les jardins statuaires de jacques Abeille VU PAR
LES 400 COUPS une exposition de 20 sテゥrigraphies originales et numテゥrotテ右S
C
haque année, le Tripode invite un collectif de vingt artistes – Les 400 coups – à s’imprégner de l’œuvre d’un auteur et à en offrir vingt visions sous la forme d’estampes. Ces lectures visuelles donnent lieu à des expositions ; les estampes, tirées à 13 exemplaires, sont mises en vente auprès des lecteurs. Après avoir travaillé en 2014 sur Tokyo infra-ordinaire de Jacques Roubaud et en 2015 sur Le Conte de la dernière pensée d’Edgar Hilsenrath, le collectif s’est plongé en 2016 dans Les Jardins statuaires, roman culte et porte d’entrée de l’œuvre de Jacques Abeille qui, au mitan des années 1970, révélait l’existence des Contrées. Les Contrées sont un monde ample et imaginaire que Jacques Abeille explore depuis plus de quarante ans. Il réapparaît régulièrement dans ses ouvrages, et se déploie selon une topographie, une histoire et des cultures qui lui sont propres et que nous avons demandé à Éric Darsan, ancien libraire et historien de formation, de présenter.
Cette plaquette présente les 20 sérigraphies en bichromie disponibles pour une exposition à partir du mois de mars 2016, et un extrait du livre Le Monde des Contrées. Les artistes du projet les 400 coups : Mehdi Beneitez Anna Boulanger Loïc Creff Sylvain Descazot Marie Drancourt Julien Duporté Anthony Folliard Julie Giraud Sophie Glade Éléonore Hérissé Audrey Jamme Mathieu Lautrédoux Julien Lemière Éric Mahé François Marcziniak Lilian Porchon Estelle Ribeyre Antoine Ronco Olivia Sautreuil et Nicolas Thiebault-Pikor.
Ainsi en mars 2016, a paru Le Monde
des Contrées - L’œuvre de Jacques Abeille vue par Eric Darsan et Les 400 coups.
POUR TOUTE INFORMATION SUR L’EXPOSITION : INFO@LE-TRIPODE.NET
LA CULTURE DES STATUES par Mehdi Beneitez —
« Le temps d’avant la germination et les montées de sève, le temps sans exubérance, le temps des pierres.[...] Il en résultait en moi, peut-être en chacun, une manière d’angoisse faite de jouissance étouffée. Quelque bonheur écrasé et fort. »
LA PROLIFÉRATION DES PIERRES
par Antoine Ronco — « Des commissures s’enfonçaient entre des bourrelets de pierre, des colonnes embrassées de veines durcies s’érigeaient çà et là et tendaient vers l’obscurité vide de la voûte leur sommet bulbeux. […] Partout la pierre était grasse d’une humidité qu’elle semblait exsuder dans une étreinte immobile, inéluctable, épuisante. »
Les jardins statuaires « Je vis de grands champs d’hiver couverts d’oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l’infini d’indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit. J’étais entré dans la province des Jardins statuaires. »
Un voyageur, étranger et anonyme, séjourne dans un hôtel des Jardins statuaires lorsque survient un guide providentiel qui l’invite à visiter le pays. Au sein des domaines enclos, le voyageur découvre qu’en place des cultures maraîchères, on cultive des statues. Entièrement absorbés par leur tâche, les jardiniers mènent une vie régulière, quasi monacale, loin du monde et des préoccupations séculières, loin des femmes recluses derrière un labyrinthe de feuilles au centre de chaque domaine. Le jour durant, ils éclaircissent les rangs, déplacent ou détruisent certains plants pour permettre la croissance des autres. Là, ils guident, taillent, bouturent les excroissances des statues qui naissent champignons et finissent colosses. Laborieux, attentifs, les jardiniers entretiennent et endiguent la croissance naturelle de la pierre en fonction d’une forme qu’ils doivent pressentir, au risque de l’induire. Au fil des domaines, du Nuage frondaison qui coiffe la bouteille à La Cravate à moustache en passant par L’Ombre du parasol dans le lit de la mariée, apparaissent toutes les formes, sujettes à toutes les interprétations. Baroque, foisonnant, torturé, le monde des Jardins est rongé jusqu’à l’épure par les outrages du temps, les malformations et la lèpre qui contaminent les statues.
