L’interview
« Il ne peut plus y avoir de tabous » Hervé Gisserot
Patients sans pouvoirs
Souvent chambre varie
Maîtriser la température
décryptage p. 22
enquête p. 28
investissement p. 42
OPEN
DATA
Le grand débat Les données de santé suscitent toutes les convoitises
No 1248 mars 2013
L’Éditorial
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
D’intérêt général !
Philippe Gaertner
© Miguel Medina
Président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France
No 1248 I 55e année I08/03/13 ISSN 0031-6938 I CPPAP : 0217 T 81323 www.lepharmacien.fr LE PHARMACIEN DE FRANCE 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09 Tél. : 01 42 81 15 96 Télécopie : 01 42 81 96 61 DIRECTEUR de la publication : Éric Garnier DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Jocelyne Wittevrongel RÉDACTEUR EN CHEF : Laurent Simon (lsimon@lepharmacien.fr) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : Anne-Laure Mercier (almercier@lepharmacien.fr) secrétaire de rédaction : Joséphine Volat (jvolat@lepharmacien.fr) Ont collaboré à ce numéro : Anaïs Bellan I Claire Grevot I Héloïse Rambert I Corinne Taeron création et réalisation : Rampazzo & Associés www.rampazzo.com - blog.rampazzo.com correction : Francys Gramet IMPRESSION : Lescure Théol 27120 Douains ILLUSTRATIONS : Photos : Miguel Medina Dessins : Martin Vidberg DIRECTEUR commercial ET RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Christophe Bentz (cbentz@lepharmacien.fr). Tél. : 01 42 81 56 85 Fax. : 01 42 81 96 61 ABONNEMENTS : Tél. : 01 42 81 15 96 L’abonnement d’un an France-Corse : 90 € TTC I Guyane : 89,08 € TTC Guadeloupe, Martinique, Réunion : 89,08 € Étranger : 154 € I Achat au numéro : 12 € TTC I Certificat d’inscription à la Commission paritaire de la presse : no 0212 T 81323 ORGANE D’INFORMATIONS SCIENTIFIQUES ET PROFESSIONNELLES PHARMACEUTIQUES Le Pharmacien de France est édité par la SARL « Le Pharmacien de France ». Siège : 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09. Durée 99 ans à compter de 1977 Capital : 93 000 euros I Cogérants : Éric Garnier I Jocelyne Wittevrongel I Date du contrôle OJD : 28/11/2011.
J
e commencerai cet que des spécialités comme le Néo-Codion éditorial par deux puissent dorénavant se retrouver autorisées à la questions et deux vente sur Internet, avec les risques de détourneréponses : qu’est-ce ment et d’abus que l’on sait ? Il ne reste qu’une qui fonde une société ? option : se battre. Repositionner la France dans Un intérêt général plus l’Europe et reprendre la main. Car enfin, la subgrand que la somme des intérêts particuliers qui sidiarité ne peut rester un vain mot. Dans des la composent. Y a-t-il plus grand intérêt général pays immenses ou sous-peuplés, pourquoi en que la préservation de la santé publique ? En effet ne pas considérer que la vente par correstant que pharmacien, je ne le crois pas. Or pondance puisse être justifiée ? Mais en France, l’actualité marquée par l’autorisation soudaine où aucun patient n’est à plus d’un quart d’heure de vendre de l’OTC sur Internet me pousse à d’une pharmacie, le besoin est inexistant. Quoi poser une troisième question : qui trouverons- que puissent en penser certains. nous à nos côtés pour défendre cet intérêt géné- Il est un autre exemple de cet état d’esprit ral ? Les Français, pour commencer. Les ambiant et il vient des bancs de l’université – mais sondages le prouvent : acheter de l’OTC sur cet établissement peut-il vraiment porter ce Internet n’emballe personne. Il y a d’évidentes nom ? – Fernando-Pessoa. Après une première raisons pratiques : quel malade peut se permettre antenne à Toulon, voici qu’un second pôle est d’attendre plusieurs jours que en passe d’ouvrir à son colis arrive par La Poste ? Béziers, au mépris Il y a aussi des craintes plus des règles du nume« Les intérêts profondes, que nous partarus clausus. Que cer particuliers l’ont pour tains parents soient geons en tant que professionnels de santé : comment prêts à payer des mill’instant emporté. s’assurer de la provenance liers d’euros pour éviCela ne durera réelle des médicaments ? ter un possible échec qu’un temps. » Il ne s’agit pas de condamner au concours ne justide façon rétrograde l’utilisafie pas de prendre en tion d’Internet mais de mettre otage tout un système en garde les autorités. Le risque de voir des de formation où les sortants équilibrent les contrefaçons s’introduire dans le système de entrants et qui garantit à nos professions la santé français est grand. En restreignant la vente pérennité de leur effectif. Mais, encore une fois, d’OTC par correspondance aux seules spécialités les intérêts particuliers combattent l’intérêt en libre accès, la ministre de la Santé avait essayé général… Pour un temps seulement. L’Europe de diminuer la portée de cette mesure aveugle. a toujours reconnu la santé publique comme Mais le Conseil d’état, sur la demande d’un intérêt supérieur des peuples. Je suis sûr qu’elle pharmacien, en a décidé autrement. Les intérêts le fera à nouveau dans les mois à venir. À la fin, particuliers, vous disais-je… Comment justifier c’est toujours l’intérêt général qui prime.
