Le Bonbon Nuit 69

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Novembre 2016 - n° 69 - www.lebonbon.fr



EDITO � Célibataire en galère, l’autre soir, j’avais un date Tinder avec une meuf. Pour les moins branchés d’entre vous, entendez “un rencard semi-sexuel assisté par un algorithme informatique avec une autre célibataire en galère”. Nous nous asseyons en terrasse et nous racontons nos histoires d’amour modernes misérables. Seulement ce même soir, des gens ont décidé d’attaquer l’Internet. Ce n’est pas la première fois ; à l’époque, comme les médias savent si bien le faire, les médias nous avait affolés sur un éventuel méchant qui voudrait “casser Internet”. Alors on ne sait pas si c’étaient des Chinois qui voulaient ruiner notre économie, Anonymous qui voulait ruiner notre économie, Daesh qui voulait ruiner notre économie ou un petit ange gardien hacker boutonneux de 14 ans à l’autre bout du monde qui voulait que je tire ma crampe ce soir, mais en tout cas ça tombait plutôt bien. On y croyait le temps d’une soirée. On s’est tous deux imaginé ce que donneraient nos vies sans Internet. Déjà nous n’aurions plus de boulot, plus de Facebook pour rester en contact, et surtout aucun moyen de rentrer chez soi ce soir. Chiotte… Obligés de rester ensemble. « Finalement peut-être que ça allait obliger l’humain à se rapprocher de ses semblables », sors-je un peu éméché en lui prenant la main juste avant de la galocher. Du coup on se rapproche, on s’aime même. Un parfait amour sincère, profond et désespéré. Pourquoi a-t-on besoin d’Internet alors qu’on vient de se trouver elle et moi ? Nous sommes d’accord sur tout, ses seins sont superbes. Les VTC sont sûrement tous down après l’attaque, quant aux taxis, certainement tous pris d’assaut. Obligé pour nous d’aller à l’hôtel miteux le plus proche pour prendre une chambre à 50 balles (tout de même). Nous fîmes l’amour comme jamais… Je me réveille un peu plus tôt qu’elle le matin et l’embrasse avant de partir. J’allume mon smartphone, Internet re-marche. Jamais je ne la rappellerai. Raphaël Breuil 1


TEAM �

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RÉDACTEUR EN CHEF DIRECTEUR ARTISTIQUE CONCEPTION GRAPHIQUE COUVERTURE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION GRAPHISTES RÉDACTEURS

RESPONSABLE DIGITAL COMMUNITY MANAGER CHEFS DE PROJETS PARTENARIATS RÉGIE PUB DIRECTEUR DES VENTES CHEFS DE PUBLICITÉ PRINT SAS LE BONBON IMPRIMÉ EN FRANCE

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Jacques de la Chaise Raphaël Clément Breuil Tom Gordonovitch République Studio Jean Michel-Jarre par Flavien Prioreau Louis Haeffner Coralie Bariot, Cécile Jaillard Cyrielle Balerdi, Arnaud Chaillou, Laura Dubé, Agathe Giraudeau, Rachel Thomas, Tiana Rafali-Clausse, Olivia Sorrel-Dejerine Antoine Viger Clément Villas Dulien Serriere, Florian Yebga Margaux Décatoire, Hugo Derien Thomas Bonnet, Carole Cerbu, Arnaud Laborey Hugo Delrieu Nicolas Portalier, Benjamin Haddad 12, rue Lamartine 75009 Paris Siret 510 580 301 00032 01 48 78 15 64


SOMMAIRE �

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À LA UNE Jean-Michel Jarre

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MUSIQUE Mathieu Boogaerts

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MUSIQUE Agar Agar

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EXPO Tino Sehgal

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CINÉMA Zardoz

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TÉLÉVISION Strip Tease

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CLUB Salò

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HOTSPOTS � ① PRENDRE UN COUP DE VIEUX Le mythique label Transmat débarque au Rex Club pour fêter ses 30 ans. Sera bien sûr présent son tout aussi mythique patron, Derrick May. Il sera accompagné du pianiste virtuose Francesco Tristano qui se produira en live et du jeune Japonais Hiroshi Watanabe. Gaffe, quand Derrick est en forme il balance (littéralement) des skeuds dans le public. Jeudi 10 novembre, au Rex Club ② UNE AFFAIRE DE FAMILLE Happy birthday J.A.W Family ! Pour ses 10 ans, le crew organise six événements entre Paris et Berlin. C’est donc à la Machine que se produira le groupe de jazz expérimental Yussef Kamaal, suivi par un Dj set all night long de l’américain Théo Parrish. Cette soirée, c’est un peu un dîner de famille, le groove et le bob en plus. Jeudi 17 novembre, à la Machine ③ FAIRE LA FÊTE SANS OUBLIER Un peu plus d’un an après les tristes événements de novembre dernier, le Bataclan nous offre un plateau mêlant l’ancienne et la nouvelle génération techno. On se délectera d’un live du taulier Arnaud Rebotini avec ses synthés, d’un set de notre Laurent Garnier national et d’un B2B de ses deux jeunes protégés : Gordon et Voiron. Un plateau d’exception. Jeudi 24 novembre, au Bataclan ④ S’AVENTURER EN BRETAGNE La réputation des Bretons pour faire la teuf n’est plus à faire. Ce mois-ci, la capitale bretonne vibrera aux rythmes de la programmation riche et novatrice des Transmusicales. Devenu un rendez-vous musical incontournable, le festival rennais assure chaque année découvertes et surprises musicales. Êtesvous prêts à voir le Gwenn ha Du ? Du 30 novembre au 4 décembre, à Rennes 5


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À LA UNE � T ARNAUD ROLLET P FLAVIEN PRIOREAU

JEAN-MICHEL JARRE BY NIGHT

Deux nouveaux albums (dont la suite d’Oxygène), une tournée 3D, une collaboration avec Gorillaz, une couverture médiatique épaisse et la réalisation de la

nouvelle identité sonore de Franceinfo : Jean-Michel Jarre a surpris tout le monde en dévorant à lui seul l’année 2016. Ça valait bien une visite dans l’antre de la bête. 7


« J’ai réalisé avoir passé plus de temps dans ma vie avec des machines que des êtres humains.  »

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Ce mercredi glacial d’octobre, Jean-Michel Jarre trouve enfin le moyen de passer quelques heures chez lui, avenue Montaigne, après un détour chez Michel Drucker, le taulier du passage promo. Dans ce salon épuré où trônent un synthé imposant, des magazines (Technikart, Society…), le dernier bouquin des Bogdanov et quelques œuvres d’art (dont un tableau probablement peint par ses soins), les indices laissent deviner un homme en mouvement permanent. Sur l’imposante table en verre face à la fenêtre, des valises ouvertes, des fringues entassées et quelques exemplaires du programme fraîchement imprimé de sa tournée actuelle qui l’emmène un peu partout dans le monde. Au milieu de tout ça, Jarre est là, imperturbable et souriant. Rien sur son visage ne laisse imaginer une quelconque trace de fatigue, de lassitude. Malgré une année pleine, le Français pète le feu. Faut dire qu’au moment de notre rencontre, la nuit est tombée depuis une poignée d’heures. Un timing idéal car Jarre commence habituellement ses journées à l’heure où les gens rentrent souper devant le JT. « En gros, tu as la journée officielle et la journée officieuse : l’officieuse commence pour moi à 18h20, détaille celui que son équipe appelle affectueusement Dracula. Je suis donc plus un oiseau de nuit que de jour. Et à 4h du matin, je suis vraiment performant. C’est là que je suis au top. » Oiseau de nuit Si Jarre dit être au top à 4h du matin, il ne faut pas non plus l’imaginer se dandiner en club sur de la techno, une bouteille de Dom Pé à la main. Aux escapades nocturnes, il préfère le calme feutré d’un blockhaus rempli d’instruments. « Depuis cinq ans, je passe quasiment toutes mes nuits en studio. Récemment, j’ai réalisé avoir passé plus de temps dans ma vie avec des machines que des êtres humains. Ça ne m’a pas rendu plus inhumain pour autant, c’est simplement un

