Natif de Corenc, Jules Flandrin (1871-1947) est, dans la première partie du XXe siècle, le plus connu des artistes dauphinois. Il offre l’image d’un homme partagé – dans sa vie comme dans son œuvre – entre art du passé et modernité.
Dépôt légal : novembre 2008
En abordant la première partie de sa carrière, qui voit Flandrin accéder à la plénitude de son art, cet ouvrage dévoile un panorama particulièrement riche et documenté de la diversité du travail du maître entre 1889 et 1914, ainsi que des influences qui guident sa palette. Il révèle ainsi la personnalité éclectique de l’artiste : son goût pour l’art des Anciens, mais tout autant sa proximité avec ses contemporains impressionnistes, Nabis ou fauves. La peinture de Flandrin se laisse également apprécier par la diversité de ses thèmes (le paysage, le portrait, la danse, les scènes religieuses…), le traitement de la couleur ou encore le regard sensible qu’il porte sur le monde qui l’entoure.
9 782917 659007
Enfin, cet ouvrage met en avant pour la première fois le rôle de précurseurs que Jules Flandrin et son frère Joseph ont joué vis-à-vis de la diffusion de l’art moderne à Grenoble dans les premières années du XXe siècle.
Portrait bleu de François Flandrin (le frère de l’artiste), vers 1897.
www.editionslibel.fr 20,00 € TTC ISBN 978-2-917659-00-7
EXAMEN SENSIBLE
Examen sensible – Œuvres de 1889 à 1914
ŒUVRES DE 1889 À 1914
Jules Flandrin
ŒUVRES DE 1889 À 1914
Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition organisée au musée de l’Ancien Évêché à Grenoble « Jules Flandrin Examen sensible Œuvres de 1889 à 1914 » du 29 novembre 2008 au 20 avril 2009
Commissariat Isabelle Lazier, directrice du musée de l’Ancien Évêché Mylène Neyret, assistante d’exposition Marie-Amélie Senot-Tercinet, historienne de l’art Contribution scientifique Hélène Vincent, conservateur en chef au musée de Grenoble
Sommaire
Avant-propos, Isabelle Lazier
p.5
Examen sensible Entre amour du passé et modernité Un témoignage de l’art de Flandrin : les peintures de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Corenc Les Flandrin et la naissance de l’art moderne à Grenoble
p.7 p.9
Recueil des œuvres L’art des anciens : copies et interprétations Sous le charme des Nabis Jeux de lumière Des accents fauves La danse Le paysage
p.37 p.39 p.54 p.62 p.70 p.86 p.92
Généalogie des Flandrin
p.105
Biographie 1871 – 1914 1915 – 1947
p.106 p.106 p.106
Sélection d’expositions
p.107
Sources et bibliographie sélective Sur Jules Flandrin Autour de Flandrin Autour des Flandrin et de l’art moderne
p.108 p.108 p.108 p.109
Contributions et remerciements
p.110
p.27 p.31
Avant-propos Mon portrait, vers 1909, huile sur carton, 65 x 50, collection particulière.
Après quelques années de silence en Isère autour de cet artiste, le musée de l’Ancien Évêché revient sur l’œuvre de ce peintre à la faveur d’une double rencontre. La première avec l’association des Amis de Jules Flandrin et d’Henriette Deloras qui souhaitait qu’un hommage complémentaire puisse être rendu à ce couple d’artistes alors que le musée de Grenoble s’apprêtait à présenter les pastels d’Henriette Deloras*. La seconde avec Marie-Amélie Senot-Tercinet, qui acceptait de partager, pour une présentation à l’Ancien Évêché, les résultats de sa recherche universitaire sur Jules Flandrin. L’exposition et la publication qui l’accompagne proposent une lecture nouvelle du travail du maître. À la faveur d’une étude approfondie sur les premières décennies de sa longue carrière, on suit la formation du jeune Flandrin de Grenoble à Paris, puis le cheminement artistique complexe, à la croisée des influences du passé et de la modernité, qui le conduit, à 43 ans, au prix d’un travail sans relâche, vers la plénitude de son art. Au fil d’un parcours, dont témoignent les soixante-deux pièces (peintures et dessins) réunies dans le recueil, Jules Flandrin nous est révélé comme un être en quête permanente d’absolu. Homme d’une grande culture, parfois prisonnier de son savoir, il chemine partagé entre son intérêt pour les grands maîtres du Quattrocento et son attirance pour les couleurs et les audaces figuratives de l’avant-garde parisienne dont il fait partie. Quelques thèmes de sa peinture évoquent des repères connus : les copies interprétées des anciens, les levers de soleil impressionnistes, les natures mortes fauves ou encore les portraits nabis. Mais Jules Flandrin dévoile dans les sujets qui lui sont chers sa propre personnalité artistique et son grand talent. On découvre alors, à la frontière entre le réel et l’imaginaire, un Flandrin, virtuose de la lumière et des couleurs, un maître de la composition et du trait, dans les paysages à l’antique, les chevaux, la danse, ou encore les portraits de ses neveux ou les vues de Corenc. La Première Guerre mondiale constitue une véritable rupture dans le parcours de l’artiste. Jules Flandrin délaisse alors progressivement la scène parisienne et une carrière artistique internationale, pour rejoindre Grenoble et s’y installer au début des années 1930. Il y développera un autre travail, tout aussi riche, nourri de la puissance de son œuvre déployé durant ces vingt-cinq premières années.
* Henriette Deloras, l’Instant d’une vie, exposition au musée de Grenoble, 11 octobre 2008 – 25 janvier 2009.
Isabelle Lazier
Avertissement Sauf mention contraire, toutes les œuvres reproduites sont de la main de Jules Flandrin. Les dimensions sont données en centimètres. Sauf mention contraire, les correspondances citées proviennent des archives familiales. Pour situer les membres des familles Flandrin et Lizambert, mentionnés par leurs prénoms, se reporter à la généalogie p.105.
EXAMEN SENSIBLE
Jules Flandrin
Examen sensible
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Examen sensible
Entre amour du passé et modernité
Entre amour du passé et modernité
Portrait de la mère de l’artiste (Louise Ricard), 1897, huile sur toile, 40,4 x 32, collection particulière.
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Portrait du père de l’artiste (François-Joseph Flandrin), 1897, huile sur toile, 40,4 x 32, collection particulière.
e temps a découvert plusieurs secrets dans les arts, qui, joints à ceux que les Anciens nous ont laissés les ont rendus plus accomplis »1. Jules Flandrin aurait pu écrire cette phrase, lui qui s’imprègne autant de ses contemporains que de l’art des anciens. Exactement comme sa vie est entre deux siècles (l’artiste est né en 1871 à Corenc et mort en 1947 à Corenc) son œuvre est dans un entre-deux : peinture du passé d’un côté et recherche de nouveauté de l’autre. Jules est le quatrième enfant de Louise Ricard, dite « Manlise » et de François-Joseph Flandrin, pharmacien. Depuis son enfance, rien n’entrave son désir de devenir artiste. Ses trois frères et sa sœur éprouvent un vif intérêt pour l’art et ses parents lui apportent leur soutien financier. Le climat familial est favorable à l’épanouissement du futur peintre. Habitant à Grenoble, les Flandrin possèdent une maison de villégiature à Corenc où ils se retrouvent aux beaux jours. Pour l’artiste qui rejoint le Paris trépidant dès 1893, le paysage contemplé depuis Corenc est synonyme de ressourcement, aussi y revient-il régulièrement.
L
Dans son article sur «les artistes dauphinois» de la Dépêche Dauphinoise du 3 juin 1906, Paul Berret2 avance une des raisons qui permet de comprendre l’oubli dans lequel demeure Jules Flandrin: «Il y a parmi les Français un excellent artiste qui s’appelle Hippolyte «Flandrin» et M. Jules Flandrin doit à cette homonymie, et à la méprise du public ignorant, une part de la curiosité qui s’attache à lui, en se trompant d’adresse». Lorsque l’on parle de Flandrin, ce sont les frères lyon- 1 PERRAULT Charles, Parallèle des anciens nais, Paul et Hippolyte, qui retien- et des modernes, Slatkine Reprints, 1979, p.57. nent l’attention. Pourtant, Jules 2 Genève, Cité dans FLANDRIN Georges Flandrin a très vite rejoint le milieu et ROUSSIER François, Jules Flandrin : un élève de Gustave stimulant de la capitale où il a eu (1871-1947) Moreau, témoin de son temps, la chance de recevoir dans l’atelier La Tronche, 1992, p.12.
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Jules Flandrin
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Atelier de Gustave Moreau, vers 1896 : Marquet , Rouault , Evenepoël , Matisse sont présents. Jules Flandrin est le jeune homme barbu qui se détache sur le dernier rang au centre.
