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Le nec plus ultra de Rully

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Dernière gorgée

Dernière gorgée

Chef de file de la côte chalonnaise, Vincent Dureuil cisèle des vins charnels qui conjuguent précision et plaisir absolu. Un styliste au cœur pur, ancré dans ses racines paysannes et fier de son héritage.

la perle de Rully

VINCENT DUREUIL n’est certes pas le châtelain de Rully, mais il en est tout du moins l’un de ses plus beaux princes. Taillant ses cuvées comme des diamants, il porte haut – et avec gourmandise – les couleurs de cette appellation de la côte chalonnaise. Un petit Poucet qui a grandi à l’ombre de la Côte d’Or, mais qui n’a rien à lui envier, que ce soit en termes de talent ou de qualité et encore moins en matière de vertu.

Vigneron sensible et intransigeant, nourri des valeurs familiales, Vincent Dureuil se définit en paysan. «Je suis un ouvrier de la vigne, comme les personnes de mon équipe. On ne peut pas faire de grands vins si l’on ne va pas à la vigne.» Chez lui, rien de feint, pas de coterie ni de simagrées. La vigne lui vient de son grand-père, qui en avait planté quelques hectares après la Grande Guerre, sur ces « montagnes » reculées du sud de Beaune, à quelque 200 mètres d’altitude. D’origine modeste, il dut comme bien d’autres partir de zéro, après la destruction du vignoble par le phylloxera – 600 hectares consacrés alors aux vins mousseux, le temps d’une période prolifique. Les Dureuil habitent le village de Rully depuis toujours, ils en sont la plus ancienne famille. À côté de leur exploitation, un peu de vignes s’ajoutent aux cultures, dans une logique paysanne de polyculture, très courante à cette époque. La génération de Raymond, le père de Vincent, connaît la vente en direct, facilitée par une forte demande locale. Ce sont alors des vins de table à destination des mineurs et des habitants du canton et alentour… Surtout pas d’export ! Au début des années 1990, après une formation en viti-œnologie à Beaune, Vincent suit les traces de son père et le rejoint au domaine. En 1994, il s’installe séparément avec 3,61 hectares et s’attire vite la reconnaissance du Guide Parker. «J’ai commencé avec cette petite partie qu’il m’a laissée. Quand il a pris sa retraite, en 2002, j’ai repris l’ensemble du domaine.» Avec une vision un peu différente, celle d’un jeune homme ambitieux porté par les voyages, les rencontres et les beaux vins.

Un pointilliste patient et attentif

«Mon père faisait deux vins, un rully blanc et un rully rouge, ainsi qu’un puligny-montrachet. On ne cherchait pas les premiers crus à cette époque, les coteaux étaient durs à cultiver, on était contents d’être dans la plaine. Aujourd’hui, j’ai un peu plus de 20 hectares, dont 16 sur Rully, en villages et premiers crus. Je vends aussi mon vin partout dans le monde, et sur les belles tables. Notamment celle de l’Albert 1er, à Chamonix [Christian Martray, membre du comité de sélection de Ventealapropriete, en a été le chef sommelier pendant près de 10 ans, ndlr]. C’était un rêve de gamin!».

Son vœu exaucé, Vincent se trouve d’autres aspirations. Agrandissant le domaine par petites touches, au fil des années, sans acharnement ni précipitation, il connaît le temps long, la patience, l’attente. La vertu des choses bien faites aussi, forgées dans l’airain et le travail. «Je fais comme mon grand-père faisait; je suis un paysan pragmatique, j’agis avec bon sens. » Ne lui parlez surtout pas de biodynamie, mais de bio, oui. Depuis une quinzaine d’années, le domaine est conduit en agriculture biologique et a de nouveau amorcé une certification, obtenue entre 2009 et 2016 puis arrêtée en raison de mauvaises conditions météorologiques. «On travaille avec conviction. D’avril à septembre, on ne reçoit aucune visite pour se consacrer entièrement à la vigne et ne pas expédier les vins pendant les mois les plus chauds. Physiquement, c’est dur, mais je ne me plains pas, je suis passionné par mon métier.»

Amoureux de la haute montagne et du ski de randonnée également,

« On fait un travail bourguignon, en bons ouvriers. Il faut connaître sa vigne pour donner son âme au vin. »

— VINCENT DUREUIL

Vincent aime s’échapper – quand il le peut, c’est-à-dire rarement – pour goûter à la nature dans les vallées de Savoie qu’il aime tant. Ses plus fidèles compagnons de piste sont aussi ses vendangeurs et cet équilibre, fait de partage et de choses simples, lui convient.

Ses vins sont comme lui, d’ailleurs : ils ne trichent pas. Taillés au cordeau, ils rendent chaque nuance de leur terroir, avec ce souci constant du détail, qui est la marque des grands vignerons. Comme le doute et la remise en question permanente. Vincent a le succès modeste, mais il sait s’effacer derrière le lieu, ne jamais jouer des coudes avec lui. «On fait un travail bourguignon, en bons ouvriers. Il faut connaître sa vigne pour donner son âme au vin.» Lui la connaît par cœur, ne se contentant par de l’arpenter juste avant la récolte pour goûter les raisins. Chaque jour, il est au milieu de ses rangs, plantés serrés à 10 000 pieds à l’hectare, blotti dans ses rets qui forment son terrain de jeu. Il en sait toutes les nuances, reconnaît à la couleur changeante des feuilles leur vigueur ou leurs maladies, conduit chacune comme le berger son troupeau. Vincent Dureuil est le berger de Rully, veilleur patient de ces carreaux verdoyants qui s’étagent en coteaux, encerclant le château du petit bourg paisible.

