Sacré-Cœur et le Yéti de l'Arc de Triomphe

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Sacré-Cœur est un garçon bricoleur de onze ans qui adore le mystère. Il faut dire que son papa est ingénieur aux ponts et chaussées et sa maman médium. Ils l’ont envoyé passer quelques temps à Paris, chez sa tante, Mme Finelouche, pour qu’il connaisse un peu la capitale car c’est là qu’ils ont tous deux passé leur enfance.

Tante Finelouche est couturière et habite au 28, rue du Chemin-Vert. Elle est la grande sœur du père de SacréCœur. Elle est très bonne cuisinière et adore préparer ses plats préférés à Sacré-Cœur. Elle ne sait pas ce qu’il fabrique exactement dans la cave mais elle se rappelle que quand il était petit, le papa de Sacré-Cœur était lui aussi toujours en train de bricoler. Colette Saint-Sauveur n’est pas le genre de femme à se laisser marcher sur les pieds ou à attendre que quelqu’un vienne l’aider. Elle a des convictions et est prête à tout pour les défendre. Signe particulier, elle adore les animaux et porte des pantalons. Abigail est une petite fantôme qui a quitté l’Écosse parce qu’elle ne voulait pas faire peur aux enfants. Elle est devenue amie avec Sacré-Cœur et elle se sert de ses pouvoirs de fantôme pour l’aider à résoudre les mystères surnaturels de Paris. Mimi est une petite chauve-souris assez peureuse mais elle sait se montrer très courageuse pour aider ses amis, Sacré-Cœur et Abigail.



Prologue Bien loin de Paris et du 28, rue du Chemin-Vert, le cargo fendait les vagues. Sur le pont, l’homme regardait l’horizon, les yeux brillants. Il y était presque.


Après la honte et la fuite, il allait enfin prouver au monde qu’il était le plus grand chasseur de tous les temps. Jamais la capitale de France n’aurait assisté à un tel spectacle. Il s’imaginait déjà serrant la main au ministre de l’Intérieur en personne, M. Clemenceau, que l’on surnommait le Tigre. Le navire tangua et il dut s’agripper au bastingage.

Les mains de l’homme se crispèrent un peu plus sur le rebord du bateau. Non. C’était impossible : il ne pouvait pas échouer si près du but. Le navire s’agita encore une fois dans un cliquetis métallique et, de nouveau, le rugissement retentit, amplifié par la carcasse de la cale. L’homme ferma les yeux. Il ne voulait pas penser à l’échec, mais seulement au triomphe. À son triomphe.


1. Des chats partout Il régnait un sacré bazar dans l’entrée du 28, rue du Chemin-Vert. Des caisses, des malles, des meubles et des valises s’entassaient, et apparemment, ce n’était pas fini. Des hommes en bras de chemise continuaient d’en apporter en s’interpellant.


Lison, Abigail et Mimi, curieuses, n’avaient pu s’empêcher de venir rôder dans les parages. Alors comme ça, quelqu’un avait déjà repris le logement de M. Läckerli ! En repensant à lui, Lison sentit son cœur se serrer. Comment un homme qui paraissait si gentil avait pu…* — Miaou ! fit l’un des paniers, posé sur un fauteuil. — Miaou, miaou, répondit une cage en osier par terre. Un véritable concert de miaulements se déclencha. Lison, Abigail et Mimi s’approchèrent. Des chats ! Il y en avait au moins cinq ! Non, six ! Lison s’accroupit devant un panier et tendit la main vers le museau rose. Le chat se mit aussitôt à ronronner.