constat. » Du reste, si d’aventure l’envie de guincher lui prenait, pas sûr que Jean-Michel choisirait de se rendre dans l’un des établissements que compte la capitale française. En effet, le producteur du Paris by Night de Patrice Juvet en 1977 est loin de trouver dancefloor à son pied aujourd’hui. Pour lui, malgré les efforts réalisés ces dernières années et l’essor de soirées pointues, la France possède encore une vision trop étriquée de la fête. Pas assez de « concepts extrêmes » à son goût, de « warehouses » réhabilitées ou de bâtiments permettant de faire la teuf, boire et bouffer « sur plusieurs étages » avec, à chaque fois, « différentes ambiances » et surprises. « On a l’impression que Paris n’est pas une ville de musique, juge-t-il. C’est une ville de littérature et de cinéma – c’est l’endroit au monde où tu peux voir le plus de films par jour –, comme l’est la France finalement. Là, j’étais à Dublin pour ma tournée. Là-bas, partout où tu sors, tu entends de la musique. Il y a énormément de lieux hybrides, mi-club, mi-pub, où tu te sens chez toi et passes du dancefloor au côté plus chill out de façon assez fluide. En France, on est plus cartésien : un club, c’est un club ; un bar, c’est un bar ; un resto, c’est un resto. » Cliver pour exister On a compris. Jarre n’est pas du genre à aimer les étiquettes trop collantes. Ironiquement, depuis ses débuts et notamment dans l’Hexagone, on lui en fout un paquet sur la tronche. Certains voient en lui un pionnier de la musique électronique, rappelant l’influence que ses premiers travaux ont pu avoir jusque chez des maîtres de la techno de Detroit, ou préfèrent rappeler ses shows hors-normes et technologiques, annonciateurs du gigantisme des lives des popstars actuelles. D’autres optent plutôt pour la critique, l’accusant d’être surmédiatisé et d’occuper un rôle de parrain de la musique électronique sans 9


que sa discographie, franchement éparse d’un point de vue qualitatif, lui permette réellement d’y prétendre. Dernièrement, on lui a surtout reproché son double-album Electronica qui le voit rassembler étrangement des personnalités aussi distinctes que Jeff Mills, Edward Snowden et Armin van Buuren. Stoïque, comme imperméable aux reproches, Jarre continue pourtant d’avancer, le majeur délicatement posé sur l’un de ses innombrables synthés. Depuis belle lurette, il sait que sa caravane roulera encore quand les chiens se seront tous égosillés à aboyer en vain. Il a conscience que ses concerts attirent moins les gardiens du temple que ses fans de la première heure (il n’oublie pas de rejouer ses morceaux "cultes" en les revisitant), des badauds curieux, des amateurs de musiques électroniques (pluriel volontaire) et des familles entières, de la petite nièce au grandpère. Qu’on va un peu le voir comme on va au Futuroscope, pour découvrir ses nouvelles lubies high-tech (la promesse d’un show 3D sans lunettes avec la tournée Electronica !). Surtout, il ne cherche pas à faire l’unanimité. « Heureusement que des gens aiment ou non ce que tu fais ou ta manière d’être. Cela va de pair avec le fait de faire quelque chose. Être clivant a même un côté rassurant : c’est le propre d’un artiste. » Victime de la mode Le père d’Oxygène est lucide quant au désamour qu’il peut susciter. « Quand tu as une carrière internationale, tu cumules souvent les malentendus. En France, beaucoup de gens m’ont perçu comme un mégalo faisant des show lasers devant un public énorme. Pourtant, ce n’est jamais moi qui ai initié tous ces concerts. Si on te demande de faire un live aux pyramides de Gizeh, c’est con de refuser, non ? » Au fond, Jarre serait victime de sa précocité et d’une bonne étoile ayant tendance à un peu trop briller. Arrivé en avance sur son temps, à une époque où le 10

quidam ne savait pas ce qu’était la musique électronique (alors en plein balbutiements), et confronté rapidement à un succès surprise (initié par le million de personnes présentes lors de son concert gratuit de 1972 place de la Concorde), il est devenu sans le vouloir une association d’idées facile auprès des journalistes franchouillards. Musique électro = JMJ. Une bête affirmation qui favorisera les tensions entre les acteurs des autres territoires électroniques et un Jarre vampirisant malgré lui ce rare espace de médiatisation disponible. Un comble pour celui qui a toujours décrété détester cette « habitude purement française » cherchant à enfermer les individus « dans des ghettos, des chapelles ». Heureusement pour lui, Jean-Michel Jarre n’en a rien à braire des quiproquos, des jalousies et des problèmes d’égo. Rien ne semble ainsi capable de détourner l’homme de son rituel, quasiment intact depuis ses premiers pas, reposant sur un mode de fonctionnement où se mêlent instinct, excitation, coups de chance et défis qu’il s’auto-lance. Son travail sur le prochain album de Gorillaz ? C’est venu de Damon Albarn, « rencontré par hasard à Paris ». La sortie du dernier volume de son triptyque Oxygène ? Une façon de voir s’il était encore capable de réaliser un album pertinent « en six semaines seulement », à la manière du premier opus conçu 40 ans plus tôt. Pour le fun. L’habillage de Franceinfo ? Un clin d’œil à ses débuts « dans le service public » (au Groupe de recherches musicales, alors rattaché à l’ORTF), façonné « en dix jours à peine ». Alors qu’à l’horizon 2018 se profilent ses 50 ans de carrière et une entrée fracassante dans le clan des septuagénaires, Jarre n’a pas l’air de vouloir changer ni de lever le pied. Il nous donne donc rendez-vous en 2056, pour la sortie d’Oxygène 6. Sauf si, d’ici là, quelqu’un décide de lui planter un pieu dans le cœur. On ne déconne pas avec Dracula.


Jean-Michel Jarre, Oxygène 3 Sony Music — sortie le 2 décembre En concert le 12 décembre à l’Accorhotels Arena 11


PLAYLIST � P CAUBOYZ

SEXY SUSHI

PLAYLIST DÉDIÉ AUX PARTIES POLITIQUES DE (F)RANCE

Comme vous le savez, c’est bientôt les primaires de droite. Quelle meilleure occasion pour demander à Sexy Sushi de nous offrir un set qui était à la base destiné à un 12

congrès de l’UMP, mais que Rebeka Warrior a insisté pour dédier à tous les partis politiques de (F)rance. Autant vous dire tout de suite, ça arrache. Bonne dégustation !


SEXY SUSHI J'aime mon pays Pour une France bien rangée.

METAL URBAIN Panik Pour le capitalisme.

NOIR BOY GEORGE Messin plutôt que français Pour le licenciement économique.

SUICIDE Rain of ruin​ Pour la destruction massive d'Alep.

BERRURIER NOIR Porcherie Pour le porc obligatoire à la cantine.

DIDIER SUPER Manipulez nous mieux Pour un gouvernement fort.

SYDNEY VALETTE Prêt à mourrir​ Mort pour la France plutôt que vivant pour nulle part.

ORELSAN Suicide social Pour la suppression des minima sociaux.

DEATH GRIPS Guillotine Pour la peine de mort. JESSICA 93 Seul contre tous Pour l'isolement des personnes à problèmes.

D​AVID CARRETTA Ta liberté c'est ça​ Pour le brexit et la fermeture des frontières. AUCAN Riot Pour que les enfants aient un papa et une maman.