Mars 2013 I No 1248 I 1
mars 2013 Sommaire
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Actualité
14
4
8 13
L’INTERVIEW ervé Gisserot : H « Il ne peut plus y avoir de tabous » L’actu en bref Le kiosque
14 enjeux Open data : le grand débat 18 dossiers de la fÉdÉ
Santé
Officine
28
50
28 ENQUÊTE Souvent chambre varie
42 investissement Maîtriser la température 44 En bref 46 Produits
33 Panorama 35 diabète Des normes plus cool 36 conseil Le « sans sucre » mène-t-il à la selle ? 37 fiche conseil La diarrhée de l’adulte 40 International Ça sent le printemps !
48 nouvelles technologies Comment googler intelligent 50
BANC D’ESSAI Halte aux vergetures !
52 53
Aperçu SUBSTITUONS ! Atorvastatine
décryptage
54 56
culture gastronomie
Patients sans pouvoirs La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades devait placer le patient au cœur du système de santé. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les patients parviennent-ils à faire entendre leur voix ? Rien n’est moins sûr. Exception faite des associations de lutte contre
22 le sida, les associations de patients peinent souvent à trouver un modèle économique et souffrent d’un déficit de représentation au sein des grandes institutions de santé, à commencer par la Cnam. Le salut passerait-il par une réforme du militantisme ?
ABONNEZ-VOUS maintenant au Pharmacien de France. Rendez-vous sur www.lepharmacien.fr Photo de l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, en couverture : © Luc Viatour. Mars 2013 I No 1248 I 3
Actualité En bref
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
ils l’ont dit
Jean-Marie Vailloud, blogueur et cardiologue, commente les récentes évolutions de l’Agence nationale de sécurité du médicament.
INTERPRO ❙❙La formation des masseurskinésithérapeutes va être reconnue au niveau master (bac +5) pour les étudiants qui suivront un cursus en pratiques avancées, et au niveau licence (bac +3) pour les autres, ont annoncé le 25 janvier la ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine et la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Geneviève Fioraso. ❙❙Sans surprise, la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF) a contesté, par la voix de son président Michel Chassang, le rapport de la Cour des comptes sur le parcours de soins. Il a notamment dénoncé des « amalgames tout à fait inacceptables » entre les déremboursements imposés aux patients à travers les franchises et la mise en place du parcours de soins coordonnés. ❙❙Le Syndicat des médecins libéraux (SML) ne « valide plus » l’avenant no 8 à la convention médicale encadrant les dépassements d’honoraires, négocié de haute lutte entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins, et a décidé d’entrer « en résistance totale » contre l’application du texte, a expliqué son président, le Dr Roger Rua. ❙❙Le Centre national des professions de santé a demandé au gouvernement d’accorder une place accrue aux soins de ville dans la stratégie nationale de santé détaillée par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Le CNPS plaide pour une « redistribution des financements sur les soins de ville », de façon notamment à limiter les recours aux hospitalisations.
8 I No 1248 I Mars 2013
« Bien réagir à une crise, c’est agir de façon rationnelle même si tout le monde n’est pas d’accord. » Dominique Maraninchi, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament, à propos du scandale des pilules de 3e et 4e générations.
