Lyon, cité radieuse

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que Latine puis aux Indes et au Japon. À Lyon comme ailleurs, le Mouvement moderne international naît de la croissance urbaine, de la révolution industrielle, du passage du rural à l’urbain et de la planification centralisée. Des expériences de Bron-Parilly puis de La Duchère naissent l’essentiel des architectes, dont les œuvres constituent l’apport spécifique de l’architecture lyonnaise au Mouvement moderne international : René Gagès, François-Régis Cottin, Franck Grimal, Pierre Tourret, Pierre Genton, Jean Zumbrunnen, Michel Marin. Se référant explicitement à ce mouvement, refusant tout localisme mais apportant une spécificité liée au génie de ces lieux, leur production architecturale eut, de 1945 à 1968, un impact bien au-delà de ses frontières, de Berlin à Alger.

la maison

de l architecture rhône-alpes

www.editions-libel.fr Dépôt légal : septembre 2010 23,00 euros TTC ISBN 978-2-917659-11-3

Lyon, cité radieuse

sous l’impulsion des exilés du Bauhaus, en Améri-

Jacques ReY

tional prend son envol en Europe, aux États-Unis

une aventure du Mouvement moderne international

À partir de 1945, le Mouvement moderne interna-

la maison

de l architecture rhône-alpes


« Camarades, donnez-nous un art nouveau qui tire de la boue la république… » Wladimir Maïakovski Ordre du jour n° 5 à l’armée de l’Art


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Préface Jean-Louis Cohen

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Sommaire

« Jacques Rey, architecte de l’engagement »

Préambule 9

La Modernité

9

Mouvement et non-école

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International c’est-à-dire mondial

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En France et à Lyon

Chapitre 1

Les avant-gardes lyonnaises 20

Les prémices

20

Les avant-gardistes

30

Émile Malespine et Marcel Michaud

31

L’enseignement de l’architecture

Chapitre 2

Les modernes en action 36

L’éclosion : de la Libération aux années cinquante

37

La Reconstruction

37

La résolution de la crise du logement

37

L’accélération maîtrisée de l’urbanisation

38

Les années du renouveau

40

Le schéma du plan directeur du Groupement d’Urbanisme de la Région Lyonnaise : première manifestation du Mouvement moderne

42

Les concours

44

Les cinq bouleversements de Bron-Parilly

51

L’impact de Bron-Parilly

54

La contestation de l’enseignement Beaux-Arts

66

Portraits de modernes

112 Amitiés et convergences

Chapitre 3

L’apothéose et la crise 122 La Duchère 128 Le triomphe contesté du productivisme 130 L’écroulement de l’École régionale d’architecture 132 Épilogue

Annexes 134 Remerciements pour leur aide et leur mémoire 134 Ouvrages cités ou consultés 134 Archives consultées 135 Origines, pratiques et théories du Mouvement moderne 135 Les principales écoles du Mouvement moderne 138 Les CIAM

140 Lettre de démission des Patrons de l’Atelier de la rue

de Savoie adressée au massier et aux élèves de l’Atelier de la rue de Savoie le 12 octobre 1964, 141 Réponse adressée aux Patrons par les étudiants

le 14 octobre 1964, 141 Manifeste publié par René Ravet et Jacques Rey

138 La doctrine

à l’occasion du vingtième anniversaire de la fermeture

142 Ceux de l’Atelier Gagès-Cottin

de l’Atelier de la rue de Savoie, en 1984.


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Préface Jean-Louis Cohen

Jacques Rey, architecte de l’engagement À l’image d’une centralisation étatique séculaire, l’histoire de l’architecture du xxe siècle en France s’est longtemps limitée aux épisodes intervenus dans la capitale. Cette configuration centripète laissait une place marginale à l’École de Nancy, aux Grands Travaux de Tony Garnier à Lyon, à la peau de léopard des œuvres de Le Corbusier et à quelques reconstructions de l’après 1945. Dès lors que l’histoire de l’architecture contemporaine a acquis droit de cité à l’université et que les écoles d’architecture ont créé, depuis les années 1970, des équipes de recherches engagées dans la connaissance de leur environnement régional, ce paysage monocentré a été bouleversé par une abondance de monographies, de biographies, et d’études consacrées aux villes françaises. Parallèlement à l’essor de la recherche académique, des étudiants et des jeunes professionnels avides d’une meilleure connaissance de leur environnement historique, travaillaient dans une perspective qui était moins celle de la construction de savoirs scientifiques que celle d’une construction de soi en tant qu’architecte capable de penser. Dans le cas de Jacques Rey et de ses compagnons lyonnais du GERAU – Jean-Maur Lyonnet, Pierre Rivet et Michel Roz – et d’autres agences de leur génération, cette construction impliquait à la fois la rupture avec les codes usés de l’École des beaux-arts et l’identification aux professionnels les plus créatifs et les plus respectables de la ville. Mais la construction d’une identité professionnelle dans laquelle était engagé ce groupe n’était pas le seul enjeu. Dans une France sortant à peine des guerres coloniales et conduite par le régime gaulliste, la dimension politique était fondamentale dans la vision du monde et la pratique de cette génération. C’est d’ailleurs dans le champ politique que, venu de Paris peu après 1968 en tant qu’agitateur, je rencontrai Rey et le milieu lyonnais au sein duquel il évoluait, tant dans la jeune Unité pédagogique d’architecture que dans la ville. J’ai suivi depuis avec une attention que n’a pas émoussée la distance les métamorphoses de son engagement dans la profession, dans l’enseignement de l’urbanisme, mais aussi dans la vie politique et associative lyonnaise à laquelle il a contribué avec constance. Fin connaisseur de la chronique architecturale lyonnaise, Jacques Rey n’est pas un historien ou un théoricien de profession, mais bien plutôt un intellectuel organique, au sens qu’Antonio Gramsci donnait à ce terme, dans la mesure où il s’est attaché depuis quatre décennies à penser la contribution de l’architecture à la vie de la métropole lyonnaise. Son itinéraire personnel est celui d’une partie de cette génération dont le parcours a été magistralement étudié par Jean-Louis Violeau dans Les architectes et mai 68, en tout cas pour ce qui est de Paris. Restent à étudier les développements parallèles intervenus dans les grandes villes françaises, où des dizaines de jeunes architectes ont découvert en quelques années, une fois dissipée l’illusion corporatiste entretenue par les filiales régionales des Beaux-Arts, à la fois les forces novatrices de la profession, souvent tenues à l’écart de l’enseignement jusqu’en 1968 et la culture architecturale ou artistique moderne, tout en plongeant dans la vie politique au sein des groupes gauchistes ou du parti communiste. Cette matrice que l’on peut rencontrer sous des formes spécifiques à Nantes, Strasbourg, Marseille ou Toulouse permet de comprendre les transformations intervenues dans un milieu nouveau situé à l’intersection de la profession et des écoles, dans lequel des figures jusque-là absentes sont apparues, comme les sociologues ou les historiens de l’art. Dans le cas lyonnais, la composante historique a été peut-être plus présente qu’ailleurs, avant tout grâce à la présence évidente de l’héritage bâti de Tony Garnier, accessible en version originale, et par les commentaires oraux des vétérans comme Louis Thomas.


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La figure de la rencontre heureuse entre un grand élu et un architecte était ainsi palpable à Lyon, avec les grands équipements édifiés par Garnier pour Édouard Herriot, et le quartier des Gratte-ciel de Villeurbanne, édifiés par Môrice Leroux pour Lazare Goujon. Dans le même temps, la version lyonnaise de la politique des grands ensembles conduite depuis la fin des années 1950 continuait à être caractérisée par une posture expérimentale assez exceptionnelle dans la France des Trente Glorieuses et la génération de Rey pouvait s’identifier sans peine à beaucoup de ses protagonistes. Les pages qui suivent retracent ainsi les voies parallèles selon lesquelles la configuration lyonnaise de la culture architecturale de l’après-guerre s’est constituée, à commencer par les involutions de la branche locale de l’École des beaux-arts, où les conflits parisiens ont trouvé leur reflet dans la rivalité entre l’atelier de Pierre Bourdeix et Louis Piessat et celui de la rue de Savoie, animé par René Gagès et François-Régis Cottin. Rey restitue aussi avec doigté les transformations de la commande publique, des programmes municipaux ambitieux d’Herriot et Goujon à ceux, moins inspirés, de Louis Pradel et Francisque Collomb, dont il ne masque pas la médiocrité parfois abyssale. Il révèle le rôle des réseaux dans lesquels militants, artistes, architectes et intellectuels ont opéré depuis les années 1930 et au travers des épisodes de l’Occupation, mettant en évidence le rôle remarquable de la galerie Folklore fondée par Marcel Michaud – celui des revues et de toutes les formes de la sociabilité intellectuelle lyonnaise. Comme on le verra, Jacques Rey est familier avec les cycles d’invention de ce qu’il est convenu par commodité de dénommer le « Mouvement moderne », en fait un faisceau de courants aussi contradictoires que diffus apparus aux États-Unis et en Europe, dont l’interaction a conduit à la formulation de nouveaux idéaux spatiaux et esthétiques, mais aussi d’une éthique professionnelle dans laquelle les destinataires de l’architecture n’étaient plus les seules classes dominantes. Il met en évidence une certaine continuité entre l’innovation technique des projets de l’entre-deux-guerres et ceux qui suivent trente ans plus tard, mais aussi la conversation engagée avec les artistes comme Claude Idoux, Étienne Martin et Jean Amado. On y voit par exemple la barre, cette invention du xxe siècle, déclinée en de multiples variantes, dont les plus raffinées sont celles de Jean Zumbrunnen à la Part-Dieu. Les recherches plastiques de Pierre Genton, sauf erreur le seul architecte lyonnais figurant dans la Nouvelle architecture française publiée par Maurice Besset en 1967, prennent aussi tout leur sens. Se détachent enfin les expérimentateurs comme Franck Grimal, Cottin ou Gagès, dont les chantiers berlinois marqueront la relation franco-allemande comme en son temps l’intérêt d’Herriot pour la politique urbaine de Francfort. Au travers d’épisodes dont il sait dépeindre de façon vivante acteurs et témoins, Jacques Rey confirme que l’architecture, pratique et culture répondant à la demande sociale, peut échapper à la fois au cynisme affairiste et à la virtuosité creuse.


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Préambule


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Préambule

S’intéressant aux espaces de la vie, l’architecture concerne la mise en forme des meubles, des immeubles, des villes et des territoires. D’ordre esthétique, sa réalité ne se résume pas à l’enjolivement d’objets, de bâtiments, à la décoration d’intérieurs ou d’extérieurs, à l’embellissement de produits conçus dans son ignorance au gré de processus techniques, sociaux ou économiques. Dessinant bâtisses, cités et paysages, l’architecture influe sur les usages, qu’elle a pour fonction de satisfaire. L’architecture des lieux participe à l’imaginaire collectif. Reflet explicite ou implicite des sociétés, expression de leurs espoirs, de leurs crises, de leurs incertitudes, elle peut les contester et les mettre en cause.

« L’architecture est une indication infaillible de ce qui s’est passé à une époque donnée. » Sigfried Giedion « Espace, Temps, Architecture »

« Quoi que fasse une société pour masquer son véritable visage, celui-ci transparaît malgré tout dans son architecture, soit que celle-ci utilise des formes d’expression propres, soit qu’elle essaye d’imiter les époques passées. Nous reconnaissons le caractère d’une époque aussi facilement que l’écriture d’un ami, même s’il s’est efforcé de la déguiser. L’architecture est une indication infaillible de ce qui s’est passé à une époque donnée. » Sigfried Giedion, Espace, Temps, Architecture.

