INTERVIEW
« Trop peu de molécules sont délistées » Pascal Brossard, président de l’Afipa
Après-demain, l’e-prescription
Hors AMM, hors la loi ?
Vous avez dit audioprothèse ?
ANALYSE P. 22
DÉCRYPTAGE P. 26 ENQUÊTE P. 32
No 1235 DÉCEMBRE 2011
HORAIRES À RALLONGE, TRÉSORERIES TENDUES … MALGRÉ LES DIFFICULTÉS, LES TITULAIRES DE PETITES PHARMACIES NE RENDENT PAS LES ARMES. TÉMOIGNAGES. 00-COUV [P].indd 1
24/11/11 12:23
DÉCRYPTAGE
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Le scandale du Mediator a révélé une pratique courante en ville comme à l’hôpital : la prescription hors AMM. 20 à 25 % des médicaments délivrés à l’officine seraient prescrits dans ces conditions, souvent plus par nécessité que par abus.
Par Pauline Michel Photos : Miguel Medina
Prescrit hors AMM en prévention des effets indésirables des AINS chez des patients non à risque (âgés de moins de 65 ans ou n’ayant pas d’antécédents d’ulcère).
L
Hors AMM, hors la loi ?
undi matin 9 h , une ordonnance de diclofénac atterrit sur le comptoir. Un comprimé trois fois par jour associé à une gélule d’oméprazole. La prescription semble correcte. M. Dupont, 55 ans, s’est blessé samedi après-midi en jardinant, ses lombaires ont souffert et le médecin lui a prescrit un antiinflammatoire. Rien de plus normal. Les médecins associent souvent anti-inflammatoire et inhibiteur de pompe à protons pour prévenir des inhibiteurs de pompe à protons prescrits en ville d’éventuels maux d’estomac. Et pourtant, presle sont hors AMM. crire de l’oméprazole dans ce cadre relève de la prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) est clair : l’oméprazole est indiqué dans le traitement préventif des lésions gastroduodénales induites par « Prescrire hors AMM les AINS chez les patients à risque, âgés de plus de 65 ans est un essai sauvage. » ou ayant des antécédents d’ulGérard Pons, pédiatre cères. Ce qui n’est pas le cas de M. Dupont. Selon une étude réalisée par Maryline Geffroy, médecin généraliste, 15 % des inhibiteurs de pompes à protons prescrits en ville le sont hors AMM. Comment expliquer un tel chiffre, alors que la Haute Autorité de santé ne cesse de diffuser des fiches de bon usage de médicaments
15 %
et d’alerter les médecins sur l’inadéquation de telles prescriptions ? Est-ce par méconnaissance des conditions exactes de prescription ? Possible, mais ce n’est pas la seule explication. « Les médecins le font avant tout pour le bien-être de leurs patients et puisque les IPP sont en vente libre à l’officine, c’est que l’Agence européenne du médicament en a conclu qu’ils étaient inoffensifs Les prescripteurs aussi », analyse François Raineri, médecin généraliste et membre de la Société française de médecine générale. D’autant que prescrire un inhibiteur de pompe à protons, même hors AMM, coûte toujours moins cher que de faire une fibroscopie pour savoir si le patient est à risque ou non. Stop aux pratiques à risque Dans le monde des prescriptions hors AMM, l’oméprazole ne fait pas figure d’exception. L’argument « en vente libre donc inoffensif » vaut aussi pour le paracétamol ou la cétirizine. Le possible remboursement de ces molécules pousse les médecins à les prescrire par avance, de leur propre initiative ou à la demande des patients. « Lorsque le patient sera malade, il pourra alors les utiliser en automédication sans avoir à les acheter », précise François Raineri. Ils n’auront qu’à ouvrir l’armoire à pharmacie. Ces pratiques relèvent certes du hors-AMM mais
26 I No 1235 I Décembre 2011
26-DECRYPTAGES [P].indd 26
24/11/11 14:35
décryptage
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Hors AMM, hors la loi ?
