L’INTERVIEW
« Sortons du tout médicament » Catherine Lemorton
Le cancer au Kärcher
Trop de pilules Les lecteurs tue la pilule de glycémie
DÉCRYPTAGE P. 28
ENQUÊTE P. 34
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BANC D’ESSAI P. 58
LA FOURNITURE DE MÉDICAMENTS AUX MAISONS DE RETRAITE DIVISE LES PHARMACIENS : ENTRE « GROS FAISEURS » ET PHARMACIES DE PROXIMITÉ, LA SITUATION SUR LE TERRAIN EST DE PLUS EN PLUS TENDUE.
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L’Éditorial
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Maintenant ou jamais
Philippe Besset
© Miguel Medina
Président de la commission Économie à la FSPF, titulaire à Limoux (Aude)
No 1242 I 55e année I 20/07/12 ISSN 0031-6938 I CPPAP : 0217 T 81323 www.lepharmacien.fr LE PHARMACIEN DE FRANCE 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09 Tél. : 01 42 81 15 96 Télécopie : 01 42 81 96 61 DIRECTEUR de la publication : Éric Garnier DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Jocelyne Wittevrongel RÉDACTEUR EN CHEF : Laurent Simon (lsimon@lepharmacien.fr) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : Anne-Laure Mercier (almercier@lepharmacien.fr) RÉDACTRICE : Pauline Michel (pmichel@lepharmacien.fr) secrétaire de rédaction : Joséphine Volat (jvolat@lepharmacien.fr) Ont collaboré à ce numéro : Anaïs Bellan I Claire Grevot I Marie Léon créatioN et réalisation : Rampazzo & Associés www.rampazzo.com - blog.rampazzo.com correction : Francys Gramet IMPRESSION : Lescure Théol - 27120 Douains ILLUSTRATIONS : Photos : Miguel Medina, Raphaël Dautigny, Sebastian Scheffel Dessins : Martin Vidberg DIRECTEUR commercial ET RESPONSABLE DE LA PUBLICITÉ : Christophe Bentz (cbentz@lepharmacien.fr). Tél. : 01 42 81 56 85 Fax. : 01 42 81 96 61
O
n n’aura jamais preuve, une mission de l’Inspection des affaires autant parlé sociales est chargée de formuler des proposide médica- tions au gouvernement d’ici la rentrée. Appel ments géné- d’offres, TFR généralisé… Tout est possible, les riques qu’en inspecteurs de l’Igas ont déjà prouvé qu’ils ne 2012. Pas en manquaient pas d’imagination. Ensuite, la situabien, convenons-en. Le rapport de l’Académie tion économique de la Sécurité sociale : avec de médecine, en dépit de sa légèreté méthodo- près de 15 milliards d’euros de déficit en 2011, logique, aura fait des dégâts considérables dans nos gouvernants n’hésiteront plus à froisser l’opinion. Et le mea culpa tardif des sages n’y quelques sensibilités pour faire des économies. fera rien : la méfiance est née chez les patients, Pas besoin d’être médium : 2013 sera doulounourrie d’excipients à effets notoires souvent reuse pour tous. Pourtant, à l’heure où j’écris imaginaires, de galéniques suspectes et d’effi- ces lignes – et pour quelques semaines encore –, cacité supposément amoindrie… Je l’ai ressen- les pharmaciens ont encore leur destin entre tie au comptoir, tout les mains, grâce à la mesure « tiers-payant comme vous. On pourrait se dire que les pharmaciens Nous réussirons contre générique ». devraient la jouer « profil à atteindre 85 % L’objectif sur lequel nous bas », laisser passer le grain nous sommes engagés est médiatique en attendant le de substitution ambitieux : 85 % de taux retour de la confiance des générique, j’en de substitution, c’est 13 % patients… et constater de plus qu’actuellement, et l’érosion continuelle des suis persuadé. le temps nous est compté taux de substitution au puisque nous n’avons que niveau national. Cela, la jusqu’à la rentrée législaprofession ne peut se le permettre. Si vous en tive pour faire nos preuves. Mais si nous réuscomprenez les raisons, vous en serez convain- sissons – ce dont je suis persuadé –, en plus de cus comme moi. maintenir votre marge, vous aurez définitivePremière d’entre elles, la prochaine loi de finan- ment prouvé votre implication aux yeux des cement de la Sécurité sociale va faire mal. Les gouvernants et de l’Assurance maladie. Génépolitiques ne s’en cachent pas : une grande riques, nouvelles missions, premier recours, les remise à plat de la rémunération des pharma- pharmaciens ne se contenteront plus de se ciens sur le générique est à l’ordre du jour. Pour croire indispensables. Ils le seront.