La signification des formes naturelles ou construites n’est ni universelle ni intemporelle. Elle évolue au fil des ans, des circonstances historiques, des successives représentations que se font d’elles-mêmes et de leurs devenirs, les sociétés et les individus qui les habitent. « La forme est une question de fond. » Friedrich Nietzsche Architecturer les objets et les lieux de la vie, les villes et les territoires, c’est sublimer leur simple valeur d’usage, c’est signifier, par les voies du silence, des valeurs de civilisation. L’architecture participe à l’image positive ou négative d’un quartier et de ses habitants. Elle peut ré-enchanter un lieu en déshérence, tel le musée Guggenheim à Bilbao, fleur d’espérance émergeant des ruines industrielles. L’évolution du regard sur les grands ensembles confirme cette assertion. Les tours et les barres symbolisaient, à leur naissance, la cité idéale. Elles deviennent l’expression symbolique de la crise urbaine, de la cité rejetée. Leur démolition en fanfare, à partir des années 1990, signifie pour beaucoup l’exécution de la Charte d’Athènes condamnée pour les crimes qu’elle avait inspirés. À l’orée du xxie siècle, la tour de Santiago Carrillo à Malmö s’élevant dans le ciel suédois symbolise le renouveau postindustriel d’une cité en déclin. Activité mêlant en une permanente dialectique, la technique et le culturel, le conscient et l’inconscient, le politique et le poétique, l’architecture relève d’un processus créatif et perturbateur impliquant des positions et des interventions volontaires sur les phénomènes sociaux. Elle est fondamentalement culturelle. Comme tout art plastique, qu’elle soit domestique ou urbaine, paysagère ou construite, l’architecture exprime les contradictions et les imaginaires des civilisations. Réduite, par l’illusion scientiste des bureaucraties et le volontarisme productiviste de politiques et d’entrepreneurs, à n’être qu’une solution technique aux besoins matériels, aux heurts et malheurs de la ville, l’architecture perd son identité culturelle et, partant, sa pertinence sociale.


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Activité créatrice de formes, l’architecture s’alimente des découvertes techniques et scientifiques, des idéologies, des utopies, des représentations du monde. Elle est liée au regard que portent ses concepteurs sur les territoires qui l’inspirent et l’environnent.

La Modernité Amorcée au xviiie siècle, la révolution industrielle bouleverse l’organisation des hommes et de leurs environnements. La brutalité du passage du rural à l’urbain, la violence sociale de la transformation du paysan en prolétaire, émeut les créateurs qu’ils soient écrivains, peintres ou architectes. Ils sont écartelés entre un enthousiasme face au développement des sciences et des techniques et un rejet de la misère consécutive à l’urbanisation sauvage et à l’exploitation violente des énergies humaines. Pour résoudre cette contradiction, Claude-Nicolas Ledoux imagine « la ville idéale » d’Arc-et-Senans, Jean-Baptiste Godin « le familistère de Guise », Tony Garnier « la cité industrielle », Le Corbusier « la cité radieuse ». Les alternatives au drame social de la révolution industrielle avaient toutes pour ambition de mettre le progrès au service de la cité des hommes. Choquant les conformismes par la radicalité de leurs propositions, ces utopistes provoquent des débats passionnés, des polémiques sur le caractère révolutionnaire des formes qu’ils proposent pour les objets du quotidien, les habitats, les villes et les territoires. En Allemagne, par exemple, éclate « la guerre des toits » entre les tenants d’une tradition liés aux syndicats corporatifs partisans des toits pentus germaniques et ceux de la modernité proches des syndicats révolutionnaires, préconisant des toits terrasses dans la lignée d’un Bauhaus combattu, pour cette raison, par les Nazis. En Union Soviétique, une querelle théorique divise les urbanistes voulant prendre en compte la ville historique et les « désurbanistes », mettant en cause le concept même de ville qui caractérise à leurs yeux l’aliénation spatiale capitaliste. Joseph Staline impose un réalisme socialiste d’essence néoclassique face à la modernité rationaliste des architectes constructivistes qui sont alors évincés. Dans la France encore rurale d’avant la Seconde Guerre mondiale, le Mouvement moderne ne trouve pas de relais politique comparable. L’essentiel du débat se cristallise autour de Le Corbusier, hégémonique symbole de la modernité. Cet architecte, très communicant, popularise ses idées modernistes par des publications et des réalisations manifestes. Néanmoins, le débat culturel sur ce thème agite essentiellement l’intelligentsia parisienne amatrice d’art avant-gardiste.

Mouvement et non-école Ce mouvement se désigne « moderne » au sens strict du mot, c’est-à-dire se revendiquant adapté au temps présent et particulièrement à la révolution scientifique et technique liée à la révolution industrielle. Contemporain de la révolution d’Octobre et des bouleversements succédant à la guerre de 1914, il s’apparente aux autres utopies transformatrices du monde, particulièrement celles héritières du saint-simonisme, imaginant mettre l’industrie, la technique et la science au service des hommes.

« Le costume national doit céder la place à la mode internationale. » Walter Gropius


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Préambule

« L’architecte ne peut créer que s’il écoute et que s’il comprend la voix de millions d’hommes. »

Parc, assuré de l’appui politique de son ami Laurent Bonnevay – éternel Président du Conseil général du Rhône – choisit la région lyonnaise pour expérimenter les principes du Mouvement moderne sous leur formulation corbuséenne. Marginalisant les traditionalismes locaux se référant à Tony Garnier, le très volontariste ministre s’adresse à de jeunes et enthousiastes talents ayant, dès leurs études, et à l’encontre de l’enseignement académique, adhéré aux idées de la modernité, essentiellement résumées à celles de Le Corbusier. L’homme lige de cette aventure est une ancienne recrue de la deuxième Division Blindée, un méridional venu s’installer presque par hasard à Lyon : Franck Grimal, Pierre Chareau bientôt rejoint par un lyonnais, René Gagès. Tous deux fréquentent la galerie Folklore. Pour échapper au conservatisme d’un Édouard Herriot vieillissant, ils sont chargés par la direction départementale du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme d’étudier le nouveau plan d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise conformément aux principes de la Charte d’Athènes. En 1950, tous deux constituent une équipe pour concevoir et mettre en œuvre l’opération expérimentale de référence de Bron-Parilly. Dans le même temps, avec l’appui du même ministre et du député progressiste savoyard Pierre Cot, deux architectes également corbuséens – un pur savoyard Laurent Chappis, nommé par la suite architecte-conseil du Rhône, et un émigré parisien venu se soigner en Savoie, Denis Pradelle – étudient la station sociale sportive de Courchevel. Plus tard, devenu maire de Firminy, Eugène Claudius-Petit lance, sous les auspices de Le Corbusier, le projet de Firminy-Vert. Cette irruption de la modernité dans un milieu traditionnel et provincial bouleverse tout le mode de production, de l’agence d’architecture à l’entreprise de construction. Elle exerce une influence réformatrice sur un enseignement de l’architecture figé dans un conformisme académique professé par des épigones de Tony Garnier au sein d'une École régionale d’architecture participant d’une École municipale des beaux-arts ignorante de Picasso et de Le Corbusier. Dès 1949, sous l’égide d’un des leurs, René Ravet, des étudiants se revendiquant de Le Corbusier et d’une nouvelle architecture américaine découverte en même temps que le jazz au centre culturel américain de Lyon, amateurs d’art contemporain, lecteurs de L’Architecture d’Aujourd’hui, passionnés par l’expérimentation de Bron-Parilly, se révoltent contre l’enseignement académique prodigué à l’École régionale d’architecture et à l’unique Atelier extérieur lyonnais dirigé par Pierre Bourdeix et Louis Piessat. Ils fondent à Lyon ce qui n’existait alors qu’à Paris : un second Atelier extérieur, récusant l’enseignement de l’Atelier Tony Garnier. Ce nouvel Atelier se réfère explicitement et par principe au Mouvement moderne international et fait appel, comme enseignant, à un jeune architecte réputé pour ses idées modernes, René Gagès, qui demande à un autre partisan de cette forme de modernité de le rejoindre, François-Régis Cottin, trop récemment diplômé aux yeux de l’administration. Ainsi naît dans la région lyonnaise un mouvement se référant explicitement au Mouvement moderne international, refusant tout localisme mais apportant une spécificité liée au génie de ces lieux. De 1945 à 1968, ce mouvement eut un impact bien au-delà de son territoire, de Berlin à Alger. Son aventure constitue le propos de cet ouvrage.


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Chap.1

Les avant-gardes lyonnaises


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Chap.1 — Les avant-gardes lyonnaises

Les prémices À Lyon, comme partout en France, au xixe siècle, l’Académisme est contesté par le Romantisme qui remet à l’honneur le Moyen Âge sous l’égide d’Eugène Viollet-le-Duc. Dans la deuxième partie de ce siècle, quelques architectes illustrent dans le contexte local cette tendance : Gaspard André construit en néo-roman le temple protestant du quai Victor Augagneur et l’église Saint-Joseph des Brotteaux ; Pierre-Marie Bossan, architecte atypique, est l’auteur de la première église néo-gothique de Lyon dans le quartier de Saint-Georges, d’un bel immeuble d’angle de la place Benoît Crépu et surtout de la célèbre basilique de Fourvière ; enfin, Eugène Huguet est l’architecte du conservatoire de musique du quai de Bondy et le fondateur de l’École régionale d’architecture de Lyon. Ces architectes sont les premiers à sortir du carcan traditionnel de l’Académie dans tout ou partie de leurs projets.

Les avant-gardistes Le début du xxe siècle est dominé par la forte personnalité de Tony Garnier qui présente en 1904 son projet de « cité industrielle », publié en 1917. Pour la première fois en France, depuis les Salines d’Arc-et-Senans de Claude-Nicolas Ledoux, est imaginé et formulé un projet de ville idéale inspiré par la révolution industrielle n’ayant pas pour objet de célébrer cette mutation, mais d’utiliser ses avancées scientifiques et techniques pour résoudre les questions sociales qu’elle avait engendrées. Proche d’Émile Zola, mais plus urbain que Jean-Baptiste André Godin et son phalanstère, Tony Garnier invente une urbanité saint-simonienne. Bien que Garnier n’ait jamais produit d’écrits théoriques, l’essentiel des concepts que préconise quarante ans plus tard la Charte d’Athènes figure déjà dans ce projet, notamment : la collectivisation du sol, la division de la ville en secteurs spécialisés (logements, équipements, industries) ainsi que la prise en compte des infrastructures de transports routiers, ferrés et fluviaux. La ville ancienne est marginalisée. Sans église, sans prison, sans palais, la nouvelle urbanité célèbre les assemblées démocratiques, les équipements culturels et les lieux de la mobilité : stations d’autobus et de chemin de fer, voie navigable. Tony Garnier utilise le béton, mais sous sa forme lyonnaise : le béton banché de gravier ou de mâchefer, dont la résistance à l’écrasement est faible et ne peut être utilisé en structure dalles et poteaux, base du fameux Dom-ino et du plan libre caractérisant, dès 1914 pour Le Corbusier, l’architecture moderne. Peu attiré par la technique, utilisant les modes de production locale traditionnels, Garnier ne s’intéresse pas vraiment aux implications constructives des évolutions technologiques. Michel Roux-Spitz dira plus tard qu’il n’était pas « un constructeur ». Son langage architectural reste d’inspiration néoclassique, mais est épuré de toute intention décorative et libéré des références académiques (ordres gréco-romains, etc.). Il généralise les toits terrasses en référence à l’ambiance méditerranéenne qui le fascine.

« La forme est une question de fond. »

Friedrich Nietzsche

Pour toutes ces raisons, Tony Garnier, bien que précurseur, ne participe pas réellement au Mouvement moderne international qui se développe après la guerre de 1914. Son influence s’exerce fortement dans l’enseignement. Il est nommé en 1906 professeur de construction à l’École régionale d’architecture et, dans le premier


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Atelier extérieur lyonnais, assistant d’Eugène Huguet, auquel il succède à ce poste en 1921. En 1937, il est remplacé par Pierre Bourdeix. À partir de 1920, Tony Garnier étudie avec Camille Chalumeau, ingénieur en chef, le projet des grands travaux de la ville de Lyon. Ce plan concerne les grandes infrastructures. Sa proposition la plus spectaculaire, le tracé du boulevard Laurent Bonnevay, sera réalisée, tandis que le prolongement de la rue de la République jusqu’au sommet de la Croix-Rousse, où est prévu un monument aux morts de la guerre de 1914, ne verra jamais le jour. Ce mémorial sera érigé sur l’île des Cygnes dans le parc de la Tête d’Or en 1930, Jean Larrivé, directeur de l’École des beaux-arts de Lyon en sera le sculpteur.

