Léia SANTACROCE
MARSEILLE – USA : LA « NOUVELLE » DIPLOMATIE PUBLIQUE AMÉRICAINE
Marseille, 7 août 2013. Jeunes du centre St-‐Joseph jouant au baseball et au basket avec les Marines de l’USS Truman/Photo de P.A. Schipman pour La Provence
Mémoire de fin d’études Parcours Magistère Relations internationales et action à l’étranger 3e année Préparé sous la direction de M. le Professeur Y. Viltard
Université de Paris 1 PANTHEON-SORBONNE Septembre 2013
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INTRODUCTION Trente cinq ans de prison, c’est la peine à laquelle a été condamné le soldat américain Bradley Manning le 21 août 2013 par une cour martiale1. Son tort ? Avoir transmis à WikiLeaks plusieurs centaines de milliers de rapports confidentiels de l’armée américaine et 250 000 câbles diplomatiques émanant du corps diplomatique des Etats-Unis. Fondé et présidé par l’Australien Julian Assange, hacker patenté reconverti dans lutte pour la transparence sur le web, WikiLeaks existe depuis 2006. Il s’agit d’un site Internet spécialisé dans la divulgation de documents confidentiels provenant de lanceurs d’alerte, ces personnes qui veulent dénoncer des actes illégaux dont elles possèdent des preuves écrites. A l’automne 2010, Julian Assange contacte cinq grands médias de la presse internationale2 (dont Le Monde) pour leur confier les 250 000 télégrammes en question. Cela représente sept ans de correspondance échangée entre le département d’Etat à Washington3 et ses ambassades à travers le monde entre 2004 et 2010. Après un important travail journalistique de défrichage, les médias ont divulgué les dits télégrammes, lesquels constituent en quelque sorte « le rêve de l’historien, et le cauchemar du diplomate »4. Concernant la France, outre les anecdotes croustillantes sur l’anglais pitoyable de Nicolas Sarkozy, l’apport le plus intéressant concerne sans nul doute ce que Le Monde englobe sous les termes de « diplomatie des banlieues et des minorités ». En effet, après les attentats terroristes du 11 septembre fomentés par la cellule islamiste Al Qaeda, le gouvernement américain a modifié en profondeur ses pratiques diplomatiques à l’égard des musulmans du monde entier. En France, cela s’est traduit par un important travail sur le terrain visant à nouer des relations avec les arabes et les musulmans français. D’où les nombreuses dénonciations d’ingérence proférées par les médias français. A compter de 2008, le thème « les Etats-Unis surveillent les banlieues » était presque devenu un marronnier. Le mot « banlieues » a son importance. En effet, tout ce qui a filtré dans la presse francophone des nouvelles pratiques diplomatiques américaines ne concernait que la banlieue parisienne, identifiée par les Etats-Unis comme abritant de fortes proportions de populations issues de l’immigration. Mais quid de Marseille ? Marseille, ville méditerranéenne et cosmopolite, n’attirerait donc pas l’attention des Etats-Unis ? Dans ce travail, nous nous attacherons à montrer le contraire. Après plusieurs semaines d’enquête à Marseille, nous avons récolté de nombreux éléments tendant à prouver que la cité phocéenne, tout comme la Seine-Saint-Denis, est sous l’œil attentif de l’Oncle Sam. Dans notre raisonnement, nous chercherons à déterminer dans quelle mesure l’exemple de Marseille est représentatif des évolutions de la diplomatie publique américaine post-11 septembre. Examinons tout d’abord la notion clé de ces recherches : la diplomatie publique. 1
Damien Leloup et Martin Untersinger, « Le soldat américain Bradley Manning condamné à trente-cinq ans de prison », Le Monde, 22 août 2013 2 Le New York Times, The Guardian, Der Spiegel, Le Monde et El Païs. 3 L’équivalent de notre Ministère des Affaires Étrangères. 4 Citation de l’historien britannique Timothy Garton Ash, cité dans le hors-série du Monde « Les rapports secrets du département d’Etat américain, le meilleur de WikiLeaks »
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La nouvelle diplomatie publique américaine La diplomatie publique n’est pas l’unique apanage des Etats-Unis mais l’expérience américaine en la matière domine les débats sur le sujet. Nous reproduisons ci-après la définition de la diplomatie publique énoncée par Edward Murrow qui fut directeur de l’United States of Information Agency sous l’administration Kennedy : « La diplomatie publique diffère de la diplomatie traditionnelle en cela qu’elle implique des interactions non seulement avec les gouvernements étrangers mais principalement avec des organisations et des individus non-gouvernementaux. De plus, les activités de diplomatie publique véhiculent souvent des visions différentes portées par de simples organisations ou citoyens américains dont la parole vient s’ajouter aux discours officiels gouvernementaux. »5 La diplomatie publique américaine trouve son origine dans la propagande mise en place en période de guerre, puis de guerre froide. En 1953, le gouvernement crée une agence qui centralise les divers programmes de propagande à l’étranger : l’United States Information Agency (USIA). Elle est l’héritière de l’Office of Wartime Information fondé par Roosevelt en 1942 et de l’Office of International Information and Cultural Affairs lancé en 1946 6 . Comme l’écrivent Joseph Nye 7 et Brian Hocking 8 dans leurs travaux respectifs, il ne faut cependant pas confondre propagande et diplomatie publique. En effet, la diplomatie publique ne peut avoir d’effets positifs sur le smart power que si elle repose sur une importante crédibilité. Car c’est bien là l’un des principaux objectifs de la diplomatie publique selon Joseph Nye : accroître le smart power des Etats-Unis. Avant d’exposer en détail la notion de smart power, revenons sur le concept de pouvoir. Pour ce qui est du pouvoir étatique, nous transposons l’énoncé de Robert Dahl aux Etats en avançant que le pouvoir est une relation interétatique asymétrique. Pour schématiser, le pouvoir d’un Etat A sur un Etat B est la capacité de A d’obtenir que B fasse quelque chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A. Cette conception rejoint celle de Michel Crozier pour qui « le pouvoir est un rapport de forces dont l’un peut retirer davantage que l’autre mais où, également, l’un n’est jamais totalement démuni devant l’autre. »9 Comme le rappelle Joseph Nye à longueur d’articles, d’ouvrages et de conférences : le soft power désigne la capacité d’obtenir ce que l’on veut grâce à son pouvoir d’attractivité, et non par la contrainte ou le versement d’argent. Le soft power d’un Etat repose sur ses ressources en termes de culture, de valeurs et de politiques. Par extension, une stratégie de smart power combine habilement les ressources de hard et soft power10. A partir de ces concepts, le professeur américain de relations internationales Walter Russel Mead
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Cité dans Mark Leonard, Catherine Stead & Conrad Smewing, Public Diplomacy, Foreign Policy Centre, London 2002 Gygax Jérôme, « Diplomatie culturelle et sportive américaine : persuasion et propagande durant la Guerre froide », Relations internationales, 2005/3 n° 123, p. 87-106. 7 Joseph S. Nye, Jr., « Public Diplomacy and Soft Power », Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616, Public Diplomacy in a Changing World (Mar., 2008), pp. 94-109, published by Sage Publications, Inc. in association with the American Academy of Political and Social Science 8 Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005 9 Références et citations issues du manuel d’Alain Beitone, Christine Dollo, Jacques Gervasoni, Emmanuel Le Masson et Christophe Rodrigues, Sciences Sociales, Editions Dalloz, Collection Aide-Mémoire, 2007 10 Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005 6
4 ajoute le sticky power11pour désigner le pouvoir d’attractivité économique. Un autre professeur de relations internationales, britannique celui-là, précise qu’il n’est pas pertinent d’associer la diplomatie publique au seul soft power. Selon Brian Hocking en effet, la diplomatie publique puise tantôt dans les ressources du soft, du hard ou du sticky power afin de renforcer le smart power américain12. Comme nous l’évoquions ci-dessus, la diplomatie publique américaine est loin d’être une pratique nouvelle. Déjà dans les années 1950, le Foreign Leader Program permettait aux services culturels des ambassades américaines d’organiser des séjours aux Etats-Unis pour les élites étrangères. Précisons que le Foreign Leader Program est l’ancêtre de l’International Visitor Leadership Program. Le principe, à l’époque, était déjà le suivant : sélectionner les futurs leaders étrangers et les inviter à partir aux Etats-Unis tous frais payés sur une période de plusieurs mois (aujourd’hui, les voyages ne durent plus que deux ou trois semaines). Ces programmes trouvent leur origine dans la loi Smith-Mundt de 1948 portant sur les échanges culturels américains. Le chercheur néerlando-britannique Giles Scott-Smith nous apprend dans un article passionnant que dès les premières années de Guerre froide, les élites françaises furent les principales bénéficiaires du Foreign Leader Program. En réaction aux scores très élevés du Parti communiste, la France était tout particulièrement visée. Ainsi, entre 1950 et 1962, plus de 400 Français – politiciens, syndicalistes, journalistes, etc. – ont été recrutés sur un total de plus de 11 000 individus sélectionnés à travers le monde13. Les budgets alloués à la diplomatie publique ont sévèrement diminué entre le milieu des années 1960 et la fin des années 1990. Joseph Nye fait remarquer que l’USIA est passée de 12 000 employés au milieu des années 1960 à moins de 7000 en 1999, date à laquelle l’USIA a été intégrée au Département d’Etat. Autre exemple exploité par Joesph Nye : alors que 70 à 80% des citoyens d’Europe de l’Est écoutaient les radios financées par les Etats-Unis pendant la Guerre froide, seuls 2% des Arabes étaient à l’écoute de Voice of America au début des années 2000. Autrement dit, il a fallu attendre le 11 septembre 2001 pour que les Américains redécouvrent l’importance de la diplomatie publique14. En témoigne la nomination par Georges W. Bush d’une sous-secrétaire d’Etat déléguée à la diplomatie publique dans les semaines qui ont suivi les attentats. Sa mission est détaillée sur le site du Ministère des affaires étrangères : « the mission of American public diplomacy is to support the achievement of U.S. foreign policy goals and objectives, advance national interests, and enhance national security by informing and influencing foreign publics and by expanding and strengthening the relationship between the people and Government of the United States and citizens of the rest of the world. » En parallèle, la commission d’enquête sur le 11 septembre a fortement recommandé d’accroître les fonds alloués à la diplomatie publique pour lutter contre le terrorisme : « La réussite à long terme exige un recours à toutes les composantes de la puissance nationale : la diplomatie, le Renseignement, l’action souterraine, la loi, la 11
Walter Russell Mead, « America’s sticky power », Foreign Policy, No. 141 (Mar. - Apr., 2004), pp. 46-53. Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont fondé leur sticky power sur le libre-échange et les accords de Bretton Woods, dont l’influence a continué de se faire sentir à travers le dit « consensus de Washington ». 12 Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005 13 Les informations de ce paragraphe sont tirées de l’article : Scott-Smith Giles, « The US State Department's Foreign Leader Program in France During the Early Cold War », Revue française d'études américaines, 2006/1 no 107, p. 47-60. 14 Informations tirées de Joseph S. Nye, Jr., « Public Diplomacy and Soft Power », Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616, Public Diplomacy in a Changing World (Mar., 2008), pp. 94-109, published by Sage Publications, Inc. in association with the American Academy of Political and Social Science
5 politique économique, l’aide étrangère, la diplomatie publique et la défense intérieure. […] Notre action doit s’accompagner d’une stratégie préventive non seulement militaire mais aussi – et surtout – politique. Cette stratégie doit se concentrer visiblement sur le monde arabe et musulman, dans toute sa variété. » 15 En matière de financements, les fonds alloués à la diplomatie publique ont effectivement été revus à la hausse dans les années qui ont suivi les attentats du 11 septembre. Nous ne sommes malheureusement pas en mesure d’avancer des chiffres. En France, le département d’Etat américain débourse des sommes importantes pour financer les voyages tous frais payés16. En plus de cela, nous savons simplement que plusieurs associations françaises reçoivent des fonds américains. C’est le cas du Conseil représentatif des associations noires de France, financé à la fois par l’ambassade et des organismes américains privés tels que l’ONG Open Society17. A Marseille en revanche, aucune association ne recevrait de financements directs en provenance des Etats-Unis18. Selon Joseph Nye, les fonds dédiés à la diplomatie publique et au soft power sont en baisse depuis le premier mandat de Barack Obama, coupes budgétaires oblige19. En effet, les restrictions budgétaires sont le principal ennemi de la diplomatie publique. Au niveau gouvernemental, la diplomatie publique américaine dépend du Ministère des Affaires étrangères (département d’Etat). Elle est orchestrée par le sous-secrétaire d’Etat délégué à la diplomatie publique, lequel s’appuie en grande partie sur le Bureau des Affaires culturelles et éducatives. Bien qu’elle repose encore sur une forte hiérarchie, elle a connue d’importantes évolutions qui lui ont valu de l’appellation « nouvelle diplomatie publique », mise en avant dans l’ouvrage de Jan Melissen20. Outre le regain d’intérêt pour les arabes et les musulmans, elle a dû s’adapter à un contexte différent : non seulement les organisations non-gouvernementales ont-elles fait leur apparition dans le champ diplomatique mais le développement des nouveaux outils de communication a bouleversé les pratiques diplomatiques traditionnelles. En effet, l’émergence du web 2.0 est allée de pair avec une volonté accrue de transparence et de plus amples possibilités d’organisation et de mobilisation des citoyens. Aussi les diplomates ont-ils dû s’adapter et se tourner davantage vers les individus et les acteurs non-gouvernementaux21. Dans ce même ouvrage de Jan Melissen, le Britannique Brian Hocking souligne que la diplomatie publique n’émane plus seulement des diplomates professionnels. Elle repose désormais sur un enchevêtrement de relations entre des gouvernements, des organisations non gouvernementales, des entreprises et des citoyens22.
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11 septembre, rapport final de la Commission d’enquête sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis, Éditions des Équateurs, 2004 pour la traduction française, p.422. 16 A titre d’exemple, le département d’Etat dépense 60 000 euros par an pour le programme des Jeunes ambassadeurs. 17 Entretien avec Nassurdine Haidari, délégué régional du CRAN en PACA, Marseille 1er, 8 juillet 2013. 18 Entretien par téléphone avec Salah Bariki, conseiller municipal de Jean-Claude Gaudin, 23 juillet 2013. 19 Joesph Nye, « The war on soft power », Foreign policy, 12 avril 2011. 20 The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen (dir.), Palgrave Macmillan, first published 2005. 21 En 2009, après l’arrivée de Barack Obama au pouvoir, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton lançait un plan quadriennal dédié à la diplomatie et au développement (Quadriennal Diplomatic and Development Review). Au moment de la présentation du QDDR, elle évoquait les évolutions du travail de diplomate : « The QDDR endorses a new public diplomacy strategy that makes public engagement every diplomat's duty, through town-hall meetings and interviews with the media, organised outreach, events in provincial towns and smaller communities, student exchange programs, and virtual connections that bring together, citizens and civic organizations. Indeed, in the twenty-first century, a diplomat is as likely to meet with a tribal eider in a rural village as a counterpart in a foreign ministry, and is as likely to wear cargo pants as a pinstriped suit. » in Hillary Clinton, « Leading through civilian power », Foreign Affairs, Volume 89, n°6, nov/dec 2010. 22 Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005
6 Ironie du sort, alors qu’Hillary Clinton n’avait de cesse de faire la promotion des libertés sur Internet dans le monde23, la plate-forme WikiLeaks a fait paraître en 2010 quelque 250 000 câbles diplomatiques confidentiels. Face à cette explosion de transparence, les Etats-Unis se sont montrés intraitables. Bradley Manning et Julian Assange ont très vite été placardés « ennemis publics de la nation américaine ». Bradley Manning a été condamné à 35 ans de prison ; Julian Assange se réfugie dans les locaux de l’ambassade de l’Equateur à Londres pour que ni les les Etats-Unis, ni Grande-Bretagne ni la Suède ne puissent lui mettre la main dessus. Revenons sur le contenu de ces télégrammes en matière de diplomatie publique américaine à l’échelle de la France.
Les télégrammes révélés par WikiLeaks : une source majeure Notre travail repose sur trois piliers : l’enquête de terrain, les ouvrages, articles et documents audiovisuels cités en bibliographie et les télégrammes diplomatiques américains révélés par WikiLeaks. En effet, ces câbles constituent de formidables sources sur la diplomatie américaine post-11 septembre. En effectuant des recherches par mots-clés sur la plate-forme web de WikiLeaks24, nous avons recensé plus d’une quarantaine de télégrammes ayant trait à la stratégie d’engagement auprès des musulmans français, à la lutte contre le terrorisme et au renouveau de la diplomatie publique en France. Afin de bien fixer les choses, nous avons choisi de présenter dans cette introduction des extraits de trois câbles significatifs. Nous précisons que d’autres extraits seront analysés tout au long de notre travail. Un an après les conclusions de la commission d’enquête sur le 11 septembre, l’ambassade des EtatsUnis à Paris émettait un télégramme sur la nécessité de redynamiser la diplomatie publique en France via la culture et le sport pour redorer l’image des Etats-Unis après l’intervention en Irak. Nous précisons que tout au long de notre travail, nous emploierons le terme « diplomatie publique » pour englober la diplomatie culturelle, la diplomatie par le sport ou encore la diplomatie économique. Voici donc le câble de 2005 portant sur la nécessité de « revigorer » la diplomatie publique américaine :
Subject : REINVIGORATING PUBLIC DIPLOMACY CULTURAL AND SPORTS PROGRAMS - THE PERSPECTIVE FROM FRANCE Origin : Embassy Paris (France) Cable time : Thu, 29 Dec 2005 17:04 UTC Classification : UNCLASSIFIED ---------------------------------------------------------------------------------------------------It is no secret that since our engagement in Iraq in early 2003, our interactions in the world arena have had negative consequences for our image, particularly in France. The French public now generally questions our honesty and our commitment to democratic values and principles. The right cultural programs can directly counter these negative opinions by presenting positive aspects of the U.S. and demonstrating that our country is an open, just, and fertile society where creativity and personal initiative and effort are encouraged and rewarded. Our diversity and our respect for other cultures and religions can also be highlighted, particularly among audiences normally inaccessible to us. Indirectly, cultural programs also create a more propitious environment for engaging our 23 24
Clay Shirky, « The political power of social media », Foreign Affairs, Volume 90, January/February 2011, p.28-41. Accessible à l’adresse suivante : http://www.cablegatesearch.net
7 interlocutors on issues of U.S. policy and help foreign governments obtain the voter support they need to cooperate with us. Si le câble présenté ci-dessous ne mentionne pas noir sur blanc la volonté de cibler les arabes et les musulmans, deux télégrammes le feront explicitement. Le premier date de 2007, il expose la stratégie d’engagement auprès des communautés musulmanes françaises (voir annexe 1 pour lire le télégramme dans son intégralité) : Subject ENGAGEMENT WITH MUSLIM COMMUNITIES - FRANCE Origin Embassy Paris (France) Cable time Thu, 25 Jan 2007 17:30 UTC Classification UNCLASSIFIED//FOR OFFICIAL USE ONLY ---------------------------------------------------------------------------------------------------The Ambassador and all of Mission France support a sustained and focused effort to engage France's Muslim minorities, recognizing that organizing and executing such an effort will continue to require considerable discretion, sensitivity and tact on our part. Although there is some evidence that France's Muslim minorities are better integrated than their counterparts elsewhere in Europe, the French have a well‐known problem with discrimination against minorities. French media has fallen short in their reporting on these issues and French government and private institutions also found it difficult to face up squarely to the challenges involved. We can engage the French both privately and via the media on the issue of minority inclusion, but superior French language skills are crucial to make effective use of the French broadcast media. Le second remonte à 2010, il s’inscrit dans la continuité du premier, à la différence que les termes sont euphémisés (voir annexe 2 pour lire le télégramme dans son intégralité). Comme nous l’analyserons au cours de notre travail, il n’est plus question de musulmans mais de minorités et de diversité.
Subject EMBASSY PARIS - MINORITY ENGAGEMENT STRATEGY Origin Embassy Paris (France) Cable time Tue, 19 Jan 2010 09:24 UTC Classification CONFIDENTIAL ---------------------------------------------------------------------------------------------------In keeping with France's unique history and circumstances, Embassy Paris has created a Minority Engagement Strategy that encompasses, among other groups, the French Muslim population and responds to the goals outlined in reftel A. Our aim is to engage the French population at all levels in order to amplify France's efforts to realize its own egalitarian ideals, thereby advancing U.S. national interests. While France is justifiably proud of its leading role in conceiving democratic ideals and championing human rights and the rule of law, French institutions have not proven themselves flexible enough to adjust to an increasingly heterodox demography. We believe that if France, over the long run, does not successfully increase opportunity and provide genuine political representation for its minority populations, France could become a weaker, more divided country, perhaps more crisis‐prone and inward‐looking, and consequently a less capable ally. To support French efforts to provide equal opportunity for minority populations, we will engage in positive discourse; set a strong example; implement an aggressive youth outreach strategy; encourage moderate voices; propagate best practices; and deepen our understanding of the underlying causes of inequality in France. We will also integrate the efforts of various Embassy sections, target
8 influential leaders among our primary audiences, and evaluate both tangible and intangible indicators of the success of our strategy. D’autres télégrammes de ce type ont peut-être été rédigés après février 2010 mais les ressources de WikiLeaks s’interrompent à cette date. Notre démarche a consisté à confronter la stratégie présentée dans ces télégrammes au cas de Marseille. Dans les paragraphes qui suivent, nous présenterons les raisons qui nous ont conduits à choisir cette ville comme terrain d’enquête.
Pourquoi Marseille ? Tout d’abord, Marseille est la seule ville avec Strasbourg à disposer d’un Consulat général des EtatsUnis, signe de l’importance de cette ville aux yeux des Américains. Précisons que le district consulaire recouvre les treize départements des régions PACA, Corse et Languedoc Roussillon. En revanche, les villes de Bordeaux, Lyon, Rennes et Toulouse ne bénéficient que d’une présence américaine consulaire. Quant à Lille, la ville ne dispose que d’un poste de présence virtuelle25.
Source : site de l’ambassade des Etats-Unis à Paris
De plus, il apparaît dans les télégrammes révélés par WikiLeaks que les Américains cherchent à tisser des liens avec les populations issues de l’immigration, et tout particulièrement avec des arabes et des musulmans. Or Marseille est une « ville de migrations »26 où vivent précisément de nombreux arabes et de musulmans. L’historien Emile Témime souligne que la cité phocéenne a toujours connu d’importantes strates d’immigration. La présence du port fait de Marseille une « plaque tournante de l’émigration méditerranéenne » 27. Déjà au milieu du 19 siècle, près de 10% des 200 000 habitants sont étrangers. Ils sont majoritairement Italiens, Espagnols ou Grecs. Petit à petit et jusqu’au premier tiers du 20e siècle environ, les Italiens deviennent la première minorité étrangère. A partir des années 1960, la reprise de l’activité économique et la décolonisation s’accompagnent d’une importante poussée de l’immigration nord-africaine, principalement algérienne. Marseille fonctionne alors comme un creuset où les différentes strates 25
Site de l’ambassade des Etats-Unis à Paris : [http://french.france.usembassy.gov/vpplille.html]. Emile Témime, « Marseille, ville de migrations », Vingtième siècle. Revue d’histoire 7(1), p. 37–50, 1985 27 Emile Témime, « Marseille, ville de migrations », Vingtième siècle. Revue d’histoire 7(1), p. 37–50, 1985 26
9 d’immigration viennent se superposer et s’intégrer à la population marseillaise 28 . Cette tradition de migrations explique en partie la géographie de Marseille. En centre-ville, plusieurs quartiers populaires sont connus historiquement pour abriter d’importantes populations immigrées. Il en va ainsi des quartiers de Noailles, de Belsunce ou du Panier situé dans les 1er et 2e arrondissements de la ville (voir carte ci-dessous). De plus, contrairement à Paris, la ville ne comprend pas de banlieues mais des quartiers. Précisons qu’il existe un clivage social entre les quartiers Nord et les quartiers Sud de la ville, les premiers regroupant un habitat social et populaire à dominante maghrébine (13e, 14e, 15e et 16e arrondissements). L’appellation « quartiers Nord » a ceci de péjoratif qu’elle émane plutôt des habitants aisés des quartiers Sud, les dominants stigmatisant les dominés29.
Carte de Bernard Domenech tirée de l’ouvrage de Jocelyne Cesari, Alain Moreau et Alexandra Schleyer-Lindenmann, « Plus marseillais que moi, tu meurs ! » Migrations, identités et territoires à Marseille, L’Harmattan, 2001
Pour dresser un tableau exact de la situation démographique marseillaise contemporaine, il faut ajouter l’importance de la communauté comorienne. D’après les estimations, Marseille compterait entre 30 000 et 80 000 Comoriens dont 80% seraient citoyens français30. En vertu du principe de laïcité, les données statistiques sur la religion ne sont pas collectées en France. C’est pourquoi le nombre exact de musulmans n’est pas connu à Marseille. En revanche, selon des estimations, ils représenteraient 30% de la population 28
Ibid. Jocelyne Cesari, Alain Moreau et Alexandra Schleyer-Lindenmann, « Plus marseillais que moi, tu meurs ! » Migrations, identités et territoires à Marseille, L’Harmattan, 2001. 30 Vincent Geisser, Françoise Lorcerie, Les Marseillais musulmans, Open Society Foundations, 2011 29
10 marseillaise, laquelle comptait en 2009 un peu plus de 850 000 habitants31. Précisons enfin que Marseille est une ville pauvre où près d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté32. On constate par ailleurs d’importantes disparités de revenus entre le Nord et le Sud de la ville (voir annexe 3). Forts de ces éléments, nous nous sommes demandé si la nouvelle stratégie américaine trouvait une application concrète à Marseille. Précisons par ailleurs que nous sommes originaires des Bouches-du-Rhône et que nous avions le souhait d’étudier la deuxième ville de France. De plus, nous étions profondément étonnés du fait que la presse francophone ne traite que des actions diplomatiques américaines menées en banlieues parisiennes. En effet, nous sommes d’autant plus sensibles à la question des médias que nous aspirons à embrasser une carrière dans la presse. Grâce à plusieurs expériences en journalisme à Marseille, nous bénéficions d’ailleurs d’un réseau local conséquent, lequel nous a été très utile lors de notre enquête. Ne trouvant que peu ou pas d’informations sur des actions de diplomatie publique américaine à Marseille dans la presse francophone, nous avons épluché minutieusement les télégrammes diplomatiques disponibles sur la plateforme WikiLeaks. Comme nous l’évoquions précédemment, nous avons recensé plusieurs dizaines de câbles ayant trait à la stratégie de meilleure connaissance des arabes et des musulmans français. En revanche, Marseille ne fait l’objet que de trois télégrammes spécifiques. De plus, ces derniers révèlent une vision américaine de la ville assez éloignée de la réalité, oscillant entre les deux poncifs qui circulent régulièrement à son sujet : « Marseille la violente » et « Marseille cosmopolite et fraternelle ». Au départ, ces descriptions mythifiées pouvaient laisser penser que les instances diplomatiques américaines étaient peu présentes sur le terrain. En réalité, il n’en est rien
L’enquête de terrain Au commencement de notre enquête, nous nous sommes tournés vers le Marseille Bondy Blog (MBB), un média au sein duquel nous avions occupé la fonction de journaliste-stagiaire. Nous savions par ailleurs que le Bondy Blog, web-média participatif né pendant les émeutes de banlieues en 2005, se trouvait en bonne place dans le carnet d’adresses de l’ambassade des Etats-Unis à Paris. A Marseille, rien. Le MBB nous a affirmé n’avoir jamais été contacté par le Consulat Général des Etats-Unis. En revanche, les journalistes du MBB nous ont communiqué des informations sur des voyages aux Etats-Unis tous frais payés auxquels avaient participé des personnalités marseillaises. Voilà qui devenait intéressant. Parmi ces individus, Nassurdine Haidari, élu socialiste du premier secteur à Marseille, en charge des associations sportives. D’origine comorienne, il préside le Conseil représentatif des Français d’origine comorienne. Il est également délégué régional du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) en région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA). Disponible et ouvert, il a accepté de nous rencontrer à deux reprises entre le printemps 2012 et l’été 2013. Son récit de voyage et son ressenti nous ont été très précieux dans notre travail. Malgré ses relations très cordiales avec l’ambassade des Etats-Unis, il n’est pas parvenu à nous mettre en
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INSEE, résumé statistique sur Marseille mis à jour le 31 janvier 2013. Chiffres avancés constamment par les élus locaux. En 2011, la CAF établissait à 26% le nombre de Marseillais vivant sous le seuil de pauvreté (954€ par mois). Source : Sophie Manelli, « Marseille : pauvreté, les femmes et les enfants d’abord », La Provence, 9 novembre 2012. [http://www.laprovence.com/article/actualites/2044313/marseille-pauvrete-les-femmes-et-les-enfants-dabord.html]
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11 contact avec Randiane Peccoud, son interlocutrice à l’ambassade, laquelle a pris prétexte de l’affaire Snowden33 pour expliquer son refus de nous rencontrer. Mis à part ça, en règle générale, nous avons souvent eu de la chance. En effet, nos simples intuitions se sont souvent avérées payantes. Par exemple, nous comptons parmi nos connaissance un animateur de l’Agora, l’un des plus grands centres sociaux de Marseille. En l’appelant à tout hasard pour savoir si son centre avait été contacté par les Etats-Unis, il nous a appris que la directrice de l’Agora entretenait des relations régulières avec le Consulat. Autre intuition heureuse : Med’In Marseille, un webzine marseillais qui se veut « média euroméditerranéen de toutes les diversités ». Un slogan pareil nous a mis la puce à l’oreille. Nous nous sommes demandé si les instances diplomatiques américaines n’avaient pas cherché à entrer en contact avec ce média. Effectivement, après plusieurs coups de fil à Ahmed Nadjar, son directeur de publication, nous avons appris qu’il avait rencontré l’ex-Consul général Philip Breeden à plusieurs reprises. Nous avons donc convenu d’un rendez-vous avec M. Nadjar. Une rencontre riche en échanges et en informations qui nous a permis d’avancer considérablement dans notre travail. En effet, Ahmed Nadjar est grosso modo le seul journaliste marseillais à s’être intéressé au phénomène. Il nous a donné moult noms et contacts pour poursuivre notre enquête. De plus, c’est lui qui nous a informés de l’existence du programme de diplomatie publique « Jeunes ambassadeurs », une version des « Visiteurs internationaux » destinés aux lycéens français (voir annexes 4 et 5). Il nous fallait alors trouver le moyen (rapide) de contacter les jeunes marseillais bénéficiaires de ce programme. Pour ce faire, nous sommes passés par le service de presse de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’Acsé34. En effet, cette agence française cofinance le programme avec l’ambassade américaine. Au téléphone, l’Acsé nous a aimablement transmis les coordonnées de l’ADICE35, l’association française chargée d’organiser le voyage logistiquement parlant. C’est enfin l’ADICE qui a accepté de nous transmettre les adresses mails des Jeunes ambassadeurs marseillais (douze au total, issus des promotions 2012 et 2013). Après avoir adressé un courriel à chacun d’entre eux, quatre ont accepté de répondre à nos questions dont trois lors d’un entretien à Marseille. Leurs témoignages nous ont été très précieux. Ahmed Nadjar de Med’In Marseille nous a également donné les coordonnées de Pamela King, représentante à Marseille de Democrats Abroad, la branche du Parti Démocrate à laquelle appartiennent les expatriés américains. Originaire de San Francisco et responsable d’une galerie d’art contemporain dans un quartier chic de la ville (quartier d’Endoume dans le 7e), elle habite à Marseille depuis le début des années 1990. C’est elle qui nous a informés de l’existence d’une association à visée économique fondée par des entrepreneurs anglo-saxons : le Mediterranean Anglo-Americain Business Network. Cette structure a ensuite contribué à la naissance de l’agence de développement économique française Provence Promotion, nous orientant ainsi sur la piste de la diplomatie publique économique. 33
Edward Snowden, lanceur d’alerte américain qui travaillait pour une filiale de la National Security Agency. Il a révélé au Guardian et au New York Times l’existence du programme Prism qui permet aux Etats-Unis d’avoir accès à des données informatiques personnelles et privées tels que les courriels Gmail et les comptes Facebook. 34 « En réponse à la crise des banlieues de l’automne 2005, l’Acsé vise à renforcer l’efficacité de l’action de l’Etat en faveur des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, de l’intégration des personnes immigrées et issues de l’immigration et de la lutte contre les discriminations. » peut-on lire sur son site internet : [http://www.lacse.fr/wps/portal/internet/acse/accueil/notrepresentation/historique] 35 Association pour le développement des initiatives européennes.
12 Notre principal fait d’armes remonte à août 2013. Par un heureux hasard, nous avons appris dans La Provence que le porte-avions américain USS Truman faisait escale à Marseille pendant cinq jours. Laconique, l’article mentionnait toutefois que certains marines se rendraient au centre sportif Fontainieu, en plein cœur des quartiers Nord. Ni une ni deux, nous avons appelé le dit centre sportif pour en savoir davantage. Là, nous sommes tombés sur Mylène Reinette, chargée de projets et coorganisatrice de l’événement. En l’espace de dix minutes de conversations téléphoniques, le courant était passé, Mylène nous invitait à nous rendre sur place l’après-midi même pour assister aux rencontres sportives entre les jeunes du quartier Saint-Joseph et les marines américains. De TER en TER, nous avons fini par rencontrer ces ambassadeurs particuliers, lesquels se rendaient pour la première fois dans les quartiers populaires de la ville (il faut imaginer un vaste complexe sportif en plein air bordé de tours et de barres d’immeubles). En plus de cela, Mylène Reinette est parvenu à nous mettre en relation avec un ex-diplomate du Consulat qui travaille actuellement à l’ambassade. Il a certes souhaité rester anonyme mais il bien voulu répondre à quelques questions. Nous précisons que la liste des personnes interrogées figure dans les pages qui suivent, de même que la présentation des personnages clés de la diplomatie publique américaine en France. Les entretiens ayant été amplement exploités dans le corps de ce travail, nous avons fait le choix de ne pas joindre la masse volumineuse de retranscriptions en annexe. En effet, nous ne souhaitions pas « faire doublon ».
Questionnements Comme nous l’annoncions initialement, nous avons cherché à déterminer dans quelle mesure l’exemple de Marseille était représentatif des évolutions de la diplomatie publique américaine en France après le 11 septembre. D’une certaine manière, nous avons tenté de comparer la stratégie théorique élaborée par les Etats-Unis et la réalité du terrain marseillais. Nous avons également cherché à déterminer s’il y avait des spécificités phocéennes auxquelles les Américains avaient dû s’adapter pour atteindre leurs nouveaux objectifs. Aussi, à travers l’exemple marseillais, nous nous sommes interrogés sur la part de nouveautés et de continuités dans la diplomatie publique américaine post-11 septembre. Si les attentats du World Trade Center ont incontestablement bouleversé les pratiques étatsuniennes, nous avons cherché à savoir si l’élection de Barack Obama avait elle aussi entraîné de profonds changements. Nous précisons que nous n’avons pas adopté une démarche comparative. Des pays comme le Qatar, l’Algérie ou le Canada mènent eux aussi des actions de diplomatie publique à Marseille36. Toutefois, nous avons choisi de nous focaliser sur les pratiques des Etats-Unis, références en la matière. Enfin, nous nous sommes intéressés en filigrane à la place et au rôle des villes dans cette nouvelle diplomatie publique américaine. En premier lieu, nous avons tenté de savoir s’il y avait un faible intérêt américain pour sa population cosmopolite composée en partie d’arabes, de comoriens et de musulmans (chapitre 1). En deuxième lieu, nous avons cherché à déterminer les objectifs et les motivations américaines (chapitre 2). En troisième et dernier lieu, nous nous sommes interrogés sur les répercussions politiques françaises de ces agissements à travers l’exemple marseillais (chapitre 3). 36
Sur ce point, se reporter aux articles mentionnés dans le dernier paragraphe du point 5 de la bibliographie.
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Liste des entretiens menés sur le terrain (par ordre chronologique) Eléments biographiques
Liens avec les Etats-Unis
Lieu et date
Nassurdine Haidari, adjoint au maire PS du 1er secteur de Marseille (1er et 7e arrondissements) en charge des associations sportives, chargé de communication pour la Communauté urbaine MP2013 à destination des entreprises, délégué général du CRAN PACA et responsable de toutes les délégations régionales, responsable du groupe d’influence Marseille Egalité pour une meilleure prise en compte des quartiers populaires par les élus, à la tête du Conseil représentatif des Français d’origine comorienne.
