Mon Étincelle - Ali Zamir - Extrait

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L’achèvement de Mon Étincelle a été rendu possible grâce à une

résidence de création à Lattara – Montpellier Méditerranée

Métropole qui s’est déroulée de janvier à juin 2017. L’auteur et

l’éditeur remercient chaleureusement tous ceux qui ont été à l’initiative de cette résidence.

© Le Tripode, 2017


Ali Zamir

Mon Étincelle



Il était une fois…



La vie est une curieuse hirondelle coincée dans une vilaine poubelle :

c’est là qu’elle palpite et cesse d’être belle. Vous n’avez rien saisi. Je le sens. Je reformule et esquisse la phrase. C’est simple. La vie est un voyage peu ou prou incertain. Un voyage plein de turbulences. Des turbulences associées ou non à des intempéries. Des intempéries impétueuses provoquées par la curiosité et la cruauté humaines.

C’est toujours long, dites-vous. Ce n’est pas de ma faute. C’est la faute

au langage. Alors, en un mot, si c’est vraiment possible de le dire en un mot : la vie est un voyage plein de haut-le-cœur provoqués par des secousses mortelles, il faut toujours savoir s’accrocher. Il ne faut surtout pas lâcher prise, sinon on se trouve à la merci du vent ou de

la tempête. Et on finit à la poubelle comme un minable déchet. Oui,

exactement comme un foutu déchet. J’ignore si c’est un déchet recy-

clable, biodégradable ou autre. N’importe. J’imagine tout simplement

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que personne ne voudrait devenir un déchet. Parce qu’un déchet pose

toujours problème dans la société : on se dispute entre frères, entre voisins, entre quartiers puis entre villes et ça ne s’arrête pas.

C’est dangereux de devenir un déchet à l’heure actuelle. Et je sais

tout simplement qu’en se laissant transbahuter par le cours des événe-

ments, on devient le pire déchet qui soit. Parce que le vent qui nous emporte n’a pas de lois, ni de règles, ni d’ordres auxquels obéir sur terre. Il faut donc s’accrocher et apprendre à être actif. Enfin, c’est ce

que je pense, moi. Mais quelqu’un d’autre peut vous dire le contraire. Je ne vous impose pas mon opinion. Loin de là. Je peux vous dire

aussi ce que j’ai entendu dans le cercle familial ou de mes amis sur ce sujet. La vie est également une sorte de concours de danse : tout le monde se précipite dans la piste pour montrer son talent. Mais à qui ? Je ne sais pas. Vous pensez que c’est une réflexion féminine.

Eh bien, les hommes aussi se livrent à une espèce de compétition :

ils se déchirent pour montrer les leurs. « Un coq que vous n’avez pas entendu chanter à l’aube, c’est qu’il a été mangé par un chat. », me disait maman.

Je ne sais pas d’où vient cette chaleur accablante à la godille. Il fait chaud. J’ai tellement chaud. Comme un réchaud. Nous sommes

grillés jusqu’aux yeux. Comme des brochettes. Et puis, il y a des

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vibrations. Vibrations par-ci. Vibrations par-là. Vibrations en haut. Vibrations en bas. Vibrations partout. Mon corps vibre. Ma tête

tourne. Mon corps tourne. Tout ce qui est autour de moi tourne. D’abord on monte. On descend. Ensuite on remonte. On redescend.

Encore. Toujours. Rien que ça. Remonter. Redescendre. Oh ! On

nous chauffe comme des aliments moisis. On nous surchauffe et on nous grille comme des steaks. On nous remue sans cesse comme

des feuilles d’arbre adustes. On nous fait subir des haut-le-cœur incessants. Incessamment, on se fusille à coups de vomissements. On

nous remue toujours. Nos vomissures deviennent une mayonnaise

à la moutarde. On nous gigote pour être bien assaisonnés. Ce ne

sont pas uniquement nos têtes qui sont concolores. Mais nos corps. Nous sommes blancs comme neige. Et on nous fait maintenant vibrer inlassablement. C’est exactement cela. On nous massacre à petit feu.

Lorsque je quittai mon île natale, tout était parfait. Parfait ? Est-ce

le mot adéquat ? Parfait. De toute façon, il n’y a pas de mot adéquat. Il suffit que vous me suiviez, c’est tout. Oui, il suffit que vous soyez

branché à mon canal. Comme si vous aviez votre écran plat devant vous. Les jambes croisées. Les yeux braqués sur l’appareil. Mais

n’oubliez pas que vous devez vous accrocher. Pour éviter de tomber. Lorsque je quittai Anjouan, donc, j’avais effectué un agréable voyage.

J’ai d’ailleurs passé un séjour merveilleux à la Grande Comore.