« Une seule œuvre, par une seule volonté à la taille des nécessités sociales de l’époque. » Georges-Henri Pingusson

De 1933 à 1936, il construit la cité des États-Unis de part et d’autre de la route reliant Lyon à Vénissieux. Ce projet, bien que densifié par Édouard Herriot pour équilibrer le bilan financier, est considéré comme un morceau de « la cité industrielle ». Il met en œuvre des idées que Garnier partage avec le Mouvement moderne et que Le Corbusier appliquera à Chandigarh, notamment la hiérarchisation des voiries, du boulevard à grande vitesse recevant le tramway à la rue intérieure piétonne. L’unité de base est un logement familial dont le plan diffère radicalement de l’appartement bourgeois. Toutes les pièces s’organisent autour d’un séjour ouvrant sur une loggia. La cuisine devient un laboratoire ouvert sur la pièce à vivre. Tous les appartements disposent d’un WC intérieur et laissent la place pour une salle de bain que les contraintes budgétaires ne permettent pas de réaliser dans l’immédiat. Bien que guidé par des préoccupations sociales qu’il partage avec la tendance saint-simonienne de la bourgeoisie radicale lyonnaise et avec le christianisme social de son assistant Louis Thomas, Tony Garnier n’a ni pensée, ni engagement politique. L’historien Kenneth Frampton se trompe quand il désigne « la cité industrielle » comme une cité socialiste. Celle-ci est véritablement réalisée, de 1931 à 1934, par le maire de Villeurbanne, Lazare Goujon, sur les plans d’un inconnu, l’inclassable architecte Môrice Leroux. Cet ensemble constitue l’unique exemple français d’utopie urbaine socialiste plus proche du Karl Marx Hof de Vienne que de « la cité industrielle » ou même du phalanstère fouriériste dont s’inspirera plus tard « la cité radieuse ». Georges-Henri Pingusson, auteur de ce manifeste de la modernité qu’est en 1932 l’hôtel « Latitude 43 » sur les hauteurs de Saint-Tropez, écrit à propos de ce projet dans L’Architecture d’Aujourd’hui de septembre 1934 : « Œuvre d’envergure où passe le souffle si rare de la grandeur. Une seule œuvre, par une seule volonté à la taille des nécessités sociales de l’époque. » Contrairement au quartier des États-Unis, dont il est contemporain, le quartier des Gratte-ciel traduit une vision politique de l’architecture et de l’urbanisme. L’intimité est limitée. Le logement est volontairement de surface et de type minimum, tandis que la vie sociale est favorisée par un réseau dense de coursives et de rues irriguant de grands équipements comme le théâtre, la piscine, le palais du travail.


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Chap.1 — Les avant-gardes lyonnaises

Immeuble d’habitation. Plan des étages, coupe et dessin. Emmanuel Cateland, architecte. 1911 – Lyon 9e © SAAL

Projet de gratte-ciel. Grande Rue de la Guillotière. Emmanuel Cateland, architecte. © SAAL

Le pouvoir politique est mis en scène au cœur de la cité en une architecture monumentale se référant à l’académisme et ponctuant le ciel d’un beffroi. Un orgue permet de célébrer avec faste le mariage civil. La structure métallique des bâtiments, inspirée des immeubles de bureaux américains, les cloisons non-porteuses en brique creuse sont des dispositions constructives totalement novatrices. La cité est dotée de la première centrale thermique distribuant chaleur et eau chaude à tous les appartements. La clarté rationnelle d’une architecture d’ombre et de lumière célèbre l’optimisme radieux de la cité ouvrière face à la sombre ville bourgeoise voisine. D’autres réalisations de moindre importance échappent aussi à l’hégémonie « garniesque », s’apparentant plus explicitement aux courants modernes internationaux. En 1906, l’architecte G. Bouilhéres construit dans le quartier des Brotteaux, à l’angle des rues Tronchet et Créqui, le siège de Descours, Genthon et Compagnie. L’architecture de cet immeuble, dont la structure métallique par point est réalisée par les entreprises Eiffel, s’inscrit dans la lignée des réalisations de Louis Sullivan, l’un des inventeurs des gratte-ciel de Chicago. En 1907, à l’occasion du congrès, organisé à Lyon, de l’Alliance d’hygiène sociale, G. Bouilhéres, alors architecte divisionnaire du département du Rhône, transforme, dans le quartier de la Guillotière, un « taudis » en « maison ouvrière hygiénique », accompagnée d’un « jardin ouvrier » aujourd’hui disparu. Le chantier est réalisé par les Associations Ouvrières de Lyon. Dans le cadre de cette manifestation, cette initiative doit servir d’exemple à la rénovation des logements insalubres.


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Immeuble d’habitation. Pierre Renaud, architecte. 1918 – Lyon 2e © SAAL

Villa Vignon. Joseph bissuel et Joseph Chantre, architectes. 1913 – Saint-Germain au Mont d’Or © SAAL


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Chap.1 — Les avant-gardes lyonnaises

Villa du directeur de l’École municipale de Tissage. Jean Faure, architecte. 1929 – Lyon 1er © Georges Fessy

En 1911, Emmanuel Cateland construit sur les bords de la Saône, dans le quartier de Vaise, le premier immeuble lyonnais exprimant les capacités esthétiques et constructives du béton armé. Comme le fera plus tard Le Corbusier, le toit terrasse est accessible et d’usage collectif. Cette architecture échappant à toute référence néoclassique s’apparente à celle d’Adolf Loos à Vienne. Les jeunes architectes corbuséens des années 40, contestant l’influence de Tony Garnier, revendiqueront comme leur véritable formateur Emmanuel Cateland, qui fut ce que ne sera jamais Tony Garnier : professeur de théorie architecturale à l’École régionale d’architecture de Lyon. En 1913 l’architecte lyonnais Joseph Bissuel, associé à Joseph Chantre, réalise à Saint-Germain au Mont d’Or la villa Vignon, d’une architecture très proche de celle de Frank Lloyd Wright. De 1925 à 1939, dans un univers dominé par le couple problématique Garnier-Herriot, émergent régulièrement des projets utilisant des techniques traditionnelles de construction, mais contenant les prémices d’un Mouvement moderne encore ignoré dans la ville, comme les fenêtres horizontales ou les fenêtres d’angle : Pierre Renaud élève ainsi en 1928, à l’angle des rues Sala et Victor Hugo, un immeuble moderne en béton armé. En 1929, un architecte collaborateur de Tony Garnier, Jean Faure, échappant à l’influence du maître, construit le premier manifeste lyonnais du Mouvement moderne : la villa du directeur de l’École municipale de Tissage. Par sa structure et ses ouvertures, ce petit bâtiment à toit terrasse s’inscrit dans la lignée du Bauhaus.


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Chap.1 — Les avant-gardes lyonnaises

Les jugements de l’École régionale d’architecture de Lyon se déroulent désormais à Lyon.

École nationale supérieure des beaux-arts. Exemples d’exercices demandés. 1951 – 1960

Durant cette même période, les étudiants « modernistes » se manifestent clairement : ils s’abonnent, dès sa créa© Jacques Rey tion en 1942, à Techniques et Architecture et suivent les activités de la galerie Folklore. Pour exprimer, à l’Atelier dirigé depuis 1937 par Pierre Bourdeix, leurs prises de positions antiacadémiques, ils dessinent courageusement des façades dissymétriques en réaction à la symétrie académique des façades monumentales du type de celle de la nouvelle mairie de Villeurbanne du Grand Prix de Rome Robert Giroud. C’est souvent dans le sujet de leur diplôme que s’exprime, avec plus de force, leur empathie pour la modernité. Ainsi, un des futurs propagandistes du Mouvement moderne, René Gagès, choisit en 1946 pour cet ultime exercice scolaire de concevoir un studio de cinéma. En 1942, deux étudiants, Jean Zumbrunnen et Michel Marin, tentent sans succès la création d’un nouvel Atelier extérieur 10 rue du Bon Pasteur sur les pentes de la Croix-Rousse, l’Atelier Cateland Ristich. La Libération, amorçant la Reconstruction et l’urbanisation accélérée de la France, créera les circonstances historiques qui offriront la possibilité à tous ces jeunes acteurs formés avant et pendant la guerre, de passer de la théorie à la pratique.


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Chap.2

Les modernes en action


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Chap.2 — Les modernes en action

L’éclosion : de la Libération aux années cinquante

« L’urbanisme, c’est le mot pompeux qu’on donne à la voierie. »

Lyon est libéré le 3 septembre 1944. Délivré par les Soviétiques, Édouard Herriot retrouve à 73 ans, en mai 1945, son siège de maire. L’homme est âgé. Jusqu’à son décès en 1956, l’initiative municipale en matière d’urbanisme se limite à la reconstruction de la place Jean Macé, à la construction de l’axe nord-sud et à l’achèvement du tunnel sous la colline de la Croix-Rousse. Après sa rupture en 1936 avec le maire de Lyon, Tony Garnier, malade, s’est retiré dans sa maison de Cassis dans le midi, où il meurt en 1947.

Édouard Herriot

Sous le régime de Vichy, la loi du 15 juin 1943 obligeait les villes de plus de 10 000 habitants de se doter d’un plan d’aménagement élaboré par un homme de l’art. À Lyon, Jacques-Henri Lambert, architecte urbaniste parisien, est désigné pour cette tâche. Ce plan d’aménagement de l’agglomération lyonnaise, présenté en avril 1944 au conseil municipal de Lyon, s’intéresse essentiellement aux questions de voiries et au transit nord-sud, préconise le transfert du marché de gros installé sur les quais de Saône à Perrache et l’urbanisation de deux sites : l’un à la Croix-Rousse ; l’autre à Champagne au Mont d’Or où se construira par la suite le grand ensemble de La Duchère. Après la Libération, ce plan remodelé est exposé le 5 mars 1947 aux nouveaux élus. Le maire Édouard Herriot le refuse, le considérant comme trop onéreux, et remercie Jacques-Henri Lambert. Malgré les interventions de Louis Piessat, architecte professeur à l’École régionale d’architecture et directeur délégué du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), la plupart des options du plan Lambert sont remises en cause. Celui qui avait été le maire de Tony Garnier, qui, en 1912, avait participé à la création de la Société française des Urbanistes et organisé en 1914, à Lyon, l’exposition internationale de la ville, avait bien changé lorsqu’il déclare après la guerre : « L’urbanisme, c’est le mot pompeux qu’on donne à la voirie ». En application de ce principe, il charge les services municipaux de la voirie de l’actualisation du plan Chalumeau de 1935. La mission est confiée à Hector Plan, chef de chantier employé au service de la voirie depuis 1912. À cette date, il avait été engagé, à titre provisoire, comme dessinateur « aide-géomètre». Sa culture professionnelle avait été acquise sur le tas au service des plans et alignements. Pierre Verrier, 60 ans, est maintenu dans son poste d’architecte en chef de la ville. Il est remplacé en 1952 par Louis Weckerlin, 43 ans, architecte et élève de Tony Garnier. Les nouvelles orientations publiques émanent du gouvernement, des administrations centrales et de leurs délégations locales. À Lyon, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) n’hésite pas, quand il le faut, à contourner Édouard Herriot qui, antigaulliste, est considéré comme un survivant nostalgique de la IIIe République. C’est son successeur, Louis Pradel, qui reprendra l’initiative en matière d’aménagement. Dans la région lyonnaise, comme partout en France, l’objectif politique fixé par l’État au secteur de la construction, aux entreprises, aux techniciens, aux architectes et urbanistes est de s’organiser pour assumer trois enjeux de politique urbaine : la reconstruction, la résolution de la crise du logement et l’accélération maîtrisée de l’urbanisation.