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MUSIQUE � T RAPHAËL BREUIL P THIBAULT MONTAMAT

MATHIEU BOOGAERTS WOODY ALLEN CONTRE SUPERMAN

J’ai un souvenir très précis de Mathieu Boogaerts : c’était en 96, il y a 20 ans pilepoil, son clip Ondulé où il se faisait coiffer à l’envers passait entre des tubes de dance à chier comme Corona ou la Macarena. Les jeunes de mon âge ne craignaient pas forcément. Je dirais même qu’il nous a réconciliés avec la chanson française et initiés au calme et à la sagesse. Sa petite voix douce qui calme tout le monde est restée dans les mémoires du temps de la télé carrée qui captait mal M6.

Pendant 20 ans, comme un vieux collègue de job d’été, on le voit peu si on n’a pas fait l’effort de rester en contact avec lui ; en effet ce n’est pas le roi des médias. C’est dans les locaux de Tôt ou tard, responsable de grosses machines chanson française, squatteur de Taratata depuis des lustres, que je rencontre un homme timide, simple et accompli, en pleine force de l’âge, la tête coincée entre les triples disques d’or de Vianney et de Delerme.

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Est-ce qu’on dit Boogaerts ou Boogaerts ? En vérité aucun des deux. On dit Boogaerts, c’est flamand. A l’école, tout le monde disait Boogaerts, et un jour mon grand-père est arrivé en me disant « non mais tu es fou, on dit Boogaerts ! ». Voilà. Tu avais un groupe avec M il y a plus de 20 ans. Est-ce que c’est un choix de ta part de ne pas avoir suivi "l’autre Mathieu" sous les paillettes ? Si c’est un choix, c’est inconscient. Dans aucun cas je choisis de ne pas être dans les médias. Si demain Drucker fait un week-end spécial et m’invite, j’y vais en courant. J’ai pris le parti de ne pas faire des chansons que pour moi. C’est très prétentieux de faire un disque, de mettre sa photo et de faire des concerts, pour moi ça s’adresse au reste du monde. Je trouve en plus que les chansons traitent de sentiments universels et intemporels, donc si je suis confidentiel, je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas cherché à l’être. Je ne me dis pas que M est un vendu et que moi je suis un puriste. Lui c’est de la musique de stade, des solos de guitare, du grand spectacle ; c’est un peu Woody Allen contre Superman. C’est peut-être aussi une histoire d’identité visuelle ? Comment ça se passe avec M/M (Paris) (Directeurs artistiques pour Björk, Madonna, Vanessa Paradis, Acné Studio, Louis Vuitton…) ? Je vois les pochettes de Shaka Ponk, y'a des espèces de singes, je trouve ça laid, et pourtant ça cartonne. Je ne parle pas de goût, tout cela est très subjectif. La preuve, eux en vendent 100 000 et mois 10. J’ai rencontré Michael et Mathias (fondateurs de M/M) il y a plus de 20 ans. Ma maison de disque pour mon premier album me proposait des graphistes que je n’aimais pas trop, alors j’ai pris le temps de regarder plein plein de pochettes. Et je me suis rendu compte qu’à chaque fois que j’aimais un truc, eh 16

bien c’étaient eux. Je les ai donc rencontrés à peine 3-4 ans après le lancement de leur boite. Puis voilà ils ont gagné mon disque. Spontanément, ils ont fait le 2e, le 3e, puis tous… A chaque fois ils ont une vision globale hyper juste de ce que je fais, c’est beau, cohérent, moderne, libre, brillant. J’ai l’impression d’avoir beaucoup de chance d’avoir travaillé avec eux. Ils n’ont pas une liberté totale quand ils travaillent mais par contre ce sont des artistes. Tu ne peux pas leur dire « mets-moi du bleu là et changemoi la typo », ce n’est pas comme ça que ça marche. C’est comme si on me disait de changer le couplet d’une de mes chansons. Quand je vais les voir, j’arrive soit avec des documents, une photo, une histoire que je leur raconte… Je leur donne un cadre, c’est un moment très important à chaque fois, c’est cette demi-heure là qui va conditionner tout ce qu’ils vont faire ensuite. Ensuite, ils me proposent un truc et là je n’ai plus trop de souplesse, je n’ai donc pas intérêt à me planter. C’est toujours super anxiogène parce qu’on passe des années à travailler sur un disque et on te dit « bah voilà c’est ça ». Mais en général je suis d’accord très vite. Est-ce que tu cartonnes toujours autant au Japon ? Non ! En fait c’était surtout les deux premiers disques. Je crois que c’était la mode à l’époque, des chanteurs français un peu pop ou je sais pas quoi, j’ai fait deux tournées là-bas, une dizaine de concerts dans des villes différentes, c’est un super souvenir. Pour être tout à fait honnête, je me dis que c’est peut-être la maison de disques qui n’a peut-être pas les bonnes entrées là-bas. Avant j’étais chez Universal, donc par définition ils y étaient déjà. Moi je veux bien y retourner, mais peut-être que mon entourage se dit que c’est trop loin, trop compliqué… Je ne me donne pas les moyens d’y aller.


2016 — Promeneur

2012 — Mathieu Boogaerts

2010 — Mercredi ! À la Java !

2008 — I Love You

2005 — Michel

2002 — 2000

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Quel est ton point de vue sur l’industrie musicale actuelle ? Tout évolue et tout le monde est un peu paumé j’ai l’impression… Je me suis abonné à Spotify, ça fait un an que je n’ai pas touché un disque. Il y a des gens pour qui ça fait 10 ans, moi c’est assez récent. Et depuis ce jour-là, je me dis, passez-moi l’expression, « quel est le con qui va acheter mon disque ? » Je sors un album alors que moimême je suis passé de l’autre côté. Je suis persuadé qu’il n’y aura que douze personnes qui vont l’acheter. Des gens qui ne sont pas au courant qu’on peut l’écouter gratuit sur le truc. J’ai vraiment l’impression qu’il y a un souci. Les revenus sont insignifiants, c’est de l’ordre de 14€80, 48€20… Après, j’accepte le truc comme certains ont dû accepter le fait d’être enregistrés. Des gens qui jouaient en live et d’un coup on leur a dit « bah vous jouez une fois et on pourra vous écoutez 10 000 fois. » C’est peut-être un mal pour un bien, moi en tant que consommateur je n’ai jamais écouté autant de musique. J’accepte, même si quelques fois ça peut être vexant. Et même si j’étais millionnaire, ça me ferait la même chose : je mets tellement d’amour dans ma musique, que l’idée qu’elle puisse être copiée, comme ça… J’ai l’impression d’être violé. J’ai besoin soit d’argent, soit de me faire applaudir. Ça peut à terme créer une incidence sur mon envie de le faire. C’était plus facile en 96 ? Oui ! pendant ces années-là, c’était le pic des ventes de disques en France. Je me souviens qu’à l’époque, les budgets étaient plus importants pour tout. Les clips coûtaient cinq fois plus cher, on m’envoyait des taxis pour un rien… Aujourd’hui, je me sens vraiment privilégié parce que j’ai une maison de disques, je peux faire ce que je veux, en gros je vois toujours le verre à moitié plein, mais tout est un peu plus revu à l’économie. Mais je suis de nature économe de toute façon…

