus mature, complètement intégrée. Elles sont toutes les deux végétariennes car c’est une tradition familiale. Et à travers le bizutage pour tous les nouveaux de cette école, mon personnage, Justine, va être obligée de manger de la viande crue. Les conséquences vont être sanglantes… (sourire). Comment es-tu arrivée au casting de Grave ? Je crois savoir que tout a commencé sur une plage, rien que ça… Oui, une balade sur la plage, un truc très romantique… (rires). Plus sérieusement, la première fois que la réalisatrice, Julia Ducournau, m’a parlé de son film, c’était à la fête de sa précédente réalisation, un courtmétrage qui s’appelle Mange. Elle m’a dit : « J’écris mon premier long métrage mais je suis désolée, il n’y aura pas de rôle pour toi ». Après, comme on est amies, elle m’a parlé à nouveau sur cette fameuse plage, à Cabourg, en me racontant l’histoire de son film et que voilà, le personnage principal était plus vieux que moi. Mais bon, je tiens à préciser que je ne forçais rien du tout, je n’ai jamais dit à Julia, « J’peux jouer dans ton film je t’en prie ! ». Vous vous connaissez depuis longtemps avec la réalisatrice, Julia Ducournau, vous êtes amies. Oui on est vraiment de bonnes amies, on est très proches dans la vie. Du coup, on a continué à se voir, comme d’habitude. Et elle me parlait de plus en plus de son film Grave. Au bout d’un moment, elle m’a dit : « Je pense beaucoup à toi pour le rôle, mais en même temps, je ne veux pas que ça me fausse dans l’écriture, donc je vais quand 32
même faire un casting ». Et au bout d’un moment, les rôles se sont croisés. Elle a descendu l’âge de son personnage, et moi j’ai grandi ! Et à un moment donné, elle m’a confié que c’était une évidence, et elle a oublié le casting ! (rires) Une fois le scénario en main, as-tu accepté tout de suite ce premier grand rôle ? Julia est très prévenante. Elle m’a conseillé de lui donner une réponse après avoir lu le scénario justement. Mais pour moi, c’était évident, même si elle avait écrit un film sur les arbres, je l’aurais fait. Je lui fais une confiance aveugle. Si ça n’avait pas été Julia, je n’aurais pas accepté aussi facilement, j’aurais eu peur je pense. Avec ce genre de film, ça pouvait être très vite raté. C’est audacieux et ça repose sur une réflexion profonde. Julia, elle, avait toute ma confiance. Comment ça s’est passé au moment du tournage ? Ce qu’il faut savoir, c’est que Julia travaille beaucoup sur le corps. C’est d’ailleurs cool car c’est ma vision du jeu aussi. On a eu une connexion immédiate, sur le plan du travail. Elle dirige ses acteurs comme une chorégraphe, elle me disait « Baisse le menton, lève les yeux, regarde plus bas » etc. Et en même temps, elle travaille sur la musicalité des intonations, des phrases… Elle mime tout. Quand elle te corrige, elle te montre comment ça doit sonner. En fait, c’est une histoire de reproduction et ça roule. Certaines scènes sont scotchantes, comme par exemple celles en soirées étudiantes. Comment était l’ambiance pendant le tournage ? On avait des figurants complètement fous ! (rires) Pour les scènes en soirée, c’est en fait un plan séquence que l’on a tourné en une seule journée… Pour te faire une image, c’était une journée où des gens sans musique
« On m’appelait Garance la terreur à l’école. »
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– comme il y avait du dialogue, on ne pouvait pas mettre du son – devaient danser comme des dingues. Au début, je n’étais pas à l’aise car j’ai du mal à jouer avec autant de monde autour de moi, je ne me sens pas légitime… Au début, je n’aimais pas du tout les acteurs qui se la pétaient, qui avaient un rôle plus important, du coup, j’étais toujours en retrait. Et là, c’était l’opposé, avec des figurants autant à leur aise, j’étais super bien, ça m’a tiré vers le haut. Franchement, on s’est véritablement amusés, c’était drôle ! Ça faisait plaisir aussi de voir Julia, la réal', prendre autant de plaisir ! Elle criait : « Là, c’est génial, mais continuez ! Dansez ! ». Venons-en à toi, à la base ce n’était pas le cinéma mais la musique qui t’intéressait ? Oui, à la base, je suis musicienne. Je fais de la percussion classique. Ce n’est pas de la batterie mais toutes les percussions 34