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La Reconstruction À la Libération, il faut reconstruire d’urgence les infrastructures et les quartiers victimes des destructions. À Lyon, l’armée allemande en déroute a fait sauter les ponts. Le 26 mai 1944, les bombardements alliés ont détruit l’avenue Berthelot, la place Jean Macé dans le quartier de la Guillotière, la gare et l’église de la place de Paris dans le quartier de Vaise. Cette première phase de reconstruction autour de la place Jean Macé est confiée à des architectes de l’école Tony Garnier ayant exercé avant la guerre : P. et R. Labrosse, Marius Bornarel, Perole et Martel. Les méthodes de construction restent traditionnelles. On utilise le béton banché et l’architecture oscille entre un néoclassicisme quasi stalinien et le style moderniste de ceux qui veulent se mettre au goût du jour.

La résolution de la crise du logement Il s’agit de résoudre au plus vite une crise aiguë du logement provoquée par la surpopulation, l’état sanitaire désastreux et la vétusté des habitats existants. À Lyon, ce mal touche non seulement les quartiers historiques du vieux Saint-Jean et de la rue Mercière, mais aussi ceux de la rive gauche du Rhône. Aux Brotteaux, quartier considéré comme bourgeois, derrière les avenues monumentales du plan Morand, des masures en pisé, des taudis subsistent. Depuis le xixe siècle, ces bâtisses sont démolies peu à peu et dans le plus grand désordre, au gré des mutations foncières ou des besoins et des stratégies immobilières des Hospices Civils de Lyon (HCL), propriétaire, par donations successives, de la plupart des terrains. Dès 1907, l’architecte G. Bouilhéres, dans son intervention au Congrès de l’Hygiène Sociale, dénonce les pratiques des HCL se finançant par la location de leurs terrains sur le dos des pauvres.

L’accélération maîtrisée de l’urbanisation Pour toutes les forces politiques issues de la Résistance, la nécessaire modernisation du pays implique l’accélération de l’urbanisation. Dans l’agglomération lyonnaise, l’exode rural en provenance des campagnes alentour et l’immigration issue de l’empire colonial ou de pays européens, aspirée par les besoins de l’industrie, génèrent la formation de bidonvilles le long du boulevard de ceinture, le boulevard Laurent Bonnevay. Dès 1945, le MRU est créé et confié à Raoul Dautry, ancien haut fonctionnaire s’étant illustré en particulier à la SNCF. Sont alors mises en place des délégations, départementales ou interdépartementales. L’architecte Louis Piessat, émule de Tony Garnier, est nommé directeur délégué du MRU en charge des départements du Rhône, de la Drôme et de l’Ardèche, et Jean Revillard urbaniste en chef de la délégation régionale du MRU. En 1948, ce dernier fonde l’Atelier régional d’urbanisme, où il engage Franck Grimal ingénieur architecte, ainsi que son assistant Buguet, technicien dont il avait été très proche à l’École spéciale des travaux publics à Paris en 1931. Franck Grimal est un acteur déterminant de l’émergence lyonnaise du Mouvement moderne international. Originaire de Roquefort dans l’Aveyron, il apprécie par tradition familiale la culture moderne en musique, littérature et en peinture, dont il avait découvert les milieux lors de ses études à Paris. C’est pourquoi à Lyon, Franck Grimal fréquente assidûment la galerie Folklore et se lie d’amitié avec Marcel Michaud.


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Chap.2 — Les modernes en action

Portraits de modernes Il est impossible de dresser la liste, parfois surprenante, des architectes lyonnais qui, à un moment ou à un autre de leur carrière, se sont intéressés au Mouvement moderne international en tant que tendance architecturale, et de ceux dont les œuvres ont été influencées par ses théories et son esthétique. Il semble plus intéressant de présenter en détail les architectes les plus emblématiques, ceux qui, par le caractère volontairement manifeste de leurs œuvres, leurs prises de positions professionnelles et leurs écrits, ont constitué dans l’agglomération lyonnaise une avant-garde prosélyte de ce mouvement. Il s’agit de présenter des créateurs et leurs œuvres : René Gagès, Franck Grimal, FrançoisRégis Cottin, Pierre Tourret, Pierre Genton, Jean Zumbrunnen, Michel Marin. D’autres architectes, ne se référant pas explicitement à cette tendance, l’ont cependant exprimée dans tout ou partie de leurs projets, ils sont présentés un peu plus loin.

Résidence Claire. Atelier René Gagès : Gabriel Roche, architecte. Claude Idoux, Maxime Descombin, plasticiens. 1965 – Lyon 3e © Georges Fessy

René Gagès (1921 – 2008)

René Gagès n’est pas né dans un milieu architectural. Son père était comptable. Il rentre à 16 ans, en 1937, en classe préparatoire de l’École régionale d’architecture. Ayant réussi l’examen d’entrée à l’École en 1939, il intègre l’Atelier Tony Garnier. Il y fait la connaissance de François-Régis Cottin. Depuis 1937, Tony Garnier auteur de la « cité industrielle », malade et retiré à Cassis, a été remplacé par Pierre Bourdeix et ne fait avant sa mort en 1947 que de rares apparitions. Le professeur qui les marque le plus est l’architecte Emmanuel Cateland, qui leur enseigne la théorie architecturale. Les deux étudiants découvrent ensemble Le Corbusier dont ils essayent d’appliquer les méthodes, différentes de celles enseignées aux Beaux-Arts, dans leurs projets de première classe. Ils rejettent aussi bien le « monumentalisme » à la Roux-Spitz que le régionalisme en vigueur sous Vichy. Leurs projets scolaires ne sont plus symétriques, mais dissymétriques. Ils s’interrogent sur la pertinence de programmes d’études ignorant l’urbanisme et le logement. Ces jeunes étudiants découvrent, souvent par la lecture, que le Mouvement moderne correspond à leurs interrogations, à l’esprit de leur époque, que Le Corbusier est plus révolutionnaire que Tony Garnier dont l’écriture architecturale ne se distancie pas suffisamment de l’académisme dominant. Pour son diplôme, en 1947, René Gagès étudie un studio de cinéma.

Résidence Claire. Pignon : Claude Idoux. Atelier René Gagès : Gabriel Roche. 1965 – Lyon 3e © Georges Fessy

Se revendiquant du Mouvement moderne, cette nouvelle génération met fin à L’école lyonnaise située dans la mouvance de Tony Garnier. Parce qu’il en a été l’un des premiers défenseurs, face à l’enseignement Beaux-Arts, Gagès bénéficie d’une aura toute particulière auprès des étudiants d’après-guerre épris de modernité. Pour lui, le meuble fait partie du champ d’intervention de l’architecte moderne. Il dessine des meubles métalliques qu’il propose, en 1949, à la galerie Folklore, producteur et diffuseur du mobilier de Marcel Breuer, d’Alvar Aalto et de Charlotte Perriand.


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La rencontre avec Marcel Michaud élargit son horizon sur l’art moderne. Son talent graphique et sa sensibilité dans l’usage de la gouache ainsi que l’intérêt qu’il porte au rôle de la couleur dans l’architecture et la ville, le rapprochent des peintres de la galerie, particulièrement d’Albert Le Normand et de Claude Idoux qui, en 1943, exposaient ensemble à la galerie Folklore ; des sculpteurs Étienne Martin, Jacques Bouget, Jean Amado (qui travaille aussi avec Fernand Pouillon son voisin à Aix-enProvence) ; du photographe stéphanois Ito Josué, du designer Jean-Claude Vincent et du critique d’art Jean-Jacques Lerrant. Amateur passionné de jazz, Gagès se réfère souvent à la phrase de Walter Gropius : « Architectes, peintres, sculpteurs doivent découvrir le caractère foncièrement complexe de l’Architecture » et à celle, qui s’avère plus ambiguë, de Le Corbusier, « Que la grande Industrie s’empare du bâtiment ». Il participe aux activités de l’Académie du Minotaure, animée par les peintres René-Maria Burlet et Albert Gleizes. Dans ce cadre, il entreprend des recherches sur la couleur et la ville. Le peintre Claude Idoux joue un rôle particulièrement important. Ce peintre, né en 1915, devient en 1961 esthéticien-conseil permanent de l’Atelier d’architecture et d’urbanisme René Gagès. De 1958 à 1965, après l’avoir créée avec Claude Daane sur le modèle du Bauhaus, il anime une section d’esthétique industrielle à l’École des beaux-arts de Besançon. De 1966 à 1968, il enseigne à Paris à l’École nationale supérieure d’architecture dans le cadre du Groupe C où, autour de Georges Candilis, se sont regroupés tous les étudiants d’avant-garde qui deviendront les vedettes de la fin du siècle : Antoine Grumbach, Jean Nouvel, Christian de Portzamparc, etc. Puis, à partir de 1969 à UP6. En 1947 Gagès est choisi par Franck Grimal pour travailler avec lui à l’Atelier régional d’urbanisme. Ensemble ils conçoivent et mettent en œuvre l’opération expérimentale de Bron-Parilly. Résidence Claire. Atelier René Gagès : Gabriel Roche, architecte. Claude Idoux, Maxime Descombin, plasticiens. 1965 – Lyon 3e © Georges Fessy

À la demande d’étudiants rejetant l’enseignement académique, il dirige, de 1950 à 1964 avec François-Régis Cottin, un Atelier d’école extérieur, combattant pour la modernité face au traditionalisme de l’École des beaux-arts. De 1965 à 1968, toujours avec l’appui des étudiants, il devient le Patron de l’Atelier Tony Garnier. Dès ses études, au travers de Le Corbusier, il a découvert le Mouvement moderne international dont il se réclamera toute sa carrière. Marcel Michaud lui fait découvrir le Bauhaus et rencontrer à la galerie Folklore un élève suisse de cette célèbre école : l’architecte-designer Max Bill, cofondateur après la guerre de l’école d’Ulm, héritière du Bauhaus. En 1958, il voyage à Chandigarh avec Le Corbusier, qu’il a déjà et à maintes occasions rencontré comme architecte-conseil départemental lors du chantier du couvent de la Tourette. Au cours de ce voyage dans la capitale du Pendjab, il fait la connaissance de Pierre Jeanneret, cousin et collaborateur du grand architecte. René Gagès est plus un poète au sens grec du terme, c’est-à-dire un inventeur de projets, qu’un constructeur. C’est pourquoi il est naturellement plus attiré par Le Corbusier, puis par Hans Scharoun, que par Auguste Perret.