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Flandrin dans son atelier du 9 rue CampagnePremière à Paris. Au second plan, le Portrait de Gustave Fluchaire (un ami peintre grenoblois), présenté au Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1897, collection particulière.
autour de l’exposition présentée à Oxford, orchestrée par Juliet Simpson4, le public a découvert la complexité de cet artiste, l’intérêt de sa peinture à l’écoute des influences, mais également très personnelle. Flandrin n’a volontairement pas choisi entre modernité et tradition. Pour comprendre sa pensée et son œuvre, il est nécessaire de quitter la perspective évolutionniste de l’histoire de l’art. Cet artiste est véritablement au cœur de son temps, attiré par les courants de son époque (les impressionnistes, les Nabis, les fauves) et par les spectacles culturels, comme les Ballets russes, qu’offre la capitale à sa génération.
de Gustave Moreau, un enseignement très libre et enrichissant aux côtés de Marquet, Matisse, Rouault... La renommée de ces derniers explique la raison pour laquelle Flandrin est si peu représenté dans les musées ainsi que son absence de l’historiographie de l’art du début du xXe siècle. Si l’on compare ses toiles avec celles de ses amis, on peut y déceler une vision sensiblement différente qui le place davantage dans la filiation du passé que dans celle de l’avant-garde. Il n’en est pas pour autant un suiveur sans idéal et timoré comme on a pu parfois le présenter. Il faudra attendre plusieurs décennies pour redécouvrir la vie et l’œuvre de cet artiste, à travers l’ouvrage que lui ont consacré, en 1992, Georges Flandrin et François Roussier3. Ce rêveur incorrigible n’a en effet pas préparé, autrement que par son art, sa postérité. Heureusement, sa famille et notamment son fils Jules, surnommé « Petit Julot », ainsi FLANDRIN Georges et ROUSSIER François, 296 p. que Georges Flandrin son petitSIMPSON Juliet dir., Flandrin neveu, vont œuvrer pour sa re(1871 1947), the other fin de siècle, Ashmolean Museum, Oxford, 2001. connaissance. Plus récemment,
Face aux grandes figures de l’histoire de l’art, Flandrin se veut l’humble servant de l’Art, cette chose aux contours flous qu’il place plus haut que tout. Il pense qu’il est absurde d’occulter les artistes du passé qui lui offrent leur héritage et tente justement de s’imprégner de leurs œuvres les plus réussies pour s’approcher de la vérité artistique. On lui reproche parfois de ne pas avoir fait table rase du passé pour se tourner définiti-
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Entre amour du passĂŠ et modernitĂŠ
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Jules Flandrin
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Vierge à l’enfant d’après Léonard de Vinci, vers 1895, encre sur papier, 17 x 15, collection particulière.
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vement vers la modernité. Flandrin n’a pas « tué le Père », il tisse avec soin une filiation intime et artistique avec ses aînés comme en témoigne l’emploi dans ses courriers du petit sobriquet de « Père » pour Jean Achard, Jean-Baptiste Camille Corot, Jean-AugusteDominique Ingres, Jean-Jacques Henner, Henri Laurens, Gustave Moreau, François-Auguste Ravier ou Paul Sérusier. Flandrin n’imagine pas l’histoire de l’art avec des ruptures, mais la comprend comme autant de passerelles entre les générations. Son œuvre ne saurait s’apprécier sans cette donnée essentielle : respect et admiration de l’art du passé. La mode est le cadet de ses soucis, il lui préfère l’immortalité du chef-d’œuvre. À cet égard, deux autoportraits qu’il exécute en 1905 (n° 17 du recueil) et vers 1909 (n° 18) traduisent par leur référence à Fra Angelico pour l’un et à Poussin pour l’autre, son amour pour les maîtres. L’ambition de Flandrin est de peindre pour les siècles à venir grâce à l’émulaL’État achète, à cette époque, des copies d’œuvres célèbres conservées le plus souvent tion de ses aînés. au musée du Louvre afin de les envoyer dans C’est au musée de peinture les musées et écoles de dessin de province pour diffuser l’art le plus estimé. Ainsi, de Grenoble, au musée du Loul’artiste qui copie doit être le plus proche du vre et dans les ouvrages, qu’il modèle pour répondre à la commande. Pour peindre à fresque il est nécessaire de s’imprègne de l’art de ses prédéposer les pigments sur un enduit de chaux cesseurs. Sous l’impulsion de encore humide. Au contact de l’air, la chaux qui compose l’enduit humide et qui est à Gustave Moreau, dont il est l’état d’hydrate de calcium se transforme l’élève de 1894 à 1897, il exécute progressivement en carbonate de chaux. Au cours de ce processus chimique appelé de nombreuses copies : certaines carbonatation, la chaux absorbe de l’acide destinées à l’État5 sont au plus carbonique contenu dans l’air et se cristallise. La surface de la fresque est ainsi compacte et proches de l’original (n° 1) tandis
que d’autres sont complètement émancipées du modèle et pleinement créatrices dans la touche et le coloris (n° 6 et 8). Flandrin a bien entendu ses préférences parmi les artistes du passé. En puisant dans la technique de la fresque de Masaccio, Piero della Francesca ou Pisanello, il donne une solidité à sa peinture. Il lisse sa matière afin d’obtenir un aspect mural qui fait penser au processus de carbonatation6 de la fresque. Le choix de l’imitation d’une technique picturale qui se confronte à l’architecture, avec l’ambition de durer, n’est certainement pas un hasard. Ainsi ses chevaux, dont les amateurs critiquent parfois l’aspect étrange tirent leur puissance et leur stylisation des fresques italiennes qu’il découvre d’abord dans les livres puis sur place lors de son voyage en Italie en 1909. Son périple en Italie était espéré de longue date. En juin 1908, il écrit7 à son frère Joseph : « Je me figure déjà foulant le sol de la belle Italie avec mon carnet et un
solide.
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Examen sensible
Entre amour du passé et modernité
Place à Venise, peinture photographiée en 1910 par Eugène Druet, collection particulière.
rouleau de toile. Il me semble que je la verrai à ma façon, des yeux et de l’esprit »8. Il part finalement le mercredi 8 septembre 1909 par le Montcenis pour arriver le soir même à Milan. Ce voyage est initiatique à plus d’un titre : découverte d’une autre société, confrontation à l’art italien et en particulier à l’art de la fresque qui va beaucoup influencer sa manière de peindre. Sa correspondance « italienne » met en évidence son esprit curieux: les mœurs l’intriguent autant que l’art et les paysages. Le pays exerce sur lui une véritable fascination qui va jusqu’à l’idéalisation, comme en témoignent ces quelques lignes écrites à sa mère sur Milan : « Ce matin en entrant dans la cathédrale, le Duomo, j’ai eu nettement la sensation que Notre Dame tiendrait à l’aise là dedans. […] C’est aussi une drôle d’impression de voir cette foule si italienne et cependant mise à la dernière mode. Il est vrai que les jeunes gens de Carpaccio aussi sont à la dernière mode»9. Entre deux trains, Flandrin a le temps de visiter Vérone, le mercredi 10 septembre. Il souligne son goût pour une fresque de Pisanello qui indique bien l’importance qu’il accorde à la première Renaissance qu’il qualifie très souvent de naturelle, contrairement à la Renaissance plus affirmée de Raphaël qu’il copie, mais dont il ne fait pas de si beaux éloges. Il rejoint ensuite Venise, le samedi 11 septembre, où il séjourne jusqu’au mardi 14. Il est déçu par les musées dont les œuvres ont été mal restaurées, mais il est fasciné par la cité qui lui semble être une gigantesque scène de théâtre et qui lui inspire de nombreuses vues (n° 15). Il rapporte à sa belle-sœur Angèle : « Ça donne
l’impression d’une ville fabriquée de toute pièce dans lesquels des tas de gens viennent figurer les habitants. […] Comme au théâtre, […] les rues sont des parquets en pierre variant de 1 à 2 mètres de large ! Les places sont grandes comme […] des coulisses. Puis, tout ça est fait pour aboutir à la scène pleine de grands décors (le plus grand a été cassé il y a 2 ou 3 ans, c’était le Campanile mais les machinistes ont vite travaillé et le voilà à peu près reconstruit !!) là viennent jouer les premiers rôles, recruter dans le monde entier (quelques milliers !) […] Ah, on y joue facilement son petit rôle ! Moi je joue l’artiste ! »10. Flandrin réalisera pour son exposition personnelle chez Druet, en 1910, plus de sept tableaux sur Venise sur les quinze toiles 7 Toutes les citations tirées des lettres de italiennes présentées ! Flandrin respectent l’orthographe et les Le mercredi 15 septembre, tournures grammaticales de son auteur. de Jules Flandrin (J.F.) à son beau-frère il atteint Florence et se rend à 8 Lettre André, le 6 juin 1908. la chapelle des Brancacci, à la 9 Lettre de J.F. à sa mère, le 9 septembre 1909, de rencontre de Masaccio (n° 16) 10 Milan. Lettre de J.F. à Angèle Flandrin, le 11 septembre qu’il apprécie beaucoup puis 1909, de Venise.