« J’ai participé en tant que ministre de la Santé à l’écrasement des marges des pharmaciens, donc je plaide coupable. »
© ministÈre des solidaritÉs
© MIGUEL MEDINA
DR
« Avant, il y avait des gens formidables à l’agence, et ils en étaient fiers. Maintenant, ils ne sont plus que formidables. »
Roselyne Bachelot explique dans l’émission Le Grand 8 sur Direct 8 les raisons de l’économie défaillante de l’officine.
mutuelles
LMDE, malade chronique Les problèmes de gestion de la LMDE pénalisent patients et pharmaciens. À quand une solution ?
U
n patient greffé du rein à qui son pharmacien ne peut pas faire de tiers-payant parce que sa carte Vitale n’est pas à jour ? Ce cas, relevé par un pharmacien de la Gironde obligé de faire des avances sur trésorerie de près de 1 000 euros en attendant le
remboursement du patient, ne semble malheureusement pas isolé. En décembre 2012, un groupe de travail de la commission des affaires sociales du Sénat avait qualifié La Mutuelle des étudiants (LMDE) de « système ancien et d’une complexité abracadabrante », caractérisé par « de longs délais de remboursement et une très grande difficulté à joindre un correspondant ». La LMDE doit en plus faire face à des dettes importantes : 65 millions d’euros à
fin 2011. Une solution a été esquissée en février dernier par sa présidente, Vanessa Favarro : adosser la LMDE à la MGEN. Les deux entités ont déjà une offre santé commune à destination des jeunes. Autre solution, préconisée notamment par l’UFC-Que choisir : supprimer purement et simplement la LDME et réintégrer les étudiants au régime général. On peut en tout cas prédire un désordre généralisé dans les mois à venir. ❙
parapharmacie
information
L’histoire débute en 2006 quand le laboratoire Pierre Fabre est épinglé par l’ancêtre de l’Autorité de la concurrence : ses contrats de distribution sélective obligeaient les revendeurs à délivrer ses cosmétiques (Klorane, Ducray, Galénic et Avène) seulement en pharmacie. Après de nombreux recours, la cour d’appel de Paris a tranché le 31 janvier. Le laboratoire tarnais devra laisser vendre sa para en ligne mais y met des conditions : un « agrément Internet spécifique au point de vente physique » ou un « accès permanent […] à un conseil en ligne délivré par un diplômé en pharmacie ». Un moyen de restreindre la vente aux sites… adossés à des pharmacies. ❙
Un grand portail unifié d’information sur le médicament à destination des patients, pour rendre les données officielles plus digestes ? La volonté politique ne date pas d’hier mais sa mise en ligne est encore pour après-demain. En clôture d’un débat à l’Assemblée nationale sur la sécurité sanitaire du médicament, la ministre de la Santé Marisol Touraine a annoncé que le « site [n’était] pas encore prêt, nous ne sommes pas en mesure de le mettre en ligne. D’après l’avancement des travaux, nous devrions pouvoir le faire au second semestre 2013. » Le tout étant de ne pas se contenter de mettre en ligne les notices des médicaments in extenso. ❙
Pierre Fabre vendra sur le Net
Un site très très patient
En bref Actualité
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
REPÈRES
1/3
1 857
Une étude menée dans le groupe hospitalier PaulGuiraud, à Villejuif (Valde-Marne), montre que, dans un cas sur trois, que ce soit pour des indications psychiatriques ou somatiques, les médicaments sont prescrits hors AMM.
en moyenne par mois et par résident pour l’année 2011. C’est le prix d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, selon une étude publiée par le cabinet KPMG.
euros
1
million
d’euros
C’est le coût du traitement de Glybera (alipogène tiparvovec, uniQure), première thérapie génique à être homologuée en Europe, en novembre 2012. Un record qui pose la question de la limite du remboursement des médicaments.
10
minutes
C’est le temps qu’il faut à 99,5 % des Bretons pour accéder à une pharmacie ou à un médecin généraliste, selon une étude menée par l’Insee et l’Agence régionale de santé de Bretagne. Qui dit mieux ?