d’orchestre, les timbales, les xylophones, etc. C’est un peu mon déterminisme social, mon père est musicien, mon frère est musicien, ma sœur a fait de la musique aussi… On a tous baigné là-dedans. C’était un peu mon destin mais j’ai dévié… Mais pour tout avouer, ça m’aide pour jouer, je pense que j’ai une oreille musicale qui me pousse à faire plus attention à la musicalité dans les dialogues. Et c’est agréable, tu retiens juste la musicalité des phrases et tu les reproduis, plutôt que de devoir à chaque fois rechercher l’émotion voulue. Qu’est-ce qui t’a amenée à jouer dans des courts-métrages ? Ça ne m’attirait pas du tout au départ, je laissais les tournages aux autres, je me disais que ce n’était pas pour moi. Et en fait, ma mère m’a inscrite à un casting, ils cherchaient une fille qui soit garçon manqué, ce que
j’étais énormément à l’époque. Je ne le suis plus, même si j’ai gardé des côtés… bruts. Du coup, elle m’a envoyé là-bas alors que je n’avais rien demandé, et aujourd’hui, je lui dis « Merci maman ». C’était pour Junior, le court-métrage de Julia Ducournau. Et alors, comment ça s’est déroulé ? Tu as tout de suite aimé jouer ? Alors c’est très marrant, parce que j’y suis allée en faisant sacrément la gueule. À l’époque, je faisais beaucoup la gueule (rires). Je devais faire une impro où je devais me clasher avec Julia, mais je ne savais pas que c’était la réalisatrice… C’est une histoire de gamines. Elle était censée avoir dit un truc que je n’avais pas dit. Typiquement un truc de collège, quoi. Et moi, je devais venir l’embrouiller. Sauf qu’en fait, on se répondait, et elle m’énervait, tout ce qu’elle me disait, je le prenais personnellement. Donc ça a commencé à monter, monter… J’étais excédée par Julia ! Quand je suis sortie du casting, j’étais énervée, je criais, « Mais c’est quoi cette pouf ! Elle se la raconte parce qu’elle est trop belle ». Au final, ils m’ont appelée, j’étais prise. Et quand je suis venue les voir, j’ai demandé où était la réalisatrice, et elle m’a dit : « Ben c’est moi ». (sourire) J’étais trop gênée. Dans Grave, tu es déterminée, battante. Ça te ressemble au quotidien ? Je suis battante oui, et c’est un truc que je défends. Comme mon personnage, Justine, on a des valeurs, un honneur à défendre, c’est rare de voir des gens aujourd’hui qui s’accrochent et qui ne cèdent pas. J’essaie de faire ça dans ma vie de tous les jours. Après, je suis comme tout le monde, j’aime aller au cinéma, sortir, écouter de la musique, rien d’extraordinaire… Mais le côté déterminée, c’est clair, je peux m’identifier à Justine à 100%. Il y a une scène où elle se fait mal plutôt que de faire mal…
A la fin du tournage de Grave, comment t’es-tu sentie ? Chamboulée ? On m’a tout le temps dit pendant le tournage que ça allait être horrible à la fin, que j’allais avoir un vide. Ben non, j’avais juste envie de dormir. J’avais des bleus partout, j’étais HS. J’ai tellement joué avec mon corps dans le film que j’en suis sortie blanche et crevée. Mais heureuse. Mais mon corps était épuisé. Je ne pouvais pas donner moins de moi. Quels sont tes projets à venir ? Je vais continuer le cinéma, c’est ce que j’ai envie de faire après mon bac. Je suis dans une école, qui s’appelle l’École du Jeu. C’est une école formidable, basée sur le corps – encore ! Je pense que tout passe ou tout commence par là, amener le jeu par le corps. Je vais faire un cycle de trois ans, en intensif, là-bas. Je ne suis pas scolaire donc pas de fac pour moi, j’ai toujours été un cancre ! Dans la vie de tous les jours, je suis super discrète, mais dès que je suis en cours, le diable se réveille en moi et je suis insupportable ! Ma mère, quand j’étais plus jeune, elle se retrouvait tous les jours à la sortie de l’école face à mon prof qui lui disait, « Madame, faut qu’on parle ! ». (rires) On m’appelait Garance la terreur à l’école ! Parlons de Paris, es-tu une vraie Parisienne ? Je suis une made in Paris oui ! Pure Parisienne. Je suis née dans le 13e et j’habite dans le 20e. Mon café préféré, mon QG, c’est le Bariolé, j’y suis souvent avec toutes mes potes. J’aime tellement ce quartier, après, je suis dans le côté un peu ghetto. Ça commence par contre à devenir un quartier bobo. J’ai grandi avec des cailleras, j’aime bien les mélanges, je m’en fous. J’ai dû aller dans le 5e, ça m’a mis un coup ! — Grave, de Julia Ducournau Au cinéma le 15 mars 2017 35