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ABONNEMENTS : Tél. : 01 42 81 15 96 L’abonnement d’un an France-Corse : 90 € TTC I Guyane : 89,08 € TTC Guadeloupe, Martinique, Réunion : 89,08 € Étranger : 154 € I Achat au numéro : 12 € TTC I Certificat d’inscription à la Commission paritaire de la presse : no 0212 T 81323 ORGANE D’INFORMATIONS SCIENTIFIQUES ET PROFESSIONNELLES PHARMACEUTIQUES Le Pharmacien de France est édité par la SARL « Le Pharmacien de France ». Siège : 13, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09. Durée 99 ans à compter de 1977 Capital : 93 000 euros I Cogérants : Éric Garnier I Jocelyne Wittevrongel I Date du contrôle OJD : 28/11/2011.
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Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
Actualité
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juillet-août 2012 Sommaire Santé
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L’INTERVIEW
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Catherine Lemorton : « Sortons du tout médicament »
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ENQUÊTE Trop de pilules tue la pilule
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INVESTISSEMENT Les atouts des MDD
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PANORAMA
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NOUVELLES TECHNOS
L’ACTU EN BREF LE KIOSQUE ANALYSE Petit manuel du tierspayant contre générique
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CONSEIL Le ver est dans la plaie FICHE CONSEIL Les antiseptiques INTERNATIONAL Dessous de table
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ENJEUX PDA, le grand n’importe quoi
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LES DOSSIERS DE LA FÉDÉ SPÉCIAL NORD Minières, la fin est proche
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Officine
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Le mail pour les pros EN BREF PRODUITS SUBSTITUONS ! BANC D’ESSAI Les lecteurs de glycémie APERÇU
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CULTURE HUMOUR
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Le cancer au Kärcher Depuis 2004, la France a lancé un programme de dépistage organisé du cancer du sein. Mais l’efficacité du dispositif, voire sa dangerosité, fait l’objet de plus en plus d’interrogations. Ainsi, un dépistage régulier sur dix ans
28 ne sauverait qu’une femme sur 2 000 du cancer du sein. Pire, dix femmes en bonne santé seront dans le même temps traitées inutilement. Les pouvoirs publics estiment pourtant qu’encore « trop peu » de femmes se font dépister…
ABONNEZ-VOUS maintenant au Pharmacien de France. Rendez-vous sur www.lepharmacien.fr Ce numéro comporte un encart jeté de 8 pages « Congrès des pharmaciens » et un encart jeté de 80 pages « Répertoire des organismes ». Juillet - Août 2012 I No 1242 I 3
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Actualité En bref
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
ce qu’ils ils l’ont dit ont dit
Un Pass’ en Pays de la Loire C’est au tour des Pays de la Loire d’offrir à leurs lycéens et apprentis un Pass’ contraception. Dès la rentrée de septembre, filles et garçons scolarisés dans la région pourront demander au sein de leur établissement ce chéquier de huit coupons, permettant notamment la délivrance de contraceptifs en pharmacie pour une durée d’un an. Tous les détails, à partir du 4 septembre, sur www.pack15-30.fr. ❙
allemagne
Officines en difficulté Le syndicat régional des pharmaciens du Bade-Würtemberg lance une campagne de communication auprès des patients pour les sensibiliser aux difficultés économiques des pharmaciens. « Chaque semaine, quatre pharmacies ferment en Allemagne », dénonce les officinaux qui s’inquiètent de voir leurs honoraires bloqués à 8,10 euros par boîte, alors que le nombre de missions à l’officine et le coût de la vie augmentent. Les pouvoirs publics refusent pour l’instant d’augmenter la rémunération des pharmaciens, bien que l’Assurance maladie soit en excédent de 27 milliards d’euros. Mais des négociations sont en cours et un compromis à 8,60 euros par boîte pourrait être trouvé. ❙
« Xavier Bertrand a conçu son ministère comme un lieu de politique politicienne et a détricoté la loi HPST pour en faire une loi Chassang [le président de la CSMF]. »
Gilles Johanet, président du CEPS.