— On voulait d’abord tout sortir, madame Saint-Sauveur, répondit un des déménageurs. — Mademoiselle, le corrigea la femme qui venait d’entrer dans l’immeuble. Bon, très bien, vous installerez tout au mieux. Je ne peux pas rester ! * voir Le Squelette du jardin des plantes


Elle avait sorti une montre à gousset de sa redingote et tapotait du pied. Abigail, invisible, prit de la hauteur pour mieux l’observer. Elle n’avait jamais vu de femme dans son genre. D’abord, elle avait les cheveux courts, comme un homme ! Et comme un homme, elle portait un pantalon. Elle se pencha vers l’adorable petit chien noir et blanc qu’elle tenait en laisse : — Alors, mon Toby, elle te plaît, ta nouvelle maison ? Le chien agita la queue. La jeune femme se redressa en souriant. — Bonjour, dit-elle à Lison, très occupée à caresser un gros chat roux. Tu habites ici ? — Oui, madame, répondit poliment la petite fille. — Tu peux m’appeler Colette ; les amis des animaux sont toujours mes amis. Je fais partie de la LPTADM. Lison écarquilla les yeux. — C’est quoi ? — La Ligue de Protection de Tous les Animaux du Monde, répondit Colette Saint-Sauveur, avant de s’exclamer :

— J’ignore qui sont Sacré-Cœur et Abigail, mais ils ont de la chance d’avoir une amie aussi magnifique.


En entendant ces mots, Mimi, toute fière, exécuta quelques loopings.

Au même instant, la porte du rez-de-chaussée s’ouvrit en laissant justement apparaître Tante Finelouche, accompagnée de son ami, l’aviateur Jules Védrines.


Des bruits de pas et des voix résonnèrent dans l’escalier. Tous les habitants du 28, rue du Chemin-Vert avaient décidé de se rendre ensemble au grand spectacle prévu à l’Arc de Triomphe. Ils se retrouvèrent dans l’entrée encombrée. Colette Saint-Sauveur s’excusa pour le dérangement, puis se présenta. Tante Finelouche ne semblait pas pouvoir détacher ses yeux de la jeune femme, qui une nouvelle fois, sortit sa montre de sa poche.


Comme tous les habitants de l’immeuble, tante Finelouche savait qu’il ne fallait pas déranger son neveu quand il était en train de bricoler. — Alors, allons-y ! La petite troupe partit en direction des Champs-Élysées.


2. Le Monstre

Abigail était inquiète pour Sacré-Cœur. Elle le trouvait très préoccupé depuis quelques temps. D’ailleurs, c’était simple : ces derniers jours, il n’avait presque pas quitté son atelier. Elle décida d’aller lui parler.

Sacré-Cœur daigna enfin la regarder. — Parce que j’ai un très mauvais pressentiment ! Je suis sûr qu’il va se passer quelque chose de grave, et je dois être prêt pour l’empêcher.


Les Champs-Elysées étaient bondés. À croire que tous les Parisiens s’étaient donné rendez-vous ! Une grande estrade avait été installée juste devant l’Arc de Triomphe, et des guirlandes de fanions tendues entre les arbres. La fanfare qui jouait un air tonitruant s’arrêta quand un homme à la magnifique moustache blanche s’avança avec sa petite bedaine vers la tribune. Mlle Mulot donna un coup de coude à M. Droit :


Un homme sec en short, coiffé d’un chapeau de brousse, monta à son tour sur l’estrade. Le torse bombé, il parada un moment devant la foule qui l’applaudissait en lui adressant des signes. C’est à ce moment qu’Abigail arriva. Elle avait hésité, se demandant si elle ne devait pas rester près de son ami pour l’aider, puis finalement estimé qu’il serait plus prudent de garder un œil sur Eugène Billotin, le soi-disant chasseur sans peur. Car si Sacré-Cœur avait un mauvais pressentiment, ce n’était pas sans raison. En effet, les enfants avaient déjà eu affaire à lui.* Sur la scène, Billotin avait pris la parole. *voir Le Monstre de la Seine


Il marqua une pause dramatique, et les Parisiens retinrent leur souffle. — Me rendre à l’autre bout du monde n’était pas un problème pour un aventurier tel que moi. Je suis arrivé dans une contrée hostile et enneigée, et j’ai dû escalader plusieurs montagnes au péril de ma vie pour arriver jusqu’à l’antre de la Bête, que les gens de ce pays appellent le Yéti. Je suis resté à la surveiller pendant des jours et des nuits, dans le froid. Elle n’était pas seulement sauvage et féroce — elle était aussi rusée.

Une femme cria dans le public. Une autre s’évanouit. — Sans crainte du danger, je me suis jeté sur elle à mains nues et nous avons roulé dans la neige ! firent les hommes, impressionnés.