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En 1955, il quitte la structure où il est associé à Franck Grimal autour du projet de BronParilly, pour fonder sa propre agence. Il y emploie des étudiants de son Atelier d’école. Avant même qu’ils soient diplômés, il s’associe à eux au sein d’un Atelier de groupe inspiré de l’AUA : l’Atelier d’Architecture et d’Urbanisme René Gagès, qui sera dissous en 1968. Chacun des architectes associés est autonome. Gagès, bien que respectant les idées les plus audacieuses, reste cependant le directeur de pensée de cette agence, véritable laboratoire de recherche. « En dépit des contingences, il n’hésitait pas à pousser ses collaborateurs à s’aventurer dans des démarches nouvelles, montrant ainsi des qualités de persuasion dont il avait le secret. De ses voyages à l’étranger, notamment à Chandigarh avec Le Corbusier, des missions qui lui furent confiées par le ministère, de son intérêt pour tous les arts, il acquit une grande ouverture d’esprit qu’il faisait partager à ses collaborateurs élèves. » Gabriel Roche, le bulletin de la Société Académique d’Architecture de Lyon Sa participation au concours de « Berlin-Capitale » ayant été remarquée, il est retenu pour de grandes opérations à Berlin-Ouest. Il y fonde une agence et découvre in situ le Bauhaus et Hans Scharoun. À l’occasion d’une étude pour le « Gropiusstadt » en 1966, il rencontre Ludwig Mies van der Rohe et Walter Gropius. Résidence Claire. Atelier René Gagès : Gabriel Roche, architecte. Claude Idoux, Maxime Descombin, plasticiens. 1965 – Lyon 3e © Georges Fessy

L’Atelier d’Architecture et d’Urbanisme René Gagès produit régulièrement des œuvres significatives de son adhésion au Mouvement moderne. Cet atelier fonctionne comme un orchestre, dont il choisit les musiciens avec soin et dont il assume la direction. Dans les années cinquante, « le Montgolfier », situé en plein cœur du quartier des Brotteaux à Lyon, s’inspire des principes de Bron-Parilly, tandis qu’une usine construite à Viuz-en-Sallaz en Haute-Savoie ouvre sur la nature les espaces de travail. Dans les années soixante, l’Atelier conçoit le projet du « Markisches Viertel » à Berlin ; le grand ensemble de Caluire-Montessuy, particulièrement bien accroché à la géographie d’un site collinaire ; l’immeuble « Résidence Claire » à Lyon 3e et le « Parc de Saint-Didier » à Saint-Didier au Mont d’Or, copropriétés modernistes atypiques. La Grande Poste de Grenoble dont les fûts en béton blanc dialoguent dans le ciel grenoblois avec la tour de Perret et celles de l’Île verte ; la poste de Caluire-et-Cuire, référence explicite au Bauhaus. La Cité EDF de Meximieux dans l’Ain, face au site historique de Pérouges, est le manifeste le plus convaincant d’une architecture moderne proliférante accrochée au relief face à un village médiéval trônant lui-même sur une colline. En 1967, est imaginé à Lyon, sous sa direction, le complexe de Perrache. Se référant explicitement aux projets de Sant’Elia, soixante ans plus tard, cette mégastructure tant contestée, installée à cheval sur une autoroute urbaine, est le premier pôle multimodal de cette importance construit en Europe. Ultime manifeste architectural et urbanistique d’un Atelier porteur de création, le centre d’échanges du cours de Verdun reste incompris. Il est injustement fustigé par une partie de l’opinion publique et par la plupart des élus jusqu’à devenir le symbole d’une modernité rejetée, alors qu’il fut le précurseur des pôles multimodaux et d’une conception organique d’un urbanisme travaillant sur la mobilité.


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Parc Saint-Didier. Atelier René Gagès : Gabriel Roche. Claude Idoux, plasticien. 1965 – Saint-Didier au Mont d'Or © Georges Fessy

Pages suivantes : Parc Saint-Didier. Hall d'entrée et boîtes aus lettres. Atelier René Gagès : Gabriel Roche, architecte. Claude Idoux, plasticien. 1965 – Saint-Didier au Mont d'Or © Georges Fessy


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Les Cèdres. Vues d'ensemble, hall d'entrée, boîtes aux lettres. La façade actuelle est dénaturée par l'ajout d'éléments sur les baies. François-Régis Cottin et Alain Chastel, architectes, assistés de Marcel Dallière. Façades : Jean Prouvé, ingénieur. 1962 – Lyon 5e © Georges Fessy


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Chap.2 — Les modernes en action

Franck Grimal (1912 – 2003)

Originaire de Roquefort dans l’Aveyron, sa famille appréciait la culture moderne dans les champs de la musique, la littérature et la peinture. Jeune, il découvre, dans la bibliothèque de ses parents, la poésie de Paul Valéry, de Blaise Cendrars, de Stéphane Mallarmé et d’Arthur Rimbaud, les écrits sur l’art de Georges-Charles Huysmans, les dessins de J.-J. Granville et de Théophile-Alexandre Steinlen, la peinture d’Henri de Toulouse-Lautrec. De 1932 à 1938 à Paris, il fréquente Jean Vilar, Jean-Louis Barrault, Georges Pitoëff, Charles Dullin. Il découvre le jazz, les cubistes Pablo Picasso et Georges Braque, les surréalistes Max Ernst, Marcel Duchamp, les sculptures d’Alexander Calder, Le Corbusier et Rob Mallet Stevens, le béton armé avec Eugène Freyssinet et les hangars d’Orly. Il est embauché par son ami, l’entrepreneur Jean-Jacques Coulon, pour construire la maison des architectes à l’exposition des Arts et Techniques de Paris en 1937. Ce pavillon est de fait celui de « L’Architecture d’Aujourd’hui », où Coulon est membre du conseil d’administration. À cette occasion, il fait la connaissance de Pierre Vago, jeune architecte et directeur de la revue. « Je vécus ces années en pleine exaltation. Nous étions passionnés de modernité, ne laissant derrière nous que des cadavres : l’académisme et les voitures à chevaux ; la bourgeoisie et la Der des Ders ; le chapeau melon et les sacristies ; la canne à main et les moustaches ; les kiosques à musique et les salons de peinture ; le patriotisme et les Grands Prix de Rome. Nous attendions des lendemains qui chantent, la machine à habiter, l’internationalisme et l’espéranto. » Franck Grimal, Architecte, à ses risques et périls Récemment démobilisé de la première armée française du général de Lattre de Tassigny, suite à la sollicitation de Jean Revillard, il s’installe à Lyon en 1947, à 34 ans, pour travailler, trois matinées par semaine, à l’Atelier régional d’urbanisme.

« Nous attendions des lendemains qui chantent, la machine à habiter, l’internationalisme et l’espéranto. » Franck Grimal « Architecte, à ses risques et périls »

Sur son premier chantier, il fait la connaissance de l’architecte Victor Robert. Celui-ci lui présente son fils, qui, sous le pseudonyme de Jean-Jacques Lerrant, milite avec deux autres critiques d’art, René Deroudille et André Mure, pour l’émergence de la modernité à Lyon. Il découvre à la galerie Folklore, le seul lieu lyonnais partageant ses conceptions d’avant-garde et rassemblant autour de ces idées novatrices de jeunes créateurs, peintres, sculpteurs et architectes, tous désireux pour exister, d’échapper au conformisme local. Ce petit cercle refait le monde lors des conférences mensuelles de l’Académie du Minotaure, diffusant les théories artistiques du peintre cubiste Albert Gleizes. Cette académie se réunit dans l’atelier du peintre René-Maria Burlet, rue SaintGeorges près des quais de Saône. On y rencontre, entre autres, le peintre Pierre Montheillet, le sculpteur Jacques Bouget, les critiques d’art Jean-Jacques Lerrand et René Déroudille. Le cubisme et l’art abstrait, comme l’architecture moderne qui s’en inspire, ne sont guère appréciés dans le Lyon des années quarante et cinquante, aussi bien dans les institutions qu’à l’École des beaux-arts, toutes sections confondues. Sa rencontre avec Marcel Michaud est déterminante. Cet ami de Peggy Guggenheim lui permet de faire la connaissance de grands artistes modernes, parmi lesquels certains travailleront avec lui : les céramistes Jean et Jo Amado, les photographes Blanc


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et Demilly, Ito Josué, les peintres Claude Idoux, Albert Le Normand, Pierre Charbonnier, René Chancrin, Maurice Ferréol, les sculpteurs Étienne Martin et Jacques Bouget, le créateur de luminaires Jean-Pierre Vincent. Il écrit dans ses mémoires concernant Marcel Michaud : « Il avait un flair de chien de chasse et ne se trompait jamais sur des pistes infimes, un don miraculeux pour détecter les valeurs sûres. Sur quels critères me jugea-t-il ? Sans doute sur ce que nous faisions à Bron-Parilly, et avec Walch, par le côté révolutionnaire de nos travaux. » Franck Grimal joue un rôle déterminant dans l’histoire lyonnaise du Mouvement moderne. Pour le seconder à l’Atelier régional d’urbanisme, il fait appel à un jeune architecte passionné par le Mouvement moderne, René Gagès, avec lequel il travaillera 15 ans. Ensemble ils rendent des concours. Le premier, celui de Chartres, les fait remarquer par le ministre Eugène Claudius-Petit. Ils y développent une conception organique de groupements de pavillons et une idée spatiale de la coloration que Gagès avait explorée dans le cadre de l’Académie du Minotaure. Ils gagnent le concours de construction de quarante maisons individuelles le long du boulevard de ceinture, mais ne les réaliseront jamais. Cependant, ce concours leur permet d’être repérés, puis sollicités, pour le chantier expérimental de Bron-Parilly.

« Sur quels critères me jugea-t-il ? Sans doute sur ce que nous faisions à Bron-Parilly, et avec Walch, par le côté révolutionnaire de nos travaux. » Franck Grimal « Architecte, à ses risques et périls »

Le président du Groupement des Promoteurs Lyonnais, Raymond Walch, adhère à ce combat pour la modernité. Il confie à Gagès et à Grimal la construction d’un ensemble d’immeubles dans l’esprit de Bron-Parilly, dominant Lyon sur les pentes de la commune de Sainte-Foy dans un magnifique parc arboré : « Le Mont Blanc ». L’exemple inspire d’autres promoteurs, dont l’extraordinaire Napoléon Bullukian, arménien rescapé tout jeune du génocide, collectionneur d’Art moderne. En 1955, Grimal et Gagès sont nommés par Claudius-Petit architectes-conseils du département du Rhône. En 1958, associés à François-Régis Cottin, ils sont désignés architectes en chef du nouveau quartier de La Duchère sur les hauteurs du quartier de Vaise au nord-ouest de Lyon. En 1963 la collaboration avec René Gagès s’arrêtant, Franck Grimal se retrouve seul. En 1964, avec une équipe dynamique d’architectes lyonnais et marseillais dont Bouteille, Lavenir et Clerc, il lance l’idée du Grand Delta proche de « la cité linéaire de Le Corbusier » et des projets urbanistiques des constructivistes soviétiques. Cette unité territoriale d’aménagement en forme de triangle dont le sommet serait Mâcon et la base la côte méditerranéenne, pourrait devenir une sorte de Californie française irriguée par le Rhône et le canal Rhône-Rhin. Pour mettre en œuvre cette ambition territoriale, il crée le GARU (Groupe des Architectes Rhodaniens et des Urbanistes) Il poursuivra ce rêve jusqu’à la fin de sa vie. Pierre Favre, l’un des jeunes ingénieurs qui travaillait avec les entreprises savoyardes ayant réalisé Bron-Parilly, monte une entreprise lyonnaise Sud-Est Travaux. Avec cet entrepreneur de gros œuvre, les menuisiers Pierre Dantoine et Raymond Carpe, inventeurs des cloisons mobiles Sonomo, Grimal tire les leçons de l’expérience fondatrice. Ensemble ils inventent un nouveau procédé de construction et de mise en œuvre « le Travelling », extrêmement rapide d’exécution tout en permettant à chacun de composer son appartement.