SÉRIE � T PIERIG LERAY
THE OA, ACTE DE FOI ET DON DE SOI The OA est une série Netflix sortie fin décembre 2016, en silence, sans abattage médiatique, comme un acte innocent rempli d’humilité. The OA a une importance plus capitale que la superficialité ambiante qui rode autour de son cas. Elle n'est pas un délire egotripé sur, par et de Brit Marling, dans une sorte de culte de personnalité dénoncé. The OA dessine les contours de ce que Scorsese a brillamment mis en scène dans Silence, l’acte de foi et le corps comme seule passerelle entre la spiritualité et son dessein. Dans un monde qui oppose et désunit, The OA n’est pas une mièvre tentative d’unification pacifiste à la con, elle dépasse ses propres créateurs par la portée d’une évidence oubliée, celle qui a jadis rassemblé des milliers de gens dans la rue, celle qu’il ne faudra pas abandonner, l’indivisible force de la foi en l’autre. Prairie est sourde, russe et fille de mafioso, elle est abandonnée chez une tante 36
aux US pour se protéger de la dangereuse vie de son père. Forcément, le papa est rapidement zigouillé, et Prairie se retrouve par un concours de circonstances adoptée dans une famille moyenne d'Américains au regard vitreux et à l'amour docile comme un chat mouillé. Mais le destin de Prairie n’est pas cette banlieue monotone qu’elle retrouvera inéluctablement plus tard. Elle se persuade à partir de rêves faussement prémonitoires que son père l’attend à New York. Naïveté d’un enfant rêveur, se persuadant d’un destin hors du commun, elle tombe alors dans un cauchemar marquant le début de son odyssée. Un médecin la kidnappe et l’enferme avec trois puis quatre autres prisonniers. La perversité n’est nullement sexuelle, elle est utopique : la conquête de l’âme et de son immortalité à travers le déclenchement de mort spontanée chez ces prisonniers. Et cette éternelle question en sourdine : que se passe-t-il quand le cœur cesse de battre ?
Cette question n’a absolument aucun intérêt. Elle crée un fil narratif plus ou moins cohérent pour mieux peser les véritables enjeux de la série : l’acte de foi et l’état de corps. On retrouve en opposition au médecin profondément seul et déshumanisé un club de loseurs, les traits sont forcés (le méchant ado violent, le transgenre, le bon élève coké, la prof’ obèse et le petit gros métaleux) mais n’en tenons pas rigueur. Ils forment un ensemble indivisible. L’acte de foi est aveugle, chahuté (notamment dans le dernier épisode), mais il devient transcendantal. Ils croient en elle. Qu'importe son discours grotesque, ces évasions fantastiques, sa possible mythomanie outrancière et manipulatrice. Et par la force de leur acte de foi, la preuve de leur humanité et la sensation de ne plus être seule, Prairie sauve une humanité perdue. Et tout devient alors possible, tout devient crédible, justifié et justifiable : une aveugle retrouvant la vue, un portail interdimensionnel, un homme revenant à la vie, et de simples mouvements de corps pouvant stopper un acte terroriste. Après la foi, l’acte du corps pose les
fondements du mécanisme spirituel de Prairie, les cinq mouvements sont appris, répétés jusqu’à épuisement... forcer le corps par le corps à s’élever. Quelle beauté de voir enfin la fusion quasi-orgasmique entre la foi en l’autre et l’offrande du corps, nu, entier, sans peur ni jugement, un don de soi total et donc profondément humain. The OA est moqué, souvent incompris, je pense également qu'elle dépasse ses créateurs, mais la lecture qu’elle soulève est déjà primordiale. Les dernières minutes sont l’apothéose d’un pathétisme qui se transforme en moment de grâce. Car c’est aussi ça The OA, un équilibre périlleux entre le beau et l’immonde. Dans tous les cas, nous avons tous terriblement besoin de croire en Prairie. Croire en Homer, croire en ces cinq mouvements. Et si The OA arrive à nous rappeler notre part d’humanité oubliée, et croire non pas en quelque chose ou quelqu’un mais croire pour l’autre en réapprenant le don de soi, The OA en deviendra peut-être fondamentale.