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Carte postale. Milano, 9 sept. 1909.Un bon baiser a mia carrissima Juliettina! Cette vue est prise un peu plus près de la cathedrale que mon hôtel. J’ai fait justement un dessin à cet endroit ce matin. Tu diras à ton papa que je crois bien etre le seul monsieur sur 500.000, qui est fait des dessins dans Milan, aujourd’hui; aussi je dois paraître bien un peu bizarre. Je n’osais pas d’abord. Emb. bien ta maman et ton papa comme je t’emb. oncle Julo. addresser à Mlle Julietta Lizambert.
Flandrin entretient une véritable intimité avec le passé et chaque fois qu’il découvre de nouvelles œuvres, sa curiosité redouble, comme en témoigne le récit qu’il fait d’une rencontre avec un Corot dans l’hôtel particulier d’Étienne Moreau-Nélaton13 : « L’art de la peinture quoique visible d’un coup n’agit pas comme la musique avec un commencement, un milieu et une fin. Dans une symphonie, toute votre émotion a du être contenue entre ce commencement et cette fin. En peinture le plaisir est plus lent, donc moins vif. Il existe cependant des peintures qui doivent émouvoir d’ensemble ; ainsi le syndics des drapiers de Rembrandt (n° 10), les couchers de soleil de Claude Lorrain. J’ai eu cette émotion dernièrement devant une simple figure de femme de Corot, une madeleine, je crois, presqu’en pied en jupe et corsage, les bras et la poitrine nue, les cheveux sur les épaules, de face sur un fond de sous-bois […] Quand je suis arrivé devant ce Corot, il [Moreau-Nélaton] venait de s’absenter pour une visite ; le temps de saisir mon crayon, une carte, juste de tracer le mouvement avec précision cependant et il rentrait ; j’ai enfoui mon trésor dans ma poche ; une fois sorti, j’ai mis la valeur du vêtement, des cheveux et du fond et j’ai une chose qui me ravit. Et quand je pense à ce qu’est l’œuvre à côté de ça ! » Dans cette très belle description, le peintre dévoile son admiration pour Corot qu’il va imiter dans certains de ses paysages (n° 54) et de ses danses.
à Santa Croce dans les pas de Giotto. Il revoit par contre son jugement sur Fra Angelico dont il avait copié Le Couronnement de la Vierge11 au musée du Louvre : « Je venais de voir les angéliques de St Marco, mais ça devient à la fin de la singerie de religion. […] il est plus peintre en miniature. »12 Mais c’est surtout l’architecture qui le fascine dans la ville florentine baignée de soleil. Contrairement à ses camarades de l’atelier de Moreau, c’est la première fois que Flandrin est confronté à la lumière du Sud qui le saisit et l’éblouit. Avant de rejoindre Rome, il passe par Fiesole le 18 septembre et reste dans la ville éternelle, qui ne le séduit pas beaucoup, jusqu’au 22 septembre. Avant d’atteindre le port de Gênes, d’où il rejoindra Marseille, Flandrin passe à Pise où il découvre et apprécie parti11 Flandrin est noté sur le registre des copistes du musée du Louvre, le 27 mai 1898, culièrement les fresques du pour la copie de ce tableau. 12 Lettre de J.F. à Lucien Mainssieux, le jeudi 16 Campo Santo de Gozzoli et de septembre 1909, de Florence Buffamalco. Dans l’une, il re(musée Mainssieux). marque la proximité des tons pri13 Lettre de J.F. à Mainssieux, le 11 juillet 1904 (musée Mainssieux). Grand collectionneur, maires et complémentaires et Étienne Moreau-Nélaton compléta la dans l’autre, le dessin curieux des collection de son grand-père en achetant de nombreux Corot et des chevaux. Deux éléments que l’on impressionnistes. Il fut également peintre, retrouve dans ses toiles passées céramiste, historien d’art et compta Jules Flandrin parmi ses amis. Ce dernier et futures comme dans Jeunes casuivra avec passion les péripéties de valiers près d’une source (n° 62). l’entrée de la collection Moreau-Nélaton, au Louvre en 1906.
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Examen sensible
Estampe d’Eisan Kikugawa ayant appartenu à l’artiste, collection particulière.
Entre amour du passé et modernité
Enveloppe d’une correspondance adressée à Mainssieux, illustrée de cavaliers d’après Kumi Yoshi, 1908, musée Mainssieux, Voiron.
L’engouement que Flandrin porte à ses aînés ne l’empêche pas de s’intéresser à ses contemporains. Même si l’on sent dans sa peinture des affinités plus ou moins fréquentes et prononcées avec certains artistes, il ne fera jamais partie d’aucun groupe. D’ailleurs, l’évolution de son œuvre ne suit pas celle de ses contemporains. Il se confronte d’abord à l’art nabi avant de se saisir des codes de l’impressionnisme. Et vouloir le comparer aux fauves est problématique, car, dès 1897, il pressent toutes les possibilités qu’offre l’usage de la couleur pure, à l’instar de certains Nabis. Par contre en 190514, sa peinture n’est pas fauve, elle le deviendra plus tard, autour de 1909 en étroit rapport avec celle de Matisse et Marquet. Lorsque Flandrin arrive à Paris en 1893, le «groupe» des Nabis formé depuis 188815 représente le mouvement moderne de la capitale. Trois ans plus tard, il peint des toiles très inspirées par ce courant, ce qui du reste n’est pas très étonnant, car tous se réfèrent aux mêmes figures tutélaires, et en particulier à Puvis de Chavannes. Flandrin connaît bien le maître, lui qui, dès 1889, a dessiné des œuvres conservées au musée des beaux-arts de Lyon, dont Le Bois sacré et l’Inspiration chrétienne (n° 12 et n° 13). Il est séduit par 14 1905 est l’année où le fauvisme éclate au la pureté des lignes et le caractère Salon d’automne. se sont eux-mêmes désignés en 1888 mystérieux des compositions. 15 Ils comme Nabis après un séjour de Paul Comme les Nabis, il apprécie les Sérusier à Pont-Aven à la rencontre de Gauguin.
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Jules Flandrin
Examen sensible
Etude de femme, la toilette (Jacqueline Marval), 1897, lithographie, 36 x 51,5 cm, collection particulière.
jouer ce rôle à Jacqueline Marval qui est tour à tour pensive et mélancolique derrière sa tasse à thé (nº 26), prêtresse d’un culte mystérieux (nº 27), ou ange dans des compositions religieuses19. Il est très admiratif de Maurice Denis à ses débuts et s’il se confronte à la peinture religieuse20 par souci d’approbation familiale, il le fait avec des codes proches de ce dernier. Notre peintre s’est également intéressé aux intérieurs à la manière des Nabis. Ses personnages sont par exemple souvent absorbés dans une activité de lecture ou de couture sous une lampe comme dans Étude de femme, la toilette de 1897 et Étude de femme, le tricot de 1898. En revanche, il conserve toute sa liberté dans sa façon de traiter la figure qu’il refuse de fondre dans le décor comme le pratiquent couramment Vuillard, Bonnard ou Roussel à la fin des années 1890.
estampes japonaises et perçoit de façon très juste l’influence qu’elles exercent sur leur chef de file et théoricien : « Ceux qui comme M. Denis ont l’air d’être des élèves des italiens, ont un œil sur les primitifs et un autre sur les japonais »16. Il partage son enthousiasme pour l’art des Japonais avec Lucien 16 Lettre de J.F. à Joseph Flandrin, le 2 Mainssieux17 comme en témoigne novembre 1910. une enveloppe de correspon17 Le peintre Lucien Mainssieux (Voiron 1885 Voiron 1958) entame très jeune une dance illustrée de samouraïs (ill. correspondance avec Flandrin. Contre une p.15). Flandrin collectionne les esrémunération, Flandrin lui prodigue ses conseils, corrige ses envois à distance ou tampes18, les copie et les intègre vient peindre à ses côtés à Voiron. Ils parfois dans ses compositions partagent tous les deux l’amour de la musique. En octobre 1905, Mainssieux (p.22). La ligne majestueuse et s’installe à Paris où il suit les cours de sinueuse des kimonos apparaît l’Académie Jullian. Autour de 1913, Flandrin, Mainssieux et le peintre Félix Jourdan créent à souvent transposée dans les Voiron, une académie informelle nommée poses de Jacqueline Marval vers « le Bois Joli », où se déroulent de longues causeries sur la peinture, la recherche de 1896-1898, comme dans Femme nouveaux motifs et des répétitions musicales. Mainssieux s’affranchit assez vite de la tutelle au bouquet devant le Moucherotte de Flandrin même si sa peinture reste (nº 25). marquée par son influence. Outre des influences com18 Flandrin possède des estampes d’Hiroshige, Hokusaï, Eizan Kikugawa (ill. p.15), Utamaro munes avec les Nabis, Flandrin et des ouvrages d’Hokusaï : La Mangwa, est adepte des mêmes sujets. Des Gloires de la Chine et du Japon, Des Héros et 100 lettres illustrées. Maurice Denis choisit comme 19 Un témoignage de l’art de Flandrin p.28. muse son épouse ; Flandrin fait 20Idem, p.27-29.
