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Cet ouvrage fait suite à une enquête ethnologique et un travail photographique amorcés en 2015 puis soutenu par l’ANR (agence nationale de la recherche) depuis 2017. Il a été mené au sein de l’unité de recherche Confluence : Sciences et Humanités de l’UCLy. Nous avons à cœur de remercier en tout premier lieu les acteurs de cette enquête qui ont accepté de se laisser photographier et/ou de nous partager leur parcours de vie et leur itinéraire religieux. Nous souhaitons également remercier les collègues qui nous ont accompagnés par leurs conseils scientifiques, leurs regards d’experts et la relecture du texte. Que soient en particulier remerciés : Jacques Barou, Péroline Barbet, Véronique Bossard, Adel Camel, Yalita Dallot Befio, Édith Joseph, Madeleine Kambir, Catherine Kodjo, François Laplantine, Merja Laukia, Anne Liu, Daniel Moulinet, Marie-Jeanne Moussaly, le père Matthieu Thouvenot, Ioni Randrianirina, Marc et Claire de l’atelier Ooblik, Rolland et Solange Tsimbanilaza, Ludovic Valliame.



À Françoise et Antoine Gatoto


Sommaire P. 10

Préface

P. 13

Introduction

P. 17

« Je fais mon zembrocal »

P. 39

Expressions religieuses inédites

« Dans la paroisse, on est chez nous ! »

Le catholicisme comme ancrage

P. 51

« Y’a pas d’ambiance »

La difficile intégration dans les paroisses locales

P. 65

Conclusion

P. 70

Bibliographie

P. 89

Religion d’ici, pratiques d’ailleurs

Photographies de Benjamin Vanderlick


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Préface François LAPLANTINE Professeur honoraire d’anthropologie, Université Lumière-Lyon 2

Le thème de la religion dont il va être question dans ce livre est un thème délicat, car il touche à ce qu’il y a de plus précieux en chacun de nous : ce à quoi nous croyons ou ne croyons pas et ne souhaitons guère remettre en question. C’est un sujet semé d’embuches qui suscite passion, incompréhension et confusion en particulier dans le contexte de la laïcité à la française qui tend souvent à opposer de manière binaire le savant et le croyant, ce qui relèverait de la raison et ce qui appartiendrait au registre de l’émotion. La première caractéristique de ce livre est de ne pas céder à l’obsession occidentale de tout séparer en deux : l’intelligible et le sensible (qui serait de l’intelligible confus), le concept et le percept, les idées et les images, le signifiant et le signifié, l’écrit et l’oral, la réalité et la fiction (qui serait du mensonge). Ces séparations sont tellement nombreuses qu’elles ne tiendraient pas dans la pièce dans laquelle je suis en train d’écrire. À travers elles se dissimule à peine la subordination du féminin par rapport au masculin. Les pages que nous allons parcourir n’accordent aucune prééminence au discours par rapport aux images. Ou réciproquement. Les deux régimes de connaissance se trouvent à égalité. Ces pages sont le fruit d’une collaboration étroite entre une anthropologue – Valérie Aubourg – qui est d’abord une ethnographe, et d’un photographe – Benjamin Vanderlick – qui est aussi un ethnologue. J’ai pensé en les découvrant à ce qu’écrit Roland Barthes en exergue à L’empire des signes, ouvrage consacré au Japon et qui est fait de pictogrammes, de photos et de dessins : « Le texte ne commente pas les images. Les images n’illustrent pas le texte. » Le « fond » qui va maintenant retenir notre attention, mais qui n’est guère séparable de la forme adoptée, concerne ce que Valérie Aubourg appelle les « catholicismes du Sud » qui ont migré en France. Il s’agit d’hommes et de femmes venus des Antilles, du Cameroun, du Sénégal, de Madagascar, transportant avec eux la sensibilité religieuse dans laquelle ils ont été socialisés et rencontrant ici des traditions locales. Une première constatation s’impose. Nous n’assistons pas du tout à un processus d’acculturation et de dissolution de cette sensibilité, mais à sa réactivation. Il n’existe pas une seule manière d’être catholique, a fortiori d’être chrétien. On ne peut l’être qu’à travers des formes historiques et culturelles extrêmement variées. La spiritualité de ces hommes et de ces femmes formée dans les sociétés créoles et africaines est affective et effusive. Elle privilégie une relation directe et personnelle avec le sacré et tout particulièrement avec les saints qui sont autant d’intermédiaires pour entrer en contact avec lui.


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Cette spiritualité est fondée sur la force de la prière. Elle a davantage recours aux sacrements (baptême, communion, confirmation, mariage, funérailles) que dans les populations non diasporiques. Elle est peu intellectualisée, peu friande d’argumentations théologiques et valorise pleinement le contact physique et notamment le sens du toucher (des statues, des images, des icônes) ainsi que les médiations matérielles (bougies, crucifix, chapelets souvent portés sur soi). Elle s’exprime souvent dans les espaces publics (paroisses) de manière festive dans des formes musicales, chorales voire chorégraphiques, qui ne séparent pas franchement le profane et le sacré, et dans l’espace privé par la présence d’autels domestiques. Cette ferveur religieuse n’a aucun mal, on le comprend, à se trouver très à l’aise lorsqu’elle rencontre ces foyers régionaux et nationaux que sont les sanctuaires de Fourvière, Ars, La Salette, Paray-le-Monial. La statue du curé d’Ars à l’église Saint-Bonaventure de Lyon est particulièrement vénérée et d’abord touchée. Elle est adoptée en continuité avec ce qui a été vécu « au pays ». Je connais mal ce catholicisme populaire en France, mais il me semble très proche de ce que j’ai observé au Mexique à Guadalupe et dans le Nordeste du Brésil à Canindé et à Juazeiro. Une différence majeure néanmoins les sépare. C’est un catholicisme populaire qui ne s’inscrit pas (ou plus) dans des traditions rurales. Il est résolument urbain. Nous ne sommes nullement à mon avis en présence de folklores résiduels, mais de développements proprement modernes de la culture dont l’une des composantes est une revendication d’imaginaire. Gardons-nous cependant de considérer ces expressions de la foi – qui ne bénéficient pas, il est vrai d’une totale légitimité sociale – comme des consolations, des réactions aux blessures infligées par la réalité et notamment la réalité de la condition diasporique. Le grand mérite de l’ouvrage de Valérie Aubourg et de Benjamin Vanderlick est de prendre en considération ce qui se forme et se transforme dans la subjectivité des croyants. Il redonne toute sa place aux acteurs. Une autre de ses caractéristiques est de ne pas se limiter aux temps forts de la célébration rituelle, mais de prêter une attention égale à des expressions plus discrètes et qui n’en sont pas moins significatives. Imprégnons-nous de ce texte et de ces photos mêlés, lesquelles sont d’une très grande pudeur et d’une extrême précision. À travers des gestes, des attitudes, des regards, ils nous donnent à connaître c’est-à-dire d’abord à percevoir des manières de reconstituer des liens. Ces formes africaines et créoles de catholicisme populaire constituent de puissants moyens d’intégration sociale, mais aussi de différenciation culturelle.

