le Patrimoine dépoussiéré !
Sommaire
44 Jules Robuchon, un « touriste » professionnel Jean-Pierre REMAUD, Assistant qualifié de conservation, Conservation des Musées et des Expositions, Conseil départemental de la Vendée
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Anne BILLY, Docteur en Histoire de l’Art, chargée d’études documentaires, secteur Patrimoine et Archéologie, Conseil départemental de la Vendée
16 Le patrimoine et la Vendée
Laurent BLANCHARD, Conservateur des Antiquités et Objets d’Art de la Vendée (CAOA), chef du Secteur patrimoine et archéologie, Conseil départemental de la Vendée
PARTIE 1 LA FABRIQUE DU PATRIMOINE
26 L’« antiquaire » du XIXe siècle :
Benjamin Fillon
Anne BILLY, Docteur en Histoire de l’Art, chargée d’études documentaires, secteur Patrimoine et Archéologie, Conseil départemental de la Vendée
30 Collections et musées au Département de la Vendée : de l’abbé Baudry à l’Historial de la Vendée 1880-2006
Éric NECKER, Conservateur en chef du patrimoine, chef de service de la Conservation des Musées et des Expositions, Conseil départemental de la Vendée
34 Des dessins inédits d’Octave de Rochebrune au musée Dobrée
Claire GUILLERMIC, Diplômée de l’École du Louvre
38 Marcel Baudouin (1860-1941) :
Un archéologue vendéen à la croisée de deux époques
Colette du GARDIN, Docteur en archéologie, Archéologue, secteur Patrimoine et Archéologie, Conseil départemental de la Vendée
48 Sauvegardons nos cloches ! Claire DURAND, Chargée de projets, secteur Patrimoine et Archéologie, Conseil départemental de la Vendée
PARTIE 2
LE PATRIMOINE EN ACTION(S)
58 Connaître, comprendre et valoriser : missions du service des monuments historiques en France Clémentine MATHURIN, Conservatrice des Monuments historiques, Direction régionale des affaires culturelles, Pays de la Loire Pauline DUCOM, Conservatrice des Monuments historiques, Direction régionale des affaires culturelles, Pays de la Loire
64 L’Inventaire général en Pays de la Loire Un outil au service de la connaissance et de la valorisation
Frédéric FOURNIS, Chercheur, chef du pôle Inventaire, Service Patrimoine, Région des Pays de la Loire
72 L’action de la conservation des antiquités et objets d’art en Vendée Julien BOUREAU, Chef du Service Patrimoine, Région des Pays de la Loire
82 Les nouvelles technologies au service de l’archéologie du littoral
Thomas VIGNEAU, Archéologue, secteur Patrimoine et Archéologie, Conseil départemental de la Vendée
86 Actualité archéologique à « l’hôtellerie » de l’abbaye de Maillezais
Teddy BETHUS, Archéologue médiéviste, secteur Patrimoine et Archéologie, Conseil départemental de la Vendée
90 La fontaine de la Fosse : une incroyable aventure !
Patricia JAUNET, Architecte du Patrimoine
94 Le patrimoine est aussi documentaire !
Thierry HECKMANN, Conservateur général du patrimoine, Directeur des Archives départementales de la Vendée Emmanuelle ROY, Chef du service Internautes et Réseaux Collaboratifs, Archives départementales de la Vendée
PARTIE 3 DU PATRIMOINE AUX PATRIMOINES
104 Vers une diversification croissante des patrimoines
Clémentine MATHURIN, Conservatrice des monuments historiques, Direction régionale des affaires culturelles, Pays de la Loire Pauline DUCOM, Conservatrice des monuments historiques, Direction régionale des affaires culturelles, Pays de la Loire
110 Diversité et originalité du patrimoine vendéen
Julien BOUREAU, Chef du Service Patrimoine, Région des Pays de la Loire.
122 Le patrimoine religieux in situ : entre pratique cultuelle et culturelle
Abbé Olivier PRAUD, Diocèse de Luçon, Chargé d’enseignement au Theologicum, Faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris
128 Le Mur de l’Atlantique en Vendée, vers la genèse d’une nouvelle sensibilité patrimoniale ?
Thomas GRAFFARD, Doctorant à l’université de La Rochelle
132 Les parcs et jardins de Vendée, un patrimoine vivant à transmettre Gaëtane de La FORGE, Paysagiste au CAUE 85 Alain DURANTE, Président de l’APJV
138 Le patrimoine des mairies
Claire DURAND, Chargée de projets, secteur Patrimoine et Archéologie, Conseil départemental de la Vendée
142 Le patrimoine scientifique des collèges et des lycées
Francis GIRES, Vice-Président ASEISTE, Expert du ministère de la Culture et de la Communication pour la protection des instruments scientifiques pédagogiques et Chargé de mission du ministère de l’Éducation nationale pour la sauvegarde du patrimoine scientifique des lycées et collèges
146 Maisons Paysannes de Francele patrimoine funéraire en Vendée
Claudine SCHNEPF, présidente d’honneur de la délégation de la Vendée des Maisons Paysannes de France
148 Dès aujourd’hui préservons l’avenir
Patrick NAYL , Délégué départemental de la Fondation du patrimoine
150 Géologie et biodiversité : un patrimoine commun de la Vendée
Claude ROY, Directeur de l’Environnement, de l’Agriculture et de la Pêche, Conseil départemental de la Vendée
Olivier BOSSU, Chef du service Nature, Direction de l’Environnement, de l’Agriculture et de la Pêche, Conseil départemental de la Vendée
158 Le patrimoine culturel immatériel
Jean-Pierre BERTRAND, Fondateur d’Arexcpo en Vendée et d’OPCI-EthnoDoc (Office du patrimoine culturel immatériel et centre de ressources EthnoDoc)
Philippe BOISSELEAU, Directeur d’OPCI-EthnoDoc
PARTIE 4
CATALOGUE DES ŒUVRES
182 Frise chronologique
190 Orientations bibliographiques
Préface
Engagé depuis toujours en faveur de la préservation et la valorisation du patrimoine vendéen, le Conseil départemental vous propose une exposition qui vous permettra sans nul doute d’en découvrir ou redécouvrir sa richesse, et d’appréhender – au fil de l’histoire – notre attachement au patrimoine culturel, aux traditions, aux savoir-faire ancestraux : de la prise de conscience patrimoniale après la Révolution à sa protection progressive, en passant par sa mise en lumière via des inventaires et des collections privées… oui, le patrimoine est depuis toujours au cœur de notre identité ! Il constitue un véritable vecteur économique et touristique pour le rayonnement de la Vendée, que cette exposition contribue à mettre en valeur.
Avec le Plan Patrimoine 2018-2023 que le Département a adopté, nous poursuivons ce cap. Création d’un label « Trésors d’église », collection « Vendée Patrimoine », assises du patrimoine, renforcement de notre aide à la restauration du patrimoine mobilier et immobilier en faveur des communes (dont peuvent bénéficier désormais celles de plus de 10 000 habitants), expositions, comme celle qui vous est aujourd’hui présentée, sont autant d’actions départementales en faveur du patrimoine vendéen qui seront mises en œuvre d’ici 2023.
Je vous souhaite, à toutes et à tous, de magnifiques découvertes !
Yves Auvinet Président du Conseil départemental de la VendéeAvant-propos
En 2018, le Département de la Vendée décide de réaffirmer l’ambition patrimoniale qui l’anime depuis des décennies ; année par ailleurs proclamée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union « Année européenne du patrimoine culturel ». Pour cela, il engage un certain nombre d’actions, dont cette exposition qui en constitue l’un des temps forts. Or, si depuis une dizaine d’années, les institutions européennes reconnaissent que le patrimoine est un « instrument majeur du développement durable et de la cohésion sociale [qu’] il concourt à la qualité de vie des citoyens, à l’attractivité des territoires et au développement de l’économie locale », des Vendéens de tous horizons ont fait ce constat depuis longtemps. En effet, dès les années 1980, lorsque les institutions départementales et communales, les associations, les particuliers… comprennent que le patrimoine peut être un atout majeur dans le développement culturel, touristique et économique du territoire, s’engage alors un formidable élan en faveur de sa sauvegarde et de sa valorisation ; genèse présentée par Laurent Blanchard (cf. article p. 16-23) en introduction de cet ouvrage et dont certains pans seront décrits dans les articles suivants.