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DÉCOUVERTE � T CLÉMENT VILLAS P DIDER ROGER
CHIPPY NONSTOP, LA RAPPEUSE DE DUBAÏ
Si vous ne connaissez pas la petite, allez checker tout de suite ses sons sur YouTube, ça va vous rajeunir ! Protégée de Diplo, la jeune rappeuse était en France ce dimanche de février
pour présenter un atelier de Dj par et pour des filles à l’occasion de la 1ère édition du Synth Event, le premier festival réservé aux synthétiseurs et à la musique modulaire organisé par Motto. 39
Lmao (Mdr). Honnêtement, je ne mange plus tant de chips que ça, et je ne suis pas si fan de sexe que ça. J’ai juste ce nom qui traine depuis un bout de temps Et pourquoi Nonstop ? Personne n’arrive à te faire taire ? Non, personne n’arrive à m’arrêter. Est-ce que tes problèmes de visa se sont arrangés ? Non, j’habite au Canada maintenant ! J’ai été déportée !
Pour tous ceux qui ne te connaissent pas, mais qui es-tu Chippy ? Tout ce que tu as besoin de savoir sur moi sur trouve sur Internet, je suis une fille assez transparente avec ma vie. Je peux concevoir que cela demeure confus parce que j’ai différentes personnalités en moi, mais quand bien même, je suis assez maligne et très altruiste. Et à la fois j’en ai un peu rien à foutre de tout (I don’t give a fuck, ndt), j’aime beaucoup m’amuser, je pense que beaucoup de gens n’arrivent pas à trouver le juste milieu. Après je pense que tu voulais plus une réponse classique, donc : je suis une artiste, rappeuse, écrivaine et Dj. Les gens t’appelaient Chippy car tu manges beaucoup de chips. Mais en France, ça peut avoir une connotation un peu sexy, t’as un problème avec ça ?
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Tu es déjà pas mal en colère contre la société américaine. Avec tout ce qu’il se passe, je suppose que ça s’est arrangé ? Je ne suis vraiment pas le genre de personne à être en colère, pour être honnête. Des choses comme ça, ça arrive… Ça va durer quatre ans, peut-être huit… et après il ne sera plus président. Il va sûrement bien niquer la planète à réhabiliter des pipelines, il va sûrement bafouer le droit des femmes, il ne va certainement pas protéger la communauté LGBT, sa rhétorique va certainement encourager l’islamophobie, l’homophobie et le sexisme… Mais le gouvernement ça a toujours été comme ça en vrai, il a toujours été corrompu. Depuis Obama, la gauche s’est un peu éteinte. Donc même si Trump est un président de merde, cela permettra à l’opposition, et au peuple, de se rassembler, enfin ! Comment tu te sens à propos de ce mouvement mondial qui lutte contre les démocraties en place ? J’en suis très triste. Mais ça nous donne de l’énergie ! Ça nous donne une chance d’avoir une place dans l’Histoire ! Si les choses n’allaient pas mal, le peuple n’aurait aucune opinion contraire à la leur, quel serait l’intérêt ? Si nous sommes tous d’accord et
que nous nous aimons les uns les autres, il n’y aurait plus du tout d’Histoire à écrire. Parle-nous de votre workshop Intersession. Y a-t-il une dimension activiste ? politique ? féministe ? J’ai monté cette initiative avec Rhi Blossom, Shy Daughter et D. Tiffany, rejointes plus tard par Kathy Suarez. En gros, c’est un atelier musical complet qui fournit un espace sûr pour les femmes et LGBT. Pour leur apprendre à mixer dans ce milieu exclusivement masculin. Mais c’est plus que de la musique, la forte affluence prouve qu’il y avait un réel besoin. Et spécialement en ce moment, avec ce climat politique bien chargé ! Je ne dirais pas non plus que c’est activiste, même si mes convictions sont profondes et que ça compte pour moi. Je m’en fous un peu des impôts et de l’économie en général parce que je ne vois pas forcément comment ça m’affecte directement, sachant que je n’apporte que peu d’importance à l’argent. Par contre, ça fait pas mal de temps que je traine dans la musique et je vois ce que traversent les femmes et les queers. Je connais les situations merdiques dans leurs boulots. Si je peux aider à rendre leur environnement plus sécurisé, alors pourquoi ne pas le faire ?