Abigail secoua la tête. Elle savait que Billotin mentait. Il n’était absolument pas courageux, elle en avait eu la preuve.* Elle soupira, et alors que Mimi la rejoignait, chercha Lison des yeux. Elle n’eut aucun mal à repérer son amie qui tenait Toby, le chien de Colette, en laisse. En revanche, la nouvelle locataire aux cheveux courts n’était nulle part en vue. C’était étrange… Où était-elle passée ?

Abigail et Mimi volaient au-dessus de la foule à la recherche de Colette. Elles passèrent derrière l’Arc de Triomphe où se trouvait une immense cage sur roues, recouverte d’un drap. Et juste à côté, le sac de Colette ouvert…

*voir Le Monstre de la Seine


3. La belle et la bête — Amenez le Yéti ! vociféra Eugène Billotin. Des rugissements effrayants s’élevèrent de la cage. Billotin descendit de l’estrade et d’un geste théâtral, tira sur le drap !


Tout se passa très vite. L’énorme créature poussa un nouveau rugissement et sortit de la cage ouverte. Manifestement, la serrure avait été sabotée. D’un bond, elle se retrouva sur l’estrade. Se redressant de toute sa taille, elle se frappa violemment la poitrine. Paniqués, les Parisiens se mirent à courir dans tous les sens. Eugène Billotin, l’extraordinaire chasseur sans peur, était blanc comme un linge et tremblait comme une feuille. Clemenceau se tourna vers lui. — Eh bien, Billotin ! Qu’attendez-vous ? Arrêtez ce monstre avant qu’il ne dévore nos concitoyens ! — Euh… je…. je…, bredouilla Billotin en reculant. Clemenceau secoua la tête et sortit un sifflet de sa poche. — TRIIIIIIIIIIIIIIITTTTTTT ! Aussitôt, trois policiers appartenant à ce que Clemenceau lui-même avait surnommé les « Brigades du Tigre » sautèrent à leur tour sur l’estrade, en position de combat, et encerclèrent le yéti. — NOOOOOON ! hurla une voix de femme. Abigail, pétrifiée, vit alors Colette Saint-Sauveur se précipiter sur la scène et se placer entre le yéti et les hommes.



Les hommes, surpris, reculèrent. Le yéti posa les yeux sur Colette, et avant que qui que ce soit n’ait eu le temps de réagir, il la saisit dans son énorme patte pour s’éloigner à grands bonds vers l’Arc de Triomphe.


Abigail se ressaisit. La rapidité avec laquelle la scène s’était déroulée lui avait ôté toute capacité de réflexion durant quelques secondes. Elle devait absolument prévenir Sacré-Cœur. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard ! À cet instant, un grand bruit fit tourner la tête de la petite fantôme et de Mimi la chauve-souris. Tout au bout des Champs-Élysées, était apparue une étrange machine munie de quatre longs tentacules métalliques. Au milieu, se détachait la tête d’un petit garçon coiffé d’une casquette. Sacré-Cœur !


4. Un monstre affamé Tandis que les spectateurs couraient dans tous les sens, Tante Finelouche se tourna vers Jules Védrines. — S’il te plaît, va sauver Colette ! Ce dernier lissa sa moustache et opina de la tête. Puis, il partit en courant. Mais Tante Finelouche ne s’inquiéta pas. Jules n’avait rien à voir avec ce trouillard d’Eugène Billotin. Elle rejoignit les locataires du 28, rue du Chemin-Vert, qui s’étaient réfugiés derrière un arbre. Mlle Mulot ne parvenait pas à détacher ses yeux des brigades du Tigre. — Comme ils sont beaux, roucoulait-elle. M. Droit avait sorti une petite paire de jumelles et observait le yéti à bonne distance. Les sœurs Pic-Pic se disputaient comme d’habitude et les frères Mayer prenaient des notes. M. Parrochio levait les bras en l’air en répétant :

M. et Mme Nicollet, quant à eux, essayaient de retenir Lison qui n’avait qu’une idée en tête : aller aider ses amis, Abigail et Sacré-Cœur.


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