L’interview
« Sortons de cette ambiance de terreur » Dominique Maraninchi, ANSM
L’éternel sursis du DMP
Le mystère des oméga-3
décryptage p. 28 enquête p. 34
étiquettes high-tech INVESTISSEMENT p. 46
No 1245 décembre 2012
sur le net Profitant du vide juridique, des pharmaciens se lancent dans la vente d’OTC sur Internet.
L’Éditorial
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
À pied d’œuvre
Philippe Gaertner
© Miguel Medina
Président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France
No 1245 I 55e année I 04/12/12 ISSN 0031-6938 I CPPAP : 0217 T 81323 www.lepharmacien.fr LE PHARMACIEN DE FRANCE 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09 Tél. : 01 42 81 15 96 Télécopie : 01 42 81 96 61 DIRECTEUR de la publication : Éric Garnier DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Jocelyne Wittevrongel RÉDACTEUR EN CHEF : Laurent Simon (lsimon@lepharmacien.fr) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : Anne-Laure Mercier (almercier@lepharmacien.fr) RÉDACTRICE : Pauline Michel (pmichel@lepharmacien.fr) secrétaire de rédaction : Joséphine Volat (jvolat@lepharmacien.fr) Ont collaboré à ce numéro : Anaïs Bellan I Claire Grevot I Michel de Pracontal création et réalisation : Rampazzo & Associés www.rampazzo.com - blog.rampazzo.com correction : Francys Gramet IMPRESSION : Lescure Théol 27120 Douains ILLUSTRATIONS : Photos : Miguel Medina Dessins : Martin Vidberg DIRECTEUR commercial ET RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Christophe Bentz (cbentz@lepharmacien.fr). Tél. : 01 42 81 56 85 Fax. : 01 42 81 96 61 ABONNEMENTS : Tél. : 01 42 81 15 96 L’abonnement d’un an France-Corse : 90 € TTC I Guyane : 89,08 € TTC Guadeloupe, Martinique, Réunion : 89,08 € Étranger : 154 € I Achat au numéro : 12 € TTC I Certificat d’inscription à la Commission paritaire de la presse : no 0212 T 81323 ORGANE D’INFORMATIONS SCIENTIFIQUES ET PROFESSIONNELLES PHARMACEUTIQUES Le Pharmacien de France est édité par la SARL « Le Pharmacien de France ». Siège : 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09. Durée 99 ans à compter de 1977 Capital : 93 000 euros I Cogérants : Éric Garnier I Jocelyne Wittevrongel I Date du contrôle OJD : 28/11/2011.
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ai plusieurs choses lions d’euros de marge que nous allons converen tête en com- tir en autant d’honoraires selon les modalités mençant à écrire que vous connaissez – 75 centimes à 1 euro cet éditorial. Deux par ordonnance, plus des majorations spécidates, tout d’abord. fiques – sont un strict minimum : la pharmacie La première, c’est ne sera pas sauvée à coup de petits ajustements le 6 décembre prochain, qui marquera le début mais seulement au prix d’un grand bond en des négociations avec l’Assurance maladie pour avant. Il faut offrir à la profession ce que réclales honoraires pharmaceutiques. L’aboutisse- ment toutes les entreprises du monde : de la ment de plusieurs années de travail pour la FSPF visibilité stratégique. et une chance historique pour notre profession. Les négociations qui s’ouvrent permettront de La seconde est le 21 décembre suivant, quand créer les manières et la méthode pour les années je viendrai présenter les résultats de ces mêmes à venir : passée cette phase cruciale, il ne sera négociations devant l’Assemblée générale extra- plus question que de réguler un système que ordinaire de notre syndicat. nous aurons rendu le plus souple et le plus effiPendant cette quinzaine cruciale, la profession cient possible, à la fois dans le souci de l’équité misera – je l’écris simplement mais solennelle- pour les officines… et évidemment du service ment – son avenir professionnel et économique public rendu à la population. Rassurer les prespour les dix prochaines années. La tataires, les banpharmacie sort de huit lois de finanquiers, mais surtout cement de la Sécurité sociale, qui « La pharmacie sera rassurer les pharont chacune apporté leur lot de sauvée seulement maciens sont des ponctions sur le médicament… et priorités pour votre donc sur la marge officinale : 500 à au prix d’un grand syndicat et c’est la 600 millions d’euros de baisses de bond en avant. » mission que nous prix annuelles, près de 1 milliard devons accomplir pour 2012 et 2013. Il fallait agir et durant ce mois de c’est précisément ce que nous allons faire dans décembre. Les grèves à répétition des internes, le courant de ce mois de décembre. les négociations sur les dépassements d’honoNos propositions sont connues – 12,5 % d’ho- raires sur fond de désertification médicale le noraires dans la rémunération des pharmacies prouvent : un des enjeux majeurs en ce début dès l’année prochaine et 25 % dans trois ans – de siècle est l’accès équitable aux soins. Un et elles sont conformes à ce que la FSPF et tous service qu’assurent les pharmaciens depuis des les autres syndicats de titulaires ont signé en dizaines d’années et qu’ils continueront à assumars dernier. Nous n’avons pas bougé de nos rer pendant longtemps, à condition qu’on leur positions et maintiendrons le cap. Les 700 mil- en donne les moyens.