À la fin du XIXe siècle, les œuvres de Flandrin sont proches de l’art nabi induisant un travail sur la ligne au détriment de la touche. Ses recherches, autour de l’impressionnisme à partir de 1900 et jusqu’en 1904, vont libérer son pinceau. Il fréquente d’ailleurs les mêmes lieux que les impressionnistes : Arcueil, le jardin du Luxembourg, les boulevards, les quais de Seine et la Normandie. Vers 1902, année au cours de laquelle il réalise la plupart de ses œuvres à caractère impressionniste, ses titres font état des effets du climat et du moment de la journée sur le paysage. Grâce à la technique de juxtaposition de petites touches, Flandrin obtient des effets nuancés de couleur comme dans La Seine au soleil levant (nº 32). Après un travail sur les couleurs franches, son passage à l’impressionnisme lui permet d’apprivoiser
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Examen sensible
Entre amour du passé et modernité
La coupe de verre, 1910, huile sur toile, 33 x 44,5, collection particulière.
Cette phase impressionniste a permis à Flandrin de se dépouiller du trait sage et continu qu’il utilisait jusqu’alors pour accéder à une touche enlevée et très colorée proche de celle des fauves. Certaines de ses recherches picturales amorcées dès 1897 peuvent être qualifiées de pré-fauves, en raison de couleurs vives posées en touches plutôt qu’en aplats. Flandrin qui maîtrise très bien les théories de Chevreul22, juxtapose des couleurs primaires à leurs complémentaires pour accroître leur puissance chromatique. Sa confrontation du rouge et du vert dans La Toilette de 1897 (nº 37) en est un exemple convaincant. Les excès de couleurs ne sont généralement pas appliqués à la figure. Pour Flandrin, le visage est un espace à part dont l’équilibre ne 21 Lettre de J.F. à André, le 23 novembre 1901 : doit pas être rompu. Il y a toute- « C’est le vrai effet de la lumière du jour, de faire voir clairement chaque objet avec fois des exceptions à cette obser- nous son ton ; Rembrandt qui voyait si bien cela, vation. Lors de ses premières arrive à tant de vérité que tout le monde est qu’il a employé un artifice expérimentations sur la couleur persuadé d’éclairage ». vive et même violente, réalisées 22 Eugène Chevreul a découvert en 1839 la loi du
les tons pastel et de créer une ambiance lumineuse vibrante. Même si la période impressionniste du peintre est relativement courte, il saura se servir des effets de touches pour rendre la végétation en pleine lumière comme dans Dans le jardin de 1913 (nº 36). D’une manière plus générale, Flandrin éprouve un véritable plaisir à travailler la lumière avec un grand souci de vraisemblance comme chez son aîné, Rembrandt21. Même dans ses compositions religieuses réalisées pour l’église de Corenc, il refuse de créer une lumière surnaturelle. Il préfère placer la Vierge et son enfant sous une lumière naturelle pour la rendre plus contemporaine. Dans ses premières natures mortes, la lumière est générée de manière classique par la modulation des couleurs. Les reflets deviennent ensuite le moyen de créer une lumière empâtée et colorée comme dans La Timbale d’argent et les citrons (nº 33). Enfin, Flandrin se libère de la couleur pour oser le pur empâtement de blanc, ainsi la lumière devient une matière à part entière (nº 35).
contraste simultané des couleurs.
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Jules Flandrin
Examen sensible
Pierrette à l’italienne, 1911, huile sur toile, 81 x 65, collection particulière.
23 Les enfants de sa sœur Adèle Lizambert, mais aussi ceux de son frère Joseph Flandrin. 24La Société du Salon d’automne est créée en 1903, à l’initiative de Frantz Jourdain. Il est ouvert à tous au contraire du Salon des artistes français et du Salon de la Société nationale des beaux-arts. Flandrin y expose dès 1903 puis de manière irrégulière. Le Salon d’automne de 1905 marque un basculement fort dans la modernité, car une arrivée en masse d’anciens élèves de Moreau, dont Matisse et Rouault, change la donne. Dans la salle VII de ce Salon, Matisse, Vlaminck, Derain dévoilent leurs toiles composées de couleurs pures. Louis Vauxcelles emploie à cette occasion une expression appelée à un grand succès : « fauves ». 25 Au nº 565 et 566 du Salon d’automne de 1905, Flandrin présente Berger et Bergère. 26Lettre de J.F. à sa mère, le 22 octobre 1905. 27 Lettre de J.F. à Mainssieux, le 21 juin 1913 (musée Mainssieux) : « Les salons m’ont fait honte, je fais le vœu de ne plus mettre à la Nationale : si cela peut me pousser dans la bonne voie. » ; lettre de J.F. à Mainssieux, Paris, le 14 mai 1913 « Une visite aux Champs Elysées m’a rempli de honte à la pensée que j’étais, aussi, peintre ! » 28 Carte-lettre de J.F. à sa mère, le 11 mars 1905.
dans ses copies, il a appris à se libérer du respect de la figure notamment dans le magistral Couronnement de Marie de Médicis d’après Rubens (nº 8). Cet exercice de haute volée de la touche est tout entier dédié à la matière et non à la représentation. Le non-respect du visage est également observé lorsqu’il aborde le monde de l’enfance comme dans La Petite Gourmande de 1905 (nº 40). Entouré de ses neveux et nièces23 (nº 41 et 43), qu’il voit grandir été après été, Jules se permet de déformer leurs traits, car pour lui, l’enfance est un état en perpétuel mouvement (nº 42). En revanche, le traitement descriptif du visage chez l’adulte le distingue des fauves. De longues années de travail et de maturité lui sont nécessaires entre son expérience pré-fauve et son retour aux excès de la couleur, autour de 1909. En 1905, au Salon d’automne24, il présente des toiles nourries d’un imaginaire antique, d’une Arcadie mythique, peuplée de bergers et de bergères25, bien loin alors des préoccupations des fauves. Il avoue à sa mère qu’il ne suit pas la même voie : « J’ai vu le salon d’automne où il gèle ! Mais plein de monde et de pas mal d’excessivité picturales, mais c’est sa raison ; en somme chacun doit chercher son chemin de son côté »26.
Pourtant, certaines de ses recherches se rapprochent de celles de Matisse : mise en valeur du décoratif, interrogation sur la place du tableau et du cadre, graphisme des objets, plénitude de la couleur notamment dans Nature morte (nº 44) de 1909, Pierrette à l’Italienne de 1911 et La Vigne rouge de 1913 (nº 46). Flandrin renonce au Salon de la Société nationale des beaux-arts à partir de 191327. En 1905, il en rapporte déjà à sa mère les inconvénients : « Il est vrai que je ne leur [au public] ai que peu montré de choses en dehors des tableaux du salon où il y a toujours une certaine contrainte, où on exprime moins son sentiment »28. Ce carcan n’entame pourtant pas son acharnement à vouloir être reconnu au sein de cette instance prestigieuse ni son besoin d’opter pour le grand sujet dans le souci de la tradition. S’il n’est pas un peintre d’histoire, il tente néanmoins de placer au rang de peinture d’histoire ses sujets de prédilection, le paysage, l’idylle et la danse, qu’il met en scène dans des toiles aux formats imposants.
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Examen sensible
Entre amour du passé et modernité
Les Vendangeurs, 1907, huile sur toile, 131 x 163, détail, collection particulière.
Nijinski et Pavlova dans Les Sylphides, crayon sur papier, 8 x 14, 1909, collection particulière.
