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PHARMACIEN À TEMPS PLEIN
Entrevue avec Marc-Antoine Dufresne, pharmacien communautaire
PAR PÉNÉLOPE LEGAULT (III)
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Quel est ton parcours?
Je suis un jeune pharmacien de 23 ans tout récemment diplômé ayant eu ma licence à l’été 2021. Après avoir fait mon cégep au Cégepde-la-Gaspésie-et-des-Îles, j’ai quitté ma Gaspésie natale pour poursuivre mes études dans la grande ville. Je suis rentré directement au Pharm. D. à Montréal où j’ai fait mes 4 ans d’université. Pendant mes études, j’ai travaillé dans une pharmacie communautaire. Ce n’était pas toujours facile de concilier travail, étude, loisir et vie personnelle, mais ça m’a tellement été bénéfique, autant pour les stages que pour la matière et le côté « pratico-pratique ». On le répète souvent que c’est utile, et c’est vrai.
Qu’est-ce qui t’as mené à ton lieu de travail actuel?
Comme pour plusieurs, je travaille comme pharmacien dans un de mes milieux de stage. La recherche d’emploi est quelque chose qui me stressait beaucoup, mais j’ai été chanceux puisque c’est le propriétaire de mon premier milieu de stage qui a démontré un intérêt à me garder dans son équipe. Lui et ses associés possèdent trois pharmacies : une dans le Village proche de Berri-UQAM, une sur SteCatherine Ouest proche de l’université Concordia et une dans Westmount. Présentement, je me promène beaucoup entre la pharmacie dans le Village et celle proche de Concordia ; ce sont deux pratiques complètement différentes!
Celle dans le Village est proche d’une clinique de santé sexuelle et d’une clinique de fertilité. On voit beaucoup de patient.e.s avec des hépatites, le VIH, des ITSS, en plus de faire de la fertilité. Celle proche de Guy-Concordia a une clientèle différente. Nous avons beaucoup d’étudiant.e.s, des patient.e.s sous le programme de méthadone, ainsi que des patient.e.s venant du CUSM ce qui nous fait une clientèle très variée. Même si les deux pharmacies sont sur la rue Ste-Catherine, ce sont deux univers différents.
Comment se passe l’adaptation des bancs d’école à la pratique en communautaire?
Ça s’est bien fait! Ce que j’aime beaucoup c’est d’avoir un horaire atypique. Ça brise la routine et ça me permet de toujours voir quelque chose de nouveau. Je me serais ennuyé en faisant du 9 à 17h. Je vais être honnête, j’étais aussi épuisé du contexte académique et de ne jamais pouvoir décrocher en arrivant à la maison. Là, enfin, quand je finis à 17h, ma tête est plus libre. Je peux faire des activités sans me sentir coupable.
Ce qui est le plus difficile, c’est
de devenir un adulte autonome. Les mots « REER », « CELI » et tous les types d’assurances (invalidité, collective, etc.) sont encore un peu flous pour moi. Ma plus grosse adaptation c’est d’avoir une vie d’adulte.
Quelles étaient tes appréhensions à tes débuts en tant que pharmacien?
Ce qui me stressait le plus, c’était d’oublier mon numéro de licence. Finalement, tu l’apprends rapidement comme si c’était ta date de naissance.
Blague à part, ce que j’appréhendais le plus était d’être perçu comme le petit nouveau, de ne pas être sollicité par mes collègues et que mes opinions ne soient pas prises en compte, autant par mes collègues que les patient.e.s. Il m’est déjà arrivé en stage qu’un.e patient.e refuse de me parler, demandant à voir le/la vrai.e pharmacien.ne. La relation de confiance avec les patient.e.s est très importante pour moi et c’est ce que je cherche beaucoup à développer. Dans 99% des cas, ça se passe très bien. Le seul petit accroc c’est que la première fois que j’ai voulu vacciner quelqu’un, je lui ai dit que c’était ma première fois et la personne a refusé que je le fasse. Depuis, j’ai passé des journées complètes à vacciner et tout va bien.
Comment se sont déroulées tes premières semaines?
Ce qui a été le plus demandant, c’est d’apprendre à gérer une chaîne de travail et les priorités. Au début, il m’est arrivé de rester une ou deux heures en temps supplémentaire pour terminer mes notes, mes prescriptions en attente ou pour bien regarder les derniers labos d’un.e patient.e. Ça me décourageait, j’avais peur que ce soit le cas tous les soirs. Depuis, j’ai appris à gérer mon temps et mes priorités, et il m’arrive rarement de faire du temps supplémentaire. Au final, tout se passe très bien.
Lors de la transition vers le rôle de pharmacien, as-tu trouvé des éléments plus faciles que prévus?
