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Annette Messager

Annette Messager, La Revanche des animaux, 2019-2021. Peluches, dessins, sculptures recouvertes de papier noir, lumière électrique ; h. 300 x l. 500 x p. 440 cm. Courtesy Marian Goodman Gallery, Paris, Londres, New York. © Rebecca Fanuele

© Atelier A. Messager interview

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Conte à rebours

Figure majeure de l'art contemporain, Annette Messager investit le LaM de Villeneuve d'Ascq avec des pièces emblématiques (notamment Dessus-dessous) et surtout nombre d'œuvres inédites, réalisées durant la crise sanitaire. Intitulée Comme si, cette exposition rassemble dessins, installations ou sculptures. Elle témoigne aussi de son obsession pour le quotidien, dont elle a fait son principal matériau de réflexion, auquel elle ajoute une pincée d'humour noir et une bonne dose de fantastique. Entretien avec une observatrice avisée de notre temps, où il sera question de féminisme, de mort ou d'une humanité brinquebalante.

Que verra-t-on lors de cette exposition ? Quelle est sa particularité ?

Elle rassemble des dessins, des installations, des assemblages... Des œuvres anciennes mais aussi très récentes, comme La Revanche des animaux, créée spécialement pour Villeneuve d'Ascq. C'est une installation figurant une cité en partie détruite : la Tour Eiffel est cassée, Notre-Dame très abîmée... Tout est recouvert de papier noir, le sol paraît calciné. Par contraste, des têtes de peluches colorées grimpent sur ces éléments, envahissent la ville, comme si les animaux prenaient leur revanche sur l'humanité.

Vous dévoilez aussi beaucoup de dessins ici, n'est-ce pas ?

Oui, j'adore dessiner, c'est un vagabondage, un exercice proche de la poésie. Ces dessins se présentent tels des haïkus, simples, jetés comme une petite phrase, et tant mieux si c'est un peu maladroit. On redevient d'ailleurs un enfant en dessinant. Disons que j'ai une main de petite fille et une autre de vieille dame ! •••

Quels dessins révélez-vous ici ?

Citons la série Tête à tête, qui représente 77 têtes de mort, réalisées à partir de 2019. Ce sont des vanités, un grand classique de l'histoire de l'art mais les miennes sont très ironiques, un peu dans l'esprit de Tim Burton. Il se trouve qu'à ce momentlà j'étais très malade. Mon médecin m'avait intimé de ne pas porter de choses lourdes, donc je me suis mise à dessiner.

S'agissait-il alors de conjurer la mort ?

Oui, pour moi l'art c'est à la fois la conspiration, la conjuration et la contradiction. Effectivement, j'ai toujours envie de faire une chose et son contraire !

Comment avez-vous conçu la parcours de cette exposition ?

Je voulais donner l'impression d'une visite chez moi et non pas dans un musée d'art contemporain. L'éclairage est donc important, on joue avec l'intensité de la lumière à certains endroits. Le parcours n'est pas du tout chronologique mais tout en bifurcations.

Que découvrons-nous dans la première salle ?

Daily, soit une installation constituée de grands éléments suspendus en skaï noir représentant des objets du quotidien, auxquels on s’attache parfois de façon absurde comme une clé, un téléphone... De petits êtres humains en tissu y sont accrochés avec des fils, comme des pantins. Ils semblent dérisoires à coté de toutes ces choses gigantesques. Tout ça à un petit côté sado-maso.

Pourquoi accordez-vous tant d'importance aux éléments quotidiens ?

Je pense qu'il n'y a rien de plus surréaliste, bizarre ou inquiétant que le quotidien. Donc j'aime bien utiliser des objets de la vie de tous les jours en les déformant, les triturant...

Vous dévoilez ici une œuvre appelée Requiem pour Jeanne…

Oui, à l’origine de ces dessins il y a cette image qui me fascinait lorsque j'étais petite fille, une peinture kitsch où l’on voit Jeanne d’Arc sur le bûcher, accrochée à une immense croix.

« Il n'y a rien de plus bizarre que le quotidien. »

Il s’agit d’une œuvre de Lenepveu qui se trouve à Paris. J'aime beaucoup cette figure. Jeanne d'Arc est l'une des premières féministes, une guerrière au milieu de soldats masculins qui gardait son armure pour ne pas se faire violer. C'était une femme forte alors qu'elle n'avait aucune éducation, ne savait ni lire ni écrire. Son image souffre aujourd'hui d'avoir été récupérée par l'extrême droite... je voulais donc la réhabiliter.