La traduction d’un sol, d’un lieu, d’une vibration

Devant ces paysages idylliques ressemblant à un tableau de Watteau, qu’il emprunte chaque jour, Vincent ne se lasse pas. Il a à cœur de les préserver, de les choyer pour peut-être un jour, qui sait, les transmettre à son tour. Mais il préfère ne pas trop y penser et se concentrer sur le présent. «C’est un poids de léguer. Que laisse-t-on,

Premiers de cordée

Avec un quart de premiers crus sur Rully, Vincent Dureuil expose chaque nuance de son terroir dans des cuvées délicates et de belle chair. En blanc, ce sont les 1ers Crus Les Margotés, Les Meix Cadot, Grésigny et Vauvry. En rouge, Chapitre et La Fosse. Il compte aussi quelques dizaines d’ares de Puligny-Montrachet 1er Cru Champ Gain et 40 ares de Nuits-Saint-Georges 1er Cru Clos des Argillières.

finalement? C’est dur comme métier, il faut y penser aussi. On travaille tous les jours, on ne pense pas au futur.» Pourtant, lorsque l’on évoque les transactions du vignoble, les rachats, les changements de main, Vincent ne reste pas insensible. Comment se défaire de cet héritage ? De cette terre que lui ont transmise ses grands-parents ?

Difficile à dire. La génération suivante – sa fille Margot a 21 ans et son fils Clément, 17 ans – ne semble pourtant pas l’entendre ainsi, déjà un pied dans la vigne, prête à y enfoncer le second. Pour le moment, Vincent se garde de trop anticiper, s’inquiète en bon père et fait avec ce que la nature lui donne – peu ces dernières années, car les récoltes ont été difficiles. Qu’à cela ne tienne, la région a le vent en poupe et la côte chalonnaise n’a plus à rougir de la comparaison avec les vins du « nord ». «On fait le même travail, on a les mêmes exigences.» La contrainte du temps aussi, celle de faire des vins de garde, qui peuvent largement vieillir 20 ans. «C’est difficile à faire. Aujourd’hui, je préfère les vins sur la réduction, car ils peuvent vieillir davantage, mais

cela demande des élevages longs et précis, avec de bonnes lies et surtout, du temps!» concède Vincent. En moyenne, les rouges passent un an et demi en fûts, les blancs un an, à cela s’ajoute la période de repos en bouteille nécessaire et incompressible avant les expéditions.

Au-delà du temps, le maître-mot, c’est la simplicité. Pas de techniques d’apprenti sorcier ou de cuverie rutilante ici, mais l’expression d’un savoir-faire à partir d’un raisin sain et mûr, récolté à la main. Vincent Dureuil ne conçoit ses vins en cave qu’à partir de leur origine ; à chaque vin dégusté, il ponctue la conversation d’un « il faut voir le terroir, vous allez comprendre quand vous y serez». Et l’on comprend en effet que ses vins sont la traduction d’un sol, d’un lieu, d’une vibration de l’espace. Ce pays où ils sont nés porte les traces des souvenirs et de l’enfance de Vincent, c’est la campagne où il a grandi et qui s’étire paisiblement.

Le Premier Cru Grésigny, de vieilles vignes plantées en 1945 sur des marnes calcaires, résonne ainsi du silence de la terre. Ces terres claires rendent un jus filant, pointu, vertical, dont Vincent a fait une cuvée car elle rendait un son toujours différent des autres parcelles. Les vignes centenaires du Meix Cadot s’ancrent profondément dans le sol. Ce blanc est plus sphérique, plus large, imposant sa maturité et son crémeux, avec de fins amers filants. Même le bourgogne blanc porte la marque d’un noble terroir, issu de terres situées sur Puligny-Montrachet ! Tous les vins vibrent ainsi au diapason, sans hiérarchie qui ferait préférer l’un plus que l’autre. Tous logés à la même enseigne, celle d’un travail d’artisan, libre et entêté. Idem pour les rouges, d’une résonance pure, du rully village aux premiers crus, en passant par cet iconoclaste cuvée En Guesnes Wadana 2019, totalement égrappée, jusqu’aux pédicelles1 ôtés un à un, puis passée 18 mois en fûts neufs. Une concentration tout en finesse, une densité de vin exceptionnelle où tout s’étire à merveille, dans une vision totale du terroir. «On fait un travail difficile, on est des artisans, on devrait récompenser le meilleur vigneron. Il faudrait une catégorie vigneron au concours des MOF 2 ! » lâche soudain Vincent Dureuil en guise de conclusion. L’idée est lancée… À bon entendeur !

DOMAINE DUREUIL–JANTHIAL Superficie en production / 20 ha dont 16 ha à Rully, 2 ha à PulignyMontrachet, 1 ha à Mercurey, 1 ha de Nuits-Saint-Georges Altitude / 220 mètres Cépages / chardonnay, aligoté et pinot noir Âge des vignes / de 5 à 100 ans

—Rully blanc 2019 Issu de quatre parcelles, ce blanc de percussion déploie un jus vif et tendu, aux fines notes citronnées et de fruits blancs. Une impeccable partition de fraîcheur et de style qui surclasse largement son rang de village.

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