Yves Bur, dans Espace social européen.
© MIGUEL MEDINA
« Le médicament est devenu déflateur [pour les comptes de l’Assurance maladie] On ne peut pas ne pas faire les mêmes baisses de prix en 2013 qu’en 2012. »
spf-pl
Feu vert pour les médecins ! L’Ordre des médecins a accepté l’inscription au tableau d’une SPF-PL. Une première chez les professionnels de santé.
T
andis que le décret permettant la création de sociétés de participations financières de professions libérales (SPF-PL) se fait toujours attendre, une décision du Conseil d’État rendue le 28 mars ouvre une brèche dans laquelle l’Ordre des médecins s’est s’engouffré. Le Conseil d’État a en effet estimé que l’appli-
cation de l’article de loi relatif aux SPF-PL « n’était manifestement pas impossible en l’absence [des décrets] » et que ses dispositions « sont, dès lors, immédiatement entrées en vigueur pour l’ensemble des professions libérales concernées ». Donc depuis… 2001 ! Si le Conseil d’État enjoint cependant le gouvernement à se prononcer d’ici au 28 septembre sur l’éventuelle nécessité de « règles particulières permettant d’assurer le respect de l’indépendance » des professionnels de santé, l’Ordre des médecins n’a pas attendu pour procéder en juin à l’inscription d’une SPF-PL. L’Ordre des pharmaciens resterait, lui, plus prudent en l’absence de décret. ❙
alsace
Tiers-payant contre le cancer Le 1er juin, les comités alsaciens de la Ligue contre le cancer ont reconduit un accord de 2010 avec les différents syndicats de pharmaciens du Bas-Rhin et du Haut-Rhin pour le paiement du reste à charge des vaccins anti-HPV aux patientes qui ne pourraient le payer. La convention est applicable aux patientes dès l’âge de 14 ans ne disposant pas de « couverture complémentaire ou de CMU », précise le texte et porte sur la quinzaine d’euros que le régime local d’Assurance mala-
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contraception
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© Fondapol2
Chantal Jouanno, coprésidente de la mission d’information sur les dispositifs médicaux.
© MIGUEL MEDINA
« Malgré un impact comparable à celui des médicaments, les dispositifs médicaux ne sont guère plus encadrés que les jouets. »
die ne prend pas en charge. « Le pharmacien adresse un relevé mensuel à la Ligue contre le Cancer et est remboursé des sommes avancées », explique Jean-François Kuentz, président du syndicat FSPF des pharma-
ciens du Haut-Rhin. « Chaque pharmacien remplira une facture sur formulaire-type qu’il transmettra au Comité de son départe m e n t , le cac h et d e la pharmacie ainsi que la signature du pharmacien concerné devant être apposés sur le document », peut-on lire dans la convention. En place depuis 2010, le système n’avait pour l’instant connu qu’un succès plus que mitigé mais les acteurs espèrent que cette nouvelle signature impliquant tous les représentants des pharmaciens permettra de relancer l’initiative.
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En bref Actualité
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
REPÈRES
209
+ 0,8 %
Sur les 231 molécules étudiées en 2011, c’est le nombre de dossiers d’inscription ou de demandes d’extension d’indication pour lesquels la Haute Autorité de santé a conclu qu’il n’y avait aucun progrès thérapeutique.
C’est l’augmentation du taux de marge brute des officines entre 2008 et 2011, alors qu’il était en baisse depuis 2004, selon une étude du groupe Xerfi-precepta.
15,5
– 15 %
milliards d’euros C’est le montant que devrait atteindre le déficit de la Sécurité sociale en 2012, selon la Commission des comptes. Un déficit qui est plus élevé que les 13,8 milliards d’euros prévus lors de la loi de financement de 2012.