 Annette Messager, Vagin ailé, 2018. Acrylique liquide sur papier; 54 x 40 cm. Courtesy Marian Goodman Gallery, Paris, Londres, New York. Photo: Atelier Annette Messager. © Adagp, Paris, 2022  Annette Messager, Daily, 2015-2016. 21 éléments en skaï noir et tissus, 9 rats en black wrap et peinture noire, filets; dimensions variables. Courtesy Marian Goodman Gallery, Paris, Londres, New York. Photo: Atelier Annette Messager.© Adagp, Paris, 2022

La figure féminine et le rapport au corps traversent aussi votre travail. Vous montrez par exemple ici un vagin ailé…

Oui, on a représenté d'innombrables phallus dans l'histoire de l'art, alors pourquoi pas des vagins ? Je vais aussi montrer pour la première fois en France un papier peint de petits utérus tout à fait charmant !

Qu'aimeriez-vous que le public ressente en quittant le LaM ?

C'est difficile de se mettre à la place des gens. Une fois, à Beaubourg, je me suis promenée au sein de ma propre rétrospective. Et puis quelqu'un derrière moi m'a dit : "mais poussez-vous, vous me dérangez, je ne vois rien !". Cette personne avait raison : d'une certaine façon mes œuvres appartiennent à tout le monde...

Propos recueillis par Julien Damien

Villeneuve d'Ascq, 11.05 > 21.08, LaM mar > dim : 10h-18h, 10/7€ (gratuit -12 ans) www.musee-lam.fr

LA CHINE AU FÉMININ

Droit de cité

Tout au long du xxe siècle, entre guerres et révolutions, l’empire du Milieu a connu de nombreux bouleversements politiques et sociaux. Si l’on retient généralement les noms de Tchang Kaï-chek, Mao Zedong ou Deng Xiaoping, le Musée royal de Mariemont a choisi de mettre en lumière les femmes, figures exceptionnelles ou anonymes, qui ont bâti l’histoire moderne de la Chine.

« Dans le monde, une femme sur cinq est chinoise, affirme Lyce Jankowski. Pourtant, on ne sait pas grand-chose d’elle ». Longtemps, les Occidentaux furent fascinés par ces inconnues, qu’ils imaginaient discrètes et dociles. « Nous voulions dépasser ces fâcheux stéréotypes », poursuit la conservatrice du Musée royal de Mariemont. À Morlanwelz, parures, tableaux, extraits de films ou objets du quotidien révèlent des personnages féminins puissants, combatifs. Une photographie datant du début du xxe siècle montre ainsi l’impératrice Cixi qui a régné sur la Chine durant plus de 40 ans !

L'émancipation

Au fil de ce parcours chronologique, le public découvre aussi comment les Chinoises ont surgi dans l’espace public ces dernières décennies. De nombreuses affiches de propagande révèlent des "femmes d’acier", fidèles au parti communiste, (forcément) souriantes, fortes et indépendantes. Il est vrai que le xxe siècle a favorisé leur émancipation. « Elles ont acquis des droits fondamentaux comme celui du vote, une réduction des inégalités salariales ». Mais, ne nous y trompons pas, si leur condition s'améliore à la faveur du développement économique et au renforcement du sytème juridique, il reste beaucoup à faire. Le musée en a bien conscience. « On ne prétend certainement pas que les Chinoises sont libres, on tient à leur offrir un espace pour exister ». En cela, le pari est réussi. Maïssam Mezioud

Morlanwelz, jusqu’au 23.10, Musée Royal de Mariemont, mar > dim : 10h - 18h, gratuit musee-mariemont.be

Les femmes portent la moitié du ciel sur leurs épaules

affiche de propagande, Chine, 1974

Parmi les œuvres exposées, on découvre des affiches de propagande issues de la collection Jasmine Nour. Le titre de celle-ci emprunte à une déclaration de Mao Zedong lors de l’avènement de la République populaire de Chine. Trois figures sont ici représentées. La première tient une clé plate, la deuxième un marteau et la dernière réajuste son casque militaire. Elles incarnent les différentes fonctions valorisées par la société communiste. Cette image s’inscrit dans le cadre de vastes campagnes menées durant la seconde moitié du xxe siècle pour libérer les femmes de l’espace domestique.