Cette exposition et le catalogue qui l’accompagne ont donc une triple vocation. Ils visent à montrer la richesse du patrimoine vendéen dans sa grande diversité (de manière chronologique, thématique, selon les matériaux ou les savoir-faire…) et la façon dont ces dernières décennies les Vendéens ont œuvré et continuent de le faire, à la connaissance, à la conservation et à la mise en valeur de leur patrimoine, grâce à des projets culturels qui ont émergé sur le territoire. Ils démontrent aussi que cet intérêt pour le patrimoine s’inscrit dans une dynamique nationale globale née à la suite de la prise de conscience patrimoniale apparue « officiellement » après la Révolution. En effet, l’histoire patrimoniale de la Vendée ne peut s’entendre qu’à travers sa mise en perspective avec le contexte national ; la politique patrimoniale vendéenne d’aujourd’hui est le fruit d’une prise de
conscience progressive de l’importance du patrimoine et de la mise en place d’un appareil législatif et scientifique de plus en plus subtil. Enfin, ils portent pour ambition d’éveiller ou de réveiller les consciences sur la nécessité de continuer cette action afin d’assurer la transmission de notre patrimoine aux générations futures. Ne dit-on pas que pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ? Or, cette question de la transmission du patrimoine conduit notre réflexion jusqu’aux problématiques contemporaines inhérentes au phénomène de patrimonialisation dont les critères évoluent sans cesse et dépassent actuellement les systèmes de référence techniques de l’architecture, de l’histoire de l’art ou de l’ethnologie, pour rejoindre notamment des questions d’identité. Les enjeux de l’exposition et de son ouvrage dépassent alors largement la dimension matérielle du sujet, et un dénominateur commun semble poindre : l’Homme. De ce fait, en regardant le patrimoine à travers ce prisme, nous avons abordé la notion de patrimoine de manière chronologique, juridique, thématique, matérielle, scientifique, anthropologique et didactique, en établissant systématiquement un parallèle entre l’histoire nationale et la façon dont les décisions gouvernementales se traduisent sur le territoire vendéen. Le patrimoine étant lié à la société et donc au regard qu’elle porte sur lui, il est, par conséquent, en constante évolution.
Le patrimoine et la Vendée
Les lieux sont aussi des liens.
Et ils sont notre mémoire 1 .
Depuis les années 1980, dans un mouvement général, les Vendéens – les collectivités départementales et communales, les associations, les particuliers – se sont engagés dans une dynamique de conservation et de valorisation de leurs patrimoines, et donc de leur histoire, favorisant un développement culturel, touristique et économique jusqu’alors inédit. Tous les départements ne cultivent pas la même relation à leur patrimoine : cet attachement singulier à l’histoire et au patrimoine, articulant « Mémoire et Audace2 », teinté de fierté et d’enthousiasmes créatifs, a sa propre histoire.
Lorsque pendant la Révolution, face au vandalisme commis sur des « objets nationaux, qui, n’étant à personne, sont la propriété de tous3 », surgit aux lèvres de l’abbé Grégoire la notion de patrimoine artistique, les Vendéens de ce département nouvellement créé en sont bien éloignés, engagés à défendre leur liberté de conscience et leurs fidélités séculaires. Durant le XIXe siècle, le traumatisme de la Guerre de Vendée et la résilience silencieuse nécessaire à la construction de leur avenir n’invitent pas les Vendéens à se saisir immédiatement de ce concept d’élites parisiennes. Bon nombre d’abbayes désertées sont transformées en carrière de pierre ; d’anciennes églises sont abattues pour reconstruire des édifices plus grands ; les châteaux forts sont abandonnés à leur état de ruines ; les logis sont rebâtis en châteaux au confort bourgeois ; les moulins sont adaptés aux technologies de l’industrie naissante ; et, pour son chef-lieu, par la volonté de Napoléon, la Vendée délaisse sa capitale historique au profit d’une ville nouvelle.
Les premiers effets du processus de patrimonialisation qui se met en place dans les esprits apparaissent par touches modestes en Vendée. Parmi la liste établie en 1840 d’un millier de monuments français « pour lesquels des secours ont été demandés », seulement deux monuments vendéens sont retenus : les églises romanes de Vouvant et de Maillezais. Et alors que, dès 1801, quinze villes bénéficient de dotations d’œuvres de l’État pour constituer des musées en province, le premier musée vendéen est fondé à La Roche-sur-Yon en 1847.
En Vendée, l’apparition d’une conscience patrimoniale est davantage à mettre au crédit de notables érudits qui fondent la Société d’Émulation de la Vendée en 1854 avec pour objectif « l’encouragement et le progrès de l’industrie, des lettres, des sciences et des arts », et la Revue du Bas-Poitou publiée à partir de 1888 sous la direction de René Valette. Il faut mentionner particulièrement des personnalités comme Charles Dugast-Matifeux, Faustin Poëy d’Avant, Benjamin Fillon ou Octave de Rochebrune, ces grands « antiquaires » qui s’attachent à étudier et collectionner le patrimoine vendéen. Le second musée de Vendée ouvre ainsi en 1875 à Fontenay-leComte suite au legs d’Eugène de Mouillebert, érudit et collectionneur fontenaisien.
Une prise de conscience progressive
Fig. 1
Un monument historique en Vendée : plus de 12 millions d’entrées sont enregistrées chaque année en France à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. Cliché Laurent Blanchard.
L’affirmation de l’identité vendéenne
La protection des monuments devient une prérogative de l’État : un corpus législatif s’élabore progressivement jusqu’à la loi fondatrice de 1913 sur les monuments historiques, dont les dispositions s’étendent aux objets. Le ministère des Beaux-Arts, pour recenser, protéger et restaurer le patrimoine, se dote alors des compétences d’Architectes des monuments historiques ou des Bâtiments de France, de conservateurs des antiquités et objets d’art (CAOA), et de toute une administration. Le travail de celle-ci porte aujourd’hui en Vendée la protection au titre des monuments historiques à près de 400 édifices et 2 000 objets.
Au XXe siècle, après sa réintégration sans équivoque dans la communauté nationale par le sang versé des Poilus vendéens dans les tranchées, la Vendée entretient un nouveau rapport à son histoire et à son patrimoine. La reconquête d’une mémoire et donc du patrimoine, au moment où la société traditionnelle se délite face à la modernité, s’impose chez de plus en plus de Vendéens. Ainsi voit-on apparaître de nombreuses associations qui élargissent progressivement les possibilités de s’investir en faveur ou au plus près du patrimoine. Par exemple, Le Souvenir Vendéen, association déclarée en 1932, s’autorise à cultiver la mémoire de la Guerre de Vendée, et des groupes comme Les Joyeux Vendéens du Boupère, fondé en 1963, s’attachent à sauvegarder des traditions populaires menacées. Ces mouvements associatifs, parfois teintés de folklorisme ou d’idéologie et porteurs d’une identité vendéenne, ne parviennent pas à cette époque à enlever à certains observateurs extérieurs leur vision condescendante et réductrice d’une Vendée enclavée, habitée de Chouans et de Ventres-à-Choux
Le rapport au patrimoine évolue radicalement en Vendée au tournant des années 1980. L’évolution générale de la société conditionne ce phénomène. L’État a opté pour une massification de l’éducation qui favorise le développement de pratiques culturelles. L’accroissement du pouvoir d’achat et les différentes réductions du temps de travail offrent plus de temps libre en faveur des loisirs et du tourisme.
Le ministère de la Culture, créé en 1959, n’a de cesse de démocratiser les différents domaines de la culture. C’est ainsi que le ministre Jean-Philippe Lecat institue l’année 1980, Année du Patrimoine, avec un succès inespéré, fruit de ce nouvel intérêt pour le patrimoine, poursuivie chaque année depuis 1984, avec le même accueil populaire, par les Journées du patrimoine
En Vendée, les prémices de ce nouveau regard sur le patrimoine apparaissent au cours des années 1970. Des associations se créent comme l’A.V.Q.V4 qui, à partir de 1975, élargit la notion de patrimoine au cadre de vie naturel et bâti, ou Maisons Paysannes qui invitent à porter une attention sensible à l’architecture vernaculaire. Le Conseil général s’engage également dans cette dynamique avec l’acquisition du château du Puy du Fou en 1977 pour l’accueil d’un écomusée de la Vendée, musée d’histoire de ses habitants et de leur territoire. C’est sur ce terreau favorable que le jeune Vendéen Philippe de Villiers projette un spectacle de plein air, inédit dans sa forme et sur le fond, mettant en lumière l’histoire des Vendéens : la Cinéscénie du Puy du Fou. Le succès immédiat de cette aventure auprès d’un large public participe à la transformation du regard des Vendéens sur leur propre histoire qu’ils assument avec moins de complexes. De plus, le patrimoine monumental, perçu ordinairement comme une charge, apparaît dorénavant comme un levier du développement local par le tourisme culturel. Ainsi, de très nombreux chantiers de restauration s’ouvrent à cette époque sous l’impulsion de maires ou de propriétaires, convaincus notamment par Jacques Boissière, nommé en 1974 premier Architecte des Bâtiments de France de la Vendée, et avec le concours d’entreprises qui se spécialisent5 . On peut citer entre autres les sauvetages exceptionnels des châteaux d’Ardelay, de la Citardière (1984), du prieuré de Grammont (1985), ou encore de la tour de Bessay (1988), etc. Ces restaurations spectaculaires révèlent aux Vendéens la richesse et l’intérêt de leur patrimoine monumental.
Un levier pour le développement territorial
Les sorties-découvertes de l’association Maisons Paysannes de Vendée : l’éveil au patrimoine par l’éducation du regard et la compréhension des matériaux anciens.
Cliché Laurent Blanchard.
Le château du Puy du Fou en 1982 : la restauration d’un patrimoine en péril, catalyseur de l’enthousiasme d’une association pour l’histoire de la Vendée.