• Est parti deux semaines aux Etats-Unis en février 2010 dans le cadre d’un stage de community organizing.
• Premier entretien le 31 mai 2012, quartier Colbert, Marseille 1er
• Deuxième entretien le 8 juillet • Est en lien avec Randiane 2013, quartier Colbert, Marseille Peccoud, en charge de la société 1er civile à l’ambassade américaine à Paris.
Pamela King, représentante de Democrats abroad à Marseille depuis Entretien le 12 juillet 2013 sur sa 2009 (les Démocrates à l’étranger) et présidente de Marseille with US, terrasse ensoleillée, quartier une association qui a donné naissance à une galerie d’art contemporain d’Endoume, Marseille 7e en 2010 : l’American Gallery. Elle est originaire de San Francisco, elle a vécu à New York pendant un temps, elle habite à Marseille depuis une vingtaine d’années (début des années 1990). Elle souhaiterait jumeler sa galerie marseillaise avec des galeries de New York et de Los Angeles. Philippe Souïd, médecin généraliste dans le quartier populaire de Noailles depuis la fin des années 1970.
Grâce aux films de Woody Allen, Entretien le 15 juillet 2013 à son il voue une passion à New-York, cabinet, quartier de Noailles, ville dans laquelle il s’est rendu à Marseille 1er. plusieurs reprises depuis 1998.
Ahmed Nadjar, directeur de la publication du webzine Med’In Marseille, média euroméditerranéen de toutes les diversités. D’origine tunisienne, il a grandi en banlieue parisienne, il est arrivé à Marseille à la fin des années 1990. Il dit toujours qu’il est devenu journaliste « par hasard ».
A eu des contacts avec le Consul Philip Breeden (qu’il a pu interviewer) suite à la publication d’un article précurseur : « Bonne résolution pour 2008 : les USA se convertissent au dialogue des cultures ».
Alix Brickcity (pseudo), fait partie des quatre gérants du magasin de vêtements Brickcity, un magasin pour les amoureux de la culture hip-hop. Ce quarantenaire d’origine comorienne a grandi dans la cité HLM du Plan d’Aou dans quartier Saint-Antoine (Marseille 15e).
N’est jamais allé aux Etats-Unis, Entretien le 19 juillet 2013 au contrairement aux trois autres magasin Brickcity, quartier La gérants qui vouent un culte à New Plaine-Cours Julien, Marseille 1er York. Son magasin s’appelle Brickcity en référence aux textes des rappeurs américains du WuTang Clan qui surnommaient ainsi la ville de Newark dans le New Jersey.
• Entretien par téléphone le 12 juillet 2013. • Entretien le 18 juillet 2013, à deux pas du Marché aux puces et de la Mosquée al Islah, quartier de la Madrague, Marseille 15e.
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Cécilia Allali, élève de Terminale S au lycée ZEP Victor Hugo, section européenne anglais. Habite dans le quartier de la Busserine, Marseille 14e.
A été sélectionnée pour être Entretien le 19 juillet 2013 au « Jeune ambassadrice 2013 ». Elle parc Borély, quartier Bonneveine, doit partir deux semaines aux Marseille 8e Etats-Unis à la Toussaint 2013.
Lucie Martinez, élève de Terminale S au lycée ZEP Victor Hugo, section européenne anglais. Habite dans le quartier des Cinq avenues, Marseille 4e.
Jeune ambassadrice 2012, elle est Entretien le 23 juillet 2013 au partie deux semaines à parc Longchamp, quartier des Washington DC à la Toussaint Cinq avenues, Marseille 4e. 2012.
Liticia Yougatagaah, élève de Première au lycée ZEP Victor Hugo, section européenne anglais. Habite le quartier la Rose, Marseille 13e. Cette jeune Kabyle est arrivée à Marseille 2009, elle possède la double nationalité franco-algérienne.
A été sélectionnée pour être Entretien le 27 juillet 2013 à la « Jeune ambassadrice 2013 ». Elle gare Saint-Charles, Marseille 1er doit partir deux semaines aux Etats-Unis à la Toussaint 2013.
Plusieurs membres de l’équipage de l’USS Truman (porte-avions américain), en escale à Marseille du 5 au 9 août 2013. Volontaires pour faire des heures de community service, ils ont accepté de venir faire du sport avec les jeunes du centre social Saint-Joseph dans les quartiers Nord. Ils ont également fait visiter leur porte-avions à ces mêmes jeunes. Ils ont souhaité rester anonymes.
Entretiens le 7 août 2013 au centre sportif Fontainieu, quartier Saint-Joseph, Marseille 14e.
James Strauss, directeur adjoint du centre sportif départemental Fontainieu. Originaire du Nord de la France, il est arrivé à Marseille à la fin des années 1990. Il habite à Martigues.
Il a mis son centre sportif à Entretien le 7 août 2013 au centre disposition des marines sportif Fontainieu, quartier Saintaméricains de l’USS Truman afin Joseph, Marseille 14e. que ces derniers puissent faire du sport avec les jeunes du centre social Saint-Joseph.
Mylène Reinette, chargée de projets au centre sportif départemental Fontainieu. D’origine martiniquaise, elle est arrivée à Marseille il y a une vingtaine d’années. Elle travaille pour le Conseil Général des Bouches-du-Rhône.
Elle est à l’origine de la rencontre Entretien le 7 août 2013 au centre entre les marines américains de sportif Fontainieu, quartier Saintl’USS Truman et les jeunes du Joseph, Marseille 14e. centre social Saint-Joseph. En effet, elle connaissait Philip Breeden depuis plusieurs années, lequel l’a mise en contact avec Vanessa Tiersky, Conseillère aux Affaires culturelles du Consulat.
Hammamu Brahim, directeur adjoint du centre social SaintJoseph Fontainier dans le 14e.
Il a accompagné les enfants dont Entretien le 7 août 2013 au centre il a la charge au centre sportif sportif Fontainieu, quartier SaintFontainieu afin qu’ils puissent Joseph, Marseille 14e. faire du sport avec les marines américains de l’USS Truman. Il les a également accompagnés pour la visite du porte-avions.
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Liste des personnes interrogées par courriel ou par téléphone (par ordre chronologique)
Eléments biographiques
Liens avec les Etats-Unis
Date
Tara Dickman, consultante française sur les questions de diversité, d’intégration et de community organizing. Elle a passé une partie de son enfance en banlieue parisienne. Elle a dirigé l’ONG Humanity in Action de 2009 à 2012.
• A fait une partie de ses études aux Etats-Unis.
Jointe par téléphone le 9 juillet 2013.
• En tant que directrice de HIA, son job consistait entre autres à élaborer un programme annuel à destination de jeunes Français et Américains sélectionnés pour suivre la session d’été de HIA. • Est partie aux Etats-Unis en février 2010 pour suivre le même stage de community organizing que Nassurdine Haidari.
Marie-Christine Paolini, travaille au service de presse de l’Acsé.
L’Acsé co-finance le programme « Jeunes ambassadeurs » avec l’ambassade des Etats-Unis depuis 2009.
Jointe par téléphone le 16 juillet 2013.
Kévin Vacher, travailleur social au centre social de l’Agora (quartier de la Busserine, Marseille 14e).
• Travaille sous la direction de Karima Berriche, laquelle a eu des contacts réguliers avec le Consulat ces quinze dernières années.
Joint par téléphone le 21 juillet 2013.
• Avait eu vent d’une expérience de community organizing menée à Grenoble (ECHO). Nasséra Benmarnia, attachée parlementaire de Patrick Menucci, député PS de Marseille. A dirigé l’association locale de l’Union des familles musulmanes.
A rencontré à plusieurs reprises Philip Breeden, Consul Général des Etats-Unis de 2005 à 2008.
Jointe par téléphone le 22 juillet 2013.
Salah Bariki, sexagénaire d’origine maghrébine, il est conseiller municipal de JeanClaude Gaudin sur les questions relatives à l’Islam. Membre fondateur de Marseille Espérance.
En 1995 et alors qu’il était journaliste à Radio Gazelle, il a été invité à partir aux USA dans le cadre du programme des Visiteurs Internationaux. Il n’y est jamais retourné depuis. Il a eu des affinités avec plusieurs consuls américains à Marseille, dont Philip Breeden, ancien attaché culturel à Tunis et arabisant.
Joint par téléphone le 23 juillet 2013.
Coralie Mampinga, élève du lycée ZEP Victor Hugo, Terminale L.
Jeune ambassadrice 2012, elle est Jointe par mail en juillet 2013. partie deux semaines à Washington DC à la Toussaint 2012.
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Matthieu Vis, membre de l’équipe de développement territorial et prospection de l’agence Provence Promotion, en charge des biotechnologies et technologies médicales.
• Son agence est en lien avec Diane Kelly, l’actuel Consul des Etats-Unis à Marseille.
Karima Berriche, à 52 ans, cette marseillaise d’origine algérienne est directrice du centre social l’Agora depuis 2003 (quartier de la Busserine, Marseille 14e). Actrice associative marseillaise historique.
• Est contactée régulièrement par le Consulat depuis la deuxième moitié des années 1990.
Jointe par mail en août 2013.
• A des contacts avec une association d’entrepreneurs anglosaxons : le Mediterranean AngloAmerican Business Network. Jointe par téléphone le 19 août 2013.
• Est partie aux Etats-Unis en 2000 avec une association de hiphop. • A refusé d’accueillir l’ambassadeur des Etats-Unis dans son centre en 2009.
Un anonymous US diplomat qui a aimablement accepté de nous répondre. Il a travaillé au Consulat des Etats-Unis à Marseille dans les années 2000. Il est actuellement en poste à l’ambassade à Paris. C’est un fin connaisseur de la diplomatie publique.
Joint par mail en septembre 2013.
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Personnages clés de la diplomatie publique américaine à Marseille Précisons que malgré nos demandes d’entretien répétées, rares sont les diplomates américains à avoir accepté. A Marseille, Diane Kelly, l’actuel Consul, n’a pas souhaité nous rencontrer « pour des raisons d’emploi du temps ». En revanche, Vanessa Tiersky, l’actuelle Conseillère en charge des Affaires culturelles a pris le temps de répondre à quelques questions par téléphone. Quant à sa prédécesseure, Josette Steinbach, elle se trouvait en Inde au moment de notre enquête. A l’ambassade à Paris, Randiane Peccoud a fait dire à Nassurdine Haidari qu’elle ne souhaitait pas nous rencontrer à cause du scandale de l’affaire Prism. En revanche, a US diplomat a bien voulu réagir à un courriel, à la condition de rester anonyme. Par chance, ce dernier avait travaillé à Marseille pendant plusieurs années avant d’être rattaché à Paris. Consuls généraux des Etats-Unis à Marseille • Diane Kelly, Consul général de 2011 à nos jours. Auparavant, a été en poste à Hong Kong, en Tunisie et en Egypte. Elle est arabophone, son mari est tunisien. Elle a également travaillé pour Hillary Clinton sur les problèmes rencontrés par les femmes musulmanes, un travail qu’elle souhaite poursuivre à Marseille37. • Kathleen Riley, Consul général de 2008 à 2011. Auparavant, a été Consul à Riyad (Arabie Saoudite) et à Paris. Arabophone, elle parle parfaitement l’arabe égyptien38. • Philip Breeden. Consul général de 2005 à 2008. Arabophone, véritable diplomate de terrain, il a beaucoup œuvré pour la diplomatie publique à Marseille. Voir sa biographie ci-dessous :
Source : programme de la première réunion de l’association Jeunes ambassadeurs Alumni (mars 2013)
Conseillères aux Affaires culturelles au Consulat des Etats-Unis à Marseille • Vanessa Tiersky, en charge des affaires culturelles depuis le printemps 2013. Cette franco-américaine remplace l’historique Josette Steinbach. Elle est à l’initiative du projet de rencontre sportive entre les marines de l’USS Truman et des jeunes du centre social Saint-Joseph. Elle a également proposé au centre sportif Fontainieu (quartier Saint-Joseph, Marseille 14e) d’associer le Consulat à l’organisation de matchs féminins de soccers et à la venue de sportives américaines.39 37
« Portrait : Diane Kelly our American Consul General in Marseille for the South East of France », http://www.languedocsun.com/ « Le maire reçoit le nouveau Consul général des Etats-Unis à Marseille », communiqué de presse de la mairie de Marseille le 17 septembre 2008 39 Entretien avec James Strauss, Marseille 14e, 7 août 2013. 38
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• Josette Steinbach, en charge des affaires culturelles du milieu des années 2000 à 2013. A beaucoup œuvré pour la diplomatie publique américaine à Marseille. Est à l’initiative du projet d’échange sportif francoaméricain de 2011-2012. A largement contribué à l’application locale du programme « Jeunes ambassadeurs ». A l’ambassade des Etats-Unis à Paris • Charles Rivkin, ambassadeur en poste depuis 2009. Devrait quitter ses fonctions en 2013. A beaucoup œuvré pour mettre en œuvre la nouvelle diplomatie publique américaine. Est un diplomate de terrain. S’est beaucoup rendu en banlieues parisiennes. Est allé à Marseille au moins à quatre reprises, à l’occasion d’escales de porte-avions américains. Tous les ans pour le Ramadan, il célèbre la rupture du jeûne à l’ambassade, comme c’est la tradition depuis 2001. Le rapport de l’Inspecteur Général du Département d’Etat de mai 2012 qualifie M. Rivkin d’ « ambassadeur non issu de la carrière diplomatique dynamique et visionnaire » et lui reconnait un rôle primordial dans le développement des activités de diplomatie publique de l’ambassade, et particulièrement son utilisation des réseaux sociaux. C’est M. Rivkin qui a introduit les réseaux sociaux à l’ambassade des Etats-Unis à Paris en ouvrant les premiers comptes Facebook et Twitter [voir le tweet ci-dessous]. L’Ambassadeur Rivkin a fait du dialogue avec la jeunesse française l’une de ses priorités et a ainsi mis en contact l’ambassade avec la future génération de décideurs partout en France, y compris dans les territoires délaissés connus le plus souvent sous le terme de « banlieues ». Cet effort inédit fut accompli grâce à l’aide de vedettes américaines de la télévision, du cinéma ou de la chanson ainsi que de membres de premier plan du gouvernement. En 2011, l’Ambassadeur Rivkin a élargi ses efforts d’ouverture en créant le prix annuel « Washburne de l’innovation pour l’égalité des chances » qui récompense les entreprises françaises et américaines qui favorisent la diversité sur le lieu de travail.40
Tweet de Charles Rivkin émis lors de son dernier tchat, le 8 août 2013
• Craig Roberts Stapleton, ambassadeur de 2005 à 2009. A contribué à la création du programme « Jeunes ambassadeurs ». N’a pu se rendre à Marseille en 2009 pour remettre son diplôme à une jeune ambassadrice marseillaise. En effet, les travailleurs du centre social de l’Agora avaient refusé de l’accueillir dans leur quartier (La Busserine, Marseille 14e). C’était peu de temps après l’opération militaire isréalienne « Plomb durci ».41 • Randiane Peccoud. Le journal Libération la décrit comme la « cheville ouvrière de l’opération de séduction lancée par l’administration américaine en direction des banlieues et des Français d’origine étrangère. »42 Cette Française est souvent décrite comme celle qui élabore le plus important « Who’s who de la diversité en France »43. A Marseille, c’est elle qui a coopté Nassurdine Haidari.
40
Site de l’ambassade : [http://french.france.usembassy.gov/ambassadeur.html] Entretien par téléphone avec Karima Berriche, 19 août 2013. 42 Christophe Ayad, « L’Amérique prend ses quartiers », [http://www.liberation.fr/monde/01012298482-l-amerique-prend-ses-quartiers] 43 Luc Bronner, « Washington à la conquête du « 9-3 » », Le Monde, 6 juin 2010 41
liberation.fr,
26
octobre
2010 ;
19
CHAPHITRE 1 : L’AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE Un faible intérêt américain pour Marseille, sa population cosmopolite et ses quartiers ?
20
PARTIE I : LA DIPLOMATIE DES BANLIEUES, QUID DES QUARTIERS MARSEILLAIS ? A en croire la presse francophone et les télégrammes diplomatiques révélés par WikiLeaks, seules les banlieues parisiennes font l’objet des nouvelles pratiques de diplomatie publique mises en place par les Etats-Unis. Dans cette première partie, nous traiterons du versant « banlieues parisiennes » afin de mieux saisir l’ampleur du phénomène à Marseille, loin d’être négligeable.
I. 1) « Les Etats-Unis surveillent les banlieues françaises » : rengaine médiatique « Les Etats-Unis surveillent les banlieues françaises » : le thème fait son apparition dans la presse francophone à la fin de l’année 2007. Moult articles seront écrits sur le sujet entre 2010 et 2012 : nous en avons dénombré plus d’une une vingtaine (voir § 4 de la bibliographie). Mais la première enquête journalistique de taille, on la doit à Antoine Menuisier, journaliste suisse à L’Hebdo et co-fondateur du Bondy Blog en 2005. En ce mois de novembre 2007, ce journaliste francophone décrit de but en blanc ce qui lui apparaît comme étant les nouvelles méthodes de diplomatie publique américaine à l’égard des populations arabes et musulmanes françaises. Dans son article, il relate une rencontre organisée à Paris le 7 novembre 2007 par l’ambassade des Etats-Unis autour du thème de la promotion de la diversité. En effet, les dîners et les invitations font partie des outils traditionnels de la diplomatie publique américaine. Ce qui l’est moins (traditionnel), c’est la liste des invités, rapportée par le journaliste Antoine Menusisier : « Face au directeur des Affaires européennes [l’Américain Dan Fried, membre du département d’Etat], la diversité était représentée ce soir-là par Ali Laïdi, spécialiste du renseignement économique et du terrorisme islamique à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), Saïd Branine, responsable du site Internet musulman oumma.com, Hervé Mbouguen, également animateur d’un site Web, grioo.com, dédié aux Noirs, Fayçal Douhane, du conseil national du Parti socialiste, en charge des questions de diversité, et un membre du BondyBlog (le soussigné), média en ligne fondé par le magazine suisse L’Hebdo à l’époque des violences urbaines de 2005. » 44 Un constat : tous ces invités sont certes, issus de la diversité, mais ils sont surtout implantés à Paris ou en banlieue parisienne. En effet, ce qui ressort de l’analyse des articles de presse, c’est une volonté américaine de mieux connaître les banlieues parisiennes et non l’ensemble des quartiers populaires en France. Quels que soient les articles, les noms qui ressortent le plus souvent sont ceux de personnalités liées à l’Ilede-France. Dans le même ordre d’idée, le titre de ce documentaire paru 2011 n’a pas été choisi au hasard :
44
Antoine Menuiser, « Les Etats-Unis surveillent les banlieues françaises », Bondy Blog, 28 décembre 2007. Article paru dans le magazine suisse L’Hebdo du 15 novembre 2007 et dans Courrier International du 29 novembre 2007. [http://yahoo.bondyblog.fr/200712280002/les-etats-unis-surveillent-les-banlieues-francaises/]
21 « Washington-Paris, la diplomatie des banlieues »45. En effet, les trois quarts de ce reportage sont consacrés à des élus de banlieues parisiennes. Enfin, quand la presse américaine se fait l’écho de ces pratiques de diplomatie publique, elle ne retient que les « suburbs » et non les quartiers. En effet, en 2010, le New York Times fait paraître « Feeling Slighted by France, and Respected by U.S. » 46 : un article consacré aux pratiques de Charles Rivkin en banlieue parisienne. Il n’y est question que de Bondy et plus généralement de la « poor, multiracial Paris suburb ». Dans le paysage médiatique marseillais, on remarque que le principal quotidien régional (La Provence) ne traite pas ou peu de ce sujet. Ainsi, quand l’ambassadeur américain Charles Rivkin se rend à Marseille à l’occasion d’une escale du porte-avions USS Truman, l’interview qu’il accorde à La Provence ne fait pas mention des quartiers populaires marseillais. Une fois de plus, il est question de banlieues : « La Provence : Vous êtes très engagé vers les banlieues. Pourquoi cet intérêt ? Charles H. Rivkin : L'ambassade des États-Unis fait un travail en direction des banlieues depuis au moins cinq ans, pour plusieurs raisons: la première est que je ne suis pas ambassadeur uniquement à Paris, mais ambassadeur en France. Je voyage partout dans le pays car je souhaite rencontrer tous les acteurs de la société française et apprécier la France dans sa diversité. » 47 Et quand en 2013 l’USS Truman fait à nouveau escale à Marseille, La Provence ne consacre qu’un court article à la rencontre organisée par le Consulat entre les marines américains et des jeunes du 14e arrondissement dans les quartiers Nord, sans en souligner le caractère exceptionnel 48 . (Nous aurons l’occasion de revenir sur cet événement.) Autre élément qui portait à croire initialement que seules les banlieues parisiennes intéressaient les Américains : le Marseille Bondy Blog (MBB)49 n’a fait l’objet d’aucune tentative d’approche. Contactée par nos soins, la rédaction du MBB nous a affirmé qu’à aucun moment l’ambassade ou le consulat n’avait tenté de les contacter. Son grand frère, le Bondy Blog, se trouve pourtant en très bonne place dans le carnet d’adresse américain. Déjà en 2007, Antoine Menuisier faisait remarquer la chose suivante : « Cet été [2007], Farah Pandit, une musulmane, adjointe de Dan Fried au Département d’Etat, était venue constater de ses yeux à quoi ressemblait le fameux département de Seine-Saint-Denis, le 93. Elle y avait passé un après-midi avec le Bondy Blog. » 50 Et les rencontres avec le Bondy Blog sont loin de s’être arrêtées là. En 2008, le Bondynois Mohamed Hamidi était invité à partir aux Etats-Unis dans le cadre des Visiteurs Internationaux. Sa particularité ? Il a cofondé le Bondy Blog. Aussi, quand Charles Rivkin a invité Samuel Lee Jackson à se
45
Washington-Paris, la diplomatie des banlieues, un film de Martin Messonnier, écrit par Mohamed Nemmiche et Olivier Domerc, productions Campagne première, avec la participation de Canal+, 90’, 2011 46 Scott Sayare, « Feeling Slighted by France, and Respected by U.S. », The New York Times, 22 septembre 2010. Relayé par la Fondapol le 27 septembre 2010. [http://www.nytimes.com/2010/09/23/world/europe/23france.html] 47 Paule Cournet, interview de Charles Rivkin, « L’Amérique continue à apprendre de la France », La Provence, 10 juin 2010 48 Philippe Gallini, « Les marins américains jouent les papas gâteau », La Provence, le 8 août 2013 49 Créé en 2007 par une association marseillaise dédiée à l’Education populaire (l’ACTE), on peut le considérer comme le petit frère du Bondy Blog A l’époque, Serge Michel le co-fondateur du BB avait chapeauté la naissance du MBB. Bondy Blog devenait alors une sorte de label. 50 Antoine Menuiser, « Les Etats-Unis surveillent les banlieues françaises », Bondy Blog, 28 décembre 2007. Article paru dans le magazine suisse L’Hebdo du 15 novembre 2007 et dans Courrier International du 29 novembre 2007. [http://yahoo.bondyblog.fr/200712280002/les-etats-unis-surveillent-les-banlieues-francaises/]
22 rendre en banlieue, il a choisi de l’emmener à Bondy dans les locaux du blog51. Même programme pour Dawn Mc Call, une représentante de l’administration Obama, coordinatrice de tous les programmes « initiatives Nouveaux Médias, médias sociaux » au Département d’Etat américain52. A en croire la presse francophone, il y aurait donc un faible intérêt américain pour Marseille, sa population cosmopolite et ses quartiers. C’est également le sentiment du marseillais Nassurdine Haidari. Né de parents immigrés comoriens, ce trentenaire est un pur produit de la méritocratie française. Il a grandi dans le quartier défavorisé du Panier (2e arrondissement), un quartier du centre-ville connu historiquement pour abriter de nombreux immigrés53. Ses parents ne savaient pas lire, lui a fait des études supérieures (jusqu’à obtenir un Master à l’IEP d’Aix-en-Provence). Dans sa jeunesse, il est également devenu imam. Aux élections municipales en 2007, ce socialiste est élu dans le 1er secteur 54 . Il devient plus exactement « conseiller municipal de Patrick Menucci, en charge des associations sportives », et le premier conseiller municipal d’origine comorienne55. Nassurdine Haidari a la particularité de bien connaître la diplomatie publique américaine. En effet, il a été contacté par l’ambassade des Etats-Unis pour participer à un voyage d’études à Chicago en 201056. (Nous reviendrons sur ce voyage ultérieurement.) A ce titre, quelques minutes lui sont consacrées dans le documentaire mentionné précédemment consacré à la « diplomatie des banlieues »57. On l’y voit se rendre au Parc Kallisté dans les quartiers Nord de la ville et déplorer l’abandon des quartiers populaires de Marseille par les pouvoirs publics. Selon Nassurdine Haidari donc, Marseille est moins prisée des Américains que ne le sont les banlieues parisiennes. Il fut plutôt aisé de rentrer en contact avec lui. En effet, le Marseille Bondy Blog lui ayant consacré un portrait58, la rédaction du MBB nous a aimablement transmis ses coordonnées59. Par téléphone, il s’est montré curieux de notre démarche et a souhaité nous rencontrer. La première fois, nous nous sommes donné rendez-vous à deux pas de chez lui : métro Colbert, dans le centre-ville. Autour d’un verre en terrasse, Nassurdine nous confie qu’il espère que les Américains s’intéresseront un jour aux Marseillais comme ils s’intéressent aux personnalités montantes de banlieues parisiennes. Avec qui étiez-vous lors de ce voyage d’études ? Nassurdine : Avec des gens provenant surtout des quartiers difficiles, de Paris exclusivement [i.e. intra muros] et de sa banlieue, et j’étais le seul Marseillais. Parce qu’il y a quand même, je pense, un intérêt second pour Marseille des EtatsUnis. C’est regrettable parce qu’il y aurait à Marseille beaucoup de choses à faire 51
Idir Hocini, « Samuel L. Jackson ça pulse à Bondy », Bondy Blog, 14 avril 2010 [http://yahoo.bondyblog.fr/201004141102/samuel-l-jackson-ca-pulpe-a-bondy-2/] et Scott Sayare, « Feeling Slighted by France, and Respected by U.S. », The New York Times, 22 septembre 2010. Relayé par la Fondapol le 27 septembre 2010. [http://www.nytimes.com/2010/09/23/world/europe/23france.html] 52 Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah, « Dawn McCall : de Washington à Bondy », Bondy Blog, 5 mars 2012 53 Emile Témime, « Marseille, ville de migrations », Vingtième siècle. Revue d’histoire 7(1), p. 37–50, 1985 54 Pour être tout à fait précis, son secteur correspond aux 1er et 7e arrondissements de Marseille, à cheval entre des quartiers semipopulaires/semi-bobos du centre-ville et des quartiers chics en bord de mer. 55 Malika Redjem, « Et les Comoriens à Marseille, ça compte pour du beurre ? », Bondy Blog, 24 novembre 2007 ; [http://yahoo.bondyblog.fr/200711240001/et-les-comoriens-a-marseille-ca-compte-pour-beurre/] 56 Un stage de 15 jours consacré au « community organizing ». 57 Washington-Paris, la diplomatie des banlieues, un film de Martin Messonnier, écrit par Mohamed Nemmiche et Olivier Domerc, productions Campagne première, avec la participation de Canal+, 90’, 2011 58 Christine Gorce et Jean-Philippe Hierso, « Nassurdine Haidari : Moi, un noir : L'enfant du Panier », Marseille Bondy Blog, 11 avril 2012 ; [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/nassurdine-haidari-moi-un-noir-1e-partie-l-enfant-du-panier] 59 A ce propos, c’est également le MBB qui nous a révélé que Nassurdine Haidari était parti aux Etats-Unis par le biais de l’ambassade.
23 en ce sens-là. L’ambassade investit beaucoup en région parisienne mais très peu en province. […] Est-ce que le consulat américain a joué un rôle dans l’organisation du voyage ? Nassurdine : Non, pas dans mon voyage. D’ailleurs, je trouve cela assez regrettable que le Consulat n’investisse pas cette richesse là, alors que Marseille compte l’une des plus importantes populations musulmanes de France. […] Il y a un faible intérêt du Consulat pour ces questions-là. C’est dommage parce nous sommes dans une ville qui souffre des discriminations, qui recherche encore une diversité affichée, assumée. J’aurais aimé que le Consulat des Etats-Unis se lance dans cette discussion avec les associations, avec les personnalités issues de la diversité, pour vraiment construire quelque chose entre Marseille et les Etats-Unis. Selon vous, est-ce que l’ambassade à Paris s’intéresse à la ville de Marseille ? Nassurdine : Marseille, on a la chance d’être la deuxième ville de France et d’être une porte vers le Maghreb. Mais on a le désavantage d’être loin de Paris. Donc, tout ce qui est loin de Paris attire moins. Donc c’est compliqué. Je pense et j’espère que l’ambassade des Etats-Unis mènera des opérations spécifiques à Marseille parce que ça vaut la peine60. A en croire les articles de presse parus entre 2007 et 2012 et cet élu marseillais, il n’y aurait donc qu’un intérêt second pour Marseille ; ni l’ambassade ni le Consulat n’opèrerait le même maillage qu’en banlieue parisienne. Ce désintérêt apparent est-il perceptible dans les télégrammes diplomatiques américains rédigés pendant la période 2004-2010 ? C’est ce que nous allons tenter de voir.
I. 2) Marseille vue par les Etats-Unis, ce que disent les télégrammes Grâce au moteur de recherche de la plateforme WikiLeaks, nous avons listé l’ensemble des télégrammes relatifs aux arabes, aux musulmans et plus généralement aux dites « minorités françaises ». Si l’on se fie au nombre de fois où il est fait état de Marseille, la ville ne semble effectivement pas au cœur des préoccupations américaines. Sur une quarantaine de télégrammes dédiés à ces questions, nous n’avons relevé le mot « Marseille » que dans six d’entre eux, dont la moitié seulement sont spécifiquement consacrés à la cité phocéenne. Pour être tout à fait précis, il faut toutefois ajouter les télégrammes où sont évoqués les consulats de province, l’instar du télégramme du 25 janvier 2007 portant sur la stratégie d’engagement à l’égard des communautés musulmanes françaises. Le Consulat marseillais n’est pas directement cité mais il est tout de même compris dans le lot des « seven field posts » :
Title ENGAGEMENT WITH MUSLIM COMMUNITIES - FRANCE Origin Embassy Paris (France) Cable time Thu, 25 Jan 2007 17:30 UTC Classification UNCLASSIFIED//FOR OFFICIAL USE ONLY ---------------------------------------------------------------------------------------------------« Embassy Paris and its seven field posts began to reach out systematically to France's Arab and Muslim populations several years ago, in 2003, targeting neighborhoods and institutions known to have large immigrant populations (first, 60
Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 31 mai 2012.
24 second and third generation.) Since that time post* established a broad base of political reporting on French Muslim issues, and the post's Public Affairs Section increasingly focused its program assets (speakers, DVCs**, exhibits, exchanges and grants) on minority communities, under the more acceptable rubric of "civil society" outreach. » *Post = Ambassade US à Paris ** DVCs = projections de vidéos La cité phocéenne fait toutefois l’objet de plusieurs télégrammes spécifiques que nous allons désormais étudier. Deux d’entre eux ont tout particulièrement attiré notre attention. Le premier date du 11 mai 2005 et provient de l’ambassade à Paris. Marseille est alors décrite à travers le prisme sécuritaire. Les informations recueillies sur la ville proviennent d’un mystérieux directeur des services de renseignements du sud de la France (un certain « Nivaggioli »). L’auteur du télégramme fait un parallèle entre le nombre d’immigrés à Marseille et les dangers qu’ils peuvent représenter en terme de sécurité. La ville est même qualifiée de « poudrière » :
Origin Embassy Paris Cable time Wed, 11 May 2005 13:27 UTC Classification UNCLASSIFIED --------------------------------------------------------------------------------------------------« According to Intelligence Director Nivaggioli, Marseille, the second largest city in France with an "unofficial count of 30% immigrants" is a "powder keg" where massive shifts of population have never been as important and worrisome. The recent enormous transborder circulation taking place in the PACA region is highly scrutinized by the RG (the Secret Services) searching for organized crime related to drug traffic and money laundering, an historical fact in a port city that has traditionally drawn waves of immigrants from the entire Mediterranean basin. » Le deuxième télégramme apporte une vision toute autre de Marseille. A la différence du premier, il est issu du Consulat américain à Marseille, rédigé par M. Philip Breeden, Consul Général de 2005 à 2008. Ce dernier a joué un rôle déterminant dans la diplomatie publique et culturelle à Marseille, une ville à laquelle il est manifestement très attaché. Comme en témoigne le télégramme très significatif du 29 novembre 2005. Dans ce dernier, Philip Breeden répond à l’interrogation suivante : pourquoi Marseille n’a-t-elle pas été touchée par les violences urbaines au même titre que les banlieues parisiennes ? En effet, les émeutes de l’automne 2005 ont suscité de nombreuses interrogations de la part des Américains. Ils ont cherché à savoir si le facteur religieux pouvait expliquer cette poussée de violence. Comme le révèle Luc Bronner dans un article du Monde daté de décembre 2010, l’ambassade a très vite expliqué que l’islam n’était pas une cause déterminante de la crise des banlieues61. Si l’ambassade écarte le facteur de l’islam, Philip Breeden n’en use pas moins du prisme religieux. Il salue notamment le fait que la ville de Marseille applique une politique multiculturelle en reconnaissant l’ensemble des communautés religieuses ; un moyen, selon lui, d’apaiser les tensions. Cette politique lui semble, à juste titre, exceptionnelle en France, à tel point qu’il définit Marseille comme une ville profondément atypique : 61
Luc Bronner, « Banlieues et minorités sous l’œil attentif des Etats-Unis », Le Monde, 2 décembre 2010
25 Title Marseille spared urban unrest during recent riots: why? Origin Consulate Marseille (France) Cable time Tue, 29 Nov 2005 11:15 UTC Classification UNCLASSIFIED --------------------------------------------------------------------------------------------------« Marseille is very un-French in that it freely acknowledges the many religiousbased communities that make up the tissue of the city, and have developed municipal and civic mechanisms to interact with them. A typical example is "Marseille Esperance"* a municipal innovation created in the 1990s. It is a consultative council of religious leaders representing the major religions in Marseille that meets with the Mayor on an ad hoc basis and receives some office space from the city. The importance of this organization is as a symbol of unity and belonging, and it has played a role in maintaining social peace during times of tension. » Sur le caractère « un-French » et multiculturel de Marseille, Philip Breeden renchérit à la toute fin de son analyse : « The things that make Marseille different are also the things people often cite when the say Marseille is in some way not very French. However, at the very least, the emphasis Marseille places on conscious interaction with religious and ethnic communities suggests that there is a way for France to modify the unitary, "we are all French" model of integration without betraying the ideals of French society. » * A propos de Marseille Espérance, c’est un groupe informel réunissant autour du Maire les responsables religieux des principales familles spirituelles présentes sur le territoire communal. Ses membres entendent ainsi favoriser l’entente et la compréhension entre tous les marseillais, quelles que soient leur origine, leur culture et/ou leur religion62.
Philip Breeden explique également que le caractère pauvre, multiethnique et multiracial de Marseille la préserve des violences. Il reprend notamment l’exemple du quartier du Panier et décrit les strates successives d’immigration à la manière d’un melting pot : « a mixture of race and heritage rarely found in French city centers ». Selon lui, la pauvreté de la ville crée des réflexes de solidarité et contribue à renforcer ce brassage culturel. Il cite ainsi une phrase qu’il a relevée dans le quotidien régional La Provence : « On partage tout à Marseille, la pauvreté, l’OM et la plage. »63 Il en conclut que le sentiment d’exclusion est moins fort à Marseille que dans le reste de la France : « you don't find in Marseille the disaffected suburban populations feeling outcast from the city center ». Philip Breeden livre donc ici la vision d’une ville française hors du commun. D’où l’utilisation des expressions « un-French » et « Marseille exception » : « the "Marseille exception" is real, and will fuel debate about the "French Integration Model" in the coming months », écrit-il. Cette vision teintée d’angélisme délivrée par Philip Breeden, c’est également la représentation de Marseille que renvoie la presse américaine. Nous pensons notamment à un reportage du Washington Post paru en 2005 au moment des violences urbaines. Le journaliste Daniel Williams dépeint lui aussi Marseille comme une ville multiculturelle et pacifique. Philip Breeden fera d’ailleurs référence à cet article dans son télégramme : 62 63
Site de la ville de Marseille : [http://www.marseille.fr/sitevdm/jsp/site/Portal.jsp?page_id=902] Nous n’avons pas retrouvé l’article initial comportant cette citation qui émane selon Breeden d’un sociologue (indéterminé).