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La Mésangerie. Franck Grimal, architecte. 1965 – Tassin-la-Demi-Lune © Georges Fessy


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Pages précédentes : Le Constellation. Auguste Murat, architecte. 1964 – Lyon 3e © Georges Fessy

Le réseau régional Les architectes lyonnais du Mouvement moderne, essentiellement ceux de l’équipe de Bron-Parilly, dans la mouvance de Marcel Michaud, acquièrent très vite la certitude que, pour échapper aux conservatismes locaux, la région constitue un atout fondamental, même si elle n’existait pas encore institutionnellement. Seul un réseau régional permet à ces avant-gardes d’exister face aux enfermements provinciaux et à l’hégémonie parisienne. Les attaches locales d’Eugène Claudius-Petit jouent un rôle certain. En tant que ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, il initie en Savoie, en 1946, la station de ski de « Courchevel 1850 », et lance dès 1952 deux chantiers expérimentaux du secteur industrialisé : Bron-Parilly dans le Rhône, Beaulieu le Rond-Point à Saint-Étienne dans la Loire. Il nomme René Gagès et Franck Grimal architectes-conseil du Rhône, et Gagès architecte-conseil de l’Ain, de Savoie et de Haute-Savoie. Plus tard, devenu maire de Firminy, il est à l’origine de Firminy-Vert, où il fait intervenir Le Corbusier. Dès 1956, s’est formé autour de la galerie Folklore un groupe interdisciplinaire ayant pour objet de publier une revue, L’homme d’œuvre. Cette association n’aura pas d’avenir, mais la liste de ses membres révèle l’essentiel de ceux qui, dans la future région Rhône-Alpes, se revendiquent du Mouvement moderne international. En couverture du premier numéro devait figurer le Palais idéal du Facteur Cheval à Hauterives dans la Drôme. Le président de l’association est Marcel Michaud, son secrétaire général Franck Grimal, le délégué général pour Lyon, René Gagès. Le délégué aux expositions est Jacques Bouget, sculpteur qui travaillera notamment à La Duchère avec François-Régis Cottin et Pierre Genton. Le conseiller juridique et financier est Sylvestre Faucon, le juriste de l’Atelier d’Architecture et d’Urbanisme René Gagès. Les relations publiques sont confiées au critique d’art Jean-Jacques Lerrant. Laurent Chappis, créateur avec Denys Pradelle de la station de Courchevel et de l’Atelier d’Architecture en Montagne, est délégué général à Chambéry. Il deviendra par la suite architecte-conseil du Rhône en remplacement de René Gagès et de Franck Grimal. Annecy et la Haute-Savoie sont représentés par Philibert Plottier, fervent soutien du Mouvement moderne et de l’Atelier de la rue de Savoie. Yves Gouyon architecte de l’opération expérimentale du secteur industrialisé de Beaulieu-Rond-Point, est le délégué pour Saint-Étienne. La ville de Grenoble est représentée par Maurice Blanc, un des architectes fondateurs de l’UPAU et participant au mouvement des Ateliers de Synthèse. Plus tard, il intègre l’équipe municipale d’Hubert Dubedout et, dans le cadre de son mandat, fait appel à l’AUA pour réaliser l’opération emblématique de Grenoble Échirolles. Avec Michel Steinbach, il crée l’Atelier d’Urbanisme de Grenoble et dans cette ville, le premier Institut d’Urbanisme hors Paris. Le délégué général pour le Lac Léman est Maurice Novarina, architecte de l’église du Plateau d’Assy, où sont intervenus nombre de grands artistes contemporains. En 1956, avec Jean Prouvé, il conçoit la nouvelle buvette de la source Cachat à Evian et construit le quartier du Château à La Duchère. La revue L’homme d’œuvre ne sera jamais éditée et ne jouera aucun rôle en tant qu’association. Cependant, elle révèle explicitement l’existence d’un réseau régional informel, mais souvent solidaire, regroupant les principaux prosélytes rhônalpins du Mouvement moderne international.


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Chap.3

L’apothéose et la crise


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Chap.3 — L'apothéose et la crise

La Duchère « On doit remercier Monsieur Cottin, La Duchère est le plus beau quartier du monde. » Victor Mulhstein, militant communiste, habitant initial de La Duchère Après avoir ignoré, parfois rejeté, les audaces techniques et professionnelles comme ce fut le cas à Bron-Parilly, les structures traditionnelles de production du bâtiment, aussi bien de conception que de mise en œuvre, évoluent à marche forcée. De nouvelles entreprises adaptées aux enjeux du moment émergent. L’État impulse cette mutation. Le plan directeur du Groupement d’Urbanisme de la Région Lyonnaise dépasse volontairement les limites de la ville de Lyon. Il s’étend aux communes périphériques en situation de participer à l’extension de la métropole. Les secteurs en mutation, immédiatement disponibles à l’urbanisation, ont été repérés. Il apparaît désormais opportun de les aménager prioritairement pour résoudre de manière rationnelle et coordonnée les questions du logement, en organisant la croissance urbaine. C’est pour mettre en œuvre ces propositions que le ministère, le fameux MRU, anticipant sur l’approbation officielle du plan qui n’interviendra qu’en 1963, prend l’initiative d’urbaniser « le site à forte valeur résidentielle » de La Duchère. Il reconduit en les affinant les techniques, les concepts et les méthodes expérimentés à Bron-Parilly. Le site de La Duchère fut initialement choisi pour sa proximité avec le quartier industriel de Vaise afin d’y loger prioritairement les 8000 travailleurs de la Rhodiaseta et des multiples autres entreprises de Vaise, ainsi que les employés municipaux de la ville de Lyon. La fin de la guerre d’Algérie ayant entraîné le retour en métropole des populations européennes, au moment même où s’achevaient les logements, « les pieds-noirs » originaires pour l’essentiel d’Oran sont alors accueillis en priorité dans ce nouvel ensemble. À Bron, la maîtrise de l’opération fut assurée, bon an mal an, par l’Office des HLM du département du Rhône. Les chantiers industriels expérimentaux révèlent les limites opérationnelles des constructeurs de logements sociaux sans réelle compétence d’aménageur. Il s’avère nécessaire de créer des organismes spécialisés assurant ce que, plus tard, on appellera « la maîtrise d’ouvrage urbaine ». L’État encourage, dans les départements, la création de sociétés d’aménagement d’économie mixte dépendant de la Caisse des Dépôts et Consignations. Le décret gouvernemental du 10 novembre 1954 prévoit la création d’organismes capables, en matière d’aménagements urbains, « soit de coordonner l’action des diverses parties intéressées, soit de prendre en charge directement l’exécution de tout ou partie des opérations ». Le


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même décret indique que « ces organismes devront disposer de ressources propres suffisantes pour leur permettre de faire, en vue des engagements de remboursement pris par chacun des intéressés, les avances de trésorerie nécessaires pour l’exécution en temps opportun des travaux incombant à certains services publics, établissements publics ou à des collectivités et, éventuellement, pour leur permettre de procéder aux opérations foncières ou de construction exigeant un fonds de roulement. »

La Duchère. Photo aérienne. 1971 © SAAL

Pour construire le nouveau quartier de La Duchère, à l’initiative de la Société Centrale d’Équipement du Territoire (SCET), une société d’économie mixte, la SERL (Société d’Équipement de la Région de Lyon) est créée le 15 février 1957. Y participent le département du Rhône, les villes de Lyon et de Villeurbanne, la Chambre de Commerce et des constructeurs locaux. La direction de ce nouvel organisme est confiée à Alphonse Chaffangeon, alors adjoint du directeur départemental du MRU, Jacques Foch. La Duchère est conçue et mise en œuvre par deux architectes en chef : François-Régis Cottin et Franck Grimal, auxquels est adjoint par la SCET un architecte parisien, René Coulon, qui n’aura qu’un rôle marginal. Cette opération est, paradoxalement, le projet le plus abouti de l’école lyonnaise du Mouvement moderne et celui où se révèlent les premières contradictions et les dérives potentielles de cette conception de l’architecture et de l’urbanisme. « Le parti adopté tend essentiellement à regrouper, par des liens organiques, les secteurs excentriques : (Château, Balmont, Sauvegarde) inscrits au départ dans le plan par la topographie, les limites et les voies d’accès.


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Chap.3 — L'apothéose et la crise

Ces liens organiques sont créés non seulement par des liaisons entre quartiers et leur rattachement à un pédoncule commun, mais aussi par un quartier à forte densité placé au centre de l’opération : le quartier du Plateau. La forme allongée du terrain disponible, son amincissement à la soudure, la nécessité d’obtenir une forte densité tout en ménageant la place des services généraux de l’ensemble, la volonté de faire de ceux-ci le lien entre les secteurs périphériques, ont déterminé le parti architectural « d’immeubles barres » élevés et implantés parallèlement à l’axe longitudinal. La même disposition a été appliquée à chacun des secteurs qui possèdent, groupés au centre, des services généraux correspondant à leur importance et dont la densité diminue graduellement, par « des immeubles tours » de moindre hauteur jusqu’au contact avec la ceinture verte. L’abondance interne des masses ainsi déterminées est conditionnée par l’application des principes suivants : - Séparation des circulations piétons et véhicules par une compénétration sans recoupement, en utilisant le plus possible les différences de niveau offertes par le terrain. - Passage des réseaux urbains en galerie technique dans le sous-sol des constructions à l’aplomb des circulations verticales. - Hiérarchie des circulations véhicules en fonction de l’importance de la desserte. - Différenciation entre stationnements et places piétons d’une part, entre stationnements d’habitations et stationnements généraux. - Assimilation pratique à des voies publiques de circulations piétonnes sous immeuble, considérées comme un prolongement de celles-ci jusqu’à la cellule d’habitation. Cette disposition est particulièrement justifiée par l’orientation des immeubles et leur distance François-Régis Cottin aux voies. » François-Régis Cottin, Annales de l’Institut technique du bâtiment et des travaux publics, 1961

La Duchère. Forum, plan masse. François-Régis Cottin, architecte. © SAAL

« Hiérarchie des circulations véhicules en fonction de l'importance de la desserte. »

Plus élaborée qu’à Bron, l’urbanisation est organisée en trois quartiers : Balmont, la Sauvegarde et le Château, disposant chacun d’équipements culturels, commerciaux et cultuels disposés aux pieds des immeubles et un quartier central, le Plateau, ponctué d’une tour signal. Le Château, le Plateau et Balmont s’inscrivent dans la géographie autour d’immeubles de logements monumentaux couronnant la colline.


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Le projet de paysage est décisif compte tenu de la qualité géographique d’un site comprenant une grande et belle propriété bourgeoise. Il est confié à l’équipe de paysagistes de Bron-Parilly, Ingrid et Michel Bourne.

La Duchère. Projet de couverture du forum. François-Régis Cottin assisté de Michel Paulin, architectes. © SAAL

L’architecture des bâtiments doit être urbaine, c’est-à-dire conçue en fonction du parti d’urbanisme.

La Duchère. Projet de bas-relief pour le forum. Jean Amado, sculpteur.

© SAAL Cette démarche gouverne les projets des intervenants, qui, pour la plupart proches du Mouvement moderne, adhèrent aux idées mises en œuvre à La Duchère. François-Régis Cottin construit sur le Plateau une barre de 1000 logements, la Tour panoramique en 1972 – architecture sculpturale et première tour de plus de cent mètres à Lyon –, les services publics en collaboration avec Jean Prouvé, l’église Notre-Dame du Monde-Entier en 1968 avec le ferronnier d’art Yves Bouget, dont le toit en charpente semble flotter dans l’espace. Il conçoit et met en œuvre, à Balmont Nord, une barre de logements, le centre commercial ponctué d’un bas-relief de Jean Amado et, disposé autour d’un jardin intérieur, l’ensemble des trois petits immeubles de la Compagnie Lyonnaise Immobilière. Pour éviter la suraccumulation de logements sociaux et faciliter la mixité sociale, des logements en accession à la propriété sont programmés et situés essentiellement dans la Tour panoramique. Pour la construire, Raymond Walch parvient à fédérer autour de ce projet un groupement de promoteurs lyonnais, n'intervenant jusqu'àlors qu’au centre de la ville.

À l’occasion de ces projets, François-Régis Cottin se distancie de l’écriture d’inspiration corbuséenne qui caractérise Bron-Parilly. Il affirme ici un langage spécifique, interprétation originale du Mouvement moderne exprimant un amour de la géométrie et une attirance pour le baroque. Pierre Genton réalise en 1965 l’église Notre-Dame de Balmont avec le ferronnier d’art Yves Bouget et le sculpteur Étienne Martin, dont la fontaine monumentale, souhaitée par François-Régis Cottin au cœur de l’opération est refusée par la municipalité lyonnaise. Aujourd’hui « Ciné-Duchère », il ne reste de cette église que la richesse des formes extérieures.