Pour celles-ci, il n’y a qu’une destination possible : le gouffre, où un mystérieux gardien prend soin de les détruire. Au gré de ses visites, le voyageur entreprend de consigner par écrit son périple, à la lumière des textes fournis par son guide. Il analyse les mœurs et lois de cette société à la fois hospitalière et hermétique, sans savoir ni comprendre encore ce qui l’anime. Ses observations, ses émotions et interrogations transforment son carnet en ce qui deviendra peu à peu le livre que nous avons entre les mains. Bientôt, conforté par sa connaissance des domaines et sa curiosité, le voyageur veut se faire sa propre idée du pays et l’arpenter seul. Il a appris à se repérer et peut choisir sa route entre toutes, connaît les pèlerins et les jardiniers qui lui ouvrent respectueusement les portes des domaines et le contenu de leurs cahiers. Malgré les avertissements de son guide bienveillant, il s’obstine à vouloir percer les mystères qui entourent les femmes des Jardins et un prince légendaire, qui passe pour avoir uni des parias en une horde de barbares dans les steppes. Le voyageur se lance alors dans une quête qui le confrontera aux noirs dessous des hôteliers et de leur guilde, à l’amour, et à lui-même. Face à la destruction qui menace, son obstination bouleversera le monde sclérosé des Jardins statuaires. La sérénité, l’unité marmoréenne qui s’imposaient jusqu’ici vont se fissurer pour laisser apparaître au grand jour la beauté et la cruauté, mais également la ruine et l’espérance qui couvaient. Sous son apparence harmonieuse, le pays des Jardins statuaires est un monde où règne la séparation. Au sein des domaines, les femmes, mises à l’écart, vivent dans un gynécée qui possède ses propres codes. Là, et là seulement, elles peuvent s’épanouir librement, alors qu’en présence des hommes, elles sont réduites au silence. Ce sont cependant
elles qui les élèvent et demeurent quand ils quittent le domaine. Elles, à qui le domaine est livré lorsqu’un changement advient. Elles, qui perpétuent par leur art la mémoire du quotidien et la culture des Jardins. Les plus belles pages des Jardins statuaires sont d’ailleurs consacrées au mariage, au caractère initiatique de l’union, à la longue marche, à la mélopée et aux tambours qui l’accompagnent. En dehors du domaine, d’autres femmes sont des prostituées officiant dans les établissements dirigés par la guilde des hôteliers. L’écrit occupe une place centrale dans les Jardins statuaires. Parallèlement à la culture des statues, les jardiniers entretiennent la mémoire collective par la rédaction de livres d’ancêtres. Dans ces ouvrages, qui se développent à l’infini, au gré d’ajouts et d’excroissances incontrôlés, ils s’attachent à consigner ce qu’ils ont retenu de leurs pairs. Il s’agit de livres composites, constitués pour l’essentiel d’addenda, de commentaires, de remords et autres cahiers itinérants patiemment collectés et réunis au fil des ans auprès de tous ceux qui ont connu l’ancêtre disparu. Les jeunes hommes ne sont intégrés dans la communauté des jardiniers que lorsqu’ils ont apporté leur contribution à ces ouvrages. C’est dans cette veine que s’inscrit le récit du voyageur transmis par Jacques Abeille, qui se présente lui-même comme l’archiviste des Contrées. * Lorsque l’on aborde Les Jardins statuaires, on est saisi d’entrée par une sensation de dépaysement, l’étrangeté des détails, la profusion et la richesse de leurs descriptions minutieuses, la progression labyrinthique du récit, son aspect fantastique, emphatique et poétique.