L’IMAGE DUMOIS
Les Infiltrés font la polémique Plusieurs mois de reportages en caméra cachée pour deux documents, dont un très attendu sur les génériques à l’officine. Après avoir infiltré le Congrès des pharmaciens à Bordeaux dans la peau d’une future titulaire, les journalistes comparent les offres très imaginatives des génériqueurs au cours de prises de contact commerciales (à voir sur France2.fr).
laquestiondumois
« DPC : qu’avez-vous prévu pour 2013 ? » 14 % Le principe est connu et acquis. Le développement professionnel continu (DPC) va se déployer durant le premier semestre 2013 et l’intégralité du panel interrogé semble en connaître le principe, à défaut de l’appliquer dans l’immédiat. Seuls 7 % d’entre vous déclarent ne pas vouloir suivre de formation en 2013, malgré l’obligation naissante. Un tiers d’entre vous
est déjà à pied d’œuvre, ayant même déjà fait son choix de formation, et une majorité a bien décidé de se plier à l’obligation du DPC mais ne sait pas encore à quel type de formation elle assistera. Petit rappel : pendant la phase transitoire, l’Ordre des pharmaciens vous donne jusqu’à la fin du premier semestre pour faire valider les formations faites en 2012.
Ne sait pas
7 %
Je ne suivrai pas de formation en 2013
35 %
J’ai déjà choisi une formation pour moi et/ou mes adjoints
0 %
Je ne connais pas le DPC
44 %
Je ne sais pas encore quelle formation suivre
Source : Étude réalisée par le département Gestion de Call Center de Celtpharm, sur un échantillon représentatif stratifié de 400 officines françaises sélectionnées dans sa base de données (étude administrée entre le 19/02/2013 et le 26/02/2013).
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Actualité Enjeux
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Le mouvement Initiative transparence santé, en réclamant un accès total aux bases de données de santé publique et en dénonçant le monopole de la Cnam, agit-il seulement Par Anne-Laure Mercier et Laurent Simon pour le bien des patients ?
Open Data : le grand débat Vous souvenez-vous des déclarations de Jean Parrot lors de la généralisation du dossier pharmaceutique (DP), fin 2008 ? Celui
qui occupait alors le siège de président de l’Ordre des pharmaciens assurait, dans les colonnes de La Revue du praticien : « Il n’y a aucun lien entre le DP et toute autre base de données. Le système est fermé chez un hébergeur et nous sommes les seuls à en avoir les clés d’accès. Aucune utilisation commerciale ou autre que celle prévue n’est possible, [à savoir] sécuriser la dispensation des médicaments au moment où elle est faite à l’officine. […] C’est un outil professionnel destiné aux seuls pharma« Il est facile pour un ciens qui dispensent les médicaments. » Quatre années laboratoire de trouver plus tard, le DP permet pourun “faux nez”. » tant de fournir des statistiques au ministère de la Santé sur les Pierre-Yves Geoffard, directeur d’études à l’EHESS délivrances de pilules contraceptives (voir L’Hebdo no 95 du 18 janvier 2013). Bien loin de la garantie selon laquelle « aucune autre utilisation » que la sécurisation de la dispensation n’en sera faite… Porte entrouverte Cette nouvelle exploitation est permise depuis 2012, grâce à l’article 23 de la loi Bertrand qui autorise, « pour des raisons de santé publique, le ministre de la Santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament et l’Institut national de veille sanitaire » à « accéder aux données anonymes relatives aux médicaments hébergées dans le DP ». De fait, l’Ordre peut désormais accéder et traiter les données relatives, par exemple, à la quantité, à la fréquence ou à la localisation des médicaments dispensés. « La loi réserve les données du DP à trois acteurs et seulement pour des 14 I No 1248 I Mars 2013
raisons précises. Il n’y a pas d’accès direct aux données et il n’y aura évidemment jamais d’utilisation commerciale. L’objectif est le suivi sanitaire, la santé publique, a déclaré Isabelle Adenot, l’actuelle présidente de l’Ordre, lors d’un déjeuner organisé avec la presse. Nous avons mis en place une procédure interne draconienne. Il n’y a que deux personnes en plus de moi-même qui travaillons sur ces données et elles sont tenues à la confidentialité par leurs contrats de travail. » À l’heure où nombreux sont ceux qui réclament à grands renforts médiatiques l’ouverture des données de santé, cette promesse suffira-t-elle ? Exploitations en tous genres Le mouvement s’appelle Initiative transparence santé. Sorti du bois en début d’année, il demande « la possibilité pour la société civile d’accéder en toute transparence aux données publiques