Cliché Laurent Blanchard.
L’arrivée de Philippe de Villiers, en 1988, à la présidence d’un Conseil général renforcé par les lois de décentralisation de 1982-1983, marque une nouvelle étape dans l’histoire patrimoniale de la Vendée. Dès le début des années 1990, l’assemblée départementale adopte sous son autorité un programme intitulé Patrimoine 2000 6 Il identifie des sites remarquables devant faire l’objet d’une mise en valeur originale avec un double objectif : diffuser sur l’ensemble du territoire les flux touristiques concentrés sur le littoral et révéler aux Vendéens les grands chapitres de leur histoire. Il ne s’agit plus seulement de conserver le patrimoine, mais de l’inclure dans une nouvelle économie culturelle et touristique, favorable à sa pratique et donc à sa conservation. Des compétences et des moyens sont mobilisés pour valoriser les sites départementaux du logis de la Chabotterie, des abbayes de Nieul-sur-l’Autise et de Maillezais, du château de Tiffauges, du prieuré de Grammont et du haras de La Roche-sur-Yon. Par ailleurs, pour compléter ce maillage territorial, le département accompagne des projets communaux de valorisation du patrimoine avec des aides financières et l’expertise de Richard Levesque, CAOA de la Vendée ; ainsi le donjon de Bazoges, la vieille église de Ménard-la-Barotière, le moulin à foulon de Cugand, etc., rejoignent-ils le réseau vendéen des sites de tourisme culturel… Enfin, la commune des Lucs-sur-Boulogne qui réunit Mémorial et Historial de la Vendée figure sur cette carte du patrimoine comme le haut lieu mémoriel de la Vendée. Le Mémorial inauguré en 1993 pour commémorer le massacre de 564 Lucquois en 1794 est devenu le lieu symbolique où la tragédie vendéenne a pu trouver son inscription apaisée dans le patrimoine historique et universel de l’Humanité. Le dispositif est complété en 2006 par l’Historial, musée d’un nouveau genre, imaginé par Christophe Vital, conservateur départemental des musées, mettant en scène les collections d’objets dans des scénographies didactiques.
Les responsables départementaux et locaux, ainsi que des propriétaires privés, poursuivent cette démarche de valorisation fondée sur la création d’équipements structurants, outils d’un projet de développement territorial par le patrimoine. La Vendée s’est ainsi dotée d’un réseau exceptionnel de sites patrimoniaux publics et privés, largement ouverts aux visiteurs et aux Vendéens sous des formes souvent innovantes. Le territoire, par l’articulation de ses atouts économiques, littoraux, naturels, événementiels, patrimoniaux, est devenu une destination attractive pour de nouvelles populations qui le parcourent ou qui s’y installent. Le patrimoine est également une source d’engagements collectifs pour les Vendéens grâce aux nombreuses associations qui œuvrent à sa valorisation en recensant, étudiant, animant des lieux, des territoires ou des thématiques – ainsi l’Association des Parcs et Jardins de la Vendée apparue après la tempête de 1999 pour révéler et conserver un patrimoine jusque-là ignoré.
Fig. 6
Exposition de Jean-Michel Solvès « futur antérieur » à l’abbaye de Maillezais. 2017. Cliché Service Éditions, Photothèque CD85.
Fig. 7
Abbaye de Maillezais – animation 2013. Cliché Service Éditions, Photothèque CD85.
Mais, l’histoire patrimoniale de la Vendée n’est pas terminée. De nouveaux enjeux sociétaux apparaissent aujourd’hui : quel rôle le patrimoine peut-il jouer dans l’accueil de Vendéens venus d’horizons divers ? Charles Gardou propose que « pour dépasser les clivages, permettre à une complicité de s’établir et à une histoire en commun de s’écrire, notre société a besoin de mots et de concepts partagés, inclusifs, en cohérence avec le droit de tous au patrimoine social, sans toutefois gommer la diversité et la spécificité des situations7 ». Peut-on assigner au patrimoine culturel cette fonction ?
Les enjeux sont aussi économiques. Les communes ont à leur charge depuis la loi de 1905 les édifices religieux, imposantes architectures de pierres et de verres qui signalent les bourgs. Elles affrontent plus ou moins bien le temps qui passe et nécessitent toujours de lourds investissements, alors que les pratiques cultuelles sont en recul. Les propriétaires privés de châteaux, transmis jusqu’alors de génération en génération, doivent souvent se résoudre à les céder, en raison de leur charge, à des « amoureux des vieilles pierres » qui eux-mêmes ne parviennent à les gérer que le temps de leur passion… Il faut donc toujours s’interroger sur les moyens de conserver et de transmettre ce patrimoine qui, comme l’écrivait Victor Hugo, a deux usages : « Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde ; c’est donc dépasser son droit que de le détruire8. » Le temps a toujours opéré insidieusement ou plus brutalement un tri, mais face aux problèmes financiers soulevés par la conservation du patrimoine, il convient de recourir à l’imagination pour trouver dans la ressource patrimoniale de nouveaux usages, adaptés aux besoins émergents d’une société en mutation. Une lecture dynamique de l’histoire architecturale et fonctionnelle du patrimoine doit permettre d’accepter des transformations inhérentes à de nouveaux besoins. Carlo Scarpa, pour traduire la question du patrimoine moderne atteint par l’obsolescence et sa nécessaire transformation par un acte de création, proposait une formule qui peut nous inspirer : « Conserver, c’est transformer ! 9 »
1 P. BESSON, Les jours fragiles, Éditions Juillard, 2004.
2 Collectif, Vendée, Mémoire et Audace, Éditions Stock, 1994.
3 Abbé Grégoire, rapport devant la Convention le 14 fructidor an II.
4 Association Vendéenne pour la Qualité de la Vie.
5 P. BÉNAITEAU, De Pierre en Pierre, 3 siècles d’histoire, autoédition Entreprise Bénaiteau, 2009.
6 F. BON, « Le Département redonne vie à l’ancienne abbaye », dans : La grâce d’une cathédrale, Vendée…, La Nuit Bleue-Editions du Quotidien, Strasbourg, 2017.
7 C. GARDOU, La société inclusive, parlons-en !, Érès, 2012.
8 Victor Hugo, « Guerre aux démolisseurs », dans : Revue des deux mondes, 1er mars 1832.
9 F. RAMBERT (dir.), Un bâtiment, combien de vies ? La transformation comme acte de création, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2015.
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LA FABRIQUE DU PATRIMOINE
L’« antiquaire » du XIXe siècle : Benjamin Fillon
Anne BillyLa quête du savoir ! C’est ce même appétit pour la connaissance du passé et du monde qui anime les « érudits » de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Mais si le but reste identique, les méthodes employées pour y parvenir ne vont cesser d’évoluer. À Alexandrie au début de notre ère, la recherche est basée sur l’étude des textes et sur l’observation de la nature. Puis, après une période d’accumulation d’objets dans les « trésors » des temples antiques et des églises au Moyen Âge, les humanistes de la Renaissance redécouvrent l’Antiquité. Ils vouent alors une véritable passion pour les vestiges romains de cette époque. Ils les inventorient, les conservent, les protègent (déjà !) et parallèlement à l’intérêt qu’ils portent aux auteurs de la littérature latine, ils collectionnent les « petites antiquités » (notamment médailles et pierres gravées). À partir de la première moitié du XVIe siècle, ce sont les sculptures antiques – véritable incarnation de « la supériorité artistique de la civilisation antique » – qui attisent les convoitises. Désormais, à côté de l’ancienneté et de la matière, la valeur artistique confère à l’objet son statut d’objet de collection. Dès lors éveillée, la curiosité se tourne ensuite (en Europe), vers de nouveaux types de sujets. Fossiles, animaux monstrueux, pièces d’orfèvreries ou autres bizarreries… viennent envahir les étagères de ce que l’on nommera « cabinet de curiosité » et les collections se diversifient. Certains cherchent à reconstituer un lieu d’émerveillement, tandis que d’autres visent à offrir à leur collection une dimension encyclopédique, cosmologique ou d’herboristerie en spécialisant leur cabinet d’histoire naturelle dans l’étude des animaux, des plantes ou des minéraux. À partir du XVIIe siècle, les chefs-d’œuvre de la peinture et de la sculpture commandés à des artistes vivants s’invitent à la table du collectionneur et offrent ainsi une valeur ajoutée à la collection. Avec le siècle des Lumières, le savoir de l’antiquaire est exposé à une triple comparaison : artistique, philosophique et naturaliste.
La Révolution française marque le début d’une profonde période de mutation. Cette jeune nation soucieuse de ses « monuments » en péril, codifie et multiplie les pratiques d’inventaire – pour aboutir à la pratique « institutionnelle » de l’histoire et de l’archéologie que nous adoptons aujourd’hui –qui, dépassant l’échelle locale, s’inscrivent dans une dimension nationale en construction. Ainsi, dans cette période de transition vers le monde moderne, l’« antiquaire-collectionneur » du XIXe siècle oscille entre une pratique « historico-archéologique aléatoire » héritée des siècles précédents et une « recherche historique » qui se spécialise, visant, certes, à connaître le territoire plus en profondeur, mais cherchant, en même temps, à devenir un outil de la construction d’une identité nationale.