C’est le recul que connaît la consommation d’antibiotiques en France depuis le début des années 2000. Néanmoins, les Français restent parmi les plus gros consommateurs d’antibiotiques en Europe.
dispositifs
évaluation
Un décret publié au Journal officiel définit les nouvelles modalités de prescription et de délivrance des dispositifs médicaux remboursables. La première délivrance ne pourra être effectuée que si l’ordonnance date de moins de six mois, elle ne sera renouvelable que si cela est précisé sur l’ordonnance et dans un délai inférieur à douze mois. Le pharmacien devra alors délivrer au patient « le conditionnement le plus économique » et pour un mois de traitement, sauf si le produit existe sous un conditionnement adapté pour une durée supérieure. Les produits d’optique et les appareils médicaux ne sont pas concernés. ❙
La Haute Autorité de santé a enfin achevé sa réflexion sur le remplacement du SMR/ASMR (service médical rendu/amélioration du SMR) et abouti à un « index thérapeutique relatif » qu’elle présentera cet été aux pouvoirs publics et à la rentrée aux industriels. Ce nouvel indicateur comparera le médicament aux produits déjà sur le marché pour déterminer s’il est inférieur (pas de remboursement), égal (taux identique mais prix inférieur), légèrement supérieur (taux identique et prix égal), moyennement ou très supérieur (taux identique ou plus élevé et prix supérieur). ❙
Délivrer à l’économie
Bye-bye SMR/ASMR !
MACRO / ÉCO
Les Cerp grignotent des parts de marché 40
« Il ne faut pas croire qu’il n’y a pas de concurrence entre grossistes », indique Benoît Thomé, gérant du cabinet Median Conseil, dans l’édition 2012 du Panorama des acteurs de la vente directe. La part de marché cumulée des trois Cerp (Rouen, Rhin Rhône Méditerranée et Bretagne Nord) a ainsi augmenté de 27,2 à 30,4 % entre 2009 et fin 2011. « Et cela au détriment des deux premiers grossistes-répartiteurs qui perdent respectivement 2 et 1,5 points sur la même période. » Phoenix et RTB Pharma (ex-Cerp Lorraine) n’ont quant à eux pas encore « profité de leur réunion ».
en %
36,6 35
33,6
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0
2008 2009 décembre 2009 décembre 2010 décembre 2011
Source : Panorama des acteurs de la vente directe (5e édition), www.median-conseil.com
3,1
2,6
OCP
Alliance Healthcare
Cerp Rouen
Cerp RRM
Cerp BN
4,1
4,1
Phoenix
4,2
3,8
RTB Pharma
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Actualité Enjeux
Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
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Trop de pilules Les lecteurs tue la pilule de glycémie
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LA FOURNITURE DE MÉDICAMENTS AUX MAISONS DE RETRAITE DIVISE LES PHARMACIENS : ENTRE « GROS FAISEURS » ET PHARMACIES DE PROXIMITÉ, LA SITUATION SUR LE TERRAIN EST DE PLUS EN PLUS TENDUE.
AVEC CE NUMÉ VOTR E RÉPER RO DES RÉGIM TOIRE ES OBLIG ATOIR ES
OFFERT
La fourniture de médicaments aux maisons de retraite divise les pharmaciens : entre « gros faiseurs » et pharmacies de proximité, la situation sur le terrain est de plus en plus tendue. Analyse et prospective. par Laurent Simon
LE GRAND N’IMPORTE QUOI Vendée, Meuse, Haute-Savoie, Tarn, Var… de partout les témoignages affluent. Tous
décrivent plus ou moins la même situation : des officines qui se déchirent pour une ressource, la fourniture en médicaments des maisons de retraite. Plaintes croisées, procès en cours, jurisprudence contradictoire… comment en est-on arrivé là ? Petit retour en arrière. La préparation des doses à administrer n’est pas une nouveauté. Exclusivement dévolue aux infirmières jusqu’à une période assez récente, la PDA est entrée dans une nouvelle ère il y a quelques années quand, poussés par des motifs économiques, les directeurs de maisons de retraite ont décidé d’externaliser une partie de leur circuit du médicament. Direction : les officines, toutes désignées pour remplir ce rôle, d’autant que le Code de la santé publique