Qu’est-ce que tu penses des Souchon, des Voulzy, qui sont là depuis des années et monopolisent la scène chanson française ? Alors bien sûr ça dépend desquels, je ne vais pas faire de généralités, mais je trouve qu’il y a beaucoup d’artistes en France qui, arrivés à une certaine notoriété, prennent toujours autant de place dans les médias, dans les journaux, à la radio et cela peu importe la qualité de ce qu’ils font. Renaud sort un disque et d’un coup… (silence) Y'en a plein comme ça. Alors on écoute le disque, y'a un truc pas mal, mais y'a plein de trucs pourris. Mais c’est pas grave, ils ont ce statut de "monstre sacré". C’est vraiment déprimant et pathétique. A côté de ça, Souchon, j’ai fait sa première partie y'a 10 ans au Casino de Paris et j’ai vu les concerts et j’ai chialé à chaque concert, j’ai trouvé ça merveilleux. Vraiment. Je suis un peu jaloux, parfois je me dis « mais pourquoi cette chanson n’a pas la même popularité qu’une chanson de Voulzy ? » J’espère qu'il y a d’autres raisons que parce que lui il est vieux, et que moi je suis jeune. J’espère que c’est pas ça. Parce que tu n’es pas vieux, certes, mais tu n’es pas jeune non plus… J’ai l’impression qu’on a délaissé une génération non ? Bande d’enculés. (rire) J’aimerais bien passer chez Drucker, aller dans un bal populaire et que le groupe reprenne une chanson à moi et que les gens se mettent à danser. C’est le symbole d’un succès populaire. Mes chansons ont cette vocation. En aucun cas je ne snobe un public. Jamais de la vie. Après je relativise, je fais exactement la musique que je veux, j’ai 40 ans, ça fait 20 ans que je fais ça, quand je fais un concert y'a 400 personnes qui m’attendent… Quand je vois des mecs qui bossent dans des bureaux… (merci, ndlr). Je ne suis pas à plaindre. Si je veux rentrer en métro je rentre en métro. Si t’as Bruel qui prend le métro, c’est pas la même chose. J’ai la vie parfaite, je le pense vraiment. 19


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MUSIQUE � P IRWIN BARBÉ

AUTO INTERVIEW AGAR AGAR LA DIVA ET LE VIEUX DJ

Ils sont jeunes, ils sont beaux, leur album est super. Alors au lieu de leur poser des questions chiantes sur leur nom, leur relation, leur brunch préféré à Paris, on a laissé à Clara et Armand un micro, en leur demandant de s’auto-interviewer, et on a

écouté le résultat tranquille après. Bons clients, c’était autant un plaisir à écouter qu’une de leur prestation live qu’on vous recommande vivement. En espérant que la retranscription retranscriptionne.

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Armand : Tu écoutes quoi en ce moment ? Clara : Ce que j’aime beaucoup dans la vie, c’est le rap et la trap. Danger Incorporated, un groupe d’Atlanta. 21 Savage, c’est excellent. Et Bones, toujours. Armand : Qui es-tu ? Clara : Je suis une chanteuse d’opéra, qui fait de la musique. Armand : Est-ce que ton rapport à la musique pourrait se synthétiser… Clara (le coupe) : Cette question me fatigue. Armand : Je connais quelqu’un qui s’appelle Yves. Je vais appeler Yves, qui va venir te poser une question. Yves (qui arrive) : J’ai entendu que vous étiez musicienne, “particulièrement” chanteuse… Clara (le coupe) : Je déteste particulièrement. Je chante, mais je fais plein d’autres choses, boite à rythmes, clavier, guitare. Je n’aime pas cette vision de la chanteuse, diva de merde. Ça m’emmerde. Je caricature mais on dit tout le temps que tu es aux machines et toi à la voix, on me prend pour la meuf qui chante et toi pour le vieux Dj de merde. Armand : Une fois, il faisait un live tout seul et un mec vient le voir en lui demandant de jouer une chanson de Rihanna. J’ai fait deux Dj sets dans ma vie. Et 50 lives. En France on n’a pas cette culture du live. Clara : T’as mangé un Dj ? Tu te prends pour un Dj ? Armand : Je me prends pour Tonkatsu Dj, c’est un manga incroyable en 12 épisodes. Un gamin qui travaille dans le restaurant de tonkatsu (du porc japonais, ndlr) de ses parents à Chibuya. Il découvre par hasard le clubing. (silence) Je suis parti au Japon mais je n’ai pas fait un seul concert, c’était un voyage sans club.

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Armand : Plutôt banane ou Gérard Jugnot ? Clara : Jugnot j’aime bien, il est un peu vieux mais c’est quelqu’un de très simple je pense, de très sympathique. C’est une question de regard, de pupille, y'a des pupilles mauvaises, ou tu sens de la haine, des barbelés autour du cœur. Alors que Gérard Jugnot n’a pas de barbelés autour du cœur. Clara : Comment va Alizée ? Armand : Elle va bien, j’ai vu sur son compte instagram qu’elle allait s’acheter des nouvelles chaussures. Elle demandait aux gens de choisir parmi plusieurs paires. J’ai voté. Clara : Tu aimes bien cette musique ? (En parlant d’une musique d’ambiance diffusée au Trois Baudets) Armand : J’aime beaucoup la muzak. La musique d’ambiance. Appelée aussi la musique d’ascenseur. Armand : Veux-tu qu’on fasse du zouk ? Clara : Oui on a déjà commencé. Et on va faire du rap aussi. Et de la trap aussi. Du rap de blanc. Je n’ai pas une voix de renoi. Mais avec des influences de renois bien vénères et bien dark, des influences de blanc, de gris, de jaune, de vert… Clara : Je déteste le vert. J’ai été écœuré du vert pomme. Armand (annonce) : Au prochain concert, y'aura un peu de rap. On peut tout faire, mais on peut pas 1000 fois faire tous les fois (c’est ce qu’on a entendu sur la bande, ndlr). Donc le rap, le zouk, on verra, mais en tout cas on va être street, des gangsters de ouf. Clara : On a écumé les dépucelages de vierge. C’est de la pop. Comme ça y'aura moins de gens d’école de commerce à nos concerts. Et ça m’enchante. Si on fait de la trap, on va attirer les wakos. Et si ça marche pas on ira voir du côté des Emirats arabes unis ou on fera de la jungle.


Armand : Je trouve ça doublement ringard. J’écoutais ça quand j’avais 15 piges, j’adorais, mais c’est devenu super ringard. J’ai l’impression qu’il y a une tendance parisienne à reprendre des codes de la jungle. Reprendre des trucs cools parce qu’ils sont ringards. C’est le moment du revival de tous ces trucs-là. Clara : D’ailleurs nous aussi on est dans l’époque. Armand : Y'a plein de choses qui vont vieillir dans notre EP, je lui donne quatre ans avant d’être ringard. C'est une histoire de sonorité de clavier, d’arrangements.

Armand : Quoi de neuf ? Clara : Je suis fatiguée de ouf. J’ai plein de trucs à faire et à gérer. On a un super vinyle, il faut que je te le montre. Y'a un mec qui a dessiné comme de la BD dessus ça va être super. Armand : Voilà c’étaient les actus avec Agar Agar. Maintenant la météo. Quel temps il fera demain ? Clara : Nuageux, un tout petit soleil, mais un soleil artificiel. AGAR AGAR — Cardan EP disponible sur Cracki Records Release party au Petit Bain le 16 novembre 23


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© Romy Alizée


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EXPO � T CARMEN BRAMLY P PHILIPPE PARRENO

CARTE BLANCHE À TINO SEHGAL LE MINDFUCK DU SIÈCLE

Certaines expériences nous laissent un souvenir en perpétuelle évolution, un souvenir qui s’écrit, se réécrit, en nous. Il arrive que nous comprenions une chose nouvelle, d’un coup, lors d’un dîner, ou bien que notre avis change, radicalement. Pendant un certain temps, des images, des concepts, des digressions, s’imposent à nous, sans que nous ne les ayons convoqués. L’expérience s’étend alors dans le temps,

gagne en importance, et finalement, ne nous quitte jamais. En un sens, l’expérience continue de vivre, en nous, à travers nos pérégrinations psychiques, et le vécu se désintègre dans une exégèse mentale qui se réinvente au fil du temps. Je ne saurais pas mieux aborder l’exposition Carte blanche à Tino Sehgal, qui a lieu en ce moment au Palais de Tokyo.

