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Le Grand Bleu

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LE MOT DE LA FIN

LE MOT DE LA FIN

La force de l'âge

théâtre & d a n s e

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C'est une saison pas tout à fait comme les autres qui s'ouvre au Grand Bleu. Pour cause, le théâtre estampillé "spectacle vivant pour les nouvelles générations" fête ses trente ans ! L'âge où l'on devient adulte ? Peut-être, mais une chose est sûre : en trois décennies, cette scène lilloise est devenue une référence pour la création jeune public. Son secret ? Des pièces à hauteur de mômes (dès 18 mois !) et d'ados, mais jamais au ras des pâquerettes, offrant un regard pertinent sur le monde tel qu'il va.

« C'est un jardin pour apprendre à grandir », image Grégory Vandaële, le directeur du Grand Bleu – qui, oui, doit bien son nom au film de Luc Besson. Nichée dans le quartier des Bois-Blancs, cette Scène conventionnée d’intérêt national a ainsi provoqué les premiers émois artistiques de plusieurs générations, accompagnant « les jeunes d'aujourd'hui qui feront le monde de demain ». Et ce n'est pas parce qu'ils sont parfois hauts comme trois pommes qu'il faut les rendre pour des poires ! « On vit dans un monde assez tourmenté, pas dans un conte de fées », souligne le directeur. Ici, les spectacles sont ludiques et innovants, entre théâtre, musique, marionnettes ou cirque et surtout n'évitent aucun sujet.

Parmi les 35 propositions de cette saison, Enora Boëlle s'attaque par exemple au plus tabou d'entre eux : la mort. Dans On ne dit pas j’ai crevé, la jeune femme autopsie la "grande faucheuse" avec des mots simples, de la thanatopraxie au funérarium. Tout aussi iconoclaste, Norman c’est comme normal, à une lettre près raconte l'histoire (vraie) d'un petit garçon de sept ans, qui décida un beau jour de porter une robe à l'école,

« On éveille les imaginaires »

attisant l'incompréhension et la méchanceté... « On rit, on pleure, on réfléchit, mais dans tous les cas on éveille les imaginaires ».

Conte à rebours

Pour marquer ses 30 ans, l'équipe du Grand Bleu a concocté un weekend de fête, jalonné de spectacles participatifs – « notre ADN ». La compagnie Shifts s'inspire ainsi des gestes des tout-petits pour composer une chorégraphie ouverte aux parents, soit une grande leçon de spontanéité. Mais cet anniversaire ne s'arrête pas à ces deux jours, irriguant l'ensemble du programme. « On a invité des artistes ou des œuvres qui ont marqué notre théâtre », détaille Grégory Vandaële. L'occasion (peut-être la dernière) de découvrir le cultissime Oh Boy ! de Catherine Verlaguet ou encore Princesse K du Bob Théâtre. Créé en 2008, cette pièce dézingue joyeusement les codes du conte de fées. La jolie princesse, le château, le bois, les méchants… tous les ingrédients sont là, mais pas forcément dans le bon ordre – et c'est tant mieux, non ?

Julien Damien

Le Grand Bleu – Lille, 36 avenue Marx Dormoy, 1 spectacle : 13 > 5€, pass : 10€ (offre un tarif réduit à 7€ par spectacle), www.legrandbleu.com

Sélection / 24.09 : Cie Shifts - Le large, Les Produits de l’épicerie - Portraits hybrides, Knapfla - MIAM !, Amélie Poirier et la Cie de l’Oiseau-Mouche - Madisoning // 24 & 25.09 : Cie Sens Ascensionnels - 30 ans, 30 témoignages // 25.09 : Les Fouteurs de joie - Nos Courses folles 13 > 15.10 : Cie Kokeshi - Les Joues roses // 20 > 22.10 : Enora Boëlle - On ne dit pas j’ai crevé 08 > 11.11 : Bob Théâtre - Rencontre avec Michel B // 17 & 18.11 : Lies Pauwels - Do the Calimero 29.11 > 03.12 : Kosmocompany - Norman c’est comme normal, à une lettre près 09.12 : Cie ARCOSM - Hôtel Bellevue // 15 > 17.12 : Catherine Verlaguet & O. Letellier - Oh Boy ! 20 & 21.12 : Cie Tourneboulé - Comment moi je ? // 11 > 13.01 : Das Plateau - Le Petit Chaperon rouge // 28.01 : Camille Rocailleux - Muances XXL

LA VILLE DES ZIZIS

© Alessia Contu

Vague à l’homme

Déplorant la solitude de son père, Éline Schumacher lui invente une bande de copains. Ils ne se connaissent pas mais vont célébrer sa mémoire lors de son enterrement fictif... Dans cette pièce drôle et tendre, la metteuse en scène belge s’amuse des clichés sur la masculinité, sondant la beauté, la pudeur et la fragilité des hommes.