Cette interview sera diffusée après votre atelier au Synth Event de Paris qui aura lieu demain ( jour de l’interview), mais est-ce que tu peux deviner à quel point ça sera fun histoire de faire une sorte de review prédictive ? Super fun ! Je ne parle pas très très bien français donc je vais peut-être me sentir un peu mise à part du fun. Mais nous avons des professeurs de grande qualité, donc je suis ravie d’avance ! Heu… J’ai été ravie de l’expérience. (rires) Note de la rédaction : c’était super fun ! — Interview réalisée dans le cadre du Synth Event organisé par Motto au GENERATOR le 26 février.
Je m’intéresse beaucoup plus à la politique et à l’influence de celle-ci sur les différentes communautés, aux lois qui m’ont directement affectée après mon exclusion des USA, mais je ne dirais pas non plus qu’Intersession a un rôle politique, je le vois plutôt comme un rempart contre ce que la politique a fait aux artistes. Indirectement, le gouvernement nous muselle. Quant au féminisme, je pense que les gens se gourent sur le féminisme, mon but est juste de me battre pour faire en sorte que chaucun soit traité de manière égalitaire.
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MÉTIER DE LA NUIT � T+P AURORE KAEPPELIN
SEX SHOP PARISIEN
DES BONNES SŒURS, DES SAPEURS, UN ÉPAGNEUL ET BRIAN
Beate Uhse-Köstlin est née en Prusse Orientale en 1919. A peine sortie de la puberté, elle fait une formation pour devenir maîtresse de maison et apprendre les arts de la table, puis finalement se ravise, devient pilote, passe son brevet de voltigeuse et sert dans l’escadron allemand. Après la guerre, elle sort un petit bouquin sur l’hygiène et
les pratiques sexuelles et en 62, elle ouvre Fachgeschäft für Ehehygiene, le premier sex shop du monde. La meuf aurait pu passer sa vie à ranger les savates de son mec et lui préparer des schnitzels, mais finalement elle a préféré se mettre toute nue sur la plage (elle était naturiste pratiquante) et vendre des objets de plaisir. Much more fun. 43
45 ans plus tard, le business des sex shops est toujours florissant. Oui Youporn et la communauté des bars à cocktail de Pigalle (qui font leur gin to’ avec les fleurs de café de Cochinchine) ont fait fermer quelques sex shops mais ça ne suffit pas à tuer le biz. Il y aura toujours une clientèle pour ça. Les sex shops, c’est comme les bars PMU, c’est populaire et c’est indétrônable. A deux ou trois pas de chez moi et de la gare de Lyon, entre un japonais et un hôtel du groupe Accor, se tient un petit sex shop de manufacture classique, devanture à néon, petit rideau de velours à l’entrée, petits accessoires sexy en vitrine. Le patron vaque à ses occupations quelque part ailleurs dans Paris, Dreux ou Miami et c’est notre Brian national qui tient la boutique (on l’appellera Brian car le monsieur tient à son anonymat). Brian vient du Sud-Est, près de Bandol. Son accent marseillais laisse une sacrée emprunte sur chacun de ses mots et chacune de ses intonations. Brian n’a pas voulu me parler toute de suite, il disait que ces choses-là c’était privé, et puis on a fini par sympathiser autour d’une conversation sur les lubrifiants. On débattait assez confortablement sur le choix des parfums et je lui disais que je n’étais pas très "fruits", que j’étais plutôt "goût poivré" (référence à la vanille). Franchement j’aurais pu parler d’un petit Chablis ç'aurait été pareil. Au beau milieu de ces considérations gustatives, une petite bonne femme d’une