prévoit cette activité dans les missions de base des pharmaciens, aux côtés du conseil et de l’analyse de l’ordonnance. « La PDA existe et est légale : la question du pour ou contre ne se pose pas. La vraie question est : comment « Nous soupçonnons on fait ? », assène Alain Delgutte, tout nouveau présiune pharmacie de payer dent du conseil central A de une maison de retraite pour l’Ordre national des pharmala fournir en médicaments ; ciens. Une chose est sûre, la PDA a de beaux jours devant 1 000 euros par mois ! » elle : « Les maisons de Michel Siffre, président du Syndicat retraite ont de plus en plus des pharmaciens du Var recours à la PDA, en particulier depuis trois ou quatre ans quand des prestataires comme Medissimo se sont installés sur le marché. Il y avait un besoin énorme de la part des établissements hébergeant des
personnes âgées dépendantes (Ehpad) où le temps du personnel est compté. Pour eux, il n’y a en réalité que des avantages à recourir à la PDA en termes de temps et de sécurité », confirme Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, syndicat représentant les maisons de retraite privées. Ça a le mérite d’être clair. Tout pourrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes concurrentiels… si les règles du jeu étaient posées. Sans cadre clair, un peu comme dans le cas du marché lui aussi très disputé du maintien à domicile (voir « La guerre du MAD », Le Pharmacien de France, no 1237), les situations exotiques se multiplient : « Nous soupçonnons une pharmacie d’avoir payé une maison de retraite pour la fournir en médicaments, à raison de 1 000 euros par mois pendant 54 mois, soit 54 000 euros », déplore Michel Siffre, président du Syndicat des pharmaciens du Var. Course à l’échalote Poussés par des maisons de retraite très demandeuses de cette prestation, le risque pour les pharmaciens est de s’équiper à la va-vite, pour éviter de se faire chiper le marché. « Rien de pire qu’une pharmacie qui s’équipe de manière défensive et possédera une machine qui ne tourne pas. La tentation est de vouloir signer des contrats de la durée la plus longue possible : trois, quatre ou cinq ans. Mais il ne faut jamais oublier qu’un contrat peut être rompu ! », prévient Jean-Baptiste Guillot, directeur commercial de la société Euraf, qui commercialise des robots. « Les machines de PDA automatisée que l’on voit vendues à Pharmagora nécessitent beaucoup de chiffre pour être rentables. Un Ehpad compte en moyenne 70 lits, il en faut au moins deux ou trois », analyse Claude
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Enjeux Actualité
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DEFRANCE
Plusieurs systèmes de PDA cohabitent, depuis le « tout manuel » en piluliers, jusqu’à des robots sophistiqués proposant des sachets-doses.
Robotisation en marche Ces pharmaciens, groupés et suréquipés en robots à PDA, captent les marchés des Ehpad, parfois à des dizaines de kilomètres à la ronde. Exemple : cette pharmacie de Carpentras, 4,2 millions d’euros de chiffre d’affaires, appartenant au réseau Galien, a acheté un robot HD Medi d’une valeur de 250 000 euros et consacre trois employés à la PDA. Le même robot équipe d’ailleurs trois autres officines du même réseau (Aix-en-Provence, Peymenade, Roquebrune) qui, à elles quatre, délivrent des PDA à vingt-deux Ehpad, soit la bagatelle de 1 800 lits par jour. Le système prévoit également de la « prestation de service » pour d’autres officines selon l’expression de Guillaume Jaquet, directeur Méthodes III
3questionsÀ... © MIGUEL MEDINA
Baroukh, secrétaire général de la FSPF, en charge du dossier. Traduction : une fois l’équipement acheté, il faut le rentabiliser à tout prix, faute de quoi l’opération sera déficitaire. Corollaire de cette course à l’armement, côté matériel, le marché des PDA, qui génère un chiffre d’affaires important et stable, est en train de se concentrer entre les mains de ceux que tous les acteurs du secteur appellent les « gros faiseurs ».