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Comment parler de ce qui ne se raconte pas, d’une œuvre intraduisible ? Si je devais expliquer l’exposition en un mot, ce serait “mindfuck”, en trois mots, “Platon sous kétamine”. Malheureusement, ces pirouettes imagées ont leurs limites. Je vais donc essayer de convoquer le plus de mots possibles, afin de transmettre au mieux cette expérience à la fois olfactive, esthétique, visuelle, auditive et sensuelle, cette errance ontologico-artistique, à travers les 13 000 m2 de surface d’exposition du Palais de Tokyo. L’expo s’appelle donc Carte blanche à Tino Sehgal. L’artiste s’est permis de convoquer quelques amis à lui, Daniel Buren, James Coleman, Félix GonzálezTorres, Pierre Huyghe, Isabel Lewis et Philippe Parreno, afin de produire une œuvre totale, organique et éphémère. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Eh bien imaginez tout l’espace d’exposition du Palais de Tokyo mis à nu, des murs blancs, quelques installations minimalistes, dont certaines semblent accidentelles, le tout envahi d’acteurs jouant les œuvres d’art zombies. Sans tableaux, sans gros machins post-modernes dans tous les sens, on se rend compte que l’espace peut lui aussi devenir une œuvre, de la même manière que les humains qui se meuvent, chantent ou parlent, sont eux aussi des œuvres.

devant une scène recouverte de mousse. Hypnotisée, je ne remarque pas les gens qui marchent, autour de moi, suivant une chorégraphie dont la consigne m’échappe. Ils me font si peur que je décide de les ignorer. Ainsi commence mon parcours, qui durera près d’une heure et demie. En bas, je passe de salle en salle, de déconvenue en déconvenue. Dans une pièce, une petite fille s’adresse à nous, nous raconte une histoire étrange, sans début ni fin. Si vous trouviez les enfants acteurs étranges, les enfants œuvres d’art le sont encore plus. Je sors, au milieu d’une de ses phrases, et là, à ma grande stupéfaction, me voici évoluant au milieu d’hommes et de femmes, figés, psalmodiant des chants extraterrestres. La beauté de l’instant me saisit, j’aimerais les imiter, mais c’est comme si pour eux je n’existais pas. C’est étrange, une œuvre qui ignore le spectateur. Bref. Dans une autre pièce, plongée dans le noir, des images sont projetées sur un écran. Je ne m’y éternise pas. Ailleurs, des gens chantent et dansent, dans le noir. J’attends que mes yeux s’habituent à l’obscurité, et, une fois que je suis en mesure de distinguer leurs silhouettes, je m’absorbe un moment dans le mystère de leur nuit. Plus loin, une fuite d’eau crée une petite ambiance film d’horreur coréen. Alors je m’échappe, pour retourner au premier étage. Là, un petit garçon vient me chercher, il veut savoir ce qu’est le progrès, pour moi. Je suis gênée, je lui demande son avis, mais il reste interdit. Je lui dis que je n’en sais rien, pour certains, c’est aller de l’avant, pour d’autres, revenir aux valeurs du passé. De toute façon, ma réponse importe peu. Un type de mon âge prend le relais. Il veut savoir où j’ai voyagé, ce que je fais dans la vie. Quand je lui pose une question, il l’évite. Puis une jolie quadra

Platon sous kétamine

Au début, ma première réaction fut un éclat de rire, trahissant une gêne intense. Je me pointe au premier étage, un type me fait un break-dance chancelant, et me demande « c’est quoi l’énigme ? » J’ai envie de répondre « c’est toi l’énigme », mais au lieu de ça, je glousse. Pour me punir, il me dirige vers le sous-sol. Là, je me retrouve 28


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Carte blanche à Tino Sehgal Jusqu'au 18 décembre Au Palais de Tokyo 30


vient à ma rencontre. Elle m’explique que sa mère ne savait pas nager, mais qu’elle lui a appris à nager. Je commence à sérieusement flipper. C’est là qu’une vieille dame me prend la main, pour me raconter son expérience en RDA. Elle me guide jusqu’à un escalier, nous descendons les marches. J’ai l’impression d’être Orphée, guidée par Charon jusqu’aux enfers. Je ne crois pas si bien dire. En bas des marches, l’autel végétal me sourit, et la vieille dame a disparu. Je pense “waw”, et “fuck”, et “bâtard”… J’aimerais demander des explications, chercher le responsable, mais je suis seule, et les zombies chantent à nouveau. Ainsi, nous sommes face à un nouveau genre d’œuvre. Celle-ci ne peut évidemment pas entrer sur le marché de l’art, ni être achetée par un collectionneur. Elle n’est pas palpable, ni même transmissible. Elle n’a pas de cadre. Elle se contente d’être, puis d’avoir été, quand l’exposition aura fermé ses portes. C’est plus qu’une performance ou qu’un happening. Tino Sehgal et ses amis touchent ici à quelque chose de métaphysique, qui nous interroge, nous, et ce que nous attendons d’une œuvre d’art. C’est subtil, c’est vicieux aussi, ça vous heurte, vous cherchez un sens, en vain. Vous êtes confrontés à votre désir de raison, de but, or cette œuvre est à elle-même sa propre fin, pour reprendre des termes kantiens. Le spectateur est touché, mais rien ne lui est imposé.

construit. On dépasse ainsi le stade de simple regardeur, tel que théorisé par Duchamp, pour aller vers quelque chose d’autre, que je ne saurais qualifier. Wordsworth parlait des yeux de l’esprit. L’expression est parlante. Ici, ce sont les yeux de l’esprit qui forgent l’œuvre, durant l’exposition, et après, le temps que tout décante et que l’on puisse s’en faire une idée. Ce qui rend la chose encore plus compliquée, c’est sans doute la présence d’humains. Ils sont semblables à nous, mais ils sont œuvres, et nous ne le sommes pas. Si j’ai songé à aller leur parler, je n’ai pas réussi. Nous avons à leur égard la même révérence que pour les objets d’art. Leur parler serait aussi absurde que de s’adresser à une odalisque d’Ingres au musée d’Orsay. Ainsi, les artistes jouent avec les frontières de l’œuvre, de la même manière que la fuite d’eau aurait pu n’être qu’une fuite d’eau, dans le dédale souterrain du Palais de Tokyo, un non-événement, voire un désagrément. Eh bien non, cette fuite est art, et en tant qu’art, nous la respectons.

Bienvenu dans le royaume de l’immanence

Tout tient à la beauté de l’instant. Bienvenue dans le royaume de l’immanence. Cette œuvre, si elle devait être conservée, ne pourrait l’être que dans le regard et l’esprit du spectateur. L’œil fait partie de l’œuvre, et la

L’expo, finalement, nous confronte à notre besoin de fin, en tant que finalité et finitude. Nous cherchons le but, nous cherchons le début et la fin. Seulement, l’expo est circulaire, et sous ses airs de chasse au trésor artistique, elle ne fait que nous perdre un peu plus. Pour conclure, je ne saurais que vous inviter à tenter l’expérience. Il vous reste 58 jours. Allez, ce n’est pas si désagréable, un petit gang bang artistico-intello.

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1 mois, 4 films, 4 avis

CINÉMA

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Tu ne tueras point de Mel Gibson Sortie le 9 novembre

Appuyé par une histoire vraie à la sauce blanche américaine sans harissa, Gibson nous jouit sur la tronche de sa déviance moralisatrice et puritaine pour délivrer le message le plus régressif de notre époque guerrière. Se battre sans armes, refuser la violence pour sauver l’Humanité à travers la vie. Connerie biblique à endormir la grand-mère sénile qui traite les Arabes de bougnoules envahisseurs dans sa maison de repos, somnolence sectaire digne du pull sur épaules du témoin de Jéhovah. Révoltant.

Gorge Cœur Ventre de Maud Alpi Sortie le 16 novembre

Sensation obscure du festival du film de Locarno, Gorge Cœur Ventre se veut une tribune ouverte à l’angélisme vegan, filmant un abattoir comme les couloirs de la mort d’Auschwitz. Images choc à dégueuler certes, mais ce qui scandalise, c’est le parallélisme malsain et régressif entre l’œil d’un punk à chien et le regard d’un bovin. Mélanger esprit et instinct est une erreur philosophique fondamentale qui enterre profondément cette vaine tentative de cinéma. L’image est laide, mais le son sauve quelque peu la mise, le métal et le beuglement des bêtes glacent un sang rouge d’humanité. RDV à l’Hippo’ après le film.