26 Daniel Williams commence par décrire le melting pot : « The very presence of such an ethnic collage in the downtown areas of many French cities during nearly three weeks of rioting would have been cause for alarm. But Marseille's core is a spicy stew of nationalities, giving it a make-up like no other in France. The free and easy mixture is one answer given by Marseille residents to the question posed over and over in recent weeks: Why has their town had relatively little trouble? » Il évoque la politique multiculturelle à travers l’initiative municipale « Marseille Espérance » : « Unlike municipal leaders elsewhere, recent mayors of Marseille have given official recognition to communal diversity, rather than trying to fit everyone into one box of Frenchness. A program called Marseille Hope, begun in the late 1980s, periodically organizes consultations among religious leaders -- Catholic, Orthodox Christian, Muslim, Jewish and Buddhist -- on community problems. » Daniel Williams mentionne enfin les images incontournables que sont l’OM et la plage : « The stadium that is home to the wildly popular Olympique Marseille soccer team stands in one of the city's wealthy neighborhoods. Hordes of fans from all social classes flock there without a second thought. "Even the beaches here are a factor for peace," said Salah Bariki, coordinator of the Marseille Hope project. "We all mix there." » 64 En résumé, d’après les télégrammes diplomatiques et les articles de presse dont ils s’inspirent, Marseille est perçue à la fois comme une poudrière en matière de sécurité et un creuset exceptionnel en terme d’immigration. Ces deux télégrammes a priori antagoniques révèlent que Marseille est loin de laisser les Américains indifférents, comme nous l’étudierons dans la partie suivante. En attendant, nous souhaitons revenir sur la vision fantasmée de Marseille que semblent véhiculer l’ambassade et le Consulat américains.
I. 3) Vision américaine de Marseille : entre mythe et réalité A l’extérieur comme à l’intérieur de la ville, la vision de Marseille est souvent mythifiée, dans un sens tantôt péjoratif tantôt mélioratif. Emile Témime écrivait déjà en 198565 : « dans un imaginaire qui n’est pas uniquement marseillais, la ville est perçue presque simultanément comme lieu de migration et lieu d’insécurité. […] Les deux phénomènes – le danger et la migration, apparaissent alors comme naturellement associés. » On remarque que c’est précisément la vision relayée par le premier télégramme évoqué ci-dessus. Cette représentation alarmiste, on peut sans doute l’attribuer en partie aux réminiscences de la French Connection. L’universitaire américain Alfred McCoy écrit dans La Politique de l’héroïne : « Pour la plupart des Américains, le nom de Marseille n’évoque rien d’autre que l’héroïne ».66 Quant à la représentation angélique de l’exception marseillaise, elle est loin de faire l’unanimité parmi les chercheurs. Le plus remonté d’entre eux est sans nul doute le politologue Vincent Geisser. Ce 64
Daniel Williams, « Long Integrated, Marseille Is Spared - Southern Port Was Largely Quiet as Riots Raged in Other French Cities », Washington Post, November 16, 2005 ; [http://www.washingtonpost.com/wpdyn/content/article/2005/11/15/AR2005111501418.html] 65 Emile Témime, « Marseille, ville de migrations », Vingtième siècle. Revue d’histoire 7(1), p. 37–50, 1985 66 Alfred McCoy, « Marseille sur Héroïne, les beaux jours de la French Connection (1945-1975) » in La politique de l’héroïne, L'implication de la CIA dans le trafic des drogues, Editions du Lézard, 2ème édition 1999
27 dernier a longtemps vécu à Marseille et s’est beaucoup intéressé à la « question musulmane ». Après la sortie de son ouvrage sur les Marseillais musulmans67 en septembre 2011, le journal La Provence rédige un compte rendu plus qu’incendiaire intitulé : « La très étrange étude d’un milliardaire sur les musulmans de Marseille », un article qui témoigne de l’attachement de la journaliste à cette vision enchantée de la ville. Visiblement agacée, Sophie Manelli écrit : « A en croire nos sociologues aixois, Marseille, qu'on croyait multiculturelle et plutôt accueillante, est en fait une ville "divisée et xénophobe". […] Pas un mot sur l'OM, ni sur les élus issus de l'immigration, les projets en cours sur les lieux de culte, le succès du multiculturalisme de la Fiesta des suds. L'intégration à Marseille est certes loin d'être parfaite, mais ce n'est pas en remplaçant des préjugés par des poncifs que l'on aidera à la résolution des problèmes. Conclusion : une étude de cours élémentaire réalisée par deux chercheurs égarés. » 68 Suite à la parution de cet article, le web-média Marsactu a choisi de faire réagir Vincent Geisser aux propos de La Provence, le chercheur évoque alors sa propre vision des choses: « Marsactu : Quelle est votre réaction à cette descente en flammes ? Vincent Geisser : sans vouloir rentrer dans un polémique avec La Provence, c’est malheureusement une réaction que j’ai souvent observée à Marseille dans un certain milieu : le déni de réalité. Dès que l’on remet on cause le mythe d’une Marseille fraternelle, sorte de carnaval multiculturel avec l’OM, on provoque une réaction violente. Mais derrière la fraternité, il y a dans cette ville de vraies fractures sociales. Après, peut-être la journaliste Sophie Manelli a-t-elle mal compris certaines choses, mais pour en arriver à une telle violence, c’est qu’elle a dû ressentir elle même une violence: “ils sont en train de tuer mon Marseille” ». 69 Cette remise en cause du « mythe d’une Marseille fraternelle » n’est pas nouvelle pour Vincent Geisser. Déjà dans son ouvrage Marianne et Allah, il la qualifiait de « vision irénique » 70 . Il dénonçait alors les affirmations de Bruno Etienne, politologue aixois qu’il traite de « grand vulgarisateur du mythe de “Marseille cosmopolite” ». En effet, ce dernier écrivait en 2001 : « Depuis la guerre du Golfe jusqu’au mondial de football, Marseille est un modèle et un exemple paradigmatique de cohabitation pacifique. Certes, les problèmes sociaux et économiques sont nombreux mais pas les conflits religieux ni communautaires. » 71 Quant à l’institution Marseille Espérance, Vincent Geisser relève dans ce même 67
Geisser Vincent, Lorcerie Françoise, Les Marseillais musulmans, Études de l’Open Society Foundations, New York, 2011. Sophie Manelli, « La très étrange étude d'un milliardaire sur les musulmans de Marseille », La Provence, 22 septembre 2011. En référence à Georges Soros, instigateur de l’Open Society, l’ONG qui a financé l’étude de Vincent Geisser. 69 Julien Vinzent, Interview de Vincent Geisser : « Remettre en cause le mythe d’une Marseille fraternelle provoque souvent des réactions violentes », Marsactu.fr, 22 septembre 2011 ; [http://www.marsactu.fr/politique/remettre-en-cause-le-mythe-dunemarseille-fraternelle-provoque-souvent-des-reactions-violentes-26555.html] 70 Vincent Geisser & Aziz Zemouri, Marianne et Allah, Les politiques français face à la « question musulmane », Editions La Découverte, Paris, 2007, p.229 71 Bruno Etienne, « Marseille comme exemple d’interaction ville/religion : l’association Marseille Espérance », in Franck FREGOSI et Jean-Paul WILLAIME (dir.), Le Religieux dans la commune. Les régulations locales du pluralisme religieux en France, Labor et Fides, Genève, 2001, p.65 // NB : cet antagonisme repose sur le fait que les thèses de Bruno Étienne s’opposent aux travaux de Vincent Geisser. Sur son blog le 20 mai 2009, l’universitaire Nicolas Maïsetti nous révèle ceci à propos de Bruno Etienne : ce spécialiste des religions, récemment disparu "n'a cessé d'affirmer l'inexistence d'une communauté musulmane entendue comme un ensemble monolithique d'individus ayant les mêmes pratiques, défendant les mêmes intérêts et mus par le souci de l'unité communautaire" selon son collègue et ami, Franck Fregosi. [http://www.marseilleinternationale.com/post/2009/05/20/MarseilleEsperance-%3A-2013-evenement-culturel] 68
28 ouvrage72 la « tonalité angélique du discours »73. Dans le domaine artistique, la mythification de Marseille au sens mélioratif s’est faite entre autres via le groupe IAM. Akhenaton, le leader de ce groupe de rap fondé en 1988 écrit dans son autobiographie que l’ambition du groupe était de réhabiliter Marseille : « Nous voulions lui redonner son lustre de cité millénaire fondée en 600 avant J.-C. Et nous avons réussi, en combinaison avec l’OM, puis le cinéma, notamment grâce aux films de Robert Guédiguian » raconte Akhenaton dans La face B74. A la différence de Bruno Etienne, Akhenaton n’est pas un politologue mais un artiste qui revendique cette volonté de ré-enchanter Marseille. Néanmoins, le cosmopolitisme marseillais n’est pas qu’un mythe. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de Marseille que toutes les personnes interrogées ont souhaité mettre en avant. Simplement, cosmopolitisme ne rime pas forcément avec solidarité et confraternité. Comme en témoigne cet observateur privilégié de la diversité marseillaise : le médecin Philippe Souïd. En effet, ce médecin généraliste exerce à Noailles75 depuis 35 ans. Il est juif, né à Constantine en Algérie. Il est arrivé à Marseille à l’âge de 8 ans. Lors d’une consultation à titre médical en 2008, il s’était exclamé devant nous : « Voyez ma salle d’attente : des Maghrébins, des Comoriens, des Asiatiques… Ça parle dans toutes les langues, c’est fantastique. C’est rare en France. Il n’y a qu’aux Etats-Unis qu’on retrouve une telle diversité ! » Il nous avait alors fait part de sa passion pour New York qu’il qualifie de « ville cosmopolite », à l’instar Marseille. Il s’est d’ailleurs rendu à NYC à plusieurs reprises depuis 1998. Cinq ans après ce bref échange, il a accepté de nous recevoir entre deux patients pour nous parler de sa ville et de son quartier : Noailles (1er arrondissement, voir carte p.9). « Vous constatez toujours cette importante diversité dans votre cabinet ? Philippe Souïd : Oui, quand je vous parlais de New-York dans mon cabinet, c’était pour le cosmopolitisme. J’ai été très étonné l’autre fois parce que dans la salle d’attente il y avait le proviseur du Lycée Thiers76. Il avait vécu longtemps au Maroc et je ne le savais pas. Je pensais que je devais le faire passer assez vite parce que je pensais qu’il était assez Vieille France et qu’il ne voulait pas rester au milieu des autres. Alors je le vois et je lui dis : « Venez, ça vient à vous. ». Je faisais semblant de ne pas voir que ça ne venait pas exactement à lui, disant que ma collaboratrice pourrait voir les autres patients… Et il me dit : « Non, ça ne vient pas à moi. » J’étais très étonné. Et en fait il y avait deux Kabyles dans la salle qui n’avaient pas le même point de vue sur un coin du Maroc. Ils n’avaient pas le même dialecte mais le proviseur comprenait les deux. Et il se régalait d’échanger avec eux. Et les autres voyant un européen français parlant leur langue… Alors là, miracle. Tout le monde se met à parler. Même ceux qui n’étaient pas kabyles.
72
Vincent Geisser & Aziz Zemouri, Marianne et Allah, Les politiques français face à la « question musulmane », Editions La Découverte, Paris, 2007 73 « A travers une institution informelle, Marseille Espérance, lancée en 1990 par le marie, dans le contexte fortement émotionnel de l’affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras et de la première Guerre du Golfe, il s’agit d’organiser le dialogue entre les composantes communautaires et spirituelles de la ville, grâce à la concertation entre des leaders communautaires et religieux qui ne représentent qu’eux mêmes. […]Au delà de la tonalité angélique du discours, on perçoit une rhétorique d’ordre entretenant le risque permanent d’explosion communautaire pour mieux justifier le bien-fondé de la création de ce « grand projet. », in Vincent Geisser & Aziz Zemouri, Marianne et Allah, Les politiques français face à la « question musulmane », Editions La Découverte, Paris, 2007 74 Akhenaton et Éric Macel, La face B , Points Le Seuil, Don Quichotte, 2010, p.269 75 Quartier populaire du centre-ville qui jouxte La Canebière. C’est à Noailles que l’on trouve entre autres le marché des capucins où se mêlent des populations très diverses. 76 Précisons que le prestigieux lycée Thiers se trouve à deux pas du cabinet du docteur Philippe Souïd, donc juste à côté du quartier de Noailles.
29 Est-ce que cosmopolitisme signifie « bonne entente » entre les différentes communautés ? Philippe Souïd : Non, pas forcément. On l’a bien vu quand il y a eu une rencontre Algérie-Egypte ici, et il y a eu des émeutes* 77 . La police était débordée, des dizaines de milliers de gens étaient dans la rue, alors que le match ne se faisait pas ici, il se jouait en Egypte !78 Outre les violences sporadiques entre supporters d’origine différente, il est vrai que les écarts socioéconomiques entre quartiers nord et quartiers sud demeurent très marqués à Marseille. Aussi la mixité sociale est-elle entravée (voir annexe 3 sur la répartition géographique des revenus) comme le souligne le médecin Philippe Souïd : « à Marseille comme à New York, il n’y a pas beaucoup d’interpénétration des populations ensemble. Le quartier chinois, Harlem, Brooklin qui est beaucoup plus pauvre… les quartiers sont bien spécifiés. Ici, entre Mallemousque, Endoume, toute cette population bobo, le quartier chinois ici [Noailles] qui est en train de s’étendre, les quartiers Nord... ça ne se mélange pas. »79 Déjà en 1985, l’historien Emile Témime souhaitait combattre les poncifs sur la ville de Marseille. Ainsi concluait-il son article sur les migrations à Marseille80 : « Le continuel renouvellement de la population implique sans aucun doute un long effort d’insertion, mais aussi des formes très anciennes d’oppositions, voire des conflits entre communautés, ce qui est peut-être une conséquence inéluctable de ce qu’il est convenu actuellement d’appeler le « pluralisme culturel » [l’auteur précise en note qu’il n’adhère guère à ce vocabulaire « à la mode » qui couvre toutes les marchandises], mais qui recouvre aussi des formes infiniment plus classiques d’antagonismes sociaux, liés à la dévalorisation de l’habitat ou du travail exercé par l’immigré. Le cas marseillais n’a, sur ce point, et en dépit de la légende, rien d’exemplaire. » En résumé, les instances diplomatiques américaines semblent plus actives en banlieue parisienne qu’à Marseille, un constat qui émane du traitement médiatique de ce phénomène et des télégrammes diplomatiques révélés par WikiLeaks. Bien que la cité phocéenne soit peu mentionnée dans les télégrammes, il est apparu que le Consulat et l’ambassade avaient une vision mythifiée de Marseille fondée sur la crainte et l’admiration. Cette approche paradoxale semble indiquer que la cité phocéenne ne les laisse pas indifférents. Autre indice qui irait à l’encontre de la thèse du « faible intérêt américain pour Marseille » : les premiers télégrammes portant sur les Musulmans et le cosmopolitisme marseillais en général datent de 2005. A titre de comparaison, le premier télégramme de ce genre concernant la ville de Strasbourg81 n’est rédigé qu’en 2009. Au cours de nos recherches de terrain, nous avons donc voulu savoir s’il n’y avait pas davantage d’actions de diplomatie publique menées à Marseille par les Etats-Unis que ne le laissent penser la presse francophone et les télégrammes diplomatiques dont nous disposions. 77
Le match date de novembre 2009. Il opposait l’Egypte à l’Algérie et comptait pour la qualification au Mondial de foot 2010. L’équipe algérienne s’est inclinée 2 à 0. S’en sont suivies de violentes échauffourées dans le centre-ville de Marseille entre supporters algériens et supporters égyptiens. Voir sur ce point l’article « Match Egypte-Algérie : incidents à Marseille » par la rédaction du figaro.fr (avec l’AFP), le 15 novembre 2009 ; [http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/11/15/0101620091115ARTFIG00020-match-egypte-algerie-incidents-a-marseille-.php] 78 Entretien avec Philippe Souïd, Marseille 1er, 15 juillet 2013. 79 Ibid. 80 Emile Témime, « Marseille, ville de migrations », Vingtième siècle. Revue d’histoire 7(1), p. 37–50, 1985 81 Strasbourg est la seule autre ville de Province qui dispose d’un Consulat général et dont les télégrammes sont accessibles sur le site de WikiLeaks.
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PARTIE II : A MARSEILLE, LA DIPLOMATIE DES QUARTIERS En réalité, les Etats-Unis sont loin de se désintéresser de Marseille, de sa population cosmopolite et de ses quartiers. Comme les instances diplomatiques l’évoquent dans leurs télégrammes, les Américains ont choisi de renforcer leurs programmes de diplomatie publique après le 11 septembre. Si la majorité des bénéficiaires proviennent de Paris ou de sa périphérie, les Marseillais ne sont pas en reste, comme le montrent les recherches que nous avons menées sur le terrain et que nous présentons ci-après.
II. 1) Les programmes pour adultes II. 1) 1] Les visiteurs internationaux A notre connaissance, quatre Marseillais au moins sont partis aux Etats-Unis dans le cadre des Visiteurs Internationaux. Avant de nous attarder sur leur profil, revenons sur les fondements de ce programme. Les Visiteurs Internationaux existent en tant que tels depuis 1948 grâce à la loi Smith-Mundt. Une brève histoire du programme est dressée sur leur site internet82, on y apprend que l’objectif est de « promouvoir une meilleure compréhension des Etats-Unis dans d’autres pays et d’accroître la compréhension mutuelle entre les Américains et les étrangers. » Selon cette même chronologie la loi SmithMundt a donné sa pleine importance aux échanges éducatifs et culturels initiés par le gouvernement. Pour prendre l’exemple de la France, l’ambassade sélectionne chaque année une trentaine d’individus triés sur le volet pour partir aux Etats-Unis pendant deux ou trois semaines. Au programme : découverte des institutions, dialogues avec des professionnels… On peut lire sur le site que l’objectif est de renforcer des relations durables entre citoyens américains et leaders étrangers à travers de courtes visites aux Etats-Unis83. Ce genre de programme rentre dans le cadre de la citizen diplomacy (diplomatie citoyenne). Ce volet de la diplomatie publique repose sur la volonté de tisser des relations durables entre citoyens Américains et étrangers, il a connu d’importantes évolutions au fil des décennies. Au début des années 1990, le sociologue américain John Lofland écrit que la citizen diplomacy renvoie aux efforts d’hommes et de femmes ordinaires aux Etats-Unis de nouer des relations avec des gens ordinaires de l’Union Soviétique (ou d’autres nations considérées comme ennemies par les Etats-Unis). Selon lui, elle vise à construire une relation fondée sur les bons sentiments et la compréhension mutuelle de l’autre84. C’est toujours le cas aujourd’hui, si ce n’est qu’il ne s’agit pas systématiquement de « nations ennemies ». La France a beau être une « nation amie »85, elle est tout particulièrement visée par les nouvelles pratiques de diplomatie publique car elle compte une forte proportion d’arabes et de musulmans. 82
Site du bureau des affaires culturelles : [http://eca.state.gov/ivlp/about-ivlp/program-history] Ibid. 84 Polite Protesters : The American Peace Movement of the 1980’s, by John Lofland, Syracuse University Press, coll. Syracuse Studies on Peace and Conflict Resolution, 1994 & le site web du National Council of International Visitors : « Citizen diplomacy is the concept that, in a vibrant democracy, the individual citizen has the right--even the responsibility--to help shape foreign relations, as our members phrase it, "one handshake at a time." In practical terms, citizen diplomats are professionals, families, students, interns, and travelers who make an impact by reaching out to individuals from other countries to build bridges of mutual understanding. » [http://www.nciv.org/Top/discover-citizen-diplomacy.html] 85 Souvent présentée comme un allié diplomatique historique : « France is the oldest ally of the United States, with U.S.-French diplomatic relations stretching back more than 225 years. » peut-on lire sur le site de l’ambassade des Etats-Unis à Paris. 83
31 Quoi qu’il en soit, nombreux sont les hommes et les femmes (surtout les hommes) politiques français à avoir été sélectionnés dans le passé. On peut citer pêle-mêle Valéry Giscard d’Estaing, Lionel Jospin, Laurent Fabius, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon, ou encore Nathalie Kosciusko Morizet86. Centralisation oblige, les Etats-Unis sont longtemps allés chercher les futures élites à la sortie des grandes écoles, à Paris donc. Toutefois, des Marseillais aussi sont partis. Parmi eux, Gaston Defferre, l’historique maire de Marseille entre 1953 et 1986, a été invité à se rendre aux Etats-Unis en 195987. Trente six ans plus tard, les Etats-Unis cooptaient Salah Bariki, marseillais d’origine tunisienne. Ce dernier y est allé en 1995, alors qu’il était journaliste à Radio Gazelle : « A l’époque, j’avais dû interviewer la Consul, on avait sympathisé. Et puis on me voyait aussi à la télé. Je crois que c’est pour ça qu’ils m’ont sélectionné pour partir. Vous savez, ils ont des catégories : journalistes, politiques, artistes… je rentrais dans la première. »88. Il n’est certes pas le premier Marseillais à être parti en tant que visiteur international, « mais le premier Arabe, ça certainement ! ». Précisions que Salah Bariki est également conseiller municipal du maire JeanPaul Gaudin. Selon Vincent Geisser, il est le « Monsieur Islam » de la municipalité89. Il fait d’ailleurs partie des signataires de la « Charte fondatrice » de Marseille Espérance datée du 29 juin 1990, en tant que représentant des « musulmans laïques ». En 2008, c’est Karim Zéribi qui était invité à partir aux Etats-Unis aux frais de l’ambassade. Né en Avignon, ce cinquantenaire d’origine algérienne s’est installé à Marseille il y a de nombreuses années. Il multiplie les casquettes : ancien footballeur, il est l’actuel patron de la Régie Marseillaise des Transports. Dans le même temps, il est chroniqueur pour RMC90 et Numéro 23, la nouvelle chaîne de la TNT dédiée à la diversité. Il s’est également présenté aux deux dernières élections législatives à Marseille : la première fois sous l’étiquette « Divers gauche » (2007), la deuxième en tant que candidat d’EELV (2012). En 2008 donc, il a participé aux Visiteurs Internationaux. Quelques mois après son retour, il a donné un aperçu de l’organisation et du voyage lui-même sur le web-media Presse & Cité : «. J’ai demandé à visiter les universités et les entreprises, et à rencontrer des compagnons de Malcolm X. Ce programme m’a fait traverser cinq Etats. C’était des journées très intenses. On était chez l’habitant, donc on voyait comment les gens vivaient. » 91. La cooptation de Karim Zéribi par l’ambassade illustre parfaitement la volonté américaine d’ouvrir ces programmes aux Français « issus de la diversité », et parmi eux, des Marseillais issus des quartiers populaires. C’est pourquoi nous avons choisi de parler de « diplomatie des quartiers » pour désigner le travail américain mené à Marseille. En 2009 enfin, le chercheur Vincent Geisser évoqué précédemment a lui aussi été sélectionné. Nous analyserons ultérieurement son bilan critique du voyage.
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« Quand la diversité française s'exporte aux Etats-Unis », Elsa Vigoureux, Le Nouvel Obs, le 15 septembre 2011, [http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20110915.OBS0455/quand-la-diversite-francaise-s-exporte-aux-etats-unis.html] 87 Scott-Smith Giles, « The US State Department's Foreign Leader Program in France During the Early Cold War », Revue française d'études américaines, 2006/1 no 107, p. 47-60. 88 Entretien par téléphone avec Salah Bariki, le 23 juillet 2013. 89 Marianne et Allah, Les politiques français face à la « question musulmane », par Vincent Geisser et Aziz Zemouri, Editions La Découverte, Paris, 2007, p.242 90 Pour l’émission Les Grandes Gueules. 91 Meriem Laribi, « Karim Zéribi : « Les USA ont compris avant la France qu’on allait jouer un rôle important » », Presse & Cité, 9 septembre 2011 ; [http://www.presseetcite.info/journal-officiel-des-banlieues/agir/karim-zeribi-les-usa-ont-compris-avant-la-francequon-allait]
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II. 1) 2] Les « customized exchanges » ou « voyages sur mesure » Outre les programmes historiques de diplomatie publique, il existe également des voyages conçus « sur mesure » à l’image du stage de community organizing auquel a participé le Marseillais Nassurdine Haidari en février 2010 (élu socialiste d’origine comorienne, voir p.13 pour ses éléments biographiques). Lors de notre rencontre en mai 2012, il nous avait décrit comment la machine s’était mise en place et nous avait décrit le contenu de son voyage : « Par qui avez-vous été contacté ? Nassurdine Haidari : Ça s’est fait par le biais d’un ami à moi qui s’appelle Vincent Geisser [encore lui, le même] qui est chercheur au CNRS, qui est parti lui aussi aux Etats-Unis, et qui m’a en fait introduit à de l’ambassade des Etats-Unis. Et c’est par ce biais là. C’est un système de cooptation92. […] Est-ce un voyage « dérivé des Visiteurs internationaux », ce programme auquel a participé Karim Zéribi ? Nassurdine Haidari : Karim Zéribi, ouais, il est parti. […] Mais on n’a pas fait le même voyage. Moi, j’ai eu un voyage très spécifique. Nous, on nous a appris à monter des opérations pour sensibiliser les masses à travers du « community organizing ». Nous, on a été vraiment formés à lancer des opérations nationales, locales, pour les quartiers, pour les populations en difficulté. Concrètement, ça s’est déroulé comment ? Nassurdine Haidari : C’était 15 jours, une formation intense [voir annexe 6 sur son emploi du temps]. On était à Chicago, avec ceux qui avaient formés Barack Obama. On était aussi dans les quartiers pauvres de Chicago, donc c’était intéressant. On n’a fait que Chicago. Ce n’est pas le voyage de Zéribi où l’on voit des personnalités. Nous, ça a été l’un des premiers voyages de ce type là, où on vient et on prépare des Français aux méthodes américaines. »93 Nous remarquons donc qu’en plus des voyages traditionnels du type « Visiteur internationaux », d’autres voyages ont fait leur apparition dans l’éventail des outils de la diplomatie publique. Il y a fort à parier que d’autres Marseillais sont partis mais nous n’en savons pas davantage. Selon Nasséra Benmarnia, attachée parlementaire du député marseillais Patrick Menucci, Rania Imssissene aurait également été cooptée94. Elle est membre du Bureau de l’association La Mosquée de Marseille95. Néanmoins, nous n’avons pas eu confirmation de cette information et ne savons pas dans quel cadre elle serait hypothétiquement partie. Quel que soit le type de voyage, ces programmes sont révélateurs des méthodes de diplomatie publique américaine : l’élaboration d’un réseau solide pour la partie « cooptation » (voir § II.3 sur le réseau américain à Marseille) et le recours à des associations partenaires, sortes de « tours opérateurs de la 92
Sur le mécanisme de cooptation, nous avons interrogé Tara Dickman. Elle n’est pas Marseillaise mais a participé au même voyage que Nassurdine, en tant que présidente de l’ONG Humanity in Action (qu’elle ne dirige plus depuis). Lors d’un entretien téléphonique le 9 juillet 2013, elle nous confiait : « Alors, je n’ai pas été contactée par l’ambassade américaine. J’ai rencontré l’ancien directeur de campagne de Barack Obama dans le cadre de Humanity in Action. Il m’a dit : « c’est con, il faudrait que tu partes aux Etats-Unis pour te former ». Il a fait une demande auprès de l’ambassade : une demande de financement en fait, comme pour d’autres projets. Les médias se sont focalisés là-dessus mais il y a beaucoup d’autres projets. » 93 Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er 31 mai 2012. 94 Entretien téléphonique avec Nasséra Benmarnia, le 22 juillet 2013. 95 On peut lire sur leur site : « L’association à été crée en mai 2006, suite à une consultation des différentes associations et composantes de la communauté musulmane. L’objet de l’association est de coordonner la levée des fonds, puis de construire le projet de la Mosquée de Marseille et d’en assurer ensuite le fonctionnement. L’association est constituée d’une assemblée représentative de la communauté musulmane de Marseille. » [http://lamosqueedemarseille.com/?page_id=18]
33 diplomatie publique », sur le sol américain. A titre d’exemple, les voyages des Visiteurs internationaux sont organisés pour par la plupart par le Meridian International Center. Situé à Washington, « le Meridian fait avancer les efforts américains en matières de diplomatie publique et culturelle depuis 1960, peut-on lire sur son site. Des dizaines de milliers de leaders internationaux ont participé à nos programmes d’échanges destinés à améliorer leur compréhension des Etats-Unis et des citoyens américains. »96 Dans le même ordre idée, ce ne sont pas moins de trois associations97 qui ont organisé le stage de community organizing auquel a participé Nassurdine Haidari. Parmi elles, Target Area Development Corp basée à Chicago et dont le descriptif est exposé ci-dessous. Comme au Meridian International Center, la notion de leadership est mise en avant. Nous reviendrons ultérieurement sur l’importance du leadership et du community organizing.
Source : document remis à Nassurdine Haidari lors de son « voyage sur mesure » à Chicago en février 2010
Ces partenariats systématiques avec des associations et des ONG ne sont pas entièrement nouveaux. Déjà dans les années 1950, le Foreign Leader Program, ancêtre des Visiteurs internationaux, était organisé par le Governmental Affairs Institute, remplacé ensuite par le Meridian International Center98. Joseph Nye fait toutefois remarquer que le recours à ce genre d’opérateurs est de plus en plus courant. Il permet en effet de palier la défiance des publics internationaux à l’égard des autorités gouvernementales. C’est une question de confiance et de crédibilité, conditions sine qua non du succès de la diplomatie publique99. Au passage, nous remarquons que les nouveaux acteurs de la diplomatie publique américaine à Marseille sont plus des ONG, des associations et des « tours opérateurs » que les villes elles-mêmes, qui ne semblent pas jouer un rôle fondamental. Il n’existe par exemple aucun accord de coopération internationale entre Marseille et une ville américaine. Selon Michelle Reynaud, directrice des relations internationales et européennes à la ville de Marseille, cela s’explique par l’éloignement (alors qu’il des accords de coopération avec des villes chinoises). Il n’est toutefois pas impossible qu’un tel jumelage voie le jour dans les années à venir. En effet, tous les communiqués de presse municipaux ayant trait aux rencontres entre Jean-Claude 96
Site web du Meridian International Center : [http://www.meridian.org/meridian/about-meridian-international-center] Think Inc, Target Area et Iiron. 98 Scott-Smith Giles, « The US State Department's Foreign Leader Program in France During the Early Cold War », Revue française d'études américaines, 2006/1 no 107, p. 47-60. 99 Joseph Nye, « Public diplomacy and Soft Power », Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616, Public Diplomacy in a Changing World (Mar., 2008), pp. 94-109 - Published by: Sage Publications, Inc. in association with the American Academy of Political and Social Science 97
34 Gaudin et les Consuls successifs font état de discussions portant sur un rapprochement futur entre la cité phocéenne et une ville des Etats-Unis, qui reste cependant à déterminer100.
II. 2) Les programmes destinés à la jeunesse Au cours de nos recherches, nous avons identifié deux programmes différents à destination des jeunes Marseillais : un programme sportif (1) et les « Jeunes ambassadeurs », une déclinaison des Visiteurs Internationaux dédiée à la jeunesse (2).
II. 2) 1] Un projet d’échange sportif C’est ce que l’ambassadeur américain Charles Rivkin appelle la « diplomatie par le sport ». Le Consulat à Marseille a lancé en 2011 un projet d’échanges sportifs franco-américain financé par le Département d’Etat des Etats-Unis (Ministère des Affaires Etrangères). Ainsi en 2011, dix jeunes joueurs de basket marseillais de 14 à 17 ans ont passé trois semaines aux Etats-Unis afin d’acquérir de nouvelles techniques sportives et des compétences en matière d’encadrement et de coaching (voir annexe 7 pour le descriptif du programme)101 . Sur place, l’organisation était prise en charge non pas par une association mais par l’Institut pour la Formation et le Développement situé dans le Massachussetts. A l’époque, Charles Rivkin avait même profité de son deuxième déplacement à Marseille pour rencontrer ces jeunes de Marseille. Sa visite avait donné lieu à une interview dans La Provence : « La Provence : Vous avez rencontré les 10 jeunes basketteurs marseillais qui vont participer à un programme d’échanges avec les États-Unis. Charles Rivkin : Nous avons reçu une subvention pour ce programme. C’est ce que j’appelle la "diplomatie par le sport". Nous avons pu trouver des fonds parce que Marseille est un exemple, un modèle de réussite dans l’intégration des communautés 102 . Le petit clin d’œil est que le basket est le sport favori du Président Obama qui a installé un panier à la Maison Blanche et à camp David ! La Provence : Est-ce une façon plus moderne, plus actuelle, de faire de la diplomatie et de s’adresser aux jeunes ? Charles Rivkin : Le sport est un excellent exemple. On peut jouer au basket, au tennis, n’importe où. Les sœurs Williams viennent d’un quartier défavorisé de New York et elles sont devenues les meilleures du monde. On peut montrer son talent sans avoir d’argent. Et là encore, c’est un excellent moyen de se connaître mutuellement. Regardez Tony Parker, il est Français et joue chez les Spurs ! » 103 Ce qui ressort de cette interview et de l’exemple des sœurs Williams, c’est la volonté américaine de s’adresser à des jeunes des quartiers populaires de Marseille. D’ailleurs, quand dix jeunes basketteurs 100
« Marseille accueille l’ambassadeur des Etats-Unis », 8 mars 2013, site du maire : [http://www.jeanclaudegaudin.net/v4_jcg/index.php?option=com_content&view=article&id=2101:marseille-accueille-lambassadeurdes-etats-unis-&catid=8:actualite-marseille&Itemid=47] 101 Malgré tous nous efforts, nous ne sommes malheureusement pas parvenu à entrer en contact avec ces jeunes basketteurs marseillais. 102 Au passage, on retrouve la vision mythifiée de Marseille, ici teintée d’admiration. 103 Paule Cournet, interview de Charles Rivkin pour La Provence, 6 avril 2011. Relayé par le site du Consulat des Etats-Unis à Marseille [http://french.marseille.usconsulate.gov/prog20110406.html]
35 américains sont venus à leur tour en 2012 rencontrer leurs homologues français, ils se sont rendus dans les quartiers Nord de la ville à l’Ecole de la deuxième chance104. Précisons également que ce programme d’échange sportif américano-marseillais est l’exacte application de la stratégie exprimée dès 2005 dans le télégramme diplomatique dédié aux programmes sportifs et culturels :
Subject : REINVIGORATING PUBLIC DIPLOMACY CULTURAL AND SPORTS PROGRAMS - THE PERSPECTIVE FROM FRANCE Origin : Embassy Paris (France) Cable time : Thu, 29 Dec 2005 17:04 UTC Classification : UNCLASSIFIED ---------------------------------------------------------------------------------------------------Sports programs are also an extremely effective way to reach out to all types of French audiences without language barriers. Basketball is by far the most popular of US sports here, and American basketball teams and players are well known by French fans, who are often very diverse in their backgrounds, ranging from the elite to the lower socioeconomic classes. French players in the NBA are idolized in France. Our basketball athletes can be excellent US ambassadors and role models to young audiences, and would be particularly valuable in our collaboration with schools and community or civic associations working with disadvantaged youth in urban areas. Dernier point à souligner : l’importance accordée à l’engagement associatif, une marotte américaine. Dans le document de présentation du projet, on peut lire la chose suivante : « A Marseille, […] les jeunes américains […] consolideront surtout l’amitié entamée avec les jeunes Français, basée sur le même engagement associatif et civique, confortant ainsi le dialogue inter communautaire et interculturel initié par le voyage des jeunes français aux USA au printemps dernier. » (voir annexe 7). L’attention apportée à la l’engagement civique nous amène au programme suivant : les Jeunes ambassadeurs.