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Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Actualité
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décembre 2012 Sommaire Santé
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L’INTERVIEW ominique Maraninchi : D « Sortons de cette ambiance de terreur » L’actu en bref Le kiosque
18 enjeux Flou sur le Net 23 ENQUÊTE La collecte d’analyses résiste 24 dossiers de la fÉdÉ
décryptage
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Officine
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ENQUÊTE Le mystère des oméga-3
36 Panorama 40 conseil Glycémie sous surveillance 41 fiche conseil Les complications du diabète 44 International Quoi de neuf docteur ?
46 investissement Étiquettes high-tech 48 En bref 52 Produits 56 SUBSTITUONS ! Clopidogrel 58 BANC D’ESSAI La fièvre des thermomètres 60 Aperçu
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culture AUTO-MOTO
DMP, l’éternel sursis Le dossier médical personnel (DMP) était censé marquer l’entrée de la médecine dans l’ère du numérique. Mais, à l’inverse de certains de ses homologues internationaux, la version française est loin d’avoir tenu toutes ses promesses. Ce projet,
28 mal aimé depuis sa naissance, souffre de faiblesses intrinsèques. Parviendrat-il à les surmonter ? Rien n’est moins sûr. Il représente pourtant une évolution incontournable du système de santé. Le Pharmacien de France fait le point sur ce dossier sensible.
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Actualité En bref
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
ils l’ont dit
Marc-Olivier Bévierre, associé du cabinet de conseil Cepton, cité dans Challenges à propos de la mesure tiers-payant contre génériques.
David Schapiro, vice-président de l’Union française pour la médecine libre (UFML), sur NouvelObs.com.
INTERPRO ❙❙Le Centre national des professions libérales de santé dénonce la hausse « brutale » de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Dans un courrier adressé à Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, il pointe le « triplement, voire le quadruplement » des sommes à payer et juge la hausse « inacceptable ». Pour rappel, la CFE a remplacé la taxe professionnelle. ❙❙La Fédération nationale des infirmiers (FNI) réclame une reconnaissance de la profession dans les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Dans un courrier adressé au ministère de la Santé, la FNI incite les SSIAD à payer aux infirmiers la majoration de coordination infirmière, prévue dans la convention signée entre la profession et l’Assurance maladie. ❙❙Les kinésithérapeutes, par la voix de la Fédération française des masseurskinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), s’opposent à la création de réseaux de soins mutualistes. Cette disposition discutée dans le PLFSS serait une menace à « la liberté de soins des patients » et risque même « d’accentuer la désertification médicale ». ❙❙Les chirurgiens-dentistes ont réentamé des négociations avec l’Assurance maladie et les complémentaires pour leur convention. But de la négociation : adapter la classification commune des actes médicaux à la profession. ❙❙Le diplôme d’orthophoniste sera-t-il reconnu au niveau master 2 ? Le ministère de la Santé a promis une réponse à la profession avant la fin de l’année.