partemental des arts asiatiques, Nice é e d é © Mus © Zhou Wenjing

Red Series No.3, Zhou Wenjing, 2019

Cette œuvre de l'artiste chinoise Zhou Wenjing fait partie d’une série de sculptures réalisées en plâtre blanc. Plongée dans un liquide vermillon, la statue se colore progressivement, le corps vire au rougeâtre inquiétant. « Elle renvoie aux menstruations, à la grossesse, à l'écoulement de sang rythmant la vie du corps féminin », analyse Lyce Jankowski. Ce n’est pas la première fois que Zhou Wenjing se penche sur l'intimité voire les souffrances physiques endurées par les femmes. En 2014, sa première création s'intéressait au stérilet, que beaucoup de Chinoises ont utilisé durant la politique de l’enfant unique, mais sans en connaître la date d’expiration. Une fois périmé, celui-ci a provoqué des maux abdominaux, des lésions ou infections… « Mon travail montre à quel point la douleur est une partie essentielle de nos vies », confirme l'artiste.

TOMI UNGERER

Une vie de brigand

Que connaît-on de Tomi Ungerer ? Assurément ses albums pour enfants, des Trois Brigands à Jean de la Lune, références absolues de la littérature jeunesse. Un peu moins ses illustrations caustiques, ses dessins érotiques ou son œuvre férocement engagée. Séance de rattrapage à la Fondation Folon.

Black Power / White Power Affiche contre le ségrégationnisme, 1967

On trouve entre l’aquarelliste belge Jean-Michel Folon (1934-2005) et l’auteur et illustrateur alsacien Tomi Ungerer (1931-2019) bien des points communs. « Ils ont quitté la France pour trouver la reconnaissance aux États-Unis après la guerre, avaient pour modèle le dessinateur américain Saul Steinberg, portaient un regard critique sur notre société », énumère Pauline Loumaye, responsable des expositions à la Fondation Folon. Il était donc naturel pour le musée du Brabant wallon d’accueillir cette exposition, soit 80 dessins sélectionnés dans un fonds foisonnant de 14 000 pièces.

Un engagement sans faille

Bien sûr, le parcours en dix thèmes s’arrête sur ses ouvrages jeunesse drôles et émouvants aux personnages atypiques, tel ce mutilé de guerre dans Le Chapeau volant. Mais on découvre aussi 60 ans de recueils satiriques, dont le savoureux The Party, moquant les soirées mondaines de New York, une vie de globe-trotteur, entre l’Amérique, la Nouvelle-Ecosse et l’Irlande, et une grande variété de techniques (gouache, collage, encre de Chine). Parce qu’on « ne peut comprendre les combats d’Ungerer sans connaître son enfance sous occupation allemande », un volet de l’exposition revient sur ses dessins de jeunesse, des caricatures de nazis. Ses affiches politiques, contre la guerre du Vietnam ou le ségrégationnisme, avec le poster choc Black Power / White Power (1967), racontent aussi un défenseur enragé (parfois incompris) des droits humains, et de la liberté d’expression. Marine Durand

La Hulpe, jusqu'au 26.06, Fondation Folon mar > ven : 9h-17h • sam & dim : 10h-18h, 15 > 5€ (gratuit -6 ans), fondationfolon.be

POP MASTERS

© Exhibition Hub - 2022

En haut de l'affiche

Courant artistique majeur de la seconde moitié du xxe siècle, né avec la société de consommation et la communication de masse, le pop art n'a peut-être jamais été aussi en vogue - et pour cause. Installée sur la Grande-Place, cette exposition dévoile 150 affiches originales des trois maîtres du genre : Andy Warhol, Roy Lichtenstein et Keith Haring. Ces pièces d'exception sont issues des collections du Musée des arts et métiers de Hambourg, en Allemagne, et certaines n’ont jamais été montrées en Belgique. Des images culte, comme les célèbres Campbell's Soup Cans de Warhol ou Crack is Wack de Keith Haring, fresque dénonçant les ravages de la cocaïne, côtoient des créations moins connues. Au fil de ce parcours thématique (un espace, un artiste) sont ainsi révélées des œuvres commandées par des institutions culturelles dès les années 1960 (théâtres, festivals de cinéma, opéras...) ou des mouvements politiques. On découvre par exemple une série de posters aux couleurs acidulées signées Keith Haring à l’occasion du Montreux Jazz Festival, ou un ticket géant demandé par le Lincoln Center for the Performing Arts à Andy Warhol. Enfin, ce Tintin Reading, réalisé par Roy Lichtenstein en 1993 selon la fameuse technique du point Ben-Day, fait figure de joli clin d'œil à la patrie d'Hergé. Maïssam Mezioud

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