Il n’en fallait pas plus comme réponse à notre société complotiste, paranoïaque et tellement à court d’idées qu’elle reproduit sans cesse dans un labyrinthe monoforme les erreurs du passé, qu’une mise en scène léchée de Zemeckis. Un joli petit couple Pitt/Cotillard, mais si la meuf était une boche aux cheveux colorés ? Le mal est caché, le mal a les yeux fermés. En plein cœur de cible, Alliés est cinématographiquement sans ambition, mais son message tombe à pic. Pour réfléchir, et toujours mieux choisir ses ennemis que ses amis.

Ma’Rosa de Brillante Mendoza Sortie le 30 novembre

Le fait qu’un obèse brésilien suintant et ronflant l’odeur âcre d’une soupe polonaise soit tenté de s’endormir sur mon épaule frêle et fragile n’est pas la cause de mon rejet. Mendoza fait son Mendoza, c’est long et barbant, ça se veut coup de poing mais ça finit en caresse poil, à peine le doigt rentré. Immersion quasi-documentaire mais filmée comme un téléfilm rétrograde dans une famille philippine qui tente de s’en sortir en dealant de la crystal meth. L’émotion est nulle, la violence gratuite et le message vétuste et surinterprété. Un raté de la sélection cannoise 2016 mais qui finit avec un prix d’interprétation pour l’actrice principale en surjeu constant : no comprendo amigo.

Par notre cher Pierig Leray

Alliés de Robert Zemeckis Sortie le 23 novembre

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CINÉMA DE MINUIT � T CARMEN BRAMLY

ZARDOZ

DE JOHN BOORMAN (1974)

Zardoz, c’est le genre de film qui laisse sur la glotte le même arrière-goût de mystère et d’incompréhension qu’une exposition vivante au Palais de Tokyo ou qu’une performance chantée de Yoko Ono. On se demande pourquoi, mais ça existe, et même si l’on s’acharne à déchiffrer l’énigme, elle demeure, petit chancre de malaise nous

renvoyant à nos bas instincts cartésiens, qui nous poussent sans cesse à donner du sens aux choses. Il serait extrêmement présomptueux de ma part de dire que j’ai tout compris à Zardoz, mais voici un petit guide, subjectif, pour mieux s’y retrouver, si d’aventure Zardoz vous tentait.

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Zardoz est un film de science-fiction, réalisé et produit par John Boorman, et sorti dans les salles en 1974. Honni par la critique, le film est l’œuvre la plus vilipendée du réalisateur britannique, célèbre pour des films tels que Délivrance, avec Burt Reynolds en tête d’affiche, ou encore L’Exorciste II. Et pourtant, sous ses airs de gag futuristico-kitsch, le film peut s’apparenter à une ontologie hallucinée, un véritable bijou en deux dimensions, et pas seulement pour la performance de Sean Connery, aka Zed, guerrier en slip kangoo et cuissardes de dominatrice. Le film s’ouvre sur un enturbanné à large moustache, dont on ne voit que la tête, imitant une balle se déplaçant sur un écran de veille. Sur un ton “houdiniesque”, il nous explique qu’il est Zardoz, âgé de 300 ans, et qu’il va nous présenter son histoire, « pleine de mystère et d’intrigue, riche en ironie, et pour le moins satirique ». Si l’intro est un peu cheap, au moins tout est dit. Zardoz est une satire, une satire de notre société autant qu’il est une satire de film. Un processus bâtard de distanciation brechtienne est ici à l’œuvre, pour qui voudrait briller en société. Mais Zardoz, ça raconte quoi, au juste ? 2293. Le dieu Zardoz, tête de pierre géante (un genre de Hall sous influence Commedia dell'arte), s’avance dans le ciel, accompagnée par la 7e symphonie de Beethoven, et régurgite des armes, rattrapées par des guerriers en culotte rouge. Il intime alors à cette bande de joyeux lurons de tuer les “brutaux”, de simples humains, pour les empêcher de se reproduire. C’est là qu’intervient Zed. Poussé par la curiosité, il s’introduit à l’intérieur de la tête, où il découvre le vortex, et atterrit dans un monde à première vue idéal, celui des “éternels”. Il y croise la délicieuse Consuella, jouée par Charlotte Rampling, dont il deviendra tour à tour objet d’effroi, d’étude et de fantasme. 36

Premier constat, le film présente une vision aussi pessimiste que dualiste de notre avenir. D’un côté, on a les humains, mortels, séparés en deux castes : “les brutaux” et “les exterminateurs”. Les uns réduisent les autres en esclavage, et ce afin de pouvoir fournir suffisamment de nourriture à une troisième caste, “les éternels”, un groupe d’intellectuels immortels, reclus dans le vortex. Seulement tout n’est pas rose dans ce pays de cocagne. Si les filles sont légèrement vêtues, rappelant un peu le Satyricon de Fellini, plus personne ne fornique, et l’on souffre d’une forme d’apathie morbide, dans une ambiance salon de thé élisabethain sous kétamine. Pas la folie. Ils ont beau vivre coupés des Hommes, qui survivent tant bien que mal dans l’espèce de friche post-apocalyptique qui leur sert de terre, leur vie se résume tout de même à philosopher, manger, et philosopher à nouveau. La vacuité à l’état pur. Parmi les éternels, il existe tout de même un groupe de dissidents, mais ces déglingos arcadiens vivent parqués, et condamnés à la sénilité. Autrement dit, le seul moyen de s’éclater un peu, c’est d’avoir des rides et plus de dents. Bref, le film nous présente une société d’intellectuels impuissants et oisifs, très codifiée, dont l’immortalité est due à un gros cristal, relié à l’esprit de tous les “éternels”, conservant leur mémoire. Une société sans fin, sans but et sans mort, dont le salut ne peut se faire qu’à travers sa destruction totale, ou un nouveau départ. Mais Zardoz, c’est aussi l’apologie du savoir empirique. Zed est en vérité un mutant, qui s’est éduqué seul, dans une bibliothèque en ruine, située à l’extérieur du vortex. Sa lecture du Magicien d’Oz lui a permis de faire le lien entre la tête volante (Zardoz… contraction du titre anglais The Wizard of Oz) et l’histoire d’un magicien caché derrière un masque. Ainsi, Zed est un déicide. Il tue l’illusionniste, le faux dieu, Zardoz, tel qu’il se


décrit lui-même en introduction, et révèle la supercherie. Le chaos qui règne dans cette société d’ordre n’est pas l’apanage du divin, mais bien de l’humain. Zardoz s’inscrit donc dans une logique post-moderne, celle d’un monde sans dieu, où l’homme est condamné à errer sans fin (dans le sens de finalité), jusqu’à sa fin. Sinon, et ce sera ma conclusion, vous pouvez oublier toute interprétation ésotérique et verbeuse, pour vous pencher sur la véritable morale de ce film : faites l’amour et crevez après, sinon, vous allez sacrément vous emmerder. Zardoz, finalement, c’est avant tout l’apologie de la virilité. Sean Connery

y est montré avec tous les attirails d’une masculinité guerrière et affirmée. Sans parler de pilosité ou de string en peau, le scénario semble avoir été écrit à cette seule fin : montrer un homme, un vrai, pour faire pleuvoir dans les petites culottes. A mon sens, Zardoz inaugure un sous-genre du cinéma érotique. Sous couvert de discours philosophique, on suggère sans cesse l’acte sexuel, réprimé chez les “éternels”, pour vous émoustiller à force de simulacres débraillés. Imaginez des préliminaires de manchots, et vous aurez une idée de l’effet produit par ce film sur les consciences. Voilà pourquoi il est impératif de voir Zardoz, chef-d’œuvre mésestimé du cinéma mondial. 37


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TÉLÉVISION � T RAPHAËL BREUIL

STRIP TEASE SE DÉSHABILLE

Quelques notes de musique tziganes qui rappelle les vendredis soirs pour les plus vieux d’entre nous. Si la série de films docu est restée aussi culte, c’est certainement à cause des mystères gardés par ce qui semble être plus une tour d’ivoire qu’une société de production. Nous avons enfin trouvé le moyen de percer quelques secrets grâce à ce livre de Mathieu Ortlieb. Aujourd’hui, le réalisateur de plusieurs épisodes restés dans les anales raconte dans « Mes Plus belges années » le Strip Tease de l’émission qui vous a déshabillé pendant 20 ans.