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De nos jours, des circulations internationales d’une ampleur nouvelle s’observent. De manière inédite, « les gens et les lieux de par le monde sont extensivement et densément connectés les uns aux autres en raison des flux transnationaux croissants de capitaux, de marchandises, d’informations, d’idées et d’êtres humains1 ». Ce processus de globalisation modifie la physionomie et les expressions culturelles des individus installés sur le continent européen. D’origines culturelles variées, les populations migrantes et diasporiques introduisent de nouvelles pratiques religieuses. Parmi les populations d’outre-mer en Europe, plus de la moitié sont des chrétiens ; les catholiques parmi eux sont majoritaires2. En France, les catholiques représentent le quart des migrants3 et ils dominent parmi la population antillaise et réunionnaise. Néanmoins, ces populations sont discrètes. À l’instar des Réunionnais qualifiés de « communauté invisible4 », la présence des catholiques issus de la migration et de la diaspora est peu perceptible et peu médiatisée dans la société française. De plus, rares sont les recherches leur étant consacrées5. Cette imperceptibilité des catholiques contraste avec la situation des chrétiens évangéliques, qui apostrophent le citoyen européen par l’effervescence de leurs manifestations religieuses et qui se servent d’une religion minoritaire dans la négociation de leur intégration sociale et économique en Europe6. Dans le champ scientifique, les études privilégient les migrants luthériens, réformés7 et pentecôtistes8. Les migrants catholiques vivent majoritairement en milieu urbain. De ce fait, Lyon et sa métropole apparaissent comme un terrain d’observation privilégié. La présence significative de populations originaires des Antilles et des Mascareignes dans la cité lyonnaise date des années 1960-1970, décennie à partir de laquelle un organisme public, le Bumidom9,

accompagna les migrations vers l’Hexagone. Son action aboutit à la formation d’importantes communautés antillaises et réunionnaises sur le sol français10. Actuellement plus de 105 000 natifs de La Réunion ont été recensés en métropole (sans compter les descendants des première et deuxième générations). Ils vivent principalement en province et particulièrement dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il s’agit d’une population active et diplômée, concentrée entre 20 et 50 ans11. Les années 1970 et 1980 ont également vu l’essor de l’immigration en provenance de l’Afrique subsaharienne : Cameroun, Sénégal, Madagascar12 dans le département du Rhône. En Rhône-Alpes, où l’on compte aujourd’hui un pourcentage plus élevé d’immigrés que sur le reste du territoire (9 % contre 7 %), les populations en provenance d’Afrique (hors Maghreb) représentent environ 13 % des immigrants13. Au cœur de la région rhônalpine, le département du Rhône est celui qui accueille le plus grand nombre d’Antillais et d’Africains. En 2013, la moitié de ces derniers résident dans la ville de Lyon14. Par ailleurs, le catholicisme à Lyon occupe une place centrale. Les nombreuses paroisses et congrégations religieuses participent aux différents aspects de la vie locale : culturel et patrimonial, politique, social et économique15. C’est dans ce contexte que se déroule cette enquête au sujet des populations migrantes et diasporiques de la première génération, originaires d’Afrique et des sociétés créoles à Lyon16. Elle se donne pour but d’explorer les modalités originales de leurs expressions religieuses et leur inscription dans le catholicisme local. Migrants africains et créoles partagent une histoire religieuse proche : celle d’une action missionnaire catholique qui accompagna la colonisation française. Si l’évangélisation consista en une implantation d’un même modèle religieux occidental in situ, les anthropologues

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Introduction

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remarquent cependant combien l’introduction du christianisme n’a pas produit une rupture radicale. Robin Horton développe l’idée d’une African conversion aux religions universelles, qui minimise la rupture de ces World religions avec les religions africaines traditionnelles17. Sur le terrain réunionnais, Jacqueline Andoche note que les populations (d’origine malgache, africaine ou indienne) ont su se réapproprier, chacune à sa manière, cet événement, pour en faire une construction propre18, un « système religieux original19 ». Aux Petites Antilles, Philippe Chanson observe que ce sont « des formes de croyances et de pratiques dites “magico-religieuses” non institutionnalisées, cachées ou glissées sous le catholicisme obligé, qui se sont finalement imposées20 ». En Martinique, Raymond Massé décèle une empreinte de la spiritualité africaine dans l’univers magico-religieux antillais « dans l’angoisse existentielle liée à la crainte des forces surnaturelles ou dans le monde des esprits21 ». Ainsi, l’affinité entre le catholicisme créole, africain, et les ressources de la religion populaire22 a été largement soulignée23. Aux Antilles, dans les Mascareignes, comme en Afrique, le catholicisme entre en résonance avec une culture religieuse accordant une grande place au corps et aux émotions. Fait de l’omniprésence du divin et du surnaturel dans le quotidien, ce système religieux se caractérise par sa propension à « ré-enchanter le monde ». Sur le terrain lyonnais, les populations rencontrées confirment cette proximité entre catholiques créoles et africains. Aya, une Ivoirienne interviewée dans le cadre de notre enquête le dit : « Avec les Antillais, on a la même façon de prier, la même joie. On est très soudés. » Quant à Déborah, d’origine malgache, elle l’affirme : « Avec les Africains, on a une sensibilité commune : c’est celle de vivre notre foi au quotidien, minute par minute et puis d’avoir cette liberté de dire “je suis chrétien”, de ne pas avoir de tabou là-dessus. » Associer dans un même champ d’études le catholicisme des migrants d’origine africaine, réunionnaise et antillaise ne signifie pas pour autant que ces origines soient identiques. Elles

