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«LE SECTEUR ÉVÉNEMENTIEL DOIT MISER SUR LA ‘TALENT EXPERIENCE’»

Plus encore que d’autres secteurs, l’événementiel se trouve face à de sérieux défis en matière de capital humain en 2023. Les agences et les fournisseurs peinent à trouver du personnel qualifié pour consolider leurs équipes, et leurs meilleurs éléments sont sollicités de toutes parts. Comment se démarquer et profiler votre entreprise comme un employeur intéressant ? Et comment convaincre vos meilleurs atouts de rester à vos côtés ? Nous avons posé la question à Olivier Lefevre, spécialiste en employer branding chez Randstad Group.

‘The War for Talent is over. Talent has won’. Cette citation a été le fil conducteur de la conférence d’Olivier Lefevre lors de l’événement Echo23. Et une formidable entrée en matière pour notre entrevue. «Tout le monde cherche à recruter les meilleurs, c’est normal. Donc oui, on peut dire en un sens que les employeurs sont en guerre. Mais nous partons du principe que le vainqueur de cette guerre, c’est le talent. Aujourd’hui, c’est le talent qui mène la danse. Les candidats choisissent où ils souhaitent travailler. C’est très différent des années 80, 90 et du début des années 2000, où les entreprises pouvaient encore dire : c’est une chance pour vous de venir travailler chez nous. La situation s’est totalement inversée. Les employeurs s’estiment désormais heureux quand un talent choisit de travailler chez eux. Cela s’explique notamment par la pénurie sur le marché du travail. C’est une réalité démographique : le vivier de talents s’amenuise petit à petit. Pour 100 personnes qui quittent le marché du travail, il n’y a plus que 81 remplaçants. C’est un fait que les entreprises doivent intégrer.»

Attentes

En tant qu’employeur, il est donc essentiel de mettre le doigt sur ce qui importe aux travailleurs. «En fait, il faut commencer par analyser l’ADN de l’organisation mais aussi la personne en face. C’est aujourd’hui l’entreprise qui tend la main : ‘venez chez moi’. Ce qui veut dire que vous offrez quelque chose, tout en demandant quelque chose. Vous demandez certaines compétences, un certain comportement, certaines aptitudes, une certaine flexibilité... Et en retour, vous donnez un salaire, etc. Les talents sont dans la même démarche : ils offrent leurs compétences, leur professionnalisme... et en échange, ils ont aussi des exigences. Ils ont des attentes par rapport au travail et à l’employeur. Un contrat fixe, par exemple. La sécurité de l’emploi est capitale pour beaucoup en ces temps incertains. Des horaires réguliers ou adaptables à la vie privée pèsent également plus lourd dans la balance.»

FACTEURS HYGIÉNIQUES, INTELLECTUELS ET ÉMOTIONNELS

Chaque année, Randstad réalise une étude sur les facteurs importants pour les travailleurs. «Dans le top 5 des facteurs importants dans un job, on retrouve le salaire, la situation, l’ambiance de travail, la sécurité de l’emploi et l’équilibre vie professionnelle/vie privée. Bref : les facteurs hygiéniques doivent être corrects, c’est un minimum. Le ressenti des travailleurs à ce niveau doit être bon. En tant qu’employeur, vous ne devez pas forcément of- frir le plus haut salaire, mais il est important que l’employé le vive bien et y trouve son compte. Viennent ensuite les facteurs intellectuels : Suis-je suffisamment stimulé ? Puis-je évoluer ? Puis-je rendre quelque chose à la société ? Bref, mon emploi a-t-il du sens ? Le troisième aspect, ce sont les facteurs émotionnels : Puis-je être moimême ? Suis-je apprécié pour ce que je fais et qui je suis ? Si vous parvenez à concilier tous ces facteurs – hygiéniques, intellectuels et émotionnels – vous êtes dans le bon.»