Qui est donc notre antiquaire du XIXe siècle ? Il s’agit souvent d’un homme, propriétaire, rentier (fortune et temps libre lui permettant de mener ses recherches et d’acquérir des objets) et cultivé. Enraciné dans son terroir, il est à la fois « archéologue » (à entendre dans le contexte du XIXe siècle), numismate, historien, écrivain, amateur d’œuvres d’art… transmettant son savoir au travers d’articles les plus divers, publiés dans les bulletins ou revues de la société savante locale à laquelle il appartient. Grâce à une mise en scène savante des objets amassés au fil des ans, il recrée le monde et met en récit sa vérité. En montrant ses « trouvailles » au plus grand nombre lors de visites privées, de congrès ou d’expositions, dans sa demeure devenue « théâtre » jusqu’à faire partie intégrante de l’œuvre, il dit forcément vrai ; s’arrangeant parfois pour déguiser la vérité. Quoi qu’il en soit, la collection reflète son créateur, mais souvent dispersée au moment du décès de ce dernier, elle perd alors toute sa substance.
Le groupe sculpté représente le Laocoon et ses fils. Le support du Laocoon est orné d’un atlante et d’une cariatide engainés, d’un masque feuillu et de volutes feuillagées enroulées autour d’un lion. Hôtel privé dit Château-Gaillard, Fontenay-le-Comte. Cliché Patrick Durandet.
Cette description s’applique en tous points à Benjamin Fillon (1819-1881). Féru de documents écrits en tout genre, il déclare son amour sans retenue à sa ville de Fontenay-leComte en lui érigeant un monument en 10 volumes : Archives historiques de la ville de Fontenay-le-Comt e, dans lequel il compile et fait recopier nombre de documents ; ouvrages déposés, avec ses archives personnelles, aux Archives départementales de la Vendée 1. Or, si l’inconscient collectif a tendance à ne retenir de lui que les « faux » fabriqués pour servir son discours, il ne faudrait pas oublier qu’il reste un produit de son époque ; période durant laquelle cette pratique était courante. D’où l’importance pour l’historien du XXIe siècle, d’aborder ce type de document avec un regard critique, conscient de leur contexte de production : il serait dommage de se priver d’une telle masse documentaire qui a le mérite d’exister ! Par ailleurs, grand amateur d’art, les œuvres de sa collection ornent aujourd’hui les salles des plus grands musées français (le Louvre, le Petit Palais, le Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye, le musée de la Céramique de Sèvres…), comme celles des musées de province (ceux de La Roche-sur-Yon, Fontenay-le-Comte, l’Historial de la Vendée…), et rehaussent aussi les intérieurs des maisons de particuliers. Acquises lors de dons, de dépôts, de legs ou de ventes, chacune de ces pièces aujourd’hui dispersées, redessine l’immense collection de cet homme qui a voué sa vie au savoir.
Bureau (?) de Raoul de Rochebrune au château de la Court d’Aron à Saint-Cyr-en-Talmondais.
Cliché Jules Robuchon – Collection Historial de la Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne.
Archives historiques de la ville de Fontenay-le-Comte « Inscription de la cloche municipale fondue et placée en 1466 dans le clocher de l’église Notre-Dame, par ordre des habitants (1466) », pl XXIX. Cloche CMH-1908. Cliché Archives départementales de la Vendée.
Collections et musées au Département de la Vendée : de l’abbé
Baudry à l’Historial de la Vendée 1880-2006
Ouvert au public le 25 juin 2006, l’Historial est aujourd’hui bien connu des Vendéens par son architecture audacieuse, intégrée au paysage grâce à son toit végétalisé, et par sa muséographie étonnante et immersive laissant une place essentielle aux spectacles audiovisuels. Son musée des Enfants est même devenu comme une marque de fabrique. Mais l’Historial est le fruit d’une longue aventure patrimoniale et muséale qui nous ramène dans les années 1980, voire même à 1880.
DE L’ABBÉ BAUDRY À L’ÉCOMUSÉE DE LA VENDÉE
On peut faire remonter la politique départementale en faveur de l’archéologie et du patrimoine mobilier en 1880 suite au legs de collections archéologiques 1 que l’abbé Ferdinand Baudry (1816-1880) fit au Conseil général. Ces collections provenaient de fouilles qu’il mena sur la commune du Bernard dont il était le curé. Elles sont aujourd’hui conservées et en partie exposées à l’Historial. Mais ce legs ne conduisit pas à la création d’un musée départemental et les collections furent tout d’abord déposées au musée municipal de La Roche-sur-Yon.
Près d’un siècle après, le 8 février 1972, le Conseil général crée la Conservation des musées de la Vendée et le nouveau service se met en place le 16 mai 1973 sous la direction de Henry-Claude Cousseau. Sa mission était de gérer les musées déjà existants sur le département, appartenant à d’autres collectivités ou à des associations ne disposant pas la plupart du temps de personnels scientifiques. La Conservation organisa de nombreuses expositions et créa un Muséobus inauguré en 1977.
Ce réseau des musées vendéens se structura en écomusée auquel il fallait une tête de réseau. La création d’un musée départemental apparut donc comme l’aboutissement de ce processus. Le projet fut étudié par le nouveau conservateur départemental, Francis Ribemont, et un rapport 2 de 1978 en définit le contour. Le château du Puy du Fou, acquis par le Département en 1977, devint alors le « chef-lieu » de l’écomusée qui renvoyait aux antennes et aux musées spécialisés. L’écomusée était considéré comme étendu à l’ensemble du territoire départemental 3. Plusieurs expositions se succédèrent à partir de 1977 et l’exposition permanente se structura progressivement entre 1983 et 1985 4
Le Puy du Fou fut également choisi en 1978 pour la création d’un spectacle ― on l’appellera bientôt la Cinéscénie ― avec le succès qu’on lui connaît sous la conduite de Philippe de Villiers. L’écomusée fut très vite dépassé par le succès du spectacle et par la montée en puissance du Grand Parc, si bien que la galerie-musée sembla comme inexistante et sans visibilité réelle auprès du public. D’autre part, les locaux du Puy du Fou se révélèrent trop petits pour conserver les collections acquises ou pour imaginer un quelconque développement de l’activité. Il fallait donc trouver une autre solution.
L’HISTORIAL DE LA VENDÉE
En 1988, Christophe Vital succéda à Francis Ribemont et, conscient de cette difficulté, engagea une campagne d’acquisitions à partir de 1988 permettant au Département de se doter progressivement d’un ensemble plus pertinent pour envisager un grand musée d’histoire et de société. Un premier rapport en 1995 dressa un bilan de la Conservation et proposa de nouvelles orientations.
L’IGMCC (Inspection générale des musées classés et contrôlés, ministère de la Culture), suite à une inspection du 6 mai 1997, souligna l’importance de résoudre ce problème et l’idée d’un transfert de l’Écomusée dans un autre lieu apparut comme nécessaire.
La même année, Christophe Vital participa à un voyage d’études en Amérique du Nord organisé par l’OCIM (Office de coopération et d’information muséographiques), occasion de visiter une vingtaine de musées. En 1998, il visita encore d’autres musées au Canada qui furent aussi source d’inspiration pour la conception du nouveau musée5
Un premier document d’orientation fut rédigé en 19986 Ce texte fondateur fut suivi en 1999 d’une étude comparant des exemples de musées récents en France afin de nourrir la réflexion7. Enfin le Projet Scientifique et Culturel, voté par l’Assemblée départementale en décembre 1999, fixa définitivement les concepts. Dès lors, une équipe de 29 personnes fut mise en place pour concevoir le musée dont sa muséographie. Le bâtiment fut conçu par l’agence Plan 01. L’Historial ouvrit ses portes le 25 juin 2006.
Avec l’Historial, le Département se dotait enfin d’un grand musée d’histoire et de société construit sur un site emblématique des guerres de Vendée, près du Mémorial de Vendée, inauguré par l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne (1918-2008) en 1993.
L’Écomusée de la Vendée au château du Puy du Fou, vue d’une salle, exposition « Les traces des guerres de Vendée dans la mémoire collective », 1983. Cliché Serge Bauchet.
1 Le Conseil général accepte le legs lors de sa séance du 26 août 1881. Les collections sont prises en charge le 22 septembre 1881. L’acte est enregistré le 17 janvier 1882.
2 L’écomusée de la Vendée : la mémoire collective d’un territoire, 1978.
3 Cette réflexion était appuyée par deux grands noms de l’histoire de la muséologie en France : Georges Henri Rivière (1897-1985) et André Desvallées (né en 1931).
4 F. RIBEMONT, « L’Écomusée du Puy du Fou 1977-2000 », dans Recherches vendéennes, n° 8, 2001, p. 415-430.
5 C. VITAL , Historial de la Vendée, Conseil général de la Vendée, éd. Artlys, Versailles, 2007.
6 Un nouveau musée pour la Vendée, l’Historial.
7 Étude comparative de musées récents créés en France comme base de réflexion pour un projet de construction en Vendée , Cabinet Option Culture, Paris, mars 1999.