II. 2) 2] Les Jeunes ambassadeurs Ce programme de diplomatie publique s’adresse à des jeunes de cinq régions françaises105 , dont la Provence Alpes Côte d’Azur (PACA). Initié par l’ambassade américaine, le programme existe depuis 2008. Un an plus tard, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (l’Acsé) s’y associait. Concrètement, une trentaine de lycéens issus de quartiers populaires sont sélectionnés chaque année sur l’ensemble du territoire pour partir deux semaines à Washington DC en tant que Jeunes ambassadeurs de la République française (JA). Les jeunes en question sont triés sur le volet et doivent remplir un certain nombre de critères. En PACA, seuls des jeunes des lycées ZEP de Marseille sont autorisés à partir (ce n’est pas le cas de toutes les régions). Par ce biais, les jeunes Marseillais sélectionnés sont très majoritairement issus de quartiers populaires. De plus, et c’est valable pour l’ensemble des candidats en France, leur quotient familial ne doit pas dépasser 700 euros. Aussi, bien que ce ne soit pas écrit noir sur blanc, ce programme s’adresse
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Une structure dont la mission est d’assurer l’insertion professionnelle et sociale, par l’éducation et la formation, des jeunes adultes de 18 à 25 ans sortis sans diplôme du système scolaire. [http://www.e2cmarseille.net/web//E2C/Présentationgénérale/Missionetgrandsprincipes/tabid/136/Default.aspx] 105 Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Aquitaine, PACA, Rhône Alpes.
36 aux élèves les meilleurs106. A Marseille par exemple, seuls des élèves de section européenne sont envoyés aux Etats-Unis. Enfin, chaque lycéen est supposé avoir un sérieux engagement associatif pour pouvoir partir. Ces voyages ont un coût : 4000 euros par JA environ, soit 120 000 euros en tout, pris en charge à égalité par l’Ambassade américaine et l’Acsé. Afin de mieux comprendre les enjeux de ce programme, nous sommes entrés en contact avec quatre Jeunes ambassadrices marseillaises107 : deux JA 2012 (voyage effectué à la Toussaint 2012) et deux JA 2013 (voyage à venir à la Toussaint 2013). Nous avons eu la chance de rencontrer trois d’entre elles et d’échanger des mails avec la quatrième. Toutes viennent du lycée ZEP Victor Hugo dans le 1er arrondissement de Marseille (centre-ville) et toutes sont en section européenne. D’ailleurs, toutes ont eu vent du projet par leurs professeurs d’anglais de section européenne, ces derniers étant eux-mêmes en contact régulier avec le Consulat pour des raisons professionnelles. JA 2013, la jeune Cécilia Allali (17 ans) a accepté de répondre à nos questions en plein mois de juillet. Elle vit dans le 14e arrondissement de Marseille (quartiers Nord), seule avec sa mère. Elle a préféré que nous nous donnions rendez-vous à l’exact opposé de chez elle dans le grand et prestigieux parc Borély, « parce que, dit-elle, il n’y a pas de jolis parcs comme ça à côté de chez moi ». Brillante élève, elle rentre en Terminale S. Elle avait déjà postulé une fois au programme « Jeunes ambassadeurs » avant d’être sélectionnée en 2013. Elle nous décrit avec minutie les étapes de sélection : « L’année dernière, les professeurs nous avaient déjà parlé du programme Jeunes Ambassadeurs. Donc j’avais déjà rempli un dossier. Dans lequel il faut se présenter, dire ce qu’on veut faire plus tard. On doit décrire le projet associatif que l’on veut faire après. Parce que c’est vraiment un programme qui est centré sur l’associatif et sur ce qu’on peut faire pour aider les autres. Et c’est aussi sur les associations dans lesquelles on est maintenant, si on fait quelque chose en particulier. Et on nous demande de rédiger une lettre en anglais à la famille. A partir de ce dossier, on est sélectionné ou pas pour l’entretien, à la préfecture108. Y a Mathilde Bauwin de l’ADICE109, y a des gens de l’ambassade des Etats-Unis... On nous pose quelques questions : ce qu’on pense des Etats-Unis, pourquoi on veut participer à ce programme… On nous demande comment on voit les EtatsUnis, comment on a entendu parler de ce programme, quelles sont nos motivations. On nous pose des questions en anglais, assez basiques. On nous demande si on a déjà voyagé, ce qu’on aime faire. Je pense que c’est ça qui prime : notre engagement et notre motivation. »110 Une fois sélectionnés, les JA sont envoyés en « semaine de formation » à Paris début juillet. Quelques jours pendant lesquels ils sont briefés sur les enjeux du voyage et sur le rôle qu’ils vont devoir 106
Marie-Christine Paolini, la responsable du service de presse de l’Acsé nous a confirmé que ça ne s’adressait qu’à des jeunes excellents, aux « élites ». Entretien par téléphone avec Marie-Christine Paolini, 16 juillet 2013. 107 Sur ce point, voir nos explications en introduction sur l’enquête de terrain. 108 Pourquoi la préfecture ? Pour y rencontrer le prefet de l’égalité des chances. Le préfet délégué pour l'égalité des chances assiste, conformément au décret Décret n° 2005-1621 du 22 décembre 2005, le Préfet des Bouches-du-Rhône pour toutes les missions concourant à la coordination et à la mise en œuvre de la politique du Gouvernement en matière de cohésion sociale, d'égalité des chances et de lutte contre les discriminations. A ce titre, il participe à la mise en œuvre des actions visant à l'intégration des populations immigrées résidant en France. Source : site de la préfecture, [http://www.paca.pref.gouv.fr/L-Etat-et-ses-services/L-Etatdans-le-departement/La-prefecture-du-departement/Le-prefet-delegue-pour-l-egalite-des-chances-PDEC] 109 ADICE : Association pour le développement des initiatives citoyennes et européennes. En effet, l’Acsé délègue une partie de l’organisation du voyage à cette association, comme le font les instances diplomatiques américaines avec leurs associations. 110 Entretien avec Cécilia Allali, JA 2013, Marseille 8e, 19 juillet 2013.
37 tenir. Ils reçoivent également de nombreux intervenants pour leur parler des Etats-Unis. Enfin, ils partent à Washington pendant les vacances de la Toussaint. S’en suivent deux semaines intensives à la manière des « Visiteurs internationaux ». La première est consacrée à des visites institutionnelles et à des rencontres avec des intervenants. Il apparaît d’ailleurs sur leur emploi du temps (voir annexe 5) que le Meridian International Center est à nouveau au cœur de l’organisation de ce voyage, comme nous l’a confirmé l’une des JA 2012 111 . (Soulignons à nouveau l’importance des associations dans l’organisation d’un tel programme : l’ADICE côté français, et le Meridian International Center aux Etats-Unis.) La deuxième semaine se déroule en immersion dans une famille américaine112. Nous ajouterons enfin que le Consulat américain à Marseille joue à plein son rôle de relais diplomatique pour ce programme établi au niveau national. Par exemple, le Consulat met ses moyens techniques à disposition des JA de Marseille afin que ces derniers puissent participer à des vidéos conférences avec les membres de l’association Jeunes ambassadeurs alumni (le réseau des anciens)113 . De plus, l’ancien Consul Général de Marseille Philip Breeden continue de jouer un rôle particulier dans ce programme (voir sa biographie p.17). Selon la JA 2012 Lucie Martinez, il serait très attaché à Marseille et ferait partie des instigateurs du projet Jeunes ambassadeurs.114 Ces informations expliqueraient pourquoi il a tenu à se rendre en personne au lycée Victor Hugo en novembre 2012 alors qu’il n’était plus Consul115. Il avait alors animé une conférence et rencontré les JA en compagnie de Josette Steinbach, Conseillère aux Affaires culturelles au Consulat des Etats-Unis à Marseille 116 . Laquelle Mme Steinbach a fortement contribué à assurer la continuité des actions insufflées par Philip Breeden, comme nous l’évoquerons dans les pages qui suivent. Le cas de l’incontournable Philip Breeden nous amène à traiter des stratégies de réseau mises en place à Marseille par le Consulat américain. En effet, outre les programmes institués de diplomatie publique, le travail du Consulat consiste à tisser au quotidien un important réseau. Un travail qui participe de ce que nous avons choisi d’appeler « la diplomatie des quartiers ».
II. 3) Un important travail de réseau A l’image de l’ambassade américaine à Paris, le Consulat des Etats-Unis à Marseille mène une politique « inclusive, qui s’adresse à tous les acteurs », dixit Vanessa Tiersky, actuelle Conseillère aux Affaires culturelles117. C’est-à-dire que le Consulat cherche à mieux connaître l’ensemble des pans de la population marseillaise. Cela correspond aux évolutions de la diplomatie publique : s’intéresser davantage aux individus et aux groupes non-gouvernementaux. Brian Hocking, professeur britannique de relations 111
Entretien avec Lucie Martinez, JA 2012, Marseille 4e, 23 juillet 2013. Dans ses réponses à un questionnaire que nous lui avions transmis par mail, Coralie Mampinga, JA 2012, a insisté sur le fait que ces familles n’étaient pas rémunérées. 113 Entretien avec Lucie Martinez, JA 2012, Marseille 4e, 23 juillet 2013. 114 Ibid. 115 « Les sections euro anglais à l’heure américaine ! », par Corinne Chapel, professeur d’anglais, le 28 novembre 2012 sur le site du lycée ; [http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-aix-marseille.fr/spip.php?article278] 116 Un poste qu’elle a occupé du milieu des années 2000 au printemps 2013. C’est elle qui avait lancé le programme d’échanges sportifs pour les basketteurs. 117 En poste depuis le printemps 2013, elle remplace Josette Steinbach. Nous avons échangé avec elle plusieurs mails et coups de téléphone. 112
38 internationales, fait remarquer que la mission du diplomate a évolué vers un rôle de facilitateur dans la création et la gestion de réseaux118. A ce titre, l’exemple marseillais est tout à fait parlant. Dès la deuxième moitié des années 1990, avant même les attentats du 11 septembre donc, le Consulat nouait des contacts avec les acteurs associatifs marseillais, comme en témoigne Karima Berriche, actuelle directrice du centre social l’Agora : « La première fois c’était dans la deuxième moitié des années 1990. Ils m’ont contactée en tant actrice associative qui connaît bien la vie des quartiers. J’ai été invitée trois fois en quelques années, on allait dans un bon resto du centre-ville. C’était pour prendre un peu le pouls des quartiers, avoir une image instantanée sur les quartiers. On discutait de la force des femmes issues de l’immigration, du poids des femmes dans la vie associative des quartiers populaires, de l’Islam, de la pratique de l’Islam et des formes que ça prenait. »119 Cette prise de contact avec Karima Berriche correspond au moment où Salah Bariki (actuel conseiller municipal en charge des questions relatives à l’Islam) devenait « Visiteur International » (en 1995). Autrement dit, non seulement les démarches de diplomatie publique à Marseille sont loin d’être inexistantes, mais en plus elles ont cours depuis plus longtemps qu’on ne le croit. En réalité, le 11 septembre a redynamisé et renforcé des pratiques courantes. Parmi les personnalités américaines qui ont compté dans ce regain de dynamisme, se trouve incontestablement Philip Breeden, ex-Consul général des Etats-Unis à Marseille de 2005 à 2008. En 2008, Philip Breeden exposait sa vision des choses aux journalistes de Med’In Marseille120 : « Si vous voulez, moi je pense que l’un des rôles d’un Consulat, surtout un Consulat des Etats-Unis, est d’avoir un contact avec toutes les forces vives d’une ville et d’une région. Marseille c’est une ville très diverse, comme mon pays, pour moi c’est normal d’avoir un contact avec toutes les tendances de la ville. » Cette volonté se traduit par un important travail de terrain afin de constituer un solide réseau, à l’image du « Who’s who de la diversité » tenu par Randiane Peccoud en banlieue parisienne121. Au cours de nos recherches, nous avons pu nous apercevoir que Philip Breeden avait beaucoup œuvré pour enrichir ce carnet d’adresse. En effet, son nom est revenu dans la bouche de six personnes interrogées. Il est apparu tout d’abord que Philip Breeden était tout particulièrement attaché à la diplomatie culturelle122 (qui n’est autre qu’une dimension spécifique de la diplomatie publique). Ainsi était-il très proche de Salah Bariki avec qui il avait co-organisé un concert de coutry music à l’Espace Julien123. Autre exemple de cet usage de la diplomatie culturelle par Philip Breeden : ses relations avec l’association de
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Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy » in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.41 119 Entretien par téléphone avec Karima Berriche le 19 août 2013. 120 Web-media qui se présente comme le média euro-méditerranéen de toutes les diversités à Marseille. [http://www.med-inmarseille.info] Ahmed Nadjar, son directeur de publication fait partie des Marseillais approchés par le Consulat des Etats-Unis (entretien avec Ahmed Nadjar, Marseille 15e, 18 juillet 2013 121 Fayçal Douhane, en charge de la diversité au PS, cité par Luc Bronner, « Washington à la conquête du « 9-3 » », Le Monde, 6 juin 2010. Randiane Peccoud est en charge de la société civile à l’ambassade des Etats-Unis à Paris. 122 On apprend dans sa biographie (p.38) qu’il a reçu un « Superior Honor Award » pour ses efforts en matière de Diplomatie Culturelle quand il était en poste à Tunis. 123 Une importante salle de concert du centre-ville située au Cours Julien, dans le 1er arrondissement.
39 l’Union des Familles Musulmanes des Bouches du Rhône124 . Une fois de plus, il fut question d’un concert, comme nous l’a expliqué l’ancienne présidente de l’UFM Nasséra Benmarnia125 . Laquelle nous a décrit ses « relations très cordiales » avec le Consulat : « Aviez-vous des relations avec les instances diplomatiques américaines ? - Oui, des relations très cordiales avec le Consulat notamment. Quand le Consulat recevait des groupes de jeunes américains, souvent ils faisaient une halte par les locaux de notre association. Et une fois, pour l’Aïd dans la cité126, ils avaient invité un artiste américain qui jouait du banjo avec des musiciens algériens qui jouaient du luth, c’était magnifique. A l’initiative de qui ? - Breeden, Philip Breeden. C’est lui me semble-t-il qui est venu vers nous. Une année même, ils avaient été partenaires de l’année de la diversité. »127 Les relations de Philip Breeden avec l’Union des familles musulmanes témoignent de la volonté consulaire de mieux connaître les acteurs marseillais non-gouvernementaux. Cette volonté fut clairement suivie d’effet. En témoigne ce programme de visites concocté par Philip Breeden en 2007 à destination d’un groupe de jeunes Américains arabes participant au programme « Citizen Dialogue »128 . Dans son interview accordée à Med’In Marseille en 2008, Philip Breeden décrit le programme de visites : « Nous sommes allés voir une ONG qui travaille dans les domaines de recrutement et de lutte contre les discriminations dans le monde de l’emploi. Nous sommes allés visités la Mosquée al Islah, l’une des plus importantes à Marseille. Nous sommes aussi allés visiter certaines associations qui sont dans le même bâtiment. Et puis dans l’aprèsmidi nous sommes allés à l’Ecole de la Deuxième Chance où l’on a eu une table ronde avec plusieurs partenaires de l’Ecole de la Deuxième Chance129. » De plus, Salah Bariki nous a révélé que depuis 2011 ou 2012, le Consulat des Etats-Unis venait fêter la fête de l’indépendance dans cette même Ecole de la Deuxième chance130. Depuis le départ de Philip Breeden en 2008, les Consuls suivants ont poursuivi les efforts de diplomatie publique envers toutes les franges de la société marseillaise, mais ce de manière plus discrète. En effet, les noms de Kathleen Riley et Diane Kelly sont revenus moins souvent au cours des entretiens que nous avons menés. De plus, comme dans tout réseau, il est question d’affinités. Après le départ de Philip Breeden en 2008, il semblerait que certaines relations se soient distendues. Salah Bariki nous a confié avoir moins d’atomes crochus avec l’actuelle Consul, Diane Kelly : « On a très peu de relations avec Madame Kelly. Ça marche beaucoup par affinités personnelles. Breeden par exemple, il parlait très bien arabe. Et 124
Cette association familiale est née en 1996. Sur le site Internet, on peut lire la présentation suivante : « C’est une association laïque et apolitique, qui joue un rôle essentiel de représentation des familles auprès des pouvoirs publics. Elle a notamment compétence pour intervenir dans les relations entre les usagers et l’administration, la défense des intérêts des enfants, la représentation des consommateurs… » [http://www.ufm13.org/ufm-au-quotidien.php?categorie=quisommes] 125 Elle est actuellement l’attachée parlementaire de Patrick Menucci. 126 « L’Aïd dans la cité » est une sorte de festival organisé à Marseille par l’UFM depuis 2003. Pendant plusieurs jours, des événements festifs sont proposés à tous les Marseillais à l’occasion de l’Aïd, quelle que soit leur confession. 127 Entretien par téléphone avec Nasséra Benmarnia, le 22 juillet 2013. 128 Célia Amphoux, « Les Blacks américains posent un lapin aux Noirs marseillais », Marseille Bondy Blog, 20 décembre 2007 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/les-blacks-americains-posent-un-lapin-aux-noirs-marseillais] 129 Pour rappel, c’est une structure dont la mission est d’assurer l’insertion professionnelle et sociale, par l’éducation et la formation, des jeunes adultes de 18 à 25 ans sortis sans diplôme du système scolaire. [http://www.e2cmarseille.net/web//E2C/Présentationgénérale/Missionetgrandsprincipes/tabid/136/Default.aspx] 130 Entretien par téléphone avec Salah Bariki, le 23 juillet 2013.
40 nous avions organisé un concert avec des musiciens tunisiens et américains autour de la country music. »131La continuité a toutefois était assurée par Josette Steinbach, Conseillère aux affaires culturelles du milieu des années 2000 à 2013132 . Elle a été remplacée par Vanessa Tiersky, laquelle poursuit les travaux de Mme Steinbach. Un événement estival récent illustre parfaitement cette continuité dans la construction du réseau : la rencontre entre des marines de l’US Navy et des jeunes des quartiers Nord de Marseille en août 2013. A l’occasion d’une escale de cinq jours d’un porte-avions américain dans le port de Marseille, une vingtaine de membres de l’équipage de l’USS Truman sont venus à la rencontre des jeunes du centre social Saint-Joseph (14e, quartiers Nord). Ces hommes et ces femmes font partie des volontaires qui ont souhaité donner de leur temps dans le cadre du community service : un service géré par les quatre aumôniers du bateau qui permet aux membres de l’équipage de faire des heures de bénévolat133. Petits et grands ont ainsi passé deux demi-journées à jouer au foot, au basket et au baseball dans les espaces du centre sportif Fontainieu134. Comme cela était évoqué dans le télégramme de 2005 consacré à la diplomatie publique par le sport et la culture, (voir p.6-7), la barrière de la langue n’a pas posé problème aux différents protagonistes. C’est l’avantage de la diplomatie par le sport. Les jeunes ont également eu le privilège de pouvoir visiter le porte-avions. A défaut de monter à bord de l’USS Truman, nous nous sommes rendus sur le terrain (de foot) du centre Fontainieu lors du deuxième jour de rencontre avec les Américains. Nous avons donc cherché à retracer la genèse du projet. Quelle ne fut pas notre surprise d’entendre à nouveau parler de Philip Breeden… En effet, à l’origine de cette rencontre il y a Mylène Reinette, chargée de projet au centre sportif Fontainieu. Or cette dernière connaissait Philip Breeden depuis plusieurs années135 . Alors qu’elle souhaitait obtenir des renseignements auprès du Consulat au sujet d’une des associations dont elle a la charge, elle a contacté Philip Breeden, lequel l’a renvoyée vers Vanessa Tiersky. La suite, c’est James Strauss qui la raconte, directeur adjoint du centre sportif Fontainieu : « Mylène s’est adressée au service culturel du Consulat. Elle voulait des informations pour l’une des associations dont elle est proche. A cette occasion, Vanessa Tiersky lui a demandé quel était son métier. Elle lui a expliqué, ça l’a intéressée. Elle est venue il y a un mois environ [juin ou juillet 2013], on lui a montré, on lui a parlé de nos actions. Elle semblait très intéressée par nos projets à destination des femmes. Parce qu’on voudrait entraîner une équipe féminine de soccer, elle même a joué au soccer avant. Elle nous a dit qu’elle pourrait faire venir des joueuses professionnelles. Diane Kelly [Consul Général depuis 2011] est venue elle aussi. Puis Vanessa Tiersky nous a dit qu’on pourrait faire des projets ensemble, et elle nous a proposé ça : des échanges avec les marines de l’USS Truman. »136
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Ibid. Voir l’exemple de la conférence de Philip Breeden au lycée Victor Hugo en compagnie de Mrs Steinbach évoqué précédemment. « Les sections euro anglais à l’heure américaine ! », par Corinne Chapel, professeur d’anglais, le 28 novembre 2012 sur le site du lycée ; [http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-aix-marseille.fr/spip.php?article278] 133 Entretien avec le père Grec-orthodoxe Jean Kalantzis, Marseille 14e, 7 août 2013. 134 Une structure départementale qui dépend du CG13. 135 « Ça date de quand je travaillais à l’Action sociale, à l’enfance. Ce sont des élus qui me l’ont présenté. » nous a-t-elle expliqué. Extrait de l’entretien avec Mylène Reinette, Marseille 14e, 7 août 2013. 136 Entretien avec James Strauss, Marseille 14e, 7 août 2013. 132
41 En effet, les marines rencontrés ce jour-là nous ont confirmé que toute la rencontre avait bel et bien été planifiée par le Consulat, en partenariat avec le centre sportif marseillais. Précisons par ailleurs qu’en ce jour d’août 2013, l’US Navy n’en était pas à son premier coup d’essai à Marseille en matière de « diplomatie des quartiers ». Déjà en 2010, des marines s’étaient rendus dans une école des quartiers Nord pour jouer au foot et signer des autographes137. Il est probable que d’autres rencontres de ce type aient eu lieu. Et voici comment le travail de réseau aboutit à ce genre de rencontre représentative de la nouvelle diplomatie publique américaine qui oscille entre continuité – l’US Navy a une longue tradition de représentation diplomatique – et renouveau – à notre connaissance, cela ne fait que quelques années que les marines se rendent dans les quartiers. Pour conclure, l’hypothèse d’un faible intérêt américain pour Marseille n’est pas validée. Il y a certes moins de Marseillais parmi les Visiteurs Internationaux mais pas parmi les Jeunes ambassadeurs. De plus, le Consulat élabore au quotidien un important « Who’s who de la diversité », à la manière de Randiane Peccoud. Ce solide et minutieux travail de réseau est simplement moins médiatisé qu’en banlieue parisienne. Dans un deuxième chapitre, nous allons chercher à déterminer quels sont les motivations et les objectifs des Etats-Unis.
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Mass Communication Specialist Seaman David Cothran, USS Harry S. Truman (CVN 75) Public Affairs, « Truman sailors exceed expectations during community relations project », 12 juin 2010. [http://www.eucom.mil/article/19779/truman-sailorsexceed-expectations-during-community-relations-project]
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CHAPITRE 2 : QUELS SONT LES MOTIVATIONS ET LES OBJECTIFS AMÉRICAINS ? Lutter contre le terrorisme ? Repérer les futurs leaders ?
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PARTIE III : CIBLER LES ARABES ET LES MUSULMANS Les attentats terroristes du 11 septembre perpétrés par Al Qaeda ont servi de catalyseurs à la transformation de la diplomatie publique américaine. Désormais, cette dernière est volontairement tournée vers les arabes et les musulmans du monde entier.
III. 1) La diplomatie publique ou comment lutter contre le terrorisme La diplomatie publique américaine a fortement évolué après le 11 septembre 2001. Le gouvernement américain avait beau la juger obsolète à la fin de la guerre froide138, la « guerre contre la terreur » lancée par Georges Bush s’est accompagnée d’une relance des budgets accordés à ce poste139 . Presque du jour au lendemain, « gagner les cœurs et les esprits des populations arabes et musulmanes »140 est devenu l’une de ses priorités. Objectif ? Endiguer le fort sentiment anti-américain dans le monde musulman141 pour mieux lutter contre le terrorisme. La France n’y appartient certes pas mais ses quelque cinq à six millions de Musulmans142 ont très vite attiré l’attention du gouvernement des Etats-Unis. D’où l’instauration en 2005 d’un cycle de consultations régulières portant sur la lutte contre le terrorisme. Nous constatons dans le télégramme ci-dessous que la diplomatie publique fait justement partie des moyens mis en avant : COUNTER-TERRORISM CONSULTATIONS WITH THE FRENCH Origin Embassy Paris (France) Cable time Thu, 7 Jul 2005 15:38 UTC Classification SECRET ---------------------------------------------------------------------------------------------------A USG delegation led by Counselor Philip Zelikow met with senior French officials June 27 to inaugurate strategic counter‐terrorism consultations. The two delegations exchanged points of view on counter‐terrorism doctrine formulation and the role of public diplomacy, threat assessments and crisis management. Other topics, including discussion of the radicalization and recruitment of extremists, geographic areas of concern will be reported septel. Both delegations hailed the talks as important steps in the furthering of excellent U.S.‐French counter‐terrorism cooperation. Le journaliste Antoine Menuisier établit lui aussi le lien entre les attentats du 11 septembre et la volonté américaine de mieux connaître les musulmans d’Europe. La raison à cela ? Les actes terroristes ont 138
Jan Melissen, « The New public diplomacy : between theory and practice » in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.6-7 139 Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.36 : « the central emphasis is now on the allocation of more ressources to public diplomacy and better coordination ». 140 David Hoffman, « Beyond Public Diplomacy », Foreign Affairs, Vol. 81, No. 2 (Mar. - Apr., 2002), pp. 83-95 : "Winning the hearts and minds" of Arab and Muslim populations has quite understandably risen to the top of the Bush administration's agenda. Military operations abroad and new security measures at home do nothing to address the virulent anti-Americanism of government supported media, mullahs, and madrassas (Islamic schools). » 141 Voir sur ce point l’article très intéressant de Fouad Ajamai qui démontre que ce sentiment anti-américain est bien antérieur au 11 septembre. Fouad Ajami, « The Falseness of Anti-Americanism », Foreign Policy, No. 138 (Sep. - Oct., 2003), pp. 52-61 142 Estimation des RG français relayée par un télégramme diplomatique de l’ambassade des Etats-Unis à Paris : « Putting out brushfires: France and Islamic extremism », 17 août 2005, SECRET
44 été pensés en partie en Allemagne. En effet, plusieurs djihadistes appartenaient au dit « contingent de Hambourg ». Ce groupe de quatre hommes résidant en Allemagne a joué un rôle central dans la conspiration terroriste. A titre d’exemple, Mohamed Atta, qui faisait partie du groupe, est le kamikaze qui se trouvait aux commandes du premier avion à s’être écrasé contre la tour nord du World Trade Center le 11 septembre 2001.143 Par la suite, selon Antoine Menuisier, la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice aurait confié à Dan Fried144 le soin d’élaborer un plan visant à développer des liens étroits avec les minorités musulmanes en Europe. Nous avons toutes les raisons de croire les informations de ce journaliste chevronné dont le sérieux et la connaissance de ces sujets ne font aucun doute. Selon lui donc, la France représenterait aux yeux des Etats-Unis un cas spécifique : « La France, avec 4 à 5 millions d’habitants pouvant se dire musulmans, avec sa propension à l’universel mais aussi ses frustrations identitaires, forme un cas à part vu de Washington. Un lait sur le feu qui menace constamment de déborder. […] L’ambassade américaine à Paris n’a pas attendu les émeutes de 2005 pour approcher les minorités françaises. Les déjeuners Rive Gauche avec la France bien née, ça commençait à bien faire. Il y a trois ans et demi [2003], le cap a été mis sur la banlieue, avec l’envie de « comprendre » – le 11 Septembre est passé par Hambourg, il pourrait repasser par le 93145. » 146 Antoine Menuisier avait vu juste. Quelques mois avant la parution de son analyse était émis le télégramme diplomatique américain décrivant la stratégie s’engagement à mettre en place à l’égard des « communautés musulmanes françaises ». Plus précisément, ce télégramme répond à une demande bien précise, celle d’élaborer « a '07 - '08 public outreach strategy for engaging France's Muslim minorities, to counter terrorist recruiting among them, and to foster their greater integration into mainstream French society. »147 Avant même ce câble, de nombreuses initiatives avaient été lancées auprès de pays à forte population musulmane. Les trois exemples que nous citons ci-après proviennent d’un rapport sur la diplomatie publique élaboré en 2002 par le think tank londonien Foreign Policy Center148. Ainsi, peu après le 11 septembre, des avions américains ont survolé l’Afghanistan en déversant des dizaines de milliers de flyers sur lesquels on pouvait apercevoir des talibans frappant des femmes, le tout assorti d’un message explicite en pashto et en dari : « Est-ce le futur que vous souhaitez à vos femmes et à vos enfants ? » Dans le même temps, le volet arabe de la station de radio Voice of America a été rebaptisé « Radio Sawa » (« Radio ensemble »). De plus, un livret d’information intitulé « Le réseau du terrorisme » a été diffusé dans de nombreux pays, dont beaucoup de pays arabes. Ce dernier n’était pas exclusivement destiné aux arabes et aux musulmans mais son contenu laisse à penser que si. En effet, de nombreuses personnalités de confession musulmane s’y 143
11 septembre, Rapport de la Commission d’enquête, préface de François Heisbourg, Editions des Equateurs, 2004 pour la traduction française et la préface, p.192-203 144 Directeur des affaires européennes au sein du département d’Etat de 2005 à 2009. 145 Nous avons vu que le 93 n’était pas le seul département digne d’intérêt pour les Américains. La ville de Marseille fait également l’objet d’une attention soutenue. 146 Antoine Menuisier, « Les Etats-Unis surveillent les banlieues françaises », Bondy Blog, 28 décembre 2007. Article paru dans le magazine suisse L’Hebdo du 15 novembre 2007 et dans Courrier International du 29 novembre 2007. [http://yahoo.bondyblog.fr/200712280002/les-etats-unis-surveillent-les-banlieues-francaises/] 147 Voir annexe 1 : « ENGAGEMENT WITH MUSLIM COMMUNITIES – France » - Origin Embassy Paris - Cable time Thu, 25 Jan 2007 17:30 UTC - Classification UNCLASSIFIED//FOR OFFICIAL USE ONLY 148 Mark Leonard with Catherine Stead and Conrad Smewing, Public Diplomacy, London: Foreign Policy Centre, 2002.
45 expriment. On y voit également la photo d’une jeune femme voilée américaine en pleine prière, laquelle ressemble étrangement à une Madone (voir annexe 8). Si les actions citées ci-dessus pourraient être qualifiées de « propagande », des programmes appartenant spécifiquement à la catégorie « diplomatie publique » ont été mis en œuvre. Parmi eux, YES : Youth Exchange and Studies, mis en place en 2002 soit un an après les attentats. Ce programme est financé par le Département d’Etat (Ministère des Affaires étrangères) et fournit des bourses d’études à de jeunes lycéens (entre 15 et 17 ans) en provenance de pays à forte proportion musulmane, afin que ces derniers puissent passer une année aux Etats-Unis149. On apprend également sur le site du Bureau des Affaires culturelles du gouvernement américain qu’il existe un accord vieux de dix ans entre les Etats-Unis et l’Irak sur la protection du patrimoine culturel. Dans le même ordre d’idée, il existe un programme non pas de « Jeunes ambassadeurs » mais de « Jeunes leaders » destinés aux Irakiens. Peu importe le nom – ambassadeur, leader – les descriptifs de contenu sont sensiblement les mêmes150 . L’aspect novateur de cette stratégie en matière de diplomatie publique repose sur la volonté d’échanger avec ces populations arabes et musulmanes. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de la « nouvelle diplomatie publique » : elle n’est plus à sens unique151 . Brian Hocking parle de « programmes d’influence plus subtils qui reposent sur la collaboration de publics étrangers plus qu’ils n’en font des cibles »152. L’importance accordée à l’échange, à la collaboration et au dialogue a toutefois été renforcée depuis l’arrivée de Barack Obama en 2009. Car comme le fait remarquer Jan Melissen, sous la mandature du Président Bush, la diplomatie publique était considérée uniquement comme un outil de court-terme, plus proche de la propagande que de l’échange153. De plus, Georges Bush a en partie annihilé les effets positifs de sa diplomatie publique en adoptant une attitude paradoxale : vouloir mieux connaître les populations arabes et musulmanes tout en dénonçant l’existence d’un « axe du mal »154 . Barack Obama a donc poursuivi les efforts de diplomatie publique de Georges Bush en ce sens qu’elle s’adresse davantage aux arabes et aux musulmans, tout en insistant davantage sur l’échange et le dialogue. En effet, l’analyse des télégrammes révèle un glissement sémantique significatif. Sous la présidence de George Bush, il n’est principalement question que de Musulmans et de l’hypothétique danger sécuritaire qu’ils représentent. Après l’arrivée d’Obama, l’ambassadeur Charles Rivkin élabore non pas un plan destiné 149
« The Kennedy-Lugar Youth Exchange and Study (YES) Program was established by Congress in October, 2002 in response to the events of September 11, 2001. The program is funded through the U.S. Department of State and sponsored by the Bureau of Educational & Cultural Affairs (ECA) to provide scholarships for high school students (15-17 years) from countries with significant Muslim populations to spend up to one academic year in the U.S. Students live with host families, attend high school, engage in activities to learn about American society and values, acquire leadership skills, and help educate Americans about their countries and cultures. » ; [http://yesprograms.org/about] 150 « The Iraqi Young Leaders Exchange Program (IYLEP) has provided invaluable leadership and educational opportunities for approximately 1000 undergraduate and high school students since its creation in 2007. This program works to support the goals of the U.S.-Iraq Strategic Framework Agreement to enhance mutual understanding and strengthen the connections between the people of the United States and Iraq, and has created a cadre of young Iraqi leaders who are inspiring and impacting their communities. », [http://iraq.usembassy.gov/ileyp.html] 151 Jan Melissen, « The New public diplomacy : between theory and practice » in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.18 152 Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.36 153 Jan Melissen, « The New public diplomacy : between theory and practice » in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.15 154 « States like these [Iran, Iraq…], and their terrorist allies, constitute an axis of evil, arming to threaten the peace of the world. », George W. Bush, State of the Union Address, 29 janvier 2002, the US Capitol, Washington D.C.