recouvrent une multiplicité de modalités. De la même façon, le terme « migrant » ne peut pas convenir aux Martiniquais, aux Réunionnais et aux Guadeloupéens. Ces trois îles ayant été proclamées département français, il s’agit sur le plan juridique d’un déplacement interne. Cependant, comme le précise Philippe Deslile : « Au niveau humain24, l’immigration antillaise est évidemment largement comparable à celle émanant des pays indépendants25. » Quelles sont les pratiques religieuses des catholiques en provenance des sociétés créoles et africaines ? Comment s’inscrivent-elles dans le cadre domestique et urbain ? Comment vivent-ils leur expérience ici et là-bas ? C’est à ces questions que la première partie de cet ouvrage tente de répondre, en montrant comment un catholicisme inédit s’élabore et se déploie au-delà du seul territoire lyonnais. Au cours de leur expérience migratoire, les populations africaines et créoles se voient confrontées à une tradition chrétienne bien différente. Les Églises du Nord privilégient l’observance à l’extase, le recueillement et la réserve à l’expression émotionnelle de la foi. Que résultet-il de cette confrontation entre le catholicisme du Sud et celui des sociétés d’accueil ? C’est à cette question que nous cherchons à répondre ensuite. Nous verrons alors, dans un second temps, combien la pratique religieuse peut s’intensifier avec la migration ou la diaspora et dans ce cas, permettre à ses acteurs de nouer des liens sociaux comme de tirer avantage des ressources symboliques que le catholicisme leur fournit. Néanmoins, l’intégration dans le catholicisme local étant souvent source de déconvenues, nous finirons, dans une troisième partie, par mettre en évidence les difficultés qu’éprouvent les populations originaires des sociétés créoles et africaines sur le territoire lyonnais. Sur le plan méthodologique, notre travail ethnologique a commencé dans le quartier de La Guillotière, devenu en une dizaine d’années une « centralité immigrée » (commerciale,


Appréhendant le religieux vécu, tel qu’il s’énonce et se fabrique, nous avons privilégié l’observation participante et la réalisation

d’entretiens semi-directifs28. Dans l’analyse de ces entretiens, nous optons pour une posture compréhensive, obligeant à « prendre au sérieux les idées et les croyances29 » et à porter attention au discours des acteurs comme au sens qu’ils accordent à leurs activités religieuses30. Les photographies ont été réalisées à l’occasion ou à la suite des entretiens, menés, dans la mesure du possible, au domicile de chaque interviewé. Ces photographies, relevant du registre du portrait, ont été réalisées avec des objets ou dans des espaces évocateurs de leur attachement au catholicisme. Les photographies ont également été prises dans divers lieux de sociabilité. Le reportage photographique cherche à rendre compte des pratiques religieuses accomplies dans le cadre des célébrations ecclésiales comme celles qui le sont en dehors de l’institution. Tout au long de cette enquête, nous appréhendons la religion sans a priori, telle que ces populations l’expriment. Nous veillons à montrer l’apport des modes différenciés d’appropriation des normes et de la doctrine. Nous cherchons également à présenter les ruptures et les continuités entre les dévotions d’hier et celles d’aujourd’hui, entre un catholicisme français ancré dans des territoires et une histoire nationale particulière, et ces catholicismes du Sud, marqués du sceau des circulations, de la mobilité et de l’urbanité. Nous tentons de voir comment les migrants s’inscrivent dans cet héritage chrétien français, pour réactiver des pratiques (pèlerines, dévotionnelles) locales.

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sociale et culturelle) pour les populations originaires d’Afrique subsaharienne, mais aussi les Antillais et les Réunionnais de l’agglomération lyonnaise. En effet, cette partie nord du 7e arrondissement de Lyon a vu se multiplier le nombre de nouveaux commerces exotiques : magasins d’alimentation africaine et antillaise, salons de coiffure, boutiques de poses d’ongles, bars-restaurants, etc. Benjamin Vanderlick a consacré un reportage photographique à ce qu’il désigne en termes de nouveaux « maquis26 ». Le quartier de La Guillotière est une des « portes d’entrée » de l’entreprise ethnographique et du reportage photographique. Il nous permet de ne pas immédiatement centrer nos observations sur l’institution catholique, mais d’aborder le religieux par le biais des espaces dédiés à la vie quotidienne des populations étudiées. Notre étude s’élargit ensuite à une pluralité d’habitants installés sur l’ensemble de la métropole lyonnaise. Si nous avons veillé à mener des entretiens avec des personnes d’âge, de sexe et de milieu social variés, nous avons cependant rapidement constaté une différence notoire : la pratique religieuse des femmes issues de la migration et de la diaspora est plus soutenue que celle des catholiques de sexe masculin. Les observations sur le terrain lyonnais confirment les résultats de l’enquête TeO, qui précise que : « La religiosité des femmes est toujours plus élevée que celle des hommes, et ce quel que soit le lien à la migration : elles sont moins nombreuses à se déclarer sans religion, et quand elles s’inscrivent dans une religion, celle-ci joue un rôle plus important dans leur vie que pour les hommes27. » En revanche, l’âge, le niveau de diplôme et le milieu social semblent avoir moins d’influence sur l’intensité de la pratique religieuse de nos interlocuteurs qu’ils ne l’ont dans la société française en général. Les dévotions habituellement désignées en termes de « religiosité populaire » sont loin d’être réservées aux milieux sociaux les plus modestes et aux individus les moins diplômés.