Des dessins inédits d’Octave de Rochebrune au musée Dobrée
Claire G uillermicReconnu en son temps pour son travail de dessinateur, de graveur à l’eau-forte, d’architecte et d’érudit, Octave de Rochebrune (1824-1900) s’attache, dans son œuvre gravée d’environ cinq cents eaux-fortes aux dimensions parfois monumentales, à mettre en valeur de nombreux édifices de sa Vendée natale et du reste de la France, s’inscrivant dans la mouvance de son époque pour la reconnaissance et la préservation du patrimoine français. Cette passion s’illustre aussi à travers son impressionnante collection d’objets archéologiques, artistiques, et d’armes anciennes.
L’objet de cette étude – un carnet de dessins inédits – a été découvert dans le cadre de récentes recherches sur l’artiste 1, dans les archives du musée Dobrée à Nantes. Créé à la fin du XIXe siècle pour conserver les collections archéologiques du Département, ce dernier a accueilli en 1930 une importante collection d’armes anciennes grâce au legs du fils de l’artiste, Raoul de Rochebrune (1849-1924). Un fonds documentaire d’archives personnelles et des œuvres graphiques sont venus compléter par la suite cette collection, grâce à des dons ou des acquisitions.
Dans une reliure probablement réutilisée ont été réunis plus de cent quatre-vingts documents sur papier, dont environ cent cinquante dessins d’Octave de Rochebrune 2 , quelques textes, lettres, ou gravures, et presque cinquante dessins ou écrits de Benjamin Fillon (1819-1881). Certaines feuilles sont restées volantes, mais la plupart d’entre elles ont été reliées, par des onglets créés à partir des pages d’origine du carnet, où sont visibles des fragments de lignes manuscrites. Le regroupement de ces dessins interroge, puisque l’ensemble, assez hétérogène, autant en termes de dimensions, de choix de motifs ou du degré d’élaboration, ne semble pas avoir été classé, ni par type de sujet, ni par date. Seule une quarantaine de ces œuvres ont été datées, la majorité dans les années 1850-1860, et quelques-unes dans les années 1880, couvrant donc une grande partie de sa carrière. Ces dessins permettent de comprendre comment l’artiste construit ses œuvres, de la mise en page – comme dans une esquisse titrée « N.D. de Paris 3 », où la cathédrale est à peine indiquée, et l’attention portée à l’environnement –jusqu’aux détails de l’architecture. De nombreuses pages regroupent des études d’éléments décoratifs ou structurels, comme des lucarnes ou des plafonds. Les dessins du contrefort de la sainte chapelle de Champigny-sur-Veude (37) en sont des témoins : l’élément est comme découpé du reste de l’édifice dans un premier dessin daté du 10 avril 1865, afin d’en comprendre les formes, puis légèrement relié à la chapelle sur la page suivante par l’arc-boutant, permettant notamment d’étudier la perspective.
Fig. 1
Le dessin titré « [F]ontaine de fontenay » repris pour la partie inférieure de la gravure Place aux porches – Grande fontaine avant 1792. Octave de Rochebrune. Dessin.
Cliché musée Dobrée – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique (SAM_5411).
Avant de s’intéresser aux grands monuments de la France, le graveur a voulu mettre en avant les édifices vendéens : les châteaux de Tiffauges ou de Bazoges-en-Pareds, les abbayes de Maillezais ou de Jard-sur-Mer, sans oublier Fontenay-le-Comte, sa ville natale, avec la maison Brisson, ou encore la fontaine des Quatre-Tias, restaurée en 1898-1899 sur les dessins de Rochebrune. Le dessin titré « [F]ontaine de fontenay » a été repris pour la partie inférieure de la gravure Place aux porches – Grande fontaine avant 1792 (1861)4 . Il s’agit sans doute d’une esquisse pour la mise en page de l’œuvre, car les détails décoratifs de la fontaine n’y figurent pas. L’architecture est peu détaillée, et puisqu’elle est symétrique, l’artiste a précisé seulement la partie gauche de la fontaine. Certains détails sont toutefois déjà présents, et le travail sur les figures est en cours, légèrement modifié dans l’eau-forte.
Celle-ci appartient à l’ensemble de quatre-vingt-quinze eaux-fortes que Rochebrune a réalisées pour illustrer l’ouvrage Poitou et Vendée, écrit par son ami Benjamin Fillon 5 Quelques esquisses préparatoires effectuées lors d’un voyage « pas à pas » à travers la Vendée à l’été 18616 sont présentes dans ce corpus. Poitou et Vendée, véritable collaboration entre un érudit républicain et un artiste issu de l’aristocratie légitimiste, a été publié en livraisons entre 1861 et 1865, puis terminé en 1887, après la mort de Fillon. Il est l’instigateur de ce travail, et s’investit totalement, surtout sur le plan archéologique, puisque les dessins et textes présents dans ce carnet visent à en préparer les illustrations. Fillon détaille chaque objet, et établit la composition des planches archéologiques, comme celle des Antiquités du Langon (1862) 7. Un dessin préparatoire à l’eau-forte Verreries poitevines de diverses époques (1864)8, non titré, de la main de Rochebrune, présente des objets dessinés en détail par Fillon dans le recueil, et illustre le processus de mise en page des objets sur plusieurs registres, avec une numérotation visant à donner une rigueur scientifique à l’ouvrage.
Bien que la construction du recueil ne permette pas de comprendre totalement la réunion de ces dessins et documents particuliers, le corpus témoigne de l’intérêt d’Octave de Rochebrune pour les monuments emblématiques de la France, le patrimoine local et l’archéologie. De nombreux dessins du recueil sont des études pour les illustrations de Poitou et Vendée, qui reste le moyen, pour les deux auteurs, de faire connaître ce patrimoine et de sensibiliser à sa préservation.
Dessin préparatoire à l’eauforte Verreries poitevines de diverses époques. Octave de Rochebrune. Dessin. Cliché musée Dobrée – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique (SAM_5520).
Contrefort de la sainte chapelle de Champigny-sur-Veude. Octave de Rochebrune. Dessin. Cliché musée Dobrée – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique (SAM_5397).
1 Claire Guillermic, Octave de Rochebrune (1824-1900), graveur vendéen , mémoire de Master 2 Recherche en histoire de l’art appliquée aux collections, Paris, École du Louvre, 2017.
2 En comptant les dessins sur les versos.
3 Étude pour l’eau-forte Notre-Dame de Paris (1868) : voir H. CLOUZOT, Catalogue descriptif et raisonné de l’œuvre de O. de Rochebrune (1824-1900), Paris, Rapilly ; Niort, L. Clouzot, 1901, n° 118, p. 31-32.
4 Voir supra, n° 30, p. 9-10.
5 B. FILLON et O. de ROCHEBRUNE, Poitou et Vendée, études historiques et artistiques, Niort, L. Clouzot, 1887, 2 vols.
6 R. VALLETTE et É. BOUTIN, Octave de Rochebrune aquafortiste, 1829-1900, sa vie, son œuvre , Fontenay-le-Comte, impr. H. Lussaud, 1925, p. 21.
7 H. CLOUZOT, op. cit., n° 55, p. 16.
8 Ibid., n° 86, p. 23.
Marcel Baudouin (1860-1941) Un archéologue vendéen à la croisée de deux époques
Trésors révélés de Vendée Colette du GARDINEn voyant le jour en 1860, Marcel Baudouin s’apprête à succéder à cette génération des premiers « archéologues » héritée du XIXe siècle qui a contribué, sur le territoire national, à jeter les bases d’un savoir à une époque où l’archéologie classique, alors principalement expatriée, était toute puissante.
Les années 1850 marquent un tournant dans l’histoire de l’archéologie avec la découverte de la préhistoire dont Jacques Boucher de Perthes est considéré comme le père, la mise en place progressive d’une chronologie des temps préhistoriques suite à la détermination des trois âges – de pierre, de bronze et de fer – par le danois Thomsen. Dans le même temps, les méthodes de fouille s’affinent. En effet, si la stratigraphie, empruntée aux géologues, a été occasionnellement utilisée à des fins archéologiques dès 1840, elle n’est théorisée qu’un siècle plus tard par M. Wheeler qui « invente » la fouille en carré ouvrant ainsi la porte à des méthodes de relevés qui ne cesseront de gagner en précision. Ainsi, lorsque le docteur Baudouin est officiellement chargé par le ministre des Beaux-Arts et le Conseil général de département, en 1903, des fouilles archéologiques en Vendée, les excavations sont-elles menées à l’aune des savoirs et méthodes d’alors.
Marcel Baudouin est un homme du littoral – né à Croix-de-Vie (Vendée) d’où est originaire sa famille paternelle tandis que sa mère est de La Barre-de-Monts. Il est tôt remarqué pour sa vivacité, son intelligence, son sérieux, sa soif de connaissance, sa capacité de travail, doublés d’un incroyable dynamisme et c’est vers la médecine qu’il est orienté dans un premier temps, à l’image de son grand-père. Admis à la faculté de médecine de Paris, il franchit brillamment les étapes de son cursus et cumule prix, distinctions et missions prestigieuses. Il occupe alors différentes fonctions au sein de revues scientifiques et médicales où il publie de nombreux articles : le journaliste scientifique est né.