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« La ligne jaune a été franchie. Trop, c’est trop. Le ridicule ne tue pas… mais n’exonère pas d’un procès. »
© miguel medina
« La Mutualité française est le plus gros propriétaire viticole de France. »
DR
« En matière d’économies de santé, rien ne marche mieux que la coercition. »
Étienne Caniard, président de la Mutualité française, réagit aux propos de l’UFML.
spf-pl
Les géomètres ont leur décret Un décret vient d’autoriser la création de holdings pour les géomètres-experts.
P
lus rapides que les pharmaciens, les géomètresexperts viennent de décrocher leur décret pour la création de sociétés de participations financières de professions libérales, les fameuses SPF-PL. Publié au Journal officiel le 8 novembre, le texte implique, selon l’analyse d’In-
terfimo, organisme de financement des professionnels libéraux, la possibilité pour un géomètre-expert de détenir un nombre non limitatif de participations dans des SPF-PL, sachant qu’une SPF-PL ne peut détenir de participations que dans une seule société d’exercice libéral (SEL). Toujours selon Interfimo, « les autres professions libérales dites “techniques” (les architectes, en pratique) peuvent être associées dans des SPF-PL de géomètres-
experts ». Enfin, le non moins fameux « 5.1 », cet article de la loi Murcef de 1990 qui autorise la dissociation entre droits de vote et parts en capital et que la FSPF appelle à supprimer pour préserver l’indépendance de la profession, est ici… préservé. La disposition permet donc « à des géomètres n’exerçant pas dans une SEL d’en détenir la majorité du capital dès lors que les géomètres exerçant ont la majorité des droits de vote ». ❙
substitution
réseau
Souvenez-vous de cette polémique. Les médecins, mécontents d’avoir à inscrire la mention « non substituable » sur les ordonnances, réclamaient le droit de pouvoir la porter informatiquement sur celles qui sont typographiées (voir L’Hebdo du Pharmacien n° 81 du 28 septembre 2012). La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a répondu « d’accord » mais demande que le processus ne soit pas automatisable et que le médecin retape en intégralité « non substituable » sur chaque ligne. Cette mesure devra toutefois attendre la certification des logiciels d’aide à la prescription par la Haute Autorité de santé qui n’est prévue… qu’en 2015. ❙
De prime abord, Docapy se montre pratique. Ce « service informatique communautaire » vise « à faciliter les relations entre les différents intervenants du parcours de soins, par le biais du médecin traitant ». Professionnels comme patients s’enregistrent en ligne et partagent leur agenda. Mais pas seulement : les pharmaciens qui se seront référencés sur www.docapy.com, moyennant un abonnement de 20 euros HT par mois, pourront recevoir les ordonnances par messagerie sécurisée après que le médecin aura orienté le patient vers l’officine de son choix. De son choix mais parmi celles référencées… Pratique mais problématique. ❙
« NS » manuscrit pour longtemps
Un service en ligne frôle le compérage
En bref Actualité
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REPÈRES
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– 1,7 % 200 euros 44 %
inspections ont été menées par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France dans des pharmacies en 2011, selon le rapport d’activité de l’ARS. La région compte 4 576 titulaires d’officine. Cela fait donc un peu plus de 3 % de risques par an d’être contrôlé.
C’est la diminution du chiffre d’affaires des officines constatée par l’Observatoire des très petites entreprises entre le premier trimestre 2011 et le premier trimestre 2012.
C’est le prix qu’a imposé le Conseil d’État pour le Siklos, un médicament orphelin contre la drépanocytose en boîte de 30 comprimés à 1 000 mg. Le Comité économique des produits de santé avait tenté d’imposer un prix trois fois inférieur.
des pharmaciens pensent que la généralisation du dispositif tiers-payant contre génériques a rendu plus difficiles les relations avec leurs patients, selon un sondage Occurrence Healthcare.