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soixantaine d’années est entrée avec ce que j’ai reconnu comme étant un épagneul. Juanita (le prénom de ladite bonne femme a été modifié) a déposé quelque chose derrière le comptoir de Brian, lui a dit qu’elle partait faire des courses. J’ai bien saisi le lien affectif entre Brian et Juanita. Ils étaient mariés. Juanita m’a gentiment saluée et est repartie avec Robert (le nom du chien a également été changé), et son tote bag. J’aurais pu être dans un PMU, ç'aurait été pareil. Ni une ni deux, j’ai repris ma conversation avec Brian. Je sentais bien que la présence de Juanita l’empêchait de s’épancher. Et c’est pas là qu’il me dit que : « oh vous savez moi les femmes, j’aime pas ça, ça m’intéresse pas, et puis ça a des microbes, faut faire gaffe aux maladies, moi j’ai un ami qui a fait l’amour un jour avec une Martiniquaise eh ben il a chopé la syphilis et il a dû se piquer pendant 20 ans à la pénicilline. Ouais non moi les femmes j’aime pas ça, c’est pas que je suis pd hein, mais on n’est plus à l’abris maintenant même avec les capotes. Les femmes, c’est plus comme avant ». Et là j’ai pensé à Juanita, je me suis demandée comment il la considérait d’autant qu’il m’a confié avoir fait des enfants avec elle. Brian travaille jusqu’à l’heure du dernier métro et voit défiler les gens. Dans sa boutique, tout le monde vient, du maçon jusqu’au juge. Y’a pas de classe social au sex shop. On est tous logés à la même enseigne. Il y a beaucoup de mecs seuls qui n’arrivent pas à rencontrer de femmes. Un jour un monsieur est venu, un gars de 35 ans, force de l’âge, Alain Delon en plus charmant qu’il a dit Brian. Et bah ce mec il arrivait pas à draguer les femmes, alors il s’est acheté une poupée gonflable. Les
putes ça lui faisait peur, il a choisi la poupée, c’était plus sûr. On était en train de discuter d’Alain Delon en plus charmant quand un monsieur en chaise roulante, 87 ans environ, est entré dans la boutique, il semblait assez joyeux. Son aide-soignante poussait le vieux monsieur entre les rayons étroits. Il a jeté quelques guillerets coups d’œil autour de lui, puis a fini par dire qu’il reviendrait plus tard. L’aide-soignante ne maîtrisait pas vraiment la trajectoire du fauteuil et s’est vue infligée une belle branlée de la part de Brian qui lui a balancé avec son accent marseillais qu’elle s’y prenait mal, qu’il fallait qu’elle recule pour pouvoir tourner. A ce moment-là, je ne sais pas si je suis gênée ou hallucinée. On a continué à papoter avec Brian. Il disait que les sex shops c’était bien parce que s’ils existaient pas y’aurait plein de viols dans les rues, que des fois y’a des hommes ils sont fous, ils rentrent avec leur taux de testostérone qui explose et veulent voir des films de boules dans la cabine. Ils sont comme les éléphants, ceux de la savane qui détruisent les arbres parce qu’ils sont en période de rut. Et puis deux petits mecs habillés genre sapeurs de Kinshasa sont entrés mettant fin à l’anecdote pachydermique dérangeante. Ils ont été suivis d’un mec qui avait la gueule et l’accent d’un gars de Minsk, puis d’un trentenaire/valise cabine/sac d’ordi/caban/Stan Smith genre j’ai une prèz client demain. Aucun des clients n’a acheté. Je me suis demandée si ça n’était pas de ma faute. Une fois tout ce petit monde parti, nous avons échangé des paroles plus intimes avec Brian. Il disait que le sexe c’est forcément lié à l’enfance. TOUJOURS. Que lui il avait pas eu de mère et qu’il avait été élevé par les bonnes