Qui sera présent à mon enterrement ? Chacun s’est posé la question à l’approche de l’âge adulte. La Belge Éline Schumacher, tout juste la trentaine, y ajoute une dose d’empathie et se demande : qui sera présent à l’enterrement de mon père ? Celui-ci n’a en effet pas d’amis et cet isolement dans lequel il finit sa vie angoisse la jeune femme. Qu’à cela ne tienne, elle décide de lui inventer une bande de potes ! Il en faut bien six pour porter un cercueil, et surtout lui rendre hommage. Elle constitue ainsi un vrai clan. De vieux copains rigolards déboulent alors sur le plateau. D’un constat funeste, la metteuse en scène fait surgir les plus vivants récits, entre conseils de drague et blagues potaches. Ce théâtre azimuté, drôle et sensible, invente de toutes pièces sa propre nostalgie et parvient à transmettre à ses spectateurs des souvenirs certes fictifs, mais forts. Invité par les comédiens à feuilleter l’album photo des 400 coups de ces amis qui n’en sont pas (encore ?), le public traverse le quatrième mur en équilibre entre réalité et fiction, dans un spectacle ponctué d’évocations à la culture populaire. Une véritable ode à la vie, car dans "funeste" il y a

aussi "fun". Mathieu Dauchy

10 000 GESTES

Liberté de mouvements

© Brotherton Lock

C’est une « forêt chorégraphique », pour reprendre les termes de Boris Charmatz. Dans cette pièce créée en 2017, le nouveau directeur du prestigieux Tanztheater Wuppertal Pina Bausch met en scène 25 interprètes effectuant 10 000 gestes, empruntés à la vie quotidienne, professionnelle et à bien d’autres répertoires non-académiques. Des mouvements souvent improvisés, non synchronisés, tous uniques et voués à ne jamais se répéter – bref, disparus aussitôt qu’exécutés ! Autant dire un vrai défi scénique et artistique, « comme une ode à l’impermanence de la danse », souligne le Savoyard. Ce bouillonnement de corps est porté par le Requiem de Mozart, figurant une humanité ici bondissante, là se roulant par terre, embarquée dans un solo d'air guitar, s’embrassant, balançant des coups ou nous adressant à l’occasion un doigt d’honneur... Ce chef de file de la "non-danse" signe là une performance monumentale, célébrant l’éphémère mais inoubliable. L’essence du spectacle vivant, en somme. J.D.

Une saison pour rêver

LE TANDEM

Une rentrée très classe

© Reinout_Hiel One Song

Septembre signe la fin des vacances ? C’est vrai, mais la rentrée marque aussi (et surtout) le retour aux affaires dans les salles de théâtre. Au Tandem, on redémarre avec quelques grands noms et LE spectacle qui a marqué le In d’Avignon : One Song, ahurissante performance sportivo-musicale de Miet Warlop.

Si le festival vauclusien invitait pour la première fois la plasticienne flamande, il n’en est pas de même pour la scène nationale réunissant Arras et Douai. En effet, le Tandem est habitué aux propositions débridées de Miet Warlop. Après les tableaux pleins d’humour de Mystery Magnet et les peluches géantes de Big Bears Cry Too, on transpire volontiers devant One Song. Sur un plateau aux allures de gymnase, des musiciens-athlètes en short se lancent dans une mélodie répétée ad nauseam, tout en naviguant de la poutre au tapis roulant. Pendant ce temps-là, des supporters se déchaînent, une commentatrice s'égosille sans que l’on ne comprenne un mot de son bavardage et un pom-pom boy se dépense comme jamais. En somme, du Miet Warlop dans le texte, et un spectacle qui vire à la transe face à l’épuisement des corps. En amont de ce morceau de bravoure, c’est une pièce plus familiale mais pas moins spectaculaire qui ouvre la saison. Avec Corps extrêmes, le chorégraphe Rachid Ouramdane explore toujours plus les arts du cirque, envoyant dans les airs funambules, acrobates et même une grimpeuse professionnelle. Deux salles, deux ambiances, mais des sensations fortes à tous les étages. Marine Durand

Corps extrêmes de Rachid Ouramdane

Douai, 20.09, Hippodrome, 19h30, gratuit

One Song, Histoire(s) du théâtre IV de Miet Warlop

Douai, 28 et 29.09, Hippodrome, mer : 19h30 • jeu 20h30, 22 > 7 €, www.tandem-arrasdouai.fr

© Ferrante Ferranti

NECESITO, PIÈCE POUR GRENADE

Figure de la danse contemporaine, Dominique Bagouet s’est éteint en 1992. À l’occasion des 30 ans de sa disparition, l’Ensemble chorégraphique du Conservatoire de Paris reprend l’une de ses pièces phares, la dernière de son répertoire. Cette création lui fut inspirée par l’histoire de la ville de Grenade, mais aussi par ses premiers émois de petit garçon, émerveillé devant un spectacle de flamenco sur les Ramblas de Barcelone. Dans un décor évoquant une Espagne imaginaire, sur un sol de marbre, des interprètes en short et robes d’été entament un gracieux ballet, fait de gestes improvisés et empruntant à tous les styles de danse. On y croisera aussi, tels des fantômes, une reine, un émir, une magicienne… Soutenue par une musique arabo-andalouse, la chorégraphie traduit ainsi une joyeuse liberté, de corps comme d’esprit. Julien Damien

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