FINI L’UNIFORMISATION

Il faut également intégrer le fait que chaque talent fait l’exercice à sa manière. «Chaque personne est différente, chaque organisation aussi. C’est d’ailleurs là que réside toute la difficulté. Avant, une organisation pouvait revendiquer : ‘Voici ce que je représente, à vous de vous adapter’. Les rôles sont désormais inversés et les entreprises doivent davantage s’adapter. Quelqu’un qui privilégie l’argent et sa carrière n’optera pas pour une PME modeste. Cela dépend des valeurs et des préférences personnelles. D’autres personnes préfèrent au contraire travailler dans une petite entreprise. Les facteurs à considérer se sont multipliés de manière exponentielle. Tout s’individualise de plus en plus. L’approche uniformisée ne fonc- tionne plus. Vous devez donc créer un cadre où chacun peut conserver son individualité au sein de l’organisation. Il va falloir réviser la façon dont nous gérons les talents et notre organisation.»

Forces Et Faiblesses Du Secteur

Les employeurs de l’événementiel ont évidemment leurs atouts spécifiques, mais aussi leurs faiblesses. «L’identification au secteur et au travail est très forte dans le monde de l’événementiel. C’est un job très spécifique avec beaucoup de sens, l’implication est énorme et il y a aussi facteur fun, dont les gens peuvent tirer beaucoup d’énergie. D’un autre côté, c’est aussi un job exigeant, qui demande une grande flexibilité et qui implique une certaine insécurité – notamment au vu de la situation financière actuelle. Il subsiste donc encore un fossé par rapport aux attentes. Mais on peut y remédier en abordant différemment les formes de contrat et la répartition du temps de travail. Vous pouvez offrir une sécurité de l’emploi basée sur une certaine flexibilité – où les gens décident quand travailler. Cela implique qu’il vous faudra plus de personnes pour compléter l’horaire de travail. Néanmoins, c’est une idée qui trouvera assurément une résonance dans ce secteur. Cela ne demandera que quelques efforts de la part de l’entreprise.»

Talent Experience

Sur le marché de l’emploi actuel, la fidélisation est manifestement une question clé. «La capacité à garder les gens au sein de sa structure est précieuse. Ce sont des personnes sur lesquelles on peut s’appuyer : elles connaissent l’organisation et peuvent faire la différence à l’extérieur. Pourtant, les intentions de rétention sont très faibles dans le secteur de l’événementiel étant donné l’écart entre les attentes et l’offre. Le secteur doit donc commencer à réfléchir à une meilleure façon de gérer les attentes des talents. En définitive, cela fait partie de la nature même de votre activité. Votre spécialité, c’est l’expérience et la satisfaction du client. Et pourtant, vous ne l’appliquez pas (assez) à vos propres collaborateurs. C’est là-dessus qu’il faut miser. L’industrie doit s’efforcer de créer le même niveau d’expérience pour ses salariés, et garantir de l’implication et un job qui a du sens.»

Image Du Secteur

La guerre des talents ne se joue pas seulement entre les entreprises, mais aussi entre les secteurs.

«Les gens choisissent d’abord un job et ensuite seulement un employeur. L’industrie événementielle ne figure pas dans le top 20 des débouchés professionnels les plus attractifs. C’est un point sur lequel le secteur doit travailler. En mettant en avant les avantages des emplois événementiels, par exemple. ‘Beaucoup d’heures et des horaires irréguliers’… Présenté comme ça, c’est assez négatif. Mais on peut aussi dire : comme nous fonctionnons 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, nous pouvons offrir un emploi adapté à votre réalité. C’est le même message, mais d’un point de vue positif. Il faut interpréter votre message en fonction des forces de votre entreprise et des attentes des talents potentiels. Il faut vraiment travailler sur l’image du secteur, qui a été écornée. L’événementiel renvoie l’image d’un secteur où l’on travaille dur, avec de longs horaires, où l’on exige une grande flexibilité et où on reçoit peu en retour en termes de rémunération ou d’avantages extralégaux. Le secteur doit prendre le contrepied de tout ça et faire valoir ses atouts en disant : voilà les attentes des gens, et nous pouvons y répondre dans 4 cas sur 5».