sœurs de Saint-Vincent de Paul et que c’était sans doute pour ça qu’il aimait pas le sexe, qu’il aimait pas les femmes ( je repensais à Juanita) ; « bon tu vois c’est sûr moi je couche pas, j’ai peur, les femmes, la maladie tu vois, après si y’avait une petite trentenaire qui voulait bien avec moi je dirais pas non ». N’ayant pas voulu voir de message dans sa syntaxe approximative, j’ai orienté le dialogue sur la partie purement "produits". Selon Brian, les trucs qui marchent bien ce sont les godemichets. Maintenant tout le monde en a un. Les godes c’est comme les jeans, y’a toutes les tailles, toutes les formes, toutes les couleurs (possibilité de blagues à faire sur le slim, le délavé etc…). Sinon les hommes seuls, ils aiment bien les vagins en silicone et les indiens les gouttes aphrodisiaques. Ah oui et puis les lesbiennes les godes ceintures. Bien sur y’a des gars qui ont des petites bites alors ils achètent des godes creux, à enfiler comme des chaussettes, des "sur-bites" en d’autres termes. Mais le gros classique ça reste les films de boules que les clients vont mater dans la petite cabine dans l’arrière-boutique. Y’en a pour tous les goûts. Un jour un monsieur de 90 ans, qui s’aidait d’une canne pour marcher, est resté quatre heures dans la cabine. Une autre fois un mec a dit à Brian qu’il matait le regard des femmes dans les pornos pour s’exciter. Le romantisme n’est pas mort. Vive le romantisme. J’ai pris congé de Brian en le saluant amicalement et lui disant à plus tard. J’ai repensé aux bonnes sœurs, à Alain Delon, aux sur-bites. Je pourrais faire un bouquin sur Brian et cet endroit. 45
SOCIÉTÉ � T RAPHAËL BREUIL
LUCAS BELVAUX EMMERDE LE FRONT NATIONAL A deux mois de la présidentielle la plus imprévisible depuis des lustres, Lucas Belvaux sort un film qui explique les rouages des candidatures FN dans une petite ville des Hauts-de-France. Ou comment le premier parti de France se trouve des candidats de dernière minute, partagés entre leur héritage communiste de ville ouvrière et un pays mondialisé en pleine métamorphose. A l’heure où nous rencontrons Lucas Belvaux, Florian Philippot critique le film en proposant au CSA de le compter dans le temps de parole des autres partis. Le projet du réalisateur belge est-il contre-productif ? C’est ce que nous avons essayé de lui demander. Est-ce que ça n’a pas été trop dur de convaincre tout ce petit monde de jouer des facistes ? Bah non ! Le temps entre le moment où j’ai envoyé le scénario à chacun et leur réponse a été extrêmement court par rapport à mes films précédents. Tous les rôles ont été faits sur-mesure ? A part le rôle de Pauline que j’ai écrit spécialement pour Emilie, le reste s’est fait petit à petit en cours d’écriture. Parfois je commence à penser à des acteurs puis au fur et à mesure je pense à d’autres. Il m’arrive parfois de commencer à écrire pour des acteurs 46
morts et d’évoluer au fur et à mesure que le personnage se construit. La genèse du film ? Un moment très très précis, on tournait le film précédent avec Emilie à Arras pendant une campagne électorale. Son personnage, c’était une coiffeuse amoureuse d’un philosophe parisien. J’adorais son personnage, à la fois vive, intelligente, chaleureuse, dynamique. Et puis en même temps je voyais les sondages qui tombaient et le FN faisait des 35-40%, alors je me suis demandé à ce moment-là : « Mais pour qui voterait-elle ? » Et après avoir été méprisé par son philosophe qui est l’image type du bobo vilipendé à longueur de temps par le FN, je me dis que sûrement ça serait un truc qui pourrait la faire basculer. De fil en aiguille, le film s’est construit autour de ça. C’est normal que le film file le bourdon comme ça ? Y'a pas du tout d’espoir dans le film ? Ah dans ce parti-là y'a aucun espoir. Mais dans les gens si, moi je crois en la démocratie. Elle s’en sort et d’autres s’en sortent. Sur tous les élus qui se sont présentés aux municipales, y'en a quand même 400 qui ont démissionné entre-temps. Et même s'ils sont remplacés, eux y ont été et n’y reviendront plus.