Flandrin donne toute la mesure de son talent et de son originalité dans le traitement du paysage et de la danse. Pour celui qui aime représenter la joie de vivre et l’innocence des instants heureux, la danse est un sujet récurrent de son œuvre. Son amour de la musique – il joue du piano et du violon et compose même quelques partitions – le conduit à assister à son premier opéra-ballet, Armide de Gluck, en 1905. Il est davantage attiré par la symbiose entre la musique et la danse, incarnée par mesdemoiselles Sandrini et Mante, que par le thème amoureux (nº 49) de la tragédie lyrique. Loin de considérer la danse comme un sujet de délassement, Flandrin s’en saisit comme d’un motif qu’il déploie à l’infini dans ses tableaux. Il le juge digne de le représenter dans ses toiles et d’en faire un sujet qui porte ses ambitions de peintres lors des Salons. Avant même de voir des ballets, le thème de la danse apparaît dans le tableau Dante reconnaît Béatrice au seuil du Paradis, inspiré du Triomphe de Flore29 de Poussin (pour la représentation du char et des jeunes filles dansantes) qu’il montre au Salon de la Société nationale des beauxarts de 1901. Il réitère ce sujet avec Les Vendangeurs pour ce même Salon en 1907. Dans ce tableau, le peintre se place une nouvelle fois sous les auspices de Poussin, notamment dans l’esprit des bacchanales, et de Corot avec ses rondes de jeunes nymphes. Le rythme donné par les personnages d’une lointaine communauté arcadienne invite le spectateur à entrer dans cette danse qui célèbre la nature et la joie de vivre.
29Ce tableau de Poussin est conservé au musée du Louvre. 30 Charles Gir et Valentine Gross se sont aussi intéressés aux Ballets russes.
De 1909 à 1913, les Ballets russes rythment la vie nocturne de Flandrin qui compte parmi les rares artistes30 à avoir peint très peu de temps après leurs prestations, les célèbres danseurs et danseuses en particulier Nijinski et Pavlova.
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Jules Flandrin
Examen sensible
Pourquoi Flandrin est-il subjugué par ce spectacle d’un genre nouveau ? La réponse est donnée par Diaghilev, le directeur et chorégraphe des Ballets russes qui souligne, à juste titre, la formidable source d’inspiration que représentent ses créations pour les artistes31. Décors, costumes, musique, chants 31 « Diaghilev commented that for a modern et danses se combinent en de vépainter it represented what the fresco had ritables fresques. Ébloui par le been for the painter of the Renaissance » in HASKELL Arnold L., Ballet russe : The Age spectacle, Flandrin transcende la of Diaghilev, Trinity press, Londres , 1968, temporalité de la danse en lui p.75. 32 Seul un tableau fait exception à cette règle : donnant une éternité dans ses
tableaux par la mise en valeur des couleurs des costumes, du maquillage et de la lumière artificielle des projecteurs de l’Opéra. Curieusement et alors que ses croquis (ill. p.19), dessinés peu de temps après le spectacle, sont lacérés de traits vifs qui expriment le mouvement et la vitesse des gestes des danseurs, ces derniers semblent dans ses peintures, comme figés, interrompus dans leur élan32 (nº 50 et 53) en une sorte d’arrêt sur image. C’est d’ailleurs à l’appui d’images photographiques, que Flandrin réalise (avec le plus grand mal) pendant les spectacles, ou avec les clichés
Bacchanale, nº 52.
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Examen sensible
Entre amour du passé et modernité
Ballet de Nijinski, Prélude à l’après-midi d’un faune, photographié par l’artiste, juin 1913, plaque de verre, collection particulière.
Fantaisie sur le prélude de Nijinski, vers 1914, huile sur toile, 203 x 241, photographie d’Eugène Druet, collection particulière.
33 Certaines poses de danseuses rappellent les photographies professionnelles de Druet, Bert ou Jaeger. De ses clichés, Flandrin rapporte : « À la dernière représentation entre autre, avec 20 plaques dans mes poches j’ai pu faire un feu roulant sur l’après-midi d’un faune, dont sont sortis quelques clichés... ! [...] Et quand je pense aux conditions ! de la pose à la main, sans pied, entre 1 et 3 secondes, sur des gens qui bougent à volonté, et cela à la douce lumière d’une rampe, sans projections ni d’un côté ni de l’autre. Du reste, avec un public debout sur les côtés (d’où je tire) qui m’a empêché complètement de faire Nijinsky Daphnis et Chloé de Ravel. » in lettre de J.F. à Joseph, un samedi de juin 1913. 34 Lettre de J.F. à André, le 3 mars 1906.
qu’il emprunte à des professionnels33, qu’il peint ses tableaux en atelier. Il se sert des photographies comme autant de modèles qui le libèrent de la composition et lui permet de se concentrer sur la maîtrise des couleurs. Dans ses représentations de la danse, Flandrin cherche une fois encore à reproduire la durée à travers l’instant suspendu qui confine à l’éternité.
jeune faune et un satyre qui parcourent à grand pas la prairie du pavillon en jouant une fugue au soleil levant »34 (ill. p.23).. Idéalisation de la nature et quête d’un âge d’or, Flandrin cherchera toute sa vie l’harmonie. À l’inverse de Cézanne, Matisse ou Derain, il n’exprime pas la joie de vivre de ses personnages dans leur nudité, mais plutôt en les parant des voiles de l’Antiquité. Il écarte tout vêtement contemporain qui ne peut, à ses yeux, incarner un monde innocent. Certains paysages sont peuplés de figures qui rivalisent avec la nature alors que d’autres sont animés et parsemés de petits personnages. Cette capacité à intégrer l’homme au sein de la nature tout en montrant qu’il n’en est qu’une infime partie est révélatrice de la leçon que Flandrin a su habilement tirer de l’estampe japonaise.
Né au milieu des montagnes, Flandrin a commencé par se confronter à la nature avant d’aborder d’autres sujets. Elle est pour lui le lieu même de l’explosion de la vie. Il fait donc souvent chanter ses plus belles couleurs pour rendre cette nature gaie et vivante et la peint rarement endormie sous le manteau neigeux. Dans une lettre à son beau-frère André, il décrit sa façon de concevoir et de représenter le paysage : « J’essaye de rendre ce que je connais si bien de sensation, le beau temps de Corenc, et je tache d’y faire vivre des gens qui aient l’air d’en être aussi heureux que moi. J’ai dans ce genre là, pour le Salon de la nationale un grand
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Jules Flandrin
Examen sensible
La sérénité du paysage
Matin antique, souvenir de Méditerranée, 1912/1913, huile sur toile, 97 x 195,5, musée de Grenoble.
Le 29e relais du Tokaïdo : Hamamatsu, copie d’après l’estampe de Hiroshige, vers 1898, huile sur carton, 27 x 35, collection particulière.
Matin antique, souvenir de la Méditerranée, vers 1912/1913 est un tableau-programme tant il regroupe d’éléments exemplaires de l’art de Flandrin35. Par la notion de souvenir, l’artiste se rattache au « Père Corot » et l’on retrouve d’ailleurs dans les deux femmes saluant le soleil une douceur mélancolique que ne renierait pas le maître. À cet hommage à Corot se superpose son admiration pour les Japonais : le motif des arbres entrelacés est une adaptation d’un motif tiré d’une estampe d’Hiroshige. L’artiste a en effet réalisé une petite copie du 29e relais du Tokaïdo : Hamamatsu dans laquelle le thème du feu sera transposé dans les deux arbres accolés de Matin antique, souvenir de Méditerranée. Le point de vue panoramique donne à la nature sa pleine mesure.
Pour contrebalancer la dominante horizontale du panneau, Flandrin crée une rythmique opposée. À gauche, les deux arbres qui s’entremêlent constituent le premier élan vertical, d’autant plus accentué qu’il se prolonge au-delà du cadre. Puis viennent le cavalier de dos, un autre arbre et deux femmes qui accentuent cette verticalité. Les personnages vêtus à l’antique sont en quelque sorte les faire-valoir du paysage et en donnent l’échelle. Flandrin livre ainsi une peinture sereine et joyeuse où l’homme est en harmonie avec la nature. La Méditerranée citée par l’artiste dans le titre évoque l’Italie, qu’il a découverte en 1909. Paysage italien et Antiquité sont toujours profondément imbriqués dans son esprit. La lumière de l’aube rend les couleurs indistinctes, tandis que la grisaille de
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la nuit enveloppe encore les verts des prairies. Flandrin réalise une œuvre toute en nuances, propice à la méditation. Comme dans les estampes japonaises, il nous invite à cheminer dans l’immensité du paysage. 35 Devant faire l’objet d’une importante restauration, l’œuvre n’a pu être présentée dans l’exposition.
Examen sensible
Jeune Garçon et faune traversant la prairie, vers 1906, peinture photographiée par Eugène Druet, collection particulière.