Avant, je voulais avoir la réponse à tout et j’avais peur de ne pas savoir certaines choses. Maintenant, je réalise que c’est correct et normal de ne pas pouvoir répondre à toutes les questions. J’accepte mieux que je ne suis pas l’omnipotence de la santé, même si le.la pharmacien.ne reste un.e professionnel.le très accessible. Aussi, les sorties d’hôpital, ce n’est pas si pire finalement! Si tu prends le temps de bien les regarder, de comparer le avant/après, ça se fait bien. De plus, l’entraide et la coopération entre collègues aident beaucoup.
Qu’est-ce qui t’a aidé à t’adapter à tes nouvelles responsabilités?
De ne pas hésiter à écrire à nos ami.e.s quand on a des questions, même une fois qu’on est pharmacien.ne. C’est bien d’en parler avec nos collègues dans notre milieu de pratique, mais il m’est arrivé quelquefois de me tourner vers mes ami.e.s soit en pratique communautaire ou à la maîtrise en pharmacothérapie avancée. Ça permet d’avoir diverses opinions. Ce qui m’a aussi aidé c’est d’avoir eu des milieux de stage très différents les uns des autres. Ça élargit notre éventail de ressources.
Quels sont tes incontournables en pratique?
Les guides de l’INESSS! À chaque fois que j’ai une prescription d’antibiotique, je me réfère à l’INESSS pour vérifier les posologies. Le site de l’ABCPQ avec les algorithmes et le guide de pratique de la loi 31 me sont également très utiles. Aussi, tout dépendant du type de « spécialité » de votre milieu de pratique (fertilité, préparation magistrale, VIH, produits vétérinaires, etc.), il peut être intéressant d’investir dans certains ouvrages ou de demander à votre pharmacien.ne propriétaire quels types de ressources sont à votre disposition.
Quel élément de la Loi 31 as-tu le plus intégré dans ta pratique?
La prescription de MVL! Si un.e patient.e me décrit des symptômes classiques d’une certaine condition, je peux parfois lui prescrire le médicament au lieu de simplement le recommander.
De cette façon, ce sera couvert par ses assurances et moins cher. Par contre, c’est primordial de faire une bonne consultation MVL puisqu’on devient le prescripteur et on assume la responsabilité du/ de la patient.e. Il faut expliquer aux patient.e.s qu’on leur donne la première ligne de traitement et qu’il faut consulter un.e autre professionnel.le si jamais ça ne passe pas.
Y a-t-il un élément de la pratique que tu apprécies plus que tu le pensais?
Je me suis découvert un intérêt pour la formation continue, c’est vraiment le fun. On nous en parle un peu durant le Pharm. D., on sait tous.tes que ce sont des heures obligatoires à faire, mais c’est très bien expliqué sur le site. C’est l’occasion de se créer un peu une spécialité comme pharmacien. ne communautaire. Il y en a sur tous les sujets, il faut cibler ceux qui nous intéressent pour ajouter des cordes à notre arc. Au début je me disais : « Je viens de graduer, ça ne me tentera pas de faire de la formation continue. J’en ai fait assez des cours. » Finalement, puisque tu choisis les sujets, ça devient très intéressant.
Si tu pouvais te parler juste avant le début de stages de 4e, qu’aurais-tu aimé te dire?
C’est correct de ne pas tout savoir. Ce qui n’est pas correct, c’est de ne pas mettre les efforts pour trouver une réponse. Ça arrive aussi de ne pas trouver de réponse malgré une bonne démarche, c’est normal. Le plus important, c’est d’expliquer à notre maître de stage où on a été regarder pour trouver nos réponses. C’est ce qui montre notre crédibilité.
Aussi, c’est correct de ne pas aimer un milieu. Même s’ils sont tous très formateurs, certains peuvent être plus exigeants et difficiles. Il faut accepter que certains milieux ne sont pas faits pour nous.
Un mot de la fin pour les étudiant.e.s :
On a beau vouloir le meilleur pour nos patient.e.s, parfois quand on présente nos options, on peut se heurter à un refus. Au final, quand on voit toutes les interventions qu’on fait au quotidien, on sent qu’on fait une différence et on réalise que notre profession a lieu d’être. Il ne faut pas baisser les bras parce qu’on a une moins bonne expérience avec un.e patient.e. Certain.e.s voient la pharmacie comme un tremplin vers une autre profession, mais les vrai.e.s pharmacien.ne.s se reconnaîtront. Ils et elles sauront que leur place est derrière le bureau de consultation, à l’hôpital sur les unités de soins, en recherche ou n’importe où ailleurs. C’est le plus beau feeling, être fier.ère d’être pharmacien.ne.