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« Je fais mon zembrocal »  Expressions religieuses inédites


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territoire lyonnais, les expressions religieuses des migrants catholiques sont proches de celles manifestées au préalable. Ici comme là-bas, elles s’articulent autour de la prière, de la vénération des saints et des rites. Elles font la part belle aux demandes de protections, de guérisons et de délivrances. Pourtant, au-delà des similarités observables, ces expressions croyantes sont marquées du sceau de l’innovation. En s’imbriquant avec des dévotions locales tombées en désuétudes, elles donnent lieu à des créations originales, à des « bricolages » pour reprendre la métaphore lévi-straussienne. Sur le plan moral, des accommodements personnels s’opèrent, alors qu’au plan institutionnel, une désaffiliation s’observe. En se déployant dans le cadre de réseaux transnationaux, les expressions religieuses se modifient et s’enrichissent d’apports multiples. Entre permanence et adaptation au nouveau contexte culturel, entre continuité et réinterprétation des données religieuses, un catholicisme inédit s’élabore.

« Je confie tout à Dieu »

Des prières

Globalement, les migrants catholiques manifestent peu d’intérêt pour les approches intellectualistes de la foi ou les engagements militants. Qu’il s’agisse des manifestations en opposition au projet de loi Taubira31 ou de celles qui suivirent les attentats de Charlie Hebdo32, aucun de nos interlocuteurs n’a participé aux grandes manifestations lyonnaises qui se sont déroulées au moment où nous menions nos entretiens. Augustine le dit : « Je n’ai pas fait les manifs. Je confie tout à Dieu quand je prie, et Dieu regarde son monde, il voit. » Originaire du Cameroun, Augustine est venue en France quinze ans plus tôt avec ses trois grands enfants, pour épouser un Français. La soixantaine passée, elle poursuit son activité d’agent d’entretien dans une administration. À son image, l’activité religieuse privilégiée par les migrants est la prière. L’activité priante prend différents objets pour support. Les catholiques en possèdent certains à leur domicile (bougies, images pieuses, crucifix, icônes), en emportent d’autres avec eux lorsqu’ils se déplacent (médailles, chapelets) et vont en chercher d’autres encore dans des sanctuaires (statues, ostensoirs, tableaux). Dans leurs habitations, divers inscriptions, images et objets religieux jouxtent l’écran télé ou des visuels profanes (tableau d’un paysage, photographie de famille, calendrier). Des autels particuliers sont également installés, dans un coin du salon ou de la chambre à coucher, le plus souvent. Keisha a quitté la Centrafrique pour la Belgique au moment de commencer ses études supérieures. Après avoir obtenu une maîtrise en communication sociale, elle a rejoint la France. Chez elle, la quinquagénaire désigne son balambo, un tabouret typique en Centrafrique sur lequel elle a disposé une statuette, une petite croix, une ou deux images et une bougie. Le catholicisme en configuration créole et africaine favorise une vision enchantée du monde, des pratiques thaumaturgiques et la protection


récent concernant la pratique du chapelet puisqu’en plus de sa récitation sous une forme « classique », de nouvelles manières de le dire se développent. Depuis le début des années 2000, des neuvaines inédites se font jour : au Précieux Sang de Jésus35, à la Miséricorde Divine36, aux Sept douleurs37, à Marie qui défait les nœuds, etc. De plus, cette évolution apparaît en plusieurs villes de par le monde : de Bamako à Lyon en passant par Paris et Abidjan. Ce phénomène nous montre au passage que des pratiques pouvant paraître aussi anciennes et figées que le chapelet sont loin d’être statiques. Par ailleurs, la façon de dire le chapelet diffère d’une personne à une autre. Thérèse a quitté l’île de La Réunion pour venir étudier à Lyon dans les années 1980. Mère d’un fils qu’elle élève seule, la quinquagénaire a longtemps travaillé comme secrétaire médicale aux Hospices Civils de Lyon. Actuellement sans emploi, elle consacre la majeure partie de son temps à la pratique religieuse. Thérèse compare sa manière de prier le chapelet à celle d’une autre Réunionnaise : « Elle égrène, elle égrène, moi je ne suis pas dans cette technique-là. Moi, il faut que je médite. C’est pour ça que je n’arrive pas à faire un Rosaire, parce que je médite et après je pars dans mon délire… Donc elle, elle égrène. Chacun son truc ! » Enfin, si des catholiques prient le chapelet régulièrement, d’autres observent un rythme plus aléatoire, qu’ils alignent sur le calendrier liturgique. La période du carême et le mois de mai traditionnellement appelé « le mois de Marie » – sont propices à cette pratique. Concernant les médias chrétiens, les catholiques issus de la migration et de la diaspora écoutent Radio Espérance et RCF. Ils sont pour certains abonnés à Prions en Église et consultent des sites d’informations religieuses comme « Aleteia ». À la radio, les émissions d’actualité et autres reportages « profanes » sont peu suivis par nos interlocuteurs. En revanche, les programmes dédiés à la prière le sont principalement. En plus du chapelet, c’est la médiation matinale de l’Évangile que les migrants apprécient. Augustine s’y adonne « le matin très tôt, avant de sortir de

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contre les entités invisibles. Ces grands traits d’une religion qualifiée de « populaire » caractérisent également le catholicisme des migrants en Europe. Ils apparaissent à travers la possession d’objets ou l’utilisation d’éléments destinés à protéger les croyants. Marie-Pierre est originaire du Cameroun. Elle travaille dans le quartier de La Guillotière. À son domicile comme dans la boutique de coiffure qu’elle gère, la quadragénaire dit « mettre un peu d’eau bénite partout, de temps en temps, quand je trouve que c’est un peu triste. Ça arrive les jours où on est énervé, et lorsque je ne me sens pas bien, que j’ai des frissons. » Toutes les personnes rencontrées détiennent un ou plusieurs chapelets, qu’elles n’hésitent pas à emporter dans leurs sacs ou à glisser dans leurs poches. Sa récitation s’effectue parfois de manière solitaire, mais certains croyants se réunissent également au domicile de l’un ou de l’autre à cet effet. Plusieurs le font en écoutant RCF33, car chaque jour, la radio chrétienne consacre une émission à la récitation du chapelet. C’est le cas de Guillaume, dont l’activité professionnelle de livreur le conduit à passer beaucoup de temps au volant d’un 3,5 tonnes. Tout en conduisant, le quadragénaire écoute le chapelet de 15 h 30 sur RCF. « Ça me rappelle quelque chose, parce que le rosaire [on le récitait] presque tous les jours à Madagascar. » C’est au milieu de ses collègues que Jacqueline suit quotidiennement le chapelet en direct de Lourdes, retransmis par la radio lyonnaise. « Tout le monde se moque de moi, mais ce n’est pas le problème ! », reconnaît la sexagénaire. Mère de deux enfants, Jacqueline vit seule et travaille comme hôtesse d’accueil. Au moment où nous la rencontrons, Jacqueline fait « une neuvaine pour la France, avant le 14 juillet », après s’être adonnée à une série de neuvaines pour demander la béatification de Pauline Jaricot34 : « la grande Lyonnaise qui a amené l’évangélisation des peuples ! » Les propos de la Camerounaise montrent comment les migrants peuvent réinvestir des figures catholiques locales. Ils illustrent également un phénomène