La production écrite constitue le trait le plus marquant de M. Baudouin. Quel que soit le domaine, il veut transmettre et partager son savoir et pour reprendre l’expression de Vincent Loyer 1 , il « devient un boulimique de l’écriture » : 50 mètres linéaires lui sont consacrés aux Archives départementales, 600 références bibliographiques référencées à la Bibliothèque Nationale sans compter les innombrables articles qu’il écrit dans plusieurs journaux dont Le Phare de la Loire où paraît notamment « La Préhistoire des Villes de Vendée », synthèse à l’échelon communal de la connaissance historique et archéologique. Le rythme des publications s’accélère entre 1903 et 1937, avec une moyenne de 15 articles par an et un pic à 23 entre 1907 et 1915 ! À tout ce qui a été publié – mais le connaît-on vraiment ? –, il faut ajouter les inestimables témoignages que constituent les centaines de plaques photos, les innombrables notes manuscrites – combien de milliers ? –, conservées au musée de l’abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne, ou encore tout ce qui sommeille dans les archives des différentes sociétés à la création desquelles il a contribué. Reflets de sa curiosité, les sujets les plus divers y sont traités : médecine, arts, folklore, traditions, histoire, pêche, agriculture, sciences naturelles, géologie, mais aussi et surtout l’archéologie dans laquelle il entre au tout début du XXe siècle. Mais, bien que vivant à Paris, c’est à la
Vendée à laquelle il est profondément attaché, qu’il réserve l’essentiel de sa ferveur épistolaire et dont il décrit le folklore et les coutumes, attirant l’attention sur ce patrimoine immatériel dont il contribue avant l’heure, à la préservation. M. Baudouin est aussi une « locomotive » et, quand il n’en est pas l’instigateur, il participe à la fondation de plusieurs revues et congrès : la Société Préhistorique Française qui a fêté ses 100 ans en 2004 et dont il est le secrétaire général de 1906 à 1919, les Congrès Préhistoriques de France, L’Homme préhistorique, l’Association Française pour l’Avancement des Sciences… À la préface de l’ouvrage consacré aux « Coutumes médicales et superstitions populaires du Bocage vendéen » que le docteur Boismoreau lui demande de rédiger en 1911, Marcel Baudouin qui vit encore à Paris une grande part de l’année répond : « Vous avez comblé de joie le localiste passionné que je suis resté ; le folkloriste enthousiaste que je suis devenu et le préhistorien de métier, qui a consacré tous les loisirs de sa vie boulevardière, à tirer de l’oubli les admirables monuments qui, jadis, ont couvert le sol de notre pays, tout comme s’il n’était que le bout – méridional ! – de la célèbre et antique Bretagne… » Le la est donné.
D’omniprésents dans ses publications, les sujets de médecine cèdent progressivement la place, à partir de 1901 (il a alors 40 ans), à l’archéologie et plus encore à la préhistoire. Ses maîtres, comme le rappellent les médaillons moulés en ciment fixés sur les murs de son castel maraîchin de Croix-de-Vie, sont Paul Broca – médecin, anatomiste et anthropologue – et Boucher de Perthes présenté supra. Après quelques essais traitant d’archéologie historique, il se jette avec sa fougue coutumière, au détriment parfois d’une certaine rigueur scientifique, dans la préhistoire et plus encore dans le Néolithique et le phénomène mégalithique qui y est associé. Il procède au repérage systématique des menhirs de Vendée – quitte à en inventer parfois –, des polissoirs, des dolmens dont il entreprend la fouille. Après ceux situés à proximité de Croix-de-Vie, ceux du Bernard, d’Avrillé puis de l’Île d’Yeu sont explorés. C’est alors le contenu des chambres funéraires qui est au centre des recherches, souvent au détriment de la structure du monument. Chaque fouille fait l’objet d’une publication assortie de descriptions, de plans, de dessins, de photographies. En sa qualité de médecin, il accorde une grande attention à l’étude des ossements humains et plus encore aux dents, si l’on en juge par le nombre d’articles qu’il leur consacre. Il annote en effet, en 1932, que « c’est par les dents que j’ai atteint les étoiles », révélant par ce raccourci l’orientation prise par ses recherches. Un goût certain pour l’astronomie le mène à se pencher sur la position des mégalithes, mais aussi sur les sculptures qu’il y discerne (sabots d’équidés, bassins, pas de la vierge ) et plus encore les cupules dont il se fait une spécialité. Entraîné peut-être par sa nature passionnée, il croit devoir leur donner une explication dans sa « Préhistoire par les étoiles ». La révélation de la Pierre de La Merlière au Poiré-sur-Vie, en 1939, dont il étudie les gravures constitue une forme de consécration de ses différentes théories : il voit en elle une carte céleste, le lieu d’une ancienne enceinte sacrée et « une sorte de temple, où les prêtres de l’époque, descendants des Atlantes, procédaient aux opérations rituelles de leur culte astronomique 2 », interprétations qui l’ont éloigné de la communauté scientifique.
Marcel Baudouin est aussi un collectionneur : il parcourt la Vendée afin de collecter les témoins matériels du passé, d’échanger avec ses homologues pour recueillir, pour le moins, les informations à la source de plusieurs synthèses sur nombre de thématiques. Il dresse en 1918 le catalogue de sa propre collection constituée des « objets recueillis au cours d’excursions ou de fouilles et d’authenticité indiscutable du point de vue du gisement pour la Vendée » Y figurent aussi bien des originaux que des moulages grâce auxquels il réalise l’étude de ceux qu’il ne possède pas. Il est tenu avec une grande rigueur : chaque pièce est numérotée, décrite, voire dessinée tandis que figurent l’attribution chronologique et la référence bibliographique. Sans surprise, les outils préhistoriques dominent parmi lesquels les haches polies ou encore celles en alliage cuivreux des âges de Cuivre et de Bronze dont il pressent toute l’importance pour la naissance de la métallurgie dans le Centre-Ouest de la France.
Extrait du catalogue de la collection de Marcel Baudouin (d’après l’original conservé au Musée de l’abbaye Sainte-Croix des Sables-d’Olonne). Cliché Colette du Gardin.
Dans un esprit de transmission et de conservation, le docteur Baudouin procède à la restauration de nombre de mégalithes : ici, celle du dolmen des Pierres-Folles à Bazogesen-Pareds (CMH-1959) où, à l’orthostate manquant, on substitue un muret de pierres. Cliché Lucien Rousseau.
M. Baudouin se soucie aussi de la préservation des vestiges et nombre de mégalithes sont proposés au classement. Avec l’aide de Lucien Rousseau, le dolmen et la « ciste » des Cous à Bazoges-en-Pareds sont sauvés d’une destruction certaine. Il s’occupe aussi du rayonnement de la Vendée jusqu’à la capitale en faisant transporter au Musée des Antiquités Nationales le polissoir de la Brélaudière de L’Aiguillon-sur-Vie « en raison de la haute signification théorique de ce monument exceptionnel »3 . Sa soif de transmettre l’incite à créer, en 1921, dans son Castel Maraîchin à Croix-de-Vie, sur ses propres fonds, un musée pluridisciplinaire dans lequel folklore et préhistoire prédominent et dont il tapisse les murs de moulages. C’est là qu’il s’éteint le 25 janvier 1941, neuf mois avant la parution, le 21 septembre de la loi « Carcopino » réglementant ces fouilles archéologiques qu’il mena avec tant de passion. Il repose dans le cimetière de Croix-de-Vie sous le buste le représentant, sculpté par les frères Martel et à l’ombre du menhir de la Tonnelle de Saint-Hilaire-de-Riez qu’il y avait fait transporter de son vivant
Au-delà d’interprétations pour le moins déconcertantes et dans lesquelles il est néanmoins aisé de séparer le bon grain de l’ivraie, l’abondance de la production, la grande diversité et la richesse des centres d’intérêt de M. Baudouin restent une source incontournable pour le patrimoine vendéen et plus particulièrement ses vestiges archéologiques dont il demeure un informateur de premier ordre.
Sur les murs du castel maraîchin à Saint-Gilles-Croix-de-Vie subsistent les moulages des médaillons des maîtres de Marcel Baudouin : Paul Broca, médecin, anatomiste et anthropologue et Boucher de Crèvecœur de Perthes, père de la préhistoire. Cliché Colette du Gardin.
La tombe du docteur Baudouin au cimetière de Croix-de-Vie avec, au premier plan, le buste sculpté par les frères Martel et, au second plan, le menhir de la Tonnelle de Saint-Hilaire-de-Riez que le docteur fit déplacer de son vivant. Cliché Colette du Gardin.
1 V. LOYER, « Marcel Baudouin (1860-1941), érudit et original », dans : Marcel Baudouin l’Atlantidien, Cahier de l’Abbaye SainteCroix n° 109, 2007, p. 23-35.