Entre amour du passé et modernité
Les maisons familiales à Corenc, vers 1912, autochrome Jules Flandrin, collection particulière.
Les œuvres de Jules Flandrin déconcertent parfois par leur éclectisme. Grâce à un apprentissage rigoureux, il est aussi à l’aise en peignant un portrait nabi qu’un portrait classique. En effet, s’il reprend certains styles ou techniques du passé ou de son époque, c’est pour les réinventer à sa manière. Cet éclectisme révèle sa curiosité insatiable, mais aussi son doute permanent. Flandrin a toujours soif de connaissance, il a besoin de voir des œuvres et souhaite figurer dignement aux côtés des artistes qu’il admire. Sa correspondance est imprégnée de ce sentiment inquiet, mais en même temps stimulant. Aux sources des Anciens, il a approfondi ses connaissances dans le domaine de la technique et dans l’art de la composition. Il se situe dans une volonté de permanence qui empêche son pinceau d’aller vers une exubérance non maîtrisée et donne au contraire à sa peinture une grande solidité. Flandrin a su trouver un équilibre entre l’imitation de de J.F. à Joseph, un samedi de juin ses aînés et sa propre création. Il 36 Lettre 1913. ne brade pas son pinceau aux 37 Lettre de J.F. à André, le 3 avril 1905.
Corenc est pour Flandrin un point de départ à partir duquel il brode une véritable idylle, raison pour laquelle il ne peint pas tous ses tableaux sur nature. Il recompose beaucoup et introduit souvent la chaîne de Belledonne, le Saint-Eynard ou le petit pavillon rassurant de son enfance dans des paysages imaginaires. À Paris, loin de son motif favori, Flandrin a recours à ses « chères petites photos »36. Curieux de toutes nouvelles techniques, il s’est très tôt intéressé à ce médium et a construit un véritable laboratoire dans son appartement de la rue Denfert-Rochereau. Mais il ne faut pas se méprendre sur le rôle qu’il lui accorde : « Je sens bien que la photographie est une pure affaire de document, et que tout son temps doit être mis à l’art, à comprendre et faire bien »37. Ainsi, la photographie constitue un aide-mémoire qui permet de « zoomer » dans la nature et de l’explorer de manière presque analytique en cherchant, par exemple, à rendre toutes les nuances de vert du jardin de Corenc comme dans Le Vallon, été (nº 56).
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Jules Flandrin
Examen sensible
Verdure à Corenc, vers 1912, autochrome Jules Flandrin, collection particulière.
Le pont Saint-Michel à Paris, 1919 1922, huile sur toile, 65 x 92.
la fresque (nº 16) comme de jouer sur des coups de brosse juxtaposés et empâtés (nº 40). Flandrin se remet perpétuellement en question pendant les vingtcinq premières années de sa carrière (de 1889 à 1914), ce qu’il fera moins par la suite. Dégager les œuvres importantes de cet enchevêtrement de recherches est complexe. On peut distinguer quelques périodes charnières où les toiles de l’artiste atteignent un degré de maîtrise dans la couleur et la mise en espace qui confirment son originalité : vers 1896-1899 l’audace de la couleur d’un artiste encore très jeune (nº 8, 37, 38, 39) ; autour de 1909, au contact de l’Italie et des Ballets russes, Flandrin mûrit et affirme sa personnalité dans des œuvres magistrales comme Vallon boisé (nº 59, mais aussi nº 43, 44, 52, 58) ; l’année 1913 est véritablement celle où ses œuvres et en particulier ses paysages sont les plus abouties (nº 46, 60, 61,62).
mouvements artistiques en vogue, mais garde toujours une ligne personnelle. Son sens aigu de la couleur le pousse vers de nouvelles recherches tandis que son dessin et le soin qu’il accorde à la composition le rattachent à l’art du passé. Il est en cela proche de la démarche d’Ingres qu’il admire tant. Flandrin a réalisé son œuvre dans le prolongement du « grand art » plutôt que dans le sillon de la modernité. L’histoire de l’art qui a abandonné, avec raison, l’idée d’une histoire évolutionniste permet aujourd’hui d’analyser l’art de Flandrin dans une perspective plus ouverte, au-delà de toute comparaison avec ses contemporains. En s’inspirant de l’art de Poussin et de Corot, il a non seulement trouvé son style et son message : la joie de vivre, mais il a aussi renouvelé un genre. Il s’est nourri de leur exemple afin de créer un art qui dépasse les distinctions d’époque. En cela il s’affirme comme un peintre original qui a su élaborer sa propre modernité à partir du passé. Dans ses allersretours entre passé et présent, l’artiste propose des œuvres d’une grande variété. Son évolution n’est pas linéaire, il expérimente dans le même temps des solutions picturales presque opposées. Sa maîtrise technique lui permet de composer un tableau lisse imitant
La carrière de Flandrin ne s’arrête pas en 1914, elle se poursuivra pendant plus de trente ans presque jusqu’à son dernier souffle en 1947. La guerre constituera une fêlure dans la vie du peintre. À quarante-trois ans, contrairement à beaucoup de ses amis artistes, il connaît l’horreur du front. Après une longue mise entre parenthèses de son travail (même si chaque permission est l’occasion de reprendre les pinceaux), Flandrin aura tendance à se tourner vers les valeurs sûres et rassurantes du classicisme. L’après-guerre est néanmoins l’occasion pour Flandrin d’investir un nouveau domaine de création artistique. Il installe à Grenoble, en 1919, un atelier de tapisserie de haute lisse dont l’activité sera de courte durée.
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Examen sensible
Entre amour du passé et modernité
parfois de transposer sur les coteaux de Corenc où il résidera à la fin de sa vie et peindra de nombreux paysages de vallées. Flandrin nous laisse l’image d’un peintre à la lisière de deux mondes, dont l’œuvre est emplie de chaleur et empreinte d’une infinie tendresse. Sans doute est-ce pour cela aussi qu’il trouve au38 Lettre de Mainssieux le 22 avril 1943, d’Oran, jourd’hui comme hier, un public in Girot, Marval, Flandrin, Mainssieux : toujours séduit par cette tranquille les années 1895-1916, p.57. sérénité.
Dans les années 1920, Flandrin se tourne de plus en plus vers des sujets classiques (aux titres explicites, ce qui n’était pas le cas jusque-là) : L’Âge d’or de 1922, Rebecca de 1925, Diane Chasseresse de 1929, Homère chez les bergers de 1932 ou bien encore Le Cortège d’Amphitrite... Il ne renonce pas pour autant au paysage qu’il a sous les yeux. Les Pont-Neuf et les vues de Notre-Dame depuis le 19 quai Saint-Michel où il réside désormais, sont éblouis de soleil tandis que les pâtres et prêtresses de cultes anciens s’amusent dans des paysages imaginaires : « Flandrin, c’est toute une terre antique, avec ses pampres, ses horizons méditerranéens, ses ombrages panthéistes, ses cortèges héroïques et ses panathénées. »38 En lien étroit avec ses voyages en Italie entre 1925 et 1929, sa peinture révèle son affinité avec une Antiquité rêvée qui lui arrivera
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Avertissement Dans “L’art des anciens : copies et interprétations”, les œuvres sont classées dans l’ordre chronologique des maîtres. “Druet n°...” renvoie au numéro porté par le marchand Eugène Druet dans ses registres d’achats.
RECUEIL DES ŒUVRES
Jules Flandrin
Examen sensible
n° 2 | Les trois Grâces d’après Botticelli Vers 1894 – Fusain et crayon sur papier – 65,5 x 49 Non signé, non daté Collection particulière Historique : collection Kapferer ; collection Jean-Louis Vaujany.
Plusieurs années après la réalisation de cette copie de Botticelli (1445-1510), Flandrin a livré les raisons de son choix : « En fait de belle peinture, je n’ai guère vu aux Champs-Elysées qu’une reproduction en Gobelins de la fresque de Botticelli le printemps la Primavera avec les 3 grâces qui dansent. Ça alors, c’est comme la nature » 79. Le fusain très délicat met en scène les trois jeunes femmes
du célèbre tableau du Quattrocento hormis le décor végétal. Flandrin porte son intérêt sur la ronde statique dans les gestes, mais virevoltante grâce aux effets de draperies. S’il n’est pas un adepte du mouvement et de la fugacité, il leur préfère bien souvent les effets de permanence. 79
Lettre de J.F. à André, le 6 mai 1907.
n° 3 | Fête des étudiants à la mode de Carpaccio pour le programme de la fête annuelle au profit des pauvres du 9 février 1894 1894 – Encre sur papier – 30 x 20 Signé et daté en bas à droite : Jules Flandrin. Paris 1894 avec la mention « Aux escholiers grenoblois » Collection particulière.