Alors ce livre, c'est quoi ? Dans quel but le sortez-vous ? Il me fallait faire le point sur ces années de ma vie, mais plus encore, je voulais prolonger, faire revivre cette expérience, transmettre ce parcours singulier qui pour moi fut déterminant. Récit d’initiation ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Avant tout j’ai souhaité dans cet ouvrage être fidèle aux évènements vécus, du moins au souvenir puissant que j’en garde : il s’agissait d’éviter – principe que je me suis imposé tout au long de l’écriture – de verser dans une manière 39


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de polémique, de ressentiment par rapport aux producteurs avec qui j’ai travaillé durant cette période, laquelle fut tout… sauf un long fleuve tranquille. Du début à la fin, mon intention aura été de prolonger en quelque sorte les films que j’ai réalisés (ou rêvés) pour l’émission Strip-tease, ces choses que j’avais coutume à l’époque de nommer "nouvelles documentaires". Quand avez-vous entendu parler de l'émission pour la première fois ? L’année où j’ai réalisé le Docteur Lulu, en 1994, et ce tout a fait par hasard. Un jour où j’étais en train de paresser devant le petit écran en zappant sur les chaînes, je suis tombé sur un moment de télévision que je n’avais jamais vu. J’avais l’impression que les ondes avaient été piratées. Il s’agissait d’un portrait d’un sénateur ventripotent. Je suis resté abasourdi par la forme de récit qui s’apparentait davantage à une écriture proche de la fiction… sans en être. Comment est-ce que vous trouviez les gens ? Je me souviens qu’à cette époque, que je sois dans le bus, dans le métro ou dans la rue, j’ouvrais grand mes écoutilles au cas où je débusquerais une histoire qui vaille la peine d’être développée. Une fois, j’ai suivi dans un centre commercial deux jeunes qui draguaient. Ils avaient un bagou incroyable et cela a suffi à m’encourager à les poursuivre pour les observer un long moment. Jusqu’au moment où ils ont cru qu’ils étaient suivis par un flic… Comment faisiez-vous pour leur faire accepter le tournage ? En ce qui me concerne, j’avais pour méthode de ne rien cacher aux personnages que j’abordais : je leur annonçais d’entrée de jeu qu’il s’agissait de les filmer dans le cadre de l’émission Strip-tease. Je préférais agir de la sorte pour ne pas

risquer de me retrouver, après avoir repéré plusieurs jours et parfois même plusieurs semaines, à essuyer des refus. Je jouais la transparence et je donnais clairement aux personnes que je sollicitais les raisons pour lesquelles je désirais faire un sujet sur eux. Le montage était-il validé par les personnages que vous filmiez ? Non. En ce qui concerne le montage, il a toujours été exclu de montrer le film (où les rushs) aux gens que nous filmions. Non pas dans l’idée de les piéger, mais parce qu’il était évident que si nous avions procédé de la sorte, nous n’aurions pas réussi, à mon sens, à raconter les histoires avec autant d’authenticité. Nous aurions sans doute été confrontés à des remarques liées à des détails de la vie, du style : « oui, mais là je suis mal coiffé… » « non mais là, j’ai bafouillé » où bien « il faut enlever cette image parce que l’on voit que j’avais pas fait ma vaisselle ». Toutes ces remarques auraient dénaturé l’ensemble du récit et notre regard. Y a-t-il eu des épisodes que vous regrettez de ne jamais avoir réalisés ? Beaucoup. Et c’est entre autres la raison de ce livre. En particulier, il y en avait un qui me tenait particulièrement à cœur. Je regrette encore aujourd’hui de n’avoir pas réussi à convaincre mes producteurs. C’était le portrait d’un jeune curé de campagne qui était mal vu dans son village parce que la rumeur disait qu’il avait une liaison… Mon objectif était de réaliser le portrait de ce curé à travers les médisances du village. Un film sur la rumeur, en quelque sorte. J'ai rencontré une fois un jeune homme que j'avais vu dans un Strip-tease. Je lui ai demandé comment ça s'était passé et il m'a dit qu'il avait l'impression de s'être "fait niquer" par la prod'. Est-ce que c'est 41


vrai que vous avanciez masqués ? Je ne peux absolument pas répondre à la place des réalisateurs et des réalisatrices, ni au nom de la prod', mais en ce qui me concerne, j’avais coutume d’annoncer, dès le premier jour, qu’il s’agissait de l’émission Strip-tease. Enfin, je pense que chacun avait sa méthode et personne n’est à l’abri de maladresses, mais tout cela m’étonne, étant donné que nous étions tenus pour des raisons de production de faire signer une autorisation de tournage aux protagonistes que nous filmions. Il y a aussi des gens qui ont dit qu’on leur faisait signer sur un coin de table ces autorisations et qu’ils avaient été piégés parce qu’ils n’avaient pas eu le temps de lire ce qui était écrit, alors que cela ne dépassait pas quatre lignes… Avez-vous eu un jour un cas de conscience à priori ? à posteriori ? Les seules fois où j’ai eu un cas de conscience sur un sujet, pour une raison où une autre, j’ai toujours décidé d’abandonner cette piste. Cela m’est arrivé concernant un sujet sur les naissances multiples. J’ai rencontré un jeune couple qui attendait des triplés. Je les ai suivis pendant plusieurs mois. Le jour de l’accouchement, un des triplés est mort. J’ai décidé d’interrompre le film. Je ne voulais pas basculer dans le pathos. Pensez-vous que parfois Strip-tease soit allé trop loin ? Le dernier sujet qui a fait tant de polémique dans Strip-tease et qui semble-t-il a signé l’arrêt définitif de l’émission, m’a mis personnellement mal à l’aise. Il s’agissait je crois de Recherche bergère désespérément. Ce n’est pas en soi le choix du sujet qui m’a troublé, mais le point de vue de la réalisation et en particulier l’utilisation, mal venue, dans une séquence, du micro, où l’on entend le personnage tellement désespéré qu'il menace ses parents de mettre fin à ses jours. 42

Personnellement, je n’aurais jamais monté cette séquence. Je pense que dans ce film, il y a eu un dérapage lié sans doute à l’urgence de produire. Mais ce qui est particulièrement paradoxal, c’est que les responsables de France Télévisons n’ont rien vu venir et suite à cette polémique, ont décidé de suspendre l’émission… Enfin, il y a plus de 800 films qui ont été réalisés dans cette émission et on ne retient que celui-là ? C’est pour le moins surprenant. Certains disent que la seule différence entre Strip-tease et des émissions comme Tellement Vrai ou Vis ma vie, c'est le montage, la voix off et la musique. Vous êtes d'accord avec ça ? Non et à ce propos, je vous dirai ceci : les émissions que vous citez illustrent des propos au lieu de filmer des choses qui sont convaincantes par elles-mêmes. C’est justement le contraire de Strip-tease. L’objectif premier de ces émissions est de filmer des faibles pour en faire des phénomènes de foire. Alors que l’objectif de Strip-tease même si on peut parfois lui reprocher d’avoir été quelques fois borderline, on peut lui reconnaître une qualité -, c'est de raconter des histoires ; de construire des récits. Enfin, l’idée maîtresse de Strip-tease n’était-elle pas de se rapprocher d'un langage qui est celui de la fiction ? Filmer des rapports entre les gens ? Des gens qui se parlent, quelque chose qui évolue presque comme une intrigue ? On est bien loin des émissions comme Tellement vrai où Vis ma vie. Pour moi les émissions que vous citez ont paradoxalement une totale incapacité à filmer le réel, et sont très éloignées de l’univers de l’émission Strip-tease.