LES prostituées
par Julien Lemière — « Pourriez-vous faire en sorte que votre sœur traverse l’immeuble sans rencontrer... ce genre de situation ? »
LE prince
par Lilian Porchon — « Il claqua des doigts ; la servante silencieuse vint se coucher contre lui, dans l’ombre où je ne pouvais la voir. Il étendit la main sur elle. Je pouvais seulement apercevoir son bras qui bougeait et deviner sa main qui flattait, comme celui d’une bête, le corps offert. C’est dans ce geste sans doute qu’il puisa la force de poursuivre. »
Nous pénétrons dans un univers accompli, qui se laisse découvrir au gré non seulement de ce roman mais de tout un cycle où Jacques Abeille développe une vaste réflexion qui s’articule autour de deux axes essentiels – l’écriture et l’éducation – au travers desquels transparaissent, par une habile mise en abyme, son travail de composition et ses influences. De cette approche romanesque et philosophique naît une poïétique où, notamment, s’opposent d’une part la croissance, la création littéraire et l’amour, et d’autre part la conservation, le devoir et la vie en société. En confrontant cette société aux questions que la réalité ne manque pas de lui poser, l’auteur constitue son utopie pétrie d’humanisme, de culture antique et d’ethnologie. Du rite d’initiation aux derniers sacrements, en passant par le mariage et la prostitution, le créateur de ce monde continue de s’interroger sur une humanité aveugle. Roman d’initiation, roman d’aventures qui flirte avec la fantasy, roman classique dont la beauté et la pureté relèvent de l’épure comme de l’architecture, Les Jardins statuaires est le fruit d’un impressionnant travail de pensée, de recherche, de rêverie et d’écriture. Porte d’entrée du Cycle des Contrées, le roman soutient par son pouvoir d’attraction le déploiement d’une œuvre monumentale. Extrait de Le Monde des contrées - L’œuvre de Jacques Abeille vue par Eric Darsan et Les 400 Coups.
La ville abandonnée par Sophie Glade — « “ Une ville fossile ”, pensais-je. »
Les coutumes des JARDINIERs
par Éléonore Hérissé — « Après quoi, il ne la rencontre plus qu’une seule fois dans sa vie : la veille de son départ, lorsqu’il est sur le point de quitter le domaine pour aller se marier. Ce jour-là, dans une chambre spéciale, il le passe tout entier, de l’aube à la nuit, en tête à tête avec sa mère. »
LE REFUGE du prince
par Anna Boulanger — « Et j’eus en traversant le carrefour le sentiment que je passais une frontière et que cette fois l’inconnu commençait vraiment. »
les statues difformes
par Julien Duporté — « Douze blocs énormes, écrasants, et prise dans chacun une figure humaine, à des degrés d’ébauche divers, qui se convulsait et dont on ne savait si elle s’efforçait d’échapper à la pierre ou de s’y enfouir à nouveau. On eût dit que la pierre avait voulu figurer aux yeux des hommes par quels spasmes elle devait passer pour se modeler statue. »
LE GOUFFRE
par Anthony Folliard — « Je me tenais coi, songeant en moi-même à ce que je venais d’apprendre, imaginant, loin de tous les travaux humains, ce lieu que je me représentais désolé, à la limite du pays : un gouffre. Aux abords de cette image ma pensée tournoyait comme une épave. »
un jardin à l’abandon
par Julie Giraud — « C’était bien ce que j’avais imaginé, mais mille fois plus grandiose et monstrueux que prévu. […] J’entendis soudain une véritable explosion suivie d’une projection crépitante de cailloux qui fusèrent à deux pas de moi comme une poignée de mitraille. »
L’hôtel
par Estelle Ribeyre — « Et de la main je désignais l’espace de la chambre autour de nous. — Ce sont des insomnies, me répondit-il. »
LEs amazones