La prescription est réservée aux pédiatres et aux pneumologues. Les généralistes renouvellent le traitement alors qu’ils ne sont habilités à le faire qu’en cas d’urgence.
elles sont peu dangereuses à partir du moment où le malade respecte les posologies. Ce qui n’est pas le cas de toutes les prescriptions. Sortir des clous peut s’avérer beaucoup plus risqué quand cela concerne des antiépileptiques, des antidépresseurs ou des antidiabétiques. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) émet régulièrement des alertes auprès des professionnels de santé. Elle a récemment ordonné aux médecins d’arrêter de prescrire du topiramate, un antiépileptique et antimigraineux, pour ses effets anorexigènes. Et elle leur a par ailleurs rappelé que le baclofène, mis sur le marché comme myorelaxant, n’avait aucun effet avéré dans le traitement de l’alcoolo-dépendance (voir « Le baclofène, remède miracle ? », Le Pharmacien de France, no 1232). En général, les médecins se basent sur des études scientifiques pour prescrire ces molécules mais pour François Raineri l’influence des visiteurs médicaux est indéniable dans certains cas. Les molécules ne sont alors plus prescrites pour leur indication principale mais pour d’autres effets collatéraux. Détournées de leur usage officiel, elles peuvent s’avérer dangereuses... Parfois, le choix de la prescription hors AMM n’appartient ni au médecin ni au patient mais émane directement du ministère de la Santé
pour des raisons purement économiques. C’est ainsi qu’en 2007 un accord de bon usage des soins a été établi entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie. Cette dernière préconise notamment la substitution du Plavix (clopidogrel) par l’aspirine en prévention primaire de III
Délivrer hors AMM : jurisprudence Depuis 1967, une spécialité ne peut être mise sur le marché sans une autorisation de mise sur le marché (AMM), délivrée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé dans le cadre d’une AMM française. L’autorisation est accordée après études des essais thérapeutiques précisant l’intérêt et l’innocuité du principe actif. Mais délivrer hors AMM n’est pas interdit par le Code de la Sécurité sociale, ni le Code de la santé
publique. Si le pharmacien constate qu’un médicament est prescrit hors du cadre légal et sans la mention « hors AMM », il doit appeler le médecin et peut refuser de délivrer. « Un cas de jurisprudence existe déjà dans ce domaine », prévient Yves Lachaud, avocat au barreau de Paris. Il a été reproché à un pharmacien d’avoir délivré plusieurs antibiotiques prescrits sur des durées inappropriées et contrei n d i q u ées c h ez d es enfants en bas âge. Le
caractère hors AMM de la prescription, la durée excessive du traitement et le danger de l’association médicamenteuse auraient dû obliger le pharmacien à ne pas dispenser ces médicaments. Et à garder son indépendance vis-à-vis du médecin après lui avoir téléphoné. Il est certes difficile de juger d’une prescription en dehors des indications si la mention « hors AMM » n’apparaît pas. Mais le pharmacien doit aussi savoir les repérer.
Décembre 2011 I No 1235 I 27
26-DECRYPTAGES [P].indd 27
24/11/11 14:35
DÉCRYPTAGE
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Myorelaxant prescrit hors AMM dans le traitement de l’alcoolo-dépendance, alors que ses effets ne sont pas avérés.
Le topiramate est prescrit hors AMM pour ses effets anorexigènes supposés.
l’infarctus du myocarde et de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs liés à l’athérosclérose. Autrement dit, hors AMM, alors que Maryline Geffroy, auteur d’une thèse sur le sujet, souligne que les bénéfices dans la prévention primaire ne sont pas avérés. Que ce soit l’aspirine ou le Kardégic, les anti-agrégants plaquettaires sont uniquement indiqués en prévention secondaire, après infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral. Mais quand on sait qu’une boîte de Plavix 75 mg coûte 43,60 € contre 2,81 € pour le Kardégic, on comprend mieux la recommandation de l’Assurance maladie. III
© Miguel Medina
Prescrire hors AMM est légal Dans tous les pays européens, quels qu’ils soient, prescrire hors AMM est autorisé par la loi. Même la Hongrie, qui faisait figure d’exception, a engagé une procédure de légalisation. En France, la prescription de médicaments est régie par le Code de la santé publique et le Code de la Sécurité sociale. L’article 8 du Code de déontologie médicale précise que le médecin est libre de ses prescriptions s’il estime qu’elles sont les plus appropriées au patient. Qu’elles entrent ou non dans les indications validées par l’Afssaps. Des autorisations exceptionnelles pour effectuer des prescriptions hors AMM existent déjà. Ce sont les autorisations temporaires d’utilisation (ATU). Surtout utilisées en cancérologie ou infectiologie, elles sont délivrées par
l’Afssaps lorsqu’un médicament est sur le marché dans un autre pays ou que des essais cliniques sont en cours. Un médecin peut demander une ATU dite « nominative » pour un patient donné et pour une durée précise sans excéder un an. Dans les autres cas, le praticien doit apposer la mention « hors AMM » sur l’ordonnance et informer le patient des risques encourus et des conditions de remboursement. La Sécurité sociale ne prend pas en charge les produits prescrits hors AMM - à l’exception notable des ATU - et c’est pour cette raison que de nombreuses prescriptions d’oméprazole, cétirizine, topiramate ou encore baclofène ne portent pas la mention « hors AMM ». Elle est la grande perdante de ces prescriptions hors AMM déguisées.