Claude Baroukh
Secrétaire général de la FSPF, en charge du dossier Ehpad
Où se situent les blocages dans le dossier PDA ? La FSPF est en attente de plusieurs textes législatifs, actuellement en négociation, en particulier l’arrêté de bonnes pratiques [censé détailler la méthode et le matériel pour faire de la PDA, NDLR] et la convention-type Ehpad/officine destinée à réguler dans le détail les relations entre maisons de retraite et officines. Pourquoi la situation est-elle si tendue sur le terrain ? Les maisons de retraite imposent une pression folle aux officines en leur demandant la PDA pour des raisons d’économie de temps infirmier. Le titulaire se sent alors obligé de s’équiper pour satisfaire la demande et ne pas
perdre le marché, souvent très important pour lui. Que manque-t-il pour débloquer la situation ? Prévoir une rémunération spécifique pour le pharmacien : à la FSPF, nous l’estimons à un euro par patient et par jour, une somme équivalente à celle versée dans d’autres pays, comme en Finlande. Il faut aussi prévoir un texte pour la mise en commun de moyens techniques. Si plusieurs pharmaciens veulent pratiquer la PDA ensemble, ils doivent en avoir la possibilité.
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Le PHaRMaCIeN DEFRANCE
et projets chez Galien. Le choix des mots encadré « Et la loi dans tout ça ? »). Et si, malgré est important : ni rétrocession, ni sous-traitance, tout, la machine pouvait s’enrayer ? L’exemple deux options illégales, le système mis en place de Gaël Rousseau, titulaire à Mouilleron-le-Cappermet tout de même à une officine de réaliser tif, en Vendée, incite à un peu d’optimisme : les PDA d’une autre. Côté déli« Quand la maison d’accueil spécialisée (MAS) à qui nous vrance, les plans de posologie « À service sont rentrés directement par les équivalent, les fournissons les médicaments a lancé un appel d’offres, nous maisons de retraite et les PDA fabriquées sous forme de Ehpad choisissent nous sommes retrouvés en sachets-doses, comportant sur le fournisseur le concurrence avec une officine de La-Roche-sur-Yon, équipée d’un l’emballage un Datamatrix, les système Robotik dose à 150 000 coordonnées de la maison de plus proche. » retraite, celles du patient, la Jean-Baptiste Guillot, euros. Nous avons fait le choix d’un équipement beaucoup plus posologie, la forme et la couleur société Euraf léger, de la société Oreus. Nous des comprimés… Avec ce système, Benoît Bouche, PDG de Galien, espère avons fini par garder le marché sur deux argunotabene réduire le « taux d’erreur de dispensation à 2 %, ments : notre proximité avec la MAS – nous L’expérimentation Ehpad/officine, alors qu’il est actuellement de 8 % en maisons de sommes à moins d’un kilomètre – et le fait que portant sur la fourniture de retraite » et assure que « Galien est devenu le nous leur fournissions des blisters compartimentés médicaments aux maisons de retraite, sera encore prolongée en sept alvéoles, qui leur convenaient mieux que premier opérateur de PDA en France ». au-delà du 1er juin 2013. Pharmaciens les sachets du concurrent. » Le système, mis en et Assurance maladie doivent Changer d’échelle place depuis trois mois au moment où nous statuer d’ici la rentrée. On est à des années-lumière de la PDA manuelle, écrivons ces lignes, fonctionne sans encombres. pratiquée sur un bout de préparatoire… moyennant quelques interprétations « avant-gardistes » PDA pour tous ! de la législation, du propre aveu d’un pharmacien Comme quoi, la proximité n’est pas toujours un Galien, puisque le fameux arrêté de bonnes pra- vain mot. « Les gros faiseurs se heurtent forcétiques n’est pas encore sorti. Le texte, actuelle- ment à des coûts logistiques. À service équivalent, ment arrivé à la version 16, n’a encore aucune les maisons de retraite choisiront le fournisseur date de sortie officielle. Tout comme la conven- le plus proche. Évidemment, personne ne peut tion-type Ehpad/officine. Une avancée néan- empêcher les comportements style « un chariot moins : la convention type Ehpad/médecins a offert », qui font basculer dans la mentalité de la été rendue obligatoire depuis avril 2011 (voir grande distribution », prédit Jean-Baptiste Guillot, de la société Euraf. Le marché de la PDA, déjà dynamique dans les maisons de retraite, va aussi se développer en ambulatoire, pour améliorer l’observance de patients amoindris, aux traitements souvent très complexes. Les pharmaciens se retrouveront alors en concurrence directe avec les infirmières qui pratiquent et facturent déjà la PDA, selon Claude Baroukh : « Les infirmiers cotent « aide à l’administration » dans leur nomenclature lorsqu’elles réalisent des La PDA est-elle légale ? Oui, selon cières (versement