de santé ». La « société civile » se compose ici, en vrac, de représentants des patients (Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), UFC-Que choisir, 60 Millions de consommateurs, site d’informations Fourmi Santé, France Parkinson), de grands noms de la médecine, de la recherche ou de l’économie (Didier Sicard, Antoine Flahaut, Gérard de Pouvourville, Jean de Kervasdoué…), de journalistes (Libération, Capital, Hospimedia. fr...), mais aussi de la société de marketing Celtipharm, de l’opticien en ligne Sensee.com, du micro-assureur PlaNet Guarantee et même des complémentaires par l’intermédiaire de Santéclair ou encore la Fédération nationale de la Mutualité française. « Cette diversité d’acteurs est voulue et revendiquée, explique Mathieu Escot, chargé de mission Santé pour l’UFC-Que choisir. Certes, nous n’aurons pas tous le même usage des données : nous suivons une logique
Enjeux Actualité
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
d’information, de consommation et de lobbying dans un intérêt collectif alors que les sociétés privées s’en serviront pour développer de nouveaux services. Nous associer à des acteurs privés ne nous pose pas de problèmes. Cela ne veut pas dire que nous sommes d’accord sur tout. » Rétention d’information Tous se sont en tout cas unis pour dénoncer en chœur la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Elle détient « une manne d’informations relatives à l’utilisation et au fonctionnement de l’offre de soins en France. Tarifs des professionnels, des produits de santé, des hôpitaux, informations relatives à la qualité et à la consommation des soins, rapports d’activité des caisses primaires d’assurance maladie, efficacité des médicaments, qualité de la prescription…, ces données […] sont aujourd’hui quasi inaccessibles », dénonce le manifeste d’Initiative transparence santé. « Quasi » parce que si la France est bien dotée d’une multitude de bases de données, avec à sa tête le Système national d’informations inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram), l’utiliser « de façon respectueuse des textes et efficace en termes de résultats constitue un véritable maquis juridicoinstitutionnel », pour reprendre les termes du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Les services statistiques publics dont l’Institut natio-
nal de la statistique et des études économiques (Insee), les agences de santé (Haute Autorité de santé, Agence du médicament, agences régionales de santé), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Institut national du cancer (Inca), les observatoires régionaux, les professionnels de santé, le Ciss, certaines collectivités territoriales mais aussi les complémentaires peuvent tout de même accéder à tout ou partie de ces données. Seuls les organismes à but privé lucratif en sont exclus… officiellement : « Il est facile pour un labo- III
De là à instrumentaliser le Mediator… « Si l’affaire du Mediator a […] ému l’opinion, ce scandale aurait pu ne pas avoir lieu. » Jean de Kervasdoué, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, et Didier Sicard, président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique, ont ainsi tiré les premiers sur la restriction de l’accès aux données de santé publique dans une tribune parue dans Le Monde le 15 janvier. « C’est complètement con !, s’insurge l’épidémiologiste Catherine Hill, qui avait la première annoncé le chiffre de 500 morts dans l’affaire du Mediator. Il aurait pour cela fallu se poser la question. Or personne ne se la posait. » Elle ajoute : « Dire que l’Assurance maladie fait de la rétention d’information est une contrevérité totale. Nous avons accès à une quantité de données colossales. »
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Actualité Enjeux [OPEN DATA,
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
ratoire pharmaceutique par exemple de Imaginez 450 téraoctets de données et 20 miltrouver un “faux nez” universitaire pour déposer liards de lignes de prestations, soit la capacité le grand débat] une demande d’accès », regrette le directeur de stockage du Sniiram, dans lesquelles trouver d’études à l’École des hautes études en sciences la réponse à ses questions… Voilà pourquoi la sociales Pierre-Yves Geoffard, dans une tribune Cnam compte 120 chercheurs et près de 200 perparue dans Libération en février. Si, dans la pra- sonnels formés à l’utilisation de ses données. tique, tout un chacun peut d’ores et déjà allègre- Voilà aussi pourquoi la Cnam détient un trésor ment se servir dans les bases de données de que tout le monde ne peut que convoiter et qu’il