Membre actif de l’association des étudiants grenoblois, Louis Flandrin met à contribution le talent de Jules et de ses amis Girot et Fluchaire pour agrémenter les programmes des soirées étudiantes par des illustrations. L’image se lit à partir des deux étudiants qui dessinent, studieusement courbés sur leur ouvrage à gauche. Audessus de leur table à dessin, l’affiche les Ambassadeurs : Aristide Bruant dans son cabaret par Toulouse-Lautrec80, est
probablement une référence à l’appartement parisien que partagent Girot et Flandrin81. Le dessin qui se développe ensuite tout autour de la feuille semble être issu des réflexions et rêveries des deux jeunes gens. Ce songe moyenâgeux est à la fois proche des œuvres de Diodore Rahoult et Henri Blanc-Fontaine et les personnages vénitiens de Carpaccio (c.1460- c.1525). 80 L’affiche date de 1892. 81 FLANDRIN Georges et ROUSSIER François, op. cit., p.32.
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Recueil des œuvres
L’art des anciens : copies et interprétations
n° 4 | Esquisse pour la fête des étudiants de 1897 (personnages nus) 1897 – Fusain, crayon et crayon de couleur bleu – 60 x 47,5 Non signé, non daté Collection particulière.
Gustave Moreau fait éclore au sein de son atelier de véritables talents en laissant ses élèves s’exprimer dans leur propre style, sans pour autant négliger une solide formation aux techniques traditionnelles. Flandrin a retenu ici la leçon du maître en travaillant les corps, telles des académies, avant de les habiller de leurs collants rayés moyenâgeux.
n° 5 | Esquisse pour la fête des étudiants de 1897 (personnages vêtus) 1897 – Fusain, crayon – 63 x 47,5 Signé daté en bas à droite : J. FLANDRIN. 97. Collection particulière.
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Ce travail est une « commande » de Louis, le frère de Jules, pour le programme de la fête des étudiants de 1897.
Jules Flandrin
Examen sensible
n° 12 | L’Inspiration chrétienne d’après Puvis de Chavannes 1889 – Crayon sur papier – 22,5 x 26,6 Signé en bas à droite, date effacée : Jules Flandrin Collection Jacques-Antoine Biboud.
Flandrin copie à 18 ans L’Inspiration chrétienne, puis à 23 ans un motif du Bois sacré cher aux arts et aux muses, deux décorations peintes de l’escalier monumental du musée des beaux-arts de Lyon, signés de Puvis de Chavannes (1824-1898). Le trait sûr et précis qui encadre les formes montre bien que Flandrin a d’ores et déjà beaucoup appris en tant qu’apprenti lithographe chez l’imprimeur Allier. Puvis de Chavannes est une des figures tutélaires de Flandrin. À la mort du maître en 1898, il écrit à sa sœur Adèle92 : « Moi aussi j’ai pensé comme vous que ce
pauvre Puvis a été enterré sans rien qui ressemble à un deuil national. Les journaux n’ont même pas l’air de se douter qu’il y a des lecteurs qui pourraient s’intéresser à ses œuvres ». Flandrin est admiratif du traitement de la nature par Puvis et de son travail d’imitation de l’aspect de la fresque dans ses décorations murales. L’influence de Puvis de Chavannes se retrouve dans certains tableaux et en particulier dans l’Été de 1906 (n° 27). 92 Lettre de J.F. à Adèle, le mardi 8 novembre 1898.
n° 13 | Deux femmes volant dans les airs dans le Bois sacré cher aux arts et aux muses d’après Puvis de Chavannes 1893 – Crayon sur papier – 6,5 x 17 Signé et daté en bas à droite : J. F. 1893 Avec la mention : « Lyon, d’après Puvis » Collection particulière.
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Recueil des œuvres
L’art des anciens : copies et interprétations
n° 14 | Audience à Venise dit aussi Réception au palais des doges
Cette adaptation du tableau de Francesco Guardi (1712-1793)93 permet à Flandrin de se livrer à une expérience sur la lumière en peinture. Pour la matérialiser, l’artiste emploie deux moyens. D’une part, il joue sur le quadrillage des caissons du plafond pour passer de la pénombre à la lumière en additionnant progressivement du blanc et du jaune. D’autre part, l’emploi d’une pâte généreuse lui permet de texturer sa matière pour indiquer le sens des
1906 – Huile sur toile – 59 x 80 Signé et daté en bas à gauche : FLANDRIN 1906 Collection particulière Historique : collection Charles Pacquement ; collection Kapferer Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.86 ; Oxford, 2001, p.114 Expositions : galerie Druet, Paris, 1906 ; Première exposition des collectionneurs, Paris, 1924 ; Ashmolean Museum, Oxford, 2001.
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rayons lumineux. Comparés à cette luminosité, les acteurs de la scène, vêtus pour beaucoup de noir, font pâle figure. Les personnages sont le faire-valoir de l’architecture et jouent le rôle de repoussoir pour que l’oeil du spectateur se gorge d’orangé lumineux.
93 L'audience accordée par le doge de Venise dans la salle du Collège au palais ducal conservé au musée du Louvre. Juliet Simpson a établi ce parallèle dans le catalogue d’exposition d’Oxford.
Jules Flandrin
Examen sensible
n° 15 | Le Théâtre Goldoni 1909 ? – Huile sur toile – 54 x 73 Signé en bas à gauche : J. FLANDRIN Collection particulière Historique : Druet nº 10867 « entré le 2 janvier 1925 et sorti le 31 mars 1925 » Lettre de J.F. à Angèle le 11 septembre 1909 ; Coll. du Luxembourg nº 1336 Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.106 ; Oxford, 2001, p.136 Exposition : Ashmolean Museum, Oxford, 2001.
En 1909, lors de son séjour à Venise, Flandrin exécute deux versions de cette même vue : La Piazzetta, après-midi94 et Le Théâtre Goldoni. Loin des clichés, il a découvert cette petite place, typique à ses yeux de l’atmosphère étonnante de Venise qu’il décrit à sa bellesœur Angèle comme une « scène de théâtre ». Dans ce tableau, les architectures qui baignent dans la pénombre, sont
plantées tel un décor de théâtre. Au premier plan, un rai de lumière, comparable à celui d’un projecteur, éclaire le sol et certains passants qui font alors figure d’acteurs. Flandrin représente une foule contrastée : vêtements d’ombre d’un coup de pinceau noir, ou vêtements de lumière au moyen de touches colorées plus claires et légèrement empâtées. Il rend ainsi : « cette foule [qui] va des plus belles robes
de Londres ou de Paris jusqu’au va nu pied qui chante à pleins poumons en se faufilant dans la foule ». Le titre de cette seconde version, en plus d’indiquer la présence du théâtre Goldoni sur cette place, donne tout son poids à la vision-théâtre de Flandrin. Goldoni, l’écrivain vénitien, a transformé les règles de la Comœdia dell’arte en fixant les dialogues et en développant les caractères des
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personnages. Sensible au théâtre italien, Flandrin a copié le Gilles95 de Watteau. La pensée des deux auteurs se rejoint, si Goldoni fait entrer la réalité sur les planches, Flandrin, quant à lui veut montrer que dans la peinture, la vie est une pièce de théâtre. 94 La Piazzetta (après-midi), conservée au musée Baron Martin à Gray. 95 Le personnage au centre n’est pas le Gilles, mais le Pierrot de la Comœdia dell’arte. La copie du Gilles de Watteau, de 1897, est conservée à la mairie de Corenc.
Recueil des œuvres
L’art des anciens : copies et interprétations
n° 16 | Masaccio 1910 – Huile sur toile – 100 x 81 Signé en bas à droite : J FLANDRIN Collection particulière Historique : Lettre de J.F. à Mainssieux, en septembre 1909 de Florence, musée Mainssieux ; Druet nº 5652 Expositions : galerie Druet, Paris, 1910 ; Trente ans d’art indépendant, Paris, 1926.
Ce portrait énigmatique souligne le désir de Flandrin de créer un art solide et pérenne. Lors de son voyage en Italie en 1909, il découvre avec un grand plaisir les fresques de Masaccio dans la chapelle Brancacci de Santa Maria del Carmine à Florence. Marqué par cette vision, il exécute ce tableau dès son retour. Il s’agit d’un hommage à l’art de Masaccio et non d’une copie servile. Flandrin trouve là l’occasion de mettre en valeur les qualités de fresquiste de l’artiste du Quattrocento. La peinture est dense et compacte à l’exemple de la technique de la fresque lorsque les pigments fusionnent chimiquement avec la préparation par le phénomène de la carbonatation. Pour rendre cet effet, Flandrin superpose plusieurs couches de peinture qu’il prend soin de lisser en une surface unie. Ce jeune homme imberbe regarde vers la droite et donc vers l’avenir, mais c’est la lumière du passé qui lui donne son énergie. Cette équation met en relief toute la complexité de l’art de Flandrin, partagé entre amour du passé et modernité.