46 uniquement aux arabes et aux musulmans mais aux « minorités » en général. C’est la fameuse « stratégie d’engagement auprès des minorités » du 19 janvier 2010 (voir annexe 2). Entendons-nous bien, l’emploi du terme « minorités » n’est qu’une manière plus politiquement correcte de parler des arabes et des musulmans français. Toutefois, cet usage de la langue témoigne de la volonté de ne plus en faire de simples cibles mais des partenaires. Dans ce même télégramme, la menace terroriste n’est plus mentionnée telle quelle155 . En revanche, une inquiétude est exprimée : celle que la France devienne un allié plus faible en étant sujette à des crises internes dues à la sous-représentation des minorités156 . L’aspect sécuritaire est donc toujours présent, mais de façon atténuée. Enfin, les termes « engagement » et « stratégie » laissent supposer qu’il s’agit d’un projet de long terme, dans la continuité du discours du Caire prononcé le 4 juin 2009 par Barack Obama : « […] Je suis venu ici au Caire en quête d’un nouveau départ pour les États-Unis et les musulmans du monde entier, un départ fondé sur l’intérêt mutuel et le respect mutuel, et reposant sur la proposition vraie que l’Amérique et l’islam ne s’excluent pas et qu’ils n’ont pas lieu de se faire concurrence. […] À travers le monde, nous pouvons transformer le dialogue en un service interreligieux de sorte que les ponts entre les êtres humains mènent à des actions en faveur de notre humanité commune. […] Dans le domaine de l’éducation, nous allons élargir les programmes d’échange et augmenter les bourses, comme celle qui a permis à mon père de venir en Amérique, tout en encourageant davantage d’Américains à étudier dans des communautés musulmanes. Nous offrirons à des étudiants musulmans prometteurs des stages aux États-Unis ; nous investirons dans l’enseignement en ligne destiné aux enseignants et aux enfants à travers le monde ; et nous créerons un nouveau réseau informatique qui permettra à un jeune du Kansas de communiquer instantanément avec un jeune du Caire. […] » Dans son discours, Barack Obama évoque des programmes éducatifs qui font précisément partie de ce renouveau de la diplomatie publique, désormais tournée vers l’échange et le dialogue. Pour prendre un exemple très concret, le programme « Jeunes ambassadeurs » évoqué précédemment rentre tout-à-fait dans cette logique. Précisons tout d’abord qu’une majorité des JA français sont arabes et/ou musulmans. Ce n’est pas un critère explicite mais les diversités d’origine sont fortement représentées. Pour prendre l’exemple de la promo 2013, plus de la moitié sont musulmans. Il n’existe aucune statistique mais cette proportion nous a été confirmée par deux jeunes ambassadrices 2013157. Parmi elles, Liticia, 16 ans. Arrivée à Marseille quatre ans auparavant, cette jeune Kabyle possède la double nationalité franco-algérienne. Elle a bien voulu nous rencontrer malgré la chaleur et le Ramadan. Elle a accepté de nous décrire avec précision la composition du groupe 2013 qu’elle a rencontré en juillet lors de la semaine de formation:
155
Elle l’est peut-être dans d’autres télégrammes mais ressources de WikiLeaks ne sont pas infinies, elles s’arrêtent en 2010. « We believe that if France, over the long run, does not successfully increase opportunity and provide genuine political representation for its minority populations, France could become a weaker, more divided country, perhaps more crisis ‐prone and inward‐looking, and consequently a less capable ally. », from « ENGAGEMENT WITH MUSLIM COMMUNITIES – FRANCE », Origin Embassy Paris, Cable time Thu, 25 Jan 2007 17:30 UTC, Classification UNCLASSIFIED//FOR OFFICIAL USE ONLY (voir annexe 1) 157 Cécilia Allali et Liticia Yougatagaah, JA 2013. De plus, tous les jeunes ont été briefés sur le fait qu’une fois à Wahsington, ils ne devaient pas être choqués si on les interrogeait sur leur religion. 156
47 « Il y avait beaucoup de musulmans. Il y avait aussi des Français d’origine française. Mais c’est vrai qu’il y avait beaucoup de gens issus de différentes origines. Il y a une Hindoue, y a des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Egyptiens, un peu de tout en fait. Il y avait aussi une fille d’origine française, qui avait pas d’origine, qui a grandi dans les quartiers avec beaucoup d’arabes, et qui s’est convertie à l’Islam. Le soir, les trois premiers jours du ramadan, on était à Paris. Les musulmans qui pratiquaient on était peut-être … 17 [sur 30]. »158 Ce programme « Jeunes ambassadeurs » est effectivement centré sur la notion d’échanges. Ainsi, une autre JA 2013 nous a expliqué que la semaine de formation n’était pas fondée sur une relation hiérarchique « élèves – professeurs » : « On était vraiment très excités, on a posé plein de questions, on était vraiment très intéressés. […]Ensemble avec Ida [Ida Eve Heckenbach, du Bureau des Affaires culturelles à l’ambassade], on a vraiment cherché à décortiquer ce pays. »159 Et les récits de voyages vont dans ce sens : pendant deux semaines aux Etats-Unis, la parole et l’avis des JA sont très sollicités, comme nous l’expliquait une autre jeune ambassadrice : « Une fois sur place je me suis totalement sentie ambassadrice, j'ai pris mon rôle très à cœur, les Américains nous posaient des questions sur la France, sur nos coutumes, nos façons de vivre mais aussi sur nos villes car tous les ambassadeurs ne venaient pas de la même ville. […] Lorsque nous étions là-bas tout semblait tourner autour de nous, les Américains ne semblaient jamais se lasser de nous poser des questions et on s'amusait à faire la "promo" de nos villes. »160 Comme cela a pu transparaître dans nos analyses précédentes, l’enjeu est double : il se pose à la fois en termes sécuritaires (prévenir le terrorisme en facilitant l’intégration des « minorités françaises »), et en termes d’image. Ces deux aspects sont intrinsèquement liés puisque le soft power est ici au service du hard power161. Cela rejoint ce que nous présentions en introduction : la nouvelle diplomatie publique fait usage des ressources du soft, du hard et du sticky power afin de renforcer le smart power américain. Il semblerait toutefois qu’entre Bush et Obama, l’équilibre entre soft et hard power ait été modifié. Sous la présidence de George W. Bush, la diplomatie publique était essentiellement employée comme un appui au hard power. En revanche, la diplomatie publique de Barack Obama tend à s’inscrire davantage dans une stratégie de soft et de sticky power. Nous allons à présent nous intéresser à l’application de cette stratégie à Marseille : mieux connaître les arabes et les musulmans marseillais.
III. 2) Mieux connaître les arabes et les musulmans marseillais « Il n’y a pas de doute, les Américains sont intéressés par tout ce qui est “basanitude” à Marseille », fait remarquer Ahmed Nadjar, directeur de la publication du webzine Med’In Marseille162 . Parce qu’il est anti-politiquement correct, il utilise le terme « basanitude » pour parler des Noirs et Arabes à Marseille. Il en 158
Entretien avec Liticia Yougatagaah, JA 2013, Marseille 1er , 27 juillet 2013. Entretien avec Cécilia Allali, JA 2013, Marseille 8e, 19 juillet 2013. 160 Echange de mails avec Coralie Mampinga, JA 2012. 161 C’est l’analyse que propose Salah Bariki : « C’est à la fois une question d’image parce que les Américains sont toujours très soucieux de leur image, et une question de défense ». Entretien téléphonique avec Salah Bariki, 23 juillet 2013. 162 Entretien avec Ahmed Nadjar, Marseille 15e, 18 juillet 2013. 159
48 sait quelque chose, lui qui s’est froissé avec l‘ex-Consul, Philip Breeden, en 2008, suite à la publication d’un article précurseur, deux ans avant les fuites orchestrées par WikiLeaks. A notre connaissance, c’est le seul article du genre paru dans la presse locale à Marseille. En effet, l’une des journaliste de Med’In Marseille faisait paraître « Bonne résolution pour 2008, les Américains se convertissent au dialogue des cultures… »163. Dans cet article, elle relatait une rencontre avec le Consul général des Etats-Unis, le fameux Philip Breeden, et évoquait la stratégie américaine à l’égard des musulmans français. Nous reproduisons ci-dessous la quasitotalité de son article car ce dernier a ensuite donné lieu à une réponse du Consul tout-à-fait intéressante. Nous sommes en 2008, Med’In Marseille écrit : « Profession de bonne foi ou cheval de Troie ? Le débat suscité par l’offensive américaine sur le territoire européen – offensive ostensiblement courtoise visant à engager le dialogue interculturel et interconfessionnel, et approcher les leaders de la société civile de la « diversité » – pourrait troubler. Certains s’inquiètent de ce que cette gringue tapageuse exercée auprès des communautés musulmanes et cercles de lutte contre les discriminations pourrait dissimuler : une opération de « surveillance » voire de « contrôle » des faits et gestes des « minorités » agissantes. Cela dit, en ce début d’année 2008, nous nous sommes résolus à croire encore un peu à Santa Claus, devant ce qui peut paraître comme une bonne résolution prise par le département américain pour la culture : dialoguer, échanger, se débarrasser de la peur irrationnelle de l’Autre (surtout l’Autre musulman). Direction donc le consulat des Etats-Unis à Marseille, où son hôte, Philip Jackson Breeden, s’est expliqué sur le récent passage d’une délégation de trois jeunes états-uniens musulmans. Doit-on déceler un double effet made in Marseille sur le consul made in USA ? Toujours est-il que le représentant de l’administration Bush du Rhône a exprimé son scepticisme quant à la théorie d’un « choc fondamental des civilisations ». Ou quand l’Oncle sème le dialogue des cultures… » Suite à cet article volontairement irrévérencieux, Philip Breeden a vivement réagi, usant de son droit de réponse164 : « J’ai été déçu que vous vous ayez cru bon de suggérer que ces échanges culturels étaient nouveaux pour le gouvernement américain. En tant que diplomate américain depuis plus de vingt ans, j’ai collaboré à des échanges culturels en Afrique, au Moyen Orient et en Europe et je peux vous assurer que les échanges destinés à encourager le dialogue interculturel représentent une pratique bien ancrée de mon gouvernement. En outre, j’ai été surpris par vos suggestions, sans fondement, que des visites de ce type tendaient à contrôler les minorités dans un autre pays. Ce genre de fantaisie paranoïaque n’est pas digne d’une publication destinée à décrire la diversité culturelle et l’ouverture d’esprit de Marseille. » Deux ans plus tard étaient publiés les télégrammes révélés par WikiLeaks, lesquels donnaient raison à Med’In Marseille plus qu’à Philip Breeden. Son déni de stratégie post-11 septembre 2001 prouve selon nous l’existence bien réelle de cette dernière à l’échelle de la France et plus particulièrement de Marseille. C’est également l’avis de Salah Bariki, Visiteur International 1995, signataire de la Charte Fondatrice de Marseille Espérance et conseiller municipal sur les questions relatives à l’Islam. A la question de savoir s’il existe une 163
« Bonne résolution pour 2008, les Américains se convertissent au dialogue des cultures… », Anne-Aurélie Morell, Med’In Marseille, 3 janvier 2008 ; [http://www.med-in-marseille.info/spip.php?article47] 164 Droit de réponse du Consul général des Etats-Unis à Marseille, Med’In Marseille ; [http://www.med-inmarseille.info/spip.php?article47]
49 stratégie à l’égard des arabes et des musulmans marseillais, il répond par l’affirmative, sans hésitation165 . Et quand nous lui demandons si les événements du 11 septembre ont changé la donne, il dit : « Oh... les Amerloques, ils l’ont toujours fait. Mais c’est vrai que j’ai l’impression ça s’est accéléré, accentué. Je pense que c’est surtout pour calmer le jeu avec les Musulmans français par rapport à l’attitude de Bush. »166 En effet, Philip Breeden a raison dans le sens où ces pratiques ne sont pas nouvelles, elles se sont simplement accentuées. Cette interprétation nous a d’ailleurs été confirmée par un diplomate américain qui a longtemps exercé à Marseille avant de rejoindre l’ambassade à Paris. Pour des raisons professionnelles, il a souhaité rester anonyme : « I pratice public diplomacy, which I have done for almost three decades. Some call it cultural diplomacy. In that sense, what I did in Marseille is not new. Public diplomats routinely work with many different parts of society, including civic associations, educators, political activists, journalists, artists, students and others. The attacks of September 11 brought home to the United States the existence of hostile ideologies devoting to harming the United States. This led the United States to devote increased resources to exchange programs and other kinds of outreach to Muslims around the world, including in Marseille, in order to present our point of view, create space for dialogue, and provide opportunities to learnn about U.S. society and values. I would not say it changed diplomatic practice in Marseille. Marseille has long been a very diverse city filled with citizens of different origins, and the job of the U.S. Consul General has always been to maintain contact with all strands of Marseille society. »167 Dans les télégrammes, il apparaît que les Etats-Unis ont identifié avec justesse que Marseille était une ville d’immigration à forte proportion d’arabes et de musulmans. Ils font remarquer qu’à l’échelle nationale, les musulmans français sont majoritairement issus d’Afrique du Nord (Algériens, Marocains et Tunisiens)168 . A ce propos, Pamela King, la représentante américano-marseillaise des Democrats Abroad nous a très justement fait remarquer que depuis 2005, tous les Consuls généraux de Marseille étaient arabophones. Par ailleurs, les Américains ont pris conscience de l’importance de la communauté comorienne, et par conséquent de la présence d’un « Islam noir », une spécificité marseillaise169 : U.S. EUROPEAN SECURITY ISSUES Origin Embassy Paris Cable time Wed, 11 May 2005 13:27 UTC Classification UNCLASSIFIED ---------------------------------------------------------------------------------------------------The 60,000 Comorians out of the 500,000 worldwide who moved to Marseille during the last decade have substantially increased in recent years the Muslim population in Marseille to the record number of almost a third of the entire population. Nivaggioli* [présenté comme étant le Directeur des Renseignements dans le sud de la France], a prime source of information for this Consulate General 165
Entretien par téléphone avec Salah Bariki, 23 juillet 2013. Ibid. 167 Echange de mails avec un diplomate américain souhaitant rester anonyme, septembre 2013. 168 Voir annexe 1, « ENGAGEMENT WITH MUSLIM COMMUNITIES – FRANCE », Origin Embassy Paris (France), Cable time Thu, 25 Jan 2007 17:30 UTC, Classification UNCLASSIFIED//FOR OFFICIAL USE ONLY 169 Selon le sociologue Vincent Geisser, l’islam comorien fait partie des quatre pôles historiques de l’Islam169, avec l’islam consulaire algérien, la confrérie d’origine kabyle Er Rahmaniyya et les nouveaux acteurs indépendants de la Mosquée Islah. « Immigration et mobilisations musulmanes à Marseille », Cahiers de la Méditerranée 78, 2009 ; [http://cdlm.revues.org/index4524.html] 166
50 has been helpful in analyzing the sometimes difficult adjustment that the younger generation of Muslims has to make in dealing with French secular society and how some are easily wooed by Middle East fanatics. * Sur Nivagioli, la suite du télégramme est intéressante : At age 43, Nivaggioli heads one the most active intelligence services in southern France. A scrupulous professional, Nivaggioli needs now to move a step ahead in his promising career by being exposed to a good overview of the U.S. counter terrorism policy, gaining insight especially into U.S. methodologies that promote Franco ‐ American cooperation in this crucial area. ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------HEAD OF LOCAL MUSLIM COUNCIL LOOKING FORWARD TO A PRODUCTIVE 2007 Origin Consulate Marseille Cable time Fri, 26 Jan 2007 14:18 UTC Classification CONFIDENTIAL ---------------------------------------------------------------------------------------------------Ghoul [Abderrahmane Ghoul, président pro-algérien du Conseil régional du Culte musulman] said the Comorians are now the second largest Muslim community in Marseille, surpassing by a large margin the Tunisians and Moroccans. NB: The Comorians are Sunnis of the Hanafi school, whereas most Maghrebi Muslims are Sunnis from the Maliki school. Les auteurs du premier télégramme ci-dessus semblent faire l’amalgame entre le nombre important de musulmans d’origine comorienne et le risque d’endoctrinement fanatique (d’où l’évocation de la coopération franco-américaine en matière de lutte contre le terrorisme). C’est pourquoi ils ont cherché à mieux connaître cette communauté (voir sur ce point le deuxième télégramme présenté ci-dessus). En témoigne le fait que l’ambassade ait décidé de nouer des relations avec Nassurdine Haidari, président du Conseil représentatif des Français d’origine comorienne. Nous remarquons également qu’Elisabeth Saïd, première élue d’origine comorienne à siéger au conseil municipal de la ville, est vice-présidente d’une association des « amis de Barack Obama ». Nous ne connaissons pas l’étendue de ses relations avec les instances diplomatiques américaines. Quoi qu’il en soit, Nassurdine a beau faire partie du club des « Marseillais ayant des liens avec les instances diplomatiques américaines », il n’en est pas moins critique par rapport à leurs actions de diplomatie publique. Tout d’abord, il est bien conscient d’être perçu par ses contacts américains comme un « musulman » avant d’être considéré comme un élu de la République française. De plus, il pense que les Américains se trompent en associant systématiquement les musulmans aux arabes : « Aujourd’hui de plus en plus les populations islamisées seront subsaharienne. L’Islam est vu par un prisme maghrébin alors que selon moi, il est dépassé. A Marseille, seule la communauté comorienne est vraiment islamisée. C’est un choix lié à une vision du monde des Etats-Unis, où l’Islam est plutôt identifié comme arabe. C’est dû à la lecture américaine des choses. »170 La communauté comorienne est certes islamisée mais elle n’en présente pas plus de risque d’endoctrinement intégriste. Vincent Geisser souligne que les enfants comoriens de la cité phocéenne font partie des rares à recevoir une éducation religieuse bien encadrée qui contribue à une forme de socialisation 170
Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013
51 communautaire. Il explique qu’elle est parfois en concurrence avec la socialisation scolaire mais que le plus souvent, elle en est complémentaire171. Pour illustrer la faiblesse du risque de basculement extrémiste, nous rapportons ci-dessous les propos d’un Marseillais d’origine comorienne ayant grandi dans le quartier SaintAntoine, à la cité HLM du Plan d’Aou (Marseille 15e). Alix, la quarantaine, est vendeur au magasin de vêtements hip-hop « Brickcity »172. « Moi, ayant grandi dans les quartiers Nord, le peu qu’on voyait de barbus, c’est des gens paumés, c’est des anciens délinquants, des anciens dealers quoi. Des gens qui sont réellement dans la foi, ou convertis. D’un extrême à un autre. De l’extrême délinquance à l’extrême religieux qu’est paumé, qui ne sait pas où se situer, qu’a pas trouvé sa voie. Ceux-là, ils sont « à risque ». Mais dans les quartiers nord y a aucun risque d’extrémisation. Nous on connaît ça… Je me souviens quand on était jeunes, je devais avoir 8 ans, y avait des barbus qui passaient, d’anciens toxicos qui passaient, ils nous prenaient de force qui nous emmenaient à la mosquée. J’avais 8 ans j’en ai 42 aujourd’hui. Ça n’a pas fait de nous de dangereux terroristes qui allons poser des bombes partout. J’ai grandi à Saint-Antoine au plan d’Aou. Un quartier assez craignos quoi. Mais de tous les gens que je connais, y en a pas un qui est devenu fondamentaliste. Ou ceux qui le sont devenus ils sont chez eux. Ils font un peu de prosélytisme de temps mais ça ne va pas plus loin. Faut pas avoir peur de ça, moi je pense pas. »173 Cette perception erronée de la potentielle menace d’un Islam comorien témoigne à nos yeux de l’intérêt non dissimulé que les Etats-Unis portent à la ville de Marseille. Et parce que la nouvelle diplomatie publique émane aussi des ONG, nous souhaitons évoquer le cas particulier de la fondation Open Society qui s’est illustrée ces dernières années en finançant une étude sur les Marseillais musulmans. Créée en 1979 par le financier George Soros, Open Society finance depuis les années 2000 des programmes de lutte contre les discriminations à l’encontre des Musulmans français174. Ainsi est né le programme de recherche At Home in Europe qui « porte sur le suivi et les recommandations concernant la position des minorités dans une Europe en mouvement. A travers ses recherches et son engagement auprès des décideurs et des communautés, le projet explore les questions de la participation politique, sociale et économique des musulmans et d’autres groupes marginalisés au niveau local, national et européen. » 175 . Nous ne sommes pas parvenus à identifier la nature des liens qui existaient entre le gouvernement américain et Open Society mais plusieurs indices indiquent qu’ils sont loin d’être déconnectés l’un de l’autre. Nous constatons tout d’abord que leurs préoccupations pour les musulmans en Europe se recoupent. Ainsi la fondation Open Society a-t-elle commandité deux études sur les musulmans français : l’une sur les Parisiens musulmans parue en 2012 et l’autre sur les Marseillais musulmans sortie en 2011. De plus, l’un des co-auteurs des Marseillais musulmans n’est autre que Vincent Geisser, Visiteur international 2009 et proche de l’ambassade américaine à Paris. Ces interactions entre Open Society et les Etats-Unis correspondent à la diplomatie publique dite « de réseau », fondée sur « un ensemble de relations de nature 171
Vincent Geisser, « Immigration et mobilisations musulmanes à Marseille », Cahiers de la Méditerranée 78, 2009 ; [http://cdlm.revues.org/index4524.html] 172 En référence au surnom donné par le groupe de rap US Wu-Tang Clan à la ville de Newark, plus grande ville du New-Jersey. 173 Entretien avec Alix, Marseille 1er, 19 juillet 2013. 174 « The Open Society Foundations worked to eliminate discrimination and prejudice against Europe’s Muslims, many of whom have lived in countries such as France and the United Kingdom for generations » [http://www.opensocietyfoundations.org/about/history] 175 Vincent Geisser, Françoise Lorcerie, Les Marseillais musulmans, Open Society Foundations, 2011
52 non-hiérarchiques et indépendantes reliant une grande variété d’acteurs qui partagent des intérêts communs et qui échangent des ressources afin de servir ces intérêts tout en ayant conscience que la coopération est le meilleur moyen d’atteindre des buts communs »176. Ainsi la diplomatie publique américaine cherche-t-elle à mieux connaître les musulmans marseillais en finançant des études auprès de chercheurs à l’Institut sur le monde arabe et musulman (université Aix-Marseille), à savoir Vincent Geisser et Françoise Lorcerie. Cette dimension de réseau avec une ONG aussi importante qu’Open Society illustre le fait que Marseille est bel et bien un exemple significatif des renouveaux de la diplomatie publique américaine. En matière d’attractivité économique enfin, et donc de sticky power, les Etats-Unis sont loin de laisser Marseille en reste. Le Consulat joue d’ailleurs un rôle important dans ce domaine. Ainsi a-t-il contribué à faciliter la création du MAABN en 2004, le Mediterranean Anglo-American Business Network : une association qui facilite les relations économiques entre le monde anglo-saxon et la Provence. Par la suite, l’un de ses membres fondateurs, Pierre Distinguin, a initié la création d’une agence économique de développement de grande importance : Provence Promotion, qui elle-même est en contact permanent avec l’actuel Consul, Diane Kelly177. Le partenariat futur entre les ports de Marseille et Houston, Texas, est un exemple significatif de ces interconnexions économiques entre la cité phocéenne est les USA. En effet, Pierre Distinguin est une fois encore à la manœuvre, comme le soulignait un communiqué municipal en mars 2013 :
Partenariat entre les ports de Marseille et Houston Une délégation du port de Houston s’est rendue à Marseille du 13 au 15 janvier pour sceller un partenariat avec le port de Marseille. Les deux grands ports pétroliers nourrissent une ambition commune, développer leurs trafics de marchandises générales. « Houston qui cherche un point d’appui pour pénétrer en Europe du Sud pourrait ouvrir une représentation permanente à Marseille d’ici 24 mois», souligne Pierre Distinguin, directeur de la prospective internationale de Provence Promotion, dont la Ville est partenaire.178 Si ces actions du Consulat n’ont pas directement à voir avec la stratégie de diplomatie publique destinée aux arabes, aux musulmans (ou plus généralement aux minorités), certaines démarches entrent néanmoins dans ce cadre. Ainsi en 2010, le Consul Général de Marseille, Kathleen Riley, a invité un entrepreneur avignonnais à participer à un sommet de chefs d’entreprise du monde musulman qui se déroulait alors à Washington179 . A cette occasion, Kader Nasri, le créateur une boisson énergisante destinée à concurrencer Red Bull, a pu établir des contacts avec l’agence fédérale américaine chargée des autorisations d’importation. De plus, il en a profité pour nouer des contacts avec des pays arabes et musulmans auprès desquels il comptait bien exporter sa boisson. Plus généralement, le Consulat promeut l’attractivité économique des Etats-Unis auprès des minorités marseillaises. A titre d’exemple, il entretient des liens très 176
Brian Hocking, « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.37 177 Echanges de mail avec Matthieu Vis, membre de l’équipe de développement territorial et prospection de Provence Promotion, en charge des biotechnologies et technologies médicales. 178 Site de la ville de Marseille : [http://www.marseille.fr/newslettereco/jsp/site/Portal.jsp?document_id=188&portlet_id=16] 179 Corine Lesnes, « Obama invite les banlieues françaises », Le Monde, 6 mai 2010
53 étroits avec l’Ecole de la Deuxième chance: une structure située dans les quartiers Nord de la ville et dont l’objectif est de former des jeunes déscolarisés qui ont entre 18 et 25 ans afin qu’ils puissent s’insérer dans le monde de l’emploi. Ici, les Musulmans ne sont pas les seuls visés, il s’agit plutôt de promouvoir la diversité en général. Pour les Etats-Unis, entretenir des relations avec cette institution a l’avantage de correspondre à trois des sept tactiques développées dans la stratégie d’engagement auprès des minorités (voir annexe 2) : –
« Tenir un discours positif sur l’égalité des chances. » En effet, l’Ecole de la deuxième chance rentre complètement dans cette logique. Elle est d’ailleurs financée par l’Acsé : l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. De plus, elle est signataire de la Charte pour la diversité, un document élaboré en France par l’Institut Montaigne180 : un think tank dont les rapports font très souvent référence au « modèle américain »181 ;
–
« Donner un exemple fort ». A cet effet, le Consulat convie régulièrement ses invités à venir visiter l’Ecole, à l’image des jeunes coachs basketteurs en 2012 (voir annexe 7).
–
« Mener une politique agressive de contact en direction de jeunes de tous horizons socio-culturels. »
PARTIE IV : REPERER ET FAIRE ÉMERGER LES FUTURS LEADERS Cette nouvelle stratégie qui consiste à orienter davantage les outils de diplomatie publique vers les arabes et les musulmans se mêle aux pratiques traditionnelles de repérage des leaders étrangers.
IV. 1) Repérer les leaders étrangers : une tradition américaine Les Etats-Unis ont toujours cherché à mieux connaître et à attirer les leaders étrangers. Si l’on prend l’exemple des Visiteurs Internationaux, il s’agit précisément de cibler les élites. Comme nous l’évoquions précédemment, nombre d’hommes et de femmes politiques françaises sont partis aux Etats-Unis dans ce cadre182 . Rappelons que le programme des Visiteurs Internationaux existe comme tel depuis les années 1950. Dans le même ordre d’idée, les bourses Fulbright ont vu le jour en 1946 et ne s’adressent qu’aux étudiants les meilleurs. La volonté de repérer les élites étrangères n’est donc pas nouvelle. Il est intéressant de constater que la France a longtemps fait partie des principaux bénéficiaires de ces programmes, comme le rappelle Giles Scott-Thomas dans un article tout à fait passionnant sur les premiers Visiteurs Internationaux français183. Pour les Etats-Unis, l’objectif était de gagner en influence auprès de la société civile française après la Seconde Guerre mondiale en usant de méthodes déjà expérimentées en Amérique latine et dans l’Allemagne occupée. Déjà à l’époque étaient ciblés les leaders d’opinion les plus à même de se faire les 180
« Depuis son lancement en octobre 2004, la charte de la diversité incite les entreprises à garantir la promotion et le respect de la diversité dans leurs effectifs. En la signant, ces entreprises s'engagent à lutter contre toute forme de discrimination et à mettre en place une démarche en faveur de la diversité. » [http://www.charte-diversite.com/index.php] 181 Nous y voyons là une manifestation de soft power plus que de diplomatie publique. En effet, à notre connaissance, le gouvernement américain n’a pas cherché à influencer l’Institut Montaigne, ce qui n’empêche pas ce dernier de se référer très souvent aux Etats-Unis. 182 Exemples : Valéry Giscard d’Estaing, Lionel Jospin, Laurent Fabius, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Fillon, ou encore Nathalie Kosciusko Morizet 183 Scott-Smith Giles, « The US State Department's Foreign Leader Program in France During the Early Cold War », Revue française d'études américaines, 2006/1 no 107, p. 47-60. Giles Scott Smith est professeur de l’histoire diplomatique de la coopération atlantique à l’Université de Leiden, Pays-Bas.
54 relais locaux de la politique étrangère américaine. L’historien cite un extrait des archives du Bureau des affaires culturelles datant de 1950 qui décrit bien la figure du « leader » : A distinctive feature of this program is the fact that it is primarily concerned with individuals of outstanding influence and prominence in their countries… making possible the interchange of distinguished leaders of thought and opinion in fields of mutual interest and usefulness. The high official position held in their own governments or communities by many foreign leaders and specialists awarded grants under this program makes their visits of special importance not only in furthering cultural and scientific cooperation in long-term projects of mutual interest, but in implementing the aims and objectives of American foreign policy.184 Bien que le programme se soit toujours implicitement adressé aux leaders d’opinion, le gouvernement américain a souhaité réaffirmé publiquement cette volonté en rebaptisant le programme en 2004. Le simple International Visitor Program est alors devenu International Visitor Leadership Program. Après le 11 septembre, ce programme traditionnel s’est nettement ouvert aux élites de la « diversité », pour reprendre les termes diplomatiques américains185, et ce d’autant plus depuis l’arrivée de Barack Obama186 . En France, cela s’est traduit par un regain d’intérêt américain pour les banlieues parisiennes et les quartiers marseillais. En ce qui concerne les banlieues parisiennes, les médias sont très nombreux à avoir utilisé le terme de « surveillance », sous-entendant l’existence d’une forme de complot à l’égard des Français issus de la diversité. En revanche, pour les nouveaux bénéficiaires de ces programmes, il était normal qu’ils y accèdent à leur tour. Pour eux, la France est en retard dans la reconnaissance, la représentation et l’intégration de ses populations immigrées, comme le soulignait Karim Zéribi, Visiteur international 2008 : « Quand c'était Nicolas, Jean-Pierre et Manuel qui partaient dans le cadre de ce programme, on n’en parlait jamais, mais quand c’est Mohamed, Karim, Sabrina et Myriam qui sont invités, là on s’interroge pour savoir pourquoi on s’intéresse à eux. Je crois qu’ils ont compris avant la société française qu’on allait jouer un rôle important dans ce pays »187 Salah Bariki, Visiteur international 1995, fait passablement le même constat : « On sait depuis bien longtemps que les Américains cherchent à mieux connaître les futures personnalités étrangères. Ce qui a changé, c’est qu’ils s’intéressent désormais à des personnalités issues de l’immigration. Et côté Français, y a pas grand chose. Pareil côté anglais. Les uns disent « on est contre le communautarisme », les autres disent « on est pour », et personne ne fait rien pour 184
“Leader and Expert Grants,” n.d.[1950], Group IV Series 2 Box 153 Folder 17, Archive of the Bureau of Educational and Cultural Affairs Special Collections, Arkansas University, in Scott-Smith Giles, « The US State Department's Foreign Leader Program in France During the Early Cold War », Revue française d'études américaines, 2006/1 no 107, p. 47-60. Giles Scott Smith est professeur de l’histoire diplomatique de la coopération atlantique à l’Université de Leiden, Pays-Bas. 185 Depuis 2001, 20 à 30% des Visiteurs internationaux sont « issus de la diversité » selon l’ambassade. Chiffres cités in Laurent Burlet, « Les États-Unis séduisent les élites de la “minorité musulmane” », Lyon Capitale, 6 décembre 2010, [http://www.lyoncapitale.fr/Journal/France-monde/Actualite/Monde/Les-Etats-Unis-seduisent-les-elites-de-la-minorite-musulmane] 186 En effet, les Américains sont désormais convaincus qu’à l’avenir, la France pourrait avoir un Président issu de minorités. « French minorities, can, too, represent their country at home, and abroad, even one day at the pinnacle of French public life, as president of the Republic. » from « MINORITY ENGAGEMENT STRATEGY » - Origin Embassy Paris - Cable time Tue, 19 Jan 2010 09:24 UTC - Classification CONFIDENTIAL (voir annexe 2) 187 Meriem Laribi, « Karim Zéribi : « Les USA ont compris avant la France qu’on allait jouer un rôle important » », Presse & Cité, 9 septembre 2011 ; [http://www.presseetcite.info/journal-officiel-des-banlieues/agir/karim-zeribi-les-usa-ont-compris-avant-la-francequon-allait]
55 mieux connaître ces populations. Je crois que la France ne prend pas la mesure des choses. »188 Même son de cloche pour Tara Dickman qui est partie aux Etats-Unis avec Nassurdine Haidari dans le cadre d’un stage de community organizing : « au fond, il n’y a en qu’en France qu’on ne voit pas que les élites et les leaders se trouvent aussi dans sa diversité et ses banlieues. Ce n’est pas de la “surveillance américaine”, c’est du bon sens en fait. »189 Nassurdine partage son avis. Selon lui, « en France, tout devient suspect quand on s’adresse à des Noirs et à des arabes », comme il l’exprimait très clairement lors de notre deuxième entretien : « Ce n’est pas de l’espionnage, c’est un échange de bons procédés où certains citoyens français sont choisis par l’ambassade américaine car ce sont des personnalités en devenir, pour enrichir un certain réseau. Ce qui se faisait dans les années 1970/1980 avec Sarkozy Juppé Hollande, aujourd’hui ça s’est étoffé. Ça s’adresse à une autre partie de la population. Rien n’était suspect quand ça s’adressait à une population aisée. Ça le devient quand ça s’adresse à des noirs et à des arabes. Donc le problème il est là. L’approche américaine n’a pas changé dans la volonté de créer des relations avec les personnalités en devenir. Simplement, ils se sont dit que ces personnalités étaient peut-être ailleurs. C’est ça qui a changé dans le fonctionnement de l’ambassade américaine. Ce qui était assimilé à une marque de reconnaissance pour les uns est une marque de défiance pour les autres. »190 A la question de savoir si ces programmes traditionnels visent les futurs leaders ou les arabes et les musulmans, nous pensons qu’il n’y a pas de réponse tranchée à apporter. Au contraire, la nouvelle diplomatie publique américaine semble avoir fusionné ces deux objectifs. En effet, les Etats-Unis cherchent désormais à tisser des liens avec les élites arabes et musulmanes, ce que confirme Vincent Geisser au journal Le Monde : « Les Américains misent sur un changement sociodémographique en France. Ils font le calcul que les élites françaises, aujourd'hui âgées et blanches, vont forcément évoluer, et identifient ceux qui, aujourd'hui en périphérie du système, pourront être demain des leaders. »191 Selon le chercheur lyonnais Taoufik Bourgou192, Visiteur International 2004, les Etats-Unis recherchent des « relais éclairés » issus des élites arabes et musulmanes afin de pouvoir dialoguer et améliorer leur image auprès du « monde arabomusulman »193. Nous l’avons vu, la démarche américaine en matière de diplomatie publique s’inscrit dans une continuité – « repérer les leaders » –, si ce n’est qu’elle s’adresse à un public différent. Outre la volonté de s’adresser à des individus d’origines de naissance différentes, il y a la volonté de s’éloigner 188
Entretien téléphonique avec Salah Bariki, 23 juillet 2013. Entretien téléphonique avec Tara Dickman, 9 juillet 2013. 190 Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013 191 Luc Bronner, « Washington à la conquête du « 9-3 » », Le Monde, 6 juin 2010 192 Taoufik Bourgou est Maître de Conférences en Science Politique à Lyon 3, et directeur fondateur du Centre d’Études de la Politique et des Institutions Américaines 193 « Dans la quête d’une meilleure image dans le monde arabo-musulman, les États-Unis s’appuient sur des élites qui agissent dans des espaces démocratiques, qui sont en capacité de discuter avec les États-Unis, y compris d’options de politique de défense ou de politique étrangère américaine qui ne seraient pas favorables au monde arabo-musulman, sans pour autant que cela ne déclenche une hostilité ou une confrontation. En attirant des élites disposant d’une possibilité de dialogue démocratique (option absente dans l’ensemble du monde arabo-musulman) les États-Unis disposeront d’interlocuteurs et de passerelles. » in Laurent Burlet, « Les États-Unis séduisent les élites de la “minorité musulmane” », Lyon Capitale, 6 décembre 2010, [http://www.lyoncapitale.fr/Journal/France-monde/Actualite/Monde/Les-Etats-Unis-seduisent-les-elites-de-la-minorite-musulmane] 189
56 géographiquement des centres traditionnels de pouvoir, autrement dit des capitales. C’est ce que soulignait Hillary Clinton en 2010 dans Foreign Affairs194 : « The Quadriennial Diplomacy and Development Review endorses a new public diplomacy that makes public engagement every diplomat’s duty, through […] events in provincial towns and smaller communities […] ». Une fois de plus, les actions menées auprès de Marseille et de ses Marseillais illustre donc bien ce renouveau de la diplomatie publique américaine. Nous souhaitons à présent aborder un autre volet du renouveau de la diplomatie publique : non seulement s’applique-t-elle à repérer les futurs leaders mais en plus elle travaille à leur émergence.