L’IMAGE DUMOIS
La ministre met le chauffage C’est un article dont seul Paris Match a le secret. Propulsés dans l’intimité de la ministre de la Santé avec une double page d’ouverture où l’on voit Marisol Touraine au coin du feu avec de nombreux parapheurs, les lecteurs découvrent les coulisses : la choucroute partagée avec les collaborateurs, les photos de famille, les interviews enthousiastes des proches… On y apprend aussi que Marisol Touraine est la seule femme à être pressentie pour remplacer Jean-Marc Ayrault à Matignon. Il sera beaucoup question des médecins dans l’article, avec les syndicats desquels elle entretient « d’excellentes relations ». Seule inconnue : son opinion sur les pharmaciens…
laquestiondumois
« Allez-vous suivre une formation ACO ? » 2 % La réponse est oui, pour une large majorité d’entre vous. Pour plus des troisquarts des pharmaciens interrogés, une formation est prévue sous peu. 12 % ont même déjà suivi une session pour se préparer au lancement des entretiens pharmaceutiques. Parmi les rétifs ou les retardataires, on compte 9 % de pharmaciens qui estiment déjà connaître par-
faitement le suivi et la délivrance des anticoagulants oraux (ACO)… et 2 % qui savent déjà qu’ils ne mèneront pas d’entretiens dans leur officine. Au vu des résultats du sondage, il semble donc bien que la profession plébiscite cette disposition de la Convention pharmaceutique. Rendez-vous le 1er janvier pour les ACO et en juillet pour le suivi des asthmatiques.
Non, je ne mènerai pas d’entretiens pharmaceutiques dans mon officine
77 %
Oui, c’est prévu dans quelque temps
9 %
Non, j’estime connaître suffisamment le suivi des ACO
12 %
Oui, moi ou mon personnel avons déjà suivi une formation continue
Source : étude réalisée par le département Gestion de Call Center de Celtipharm, sur un échantillon représentatif stratifié de 400 officines françaises (étude administrée entre le 19/11/2012 et le 22/11/2012).
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Actualité Enjeux
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Portées par les textes européens, des pharmacies se lancent dans la vente de médi caments d’automédication sur Internet en dépit du flou juridique régnant en France. Comment se sortir de la confusion ? Par Laurent Simon
FLOU sur le net Presque dix ans de silence… et puis une déflagration soudaine. L’initiative de Philippe Lailler,
le pharmacien caennais qui a créé, selon les termes du quotidien Aujourd’hui en France, la première « cyberpharmacie » de l’Hexagone, a fait l’effet d’une bombe. Depuis 2003 et le fameux arrêt DocMorris, qui a autorisé dans l’Union européenne la vente de médicaments par correspondance, la France avait fait l’économie d’une vraie réflexion sur le sujet. Bientôt la prolifération Non autorisée par les textes de loi mais pas expressément interdite non plus (voir encadré p. 19), la démarche de Pharma-gdd.com s’est immédiatement attiré les foudres des syndicats : « c’est « L’Ordre a longtemps une opération commerciale : les pouvoirs publics doivent laissé croire que maintenant prendre position c’était impossible. » sur la manière dont les médicaments doivent être utilisés Gérard Chemla, avocat au barreau de Reims en France », s’indigne Philippe Gaertner, président de la FSPF. Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, avait tenté en 2009 d’amorcer la réflexion mais le groupe de travail formé, rassemblant agences sanitaires, industriels, pharmaciens et Ordre, s’était focalisé sur les sites vitrines de pharmacie sans parvenir à des conclusions sur le fond. Xavier Bertrand, son successeur, était également monté au créneau à l’Assemblée nationale, le 4 janvier 2011, en réponse à une question du député socialiste Pierre Moscovici : « Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé souhaite que la vente par correspondance soit réceptionnée, traitée et livrée par une pharmacie d’officine en “dur”. Toutefois, l’instauration 18 I No 1245 I Décembre 2012