d’un loyer à la maison l’article R.4235-48 du Code de la san- de retraite) ou techniques (obligation PDA. Or la PDA est un acte pharmaceutique, ce té publique mais elle ne peut être de s’équiper d’une machine en particuqui les met hors-la-loi », déplore le secrétaire général de la FSPF. qu’« éventuelle » et donc à établir au lier). Est expressément interdite par la La clef du marché réside certainement dans le cas par cas, en fonction de l’état du justice ordinale la sollicitation de clienpatient. C’est là que le bât blesse : la tèle, soit un pharmacien qui démarchedéveloppement de systèmes manuels ou de machines à plus petite échelle, capables de liberté de choix du patient est souvent rait une maison de retraite. En revanche, produire les PDA pour l’équivalent de 40 à fictive lorsqu’il est institutionnalisé et la situation juridique du déconditionnela robotisation du processus n’incite pas ment/reconditionnement des spécia50 lits. En limitant les frais d’installation et de personnel – et les risques financiers –, les tituà décider patient par patient si la PDA lités est floue : écartée dès 2006 par la laires pourraient alors tout de même proposer lui est adaptée. Dans tous les cas, le Direction générale de la santé, l’opérapharmacien ne doit pas renoncer à son tion sera encadrée et donc reconnue ce service de plus en plus répandu à leurs patients… Si et seulement si une rémunération indépendance pour des raisons finan- dans l’arrêté de bonnes pratiques. est négociée entre-temps. x III
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Et la loi dans tout ça ?
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TEVA-AP
Testez la différence ! L’INTERVIEW Un entretien sans concession
DÉCRYPTAGE Le dossier du mois, où santé rime avec société ÉCO&VOUS Le panorama économique du mois
L’ACTU EN BREF Six pages d’infos à chaud BANC D’ESSAI Toutes les clés pour bien référencer
eTous les mois plus d’informations, plus d’analyses, plus de réactions
eL’HEBDO du Pharmacien de France Chaque semaine, un condensé de l’actualité par mail. Pour vous abonner ou joindre la rédaction, une seule adresse : contact@lepharmacien.fr
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Santé Enquête Plus d’une centaine de pilules contraceptives sont commercialisées en France alors que, selon l’Association française pour la contraception, les professionnels de santé pourraient se contenter d’une dizaine de spécialités.
Trop de pilules tue la pilule Une femme sur deux qui subit une interruption volontaire de grossesse était pourtant sous contraception. La complexité de l’offre et le manque de recommandations officielles de bonnes pratiques en sont les raisons principales.
E NOTABENE AMATRICES DE PLAQUETTES En France, 57 % des femmes de 15 à 54 ans ont opté pour une contraception orale, alors qu’elles ne sont que 25 % aux États-Unis, 33 % au RoyaumeUni et 24 % en Espagne. À l’échelle mondiale, la méthode contraceptive la plus choisie est le stérilet.
ntre les pilules monophasiques, les pilules biphasiques, les triphasiques, celles qui comptent 21 comprimés actifs et celles qui en totalisent 24, il est parfois bien difficile de s’y retrouver. Avec plus d’une centaine de pilules et de génériques présents sur le marché français, l’offre de contraceptifs oraux est riche. Or un choix trop large ne complexifie-t-il pas la prescription et la délivrance de la pilule ? Selon Françoise Tourmen, endocrinologue et gynécologue, membre de l’Association française pour la contraception, cette offre démesurée favorise les échecs contraceptifs et contribue au taux élevé d’interruptions volontaires de grossesse (IVG). En effet, 42 % des femmes qui ont recours à l’IVG utilisaient une méthode contraceptive en théorie fiable, de type
pilule ou stérilet. Et comment expliquer que l’échec contraceptif soit vingt-deux fois plus élevé avec une pilule qu’avec un stérilet ou un implant, alors qu’en théorie il s’agit de la méthode la plus sûre ? « Les oublis de pilules sont certes fréquents mais ce n’est pas la seule explication, répond Françoise Tourmen. Il y a tellement de pilules et de génériques différents que les femmes s’y perdent, surtout quand leur gynécologue change de marque. » Par exemple, quelle différence y a-t-il entre Convuline et Jasmine ? Aucune. Jasmine est le princeps et Convuline son autogénérique. Les comprimés sont de la même couleur jaune orangé, le nombre de comprimés actifs est identique, seule la couleur de la boîte diffère. Toutefois « les femmes connaissent rarement le nom exact de leur pilule mais savent qu’elles prennent un géné-
À elle seule, la pilule Diane (DCI : cyprotérone / éthynilestradiol) compte treize génériques, dont son autogénérique Minerva.