2 M. BAUDOUIN, « Les sculptures préhistoriques de la Pierre des Farfadets, à La Merlière, au Poiré-sur-Vie (Vendée) », dans : Bulletin de la Société d’Émulation de la Vendée, 1940, p. 15-20.
3 M. BAUDOUIN, « La Préhistoire des villes de Vendée – L’Aiguillonsur-Vie », dans : Le Phare de la Loire, s. d.
Jules Robuchon, un « touriste » professionnel
Jean-Pierre RemaudJules César Robuchon naquit le 30 octobre 1840 à Fontenayle-Comte de Pierre Robuchon (1805-1883) imprimeur, libraire et directeur d’un journal républicain. L’enfant grandit dans un environnement propice à l’éveil de sa vocation de photographe et d’artiste. Fontenay-le-Comte « fontaine des beaux esprits » aux XVI e et XVII e siècles, compte encore dans la seconde moitié du XIXe siècle de grands érudits et artistes dont Benjamin Fillon (1819-1881) et Octave de Rochebrune (1824-1900), auteurs de Poitou et Vendée « prototype » des Paysages et Monuments du Poitou que J. Robuchon va plus tard éditer et illustrer de ses photographies.
Jules Robuchon, typographe chez son père, s’intéressa d’abord à la lithographie qu’il abandonna dès 1861 pour se consacrer à la photographie. De 1861 à 1873 environ, il exerça principalement son art dans le portrait en studio en utilisant la technique du collodion. Ces portraits prouvent déjà l’intérêt que J. Robuchon portait au patrimoine dans sa définition la plus large, conscient des transformations qu’allait subir la société.
En 1864, Fontenay-le-Comte accueille le 31e congrès archéologique de France à l’instigation de son secrétaire général Benjamin Fillon. J. Robuchon y rencontra son fondateur Arcisse de Caumont, auprès duquel il vanta l’intérêt de la photographie pour illustrer des publications scientifiques. Lors de l’exposition du 1er mai au 31 août 1863 de la Société française de photographie au palais de l’Industrie, J. Robuchon exposa quinze vues de Paris, Orléans, Blois, Tours et de la Vendée, prises au collodion humide.
Aux alentours de 1870, J. Robuchon eut l’idée de réaliser un ouvrage consacré au patrimoine régional. Il est encouragé dans ce projet par B. Fillon et René Valette. Le photographe se mit à parcourir de long en large la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne, en tricycle, carrioles et en train. Utilisant alors la technique du collodion1, il transportait un matériel et des produits encombrants et lourds. L’apparition, en 1878, de la nouvelle technique du gélatino-bromure d’argent 2 , qu’il adopta aussitôt, facilita la réalisation de son projet.
Face aux menaces qui pesaient alors sur le patrimoine monumental, mégalithique et archéologique de l’ancien Poitou, J. Robuchon sentit l’urgente nécessité d’entreprendre un véritable inventaire photographique permettant d’immortaliser l’état de ce patrimoine. Ses clichés sont, sur le plan architectural, une mine et conservent la trace d’édifices maintenant disparus ou ayant fait l’objet d’importantes transformations ; ils constituent aujourd’hui une ressource pour les restaurateurs.
Jules César Robuchon, portrait photographique héliogravé (v. 1880) par Héliogravure P. Dujardin. Cliché Émile Rat (Poitiers).
Sur cette photographie, il porte l’appareil photographique qui va lui servir durant toute la publication de Paysages et Monuments du Poitou (1884-1895). Collection Historial de la Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne.
Fig. 2
(« Vouvent et la Forêt.) Crypte de l’église de Vouvent au moment des fouilles avant la restauration de l’église ». Cliché Jules Robuchon (1840-1922) v. 1884. Photoglyptie collée sur carton, cachet à sec en bas à gauche « Paysages et Monuments du Poitou – J. Robuchon » ; ce cliché a été publié dans Paysages et Monuments du Poitou T. X. Collection Historial de la Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne. [Cat. n° 14]
En 1880 J. Robuchon lança la souscription de l’édition de ses Paysages et monuments du Poitou avec son ami fontenaisien Edgar Bourloton, propriétaire de l’abbaye de Maillezais et directeur de la maison d’édition Motteroz. Seize années de voyages (commencés en 1879) furent nécessaires pour mener à bien la publication de 244 livraisons du 1er janvier 1884 à 1895 ; l’ouvrage restant malheureusement inachevé. 80 livraisons (sur 90 ? prévues) sont consacrées aux monuments et paysages de la Vendée. Les meilleurs savants et érudits de la région écrivirent les textes de ces livraisons. L’Exposition universelle de 1889 honora cette publication d’une médaille d’argent. En 1892, il entama la réalisation des « Paysages et monuments de Bretagne » dont seules 30 livraisons parurent.
Il quitta Fontenay en 1898 pour Poitiers où il s’installa comme éditeur de cartes postales et libraire-photographe 3 Le grand photographe décède chez sa fille Eugénie Desointre, le 14 février 1922.
Les pérégrinations en tricycle, charrette ou en train de J. Robuchon pour la réalisation de ses photographies préfigurent tout à fait celles des vacanciers et touristes actuels parcourant la campagne ou leur lieu de villégiature en bicyclette ou plus rarement en charrette ; d’autre part, le train est aujourd’hui devenu un moyen de déplacement de première importance notamment pour les vacances.
La découverte du patrimoine naturel ou artistique et architectural constitue aujourd’hui une des activités majeures pratiquées par les vacanciers.
J. Robuchon porta très tôt de l’intérêt au développement du tourisme, devenant membre du Touring-Club de France dès 1897. Venu habiter Poitiers, il adhéra à la Société des antiquaires de l’Ouest et il créa le premier syndicat d’initiative de la ville en octobre 1907, cadre dans lequel il donna un certain nombre de conférences sur le patrimoine. D’abord moyen de « sauvetage » visuel et culturel du patrimoine surtout architectural, la photographie devint pour lui un moyen idéal de diffusion du patrimoine.
Le développement du chemin de fer joua un rôle dans la carrière du photographe, lui permettant de se déplacer plus rapidement. J. Robuchon photographie même des ouvrages d’art (viaduc, pont) construits pour le chemin de fer. En 1900, il vendit 132 photographies aux chemins de fer de l’État et à la compagnie d’Orléans pour l’ornementation de leurs wagons de luxe participant de cette manière à la diffusion du patrimoine et à sa « publicité » et invitant à sa visite.
Le viaduc de chemin de fer de Baguenard, construit entre 1883 et 1890 par la société Eiffel sur la ligne Fontenay-le-Comte – Breuil-Barret près de la gare de Vouvant-Cezais construite en pleine campagne entre les deux communes. Cet ouvrage d’art a servi jusqu’en février 1940, date de fermeture de la ligne. Cliché Jules Robuchon. Collection Historial de la Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne.
1 Collodion humide (ou ambrotypie, 1848-1850), sur plaque de verre. Invention plus ou moins simultanée de l’anglais Frederick Scott Archer (1813-1857) et du français Gustave Le Gray (1820-1882).
Substance composée de nitrate de cellulose (ou coton-poudre ou collodion) d’éther et d’alcool qui est étendue sur une plaque de verre ; lorsque ce mélange commence à se figer, il doit être plongé dans un bain de nitrate (ou iodure) d’argent qui transforme le collodion en halogénure d’argent sensible à la lumière. Une fois exposé, un négatif photographique est obtenu. La plaque doit être aussitôt mise dans un châssis étanche à la lumière et immédiatement développée avec de l’acide gallique ou du sulfate de fer puis fixée au cyanure de potassium ou au thiosulfate de sodium. Le collodion est une substance (avec celles utilisées à son développement) très toxique et très inflammable.
Cette technique présentait deux inconvénients majeurs : les plaques devaient être enduites de collodion juste avant la prise de vue (sinon elle perdait leur sensibilité) et le développement devait être effectué immédiatement après. Le photographe devait donc transporter un laboratoire portatif lorsqu’il voyageait. Entre 1851 et 1855, le physicien français Jean-Marie Taupenot (1822-1856) améliore le procédé au collodion humide en y ajoutant de l’albumine, lui assurant une meilleure conservation, c’est le collodion sec.
2 Gélatino-bromure d’argent ou surface argentique 1871-1878, sur plaque de verre puis film en nitrate (très inflammable) puis acétate de cellulose.
Invention du docteur anglais Richard Leach Maddox (1816-1902) et du photographe anglais Charles Harper Bennett (1840-1927). Substance composée de bromure de calcium et de nitrate d’argent (1871) appliqués sur une plaque de verre enduite de gélatine (utilisée pour les sucreries). En 1878, Ch. H. Bennett améliore la substance en remplaçant le bromure de calcium par du bromure de potassium et en chauffant le produit obtenu. Ainsi le gélatino-bromure d’argent voit sa sensibilité multipliée par quarante et permet de faire des prises de vue au 1/25e de seconde ouvrant la voie à l’instantané. En même temps il met au point la plaque sèche de gélatine qu’il commercialise. Avec ces progrès la photographie moderne apparaît : les photographes n’ont plus besoin de préparer eux-mêmes leurs plaques et les appareils photographiques vont devenir plus petits, donc plus maniables et facilement transportables. Ce nouveau procédé sera transposé sur film (ou pellicule) à partir de 1887-1888.