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la maison. On entend cette bonne parole, ça me réconforte », dit-elle. Ils sont plusieurs à suivre les émissions religieuses diffusées à la télévision le dimanche matin comme le « Jour du Seigneur ». L’adoration devant le Saint Sacrement est une autre forme de prière privilégiée par les migrants. Elle consiste à se rendre dans une église ou une chapelle exposant une hostie placée dans un ostensoir posé sur l’autel. La prière est effectuée en silence. Certaines paroisses ou communautés religieuses vont jusqu’à organiser des roulements afin que l’adoration soit effectuée en continu : 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. On parle alors d’« adoration perpétuelle ». Généralement, les participants s’inscrivent à tour de rôle de manière à assurer une permanence, durant un créneau d’une heure chaque semaine. Lisette et Thérèse, toutes deux originaires de La Réunion, sont de ferventes adoratrices, mais elles refusent de se plier au mode d’organisation entourant cette pratique. Plutôt que « de rester une heure, je reste toute la nuit. J’amène mon petit ordinateur, mes prières, ma Bible », explique Thérèse avant de préciser combien sa façon de faire « bouleverse les gens. Alors, le chef est venu, il m’a expliqué la règle. Il m’a fait : “ah, vous êtes costaud pour rester toute la nuit.” Je lui ai dit : “je ne pensais pas que c’était extraordinaire… Quand on est dans une situation d’amour, on ne voit pas le temps [passer]”. Mais ils n’aiment pas trop qu’on vienne comme ça et qu’on reste toute la nuit. » Pourtant, ajoute la quinquagénaire, « c’est vrai qu’on est transporté la nuit. Ceux que j’emmène comme mon fils, tous me disent qu’en fait la nuit c’est différent ». Et, concernant son amie Lisette, elle note : « Comme elle n’avait pas de bus pour rentrer, elle passait toute la nuit à prier et, sur le long temps, j’ai vu la transformation de cette fille. Elle restait jusqu’à cinq heures du matin et elle a vraiment eu un apaisement. » Enfin, les migrants accordent une grande importance au culte eucharistique et christologique que symbolise le Sacré-Cœur. Il s’exprime à travers la diffusion des images inspirées des visions de la religieuse bourguignonne

Marguerite-Marie Alacoque ou de celles de sœur Faustine (la Polonaise Helena Kowalska). Il prend également la forme d’une adhésion à la « La Garde d’Honneur du Sacré-Cœur », initiée à la fin du XIXe siècle à Bourg-en-Bresse par la visitandine Marie du Sacré-Cœur (Constance Bernaud) et le théologien Mgr Hippolyte Perretant38. Dans l’archipel catholique, ceux qui viennent d’Afrique et des sociétés créoles entrent dans la catégorie des « zélés39 ». Leur pratique de la prière est fréquente et soutenue. Elle accompagne leurs gestes quotidiens. Alexandre est originaire du Burundi. Les événements politiques l’ont conduit à se réfugier en France à la fin des années 1990. Cet ancien cadre supérieur et dirigeant d’entreprise occupe en France un emploi d’agent administratif. Lorsqu’il se rend au travail, le sexagénaire prie durant le trajet. « Dans le train, le matin, je fais ma petite prière pendant quinze minutes. Et c’est très bien, parce que personne ne parle, tout le monde est sur son téléphone (rire). » De retour chez lui, le Burundais qui vit seul, fait la cuisine au son d’une musique religieuse. Il prie à nouveau avant de se coucher. Mais il précise qu’au-delà de ces rituels journaliers, « je prie à n’importe quelle heure, dès que ça me prend, comme ça ! » Il en va de même pour Keisha qui prie dès son réveil et tout au long de la journée, lors de ses « petits trous de prière », comme elle les nomme. Elle le fait principalement en chantant et favorise les prières spontanées aux formules récitées. Quant à Augustine, qui prend chaque jour un moment pour prier dans sa chambre, elle commence systématique par entonner un chant pour « attirer le Saint-Esprit », dit-elle. Puis, poursuit la Camerounaise, « je remercie mon Dieu pour ses bienfaits. Après, je présente mes doléances à Dieu : ma famille, mes enfants, mon travail, tout ce qui se passe dans le monde. » C’est dans le cadre familial que Guillaume prie. Avant les repas tout d’abord, « c’est obligatoire et impossible de manger sans faire la prière, et ça devient une habitude pour les enfants, même à l’extérieur ils le font » ; au moment du coucher des enfants ensuite, dans leur chambre ou au salon. « C’est question de


Du point de vue linguistique, les catholiques de la migration et de la diaspora prient tantôt en français, tantôt dans leur langue d’origine. Jacqueline chante, parle et lit le texte biblique en camerounais. Guillaume prie spontanément en malgache, mais utilise le français en public et alterne par ailleurs entre la Bible en français et la Bible en malgache. Tout comme lui, Alexandre prie dans les deux langues, « en français avec les autres » et dans sa langue natale lorsqu’il est seul, soutenant que : « La vraie prière profonde c’est plus en Kirundi. » À l’inverse, même lorsqu’elle prie seule chez elle, Marie-Pierre s’adresse à Dieu en français. « Je me dis qu’il m’écoute mieux en français que dans ma langue », affirme la Camerounaise.