IV. 2) La fabrique des leaders : l’exemple marseillais Les Etats-Unis ne se contentent plus de tisser des liens avec les leaders de demain, ils contribuent à les faire émerger. C’est d’ailleurs l’un des buts exprimés dans la stratégie d’engagement auprès des minorités : « we aim […] to improve the skills and grow the confidence of minority leaders who seek to increase their influence. »195 Une préoccupation que l’on retrouve quelques lignes plus loin au sujet de la jeunesse française : « While reinforcing mutual trust and understanding, we seek to help France's next generation improve their capacity to lead in their communities, while also conveying the importance of transcending the bounds of their own communities in order to make a broader, national impact. » A Marseille, l’exemple de Nassurdine Haidari est caractéristique de ces nouvelles pratiques. En effet, ce dernier a participé à un stage de community organizing à Chicago en 2010 : le premier « voyage » de ce type en France d’après ses informations. Selon nous, il n’est pas anodin qu’un tel stage ait été organisé après l’élection de Barack Obama. En effet, ce dernier a commencé sa carrière politique en tant que community organizer à Chicago196. Le community organizing est une pratique qui consiste à faire émerger des leaders, ou plutôt des « organisateurs ». Cette notion de community organizing existe depuis les années 1930 ; elle a été développée par le militant et sociologue américain Saul Alinsky197 . N’ayant eu accès qu’à une toute petite partie de ses écrits, nous nous sommes appuyés sur une expérience militanto-socio-scientifique menée à Grenoble entre 2010 et 2012 : ECHO (pour Espace des Communautés et des Habitants Organisés). Pendant deux ans, une poignée d’organisateurs autoproclamés ont essayé de fédérer les habitants et les associations existantes afin de faire aboutir leurs revendications citoyennes. Dans leur compte-rendu d’expérimentation, ils définissent le community organizing tel qu’élaboré par Saul Alinsky :
194
Hillary Rodham Clinton, « Leading Through Civilian Power – Redefining American Diplomacy and Development », Foreign Affairs, Vol.89, No.6 (Nov. – Dec. 2010) pp. 13 - 24 195 « MINORITY ENGAGEMENT STRATEGY » - Origin Embassy Paris - Cable time Tue, 19 Jan 2010 09:24 UTC Classification CONFIDENTIAL (voir annexe 2) 196 Selon le biographe de Saul Alinsky, Sanford Horwitt, Obama n’aurait jamais remporté les présidentielles s’il n’avait pas utilisé les méthodes de Saul Alinsky pendant sa campagne. Source : Sanford Horwitt interviewé par Axel Cohen sur NPR, la radio, le 30 janvier 2009, à propos de son livre Let Them Call Me Rebel: Saul Alinsky His Life and Legacy. 197 « Sa première expérience de « community organizing » est celle de Back of the Yards dans les années 1930, l’un des quartiers les plus pauvres et les plus ségrégués de Chicago, où il organise les habitants dans une dynamique de contre-pouvoir. Il parvient alors à faire converger des acteurs jusque là opposés, l’Eglise catholique et le syndicat Congress of Industrial Organizations tout en trouvant l’appui des services sociaux. » in Marie-Hélène Bacqué & Carole Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice, Editions La Découverte, collection Politique et sociétés, Paris, 2013
57 « La force du community organizing est de construire un contre pouvoir politique sans se perdre dans l’arène politicienne. L’objectif c’est les quartiers, c’est la ville, et pas l’hôtel de ville. Mais comment un tel mouvement peut s’inscrire dans la durée ? Un des apports principaux d’Alinsky, c’est de définir la fonction d’organisateur. Il y a un travail à mener : s’immerger dans les quartiers, aller à la rencontre des gens, tisser les colères, identifier les conflits qui les provoquent et les responsables en cause : élus, bailleur social, chef d’entreprise, directeur d’administration, aider les gens à construire des revendications, à mener des actions directes, etc. »198 Nous comprenons donc qu’à travers ce genre de stage de community organizing, les Etats-Unis cherchent à faire émerger des organisateurs. Autrement dit, à repérer ce que Saul Alinsky appelle de potentiels native leaders199 puis à les soutenir dans leur parcours politique. Pendant deux semaines donc, Nassurdine Haidari a bénéficié de nombreux cours de mise en situation, ce qui correspond à toutes les séances de training qui apparaissent sur son emploi du temps (voir annexe 6). A notre sens, il a une perception assez juste du community organizing tel que les Américains le lui ont enseigné : « Le « community organizing » n’a pas d’équivalent en France. Y en a beaucoup qui parlent d’empowerment, de trucs comme ça. C’est un terme que je récuse. C’est comparer deux réalités différentes. Aux Etats-Unis, il y a une fracture raciale, elle au cœur de leur vision sociale. En France, il y a une fracture raciale mais elle n’est pas au cœur du pacte républicain. Elle n’est pas aussi présente qu’aux EtatsUnis. Moi, j’ai comparé ça aux activités… à ce qu’on avait ici qui fonctionne pas mal, au dynamisme associatif. Toutes ces associations qui se créent pour des raisons diverses et variées. Par exemple, de défense du consommateur. Pour moi, ça c’est du community organizing : défendre un objectif, défendre des causes, s’organiser collectivement pour obtenir quelque chose. Ce qui n’existait pas pour moi avant les Etats-Unis, c’est comment avec des revendications qui sont miennes, donner corps à ça. Ça, quand on vient de quartiers difficiles, on ne sait pas comment s’organiser en UFC Que Choisir par exemple. C’est bête ce que je dis, mais c’est vraiment un UFC Que choisir des quartiers populaires. Nous aussi, sans aller au tribunal, on construit des stratégies de communication, de sensibilisation, pour défendre nos revendications. […] Je pense que pour moi, il y a un avant et un après USA. C’est-à-dire que tout ce qui était en moi en gestation a pris corps et a pris forme en allant aux Etats-Unis. J’ai commencé à voir comment construire le combat. Le problème c’est que tu peux avoir des objectifs politiques, tu ne sais pas quel chemin emprunter. A Chicago, j’ai appris à mettre en forme une machine de revendications. »200 Par ailleurs, la fabrique des leaders ne se cantonne pas à la politique. L’exemple marseillais révèle que la notion de leadership intervient également dans les domaines culturels et sportifs. Pour ce qui est du sport, on se souvient du projet d’échanges sportif franco-américain entre basketteurs marseillais et américains (voir annexe 7). En effet, il s’agissait non pas d’un stage pour sportifs mais pour futurs
198
Livret d’Expérimentation des méthodes du community organizing par le collectif ECHO (Espace des Communautés et des Habitants Organisés), 2013 199 « La construction d’une organisation de la population ne peut se faire que par les gens eux-mêmes. La seule manière que les gens puissent s’exprimer est à travers leurs leaders. Par « leurs leaders », nous entendons ces personnes que les individus locaux définissent et considèrent comme des leaders. Le leadership indigène est d’une importance capitale car sans le soutien et les efforts coopératifs de ces leaders locaux toute opération de « community organizing » est vouée à l’échec. » in Saul Alinsky, Reveille for radicals, Ed. Vintage Books, 1989, first published in 1946 200 Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013
58 entraîneurs de basket201. Ainsi le projet mentionnait-il la chose suivante : « Les objectifs du projet sont de réunir des joueurs de cultures différentes, de leur faire découvrir d’autres techniques sportives, et plus particulièrement la pédagogie nécessaire pour encadrer des plus jeunes dans leur club, voire devenir euxmêmes entraineurs de basket. » L’autre exemple caractéristique est une fois de plus le programme des Jeunes ambassadeurs. Comme nous l’avons souligné précédemment, pour ce qui est des six Marseillais sélectionnés chaque année, ils viennent uniquement de lycées ZEP. De plus, seuls des élèves de section européenne anglais partent chaque année. Par ce biais, l’ambassade des Etats-Unis, qui coordonne et finance à moitié le projet, est certaine de ne sélectionner que les meilleurs élèves issus des quartiers populaires de Marseille. Ces derniers sont encore trop jeunes pour être d’influents influents leaders d’opinion. Néanmoins, tous ont déjà un engagement associatif au préalable (cela fait partie des critères de sélection). Autrement dit, ces lycéens ne sont pas totalement étrangers aux mécanismes d’organisation collective. De plus, afin de parfaire leur leadership, ils sont formés à devenir « ambassadeurs »202 . Enfin, après leur voyage, chaque lycéen bénéficie d’un suivi nonnégligeable. En effet, ils ont tous la possibilité d’intégrer l’association des anciens – Jeunes Ambassadeurs Alumni203 –, laquelle leur donne accès à un ensemble de ressources considérables. Par exemple, de très nombreux professionnels français et américains sont partenaires des Jeunes Ambassadeurs Alumni. Avocats, chefs d’entreprise, professeurs, diplomates… Ils sont tous aux petits soins avec les JA qui bénéficient donc d’un réseau professionnel exceptionnel. Ainsi les Etats-Unis organisent-ils la fabrique des leaders, la fabrique des élites. Pour conclure cette deuxième partie, les Etats-Unis s’appliquent fermement à établir un dialogue apaisé entre les arabes et les musulmans du monde entier et les Etats-Unis. Pour ce faire, ils utilisent leurs ressources de soft, de hard et de sticky power afin que leurs programmes de diplomatie publique soient les plus efficaces possible et remplissent notamment leurs objectifs de hard power, à savoir : la lutte contre le terrorisme. En mêlant des objectifs nouveaux et antérieurs, ils cherchent à repérer à faire émerger les nouveaux leaders, les futures élites arabes et musulmanes, comme l’illustre pertinemment l’exemple marseillais. A Marseille en effet, les instances diplomatiques américaines ainsi que des acteurs nongouvernementaux tels qu’Open Society ont su s’adapter au contexte local pour mettre en œuvre leurs stratégies. Dans une troisième et dernière partie, nous allons chercher à déterminer l’impact de ces manœuvres américaines en termes d’image et de répercussions sur la vie politique française.
201
Ce qui nous a été confirmé par Vanessa Tiersky, l’actuelle Conseillère aux affaires culturelles du Consulat américain à Marseille. Elle nous a clairement expliqué par téléphone qu’il s’agissait d’un stage de coaching pour futurs entraîneurs. 202 En effet, pendant leur première semaine à Washington, ils bénéficient d’un atelier intitulé « Tools of Foreign Policy Workshop ». La plaquette de présentation (transmise par Cécilia Allali, JA 2013) décrit le contenu de cette formation : « Les lycéens seront formés aux multiples outils qu’utilisent les Etats pour élaborer leur politique étrangère. Outre les outils traditionnels que sont la diplomatie et la guerre, ils étudieront les usages des échanges culturels et scientifiques, de la coopération économique, des accords commerciaux et échanges universitaires. Enfin, les lycéens seront confrontés à un ensemble de scénarios et devront évaluer la pertinence de l’utilisation de chaque technique décrite précédemment. » 203 Cette association existe depuis le printemps 2013. Elle regroupe plus d’une centaine d’anciens JA.
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CHAPITRE 3 : QUEL IMPACT ? QUELLES RÉPERCUSSIONS ? Quel impact sur le soft power américain ? Sur la vie politique française ?
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PARTIE V : QUEL IMPACT SUR LE SOFT POWER AMERICAIN ? Comme le souligne Brian Hocking, c’est le manque de soft power qui pousse les gouvernements à mettre en place des stratégies de diplomatie publique. Dans le cas des Etats-Unis, leur soft power souffrait déjà d’une mauvaise image du pays avant le 11 septembre. Les interventions militaires qui ont suivi sont loin d’avoir amélioré les choses. Les nouvelles pratiques de diplomatie publique ont-elles permis de contrebalancer cette tendance et de renforcer le soft power étatsunien ? C’est difficile à dire.
V. 1) L’exploitation de la culture américaine à Marseille Avant d’examiner les ressources de soft power américain exploitables à Marseille, revenons sur cette notion. Comme l’a écrit maintes fois Joseph Nye, le soft power est la capacité d’influencer les autres pour obtenir ce que l’on souhaite grâce à son attractivité plutôt qu’en ayant recours à la contrainte ou au versement d’argent. Nye distingue deux approches du soft power : le pouvoir mesuré à l’aune des résultats obtenus en termes de comportements ou bien les ressources du pouvoir que sont la culture, les valeurs ou la politique étrangère d’un Etat204. Dans ce même article, Joseph Nye définit la diplomatie publique comme un instrument qu’utilisent les gouvernements pour mobiliser ces ressources afin d’attirer et de communiquer avec les sociétés civiles étrangères, dans le but de susciter les comportements souhaités. A Marseille, les ressources de soft power américain sont nombreuses, à commencer par le volet culturel. Or, comme le soulignait déjà Joseph Nye en 1990, la culture américaine est une ressource de soft power peu onéreuse et bien utile205. Dans les paragraphes qui suivent, nous distinguerons les ressources culturelles générales et celles qui ne sont exploitables qu’à Marseille. Parmi les ressources culturelles qui n’ont rien de spécifique à Marseille, il y a les films. En effet, à la question « Qu’évoquent pour vous les Etats-Unis ? », nombre d’interlocuteurs marseillais nous ont parlé cinéma. A titre d’exemple, le médecin Philippe Souïd nous a dit être devenu un amoureux de New York grâce aux films de Woody Allen. De plus, les quatre jeunes ambassadrices avec qui nous sommes entrés en contact ont toutes tenu le même discours, à savoir : « Avant de partir de partir aux Etats-Unis […] j'avais hâte d'y aller pour voir si c'était “comme dans les films” »206 Outre les films, les séries télévisées ont également été mentionnées à moult reprises. Cécilia Allali par exemple, JA 2013, nous expliquait son addiction aux séries américaines : « Games of thrones, Vampire diaries, Desperate Housewives, The Big bang theory... Je suis vraiment séries-addict. Et au ciné, on a toujours cette image de grosses productions américaines, avec plein d’effets spéciaux… avec des décors de fou. Justement, c’est très intrigant de voir tout ce qu’ils font, et on se demande comment ils vivement normalement. Je suis sûre que si vous demandez à un garçon 204
Joseph Nye, « Public diplomacy and Soft Power », Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616, Public Diplomacy in a Changing World (Mar., 2008), pp. 94-109 - Published by: Sage Publications, Inc. in association with the American Academy of Political and Social Science 205 Joseph S. Nye, « Soft power », in Foreign Policy n°2944, aut. 1990, p. 153-171 206 Echange de mails avec Coralie Mampinga, JA 2012.
61 de 8 ans des quartiers Nord de Marseille ce que c’est les Etats-Unis, il va dire : « Hollywood et New York ». »207 Néanmoins, l’identité marseillaise de nos interviewés n’est pas un facteur pertinent pour expliquer leur attirance envers ce pays. N’importe quel Français aurait pu tenir ce discours. Même chose pour le projet d’échanges sportifs entre basketteurs marseillais et basketteurs américain (voir annexe 7). Le Consulat s’est appuyé sur l’image positive que véhicule le basket américain pour monter ce projet avec des Marseillais. Toutefois, des projets similaires auraient pu voir le jour dans d’autres villes. Paradoxalement, il est une figure américaine qu’il serait aisé d’exploiter comme ressource culturelle américaine et qui n’est pourtant pas beaucoup utilisée. Il s’agit de Varian Fry. Ce journaliste américain a joué un rôle déterminant pendant la Seconde Guerre mondiale à Marseille. Avant de se retrouver en Provence, il est intéressant de noter que Varian Fry avait obtenu un poste aux Etats-Unis au sein de l’une des premières ONG de diplomatie publique : la Foreign Policy Association. Une fois à Marseille, il a mis en place une forme de résistance humanitaire208. Au départ, il avait en sa possession un liste de 200 noms comprenant les personnalités intellectuelles les plus en danger. Parmi elles : Max Ernst ou encore Pablo Picasso. Afin de les aider au mieux, il a fondé le Centre Américain de Secours : une structure mi-officielle mi-clandestine209. Cette dernière a fonctionné de 1940 à 1942 et a permis de sauver plus de 2000 vies menacées par le régime de Vichy. Il semblerait néanmoins que le Consulat n’ait pas joué à plein la carte « Varian Fry » pour accroître les ressources de soft power américain. En effet, d’après Pamela King, une Américaine pur souche qui vit à Marseille depuis 20 ans et dirige la galerie d’art contemporain l’American Gallery, les Américains ne savent plus qui est Varian Fry : « ce qui est extraordinaire c’est que beaucoup d’Américains n’ont aucune idée de qui c’est. Ils ne savent pas qui il est. C’est vraiment un sujet marseillais. Moi, ça fait quatre ans que je veux faire un projet sur Varian Fry et que je n’ai jamais les soutiens nécessaires. »210 Les impressions de Pamela King sont confirmées par le fait que les seules initiatives dédiées à perpétrer la mémoire et l’histoire de Varian Fry n’émanent que du versant français, ce qui n’empêche pas les Consuls successifs de se greffer aux différents projets211. Néanmoins, ils ne semblent pas s’appuyer sur Varian Fry pour mener leurs actions de diplomatie publique. Quant à Pamela King, elle mène à bien ses propres projets culturels. Elle est à sa manière une actrice individuelle de la diplomatie publique américaine, en cela qu’elle cherche à créer des passerelles culturelles entre artistes marseillais et artistes américains. Elle souhaiterait notamment créer des jumelages entre sa galerie d’art contemporain à Marseille et des galeries américaines :
207
Entretien avec Cécila Allali, Marseille 8e, 19 juillet 2013. Jean-Marie Guillon, cité par l’association Varian Fry France sur son site internet [http://www.varianfryfrance.fr/_sa_«mission_de_sauvetage»_humanitaire_pendant_la_guerre__unneufquatrezero___unneufquatredeux__-2-3.html] 209 « A Marseille, pour le Comité Fry, les activités clandestines côtoient le travail officiel. Les faux papiers, les passeports maquillés étaient fabriqués par un caricaturiste viennois, Bill Freier (alias Willy Spira), plus tard arrêté et déporté à Auschwitz, où il a échappé de peu à la mort. Les rapports secrets étaient découpés en lamelles, dissimulés au fond des tubes dentifrices et transportés par les réfugiés en partance pour l’exil. », Association Varian Fry, [http://www.varianfryfrance.fr/_sa_«mission_de_sauvetage»_humanitaire_pendant_la_guerre__unneufquatrezero___unneufquatredeux__-2-3.html] 210 Entretien avec Pamela King, Marseille 7e, le 12 juillet 2013. 211 A titre d’exemple, c’est à l’initiative de l’association française Varian Fry et non des Américains que la place où se situe le Consulat des Etats-Unis à Marseille a été rebaptisée « Varian Fry ». [http://www.varianfryfrance.fr/_sa_«mission_de_sauvetage»_humanitaire_pendant_la_guerre__unneufquatrezero___unneufquatredeux__-2-3.html] 208
62 « Parleriez-vous d’un axe culturel entre les Etats-Unis et Marseille ? - Ce qui se passe c’est que parfois les artistes américains sont invités pour telle exposition, telle résidence. Mais il n’y a pas d’allers-retours constants. Par exemple, envoyer des artistes Marseillais aux Etats-Unis, c’est très rare et très compliqué. Justement, j’aimerais voir si cette galerie ne pourrait pas créer ce pont. Parce qu’il y a des artistes que j’adore ici que j’aimerais voir exposer là-bas. Et avec ma galerie je voudrais avoir des petits jumelages avec New York, ou Los Angeles, des endroits qui seraient susceptibles d’apprécier l’art marseillais. C’est cher, à cause des vols, à cause de la distance. Mais je pense que c’est intéressant. »212 Selon ses affinités avec les différents Consuls, Pamela King tente de les associer ou non à ses projets. Nous avons là une illustration des évolutions de la diplomatie publique américaine, laquelle se définit davantage comme un réseau ou un enchevêtrement d’initiatives, et moins comme une politique verticale, hiérarchisée, émanant uniquement du corps diplomatique traditionnel. En matière de ressources culturelles, un autre levier potentiel repose sur ce que l’on pourrait appeler la culture « hip-hop »213, la question étant de déterminer s’il existe un axe culturel de ce type, et si oui, de savoir si les Américains l’exploitent. C’est devenu une banalité de l’écrire, le rap français trouve ses origines dans le rap américain. Il est toutefois intéressant de remarquer que deux foyers géographiques se distinguent en France pour la culture hip-hop : l’Ile-de-France et Marseille214. A Marseille, le groupe IAM215 a été largement influencé par le rap américain, comme l’exposait Akhenaton dans une interview accordée en juin 2013 au web-media France-Amérique à l’occasion du premier concert d’IAM a New York : « On a grandi à une époque où il y avait peu ou pas de rap français. Nous sommes donc habitués à écouter du rap américain depuis qu'on est gamins. Encore maintenant, on reste très influencés par ce qu'on entend. Le rap US, c'est très mobile, il ne cesse de se développer. Rien ne vaut le répertoire d'artistes old-school new-yorkais comme Nas, The Notorious B.I.G, Big Daddy Kane ou AZ. Leurs morceaux sont des références. La base de notre rap, c'est le son de New York. »216 S’agissant hip-hop, cette connexion Marseille-USA via est loin d’être inexistante, bien que le rap marseillais connaisse une période difficile217. Il n’est pas anodin de constater que dans le cadre de MarseilleProvence 2013, un événement de grande ampleur a été consacré à la culture hip-hop. Il s’agit de l’événement This is (not) music : « Mixant art contemporain, musique, action sport, street art, custom, arts graphiques,
212
Entretien avec Pamela King, Marseille 7e, 12 juillet 2013. Pour reprendre les termes d’Akhenaton, l’un des membres fondateurs de IAM, « le hip-hop est une culture qui forme un arbre à plusieurs branches, cinq au total : la danse, le rap, l’art du DJ, le beat-making et le graffiti. » in La Face B, Points Le Seuil, Don Quichotte, 2010 214 Voir sur ce point : Alain-Philippe Durand, Black, Blanc, Beur. Rap Music and Hip-Hop Culture in the Francophone World, Scarecrow Press, 16 octobre 2002. 215 Groupe précurseur pour le rap en France. 216 Interview des membres du groupe IAM par Coralie Simon, le 26 août 2013, « IAM : "New York est la ville de nos débuts" », [http://www.france-amerique.com/articles/2013/06/26/iam_new_york_est_la_ville_de_nos_debuts.html] 217 En effet, le rap marseillais n’est pas soutenu par les instances locales, ce que dénonce le rappeur marseillais Duval MC : « C’est scandaleux, on est à Marseille, il y a 500 milliards de MC [Maîtres de cérémonie] et une seule salle de rap [l’Affranchi]. », à lire sur le Marseille Bondy Blog, article de Léia Santacroce, « Duval MC balance du lourd », le 1er juillet 2011, [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/duval-mc-balance-du-lourd]. Un dépit que partage Alix, le vendeur de Brickcity : « il n’y a plus une importante culture hip hop à Marseille. Paris, beaucoup plus que Marseille. On a quoi… On a 2 groupes au niveau national. On a IAM et Psy 4 de la Rime. La Fonky family c’est mort. Y a plus de groupe rap sur Marseille, y a plus que les Parisiens. », entretien avec Alix Brickcity, Marseille 1er, le 19 juillet 2013. 213
63 projections...This is (not) Music proposait une vision inédite des board cultures et street cultures. »218 A cette occasion, le célébrissime groupe de rap américain Wu-Tang Clan s’est produit sur la scène marseillaise. Nous ne savons pas si le Consulat ou l’ambassade ont joué un rôle quelconque dans l’organisation de cet événement. Nous remarquons toutefois qu’à Marseille, à notre connaissance, le Consulat n’a jamais usé de la carte « hip-hop » pour mener ses actions de diplomatie publique. Les seuls concerts franco-américains qui aient été organisés à Marseille à l’initiative du Consulat n’ont rien de « hip-hop » 219 . A l’inverse, l’ambassade américaine à Paris a invité le chanteur Will.i.am du groupe « Black Eyed Peas » à rencontrer de jeunes parisiens à l’occasion du festival Paris Hip Hop 2011, dans le 20e arrondissement220. En revanche, parmi les ressources du soft power, il en est une qui n’est exploitable qu’à Marseille : l’aura de la marine américaine. En effet, il n’est pas rare que des porte-avions américains fassent escalent dans la rade marseillaise, comme le relate Akhenaton dans son autobiographie : « Durant mes années de glande dans la rue [années 1980], beaucoup de marines circulaient dans le centre de Marseille. Les porte-avions américains jetaient régulièrement l’ancre dans le port, les marines s’offraient alors des sorties en ville. Ils étaient aux anges quand ils traînaient à Belsunce [quartier connu à l’époque pour ses bars et sa prostitution]. […] Les marines s’extasiaient toujours devant la prépondérance de la culture africaine ou afro-américaine à Marseille. Ils écoutaient nos émissions de radio, nous appelaient pour entendre tel ou tel titre de rap et nous, nous écoutions leurs émissions, animées depuis leur navire. […] Certains soirs à la Maison Hantée [salle de concert où IAM avait l’habitude de se produire à ses débuts], on pouvait compter jusqu’à cent GI’s dans la salle. Une ambiance de fous. »221 Outre ce genre d’échanges culturels, Joseph Nye souligne que les militaires peuvent parfois jouer un rôle important dans la génération du soft power. En plus de l’aura de pouvoir qu’ils dégagent, les militaires sont à l’origine de beaucoup d’échanges d’officiers, d’exercices communs et de programmes d’assistance envers les pays étrangers en période de paix. C’est précisément cette aura de pouvoir que le Consulat a souhaité exploiter en enjoignant aux marines de l’USS Truman de se rendre dans les quartiers Nord de la ville pour faire du sport avec les jeunes du centre social Saint-Joseph222, puis de leur faire visiter leur navire. Ces derniers avaient beau ne pas se sentir un pleine opération diplomatique au sens traditionnel du terme223, tous nous ont dit être fiers de représenter leurs pays et de pouvoir échanger avec ces jeunes issus de quartiers populaires (voir photo page de couverture). En résumé, l’étude des programmes de diplomatie publique auxquels ont participé des Marseillais révèle qu’il y a un véritable enjeu de soft power. Avant d’analyser dans le détail les répercussions sur les perceptions des individus, nous avons mis en évidence que les Etats-Unis n’exploitaient pas forcément toutes 218
Sur le site de This is (not) music, [http://thisisnotmusic.org/?a=apropos] Les seules manifestations musicales que nous ayons recensées sont les suivantes : la venue de musiciens américains de country music à l’Espace Julien et de joueurs de banjo à l’occasion d’une fête de l’Aïd. (Sources : entretiens téléphoniques avec Nasséra Benmarnia et Salah Bariki, les 22 et 23 juillet 2013.) De plus, les télégrammes diplomatiques consacrés aux programmes culturels mentionnent bien plus le jazz que le hip-hop. 220 Voir sur le site de l’ambassade : « Will.I.Am et l’ambassadeur Rivkin rencontrent les jeunes du 20e arrondissement de Paris » [http://french.france.usembassy.gov/prog20110625.html] 221 Akhenaton et Éric Macel, La face B , Points Le Seuil, Don Quichotte, 2010, p.195-196. 222 Entretien avec les marines américains de l’USS Truman, Marseille 14e, 7 août 2013. 223 L’US Navy a une longue tradition en matière de représentation diplomatique à travers le monde. 219
64 les ressources culturelles disponibles. Ils s’appuient en revanche sur des « valeurs sûres » telles que le basket, le baseball ou le cinéma.
V. 2) Des étoiles plein les yeux S’il en et bien un qui atteigne ses objectifs en termes d’image et de soft power, c’est le programme Jeunes Ambassadeurs. Comme nous l’ont expliqué les jeunes ambassadrices marseillaises que nous avons rencontrées, l’un des buts affichés de ce programme consiste à casser les stéréotypes français et américains. Toutes ont repris l’exemple des habitudes alimentaires. Si cela peut paraître trivial, il apparaît plus généralement que les jeunes ambassadrices sont littéralement séduites par le programme, bien qu’elles soient conscientes d’être un peu instrumentalisées. Comme en témoignent ces extraits d’entretien avec Lucie Martinez, JA 2012 : « - Pour toi, c’était quoi être ambassadrice ? - Pour moi c’était, représenter la France, la multiculturalité, casser tous ces stéréotypes. Dès qu’on avait des échanges, on en parlait beaucoup. Par exemple, la baguette de pain, le béret, c’est pas comme ça. On va pas chercher du pain un coq à la main. Et aux Etats-Unis, par exemple, les hamburgers et les Américains qui sont gros. Mais pas du tout, ils font du sport. Quelques uns sont obèses mais c’est comme en France. Si on veut, on peut acheter des fruits et des légumes dans les magasins. Ça dépend de chacun. […] - Que penses-tu de ce programme ? - C’est une chance incroyable ! Parce qu’il y a plein de personnes qui rêveraient d’aller aux Etats-Unis. On y va, en plus on ne paye rien, c’est tout pris en charge. C’est extraordinaire pour moi. Je n’avais pas le droit de faire la tête, pas le droit de râler parce que ce n’est pas tout le monde qui peut y aller. Moi, j’ai pris le projet JA comme une récompense du fait que j’aie un projet associatif et que ça, c’est pas tout le monde. […] - As-tu le sentiment d’avoir été instrumentalisée ? - Je sais qu’on est un enjeu pour eux. Ils nous emmènent aux Etats-Unis et ils veulent qu’on casse les stéréotypes sur tout et puis voilà… On est un enjeu pour la croissance des Etats-Unis je pense. J’ai conscience d’être un enjeu pour eux, d’avoir un rôle pour eux. Mais je sais ma position dedans. Je ne ferai pas n’importe quoi. Moi-même je voulais casser ces stéréotypes-là et connaître les Etats-Unis par moi-même. Après je le transmets parce que j’aime bien transmettre ma connaissance et je transmets aux autres tout ce que j’ai appris. Les autres, je les reprends s’il y a un truc qu’ils ne savent pas. Mais après, voilà, je ne serai pas un enjeu pour eux comme ils le veulent pour toujours. S’il y a un truc qui ne ma plaît pas, je leur dirai. […] »224 Bien que toutes aient souligné le fait d’avoir conscience d’être un enjeu, aucune n’était au fait de la stratégie américaine de meilleure connaissance des arabes et des musulmans français. Lors des entretiens, nous les avons confrontées à la lecture des télégrammes diplomatiques les plus significatifs (à savoir : les stratégies d’engagement à l’égard des musulmans et des minorités). Sur ce sujet, elles ont été surprises mais pas
224
Entretien avec Lucie Martinez, Marseille 4e, 23 juillet 2013.
65 choquées. Parmi elles, Liticia, JA 2013. Cette franco-algérienne de confession musulmane a même trouvé cela formidable : « Moi, je ne savais pas, et franchement je suis surprise. Franchement, c’est bien. Je ne savais pas qu’ils pouvaient prendre de leur temps pour s’intéresser à ce côtélà de la France. C’est pas des personnes banales, c’est des personnes de l’ambassade qui s’intéressent à nous. Après, est-ce que c’est des bonnes intentions… C’est surtout par rapport à l’attentat du 11 septembre je pense. Ils sont toujours très inquiets pour leur sécurité, c’est normal ils ont été traumatisés. Mais franchement je trouve que c’est intéressant. »225 Ce qui ressort du témoignage de cette jeune lycéenne, c’est le sentiment que les Etats-Unis s’intéressent davantage aux populations immigrées que ne le fait la France. Autrement dit, les Américains apparaissent en quelque sorte comme des bienfaiteurs venus pallier les manquements français. C’est précisément ce qu’a exprimé l’élu marseillais Nassurdine Haidari :
« Moi je le vois de façon positive. C’est pas une intrusion de l’ambassade américaine dans les affaires françaises, je ne le vois pas comme ça. C’est plutôt une aide de l’ambassade américaine pour pouvoir changer la donne, et ça, on en a besoin. Quand les élites françaises ne vous comprennent pas, à ce moment on a besoin d’un relais international pour pouvoir peser sur la politique nationale. »226 Ce sentiment est partagé par Brahim Hammamu, le jeune directeur adjoint du centre social SaintJoseph. Les enfants dont ils s’occupent ont rencontré les marines de l’US Navy et ont visité le porte-avions USS Truman. En tant qu’accompagnateur, lui-même était présent lors de la visite ; il en garde un souvenir ému. Après nous avoir montré fièrement les photos qu’il avait prises à bord du porte-avions, il a répondu à quelques questions : « Est-ce que tu vois ça comme quelque chose de positif ? - Bien sûr, positif parce que tout simplement, toutes les personnes qu’on voit, ce sont des vrais Américains, ils ont vécu en Amérique. Tandis que nous, on a une image des Etats-Unis que via la télé, et non pas des personnes que l’on voit réellement en chair et en os. Ça a un effet sur eux [dit-il en regardant les enfants qui s’amusent autour de nous] et même sur moi, ça un effet de voir des vrais Américains. Comme pour eux de voir des vrais Européens, ou des vrais Français, ou Marseillais même, voilà. Que penses-tu de la volonté américaine de mieux connaître les populations des banlieues et des quartiers ? - Moi je pense que c’est bien. Déjà ça prouve qu’on n’est pas délaissés. Ça prouve que même les Américains pensent à nous ! Et puis, je sais pas ça permet de découvrir. Paris c’est pas que la mode. Y a aussi des banlieues, du hip-hop. »
225 226
Entretien avec Liticia Yougatagaah, Marseille 1er, 27 juillet 2013. Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013.
66 De plus, la diplomatie publique américaine est vécue de façon d’autant plus positive que les participants marseillais ont le sentiment d’être libres de critiquer les Etats-Unis. Pour Joseph Nye, la possibilité de critiquer est souvent le moyen le plus efficace de renforcer le capital-crédibilité d’un pays. Or selon lui, la crédibilité est la ressource sine qua non du soft power227 . Il se trouve que tous les participants ont ressenti cette liberté de critique, renforçant paradoxalement leur bonne image du pays. C’est notamment ce que soulignait Nassurdine Haidari, lequel est resté en contact régulier avec Randiane Peccoud, en charge de la société civile au sein de l’ambassade américaine à Paris : « J’entretiens une bonne relation avec les EtatsUnis. Cela ne m’empêche pas d’être critique à l’égard de certaines de leurs politiques menées de par le monde. Mais pour tout ce qui concerne les luttes contre les discriminations, on est sur la même longueur d’onde. »228 Outre le renforcement du soft power via les programmes de diplomatie publique menés par les instances diplomatiques américaines, on constate à Marseille l’émergence d’un important sticky power. Pour rappel, Brian Hocking le définit comme le pouvoir d’attractivité économique d’un Etat229. A l’image du soft power, le sticky power est une ressource, un capital, que la diplomatie publique parvient parfois à augmenter. A Marseille et dans ses environs, on constate que deux chefs d’entreprise au moins ont été contactés directement par les instances diplomatiques américaines pour partir aux Etats-Unis. Parmi eux, Karim Zéribi, actuel président de la RTM et Visiteur international 2008. Très agréablement surpris, il se confiait en 2011 au média Presse et Cité : « Je n’étais pas spécialement attiré par le modèle économique et social des USA. Pour moi c’était la loi de la jungle. […] Mais il y a des choses intéressantes là-bas, comme l’esprit d’initiative. En France, on est un peu plus assis sur une forme de stabilité administrative. Il y avait justement un sondage au moment où je suis parti qui disais que les jeunes de moins de 30 ans en France voulaient entrer dans l’administration et la fonction publique. Aux USA, ils ont plus envie de devenir Mark Zuckerberg ou Bill Gates. Il y a aussi le patriotisme américain qui peut avoir des aspects positifs. Cela me donne envie de piquer ici et là, et notre modèle, sans être balayé, peut évoluer ».230 Dans un autre contexte, l’entrepreneur avignonnais Kader Nasri a été convié en 2010 à Washington pour participer à un sommet de chefs d’entreprise du monde musulman. Une attention qui l’a beaucoup flatté : « On est valorisé. On se sent important. Ici, on fait de ce que vous êtes des qualités plutôt que des défauts. »231 Si les instances diplomatiques ont œuvré à Marseille pour renforcer le sticky power, d’autres acteurs y ont contribué, à l’image des entrepreneurs américains regroupés au sein du Mediterranean AngloAmerican Business Network (MAABN). Comme nous l’évoquions précédemment, ces derniers ont participé
227
Joseph S. Nye, Public Diplomacy and Soft Power, Jr., Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616, Public Diplomacy in a Changing World (Mar., 2008), pp. 94-109, published by Sage Publications, Inc. in association with the American Academy of Political and Social Science 228 Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013. 229 Brian Hocking « Rethinking the New Public Diplomacy », in The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005, p.33 230 Meriem Laribi, « Karim Zéribi : « Les USA ont compris avant la France qu’on allait jouer un rôle important » », Presse & Cité, 9 septembre 2011 ; [http://www.presseetcite.info/journal-officiel-des-banlieues/agir/karim-zeribi-les-usa-ont-compris-avant-la-francequon-allait] 231 Corine Lesnes, « Obama invite les banlieues françaises », Le Monde, 6 mai 2010
67 à la création de l’agence économique de développement Provence Promotion. Précisons également que les membres de Provence Promotion sont en lien avec le Consul. Autrement dit, Provence Promotion a beau être une agence de développement française232, elle entretient des liens étroits avec les Etats-Unis, comme nous le confirmait par mail Matthieu Vis, membre de Provence Promotion : « En termes d'image et de représentation, les Etats-Unis sont-ils un modèle pour les entrepreneurs français, et a fortiori marseillais (ou provençaux) ? - Oui souvent et en particulier dans mon secteur, les biotechs, ou beaucoup ont fait un PhD et postdoc aux US, et certains y ont même créé des startups. Avez-vous constaté une augmentation des implantations d'entreprises américaines à Marseille ces dernières années ? Des entreprises marseillaises (ou provençales) aux Etats-Unis ? - Oui, les US sont même le premier pays étranger en termes d’Investissements Directs à l’Etranger en Provence. Quels sont les projets en cours avec les Etats-Unis ? - Un partenariat fort avec San Diego dans la Santé, une prospection active au Texas pour un institut technologique et un partenariat en cours entre les ports de Marseille et Houston. » 233 En résumé, qu’elle émane des instances diplomatiques ou des entreprises et sans s’adresser spécifiquement aux arabes et aux musulmans (sauf dans le cas de Karim Zéribi et Kader Nasri, tous deux cooptés individuellement), la diplomatie publique américaine séduit les acteurs économiques marseillais, renforçant ainsi le sticky power américain. Mais malgré la liberté critique et le renforcement de la crédibilité de la diplomatie publique américaine qui en découle, cette dernière engendre aussi des réactions plus tranchées. Elle provoque chez certains Marseillais un effet repoussoir, comme nous allons l’étudier à présent.