3 C’est ainsi qu’il se désigne sur sa carte de visite.
Sauvegardons nos cloches !
Claire D urandInstruments de musique, œuvres d’art, ou témoins de l’histoire d’une commune, les cloches d’église ont bien des facettes. D’abord conçues pour rythmer le temps chrétien, elles constituaient aussi souvent le seul moyen de communication dans les villages. En tant qu’élément structurant du paysage sonore, il s’agissait d’une composante incontournable de la vie sociale. Œuvre unique puisque le moule était brisé pour en extraire la cloche en bronze, elle constitue aussi un document d’archives, par le son qui forme l’identité d’un clocher, mais aussi par ses décors et inscriptions. En effet, les caractères apposés lors de la bénédiction – du « baptême » –de la cloche renseignent souvent l’histoire locale. La date de la fonte, les noms du fondeur, du prêtre officiant, des parrains et marraines qui sont souvent les seigneurs du lieu puis des notables influents, sont autant d’éléments qui participent de la mémoire d’une commune.
Mais les cloches constituent aussi aujourd’hui un objet de patrimoine. Pour ce patrimoine campanaire, ce sont les antiquaires du XIXe siècle qui se sont intéressés les premiers aux sonorités des cloches anciennes. Au moment où les productions campanaires s’industrialisent, la fabrication des cloches au village s’éteint peu à peu et les sonorités des nouvelles cloches, plus puissantes, ne sont plus celles du bronze. La menace de l’oubli des sons d’Ancien Régime, de leur empreinte dans le paysage sonore comme de leur sens, a pour conséquence l’émergence des enquêtes campanaires dans les années 1860, dont l’initiateur fut le docteur Billon, antiquaire normand. L’inquiétude face à la perte de sens entraîne ainsi une démarche de préservation symbolique par un inventaire, une description, une reproduction, si ce
n’est par une conservation matérielle de l’objet. On retrouve ce même processus pour la patrimonialisation des activités industrielles avec la fermeture des mines de charbon et des hauts fourneaux dans les années 1970-80. De la même façon, le passage définitif pour les bateaux de pêche, de la voile au moteur diesel, du bois au métal, ou l’automatisation des derniers phares des côtes françaises, ont suscité, entre autres causes, une mise en patrimoine des activités maritimes et littorales.
De la menace d’une disparition ou d’une destruction naît ainsi bien souvent une volonté de préservation. Pour les cloches anciennes, véritables réserves de bronze, le principal danger qui les guette fut la fonte. Au cours de l’histoire, les cloches des églises paroissiales furent à plusieurs reprises la cible de convoitises. Confisquer les cloches a d’ailleurs longtemps constitué un droit de guerre pour le vainqueur. La nécessité de fondre des cloches pour en faire des canons ou de la monnaie peut également se faire sentir lorsque les frontières sont menacées. Ainsi, le 21 juin 1791, est ordonnée « la fonte du métal de cloches pour être converti en monnaie » et en 1793, chaque commune ne doit conserver qu’une seule cloche. Près de 50 000 tonnes de bronze auraient été récupérées dans les clochers pendant la Révolution, pour alimenter la guerre, mais aussi pour en limiter l’usage religieux. Les cloches furent cachées ou enterrées par les habitants pour les préserver. Les réquisitions allemandes pendant les conflits du XXe siècle ont aussi été particulièrement néfastes pour les clochers français et leurs cloches. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les églises allemandes furent aussi largement touchées par la transformation des cloches en munitions 1 .
Dans la France occupée, le gouvernement de Vichy instaure la récupération des métaux non ferreux, d’abord pour les besoins de l’occupant, et dans une moindre mesure pour l’industrie française. Il sera ainsi procédé « à l’enlèvement des statues et monuments en alliages cuivreux sis dans les lieux publics et dans les locaux administratifs, qui ne présentent pas un intérêt artistique ou historique 2 ». La menace porte donc principalement sur le patrimoine campanaire et la statuaire publique en bronze. Située en zone occupée à partir du 21 juin 1940, la Vendée est concernée par cette mesure réglementaire. La récupération des métaux non ferreux vient s’ajouter aux réquisitions de logements, de productions agricoles et industrielles de la part des Allemands, qui contrôlent l’économie vendéenne, ainsi que les transports et les liaisons téléphoniques et télégraphiques. La Vendée doit aussi pourvoir en matière première et en main-d’œuvre aux travaux de défense de la côte avec la mise en place du Mur de l’Atlantique dès 1942. Dans chaque département de la zone occupée, le gouvernement de Vichy met en place une commission chargée de choisir les statues et monuments à conserver 3 Placée sous l’autorité du préfet, elle est composée d’un conservateur de musée, du conservateur des antiquités et objets d’art (CAOA), de l’inspecteur général de la production industrielle de la circonscription et de l’architecture ordinaire des monuments historiques. Pour faire face à cet arsenal législatif et protéger le patrimoine campanaire de la fonte, les CAOA, agissant sur le terrain, ont inventorié et proposé au classement au titre des monuments historiques un certain nombre de cloches pendant la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, on compte 8 cloches protégées en Morbihan, 15 en Finistère, et 42 en Charente-Maritime pendant cette période. En Vendée, le conservateur Louis Monnier4 propose au classement 18 cloches pour la seule année 1943. Protégées entre février et juillet de cette année, les cloches ont toutes été fabriquées sous l’Ancien Régime, entre 1642 et 1786 pour la plus récente. Cette vague de protection est particulièrement significative si l’on considère l’ensemble du patrimoine campanaire vendéen 5 . À titre de comparaison, seules 4 cloches sont classées en 1908, dans le contexte agité des inventaires en réaction à la loi de Séparation des Églises et de l’État.
On peut affirmer que les CAOA ont joué un rôle primordial dans la sauvegarde du patrimoine campanaire pendant le second conflit mondial. Si l’intérêt historique et artistique de ces objets n’est plus à prouver, gardons à l’esprit que le danger qui peut aujourd’hui les guetter est l’oubli. Déposées, les cloches ne sonnent plus, même si elles incarnent une part de l’histoire d’un clocher. À nous de veiller à conserver et faire revivre, par la création, ces objets monumentaux.
BIBLIOGRAPHIE
A. CORBIN, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes du XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2000.
D. MENS, « Petite histoire du plan de sauvegarde des objets d’art en Morbihan de 1939 à 1944 », dans : T. Buron, A. Barruol et I. Darnas (dir.), Regards sur le paysage sonore : le patrimoine campanaire, Arles, Actes Sud, 2010, p. 137-143.
G. NOCQUET, « La Vendée de l’Occupation à la Libération », dans : Recherches vendéennes, n° 3, 1996, p. 15-144.
B. RICHARD, « Les cloches de France sous la Seconde Guerre mondiale », dans : Patrimoine campanaire, bulletin de la Société française de campanologie, n° 69, 2012.
1 La perte de cloches d’église pour l’Allemagne est estimée à 44 % pour la Première Guerre mondiale et à 77 % pour la seconde.
2 Article 1 de la loi du 11 octobre 1941, publiée dans le Journal officiel du 15 octobre 1941.
3 Arrêté du 16 octobre 1941.
4 Louis Monnier est archiviste départemental et CAOA. Il est chargé, dès décembre 1941, du repliement ou de la protection sur place des dépôts d’archives de la zone côtière occupée. Un arrêté du 23 mars 1942 le charge par ailleurs, pour la Vendée, de la protection et du repliement des œuvres d’art appartenant aux collections municipales et des antiquités et objets d’art inscrits sur la liste des Monuments historiques.
5 Les protections de 1943 représentent 46 % des cloches protégées au titre des monuments historiques en Vendée.
Installation et réglage d’un tintement intérieur pour cloche de carillon. Saint-Jean-Poutge (Pyrénées-Atlantiques). Cliché Laumaillé-Lussault Campanistes.
Coulée d’une cloche avec un four réverbère. Fonderie Cornille Havard, Villedieu-lesPoêles (Manche). Cliché Cornille Havard.
Fixation d’une cloche de carillon sur support bois. Saint-Jean-Poutge (PyrénéesAtlantiques). Cliché LaumailléLussault Campanistes.
TRÉSORS RÉVÉLÉS DE VENDÉE
Synonyme de mémoire et d’identité, le patrimoine est aussi un atout majeur pour le développement culturel, touristique et économique d’un territoire.
En évoquant les liens historiques entre les Vendéens et leur patrimoine matériel et immatériel, cette exposition et son catalogue abordent la notion de patrimoine dans toute sa richesse et dans sa grande diversité.
Qu’ils l’étudient, le restaurent/conservent ou le valorisent, tous les acteurs du patrimoine (professionnels, propriétaires publics et privés, bénévoles, amateurs et passionnés…) sont ici évoqués, replaçant ainsi les hommes et les femmes au cœur du patrimoine.
www.editions-libel.fr
ISBN 978-2-917659-99-1
Dépôt légal : novembre 2020
23,00 € TTC