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Chap.3 — L'apothéose et la crise

Tour panoramique. Façade nord. François-Régis Cottin, architecte. 1972 © SAAL

Tour panoramique. Coupe de la Tour panoramique © SAAL

Bernard Chamussy dessine d’intéressants petits immeubles de logements à Balmont-Nord. Maurice Novarina est chargé des logements, du centre commercial et de l’église du Château, au Plateau du centre commercial et du centre social. Jean Dubuisson élève, en 1972, aux franges du quartier central, l’unité d’habitations « Les Érables », aussi blanche que corbuséenne. Le sculpteur Touplos Philolaos y intervient. Ici, la rupture entre l’immeuble et son socle, cadre dans l’espace l’œuvre graphique des façades. Sur les pentes de Balmont-Est, Franck Grimal expérimente en 1964 une nouvelle structure très innovante dans sa mise en œuvre, « le Travelling ». Les projets des architectes « Beaux-Arts » imposés par le maire de Lyon, Fournier et Levasseur au Plateau et à Balmont-Sud, et Labrosse pour la caserne de pompiers de Balmont-Nord, ne respectent que la masse des bâtiments. Ces traditionalistes ne parviennent ni à comprendre ni à mettre en œuvre les principes architecturaux de la modernité préconisée par les architectes en chef. Le quartier de la Sauvegarde est réalisé par l’Office d’HLM de la ville de Lyon, qui reconduit l’opération de Mermoz avec les architectes Franck Grimal, Michel Marin et Joseph Bacconnier. Ils construisent une succession de petits immeubles identiques, disposés systématiquement sur le terrain en fonction de la rationalité productive, sans véritable souci de composition urbaine et paysagère comme cela fut le cas à Balmont-Nord. S’amorce à Mermoz dans le huitième arrondissement de Lyon puis à la Sauvegarde, la première rupture productiviste avec la logique d’industrialisation initiée à Bron-Parilly. À partir de là, cette évolution privilégie inexorablement, aux dépens de l’architecture et de la forme urbaine, les logiques productives et logistiques des grandes entreprises du bâtiment. Le Mouvement moderne, dans son expression locale, est pris à son propre piège. Ses promoteurs lyonnais n’ont pas mesuré que l’industrialisation dont


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ils s’étaient inspirés était adaptée à des objets mobiles, des automobiles, et qu’appliquée sans adaptation à des objets immobiles, des immeubles, nie toute logique de lieu géographique ou urbaine. À partir de ce moment, au motif de produire massivement et le plus rapidement possible des logements, l’architecture n’est plus inspirée par le projet urbain. La forme urbaine est ignorée, et l’espace public qu’elle structurait se résume dorénavant aux reliquats fonciers de tours et de barres disposés dans la logique des chemins de grue. De libre, progressivement et malgré leurs qualités initiales, le plan des habitats se fige au gré de structures de plus en plus contraignantes. Ainsi s’installe subrepticement l’hégémonie de l’efficacité technique Tour panoramique. Plan d'étage courant. sur la création architecturale et urbanistique. François-Régis Cottin, architecte. S’ouvre la voie conduisant quelques années plus tard à la politique 1972 des modèles, dont l’expression la plus aboutie sera l’ultime « grand © SAAL ensemble » de la région lyonnaise : Vaulx-la-Grande-Ile à Vaulx-enVelin.

Tour panoramique en chantier © SAAL

C’est à partir de cette rupture, réelle et symbolique, que se multiplient les divergences de vues entre les acteurs lyonnais du Mouvement moderne international : François-Régis Cottin et Pierre Tourret se retirent, René Gagès cherche d’autres voies, Pierre Genton se consacre à ses églises et à ses villas et reste enseignant, Franck Grimal et Pierre Marin continuent dans une logique tayloriste en s’inquiétant malgré tout des dérives. Ils n’exercent alors bientôt plus d’influence sur l’évolution de l’architecture lyonnaise et sont de plus en plus contestés par les étudiants en architecture. Nous sommes en 1964.


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Chap.3 — L'apothéose et la crise

« À une époque de mutation, l'architecte ne peut être qu'un poète... » Jean-Jacques Lerrant

elle ne s’est pas terminée comme ses fondateurs l’ont imaginé. Cette constatation ne doit pas masquer l’intérêt des propositions alors avancées. Leur pertinence et surtout la qualité des œuvres qu’elles ont engendrées, ne doivent pas être jugées hors des circonstances de leur élaboration. Comme le docteur Frankenstein, les plus conscients des acteurs de ce mouvement seront trahis par la créature qu’ils avaient inventée. Comme l’ont fait malheureusement les successifs épigones de Tony Garnier, il ne faut pas non plus sacraliser cette aventure historique, encore moins tenter, par nostalgie, de la sacraliser.

Quelques leçons pourraient cependant être tirées de ce récit. La première concerne l’éthique des architectes et des urbanistes. À chaque moment de l’histoire, architectes et urbanistes ne doivent pas se contenter d’illustrer une réalité qui leur échappe, mais s’efforcer d’imaginer et de formuler des projets traduisant leur regard et leur prise de position sur les enjeux et les devenirs des territoires et du monde. La seconde concerne la politique urbaine et culturelle de la deuxième agglomération française. Lyon, pour assumer son ambition internationale, doit, mieux qu’elle ne le fait, favoriser le débat culturel sur la ville et l’architecture, prendre conscience de l’existence de ses divers protagonistes, accepter leurs antagonismes et tirer bénéfice du choc de leurs idées. Cette métropole européenne doit se défier des endormissements provinciaux, des confortables conformismes qui, à chaque époque de son histoire, ont tué en les sacralisant ou en les excluant, les novateurs jugés trop dérangeants par les médiocrités locales. De Philibert Delorme à Gilles Perraudin, Lyon fut et reste le terreau de grands créateurs. C’est cette qualité profonde qu’elle doit préserver et cultiver. « Quel rôle difficile ! L’architecte aujourd’hui est à la fois le maître et le prisonnier de l’espace urbain… Le maître, car, au lieu de façonner comme jadis un objet-maison conçu en tant qu’élément décoratif isolé, il lui est donné de sculpter, comme du haut de la montagne, les volumes habitables dans leurs relations de formes et de fonctions, d’ordonner donc les villes de demain et, plus encore, par la prospective et par le rêve, de préparer le lit des « possibles » de l’avenir. Mais, dans le même temps, l’architecte est au service d’une société de profit, soumis au souci de rentabilité immédiate qui inspire les particuliers et pèse même sur les collectivités. La voie royale et la porte étroite, pour lui, se confondent. Il lui appartient, alors, par sa séduction et son crédit personnels, d’élargir les limites qui lui sont imposées en créant pour ses contemporains l’habitat harmonieux entre la cellule familiale et la solidarité communautaire et de faire triompher pour tous les droits à la dignité de vivre dans le confort des sens et de l’esprit. Le plus délicat, à mon sens, reste de ne rien fermer de l’horizon. Le monde qui va naître défie l’imagination. Sans doute est-il au-delà du prévisible. Au maître d’œuvre donc de préconiser un urbanisme ouvert, d’inventer des structures suffisamment mobiles et transformables pour que le hasard, l’inattendu d’une civilisation nouvelle puissent s’y inscrire et s’y loger. À une époque de mutation, l’architecte ne peut être qu’un poète… » Jean-Jacques Lerrant, cité dans ses références par Michel Marin.


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Annexes


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Annnexes

REMERCIEMENTS POUR LEUR AIDE ET LEUR MÉMOIRE À ma femme, Marie-Noëlle Gillet-Rey, pour son efficace et tendre assistance dans l’évocation d’une aventure à laquelle elle a apporté tout son savoir-faire en tant que gestionnaire de l’Atelier d’Architecture et d’Urbanisme René Gagès. À René Gagès, d’innombrables fois interrogé avant son décès et à François-Régis Cottin. À mes camarades de l’Atelier de la rue de Savoie : René Ravet interrogé quelques jours avant sa mort lors des obsèques de René Gagès, Georges Clerc, François Mathias depuis décédé, Gabriel Roche, Henri Borrel, Michel Poncet, Jérôme Thomas fils de Louis Thomas, Xavier Boucharlat, Jean-Pierre Bosse-Platière, Michel Roz, Jean-Marc Tourret fils de Pierre Tourret et président de la Société Académique d’Architecture de Lyon, Gérard Perraudin, Rolland Fournel et Raymond Vasselon de l’ultime promotion de 1967.

OUVRAGES CITÉS OU CONSULTÉS Livres Espace, Temps, Architecture, Sigfried Giedion, 1941, republié en 1990 aux Éditions Denoël-Gonthier. La Charte d’Athènes, Le Corbusier, 1941, republié en 1971 aux Éditions Points. Architecture Gothique et pensée scolastique, Erwin Panofsky, 1951, republié en 1967 aux Éditions de Minuit. L’avenir de l’Architecture, Frank Lloyd Wright, 1953, Éditions du Linteau. Art et Technique aux xixe et au xxe siècles, Pierre Francastel, 1956, republié en 1968 aux Éditions Gallimard. Apprendre à voir l’architecture, Bruno Zevi, 1959, Éditions de Minuit. La figure et le lieu : l’ordre visuel du Quattrocento, Pierre Francastel, 1967, republié en 1980 aux Éditions Denoël-Gallimard. L’Architecture moderne. Une histoire critique, Kenneth Frampton, 1980, Éditions Thames et Hudson. Le langage de l’architecture moderne, Bruno Zevi, 1981, Éditions Dunod-Bordas. Histoire de l’Architecture, Auguste Choisy, 1982, Éditions Slatkine. Il court, il court le Bauhaus. Essai sur la colonisation de l’Architecture, Tom Wolfe, 1982, Éditions Mazarine. Les chemins de la modernité, René Gagès, 1987, republié en 1995 aux Éditions Mardaga. Lyon-Europe, 100 ans d’architecture moderne. Milan, Barcelone, Birmingham, Francfort, 1988, Éditions Margaga. Racines d’Architecture, Pierre Genton, 1994, Éditions La pensée universelle. Architecte à ses risques et périls, Franck Grimal, 1998, Éditions du Rhône.

Aux autres acteurs de l’aventure : Jean Sillan associé de Jean Zumbrunnen, Ingrid et Michel Bourne architectespaysagistes de Bron-Parilly et de La Duchère, Jacques Pezerat artiste et collaborateur de Pierre Genton, Alain Chomel. À ceux qui poursuivent aujourd’hui le combat pour la création, Valérie Disdier, directrice de la Maison de l’architecture Rhône-Alpes, sans laquelle cet ouvrage n’aurait jamais vu le jour et qui contribua largement à sa rédaction et à sa cohérence. À tous les adhérents de la Maison de l’architecture Rhône-Alpes, et à son président Alain Vargas. Mais aussi à Pierre Vial architecte successeur de Franck Grimal à la direction d’Archigroup, Régis Neyret journaliste fondateur du patrimoine Rhônalpin, Laurence Berthon archiviste au musée des Beaux-Arts de Lyon, Sylvie Ramon directrice du musée des Beaux-Arts de Lyon, Claire Genton fille de Pierre Genton, Pierrette Godde

Idoux fille de Claude Idoux, Jean-Jacques Lerrant critique d’art, Françoise Dupuy Michaud fille de Marcel Michaud, Jacques Pinsard élève de Claude Idoux, Max Schoendorff peintre, Madeleine Lambert peintre, Jean Janoir peintre, Pierre Giousse poète ancien militant de la CGT et de Travail et Culture, Maurice Chevallier sociologue cofondateur du Groupe de Sociologie Urbaine, Christian Denis de la société Arrivetz pour ses informations sur la famille Knoll, Alain Marcelpoil spécialiste international de Sornay, Jean-François et Pierre Marin, Anne-Sophie Clémençon historienne de la ville et de l’architecture, Régis Zeller et Philippe Dramais architectes membres actifs de la Société Académique d’Architecture de Lyon, Michel Cateland archiviste aux Archives municipales de Lyon qui nous permit entre autres de découvrir l’architecte de l’immeuble du siège de Descours, Genthon et Compagnie : G. Bouilhéres et le permis de construire original du Palais de Flore.

L’architecture moderne en France (tome 2) : Du chaos à la croissance (1940-1966), Joseph Abram sous la direction de Gérard Monnier, 1999, Éditions Picard. Histoire des Arts Plastiques à Lyon au xxe siècle, Alain Vollerin, 2000, Éditions Mémoire des Arts. Un défi en province : Planchon. Chronique d’une aventure théâtrale, Michel Bataillon, Éditions Marval, 2001. Architecture en France (1940- 2000), Jacques Lucan, 2001, Éditions Le Moniteur. Le Corbusier, la planète comme chantier, Jean Louis Cohen, 2005, Éditions Zoé. Guerre du toit et modernité architecturale, loger l’employé sous la République de Weimar, Christine Mengin, 2007, Publications de La Sorbonne. Composition, non-composition. Architecture et théories des xixe et xxe siècles, Jacques Lucan, 2009, Éditions Presses polytechniques et universitaires romandes. Dictionnaire Dictionnaire historique de Lyon, Patrice Béghain, Bruno Benoît, Gérard Corneloup, Bruno Thévenon, 2009, Éditions Stéphane Bachès. Plan guide Lyon et alentour. Un siècle d’architecture contemporaine, Robert Dussud, 2004, Éditions La Maison de l’architecture Rhône-Alpes. Catalogues Marcel Michaud, Lyon, 1933-1958, Stylclair, Groupe Témoignage, Galerie Folklore, textes de Bernard Gavoty, Espace Lyonnais d’Art Contemporain, 1989. 1910-1940. Les architectes lyonnais au temps de Tony Garnier, La Maison de l’architecture Rhône-Alpes, 1991. Forma Urbis. Les plans généraux de Lyon, xvie-xxe siècles, Les Archives Municipales de Lyon / Le CAUE du Rhône, 1997.