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Mais au cours de ce voyage retour, je me vois condamnée à faire face à un inextricable et fâcheux apore. Une espèce de cul-de-sac. Je

vis maintenant le pire moment de ma vie : non seulement cet engin

connaît des terribles turbulences, mais il ne me laisse pas le temps de chercher à savoir exactement ce que désire mon cœur. Ce cœur qui bat la breloque ne me laisse pas tranquille : ses battements retentissent

comme le son des secondes d’un explosif. Il va s’exploser dans ma poitrine. Il m’habite. Il me tourmente. Il me harcèle. Il me met une

pression. Je le sens. Je le sais. Je suis ensorcelée. Je le prends pour une épreuve décisive de ma vie. Pour un moment crucial. Pour une étape

indispensable à passer. En pleine apesanteur. En pleines turbulences mortelles. Eh oui, en plein tangages féroces. Je ne supporte pas de

les voir tous les deux. Dans cet état. En même temps. Leurs appa-

rences m’affaiblissent. Leurs regards me blessent. Leurs paroles me désarment. Leur amour me condamne. Je demeure sans pensées : rien

qu’un esprit, comme dans le monde des mânes. Je demeure sans voix :

une complète aphasie. Je demeure sans corps : juste une ombre, une

ombre privée de mouvement, une lancinante cohibition. Et le hic, c’est que je demeure sans douleur : quelle analgésie !

Dans la vie, il faut savoir conjuguer tous les problèmes à leurs temps

et à leurs lieux : il ne faut pas se contenter de les couver dans un

nid au risque de faire éclore des sommations au lieu de solutions.

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Comme disait maman : « Si tu ne sais pas ce que tu dois faire pour toi-même, la vie saura rapidement ce qu’elle fera de toi : elle t’écrasera,

t’enfournera et te cuisinera dans sa marmite comme une pourriture de pomme de terre avant même que tu prennes conscience de son choix.

Et ça, ce n’est pas toujours bon. » Elle me manque déjà. Sa voix, lorsqu’elle me réveillait doucereusement le matin. Ses tendres mots comme : « Réveille-toi mon Étincelle. Mon rayon de soleil. Soleil

doux. Douceur du jour. Jour de lumière. Lumière du soir. Soir d’espoir. Espoir de vie. Vie de merveilles. Réveille-toi mon Étincelle. »

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Étincelle est une jeune fille qui se retrouve à bord d’un avion qui relie deux îles de son pays, les Comores. Prise Comme je n’ai connuduque desetmerveilles à Anjouan puis à la dans les turbulences vol, tenailléemoi, entre deux liaisons Grande Comore, j’adorais entendre cette fameusedes écholalie chaque amoureuses, elle va se remémorer certaines histoires quematin. lui contait sa mère, paroreilles. celle, somptueuse Elle sonnait bienààcommencer mes paresseuses Tous les matins et tragique, qui devait un mots jour sous lui donner naissance. maman chuchotait les mêmes mon oreiller, comme pour

Mon remet encoup scène jeu de l’amour et que faire Étincelle tout changer d’un de l’éternel baguette magique. Elle disait du hasard qui unit les amants. Anguille roche j’étais un grand cadeau pour elleAprès et papa. Quandsous j’étais encore (Mention spéciale du prix Wepler, Prix Senghor du roman nouveau-née, elle m’observait longuement, dans mon berceau, le francophone), Ali Zamir confirme avec ce second roman soir, et ne cessait de remercier Dieu duhistoires don qu’il lui fait. C’est son talent de conteur. Au gré des queavait vivent elle qui me l’a dit. tous les jours de cela. Maman des personnages auElle nommelesparlait plus improbables – Étincelle, Douceur, Douleur, Efferalgan, Dafalgan, Vitamine, disait que c’est grâce à moi que leur rêve le plus cher, à elle et à papa, Calcium – on découvre le monde insulaire, truculent s’était réalisé. Mais je n’y entendais goutte. Oui, rien du tout. C’était et contrasté d’un écrivain décidément atypique. de l’algèbre pour moi. Quel était donc ce rêve ? Et pourquoi moi ? Lorsque je lui posais une question à ce sujet, elle répondait simplement : « Tu le sauras un jour Étincelle. Tu le sauras ma lumière. »

J’en avais par-dessus la tête de l’entendre me répéter toujours la

même chose.donc J’étais et voulais à tout prix connaître Accrochez-vous et impatiente suivez l’histoire que m’a racontée maman. ce Bien je les ne l’avais pasdeentendue évoquer la formuleJ’ai populaire queque tous membres ma famille me cachaient. commencé « Il par étaitmeune fois », cette histoire ma tête comme demander pourquoi ils résonnait attendaientdans un moment propice un pour conte de fées : c’est une histoire de deux étudiants qui commence me le dire. Était-ce quelque chose impossible à entendre parler pour à Madagascar dans la ville de Mahajanga. La ville aux baobabs. une jeune adolescente de quatorze ans ? Dans familles, on fait C’est l’histoire d’une adolescente de dix-huit ans, nos timide, réservée, tout pour cacher des choses enfants. les grandes prénommée Douceur et d’un aux jeune hommeEtcourageux depersonnes dixneuf ans, Douleur. Douleur et Douceur s’aimaient éperdument. pensent vraiment tout maîtriser. Ils coupent brusquement leur parole, hésitent souvent à finir leurs phrases et font des grands signes entre JEU D’ÉPREUVES NON CORRIGÉES. 14 PARUTION : le 7 septembre 2017


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