Parlez-moi de cette famille un peu parallèle, celle de l’amie de Pauline. Elle est si réaliste. Mais elle existe cette famille. On est plusieurs à en avoir connu des similaires. Ces gens qui ont peur. Une peur irrationnelle du déclassement, du grand remplacement, souvent il y en a un ou deux dans la famille qui reste lucide, mais le reste pète complètement les plombs. Que ce soit la mère qui vote FN, le fils qui fait des blogs d’articles sur le grand remplacement en étudiant la propagande djihadiste ou le père qui les frappe en apprenant ça, ce sont les tripes qui parlent. Et c’est aussi la responsabilité des politiques tout ça. On remarque que les médias tiennent un rôle de second plan dans le film mais qu’ils sont toujours omniprésents. Est-ce que pour vous les médias n’ont qu’un rôle de figuration chez ces gens-là ? Non, pour moi ça participe à la banalisation du discours. Dans le film on entend deux fois Zemmour. En vrai on l’a entendu pendant des mois à la radio, à la télé, tous les jours, raconter ses inepties comme des vérités scientifiques absolues. Et à la fin ça imprègne les gens. On banalise un discours abject. Et c’est grave ! Zemmour arrive avec ce bouquin et dit « ouais j’ai fait deux ans de recherche » mais c’est rien deux ans de recherche, des historiens passent leur vie sur des trucs en étant moins sûrs et plus précis que lui. Dans le film y'a aussi un journaliste radio sur un équivalent de France Inter qui se moque du FN, vous pensez que ça aussi ça joue un quelconque rôle dans l’affaire ?
Absolument ! Je me mets dedans hein, ça m'a beaucoup fait rire, les Guignols, les éditorialistes, et puis à un moment on se rend compte que les gens se sentent méprisés, pas écoutés. Ça pèse dans la balance. Il faut dire les choses carrément, frontalement, appeler un chat un chat, et après c’est aux politiques et aux citoyens de régler les choses. Il faut accepter que les problèmes ne se règleront pas d’un seul coup. Nous sommes dans une transformation, un changement radical, il faut prendre le temps. C’est unique ce qu’il se passe. Pour changer un monde il faut des dizaines d’années. Mais que dire à ces gens qui ont des factures à payer maintenant ? C’est aux politiques de donner envie aux gens de conserver la démocratie. On ne peut pas laisser crever des parties entières de la population, le reconnaître en tant qu’être humain et ne pas se moquer d’eux. Philippot a été votre premier relais du film, vous vous y attendiez ? Vous n’avez pas du coup pensé que votre effort devenait contre-productif ? Si si, je ne m’attendais pas à ce qu’ils le récupèrent, du moins pas si vite. C’est une question que je me pose encore maintenant. (Silence) On aura la réponse dans une quinzaine de jours. Je crains que le tir de barrage ne coupe l’envie à toute une partie de spectateurs à qui le film était destiné. Des gens qui auront pu changer d’avis vont sûrement se complaire dans une théorie du complot anti-FN. Et c’est pour ça qu’ils l’ont fait… 47
AGENDA �
VENDREDI 10 MARS 00h Yoyo – Palais de Tokyo 20€ H A ï K U with Mano Le Tough all night long 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr 22h La Géode 25€ Excited Night with Möd3rn, DNGLS, Re.Kod, The Driver 23h30 Djoon 10€ Limo Invite Local Talk: S3A, Lay-Far & Mad Mats SAMEDI 11 MARS 23h Grand Rivage 10€ Initial with Priku [a:Rpia:r] - Levi Verspeek b2b Makcim 22h La Belleviloise 12€ Mona with Mike Huckaby, Kiddy Smile, Nick V & DC Vogue Fem 23h30 Badaboum 15€ Missive Nite avec Project Pablo & Alland Byalo 23h Nuits Fauves 20€ Jeremy Underground & Friends VENDREDI 17 MARS 23h30 Nuits Fauves 22€ H A ï K U with Recondite, Mind Against, Andrew Weatherall, Lokier 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr
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23h30 Djoon 10€ A Night with Levon Vincent 23h30 Badaboum 15€ Club: Paco Tyson Tour Avec Ron Basejam SAMEDI 18 MARS 00h Faust 12€ La Mamie's All Night Long 23h30 Nouveau Casino 8€ Hedzup #13 with Dj Steaw x Yamen & EDA x Mancini x Wlad 22h Concrete 15€ Oskar Offermann, S.A.M., Dorisburg Live, Cez / Woodfloor : Saverio Celestri, Charonne DIMANCHE 19 MARS 23h30 Badaboum 15€ Home Invasion Avec Point G et Franck Roger VENDREDI 24 MARS 00h La Machine du Moulin Rouge 22€ Dure Vie 4 Years • Midland b2b Palms Trax · Moomin · Jus Ed · Tyree Cooper · Fouk · Serraw 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr 00h Rex Club 12€ French Kitchen Label Night : Magda, Daox, Sucré Salé, NOX 00h Rex Club 12€ Paul Ritch All Night Long
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