d’un encadrement juridique de la vente de médicaments en ligne ne permettra pas de répondre entièrement au problème de santé publique posé par Internet et les contournements de la réglementation pharmaceutique en matière de vente de médicaments qu’il permet », avait-il répondu. Le précédent créé par la pharmacie de La Grâce de Dieu, qui s’est évidemment entourée de conseils juridiques avant de lancer son site, a déjà lancé une course à l’échalote parmi toutes les SSII présentes sur le secteur : « Nous avons été pris de court, mais nous allons évoluer sous un mois ; nos pharmacies adhérentes nous ont dit être intéressées par la démarche. L’Ordre nous a indiqué qu’à l’heure actuelle le flou persistait et que rien n’interdisait de le faire à condition que la déontologie soit respectée », témoigne Cédric O’Neill, créateur du site 1001pharmacies.com, une plateforme de vente qui rassemble à l’heure actuelle dix officines dans le Sud et le Sud-Ouest. « Nous sommes prêts : notre base de données OTC est en train d’être constituée et beaucoup de nos clients nous réclament ce service d’ici à la fin de l’année. Dans la région de Caen, un groupement de pharmacies de taille importante, 4 à 6 millions d’euros de chiffre d’affaires (CA), est par exemple intéressé », ajoute le fondateur d’un des plus gros prestataires du secteur. Discussions en rond Tous les regards sont donc actuellement tournés vers l’Ordre des pharmaciens : « L’Ordre a longtemps fait croire que c’était impossible et a laissé entendre que les pharmaciens seraient poursuivis s’ils se lançaient. De fait, des pharmaciens ont bien été poursuivis mais uniquement parce qu’ils avaient mal conçu leur site de vente en ligne en le dissociant de l’officine physique », note Gérard
Enjeux Actualité
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Chemla, avocat au barreau de Reims spécialisé en droit de la santé. De nombreuses analyses juridiques ne laissent en effet pas beaucoup de doutes sur la question et même l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans son rapport sur la pharmacie de juin 2011, le notait sèchement : « Si l’ouverture à la vente sur Internet des médicaments à prescription médicale facultative ne fait pas débat, rendue inéluctable par l’application du droit européen, en revanche la mission est partagée sur l’opportunité d’étendre la vente sur Internet aux médicaments à prescription médicale obligatoire. » Une directive européenne dite « médicaments falsifiés » acte en effet la vente de médicaments sur Internet sans autre forme de procès. Logo cache-sexe En outre, une disposition passée inaperçue de la loi médicament, votée en décembre 2011, impose l’adaptation de ce texte en droit français : « Le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures […] qui ont pour objet de transposer la directive 2011/62/UE. » Décembre 2012 : nous y sommes. Et procéder par ordonnance dis-
pense même de passer par le Parlement. En matière de protection du consommateur-patient, la directive propose d’apposer un logo propre aux sites légitimes, pour guider l’internaute vers les « bons » sites : « Ce n’est pas un logo apposé sur les sites qui empêchera quoi que ce soit : rien de plus facile à imiter. Comment faire la part des choses pour le patient ? C’est impossible », fulmine Philippe Gaertner. Si l’autorisation de pure players, comme la célèbre société hollandaise DocMorris, est improbable III
La brèche dans la législation Le Code de la santé publique définit le rôle de l’officine, lui confère la capacité de délivrer des médicaments sur prescription ou non… mais n’aborde pas la question de la vente à distance. Aujourd’hui, le vide juridique permet, selon beaucoup, la création de sites adossés à des officines « physiques ». L’épée de Damoclès n’est toujours pas tombée mais si l’arrêt DocMorris de 2003 rendu par la Cour de justice européenne, la plus haute instance juridique, écarte la vente sur Internet de médicaments sur prescription, il autorise explicitement la vente d’OTC : « Une interdiction nationale frappant les médicaments vendus par correspondance ayant une autorisation de mise sur le marché allemand et non soumis à prescription médicale est contraire au droit communautaire. » III Décembre 2012 I No 1245 I 19
Actualité Enjeux [Flou sur le Net]
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en France, l’initiative de Philippe Lailler delà une prescription médicale : quid dans ces à Caen instaure un modèle. « C’est au nom de cas-là d’une vente en ligne qui permettrait la sécurité de la dispensation que l’adossement d’acquérir le double ou le triple de la dose ? Le des sites Internet à une pharmacie de brique et côté économique est également à prendre en de mortier se justifie, car il est primordial que l’on compte : à partir de combien de boîtes les frais ait la garantie que derrière chaque site on trouve de livraison sont-ils amortis ? un pharmacien responsable », rappelle l’Igas. Le dernier argument est massue mais ne sera La création d’un portail commun géré par pas forcément le plus à même de décourager