Système D Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les médecins généralistes ne sont pas ceux qui prescrivent le plus hors AMM : ils sont amenés à renouveler ces prescriptions souvent rédigées par des médecins hospitaliers : pédiatres, cancérologues, psychiatres ou autres. Prenons l’exemple des pédiatres. « 20 à 25 % des médicaments pédiatriques de ville sont délivrés hors AMM, alors qu’à l’hôpital ils représentent 90 % des prescriptions », chiffre ainsi Gérard Pons, pédiatre à l’hôpital Cochin-Saint-Vincentde-Paul à Paris. Prescrire hors AMM est certes une pratique à risque. Mais lorsqu’un médecin se retrouve face à un nourrisson âgé d’un an
28 I No 1235 I Décembre 2011
26-DECRYPTAGES [P].indd 28
24/11/11 14:35
décryptage
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Hors AMM, hors la loi ?
orexigènes supposés.
Benzodiazépine prescrite hors AMM dans le traitement des douleurs chroniques.
atteint d’insuffisance cardiaque, il préfère encore prescrire des digitaliques en intraveineuse hors AMM plutôt que de le regarder mourir. Et ce même si adapter la posologie d’un produit adulte pour un enfant augemente le risque de surdosage et la gravité des troubles neurologiques secondaires. « Le manque de spécialités pédiatriques nous y oblige, confirme, inquiet, Gérard Pons. Nous devons diluer, reconditionner, adapter ces posologies. Tout ça par extrapolation des données cliniques de l’adulte, en sachant que les reins et le foie chez l’enfant n’ont pas les mêmes capacités d’absorption et d’élimination. » Ce manque de spécialités pédiatriques s’explique par une forte réticence des laboratoires pharmaceutiques à mettre sur le marché des produits pour enfants : organiser un essai clinique coûte cher, les parents refusent que leur fille ou leur fils serve de « cobaye » et le retour sur investissement n’est pas toujours garanti. Les pharmaciens hospitaliers ou officinaux sont donc parfois amenés à fabriquer et délivrer des préparations magistrales à des enfants en dehors des cadres légaux (voir encadré p.30). Pour inciter les industriels, une mesure appelée Plan d’investigation pédiatrique a pourtant été mise en place en 2007. Développer une spécialité pédiatrique, une nouvelle forme galénique ou une nouvelle voie d’administration permet au laboratoire d’obtenir une extension de brevet
pour une période de six mois pour toutes les indications du produit. Reste qu’en attendant, « administrer un médicament à l’aveugle est encore plus dangereux, s’insurge Gérard Pons. Prescrire hors AMM est un essai sauvage. Il n’y a pas de protocole, pas de suivi d’efficacité, pas de surveillance des « Puisque les IPP sont effets indésirables et on ne en vente libre, les demande ni l’avis aux parents, ni au Comité de protection des prescripteurs en ont personnes. » Un problème qui conclu qu’ils étaient ne concerne pas seulement la inoffensifs. » pédiatrie. Il est le même dans les services de cancérologie ou François Raineri, médecin généraliste de réanimation. « Les anticancéreux sont destinés à un nombre restreint de patients, trop faible pour constituer une cohorte, d’autant que leur état clinique handicape l’organisation de l’essai, explique François Chast, chef du service de pharmacologie-toxicologie de l’Hôtel-Dieu, à Paris. La question est toujours la même : vaut-il mieux s’abstenir de traiter ou soigner à risque ? » Le choix appartient aux praticiens... et le patient devrait en être clairement informé. Contrairement aux pédiatres, les cancérologues ou les psychiatres ne prescrivent pas par extrapolation mais se basent sur des publications scientifiques et des études cliniques menées à l’international. C’est en s’appuyant sur ce III Décembre 2011 I No 1235 I 29
26-DECRYPTAGES [P].indd 29
24/11/11 14:36
DÉCRYPTAGE
DEFRANCE
Prescrit hors AMM en prévention primaire de l’infarctus du myocarde et des artériopathies oblitérantes des membres inférieurs.