par Olivia Sautreuil — « Sous la couverture, son corps, dur et cuivré, n’était vêtu que d’un baudrier qui lui glissait entre les seins. Seins droits, demi-sphères parfaites, qui me tenaient sous leur fixité inintelligible. Je crus voir la mort même et me sentis calme, car enfin elle était belle. »
LE domaine de la statue noire
par Marie Drancourt — « Je me débattais dans ma propre immobilité comme si la statue se fût emparée de mon corps et eût coulé sa pierre dans mes nerfs. »
LES STATUES ABANDONNÉES
par Loïc Creff — « Certains se sont amusés, en prolongeant un rang de statues, à les planter en quinconce ; là les sens se croisent et divergent à l’infini, et ceux qui passent par ces parages sont pris de vertige. »
le gardien du gouffre
par Sylvain Descazot — « Est-ce un appel plus lointain, plus obscur, qui détourne ma plume afin que tout soit rejeté dans la distance et que je coïncide avec rien ? Et pourtant je suis là, veillant au bord du gouffre, consacrant le plus clair de mon temps aux tâches domestiques et à l’éducation de l’enfant. »
LE mystère des femmes
par Nicolas Thiebault-Pikor — « — En fait, si cela était possible, c’est avec une femme qu’il faudrait que vous vous entreteniez. Mais cela est complètement impossible. Vous ne verrez jamais une femme de ce pays. — Mais pourquoi ? — C’est ainsi. Elles se dérobent le plus possible à notre regard, au regard des
LE désert
par François Marcziniak — «Ici, comme partout, la pierre seule avait su résister à l’étreinte du désert croissant et aussi, çà et là, s’alanguissant comme des mares bleutées dans le soir lumineux, quelques nappes de bas buissons à la tige torse, aux racines avares, si secs, si légers, qu’on imaginait volontiers que le vent pouvait à son gré [...] les rejeter dans une encoignure du roc.»
LEs rebelles
par Éric Mahé — « — Mais enfin, qui êtes-vous ? demandai-je à ceux qui me faisaient vis-à-vis. — Et vous donc ? me répondirent-ils. Je sentis à leur ton qu’ils s’étaient ressaisis. — Si vous êtes ceux que je pense, vous le savez bien. — Nous ne savons rien du tout, protesta celui qui semblait les commander.
une nouvelle vague de germEs...
par Audrey Jamme — « Jusqu’au moment, au bout de quelques mois, où l’on ne récoltera plus que des figurines de la hauteur d’un doigt ; encore les dernières ne dépassent-elles guère la dimension de l’auriculaire. À cet instant, tandis qu’à une extrémité du domaine on récolte ces statues amenuisées jusqu’au volume du bibelot, à l’autre extrémité on a déjà planté une nouvelle vague de germes. »
LE DOMAINE DU FAISEUR DE NUAGES
par Mathieu Lautrédoux — « [...] lorsque ces nuages parviennent à une certaine hauteur dans le ciel, le gel les fait éclater. Ils choient donc en fragments lumineux que le frottement de leur chute consume et réduit en poudre. Cette pluie très douce tombe, portée par le vent, sur d’autres domaines. »
le cycle des contrées aux éditions le tripode
Œuvres de Jacques Abeille
Les Jardins statuaires LeVeilleur du Jour Les Barbares La Barbarie LesVoyages du fils Chroniques scandaleuses de Terrèbre (Léo Barthe) La Grande Danse de la réconciliation Les Mers perdues (avec François Schuiten) Sur l’œuvre de Jacques Abeille
Le Dépossédé (territoires de Jacques Abeille) volume collectif regroupant les actes d’une journée d’étude sous la direction d’Arnaud Laimé, de l’université Paris 8 Le Monde des Contrées Les 400 coups et Éric Darsan. Introduction à l’univers des Contrées par vingt artistes contemporains et un critique littéraire.
Le Tripode et L’Atelier du bourg remercient Jacques Abeille, Éric Darsan, les artistes des 400 coups et tous ceux qui ont contribué à la conception du livre et de l’exposition