V. 3) Un effet repoussoir Pour nombre de Marseillais, le fait de tendre la main aux musulmans après les attentats du 11 septembre est bien trop contradictoire avec leur politique étrangère (interventions militaires en Afghanistan, en Irak) pour être crédible. Ainsi, ils sont nombreux à se méfier des programmes de diplomatie publique et des intentions américaines. A titre d’exemple, l’attachée parlementaire marseillaise Nasséra Benmarnia a beau avoir entretenu des relations très cordiales avec l’ex-Consul américain Philip Breeden alors qu’elle dirigeait l’Union des familles musulmanes, elle n’en demeure pas moins critique : « Je vais vous sembler abrupte mais je suis un peu surprise. Comme au zoo, on vient voir ces ”musulmans”. Ils ont l’air surpris qu’on ait aussi deux jambes, deux bras… Nous sommes anormalement normaux. Je suis véhémente et pessimiste, c’est peut-être pour ça qu’ils ne m’ont pas invitée. […] C’est vraiment surprenant comme on regarde les gens de l’immigration. On nous fait rentrer dans des cases. 232
A l’origine, Provence Promotion est née en 2005 de la volonté commune du Conseil Général des Bouches-du-Rhône et de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille Provence. 233 Echanges de mail avec Matthieu Vis, membre de l’équipe de développement territorial et prospection de Provence Promotion, en charge des biotechnologies et technologies médicales.
68 Il faut être pour ou contre, comme pour la loi sur la burqa. […] Je trouve qu’on nous étudie de façon très étrange. »234 Même chose pour Salah Bariki, pourtant Visiteur international en 1995. La stratégie américaine tournée vers les arabes et les musulmans marseillais le laisse dubitatif : « Je suis … [silence] dans l’expectative. Je crois qu’ils feraient mieux de s’intéresser à leurs propres musulmans. Si c’est pour voir ce qu’il se passe chez les autres, oui, pourquoi pas. Mais moi, je suis contre les interventions chez les autres. »235 Plus critique encore, Ahmed Nadjar, le directeur de la publication du webzine Med’In Marseille. Pour rappel, il avait publié en 2008 un article précurseur sur la stratégie américaine à l’égard des arabes et des musulmans. Suite à cela, l’ex-Consul Philip Breeden l’avait convié à un dîner pour tenter d’arrondir les angles. Ahmed Nadjar est loin d’être « anti-USA» (un pays qu’il a sillonné quand il était jeune) mais il demeure profondément choqué que les Américains s’intéressent de si près aux arabes et aux musulmans sous prétexte de promouvoir la diversité : « Le Consul [Philip Breeden] nous a traités de paranoïaques, parce qu’on pointait du doigt leur intérêt pour les minorités agissantes. Mais moi, je ne sais pas comment prendre ça, je ne sais pas trop quoi en penser. Pour certains jeunes, mine de rien, ça leur ouvre des horizons, comme les « Jeunes ambassadeurs ». Mais les Américains sont des crapules. La paix, ils ne la veulent pas. Nous on trouvait qu’Obama c’était bien. Mais on a vite été déçus. D’un côté les Américains veulent relancer le dialogue avec les musulmans mais de l’autre ils sont les premiers à mettre des bâtons dans les roues, et à relancer une certaine forme d’apartheid en Israël par exemple. Ce n’est pas en ciblant les musulmans français qu’il y aura moins de morts. Ils devraient commencer par réguler le commerce des armes dans leur propre pays. Aujourd’hui à Marseille, les violences dans les quartiers sont peut-être le produit de la « contre-culture américaine », la violence dans les clips, etc. Il y a un peu d’Islam aussi, mais pas que. » 236 L’opinion de ce journaliste reflète parfaitement ce qu’explique Joseph Nye dans son article sur la diplomatie publique et le soft power. En effet, ce dernier souligne que le traitement dégradant des prisonniers d’Abou Ghraib et Guantanamo est tellement contradictoire avec les valeurs des Etats-Unis qu’il renforce la sensation d’hypocrisie ressentie par les individus que cible la diplomatie publique américaine. Il ajoute que sans un capital-crédibilité conséquent, les instruments de diplomatie publique ne permettent pas de transformer les ressources culturelles en pouvoir d’attraction ; autrement dit, en soft power. Or la crédibilité est fondée sur l’absence de contradictions entre la diplomatie publique et la politique étrangère. Un exemple significatif des effets de ces contradictions est le refus d’accueillir l’ambassadeur américain dans les quartiers Nord au début de l’année 2009. En effet, l’ambassade et l’Acsé souhaitaient que l’ambassadeur d’alors (Craig Roberts Stapleton) se rende dans le 14e arrondissement de la ville pour rencontrer une Jeune ambassadrice marseillaise. Afin d’organiser cette opération médiatique, l’Acsé a contacté Karima Berriche qui dirige l’Agora, un important centre social situé dans le quartier de la Busserine (14e). Alors qu’Israël avait lancé l’opération Plomb durci, l’Agora a tout simplement refusé de recevoir l’ambassadeur des Etats-Unis. Le récit de Karima Berriche, jointe par téléphone : 234
Entretien par téléphone avec Nasséra Benmarnia, 22 juillet 2013. Entretien par téléphone avec Salah Bariki le 23 juillet 2013. 236 Entretien par téléphone avec Ahmed Nadjar, 12 juillet 2013. 235
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« L’ambassade américaine avait lancé un concours pour repérer les talents [Jeunes ambassadeurs]. Isabelle Fouque de l’Acsé m’a appelée, on se connaît bien, pour me dire qu’une jeune Marseillaise avait été retenue : Binti, une Comorienne. L’idée, c’était que l’ambassadeur se rendre à l’Agora pour la rencontrer mais ce n’était vraiment pas opportun à cause de Plomb durci. L’opération avait vraiment suscité un grand émoi dans le quartier, les gens étaient très choqués des images qu’ils voyaient sur Al Jazeera. En plus de ça, certains élus socialistes avaient répondu favorablement à l’appel du CRIF pour manifester en soutien à l’armée israélienne, Sylvie Andrieux pour ne pas la nommer. Donc il y avait beaucoup de tensions, ce n’était vraiment pas le moment. J’ai dit à Isabelle de l’Acsé : « Ecoute, c’est sympa mais c’est pas possible. » En plus, quand l’ambassadeur se déplace, il a un énorme service de sécurité, on n’avait vraiment pas besoin de ça. C’est tout juste si les jeunes tolèrent les policiers français, alors pas les Américains en plus. Moi, en tant que citoyenne française, je ne me suis pas sentie à l’aise. En plus de ça, le CA de l’Agora a dit non. »237 Cette même Karima Berriche est en contact avec le Consulat depuis la deuxième moitié des années 1990. A l’époque déjà, les Etats-Unis s’interrogeaient sur la vie associative dans les quartiers Nord et sur la place de l’Islam. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire maintes fois : tout s’est accéléré après le 11 septembre. A l’image de Nasséra Benmarnia, Karima Berriche juge un peu suspect cet accroissement de l’intérêt américain pour les arabes et les musulmans français : « Pour moi, c’est troublant de trouver des solutions aux deuxième et troisième générations d’immigrés par le biais des USA et du Qatar. C’est le signe que la République est défaillante. Au début, je trouvais ça bien qu’ils s’intéressent à nous, mais j’étais plus naïve. Maintenant, avec le temps et le recul, je suis plus prudente. Je me dis que ce n’est pas désintéressé. Mais soit dit en passant, c’était toujours des gens charmants, très simples, très abordables. Et pour parler trivialement, des culs moins serrés que ce que l’on a en France… »238 Parmi les Marseillais que nous avons interrogés, deux n’entretiennent aucun lien que ce soit avec la diplomatie publique américaine, ce qui ne nous a pas empêchés de leur demander leur avis sur la question. Il s’agit du médecin Philippe Souïd et d’Alix, vendeur à Brickcity. L’un adore New-York et les films de Woody Allen, l’autre vend des vêtements de hip-hop. Quand nous leur avons exposé les pratiques des EtatsUnis à l’égard des immigrés français, ils se sont montrés sceptiques. Philippe Souïd a très vite soulevé des contradictions : « Que les Américains viennent nous dire comment faire en matière d’intégration ? Je ne sais pas… Ont-ils fermé Guantanamo ? Je ne crois pas que ce soit le propos de trouver des solutions à ce problème-là par les Etats-Unis. Il y a un tel acharnement de montrer qu’ils ont raison qu’ils en viennent à opposer deux forces en jeu… Américains contre pays du Maghreb… Je ne sais pas quoi en penser. »239 Pour Alix du magasin de street culture, c’est encore plus net, c’est de « l’instrumentalisation »240. Pour résumer, il est difficile de quantifier les effets de la nouvelle diplomatie publique américaine à Marseille en termes de soft power. Il semblerait que l’amélioration de l’image des Etats-Unis aux yeux des participants soit liée aux bénéfices personnels qu’ils retirent de ces programmes. De plus, le facteur « âge » 237
Entretien par téléphone avec Karima Berriche, 19 août 2013. Ibid. 239 Entretien avec Philippe Souïd, Marseille 1er, 15 juillet 2013. 240 Entretien avec Alix de Brickcity, Marseille 1er, 19 juillet 2013. 238
70 semble jouer pleinement. Au plus ils sont jeunes, au plus les bénéficiaires de la diplomatie publique américaine apparaissent conquis. Néanmoins, quand les contradictions avec la politique étrangère sont trop criantes, la diplomatie publique est contreproductive et ternit l’image des USA. Nous allons désormais étudier les répercussions de la nouvelle diplomatie publique américaine sur la vie politique française à travers l’exemple marseillais.
PARTIE VI : QUEL IMPACT POLITIQUE EN FRANCE ? La dynamisation de la diplomatie publique américaine aura eu au moins deux effets sur la vie politique française : la (re-)mise à l’agenda de la question des quartiers populaires d’une part241 et la mise en place d’une politique musulmane franco-américaine d’autre part. Nous avons observé ces deux aspects à l’échelle de Marseille.
VI. 1) La mise à l’agenda de la question des quartiers populaires Outre les effets recherchés – mieux connaître les populations arabes et musulmanes marseillaises –, la diplomatie publique américaine a eu des répercussions sur la vie politique française. Ainsi les Américains ont-ils largement contribué à l’émergence politique de l’élu marseillais Nassurdine Haidari. Pour rappel, ce dernier a participé à deux semaines de stage de community organizing à Chicago en février 2010, community ne devant pas être entendu au sens de « communautaire » mais d’une communauté d’intérêts242 . Dans son cas, il a choisi de mettre à profit ces méthodes pour lutter en faveur de la réimplantation de l’Etat dans les quartiers populaires et de la lutte contre les discriminations. Nous allons revenir sur le parcours de Nassurdine Haidari pour mieux comprendre les effets de son voyage sur son engagement politique. Il est le premier à le dire, il y a eu « un avant et un après USA »243. Comme l’indique son emploi du temps du séjour (voir annexe 6), il a reçu ne nombreuses heures cours de « leadership training » pendant lesquelles il a appris à mettre en forme ses revendications politiques. Dans les mois et les années qui ont suivi, Nassurdine Haidari a mis en pratique ces enseignements. En avril 2011, soit un peu plus d’un an après son voyage aux Etats-Unis, il fait paraître une tribune remarquée dans le journal Le Monde intitulée : « Eh bien, le « musulman »… il t’emmerde ! »244, un billet volontairement provocateur dans lequel il s’en prend à l’islamophobie de l’UMP. Après ce galop d’essai médiatique, Nassurdine Haidari publie en octobre 2011 un appel visant à interpeller les candidats à la présidentielle. Son manifeste s’intitule alors : « Nous ne 241
Le néologisme (re-)mise n’est pas très heureux mais nous souhaitions signaler ainsi que dans le cadre de la politique de la ville, la question des quartiers populaires revient régulièrement sur le devant de la scène depuis les années 1970/1980. Rappelons également qu’en 1983, c’est de Marseille qu’est partie la marche pour l’égalité des droits et contre le racisme. 242 « La community s’inscrit dans l’idéal américain comme entité existant entre l’individu et l’Etat et structurant le fonctionnement de la société. Elle représente un corps intermédiaire entre sphère privée et sphère publique, entre le citoyen et l’Etat, qui engage des rapports d’appartenance, d’origine, de natures diverses, choisis ou non par les individus qui la composent : il peut s’agir d’un lien territorial, religieux, ethnique ou identitaire, de pratiques ou de cultures communes. Le community organizing est l’action d’organiser la community autour de revendications et d’objectifs divers et ce processus renvoie à des traditions et des méthodes relativement structurées. » in Marie-Hélène Bacqué & Carole Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice, La Découverte, Collection Politique et sociétés, Paris, 2013, p.20 243 Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013. 244 Nassurdine Haidari, « Eh bien, le « musulman »…il t’emmerde ! », Le Monde, 2 avril 2011
71 marcherons plus »245, en référence à la marche pour l’égalité et contre le racisme qui était partie de Marseille le 15 octobre 1983. Il exhorte ainsi les candidats à tenir compte des jeunes issues de l’immigration et des populations résidant dans les quartiers populaires. Dans les deux mois qui ont suivi, en décembre 2011, il lance cinq propositions pour les quartiers populaires : du logement à l’emploi en passant par le contrôle au faciès. Ces coups politiques ont été largement relayés par les médias, signe que les cours de leadership training avaient porté leurs fruits. Ainsi en avril 2012, soit deux ans après son stage, Nassurdine Haidari a même eu les honneurs du New York Times. Dans ce portrait qui lui est consacré, le journaliste américain fait état de son voyage à Chicago et sur les effets de ce séjour sur son action politique : Mr. Haidari went to Chicago in 2010, one of a number of stars from the banlieues chosen by the United States Embassy in Paris to travel to America to learn community organizing. It was one of the best weeks he has ever spent, he said. He has been pushing a five-point program for the banlieues with some American ideas: public money that goes only to companies that act against discrimination, the appointment of minority diplomats to serve France abroad, and rules to force the police to hand out dated, signed receipts after every identity check, to prevent abuses. “What I learned in Chicago was to ask only for what you can get,” he said. “You can’t change the world, but you can change something concrete.” In France, he said, “the real problem is discrimination, not the burqa. It’s millions of people without work.” 246 Dernière action en date de l’élu marseillais : l’élaboration du collectif politique « Marseille Egalité », un groupe d’influence d’une vingtaine de personnes. Son but ? Sensibiliser les candidats aux municipales de 2014 à Marseille à la question des quartiers populaires. A la manière de « Nous ne marcherons plus », son collectif a émis huit propositions. Il est intéressant de noter que parmi les membres du collectif, plusieurs ont des liens avec les Etats-Unis, comme nous l’expliquait Nassurdine Haidari : « - Est-ce que les personnes qui font partie du collectif « Marseille Egalité » considèrent les Etats-Unis comme un modèle, un idéal ? - Ouais, bizarrement y en deux. Un qui s’appelle Youssef Rami, qui a eu un doctorat aux Etats-Unis, qui a déjà assisté à des actions aux Etats-Unis, qui est vraiment connecté. Il y en a un qui s’appelle Karim qui travaille avec le Consul américain à Marseille. Donc c’est vrai qu’il y a une certaine proximité avec les méthodes américaines... il y a un axe USA-France, USA-Marseille. »247 Toutefois, les méthodes américaines de community organizing ne sont pas plaquées telles quelles. Nassurdine Haidari est un élu politique, il a fait en sorte de les adapter au contexte français et a fortiori marseillais. Il compare le community organizing à l’engagement associatif, ou encore à des initiatives citoyennes telle qu’UFC-Que Choisir. Néanmoins, il est bien conscient que les associations marseillaises n’ont pas attendu son voyage aux Etats-Unis pour se développer. En effet, le tissu associatif marseillais est
245
Paru sur le site de RespectMag le 18 octobre 2011, [http://www.respectmag.com/2011/10/18/signez-lappel-nous-ne-marcheronsplus-5597] 246 Steven Erlanger, « A presidential race leaves French Muslims Feeling Like Outsiders », New York Times, 4 avril 2012, [http://www.nytimes.com/2012/04/05/world/europe/presidential-race-in-france-leaves-muslims-feeling-leftbehind.html?pagewanted=all] 247 Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013.
72 particulièrement dense248. Mais l’élu socialiste a mis à profit ces méthodes américaines pour servir ses ambitions politiques, le but étant de réintroduire la puissance publique dans les quartiers populaires de Marseille où les associations, bien que nombreuses, ne peuvent se substituer à l’Etat. Outre le stage de community organizing auquel a participé cet élu marseillais, les Etats-Unis influencent indirectement les acteurs de la politique de la ville en France à travers des notions telles que l’empowerment. Cette notion polysémique a émergé dans les années 1970 dans des contextes très différents. Selon Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener, il a d’abord été compris comme une démarche lancée par des individus ou des groupes d’individus afin de s’auto-prendre en charge. Le mouvement des femmes battues qui émerge aux Etats-Unis dans les années 1970 aurait été l’un des premiers à utiliser ce terme. Par la suite, les auteurs font remarquer que la notion d’empowerment a pris plusieurs significations. Elles distinguent au moins deux approches de ce terme : une approche néo-libérale et une approche radicale249 . Dans l’approche néolibérale, l’accès au pouvoir se fait par l’intégration au monde du travail grâce à ses choix rationnels et ses capacités individuelles. Cette approche n’est pas celle retenue par les acteurs français de la politique de la ville. Ces derniers s’intéressent davantage à l’approche radicale, laquelle repose sur une logique de contre-pouvoir fondée sur une alliance entre différents groupes. En effet, sans que l’ambassade n’y ait à voir pour quelque chose, des initiatives d’empowerment voient le jour aux quatre coins de la France depuis les années 2000. Dans son rapport sur les banlieues et les quartiers populaires, le think tank de gauche Terra Nova liste en effet plusieurs initiatives de ce type. Les auteurs évoquent notamment la création à l’échelle nationale du collectif « Pouvoir d’agir »250 . Le manifeste inaugural appelle très nettement à renforcer le pouvoir des habitants : « Nous devons franchir un pas que la France n’a jamais osé franchir, celui de l’empowerment : ouvrir aux habitants de ces quartiers l’accès à la capacité politique pour qu’ils soient les auteurs de la définition de leurs besoins et les coproducteurs des réponses à y apporter pour le développement social de leur territoire. » On peut également évoquer le cas d’Alliance citoyenne à Grenoble, cette fédération d’associations née de la mise en pratique des méthodes de Saul Alinsky (déjà mentionné p.56-57). Les auteurs du rapport de Terra Nova n’hésitent pas à parler d’ « effet Obama » pour expliquer l’émergence des notions de community organizing et d’empowerment dans la bouche d’individus n’ayant pas de lien direct avec les instances diplomatiques américaines. Au niveau gouvernemental, cela s’est traduit en 2013 par la commande et la parution d’un rapport sur la citoyenneté et le pouvoir d’agir des habitants dans les quartiers populaires. Les travaux de terrain ont été menés par l’urbaniste Marie-Hélène Bacqué et le président du collectif AC Le Feu, Mohamed Mechmache. Afin d’élaborer leur rapport, ces derniers se sont déplacés dans de nombreuses villes de France, et notamment à Marseille. Là, Mohamed Mechmache s’est 248
L’importance du mouvement associatif marseillais est souligné par Jocelyne Cesari, Alain Moreau et Alexandra SchleyerLindenmann dans leur ouvrage « Plus marseillais que moi, tu meurs ! » Migrations, identités et territoires à Marseille, L’Harmattan, 2001 249 Marie-Hélène Bacqué & Carole Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice, La Découverte, Collection Politique et sociétés, Paris, 2013 ; Jacques Donzelot (sous la dir. de), « Banlieues et quartiers populaires – Remettre les gens en mouvement », Terra Nova, Contribution 27 – Projet 2012 250 Il regroupe, entre autres, l’Inter-réseau des professionnels du développement social urbain (IRDSU), la Fédération des centres sociaux de France (FCSF), le réseau européen des plans locaux d’insertion par l’économique (EUROPLIE), le conseil national des régies de quartier (CNRQ), le conseil national de la prévention spécialisée (CNPS) etc.… Jacques Donzelot (sous la dir. de), « Banlieues et quartiers populaires – Remettre les gens en mouvement », Terra Nova, Contribution 27 – Projet 2012
73 rendu entre autres au centre social l’Agora, que nous évoquions précédemment (Karima Berriche, sa directrice, a été contactée à plusieurs reprises par le Consulat américain à Marseille). Ce qui est mis en avant dans le rapport final, c’est la volonté de mettre en place une politique d’empowerment à la française : Une politique d’empowerment à la française suppose que la participation ne soit pas conçue comme un moyen d’accompagner la disparition des moyens, de remplacer le droit commun ou les services publics : au contraire, elle s’accompagne d’une intensification des politiques publiques, mais de politiques publiques co-élaborées et qui s’appuient sur les initiatives citoyennes. Elle repose sur le pouvoir d’agir des citoyens et sur la reconnaissance des collectifs, amenant à dépasser la hantise française du communautarisme. Paradoxalement, ce rapport est loin de répondre aux attentes et du centre social l’Agora, pourtant consulté, et de Nassurdine Haidari, dont les méthodes peuvent pourtant sembler proches des préconisations du rapport. S’agissant de l’Agora, Kévin Vacher, l’un des travailleurs sociaux interrogés par Mohamed Mechmache lors des consultations, s’est dit très surpris que l’empowerment à la française ait été mis au centre du rapport alors que les discussions menées à Marseille ne portaient pas sur ce point : « Que penses-tu du rapport de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache ? - Mohamed Mechmache était venu nous rencontrer à l’Agora. Au départ, on était plutôt méfiants. On lui a posé beaucoup de questions avant d’accepter de répondre aux siennes. A aucun moment il n’était question d’empowerment et de méthodes américaines. Ça m’a surpris de retrouver ça dans le rapport final. »251 Pour ce qui est de Nassurdine Haidari, bien qu’élu socialiste, il est plus véhément. Et ce aussi bien à l’égard du rapport commandé par le gouvernement que des Etats-Unis dont le modèle a inspiré les auteurs : « Je pense que c’est la dernière technique d’enfumage du Parti socialiste à l’égard des quartiers populaires. On va vous dire maintenant « prenez vous en main ». OK, mais normalement ici on n’est pas aux Etats-Unis, c’est l’Etat qui prend en main les choses. Aujourd’hui, on n’est pas dans l’automédication dans les quartiers populaires. Ce qui manque dans les quartiers populaires, c’est la force publique. Les associations qui s’organisent, avant qu’on aille aux Etats-Unis, elles étaient déjà organisées, elles savent comment faire. Ce qui pose problème, c’est la revendication politique. Aujourd’hui dans le quotidien de ces hommes et de ces femmes, il y a des femmes qui s’organisent, des hommes qui s’organisent. C’est pour ça que je dis que c’est la dernière entourloupe. Moi ça me fait penser à une personne qui irait chez son médecin et qui au bout de 20 ans demanderait encore un diagnostic de sa maladie sans avoir eu aucune prescription médicamenteuse. Il y a mensonge, entretenu par le gouvernement. »252 Nous en concluons que directement ou indirectement, les Etats-Unis contribuent à (re-)mettre à l’agenda la question des quartiers populaires. Il semblerait toutefois que les stages de type community organizing aient plus d’impact sur le terrain que l’émergence de notions diffuses et sujettes à de mauvaises interprétations telles que l’empowerment. Autre volet des répercussions politiques : nous allons désormais analyser le caractère franco-américain de la politique musulmane en France. 251 252
Entretien par téléphone avec Kévin Vacher, 21 juillet 2013. Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013.
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VI. 2) L’élaboration franco-américaine d’une politique musulmane Selon le politologue Vincent Geisser, depuis la guerre d’Algérie, les gouvernements successifs mènent en France une politique postcoloniale de « gestion de la question musulmane » dont l’effet principal consiste à maintenir les musulmans dans leur spécificité islamique alors que ces derniers aspirent à se vivre pleinement comme citoyens français. La ville de Marseille est d’autant plus représentative de ces pratiques qu’elle mène implicitement une politique multiculturelle de reconnaissance des différentes communautés religieuses 253 . Nous allons montrer dans cette partie que les Etats-Unis, en ciblant les arabes et les musulmans français, participent de cette politique musulmane. Dans son ouvrage Marianne et Allah254, rédigé avec le journaliste Aziz Zemouri, Vincent Geisser démontre qu’au XXe et XXIe siècle, la France a toujours associé l’Islam à des questions sécuritaires. Pour la décennie 2000, il cite notamment l’exemple de l’Institut national des hautes études de sécurité qui a consacré une grande partie de ces travaux aux « questions musulmanes ». Dans ces études, les musulmans y sont considérés comme des « risques » ou comme des « menaces ». Nous remarquons que l’approche française est semblable au prisme sécuritaire adopté par les Américains dans leurs télégrammes diplomatiques, comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner. Vincent Geisser montre également que les autorités françaises ont toujours cherché à promouvoir des milieux musulmans conciliants afin d’y trouver des soutiens et des relais d’opinion. Il consacre même un chapitre à ce sujet : « organiser les musulmans : une obsession républicaine ». Il y évoque notamment l’élaboration du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). Lancé en 1999 par le gouvernement Jospin, il verra le jour en 2001 après deux ans de concertations. Définie dans sa charte fondatrice, sa vocation est la suivante : « symbole de l’unité du culte musulman, l’instance représentative devra défendre la dignité de ses fidèles et leurs intérêts légitimes. Interlocutrice officielle des pouvoirs publics, elle aura à traiter avec eux des sujets cultuels de portée nationale. Elle aura aussi à se préoccuper de l’image, de la défense et de la valorisation de l’islam et des musulmans dans l’opinion publique »255. Autrement dit, les autorités françaises ont commencé à vouloir organiser le culte musulman bien avant les autorités américaines. Tout récemment, le premier Ministre Manuel Valls a demandé à ce que lui soit remis une liste de candidats disposés à intégrer un nouveau Conseil Français du Culte Musulman, plus indépendant de l’islam consulaire et plus représentatif de l’islam en France256 .
253
Pour une définition du multiculturalisme, on se reportera à l’ouvrage de Milena Doytcheva, Multiculturalisme, Editions La Découverte, Collection Repères, 2011. « Conçu comme un projet de reconnaissance «équitable » d'individus et de collectivités historiques [Schnapper, 1997] dans l'espace public, il est pour ses défenseurs le projet de traiter et de prendre en compte le pluralisme culturel ainsi que les rapports entre groupes majoritaires et minoritaires à l'intérieur d'une perspective d'égalité et de justice sociale. […] Dans les comparaisons internationales, la France est souvent étudiée comme l'exemple le plus abouti d'une politique assimilationniste. L'idée de la reconnaissance de spécificités culturelles et de la prise en compte d'identifications minoritaires heurte ici en effet des valeurs historiques de la société comme la dimension universaliste et émancipatrice de la citoyenneté, le refus des « intermédiaires » entre l'État et le citoyen, la stigmatisation des « communautarismes »,l'allégeance à la laïcité. 254 Vincent Geisser et Aziz Zemouri, Marianne et Allah, Les politiques français face à la « question musulmane », Editions La Découverte, Paris, 2007 255 Point 9 de l’accord cadre sur l’organisation du culte musulman en France, site officiel : [http://www.lecfcm.fr/?p=2597] 256 Claire Chartier, « Manuel Valls réfléchit à un nouveau Conseil Français du Culte Musulman », L’Express, 4 septembre 2013 : « [Exclusif] Devant l'échec du Conseil français du culte musulman, sur lequel le Maroc et la Turquie ont ouvertement la main depuis les élections internes de juin dernier, Manuel Valls réfléchit à l'idée d'appuyer la création d'une autre instance. Le ministre de l'Intérieur a demandé à ses collaborateurs une liste de personnalités de la société civile qui pourraient s'intégrer, aux côtés des organisations musulmanes classiques, dans une nouvelle institution. Le but: favoriser l'émergence d'un conseil plus indépendant de
75 A Marseille, la mise en place d’une politique musulmane est d’autant plus visible que la municipalité exerce peu ou prou une politique multiculturelle. Vincent Geisser consacre un chapitre entier à l’exemple marseillais. Il y rappelle qu’entre 1989 et 1995, la municipalité socialiste de Robert-Paul Vigouroux (successeur de Gaston Defferre) a véritablement institutionnalisé le dialogue communautaire en mettant en place le groupe informel Marseille Espérance. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le mentionner, ce comité existe depuis 1990 et regroupe des représentants communautaires de la ville. Rassemblés sous l’égide de la municipalité, ces représentants jouent davantage un rôle politique que religieux. R. Vigouroux déclarait d’ailleurs en 1997 à la revue « Marseille » : « Nous n’y avons jamais parlé de religion ! »257. Aujourd’hui et malgré l’alternance et l’arrivée de Jean-Claude Gaudin à la municipalité, Marseille Espérance existe toujours. Dans le continuité de cette politique musulmane, ce même Jean-Claude Gaudin a lancé en 2001 un « comité de pilotage sur le projet de centre culturel et cultuel musulman » afin d’ériger la Grande Mosquée de Marseille. Vincent Geisser rappelle que ce comité est constitué sur des bases implicitement ethniques et communautaires puisqu’il comprend trois élus issus de la « communauté musulmane », dont Salah Bariki (Visiteur International 1995). Il apparaît ainsi que les méthodes américaines de meilleure connaissance des arabes et musulmans marseillais à des fins sécuritaires d’une part et stratégiques d’autre part (repérer et fabriquer les futurs leaders) ne sont pas très éloignées des pratiques françaises, lesquelles contribuent à maintenir ces individus dans leur identité musulmane. De plus, bien que les autorités américaines aient édulcoré leurs éléments de langage en ne s’adressant plus spécifiquement aux musulmans mais aux minorités, ils continuent dans le même temps à considérer les musulmans comme une minorité et perpétuent l’idée selon laquelle les catholiques « jouent le rôle implicite d’une majorité de fait – que probablement, en termes de pratique religieuse, ils ne sont même plus. » 258. Vincent Geisser, qui, rappelons-le, a été Visiteur International en 2009, analyse la stratégie américaine de la façon suivante : « les Américains ont un diagnostic “ethnicisant”. Ils misent sur une France où les logiques de mobilisations minoritaires vont dominer. Alors que, sur un plan sociologique, ce n’est pas le cas aujourd’hui »259 Comme nous l’évoquions en première partie, cette approche américaine communautaire n’est pas forcément payante en termes d’image et de soft power. Nasséra Benmarnia, l’ex-présidente de l’Union des familles musulmanes, est choquée de ces manière de faire. Pour elle, ces pratiques contribuent à stigmatiser les musulmans. Quant à Nassurdine Haidari, il a conscience d’avoir été coopté en grande partie parce qu’il est de confession musulmane: « Moi je pense qu’ils nous voient comme Musulmans d’abord et après comme citoyens issus des différentes minorités ethniques. »260 En tant qu’homme politique, il a pris ce qui était bon à prendre en matière de méthodes de communication tout en conservant une certaine distance avec
l'étranger et plus représentatif de l'islam de France, donc mieux à même de jouer le rôle d'interlocuteur auprès des pouvoirs publics. » 257 Citatation tirée de Jocelyne Cesari, Alain Moreau et Alexandra Schleyer-Lindenmann, « Plus marseillais que moi, tu meurs ! » Migrations, identités et territoires à Marseille, L’Harmattan, 2001. 258 Vincent Geisser et Aziz Zemouri, Marianne et Allah, Les politiques français face à la « question musulmane », Editions La Découverte, Paris, 2007, p.236 259 Laurent Burlet, « Les Etats-Unis séduisent les élites de la “minorité musulmane” », LyonCapitale, 6 décembre 2012 260 Entretien avec Nassurdine Haidari, Marseille 1er, 8 juillet 2013.
76 l’ambassade : « Je pense que le voyage a été salutaire pour moi. Maintenant voilà, il faut peut-être passer à autre chose. »261 Précisons toutefois qu’en termes de participation à la politique musulmane marseillaise, les EtatsUnis sont loin d’être les plus interventionnistes. Dans son article consacré aux mobilisations musulmanes à Marseille, Vincent Geisser souligne la présence d’un pôle historique de l’Islam : l’ « Islam consulaire algérien »262 qu’il appelle aussi « Islam-FLN ». En effet, depuis la fin de la guerre d’Algérie, le Consulat général d’Algérie à Marseille a toujours fait en sorte d’organiser le culte et l’éducation islamique des immigrés algériens. Il a notamment participé à la création en 1983 de la mosquée En Nasr (La Victoire), un important lieu de culte situé dans le Xe arrondissement pouvant accueillir jusqu’à 500 fidèles. De plus, Vincent Geisser avance que l’Algérie dépêche des agents sécuritaires pour surveiller les quartiers du centreville que sont Noailles, Belsunce et la Porte d’Aix, qui tous trois sont des lieux de rassemblement des populations d’origine maghrébine. Les consultations entre les renseignements généraux français et les autorités diplomatiques américaines sont donc loin d’être une exception dans la coopération policière internationale à l’échelle de Marseille. De plus, à notre connaissance, les Etats-Unis ont beau connaître de près le tissu associatif marseillais, ils ne financent pas d’associations. Selon Salah Bariki, Visiteur International 1995 et membre fondateur de Marseille Espérance, les Etats-Unis sont moins investis financièrement parlant que ne le sont le Qatar et l’Arabie Saoudite263. Néanmoins, nous ne disposons d’aucun document écrit et chiffré prouvant ces allégations. Nous savons simplement que l’Union des Familles musulmanes, en plus d’entretenir des liens avec les instances diplomatiques américaines, est en lien avec l’ambassade du Qatar. En 2011 par exemple, l’UFM organisait une rupture de jeûne à Marseille en présence de l’ambassadeur qatari, Mohamad Jaham Al Kuwari, lequel venait remettre des prix « Richesse dans la diversité » à des associations264. Nous précisons toutefois que nous n’avons pas approfondi les recherches comparatives entre les actions du Qatar et des Etats-Unis, bien que le Qatar ait une diplomatie publique dont les buts et les méthodes puissent au premier abord paraître similaires aux actions américaines. Enfin, si nous avons choisi de parler d’une politique musulmane franco-américaine, c’est parce que la France est pleinement associée à la stratégie américaine. Pour ce qui est des questions sécuritaires, rappelons que l’ambassade a inauguré en 2005 un cycle régulier de consultations portant sur la lutte contre le terrorisme. Dans le télégramme relatant la première réunion, on apprend que les représentants américains ont insisté sur l’importance de la diplomatie publique. A ce propos, nous remarquons que la France s’est souvent associée aux outils déployés par les Américains. Si l’on prend à nouveau l’exemple du très emblématique programme des Jeunes ambassadeurs, nous constatons qu’au départ, il n’était organisé que par l’ambassade américaine. Dès la deuxième année, en 2009, l’Acsé a souhaité se greffer au projet. Depuis, il est financé à égalité par les Etats-Unis et la France, à hauteur de 60 000 euros chacun265. En se joignant au programme, l’Acsé a souhaité injecter une dose importante d’engagement civique, c’est pourquoi la volonté américaine 261
Ibid. Vincent Geisser , « Immigration et mobilisations musulmanes à Marseille », Cahiers de la Méditerranée 78, 2009, mis en ligne le 15 février 2010 ; [http://cdlm.revues.org/index4524.html] 263 Entretien par téléphone avec Salah Bariki, le 23 juillet 2013. 264 Ahmed Nadjar & Marie-Ameline Barbier, « Autour d’un Ftour, le Qatar et l’UFM 13 célèbrent « La richesse de la diversité » marseillaise », Med’In Marseille, le 31 août 2011 ; [http://www.med-in-marseille.info/spip.php?article1518] 265 Entretien par téléphone avec Marie-Christine Paolini du service de presse de l’Acsé, le 16 juillet 2013. 262
77 initiale n’apparaît plus si clairement. Néanmoins, comme nous l’avons déjà fait remarquer, on compte parmi les participants une importante proportion de jeunes musulmans issus de l’immigration. Pour des raisons budgétaires, il est toutefois probable qu’à court terme, la France ne participe plus à ce programme onéreux266.