« Éloigner les démons »

Des demandes de protection Comme le souligne Hélène Migerel dans la Migration des zombis40, la crainte des entités surnaturelles malfaisantes franchit les océans. Ainsi, catholiques créoles et africains en contexte lyonnais continuent de privilégier une causalité exogène au malheur. Échec, maladie, souffrance sont attribués aux sorts, aux possessions par des esprits maléfiques, à des punitions divines. Cette étiologie des problèmes explique les nombreux recours individuels à des prêtres pour des exorcismes ou des bénédictions de maisons. Déborah en témoigne : « L’oncle de mon mari a suivi une formation d’exorciste donc quand il passe chez nous, on en profite pour lui demander de nettoyer un petit peu la maison, il exorcise chacun, mais il ne dit pas exorciser, il dit “libérer”. » Avant de repartir, le prêtre bénit la famille malgache, muni d’un flacon de sel, de l’huile et d’une bouteille d’eau. Il recommande à ses neveux « d’en mettre dans chaque coin de la maison et sur les ouvertures en faisant la prière [pour] éloigner les démons. » Lorsqu’elle emménagea dans son nouvel appartement, Thérèse se mit en quête d’un prêtre afin qu’il vienne le bénir. La Réunionnaise est persuadée que « ça apporte quelque chose à la maison. On a l’impression que c’est différent avant et après. Mais le problème, c’est que ce n’est pas une pratique courante ! » La quinquagénaire sollicite un prêtre de sa paroisse qui, après moult hésitations, finit par accepter. Elle découvre à cette occasion, une manière de faire différente de celle qu’elle avait connue outre-mer. « … C’est pas la même façon que les bénédictions des prêtres à La Réunion [qui] mettent au moins quelque chose comme une aube. Lui n’a pas fait ça, il est venu en civil. » Avant de passer dans chaque pièce de l’appartement pour y déverser un peu de sel et d’eau en priant, Thérèse adresse un requête particulière au prêtre : « Je voulais absolument qu’il y ait une imposition des mains sur mon fils. Donc, on a prié, il l’a béni et on a continué de prier. Il m’a aussi fait l’imposition des mains. »

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rappeler aussi aux enfants qu’on est chrétiens et qu’on n’oublie pas notre foi », affirme le Malgache. Déborah est également originaire de la Grande Île. Actuellement maîtresse de conférences dans une université publique, la trentenaire a quitté Madagascar une dizaine d’années plus tôt pour venir étudier en France. Elle est par ailleurs mariée et mère de famille. Comme son compatriote, Déborah s’emploie à prier avec ses filles auxquelles elle a acheté des Bibles pour enfants. Elle leur a également offert des statuettes de Jésus « pour pouvoir prier et les rassurer la nuit, ça remplace la petite veilleuse ». Par ailleurs, Déborah s’adresse à Dieu en de multiples occasions. Elle raconte : « Jésus est avec moi tous les jours. Un jour même, en traversant la rue, y avait un bus qui partait et je lui ai dit : Jésus dépêche-toi parce qu’y a le bus qui part là ! J’ai éclaté de rire toute seule ! Il est constamment avec moi. »

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Les croyants attendent des spécialistes du sacré (prêtres, guérisseurs, pasteurs, etc.) qu’ils agissent de manière efficace. De ce fait, ils n’opèrent pas nécessairement de distinctions entre ceux qui sont reconnus par l’institution ecclésiale et ceux qui ne le sont pas. Il en va ainsi d’Augustine qui est catholique, mais qui préféra solliciter son cousin pasteur. « Il avait la soutane, il est entré dans toutes les pièces en chantant et en lisant la Bible, il a béni la maison. » Quel sens la Camerounaise donne-t-elle à cette pratique ? Elle répond : « Disons que c’est nécessaire, je suis obligée de remercier Dieu, car d’autres cherchaient [également un logement], mais moi j’ai pu trouver. Je n’ai pas pu trouver parce que j’étais plus riche ou plus forte, mais c’est quelque chose qui est arrivé. Et deuxièmement, la personne qui était là [avant moi] n’était pas croyante. Peut-être qu’elle faisait d’autres pratiques et moi je n’ai qu’un Dieu, c’est tout. Il faut que je confie la maison à Dieu et tout ce qui va se passer ou bien on ne sait jamais… ! C’est pourquoi j’ai mis la croix là. » Cette pratique vise donc à protéger Augustine à double titre. Vis-à-vis de Dieu tout d’abord, auquel elle attribue le fait d’avoir obtenu son appartement. Selon une logique de « don et de contre-don », elle estime que la divinité attend une marque de reconnaissance de sa part, en échange du logement qu’il lui aurait permis d’obtenir. Ensuite, ce sont des esprits néfastes que les précédents locataires auraient pu laisser s’installer, dont la sexagénaire espère être mise à l’abri. Notons ici que cette optique maussienne41 de réciprocité entre la croyante et Dieu, telle une prestation obligeant mutuellement donneur et receveur, se retrouve par ailleurs dans les propos d’Augustine au sujet de la quête. Si elle ne la verse pas au diocèse de Lyon, elle se fait néanmoins un devoir d’apporter sa contribution financière à l’Église au Cameroun. « Il faut que je paie ma dîme, je suis obligée parce que je me dis que si je ne paie pas ce n’est pas bon. C’est Dieu qui me donne ça […] Et le dimanche [au Cameroun], il faut donner à manger au prêtre et comme moi je ne peux pas

aller donner à manger au prêtre, tous les trois mois je suis obligée d’envoyer quelque chose à l’Église, c’est comme ça. » Frédéric est venu à Lyon cinq ans plus tôt pour y poursuivre des études et « découvrir autre chose » comme il le dit. Après avoir obtenu un BTS, il trouve un emploi dans son domaine de compétences. Le Réunionnais attribue lui aussi les mêmes capacités surnaturelles aux différents types de prêtres, qu’ils soient catholiques ou hindous. Il nous explique : « À La Réunion, il y a beaucoup de sorcellerie, on va voir un prêtre tamoul [qui] va faire de la prière, chez nous on appelle ça “un travail” : Prier tel dieu, telle déesse et essayer de nous sortir de là. » De manière équivalente, il lui arrive de s’adresser à un prêtre catholique « pour quelqu’un qui est malade ou quelqu’un qui a des problèmes ». Claudine est également originaire de La Réunion. La sexagénaire est veuve et mère de quatre enfants. Elle se souvient elle aussi, avoir eu recours à un prêtre catholique, pour une question de santé. Elle raconte : « Lors d’un baptême, j’ai rencontré le père G, d’origine congolaise. […] Je lui ai demandé s’il pouvait prédire pour ma sœur qui était alcoolique et qui se trouvait chez moi ce jour-là. Au moment où le père est arrivé dans la salle de réception, il s’est mis à côté d’elle et il s’est mis à prier au milieu de tout le monde. Il y avait des gens qui se demandaient ce qu’il faisait. Après, c’est grâce aux prières du Père qu’elle a guéri. » Notons dans cette situation, la proximité des conceptions relatives à la prière de guérison, entre des catholiques originaires des sociétés créoles et africaines.