santé publique, quel est donc le problème ? est forcément difficile de céder. Accusée de Toujours selon Pierre-Yves Geoffard, « la question rétention d’information, elle « est avant tout un principale est celle des moyens humains néces- assureur, rappelle Pierre-Yves Geoffard, que la saires à cette mise à disposition des données ». En dissémination de ses données priverait d’un avaneffet, ceux qui s’y sont déjà frottés témoignent tage informationnel dans ses négociations avec de la lourdeur de la tâche. L’étude de l’UFC-Que les professionnels de santé, les laboratoires pharchoisir parue en octobre dernier sur la répartition maceutiques ou les complémentaires ». des médecins et les dépassements d’honoraires Si l’ouverture des données de santé permettrait leur a coûté près de 20 000 euros et beaucoup idéalement de confronter les idées à la réalité de temps : si les données des chiffres, d’alimenter les sont disponibles sur Ameli- « La Cnam détient débats de fines statistiques, direct.fr, les agréger et les une manne d’éclairer sur les prestations analyser requiert « des comet consommations de soins pétences que nous n’avons d’informations quasi et d’offrir une information pas en interne, raconte inaccessibles. » transparente, comment ne Mathieu Escot. Investir une pas penser à ses potentielles telle somme peut constituer Initiative transparence santé dérives ? Un assureur pourune barrière pour beaucoup rait certes développer de d’autres acteurs : chercheurs, étudiants, petites nouveaux services mais aussi réguler lui-même associations…, alors qu’Ameli-direct.fr est finan- son offre. Un laboratoire pourrait concentrer les cé par l’argent public. » Le HCSP confirme que efforts de sa visite médicale sur un département la mise à disposition des données « dans des insuffisamment prescripteur de son dernier-né. conditions en permettant l’exploitation nécessite des ressources scientifiques, techniques et orga- Questions de moyens nisationnelles complexes et de haut niveau de Si demain la Cnam ne tenait plus le rôle du compétence qui dépassent largement les moyens gendarme, qui se chargerait de s’assurer que actuellement disponibles au sein des équipes les données ne sont utilisées que dans l’« intéfrançaises, quel que soit leur organisme d’appar- rêt collectif » ? Le Ciss verrait bien élargir les tenance ». moyens et l’accès à l’Institut des données de santé (IDS), le groupement d’intérêt public théoriquement chargé de mettre à disposition ces données « à des fins d’études et de recherche ». L’ancien président du Ciss Christian Le site Internet comparait les honoraires des Saout indique n’y avoir aujourd’hui qu’un « accès médecins à partir des données d’Ameli-direct.fr virtuel », faute de moyens : « Soit on nous accorde jusqu’à ce que la Caisse nationale de l’assurance une hausse des subventions pour pouvoir embaumaladie (Cnam) lui interdise d’y accéder. Selon cher un équivalent temps plein, soit ces moyens Fourmi Santé, la Cnam fait valoir que les données sont donnés à l’IDS. » L’UFC-Que choisir évoque d’Ameli-direct.fr ne peuvent « être réutilisées sans l’accord de chacun des proplutôt la Haute Autorité de santé ou une instance fessionnels de santé ». Le site comparateur rétorque que « les dépassements similaire sans oublier Etalab. La structure qui d’honoraires médicaux sont plus que jamais un frein à l’accès aux soins ». Il demande pilote la plateforme nationale consacrée aux donc « au gouvernement de se prononcer ». Mais avant lui, Le Guide Santé et Les données publiques, Data.gouv.fr, a déjà renBons Choix Santé avaient déjà fait les frais du refus de la Cnam. Par deux fois, contré les acteurs du mouvement Initiative la Commission d’accès aux documents administratifs avait même donné raison transparence santé. Et pour cause : l’open data à la Cnam. Qu’importe : aujourd’hui, Fourmi Santé fait partie des fondateurs du fait en effet partie des engagements signés au mouvement en faveur de l’open data, réussissant au passage à faire de son inidébut de leur mandat par les ministres de Frantiative privée un élan collectif. çois Hollande, y compris Marisol Touraine. Souriez, vous êtes fiché. x III
© INITIATIVE TRANSPARENCE SANTÉ
À l’origine, Fourmi Santé
16 I No 1248 I Mars 2013
Testez la différence ! L’INTERVIEW Un entretien sans concession
DÉCRYPTAGE Le dossier du mois, où santé rime avec société ÉCO&VOUS Le panorama économique du mois
L’ACTU EN BREF Six pages d’infos à chaud BANC D’ESSAI Toutes les clés pour bien référencer
Tous les mois plus d’informations, plus d’analyses, plus de réactions
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