266
Ibid.
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CONCLUSION La France a toujours été une cible privilégiée des programmes de diplomatie publique américaine. Pendant la Guerre froide, cela s’expliquait entre autres par les scores élevés du Parti communiste. Après le 11 septembre, l’hexagone est d’autant plus visé qu’il compte quatre à cinq millions de musulmans, l’une des plus fortes proportions en Europe. Mais en quoi l’exemple de Marseille, deuxième ville de France, est-il représentatif des évolutions de la diplomatie publique américaine post-11 septembre ? Malgré nos interrogations initiales sur l’intérêt second que les Etats-Unis semblaient porter à Marseille, la cité phocéenne s’est avérée être un excellent poste d’observation des pratiques américaines contemporaines en matière de diplomatie publique. Ces agissements n’ont rien de récent. Déjà en 1959, le socialiste Gaston Defferre – maire de la ville pendant plus de trente ans – était invité par l’ambassade à partir aux Etats-Unis dans le cadre du Foreign Leadership Program, l’ancêtre des Visiteurs internationaux. Avant même le 11 septembre, dans la deuxième moitié des années 1990, le Consulat des Etats-Unis à Marseille cherchait à mieux connaître la vie associative dans les quartiers, à cerner les pratiques de l’Islam et à mieux comprendre la place des femmes dans la religion. Ces thématiques ont fait l’objet d’une attention consulaire toute particulière après les attentats perpétrés contre le World Trade Center. Sur ce point, le rapport de la Commission nationale d’enquête sur les attentats terroristes ainsi que les télégrammes diplomatiques de la période 2004-2010 constituent un formidable canevas théorique de la nouvelle stratégie américaine en matière de diplomatie publique post-11 septembre. Nouvelle parce qu’elle s’adresse en priorité aux arabes et aux musulmans du monde entier. Nouvelle aussi parce qu’elle s’appuie davantage sur un réseau constituée d’organisations non-gouvernementales et d’acteurs de la société civile, modifiant ainsi le travail des diplomates américains, appelés à être beaucoup plus sur le terrain qu’ils ne l’étaient auparavant. De ce point de vue, il est apparu que l’Ambassade et le Consulat des Etats-Unis entretenaient un important réseau relationnel à Marseille : chercheurs, lycéens, sportifs, acteurs associatifs, entrepreneurs ou élus locaux, nombreux sont les Marseillais à avoir été approchés par les instances diplomatiques (pour relativiser, à l’échelle de la deuxième ville, cela ne représente qu’une poignée d’individus). Dans leur diplomatie de terrain, les Etats-Unis usent à Marseille de ressources plurielles. Culturelles tout d’abord, en s’appuyant sur le cinéma, le basket ou le baseball, mais étonnamment peu sur le hip-hop ou sur la vie de Varian Fry. Economiques ensuite, en encourageant les initiatives d’entrepreneurs locaux. Militaires enfin, en ayant recours à l’aura de prestige des marines de l’US Navy. De plus, malgré les amalgames fréquents entre arabes et musulmans, les Américains ont pris en considération l’importance de la communauté comorienne à Marseille, et donc de la présence d’un islam noir. Si les autorités américaines mènent cette stratégie de smart power, c’est afin de lutter contre le terrorisme d’une part, et de repérer et de faire émerger les futurs leaders d’autre part. A Marseille, comme en banlieues parisiennes, les Etats-Unis ciblent de plus de plus les élites issues de l’immigration, combinant ainsi leur volonté de faire émerger les leaders et de mieux connaître les arabes et des musulmans français. Autrement dit, la nouvelle diplomatie publique américaine oscille entre innovation et continuité. L’arrivée de
79 Barack Obama n’a pas fondamentalement changé les orientations données à la diplomatie publique post-11 septembre, si ce n’est qu’il a contribué à opérer un rééquilibrage du smart power en faveur du soft et du sticky power. De plus, davantage de place semble être faite à l’échange et au dialogue. Par ailleurs, nous avons constaté que la diplomatie publique pouvait se révéler contreproductive si elle poursuivait des objectifs de soft power en trop grande contradiction avec les buts de hard power. A Marseille, tous les efforts des Etats-Unis en matière de diplomatie publique n’ont pas suffi à améliorer leur image auprès de l’ensemble des individus ciblés, lesquels demeurent, pour beaucoup, choqués par les guerres en Irak et en Afghanistan, les agissements dans les prisons d’Abou Ghraib et de Guantanamo, ou encore par l’opération israélienne « Plomb durci ». Par ailleurs, et c’est le propre de cette nouvelle diplomatie publique américaine : elle n’émane pas seulement du corps diplomatique traditionnel mais d’une myriade d’acteurs différents. A Marseille, on peut citer le cas du Mediterranean Anglo-Saxon Business Network, une association d’entrepreneurs anglo-saxons visant à aider les entreprises américano-provençales. Nous pensons également à l’ONG Open Society et à son étude sur les musulmans marseillais. Par ailleurs, il semble que les villes américaines ne jouent pas un grand rôle dans la diplomatie publique à Marseille. A l’avenir toutefois, des jumelages pourraient voir le jour entre les ports de Marseille et Houston, ou bien entre des galeries d’art contemporain marseillaises, newyorkaises et de Los Angeles. Précisons que le corps consulaire tente de s’associer à chacune de ces initiatives, illustrant ainsi les nouvelles tâches du diplomate, tenu de chapeauter d’importants réseaux. Nous constatons cependant que ces actions émanant d’acteurs non-gouvernementaux n’entrent pas spécifiquement dans le cadre de la stratégie américaine de meilleure connaissance des élites arabes et musulmanes. Entravée par les contradictions qui subsistent avec la politique étrangère des Etats-Unis ou débordée par le foisonnement d’initiatives d’acteurs non-gouvernementaux, nous voyons là les limites de la diplomatie publique américaine. Auxquelles il faut ajouter les restrictions budgétaires qui l’affectent à nouveau depuis la fin des années 2000. Difficile de prédire quel sera son avenir. En effet, nous avons pu nous apercevoir qu’il n’était vraiment pas évident d’établir un ratio coûts/bénéfices pour mesurer l’efficacité de ce genre de pratiques. (De même qu’il n’est pas aisé d’évaluer la part de responsabilité des Etats-Unis dans la mise à l’agenda de la question des quartiers populaires en France, un effet secondaire de leur politique.) En revanche, ce qui ressort nettement de notre étude, c’est qu’en matière de meilleure connaissance des élites arabes et musulmanes, les jeunes accueillent ces agissements américains d’une manière beaucoup plus favorable que ne le font les plus âgés, lesquels se montrent critiques et méfiants. Méfiant, le pouvoir français ne semble pas trop l’être alors que dans le même temps, la presse francophone taxe les Etats-Unis de vouloir contrôler éhontément les dites « minorités ». Peut-être est-ce parce que les autorités françaises mènent une politique musulmane post-coloniale qui consiste, pour la puissance publique, à vouloir sans cesse organiser et contrôler le culte musulman, ce que l’on constate à Marseille d’une manière explicite à travers l’application d’une politique multiculturelle. En ce sens, l’exemple de Marseille révèle que la nouvelle diplomatie américaine s’appuie sur des pratiques françaises qui pour leur part, sont loin d’être nouvelles.
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ANNEXES ANNEXE 1 : Stratégie d’engagement auprès des communautés musulmanes françaises
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ANNEXE 2 : Stratégie d’engagement auprès des minorités françaises
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ANNEXE 3 : Répartition géographique des revenus à Marseille
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ANNEXE 4 : Dossier de presse des Jeunes ambassadeurs 2012
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ANNEXE 5 : Emploi du temps des Jeunes ambassadeurs en 2012
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ANNEXE 6 : Stage de community organizing, emploi du temps
Source : documents remis à Nassurdine Haidari lors de son voyage à Chicago en février 2010.
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ANNEXE 7 : Projet sportif américano-marseillais
PROJET SPORTIF FRANCO AMERICAIN 19 FEVRIER / 1 MARS 2012 Le Consulat Général des Etats-Unis à Marseille en partenariat avec la Direction des Sports de la Ville de Marseille a lancé un projet d’échanges sportifs franco-américain, financé par SportUnited du Bureau à l’Education et à la Culture du Département d’Etat des Etats Unis d’Amérique (Ministère des Affaires Etrangères). En avril/mai 2011, 10 jeunes joueurs de basket marseillais de 14 à 17 ans, encadrés par deux adultes ont passé trois semaines aux Etats-Unis. 10 jeunes joueurs américains du même âge, également encadrés par deux adultes vont être accueillis à Marseille et Paris du 19 février au 3 mars 2012. L’Institut pour la Formation et le Développement (ITD) situé à Amherst dans l’Etat du Massachusetts est le bureau d’études responsable du montage du projet et de l’organisation du programme aux Etats-Unis pour les jeunes français. L’IDT a également sélectionné les 10 jeunes basketteurs américains. Ceux-ci ont déjà suivis les entrainements sportifs menés par l’équipe du célèbre Project Coach de Smith College. Les objectifs du projet sont de réunir des joueurs de cultures différentes, de leur faire découvrir d’autres techniques sportives, et plus particulièrement la pédagogie nécessaire pour encadrer des plus jeunes dans leur club, voire devenir eux-mêmes entraineurs de basket. L’objectif du projet est aussi de réfléchir aux valeurs positives associées à la pratique du sport et de développer le dialogue interculturel entre les jeunes français et les jeunes américains pour une meilleure connaissance mutuelle de nos deux pays. Le programme aux Etats-Unis et en France comprend donc à la fois des entrainements sportifs, mais aussi des ateliers de réflexion et des visites culturelles (New York et Boston pour les jeunes français, Marseille, Aix en Provence et Paris pour les jeunes américains). A Marseille, huit clubs de basket des différents quartiers de la ville participent à ce projet. Les jeunes américains rencontreront également les stagiaires de l’Ecole de la Deuxième Chance et ils s’entraineront avec le Pole Espoir Basket du CREPS à Aix en Provence. Ils auront aussi l’occasion d’admirer les calanques et de s’essayer à la pétanque. Mais ils consolideront surtout l’amitié entamée avec les jeunes Français, basée sur le même engagement associatif et civique, confortant ainsi le dialogue inter communautaire et interculturel initié par le voyage des jeunes français aux USA au printemps dernier.
CONTACTS PRINCIPAUX Consulat des Etats Unis d'Amérique : Josette STEINBACH Conseiller aux Affaires culturelles SteinbachJ@state.gov
06 20 43 85 56
Ville de Marseille : François NOEL Service des Sports et des Loisirs fnoel@mairie-marseille.fr
06 32 28 94 68
Max PAOLACCI Service des Sports et des Loisirs mpaolacci@mairie-marseille.fr
06 17 74 90 64
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ANNEXE 8 : The Network of terrorism
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BIBLIOGRAPHIE 1. Sur la diplomatie publique américaine et le soft power Ouvrages, articles et études scientifiques : • Joseph S. Nye, « Soft power », in Foreign Policy n°2944, aut. 1990, p. 153-171. • John Lofland, Polite Protesters : The American Peace Movement of the 1980’s, Syracuse University Press, coll. Syracuse Studies on Peace and Conflict Resolution, 1994. • Mark Leonard, Catherine Stead & Conrad Smewing, Public Diplomacy, Foreign Policy Centre, London, 2002. • David Hoffman, « Beyond Public Diplomacy », Foreign Affairs, Vol. 81, No. 2 (Mar. - Apr., 2002), pp. 8395. • Walter Russell Mead, « America’s sticky power », Foreign Policy, No. 141 (Mar. - Apr., 2004), pp. 46-53. • Joseph S. Nye, « The Decline of America's Soft Power: Why Washington Should Worry », Foreign Affairs, Vol. 83, No. 3 (May - Jun., 2004), pp. 16-20. • Joseph S. Nye, « Soft power and Americain foreign policy », in Political Science Quarterly, vol.119: n°2, p.255-270, 2004 summer. • Joseph Nye, Soft power : the means to success in world politics, Public Affairs, 2004. • The new public diplomacy : soft power in international relations, edited by Jan Melissen, Palgrave Macmillan, first published 2005. • Gygax Jérôme, « Diplomatie culturelle et sportive américaine : persuasion et propagande durant la Guerre froide », Relations internationales, 2005/3 n° 123, p. 87-106. • Scott-Smith Giles, « The US State Department's Foreign Leader Program in France During the Early Cold War », Revue française d'études américaines, 2006/1 no 107, p. 47-60. • Joseph S. Nye, Public Diplomacy and Soft Power, Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616, Public Diplomacy in a Changing World (Mar., 2008), pp. 94-109, published by Sage Publications, Inc. in association with the American Academy of Political and Social Science. • Joesph Nye, « The war on soft power », Foreign policy, 12 avril 2011. Rapports et documents d’Etat : • 11 septembre, rapport final de la Commission d’enquête sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis, Éditions des Équateurs, 2004 pour la traduction française. • « Leading Through Civilian Power, The First Quadrennial Diplomacy and Development Review », 2010. Department of State & USAID. • Hillary Clinton, « Leading through civilian power », Foreign Affairs, Volume 89, n°6, nov/dec 2010. • George W. Bush, State of the Union Address, 29 janvier 2002, the US Capitol, Washington D.C.
96 Sur les télégrammes diplomatiques révélés par WikiLeaks : • Hors-série du journal Le Monde : Les rapports secrets du département d’Etat américain, le meilleur de WikiLeaks, hiver 2010-2011. • Damien Leloup et Martin Untersinger, « Le soldat américain Bradley Manning condamné à trente-cinq ans de prison », Le Monde, 22 août 2013. • Plate-forme de recherche sur le web : [http://www.cablegatesearch.net].
Sur le web : • Le site du Bureau des affaires culturelles : [http://eca.state.gov/] • Le site du Meridian International Center : [http://www.meridian.org/] • Le site du Département d’Etat : [http://www.state.gov] • Le site du National Council of International Visitors : [http://www.nciv.org] • Le site du programme Youth Exchange and Study : [http://yesprograms.org/about] • Le site de l’ambassade américaine en Irak : [http://iraq.usembassy.gov/ileyp.html] • Le site de l’ambassade américaine en France : [http://france.usembassy.gov] • Le site d’Open Society : [http://www.opensocietyfoundations.org/about/history]
2. Ouvrages, articles et études scientifiques sur Marseille, son histoire et sa population cosmopolite • Emile Témime, « Marseille, ville de migrations », Vingtième siècle. Revue d’histoire 7(1), p. 37–50, 1985. • Alfred McCoy, « Marseille sur Héroïne, les beaux jours de la French Connection (1945-1975) » in La politique de l’héroïne, L'implication de la CIA dans le trafic des drogues, Editions du Lézard, 2ème édition 1999. • Bruno Etienne, « Marseille comme exemple d’interaction ville/religion : l’association Marseille Espérance », in Franck FREGOSI et Jean-Paul WILLAIME (dir.), Le Religieux dans la commune. Les régulations locales du pluralisme religieux en France, Labor et Fides, Genève, 2001. • Jocelyne Cesari, Alain Moreau et Alexandra Schleyer-Lindenmann, « Plus marseillais que moi, tu meurs ! » Migrations, identités et territoires à Marseille, L’Harmattan, 2001. • Vincent Geisser , « Immigration et mobilisations musulmanes à Marseille », Cahiers de la Méditerranée 78, 2009, mis en ligne le 15 février 2010. [http://cdlm.revues.org/index4524.html] • Vincent Geisser, Françoise Lorcerie, Les Marseillais musulmans, Open Society Foundations, 2011. • Marchant Alexandre, « La French Connection, entre mythes et réalités »,Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2012/3 N° 115, p. 89-102.
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3. Sur la politique de la ville, le community organizing et l’égalité des chances Ouvrages scientifiques et documents audios : • Saul Alinsky, Reveille for radicals, Ed. Vintage Books, 1989, first published in 1946 • Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou (dir.), Quand les banlieues brûlent... : retour sur les émeutes de novembre 2005, La Découverte, 2007. • Sanford Horwitt interviewé par Axel Cohen sur NPR, la radio, le 30 janvier 2009, à propos de son livre Let Them Call Me Rebel: Saul Alinsky His Life and Legacy, Editions Vintage, 1992. • Marie-Hélène Bacqué & Carole Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice, La Découverte, Collection Politique et sociétés, Paris, 2013. Documents et rapports publics : • Rapport public de la Cour des comptes : « La politique de la ville. Une décennie de réformes », juillet 2012. • Marie-Hélène Bacqué & Mohamed Mechmache, « Pour une réforme radiale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires. », juillet 2013. • Sur le web : site de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances ; [http://www.lacse.fr/]. Think tank et autres organisations : • Yazid Sabeg et Laurence Méhaignerie, « Les oubliés de l’égalité des chances », rapport de l’Institut Montaigne, janvier 2004. • Site web de la charte de la diversité à destination des entreprises : [http://www.chartediversite.com/index.php] • Jacques Donzelot (sous la dir. de), « Banlieues et quartiers populaires – Remettre les gens en mouvement », Terra Nova, Contribution 27 – Projet 2012. • Livret d’Expérimentation des méthodes du community organizing par le collectif ECHO (Espace des Communautés et des Habitants Organisés), 2013.
4. Articles de presse et documents audiovisuels sur les actions de diplomatie publique menées en banlieues parisiennes par les Etats-Unis • Daniel Williams, « Long Integrated, Marseille Is Spared - Southern Port Was Largely Quiet as Riots Raged in Other French Cities », Washington Post, November 16, 2005. [http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2005/11/15/AR2005111501418.html] • Antoine Menuisier, « Les Etats-Unis surveillent les banlieues françaises », Bondy Blog, 28 décembre 2007. Article paru dans le magazine suisse L’Hebdo du 15 novembre 2007 et dans Courrier International du 29 novembre 2007.
98 [http://yahoo.bondyblog.fr/200712280002/les-etats-unis-surveillent-les-banlieues-francaises/] • Cécila Gabizon, « Les États-Unis veulent séduire les banlieues françaises », lefigaro.fr, 9 juillet 2008. [www.lefigaro.fr/.../01016-20080701ARTFIG00584-operation-seduction-des-usa-dans-les-banlieuesfrancaises.php] • « De la Courneuve à la Maison Blanche », Leparisien.fr, 20 février 2010. [http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/de-la-courneuve-a-la-maison-blanche-20-02-2010822869.php] • « Les rappeurs de la Courneuve à la Maison Blanche », Leparisien.fr, 3 mars 2010. [http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/les-rappeurs-de-la-courneuve-a-la-maison-blanche-0303-2010-834066.php] • « Samuel L. Jackson en Seine-Saint-Denis », Lefigaro.fr avec l’AFP, 13 avril 2010. [http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/04/13/97001-20100413FILWWW00676-samuel-l-jackson-enseine-saint-denis.php] • Idir Hocini, « Samuel L. Jackson ça pulse à Bondy », Bondy Blog, 14 avril 2010. [http://yahoo.bondyblog.fr/201004141102/samuel-l-jackson-ca-pulpe-a-bondy-2/] • Corine Lesnes, « Obama invite les banlieues françaises », Le Monde, 6 mai 2010. • Luc Bronner, « Washington à la conquête du « 9-3 » », Le Monde, 6 juin 2010. • • Emission Origines sur France 24, thème : « France - Etats-Unis : banlieues : opération séduction ? », débat entre le porte parole de l’ambassade des Etats-Unis à Paris Paul Patin et le journaliste Ahmed El-Keiy, 9 juin 2010. [http://www.france24.com/fr/20100609-opinions-france-banlieues-etats-unis-ambassade-en-francefinancement-jeunes] • Corentin Bainier, « Les élites des banlieues françaises choyées par... les Etats- Unis », Les Echos, 6 Aout 2010 • « Les Etats-Unis à la conquête des banlieues françaises », LePoint.fr avec l’AFP, 15 août 2010. [http://www.lepoint.fr/societe/les-etats-unis-a-la-conquete-des-banlieues-francaises-15-08-20101225368_23.php] • Scott Sayare, « Feeling Slighted by France, and Respected by U.S. », The New York Times, 22 septembre 2010. Relayé par la Fondapol le 27 septembre 2010. [http://www.nytimes.com/2010/09/23/world/europe/23france.html] • Christophe Ayad, « L’Amérique prend ses quartiers », liberation.fr, 26 octobre 2010. [http://www.liberation.fr/monde/01012298482-l-amerique-prend-ses-quartiers] • Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah, « L’ambassadeur des USA à Paris : « Le rêve américain vit encore » », Bondy Blog, 4 novembre 2010. [http://yahoo.bondyblog.fr/201011041230/l-ambassadeur-des-usa-a-paris-le-reve-americain-vitencore/] • Luc Bronner, « Banlieues et minorités sous l’œil attentif des Etats-Unis », Le Monde, 2 décembre 2010. • Marwan Chahine, « Diversité : des élus en voyage-étude », Liberation.fr, 12 juillet 2011.
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100 [http://yahoo.bondyblog.fr/201204020417/gilles-kepel-«-le-terrorisme-jihadiste-tue-egalement-desmusulmans-»/] • Arthur Frayer, « Terra Nova propose d'importer le « community organizing » à l'américaine dans les banlieues françaises », Le Monde, 13 avril 2012.
Sur les actions de diplomatie publique menées à Lyon par les Etats-Unis : Laurent Burlet, « Les Etats-Unis séduisent les élites de la “minorité musulmane” », LyonCapitale, 6 décembre 2012. [http://www.lyoncapitale.fr/Journal/France-monde/Actualite/Monde/Les-EtatsUnis-seduisent-les-elites-de-la-minorite-musulmane]
5. Articles de presse sur les actions de diplomatie publique menées à Marseille par les Etats-Unis Articles généraux : • Célia Amphoux, « Les Blacks américains posent un lapin aux Noirs marseillais », Marseille Bondy Blog, 20 décembre 2007. [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/les-blacks-americains-posent-un-lapin-aux-noirsmarseillais] • « Bonne résolution pour 2008, les Américains se convertissent au dialogue des cultures… », Anne-Aurélie Morell, Med’In Marseille, 3 janvier 2008. [http://www.med-in-marseille.info/spip.php?article47] • Paule Cournet, interview de Charles Rivkin, « L’Amérique continue à apprendre de la France », La Provence, 10 juin 2010. • Mass Communication Specialist Seaman David Cothran, USS Harry S. Truman (CVN 75) Public Affairs, « Truman sailors exceed expectations during community relations project », 12 juin 2010. [http://www.eucom.mil/article/19779/truman-sailors-exceed-expectations-during-communityrelations-project] • Paule Cournet, interview de Charles Rivkin pour La Provence, 6 avril 2011. Relayé par le site du Consulat des Etats-Unis à Marseille. [http://french.marseille.usconsulate.gov/prog20110406.html] • Meriem Laribi, « Karim Zéribi : « Les USA ont compris avant la France qu’on allait jouer un rôle important » », Presse & Cité, 9 septembre 2011 [http://www.presseetcite.info/journal-officiel-des-banlieues/agir/karim-zeribi-les-usa-ont-comprisavant-la-france-quon-allait]
101 Sur Karim Zéribi : - Luc Bronner, « Grande Gueule des banlieues », Le Monde, 12 janvier 2007. - Caroline Dupuy et Frédéric Maury, « Karim Zeribi », Jeune Afrique, 7 avril 2009.
• Julien Vinzent, Interview de Vincent Geisser : « Remettre en cause le mythe d’une Marseille fraternelle provoque souvent des réactions violentes », Marsactu.fr, 22 septembre 2011. [http://www.marsactu.fr/politique/remettre-en-cause-le-mythe-dune-marseille-fraternelle-provoquesouvent-des-reactions-violentes-26555.html] • Sophie Manelli, « La très étrange étude d'un milliardaire sur les musulmans de Marseille », La Provence, 26 septembre 2011 [http://www.laprovence.com/article/papier/la-tres-etrange-etude-dun-milliardaire] • Site du maire, « Marseille accueille l’ambassadeur des Etats-Unis », 8 mars 2013. [http://www.jeanclaudegaudin.net/v4_jcg/index.php?option=com_content&view=article&id=2101:ma rseille-accueille-lambassadeur-des-etats-unis-&catid=8:actualite-marseille&Itemid=47] • Philippe Gallini, « Les marins américains jouent les papas gâteau », La Provence, 8 août 2013.
Sur le web, les institutions proches du Consulat des Etats-Unis à Marseille - L’association de la Mosquée de Marseille : [http://lamosqueedemarseille.com/?page_id=18] - L’Ecole de la deuxième chance : [http://www.e2c-marseille.net/] - L’Union des familles musulmanes : [http://www.ufm13.org/ufm-au-quotidien.php?categorie=quisommes] - Le lycée ZEP Victor Hugo et sa section européenne anglais. « Les sections euro anglais à l’heure américaine ! », par Corinne Chapel, professeur d’anglais, le 28 novembre 2012 sur le site du lycée : [http://www2.lyc-hugo-marseille.ac-aix-marseille.fr/spip.php?article278]
Forte présence de Nassurdine Haidari dans les médias depuis son stage de community organizing : • Nassurdine Haidari, « Eh bien, le « musulman »…il t’emmerde ! », Le Monde, 2 avril 2011. • Nassurdine Haidari, « Culturellement raciste », LeMonde.fr, 31 août 2011. [http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2011/08/31/culturellement raciste_1565216_3232.html?xtmc=culturellement_raciste&xtcr=1] • Nassurdine Haidari, « Nous ne marcherons plus », RespectMag, 18 octobre 2011. [http://www.respectmag.com/2011/10/18/signez-lappel-nous-ne-marcherons-plus-5597] • Souhir Bousbih, interview de Nassurdine Haidari : « J’oscille entre espoir et fatalité », Marseille Bondy Blog, 22 février 2012 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/j-oscille-entre-espoir-et-fatalite] • Jan Cyril Salemi, « L’affaire Merah au prisme des politiciens marseillais », Marseille Bondy Blog, 26 mars 2012 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/l-affaire-merah-au-prisme-des-politiciens-marseillais]
102 • Christine Gorce et Jean-Philippe Hierso, « Nassurdine Haidari : Moi, un noir - 1e partie : L'enfant du Panier », Marseille Bondy Blog, 11 avril 2012 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/nassurdine-haidari-moi-un-noir-1e-partie-l-enfant-dupanier] • Christine Gorce et Jean-Philippe Hierso, « Nassurdine Haidari : Moi, un noir - 2e partie : Difficile égalité », Marseille Bondy Blog, 11 avril 2012 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/nassurdine-haidari-moi-un-noir-2e-partie-difficile-egalite] • Steven Erlanger, « A presidential race leaves French Muslims Feeling Like Outsiders », New York Times, 4 avril 2012. [http://www.nytimes.com/2012/04/05/world/europe/presidential-race-in-france-leaves-muslimsfeeling-left-behind.html?pagewanted=all] • Nassurdine Haidari, « Lettre ouverte aux Marseillais: Marseille, la volonté du changement », HuffingtonPost, 13 février 2013. [http://www.huffingtonpost.fr/nassurdine-haidari/crise-marseille-municipales_b_2669253.html] Articles portant sur la diplomatie publique à Marseille initiée par d’autres pays que les Etats-Unis : • Sur le Qatar : Ahmed Nadjar & Marie-Ameline Barbier, « Autour d’un Ftour, le Qatar et l’UFM 13 célèbrent « La richesse de la diversité » marseillaise », Med’In Marseille, le 31 août 2011. [http://www.med-in-marseille.info/spip.php?article1518] • Sur le Canada : Sarah Lehaye, « Lorsque le Canada transmet quelques clés du vivre-ensemble », Med’in Marseille, 25 juillet 2012. [http://www.med-in-marseille.info/spip.php?article1939]
6. Articles de presse sur la politique de la ville et la population cosmopolite de Marseille • Stéphanie Le Bars, « Une grande mosquée, pour quoi faire ? », Le Monde, 17 juillet 2007 • Mohamed Hamidi, « Fadela Amara très attendue à Marseille », Bondy Blog, 8 novembre 2007 [http://yahoo.bondyblog.fr/200711080002/fadela-amara-tres-attendue-a-marseille/] • Malika Redjem, « Fadela Amara à Marseille : « Comptez sur moi, on ne vous oubliera pas en conseil des ministres » », Bondy Blog, 9 novembre 2007 [http://yahoo.bondyblog.fr/200711091811/fadela-amara-comptez-sur-moi-on-ne-vous-oubliera-pasen-conseil-des-ministres/] • Malika Redjem, « Et les Comoriens à Marseille, ça compte pour du beurre ? », Bondy Blog, 24 novembre 2007 [http://yahoo.bondyblog.fr/200711240001/et-les-comoriens-a-marseille-ca-compte-pour-beurre/] • Malika Redjem, « Les défenseurs de la diversité sont à cran », Marseille Bondy Blog, 20 février 2008 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/les-defenseurs-de-la-diversite-sont-a-cran]
103 • Benoît Gilles, « Fadela Amara à Marseille, entre espoir et colère », Marseille Bondy Blog, 4 février 2009 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/fadela-amara-a-marseille-entre-espoir-et-colere] • « Match Egypte-Algérie : incidents à Marseille » par la rédaction du Figaro.fr (avec l’AFP), 15 novembre 2009. [http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/11/15/01016-20091115ARTFIG00020-match-egyptealgerie-incidents-a-marseille-.php] • Jean-Paul Duarte, « Quand les Comoriens seront méchants… », Marseille Bondy Blog, 6 février 2010 [http://yahoo.marseille.bondyblog.fr/news/quand-les-comoriens-seront-mechants] • Sophie Manelli, « Marseille : pauvreté, les femmes et les enfants d’abord », La Provence, 9 novembre 2012. [http://www.laprovence.com/article/actualites/2044313/marseille-pauvrete-les-femmes-et-les-enfantsdabord.html]
7. Sur la politique musulmane de la France et de la ville de Marseille • Vincent Geisser et Schérazade Kelfaoui, « Marseille 2001 : la communauté réinventée par les politiques. Enjeux municipaux autour de la communauté musulmane », Migrations Société 13 (77) p. 55–77, septembre–octobre 2001. • Vincent Geisser, « La mairie de Marseille a-t-elle une politique musulmane ? », Aujourd’hui Afrique, mai 2002. • Vincent Geisser et Aziz Zemouri, Marianne et Allah, Les politiques français face à la « question musulmane », Editions La Découverte, Paris, 2007. • Milena Doytcheva, Multiculturalisme, Editions La Découverte, Collection Repères, 2011. • Article de presse : Claire Chartier, « Manuel Valls réfléchit à un nouveau Conseil Français du Culte Musulman », L’Express, 4 septembre 2013 •
Sur
Marseille
Espérance,
voir
le
site
de
la
ville
de
Marseille :
[http://www.marseille.fr/sitevdm/jsp/site/Portal.jsp?page_id=902].
8. Sur les connexions Marseille-USA en matière de rap et de hip-hop • Akhénaton et Éric Macel, La face B , Points Le Seuil, Don Quichotte, 2010 • Alain-Philippe Durand, Black, Blanc, Beur. Rap Music and Hip-Hop Culture in the Francophone World, Scarecrow Press, 16 octobre 2002. • Sur le web, site de l’événement hip-hop MP2013 This is not music. [http://thisisnotmusic.org/?a=apropos] • Coralie Simon, interview des membres du groupe IAM, « IAM : "New York est la ville de nos débuts" », FranceAmerique.com, 26 août 2013. [http://www.franceamerique.com/articles/2013/06/26/iam_new_york_est_la_ville_de_nos_debuts.htm l]
104
INTRODUCTION .............................................................................................................................................. 2 La nouvelle diplomatie publique américaine.................................................................................................. 3 Les télégrammes révélés par WikiLeaks : une source majeure ....................................................................... 6 Pourquoi Marseille ? ....................................................................................................................................... 8 L’enquête de terrain ...................................................................................................................................... 10 Questionnements .......................................................................................................................................... 12 Liste des entretiens menés sur le terrain ....................................................................................................... 13 Liste des personnes interrogées par courriel ou par téléphone ..................................................................... 15 Personnages clés de la diplomatie publique américaine à Marseille ............................................................ 17 CHAPHITRE 1 : L’AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE ...................................................................................... 19 PARTIE I : LA DIPLOMATIE DES BANLIEUES, QUID DES QUARTIERS MARSEILLAIS ? .......... 20 I. 1) « Les Etats-Unis surveillent les banlieues françaises » : rengaine médiatique ................................. 20 I. 2) Marseille vue par les Etats-Unis, ce que disent les télégrammes ..................................................... 23 I. 3) Vision américaine de Marseille : entre mythe et réalité ................................................................... 26 PARTIE II : A MARSEILLE, LA DIPLOMATIE DES QUARTIERS ...................................................... 30 II. 1) Les programmes pour adultes .......................................................................................................... 30 II. 2) Les programmes destinés à la jeunesse ........................................................................................... 34 II. 3) Un important travail de réseau......................................................................................................... 37 CHAPITRE 2 : QUELS SONT LES MOTIVATIONS ET LES OBJECTIFS AMÉRICAINS ? .................. 42 PARTIE III : CIBLER LES ARABES ET LES MUSULMANS ................................................................ 43 III. 1) La diplomatie publique ou comment lutter contre le terrorisme .................................................... 43 III. 2) Mieux connaître les arabes et les musulmans marseillais .............................................................. 47 PARTIE IV : REPERER ET FAIRE ÉMERGER LES FUTURS LEADERS ............................................. 53 IV. 1) Repérer les leaders étrangers : une tradition américaine ................................................................ 53 IV. 2) La fabrique des leaders : l’exemple marseillais ............................................................................. 56 CHAPITRE 3 : QUEL IMPACT ? QUELLES RÉPERCUSSIONS ? ............................................................. 59 PARTIE V : QUEL IMPACT SUR LE SOFT POWER AMERICAIN ? .................................................... 60 V. 1) L’exploitation de la culture américaine à Marseille ........................................................................ 60 V. 2) Des étoiles plein les yeux ................................................................................................................ 64 V. 3) Un effet repoussoir .......................................................................................................................... 67 PARTIE VI : QUEL IMPACT POLITIQUE EN FRANCE ? ..................................................................... 70 VI. 1) La mise à l’agenda de la question des quartiers populaires ........................................................... 70 VI. 2) L’élaboration franco-américaine d’une politique musulmane ....................................................... 74 CONCLUSION ................................................................................................................................................ 78 ANNEXES........................................................................................................................................................ 80 ANNEXE 1 : Stratégie d’engagement auprès des communautés musulmanes françaises ........................... 80 ANNEXE 2 : Stratégie d’engagement auprès des minorités françaises ....................................................... 83
105 ANNEXE 3 : Répartition géographique des revenus à Marseille ................................................................ 86 ANNEXE 4 : Dossier de presse des Jeunes ambassadeurs 2012 ................................................................. 87 ANNEXE 5 : Emploi du temps des Jeunes ambassadeurs en 2012 ............................................................. 90 ANNEXE 6 : Stage de community organizing, emploi du temps ................................................................ 91 ANNEXE 7 : Projet sportif américano-marseillais ...................................................................................... 92 ANNEXE 8 : The Network of terrorism ...................................................................................................... 93 BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................................ 95 1. Sur la diplomatie publique américaine et le soft power ........................................................................ 95 2. Ouvrages, articles et études scientifiques sur Marseille, son histoire et sa population cosmopolite .... 96 3. Sur la politique de la ville, le community organizing et l’égalité des chances ..................................... 97 4. Articles de presse et documents audiovisuels sur les actions de diplomatie publique menées en banlieues parisiennes par les Etats-Unis ....................................................................................................... 97 5. Articles de presse sur les actions de diplomatie publique menées à Marseille par les Etats-Unis...... 100 6. Articles de presse sur la politique de la ville et la population cosmopolite de Marseille ................... 102 7. Sur la politique musulmane de la France et de la ville de Marseille ................................................... 103 8. Sur les connexions Marseille-USA en matière de rap et de hip-hop .................................................. 103