Des vénérations de saints Les catholiques créoles et africains fréquentent beaucoup les sanctuaires locaux. Parmi ces derniers, la basilique de Fourvière (Lyon 5e) et l’église Saint-Bonaventure (Lyon 2e) sont particulièrement visitées. La vénération des saints occupe une place importante dans la pratique religieuse des populations créoles et africaines à Lyon. Les statues les plus prisées sont celles de la Vierge Marie, du curé d’Ars, de saint Antoine de Padoue, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Joseph et Padre Pio. À Saint-Bonaventure, Christine remarque qu’en face de la statue du curé d’Ars, il y a celle de saint Antoine de Padoue : « Ils ont les deux. Y’a le curé et y’a Padoue, faut se mettre au milieu ! », s’exclame la Guadeloupéenne. Keisha attribue à chaque saint des vertus particulières. Elle souligne : « Les saints c’est formidable, en plus ils ont des fonctions. » Les saints qu’elle dit préférer sont Thérèse d’Ávila, saint François d’Assise, saint Antoine et… sa grandmère ! Jacqueline, pour sa part, s’adresse à un saint différent en fonction du type de difficulté qu’elle traverse. Elle l’explique : « Quand tu as un souci d’enfant, tu vas chez la Mère à l’Enfant, chez saint Joseph et l’Enfant. Si tu as un souci de santé, tu vas chercher une statue de sainte Thérèse. Les causes perdues, sainte Rita, c’est la patronne des causes difficiles. Quand ça devient compliqué, je vais la secouer un peu. » Quant à Marie-Pierre, elle a spontanément recours aux saints lorsqu’elle ne se sent pas bien. « Je trouve n’importe quelle église, pour allumer la bougie. Peu importe où je suis, je ne fais pas attention, je vais là où on peut allumer les bougies pour prier. » Que cherche-t-elle ? « La paix, surtout quand je vais mal. J’obtiens tout de suite une réponse. » La dévotion aux saints est un élément clef dans l’itinéraire de Déborah. La Malgache l’affirme : « C’est pour ça que je suis encore catholique, c’est parce que je crois à la protection

des saints. » Parmi ces derniers, elle a noué une relation particulière avec saint Philippe. Elle l’explique : « Tout au long de ma vie, les gens qui m’ont aidée, qui m’ont donné un coup de pouce là lorsque j’en avais besoin, bizarrement ils s’appelaient tous Philippe ! Mon premier stage, c’était un Philippe qui m’a recrutée ; mon premier emploi c’était un maître qui s’appelait Philippe ; ceux qui m’ont fait confiance, c’était toujours des Philippe ! » Alors que la relation des migrants au divin est envisagée de manière extrêmement respectueuse, voire distante, nous notons la familiarité avec laquelle ces catholiques entrent en relation avec les saints et les saintes : Jacqueline « la secoue » (sainte Rita), Keisha le « harcèle » (saint Antoine) Thérèse parle d’« une statue qui l’appelle ». À propos de tel ou tel saint, ils disent « le connaître », « lui dire des choses », « aller chez lui ». Chantal, l’épouse de Guillaume, est tout comme lui originaire de Madagascar. Le couple a trois enfants. Chantal est venue en France au début des années 2000 pour étudier. Détentrice d’un master de mathématiques, elle travaille en qualité d’agent de service dans une maison de retraite afin de subvenir aux besoins de sa famille. La trentenaire admet pour sa part qu’elle préfère prier les saints, car ils lui paraissent plus accessibles que Dieu : « Je m’adresse à Dieu à travers Marie. Il y a toujours elle comme intermédiaire. J’ai un peu peur de parler à lui (Dieu) directement. » Dans l’église Saint-Bonaventure, force est de constater que la statue du curé d’Ars a été beaucoup touchée. La pierre est très érodée au niveau de ses pieds. « Sans que je leur en parle, raconte Thérèse, plusieurs Réunionnaises m’ont dit : tu sais à Lyon, il y a un truc spécial, il faut rentrer dans les églises vers la statue qui s’appelle le curé d’Ars. Il est génial ce mec, il sourit tout le temps. Il accueille tout le monde qui vient à Lyon ! […] Ce n’est pas seulement les Réunionnais qui le disent, d’autres étrangers m’ont dit qu’ils sont accueillis par le curé d’Ars. »

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« Le curé d’Ars, il est génial ce mec ! »

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Notre-Dame de Velankanni Notre-Dame de Velankanni, appelée aussi Notre-Dame de la Bonne Santé ou Vierge de Pondichéry, par référence au lieu de son apparition au XVIe siècle en pays tamoul, a suscité l’édification de plusieurs églises et sanctuaires de par le monde. À La Réunion, elle fut introduite par des fidèles d’origine pondichérienne, installés dans l’île à la faveur des migrations libres du XXe siècle. Ils la prient actuellement dans l’église de la Délivrance à Saint-Denis de La Réunion. Les dévots « sont en grande partie à l’origine du mouvement dit de “Renouveau Tamoul” qui cherche à expurger l’hindouisme local de ce qui est considéré comme les stigmatisations et les dévalorisations de l’époque coloniale, dont les diabolisations religieuses », note

Messe « tamoule » en l’honneur de Notre-Dame de Velankanni, basilique Notre-Dame de Fourvière, Lyon 5e.

l’anthropologue Jacqueline Andoche qui précise qu’à la différence des descendants des engagés des plantations, les Pondichériens qui sont soit hindous, soit catholiques, ne pratiquent pas la double religion, ni ne cumulent des dévotions . À Lyon, une statue de Notre-Dame de Velankanni fut installée en 2005 dans l’une des chapelles mariales de la crypte de la basilique de Fourvière. Les catholiques en provenance de La Réunion et d’Inde s’y retrouvent le premier samedi du mois pour prier. Frederick, d’origine réunionnaise y participe. « C’est le même rituel que les chrétiens, mais en hindi. En revanche, les chants ne sont pas les mêmes. C’est plus émouvant », affirme le jeune créole.