— Mes plus Belges années Mathieu Ortlieb


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CLUB �

AGATHE GIRAUDEAU P CAMILLE DE 10DAYS

T

SALÒ UNE NUIT PARMI LES 120 DE SODOME L’annonce est tombée sans qu'on ne s’y attende : Salò ouvre ses portent, sur les cendres de ce qui fut un temps le temple de la nuit underground, fin 2000. Porté par un espoir de résurrection mêlé à une nostalgie doucereuse, l’antre du défunt Social écarte de nouveau ses cuisses pour les irréductibles insomniaques, les mondains, les artistes. Alors que beaucoup ont pleuré la fermeture d’un Social qu’ils boudaient jusqu’alors, que d’increvables parasites teubés accusaient une mort subite et que tous l’ont laissé périr sans mot dire, le 142, rue Montmartre

s’est brusquement relevé. Il me fallait le voir pour le croire. Quelque part motivés par l’ado droguée que j’étais quelques années auparavant, les bains de foule et les courbettes font également partie de mes obligations professionnelles. C’était d’une pierre deux coups, back to basics bébé. Je n’ai jamais été ponctuelle, cette disposition pratique est semble-t-il proscrite de mon ADN. Arrivée à destination aux alentours de 23h, j’avais donc raté l’intégralité des performances, du ballet boulevardier en face des objectifs de la hype, du tour de chauffe, de 45


ce qui se fait partout. C’était l’heure d’entrer dans le vif du sujet, de voir ce que Salò avait véritablement dans le ventre. Une foule informe s’amassait à l’entrée. C’était le grand le soir, il fallait y être, il fallait pouvoir en témoigner, le snaper, l’instagramer, quitte à attendre dans la fraîcheur des premiers surgeons hivernaux. Le pas posé à l’intérieur, aucun bouleversement critique. Déambulant vers le cœur de l’enfer, je tilte alors que non, je ne suis pas en train de revivre un mauvais rêve. Ces écrans disposés sur les parois de la glissière qui diffusent en continu des extraits de Pasolini changent la donne, crient à la renaissance. Salut Salò, ça va ? Je sais que ces gens que j’observe se dandiner sur de l’électro au cœur d’un bâtiment éclaté n’ont jamais lu le Marquis de Sade. Je sais que peu d’entre eux ont supporté la vue du film de Pasolini. Et moi non plus, d’ailleurs. Ces gens sont mes amis, pour la plupart des crevards de la presse, de la mode et de la com' au sens large. Que la fête commence ! Etonnamment, Salò a du charme avec ses murs déchiquetés, ses bâches et ses planches de bois disposées ça et là faisant office de meubles, de bar. Cet esprit industriel tranche avec la coquetterie des convives. La pré-ouverture du Salò : squat 2.0. Voilà un chantier agréable dans lequel il fait bon vivre. L’espace a été repensé, c’est quand même cool de réussir à se promener. Autour de moi, tout le monde a l’air ravi. Je ne sais pas si les vapeurs d’alcool y sont pour quelque chose, mais la chaleur ambiante semble crisper des sourires sur une majorité de faciès. « Club artistique consacré aux mouvements alternatifs attachés aux principes de contre-culture, d'indépendance 46

ou de libre-expression » qu’on m’a dit avant de venir. Pourquoi pas. Il règne effectivement ici une ambiance de créa, ça se tape sur l’épaule, ça s’émerveille du projet et c’est tant mieux. De là à parler de subversion, on verra à l’ouverture effective du 10 novembre prochain. La musique est bien, je suis contente, et je suis super bourrée, aussi. Mon corps se dirige vaillamment vers la piste de danse. Les sons s’enchainent sans accrocs. Dans son mini booth, le (la ?) Dj opère modestement pour le plaisir de tous. Pour une fois qu’une bande de connards ne s’entassent pas derrière lui, c’est plaisant. Les plus avides d’altitude ont su se hisser sur l’estrade pour rôder leurs sauts de chat. Je suis en bas, je les observe. J’ai tout de même franchement l’impression de participer à une réunion d’anciens élèves Bromance qui aurait dérivé en demolition party, ce spectacle est grandiose. Donc, Salò c’est tout nouveau, Salò c’est pas le Social, Salò c’est l’avenir de la nuit. Ok. Jusqu’ici y’a de l’idée. Je salue l’effort, la scénographie et le résultat d’un premier jet plus que prometteur. Cependant, et même si l’envie de se démarquer de l’identité première du 142, rue Montmartre reste légitime, Salò m’a surtout l’air d’un Social qui a grandi, mué en une jolie amazone un peu queer qui fourmille d’idées novatrices et de projets artistiques. Ce qui est bien, c’est que nous aussi on a grandi et qu’il paraît donc intuitif de suivre le rythme. Telle une Miley Cyrus s’arrachant sa perruque blonde de pauvre Texane Walt Disney, Salò a brûlé les derniers oripeaux d’une époque révolue, pour le bien-être commun. Merci, c’était chouette, du peu que je me souvienne.


Salò 142, rue Montmartre 75009 47


AGENDA �

DIMANCHE 6 NOVEMBRE • 15h30 Trianon 28€ Klockworks : Ben Klock, Dvs1, Etapp Kyle, Heleen Blanken JEUDI 10 NOVEMBRE • 00h La Machine du Moulin Rouge 25€ Dure Vie : Jeremy Underground, Lazare Hoche, Masomenos, Mall Grab, Serraw 00h Djoon 10€ A night with Chez Damier 00h Rex Club 20€ Transmat 30th Years Anniversary: Derrick May, Francesco Tristano Live, Hiroshi Watanabe VENDREDI 11 NOVEMBRE • 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr 00h Faust 18€ Faust 2 Years: Kölsch 00h Rex Club 15€ Smallville with DJ Sprinkles, Dionne & Jacques Bon SAMEDI 12 NOVEMBRE • 23h30 Zig Zag 15€ Zig Zag x Traumer Invite Yakine & Volkan Akin 22h Concrete 15€ [Soma 25th Anniversary] : Slam, Funk D'void, Master H, Charles Fenckler, Einka JEUDI 17 NOVEMBRE • 23h La Machine du Moulin Rouge 28€ Family Reunion with Theo Parrish all Night, Yussef Kamaal 4tet Live

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00h Rex Club 8€ D.KO VS Mamie's VENDREDI 18 NOVEMBRE • 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr 00h Faust 15€ Le Camion Bazar with Romain Play SAMEDI 19 NOVEMBRE • 00h Rex Club 15€ Michael Mayer All Night Long 22h Concrete 15€ [Dystopian]: Rødhåd, Milton Bradley, Don Williams, Byetone Live, Jon Hester JEUDI 24 NOVEMBRE • 00h Bataclan 23€ Laurent Garnier, Arnaud Rebotini (Live), Gordon b2b Voiron SAMEDI 26 NOVEMBRE • 20h Concrete 15€ John Talabot, Leo Pol Live, LB aka Labat / Woodfloor: Junki Inoue, Felix VENDREDI 2 DÉCEMBRE 23h Djoon 15€ Confluence with Antal 'All Night Long 20h Concrete 15€ Levon Vincent, Scott Grooves, Francois X, D'marc Cantu Live SAMEDI 3 DÉCEMBRE • 00h Bus Palladium Bonbon party, invitations sur lebonbon.fr


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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


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