l’Ordre évoquée un temps est d’ores et déjà les patients : le risque de contrefaçon. Malgré caduque. Au-delà de la loi et l’attractivité de son marché du de ses interprétations, quels « Tous les États médicament, le quatrième au sont les arguments des phar- peuvent faire monde avec près de 40 milmaciens qui ne souhaitent pas liards d’euros de CA annuel, voir les médicaments OTC ven- jouer la l’Hexagone est épargné par le dus sur le Net ? Ils sont à la fois subsidiarité. » phénomène, qui gangrène pratiques et sécuritaires : principalement les pays en voie Philippe Gaertner, « Quand on est malade, la prio- président de la FSPF de développement et concerne rité est d’avoir un accès rapide des spécialités comme les aux médicaments, on n’a pas le temps d’attendre médicaments contre la dysfonction érectile. Un chez soi qu’un Chronopost nous livre le traite- chiffre est souvent avancé : « selon l’Organisation notabene ment », résume Philippe Gaertner. mondiale de la santé, plus de 50 % des médicaÀ fin novembre dernier, l’Ordre des ments proposés à la vente sur Internet seraient pharmaciens avait recueilli deux L’urgence, c’est maintenant des contrefaçons », détaille Philippe Lamoureux, dépôts de plainte contre la Deuxième argument : si consulter la notice au directeur général du Leem, représentant les pharmacie de La Grâce de Dieu, l’une provenant d’un pharmacien, l’autre moment de l’achat en ligne d’un antidiarrhéique industriels du médicament. d’un conseil régional de l’Ordre. est certainement une bonne chose, profiter des La solidité des quatre murs de l’officine versus conseils d’un professionnel de santé juste avant le grand nulle part d’Internet, le débat peut-il se la prise en serait certainement une meilleure. résumer à cela ? Interrogés sur le futur de l’OTC La question se pose aussi de l’achat par lot de sur Internet, l’Agence nationale de sécurité du ces spécialités : cinq maximum sur le site de la médicament (ANSM), l’Ordre et la direction pharmacie de Caen (voir encadré ci-dessous), générale de la santé pointent tous dans la même « plutôt trois » à terme sur 1001pharmacies.com. direction : vers l’avenue de Ségur, siège du Or les packagings sont conçus pour rester en ministère de la Santé. Et la ministre de deçà des doses d’exonération, qui justifient au- répondre... vaguement : « Nous devons voir comment encadrer ces pratiques en complément du droit européen [...]. Nos partenaires européens ne sont pas sur la même longueur d’onde [que la France] », rappelait Marisol Touraine lors des Pour environ 6,90 euros de frais de port, vous serez livré de votre OTC 26es Journées de l’Ordre, son premier grand en moins de trois jours à la maison. Cette offre chamboule tout. Le site discours devant la profession. Pratiquement tous Pharma-gdd.com lance l’officine dans une terra incognita, faite de référencenos voisins ont en effet fait le choix de libéraliser ment naturel, de mots clés, de moteurs de recherche… Si une pharmacie peut l’accès à l’OTC (Allemagne, Belgique…) ou acheter des mots clés pour améliorer son référencement, ne s’agit-il pas d’une même aux médicaments sur prescription (Anglepublicité détournée pour l’officine ? terre, Portugal…). « Tous les états ont la possiCliquer sur une notice en PDF sufbilité de faire jouer la subsidiarité au niveau fit-il au pharmacien pour assurer européen », insiste pourtant Philippe Gaertner. son rôle de conseil ? Quelles conséL’État est-il prêt à entretenir cette exception franquences juridiques de la mise en çaise... et à en payer le prix ? « Les condamnations avant de médicaments à prescripsont extrêmement lourdes financièrement », a tion obligatoire (collyres, pilules souligné Marisol Touraine. Astronomiques, contraceptives…), accompagnée même : la France a été condamnée à payer en d’informations sur leur prix ? Ce 2011 57 millions d’euros à l’Europe pour ne pas sont toutes ces questions auxavoir respecté des quotas de pêche... et l’Ordre quelles la profession va devoir des pharmaciens a dû verser 5 millions d’euros répondre dans les semaines à venir. en 2010 pour entrave à la concurrence. La liberté a un prix. ❙ III
Visite en terre inconnue
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Testez la différence ! L’INTERVIEW Un entretien sans concession
DÉCRYPTAGE Le dossier du mois, où santé rime avec société ÉCO&VOUS Le panorama économique du mois
L’ACTU EN BREF Six pages d’infos à chaud BANC D’ESSAI Toutes les clés pour bien référencer
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