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Marie qui défait les nœuds La paroisse de la Sainte-Trinité est située dans un quartier populaire du 8e arrondissement de Lyon. Elle rassemble des catholiques aux origines culturelles variées. En 2003, le diocèse a confié son animation à la Mission catholique polonaise. Jacqueline n’habite pas sur le territoire de cette paroisse, mais elle aime se rendre dans son église pour prier devant la statue de « Marie qui défait les nœuds ». Selon notre interlocutrice, cette statue a été fabriquée dans le pays dont elle est originaire : le Cameroun. Pour les responsables de la paroisse, la statue fut introduite à Lyon par le père Tadeusz Smiech au début des années 2000. Au départ, c’est saint Irénée qui a inspiré l’auteur d’un tableau baroque peint au début des années 1700 par Johann Melchior Schmidter avant d’être exposé dans une église à Augsbourg, en Allemagne.

Magnet du tableau de Johann Melchior Schmidter. Statue en bois de la Vierge qui défait les nœuds, église de la Sainte-Trinité, Lyon 8e. Fidèle portant une robe à l’effigie de la Vierge qui défait les nœuds, Villeurbanne.

Jorge Bergoglio rapporta d’Allemagne des images du tableau qu’il distribua. Devenu archevêque de Buenos Aires, il autorisa qu’un culte public lui soit rendu dans l’église de San José de Talar. Résultat : selon une enquête publiée dans le journal argentin La Nación, la Vierge qui défait les nœuds est aujourd’hui la deuxième figure catholique la plus répandue en Argentine après Notre-Dame De Lujan, patronne du pays. En tant que pape, François recommande de l’invoquer face aux situations bloquées ou inextricables. Depuis sa lointaine origine lyonnaise en passant par l’Allemagne puis l’Argentine, la Vierge qui défait les nœuds fait maintenant son retour à Lyon sous la forme d’une statue priée par une Camerounaise grâce au concours d’un curé polonais… !


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Catholicisme créole Du point de vue des Réunionnais, l’observance religieuse plurielle relève de la normalité. Elle est sous-tendue par un principe selon lequel toutes les religions sont équivalentes. Catholicisme, hindouisme, allégeance aux ancêtres africains et malgaches, cultes aux divinités chinoises, ce sont là plusieurs manières d’adorer un Dieu unique. « Bonpé priyèr, un sél bon Dié » affirme l’adage. Ce phénomène peut se comprendre au regard de la situation historique particulière de cette île. Face à un catholicisme promu religion unique et dominant aujourd’hui encore le paysage religieux insulaire, les populations d’horizons géographiques variés ont enrichi le creuset réunionnais de leurs cultures et de leurs

Autel domestique « tamoul », appartement réunionnais, Lyon 5e. Mardin, divinité « tamoule », appartement d’une famille réunionnaise, Lyon 5e. Saint Expédit.

croyances, mêlant leurs sangs, mais aussi, leurs habitudes culinaires, leurs danses, leurs techniques de maternage, leurs langues, et jusqu’à leurs dieux… Un phénomène religieux spécifiquement créole s’y observe, caractérisé par la porosité des croyances religieuses et la circulation des individus entre les différentes composantes de ces croyances et pratiques. Lorsque des Réunionnais s’installent en métropole, ils peuvent être amenés à poursuivre cette double pratique sur le mode du cumul, du mélange ou du va-et-vient, à l’instar de Frédéric qui explique : « Du côté de mon père, c’est plus catholique et du côté de ma mère, c’est plus tamoul, donc on navigue entre ces deux cultures familiales. »


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Religion d’ici, pratiques d’ailleurs  Photographies de Benjamin Vanderlick


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• Repas dominical à domicile devant la chaîne religieuse KTO, Rillieux-la-Pape


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• Intérieur d’appartement, Lyon 7e


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• Crucifix suspendu au rétroviseur, Rillieux-la-Pape


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• Pagne, Le Mas du Taureau, Vaulx-en-Velin


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• Chapelet autour du cou, Lyon 7e


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Les auteurs

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Ce livre a été réalisé dans le cadre du projet ANR « ReliMig » (Religion et Migration, 2017-2021) consacré aux catholiques issus de la migration et de la diaspora. Le projet, coordonné par l’Université Catholique de Lyon, a été mené au sein de l’Unité de Recherche Confluence : Sciences et Humanités.

Valérie Aubourg est Professeure d’anthropologie-ethnologie (HDR) à l’Université catholique de Lyon où elle dirige l’Unité de Recherche Confluence, Sciences et humanités. Elle est également membre associée du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (EPHECNRS). De 2005 à 2011, elle a séjourné à l’île de La Réunion où elle a mené une recherche ethnologique qui donna lieu à trois ouvrages : Religions populaires et nouveaux syncrétismes (Surya, 2010) ; Christianismes charismatiques à La Réunion (Karthala, 2016) et À La Rencontre des cultures et des Religions (L’Harmattan, 2019). Actuellement, ses travaux portent sur les emprunts évangéliques au sein du catholicisme et les problématiques liant religion et migration.

Benjamin Vanderlick est ethnologue et photographe. Sa réflexion est orientée vers les problématiques migratoires, patrimoniales et les enjeux mémoriels comme contemporains relatifs aux migrations, aux minorités culturelles et au monde du travail. Dieu Merci est son cinquième terrain ethnologique et reportage photographique au sujet des immigrés africains à Lyon. Il s’est installé en 2016 dans le Finistère où il poursuit notamment les terrains ethnologiques et photographiques de connaissance comme de valorisation des migrations dans la société française.



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