Voir Plus Loin

Olivier Lefevre souhaite également encourager les entreprises à voir au-delà de leur propre secteur. «Vous ne rivalisez pas seulement avec vos concur- rents directs. C’est une erreur courante de nos jours. L’une des plus grandes difficultés est de transposer un job en tâches et en rôles et de déterminer les compétences et aptitudes nécessaires. Ensuite, vous devez partir en quête de ces compétences et de ces aptitudes, là où elles se trouvent. Sinon, vous pêchez toujours dans le même étang, qui se rétrécit constamment. C’est ce que Bpost a fait avec le secteur événementiel pendant la crise du coronavirus. La demande crevait le plafond et ils se sont dits : les travailleurs de l’événementiel sont flexibles, ils ont un bon contact avec les gens, ils ont l’habitude de travailler dur… Si on leur propose un contrat fixe et des horaires réguliers, ils ne reviendront pas dans l’événementiel. C’est donc maintenant au secteur événementiel de faire de même. Pourquoi un technicien automobile n’aurait-il pas le potentiel pour devenir ingénieur du son, par exemple ? Ensuite, il faut faire la comparaison : quels sont mes avantages par rapport à cet autre secteur ? Ou encore : comment puis-je m’adapter pour sortir vainqueur de l’équation ?»

SAVOIR CE QUE L’ON REPRÉSENTE

Mais par quelles mesures une entreprise peut-elle commencer pour attirer davantage les talents ? «Premièrement, vous devez avoir une idée précise de ce que vous représentez. Qui suis-je, quels sont mes atouts, que puis-je offrir ? C’est important pour lancer le dialogue. Soyez authentique et honnête. Quelles sont mes aspirations, ma vision de l’avenir et comment ai-je envie d’y impliquer mes collaborateurs ? Tout cela, vous devez le com- muniquer de manière adaptée au monde extérieur. Parlez avec les gens. Ce sont eux qui donnent à votre organisation son caractère unique et son âme. Adoptez leur langage et n’en faites pas trop. Vous pouvez faire avec eux l’exercice de la main, où ils doivent répondre à cinq questions : Qu’est-ce qui me plaît dans l’organisation ? (Pouce) Comment fais-je la différence en tant que personne ? (Index) Qu’est-ce que j’aime moins ? (Majeur) Qu’est-ce qui me lie à long terme ? (Annulaire) Et où est le fun ? (Auriculaire). En fonction des réponses de vos collaborateurs, vous saurez très vite quels éléments vous pouvez mettre en avant.»

PETITS AJUSTEMENTS, GRAND IMPACT

L’employer branding n’est pas forcément un investissement coûteux. «C’est vous qui décidez. Les grandes campagnes sont une possibilité, pas une obligation. L’important est d’expliquer ce que vous faites et de respecter ce que vous dites. Si vous obtenez l’adhésion de tout le monde en interne, cela aura déjà un impact. Si vous tenez vos promesses en tant qu’employeur, vous trouverez plus rapidement du personnel et vous le garderez plus longtemps… Vos investissements rapporteront quoi qu’il en soit. Cela nécessite-t-il un investissement ? Oui. Important ? À vous de voir. Il y a déjà des choses que vous pouvez faire facilement via TikTok, Facebook, ou en récompensant vos collaborateurs. De petits ajustements peuvent avoir un grand impact. Si vous investissez régulièrement au sein de votre organisation, vous aurez moins d’efforts à faire à l’extérieur», conclut Olivier Lefevre.

«C’EST UNE RÉALITÉ DÉMOGRAPHIQUE : LE VIVIER DE TALENTS S’AMENUISE PETIT À PETIT. POUR 100 PERSONNES QUI QUITTENT LE MARCHÉ DU TRAVAIL, IL N’Y A PLUS QUE 81 REMPLAÇANTS.»

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