type de données que les neurologues prescrivent des antiépileptiques hors AMM comme le clonazépam dans la prise en charge des douleurs rebelles chroniques. « Des études à l’initiative de médecins hospitaliers mais qui sont devenues de plus en plus difficiles dans le
III
La transformation « sauvage » des médicaments En pédiatrie, en cancérologie ou en psychiatrie, les médicaments prescrits hors AMM ne sont pas tous fabriqués par les laboratoires pharmaceutiques. Les formes galéniques adaptées aux enfants qui n’existent pas sont confectionnées dans les préparatoires des hôpitaux, à la demande du prescripteur. « Les pharmaciens hospitaliers transforment sauvagement des spécialités adultes pour
que l’on puisse les administrer aux enfants », explique Gérard Pons, pédiatre à l’hôpital CochinS a i n t -V i n c e n t - d e Paul à Paris. Des gélules d ’a n t i hy p e r te n s e u r, d’antiépi leptique ou encore d’antibiotique sont ainsi recomposées dans des laboratoires de pharmacotechnie à partir de comprimés broyés. Certaines solutions injectables sont diluées pour une utilisation intravitréenne,
notamment dans le traitement des rétinopathies, tandis que d’autres sont transformées en collyres pour soigner une DMLA. À leur sortie, les patients continuent leur traitement. Comme le précise François Chast, pharmacien à l’Hôtel-Dieu à Paris, les officinaux peuvent être amenés à fabriquer ce type de médicaments, mais ils sont souvent rétrocédés par les pharmacies hospitalières.
cadre d’appels d’offres publics », précise Gérard Pons. Prescrire hors AMM semble en définitive inévitable pour certaines classes thérapeutiques. d’autant que la pratique n’est pas interdite par le Code de la Sécurité sociale, ni par le Code de la santé publique [ v o i r e n c a d ré p.28]. Le médecin « Vaut-il mieux est totalement s’abstenir de libre de ses prescriptions. Pour traiter ou soigner renforcer la sécu- à risque ? » rité sanitaire des François Chast, pharmacologue médicaments dangereux et éviter une nouvelle affaire Mediator, une loi a été adoptée au Sénat et à l’Assemblée nationale. Pour l’instant, plutôt que la restreindre, le texte conforte et encadre la pratique en précisant que « le prescripteur initial doit informer le patient que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son AMM, lui signaler l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée, les risques encourus, les contraintes et les bénéfices susceptibles d’être apportés par le produit ». Sans oublier la mention « hors AMM » pour indiquer au pharmacien et à l’Assurance maladie le statut de la prescription. On le voit, le hors-AMM n’est pas près de disparaître. ❙
30 I No 1235 I Décembre 2011
26-DECRYPTAGES [P].indd 30
24/11/11 14:36
*Résultat de l’enquête réalisée de mars 2010 à mars 2011 sur tous les nouveaux clients Périphar.
Anesthésiant prescrit hors AMM comme antalgique en soins palliatifs.
Le PHaRMaCIeN
Testez la différence ! L’INTERVIEW Un entretien sans concession
DÉCRYPTAGE Le dossier du mois, où santé rime avec société ÉCO&VOUS Le panorama économique du mois
L’ACTU EN BREF Six pages d’infos à chaud BANC D’ESSAI Toutes les clés pour bien référencer
eTous les mois plus d’informations, plus d’analyses, plus de réactions
eL’HEBDO du Pharmacien de France Chaque semaine, un condensé de l’actualité par mail. Pour vous abonner ou joindre la rédaction, une seule adresse : contact@lepharmacien.fr
52-APERCU [P].indd 53 PHAR8381_AUTOPROMO2011_23x29,7.indd 1
21/12/11 21/10/11 14:14 10:25