André Sornay, Galerie Alain Marcelpoil, 2006. Revues L’Architecture d’Aujourd’hui n° 1, novembre 1930, et n° 10, novembre 1933. Republiés en 2009. Le Point « La maison », mai 1937. Bulletins de la Société Académique d’Architecture de Lyon n° 16 « René Gagès », octobre 2008, n° double 17/18 « La Duchère », octobre 2009.

Archives consultées Archives de Louis Thomas conservées par Jérôme Thomas Archives de l’Atelier Gagès-Cottin conservées par Georges Clerc et Jacques Rey Archives de l’École régionale d’architecture de Lyon en dépôt à l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon et aux Archives municipales de Lyon Archives de l’École nationale supérieure des beaux-arts en dépôt aux Archives nationales Archives de Pierre Genton mises à disposition par sa fille Claire Genton Archives du musée des Beaux-Arts de Lyon Archives de Claude Idoux mises à disposition par sa fille Pierrette Godde-Idoux Archives municipales de Lyon Archives départementales du Rhône

ORIGINES, PRATIQUES ET THÉORIES DU MOUVEMENT MODERNE Contrairement à ce que déclarent ses adversaires, jamais le Mouvement moderne ne nie l’histoire de l’architecture. Au contraire, il se considère comme l’aboutissement de tout l’art du passé. Le Corbusier veut retrouver la pureté


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du Parthénon, admire Sainte-Sophie de Constantinople et la rigueur de l’art des Cathédrales « quand elles étaient blanches ». Dénonçant les dérives formalistes de l’art académique du xixe siècle, le Mouvement moderne pense que retournant à la pureté des sources, utilisant les acquis du progrès, il constitue une nouvelle renaissance comparable à celle qui avait vu naître un monde nouveau au xvie siècle en Italie du Nord. Au Quattrocento, les découvertes scientifiques et techniques, particulièrement l’invention de la perspective, avaient permis de dessiner le monde à partir de l’œil humain. Ce procédé géométrique, bouleversant les modes de représentation de l’espace, avait mis un terme à l’art médiéval européen en substituant à sa conception théocentrique du monde, une conception anthropocentrique, remplaçant ainsi la Jérusalem céleste par la cité humaniste. La transition ne se fit pas brutalement, mais progressivement, dans un affrontement d’idées facilité par la faculté du dessin perspectif de représenter idéalement les projets et par l’imprimerie d’en communiquer la description graphique et écrite. C’est pourquoi, de la Renaissance à l’Âge classique, se déroule un combat entre les Anciens et les Modernes. Il s’amplifie, de drames en utopies, au xixe siècle et aboutit, au xxe siècle, au concept de modernité, synonyme de progrès et d’imaginaire créatif répondant aux enjeux du temps. Pourchassant les conservatismes, cette idée se construit dans le contexte des révolutions, industrielles, politiques, sociales, démographiques, remettant en cause les valeurs culturelles, éthiques et esthétiques héritées des périodes précédentes. Les premières années du xxe siècle et la fin de la Première Guerre mondiale constituent des étapes décisives de cette évolution. Dans les arts plastiques, en France, le cubisme représente une révolution de l’espace plastique comparable, selon le philosophe Pierre Francastel, à celle de la Renaissance. Au xixe siècle, la découverte de la photographie avait ôté progressivement à la peinture son rôle social de figuration réaliste du monde. Les créateurs, fascinés par le développement des mobilités, la multiplication et la rapidité des moyens de transport, par le cinéma, cherchent à représenter le mouvement et à rythmer un temps que le processus industriel avait abstrait des lois naturelles, alors que traditionnellement les hommes vivaient au gré du soleil et ne se déplaçaient qu’à pied ou à cheval. La perception du monde en est modifiée. Comme hier la perspective et aujourd’hui l’informatique, les nouvelles techniques matérielles et immatérielles ne cessent, au cours du xxe siècle, d’influencer tous les modes d’expression et les canons du goût que les Académies avaient crû à jamais figer.

Les peintres d’avant-garde imaginent une esthétique nouvelle apte à traduire le mouvement caractéristique des temps de l’automobile et de l’avion. Ils substituent à la « symétrisation » des compositions classiques figeant les points de vue, le rythme des cheminements décrit dans les espaces filmés des villes et des architectures. Au-delà de la représentation physique, les artistes explorent l’inconscient, le rêve, les voies du silence. L’œuvre d’art n’ayant désormais d’autre objet qu’elle-même, contribue néanmoins à formuler un langage plastique dont s’empare l’architecture pour, abandonnant l’écriture néoclassique, exprimer une modernité traduisant les utopies et les contradictions d’une société en devenir, rejetant le local pour atteindre le mondial tout en préconisant l’autonomie du sujet. La sensibilité aux enjeux historiques de l’industrialisation et de l’urbanisation, l’exploration d’un nouvel espace matériel physique et mental dans les pays développés d’Europe et d’Amérique suscite la création d’un mouvement de pensée qui s’auto-qualifie, ou qui est qualifié de « Mouvement moderne international ». Il intéresse non seulement les arts plastiques, la peinture, la sculpture, l’architecture ou l’urbanisme, mais aussi la musique, le théâtre, la danse et le cinéma. Bertolt Brecht comme le Bauhaus, Fritz Lang comme Le Corbusier, mettent le thème de la cité industrielle au cœur du drame, au centre de leur création. La définition du Mouvement moderne international ne saurait se résumer à un style, terme dont il conteste l’utilisation qu’en avaient faite les Académies. Ses architectures, comme les avant-gardes picturales dont elles s’inspirent, refusent tout effet décoratif. Leurs écritures varient suivant ses auteurs, suivant les pays, mais traduisent au-delà des styles une vision commune de l’espace et du progrès. Le Mouvement moderne international résulte d’une succession aléatoire de rencontres et de convergences. Né à l’origine aux États-Unis et dans les grands pays industriels d’Europe, il inspire les architectures et les urbanisations des anciens pays coloniaux particulièrement aux Indes et en Amérique latine. Marginal en France jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, à la Libération, il sert de théorie à la Reconstruction puis à l’urbanisation, résultant du passage accéléré du rural à l’urbain.

LES PRINCIPALES ÉCOLES DU MOUVEMENT MODERNE Aux États-Unis : l’école de Chicago C’est à la fin du xixe siècle qu’à Chicago sont formulés les concepts fondateurs de ce que sera l’architecture

moderne. Cette école est incarnée par trois architectes : William Le Baron Jenney, pionnier des constructions à ossature métallique, et inventeur des gratte-ciel, Dankmar Adler et Louis Sullivan. Cette modernité naissante est étouffée par l’exposition colombienne de Chicago, organisée en 1893 pour célébrer le quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. À cette occasion, est importé aux États-Unis l’académisme européen, essentiellement celui de l’École française des beaux-arts. Né en 1867, Frank Lloyd Wright travaille chez Louis Sullivan et Dankmar Adler. Il déclare, dès 1901, que le destin de la machine est d’apporter un changement profond dans la nature de la civilisation. Pour mettre un terme aux drames de la ville industrielle, il en préconise la dissolution. Il écrit en 1913 : « La ville est, elle, une forme persistante de la maladie sociale, aboutissant au sort qu’ont connu toutes les villes. C’est une ironie de notre siècle que Broadacre City corresponde plus qu’aucune autre forme d’urbanisme radical aux préceptes les plus importants du manifeste du parti communiste de 1848, défendant l’abolition graduelle de la distinction entre ville et campagne par une distribution plus équitable de la population dans le pays. » Ne relevant pas du fonctionnalisme, mais de « l’organique », certaines œuvres de Wright comptent parmi les icônes du Mouvement moderne : Robie House à Chicago construite en 1906, l’usine Johnson à Racine Wisconsin en 1936. En 1937, la maison sur la cascade à Bear Run Pennsylvanie illustre magistralement une dialectique architecturale et poétique entre le naturel et le construit, dialectique reprise dans l’architecture de son lieu de travail et de résidence Taliesin West dans le désert de l’Arizona. En introduction à son livre L’avenir de l’Architecture écrit en 1953, et en réponse à la question sur les innovations qu’il pensait avoir apportées à l’architecture, Wright déclare, entre autres, à propos des plans ouverts : « Au lieu d’avoir des bâtiments semblables à des boîtes, ils devenaient de plus en plus ouverts, rendant l’espace plus sensible. L’extérieur pénétrait à l’intérieur, et l’intérieur s’étendait à l’extérieur. Ce procédé aboutit à un plan d’étage radicalement nouveau… La fenêtre en coin est représentative d’une idée que j’ai eue dès mes premiers travaux, à savoir que la boîte est un symbole fasciste. L’architecture de la liberté et de la démocratie requiert quelque chose de fondamentalement mieux. C’est ainsi que je me suis attaqué à la formule de la boîte dans la construction. Comme pour donner toute sa portée à cette idée, la fenêtre angulaire fit son apparition. La lumière entrait désormais par où il ne lui avait jamais été donné d’entrer auparavant et la vue s’élargissait. Les murs devenaient des écrans au lieu d’être les parois d’une boîte et, sans murs, il n’y avait plus de boîtes. La fenêtre angulaire est un fait architectural qui fit le tour du monde. »


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Édition Libel, Lyon / www.editions-libel.fr La Maison de l’architecture Rhône-Alpes Conception graphique Xavier Mercier, Libel Coordination éditoriale Valérie Disdier, directrice de La Maison de l’architecture Rhône-Alpes Textes © Jean-Louis Cohen, Jacques Rey Crédits photographiques Photographies © Georges Fessy – sauf mention contraire Photogravure Artscan, Lyon Impression Delta, Chassieu Dépôt légal Septembre 2010 ISBN 978-2-917659-11-3

Imprimé sur papiers Fedrigoni Symbol Matt Plus 150g et Symbol Freelife E/ E Raster 150g, tous deux certifiés FSC

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou par quelque moyen électronique ou mécanique que ce soit, y compris des systèmes de stockage d’information ou de recherche documentaire, sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Première édition © Libel


que Latine puis aux Indes et au Japon. À Lyon comme ailleurs, le Mouvement moderne international naît de la croissance urbaine, de la révolution industrielle, du passage du rural à l’urbain et de la planification centralisée. Des expériences de Bron-Parilly puis de La Duchère naissent l’essentiel des architectes, dont les œuvres constituent l’apport spécifique de l’architecture lyonnaise au Mouvement moderne international : René Gagès, François-Régis Cottin, Franck Grimal, Pierre Tourret, Pierre Genton, Jean Zumbrunnen, Michel Marin. Se référant explicitement à ce mouvement, refusant tout localisme mais apportant une spécificité liée au génie de ces lieux, leur production architecturale eut, de 1945 à 1968, un impact bien au-delà de ses frontières, de Berlin à Alger.

la maison

de l architecture rhône-alpes

www.editions-libel.fr Dépôt légal : septembre 2010 23,00 euros TTC ISBN 978-2-917659-11-3

Lyon, cité radieuse

sous l’impulsion des exilés du Bauhaus, en Améri-

Jacques ReY

tional prend son envol en Europe, aux États-Unis

une aventure du Mouvement moderne international

À partir de 1945, le Mouvement moderne interna-

la maison

de l architecture rhône-alpes


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