rique, par exemple un générique de Diane », raconte la gynécologue. Des recos trop anciennes Pour limiter au maximum ces problèmes d’observance, Françoise Tourmen suggère que, lors de la première délivrance, le pharmacien identifie les placebos avec la patiente, définisse la fenêtre d’oubli et s’assure que la notion de période d’arrêt entre chaque plaquette est bien assimilée. Car plus la plaquette suivante sera entamée tardivement, moins la contraception orale sera efficace.
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Enquête Santé
Le PHaRMaCIeN
© SEBASTIAN SCHEFFEL
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Mais face à la diversité des contraceptifs oraux sur le marché, difficile pour le pharmacien d’avoir le bon discours. Oublier de prendre un comprimé pendant la première, la deuxième ou la troisième semaine n’aura pourtant pas les mêmes conséquences. La conduite à tenir ne sera pas non plus la même si le comprimé oublié est actif ou placebo. Pour conseiller au mieux, le pharmacien d’officine doit se référer aux recommandations de la Haute Autorité de santé. « Ce sont les seules recommandations officielles de bonnes pratiques, rappelle la gynécologue Françoise Tourmen. Seul problème, elles sont très simplifiées, la composition hormonale des pilules n’est pas prise en compte et les recommandations n’ont pas été mises à jour depuis 2004. Alors que chaque année de nouvelles pilules débarquent à l’officine. » Les pharmaciens peuvent aussi se référer aux fiches Vidal et aux notices des produits. « Mais ces notices sont traduites de l’étranger
et ne correspondent pas toujours aux recommandations de la Haute Autorité de santé, ce qui est encore générateur de confusions pour le pharmacien et le patient », s’insurge Françoise Tourmen. Par ailleurs, dans certains pays comme le Canada, où les dernières recommandations datent de 2008, les autorités de santé préconisent une contraception d’urgence en cas d’oubli supérieur à 24 heures. Alors qu’en France un oubli de cette même pilule supérieur à 12 heures entraîne une contraception d’urgence systématique quelle que soit la semaine du cycle. L’Association française pour la contraception, dont Françoise Tourmen fait partie, réclame donc une harmonisation européenne, et même internationale, pour réduire le nombre d’IVG en France. La Haute Autorité de santé prévoit de se pencher dessus très prochainement : de nouvelles recommandations sur le sujet devraient être publiées en 2013. Enfin. ❙
Amarance, Daily et Evanica ne sont pas des princeps mais des génériques de Trinordiol. Les industriels choisissent souvent un nom de marque plutôt que la DCI du médicament, ce qui peut être plus compliqué pour faire le lien.
Quid des autres contraceptifs ? Même si la pilule est la méthode contraceptive préférée des Françaises, il ne faut pas oublier qu’il existe d’autres méthodes comme le patch transdermique ou l’anneau vaginal. Là encore, une mauvaise utilisation peut être à l’origine d’une grossesse non désirée. Un patch transdermique qui se décolle ou qui est posé avec un retard de 24 heures n’a plus la même efficacité. Que faire alors ? Difficile de savoir. « Si les recommandations de la Haute Autorité de santé sur les oublis de pilule ne sont pas à jour, celles pour un patch décollé ou un anneau hors du vagin sont carrément inexistantes », regrette Françoise Tourmen, endocrinologue et gynécologue. Seul le site de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) indique qu’un décollement de patch entraîne les mêmes précautions que pour un oubli de pilule combinée supérieur à 12 heures. Alors comment réduire le nombre de grossesses non désirées sous ce type de contraceptif avec si peu d’informations ? La Haute Autorité de santé n’a pas souhaité répondre à nos questions. La seule solution pour les pharmaciens d’officine reste de se référer aux Résumés des caractéristiques du produit.
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