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Jules Flandrin
Examen sensible
n° 19 | Le Pavillon des Capitant à Corenc 1895 – Huile sur panneau – 27 x 42 Signé et daté en bas, à gauche : J.Flandrin. 95 Collection particulière.
Le pavillon des Capitant constitue souvent un repère dans les paysages de Flandrin. Il émerge ici d’une végétation dense composée de hautains. Ce petit panneau met en valeur les principes du paysage nabi avec ses tons pastel et ses lignes ondulées.
La douceur de cette vue renvoie au plaisir de l’artiste à se retrouver dans son village de Corenc.
n° 20 | Le Bois de chênes, près du verger à Corenc Vers 1897 – Huile sur carton – 35,5 x 23,5 Non signé, non daté Collection particulière.
Dans ce petit paysage de format vertical, une nappe colorée, allant du vert au rose, couvre plus de la moitié de la toile. Cette zone d’ombre placée au premier plan, et dont on ne connaît pas l’origine est caractéristique de l’art nabi.
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À partir des arbres jaillissent des tons de vert sombre et de rose-orangé qui se rencontrent sans se mélanger. Cette utilisation nouvelle de la couleur annonce la démarche pré-fauve de l’artiste.
Recueil des œuvres
Sous le charme des Nabis
n° 21 | Les Hautains de Corenc 1896 – Huile sur toile – 60 x 80 Signé et daté en bas à droite : J. FLANDRIN .96 Collection particulière Bibliographie : Aix-les-Bains, 2002, p.7 Exposition : musée Faure, Aix-les-Bains, 2002.
Dans ce paysage de vignes hautes peint trois ans après son arrivée à Paris, Flandrin adopte le style des Nabis qu’il admire, tout en donnant sa propre interprétation du sujet. Il réfute, par exemple, le caractère purement décoratif de leur peinture, préférant
maintenir un certain naturalisme dans ses toiles. Ainsi, ses paysages ne sont pas déformés et par conséquent toujours reconnaissables. Cette toile appartient pourtant bien à la période nabie de Flandrin dans la façon
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particulière de traiter les ombres. Hors champ et projetées en avant, ces ombres introduisent une certaine étrangeté dans la prairie. Elles aplanissent l’espace par le jeu graphique du filet rouge qui les borde.
Jules Flandrin
Examen sensible
n° 27 | L’Été dit aussi L’Été, portrait de Jacqueline Marval 1906 – Huile sur toile – 130 x 97 Signé et daté en bas à gauche : Jules FLANDRIN 1906 Collection particulière Historique : Collection Jean-Louis Vaujany Bibliographie : Gazette des beaux-arts, 1906, p.377 ; FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.18 Expositions : Salon d’automne, Paris, 1906 ; Jacqueline Marval, La Tronche, 1987 ; SaintAntoine-L’Abbaye, 1993.
Flandrin a trouvé en Jacqueline Marval sa muse. Dans L’Été, la femme aimée devient l’icône d’une saison. Lorsqu’il peint ce tableau qui traduit son amour de l’Antiquité, Flandrin n’a pas encore foulé le sol de l’Italie. Il puise ses références dans les œuvres conservées au Louvre et dans les tableaux de Puvis de Chavannes106. L’admiration qu’il lui porte le rapproche encore une fois de Maurice Denis. Des emprunts à ces deux artistes aboutissent à cette composition d’une grande originalité.
L’interprétation du tableau oscille entre une fête de prêtresse antique ou une récolte des fruits de l’été comme le suggèrent les paniers. Ce flou est sans importance puisque, pour le peintre, seule compte l’ambiance heureuse de sa peinture. Le travail de la matière rapproche également Flandrin de Puvis. Ce dernier cherche à imiter la fresque au moyen de la peinture à l’huile et Flandrin évite tout empâtement pour obtenir comme dans ce
L’échancrure de la robe de Marval, qui laisse à peine deviner son sein, témoigne de la faible attirance de Flandrin pour la nudité. Le bas de sa robe, cachant toute forme féminine, fait écho aux colonnes antiques. L’indétermination des figures près de la tholos ainsi que l’emploi de tons pastel renvoient aux vierges voilées de blanc de Denis107, ces communiantes sont des « figures d’âmes » que Denis a d’ailleurs empruntées à Puvis de Chavannes !
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tableau, une couche picturale lisse et dense. De façon très originale, le peintre de Corenc réussit à transformer Jacqueline Marval en idole incontournable, prêtresse majeure d’une procession, obscure par son sens caché et lumineuse par l’évocation de la saison. 106 Notices nº 12 et 13. 107 Procession pascale (Sous les arbres), 1892, collection Peter Marino ou Procession sous les arbres (les Arbres verts), 1893, musée d’Orsay.
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Sous le charme des Nabis
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Jules Flandrin
Examen sensible
n° 28 | Rorot Bébé (Philippe Lizambert) 1898 – Huile sur toile – 27 x 46 Signé et daté en bas à droite : J. FLANDRIN Collection particulière Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.57.
Dans sa période impressionniste, Flandrin poursuit une démarche comparable à celle de Berthe Morisot. Comme cette dernière, il affirme son goût pour l’enfance en peignant ses neveux et nièces. Philippe, le fils de sa sœur Adèle, est représenté ici peu après sa naissance.
L’enfant est couché dans un berceau en osier. Sa tête émerge à peine d’un amas de tissus, traité en larges touches blanches parfois mélangées de bleu et de gris. Cette utilisation du blanc en touches orientées dans différentes directions rappelle le célèbre Berceau de Berthe Morisot de 1872108. 108 Ce tableau est conservé au musée d’Orsay.
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Jeux de lumière
n° 29 | Intérieur de Notre Dame pendant la messe solennelle de la société de sauvetage (les drapeaux viennent se grouper devant l’autel) 1901 – Huile sur toile – 100 x 73 Signé en bas à droite : J. FLANDRIN Collection Jean-Louis Vaujany Historique : Lettre de J.F. à sa mère le 22 mai 1901 ; vente publique, Grenoble, le 4 juin 2007 Exposition : galerie Fénoglio, Grenoble, 1901.
Flandrin a exécuté deux tableaux qui relatent cet évènement et témoignent de son intérêt pour l’union des arts visuels et musicaux. La présence éphémère de la lumière et de la foule dans un lieu aussi grandiose ne pouvait que l’inspirer. « Dimanche matin [...] à Notre Dame de Paris et par un heureux hasard, je suis arrivé juste avant le commencement d’une magnifique messe des sociétés de sauvetage. Je crois que j’ai rarement ressenti et vu un accord aussi parfait entre l’assistance, le but de l’office et le cadre inouï de la cathédrale et la célébration de l’office même. Figure toi au milieu de cette immense nef, l’entrée des drapeaux des sociétés au rythme majestueux de la marche de Lohengrin »109.
Cette vue de format vertical est prise depuis le transept nord et représente la rose du transept sud. La masse sombre et compacte de l’assistance au premier plan contraste avec les couleurs vives des drapeaux. Les lumières du lustre en couronne et celles des cierges retiennent l’attention de l’artiste qui, à la manière des impressionnistes, les enveloppe d’un halo pour mieux les diffuser. Au sein de cette représentation fidèle de Notre-Dame, les trois vitraux en hauteur surprennent par l’éclat de leur couleur rougeoyante et leur absence de transparence. Leur présence dénote la liberté et le plaisir de l’auteur à user de sa palette comme il l’entend. 109 Lettre de J.F. à sa mère, le 22 mai 1901.
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Jules Flandrin
Examen sensible
n° 33 | La Timbale d’argent et les citrons 1908 – Huile sur toile – 33 x 55 Signé et daté en bas à droite : J.FLANDRIN 1908 Collection particulière Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.91.
Flandrin aime représenter la lumière sous la forme d’une matière à part entière. Dans cette nature morte, la lumière s’émancipe du réel pour se muer en peinture à l’état pur. Composés de blanc, mais surtout de violet, rose, bleu foncé et bleu clair, les reflets sur le gobelet d’argent ne sont
plus une traduction fidèle de la réalité, mais deviennent de simples taches de couleur. Pour ce rendu, Flandrin a peut-être été influencé par le tableau de Chardin, Panier de raisins, gobelet d'argent et bouteille, conservé au musée du Louvre. Chardin a placé une pêche et une prune noire tout contre le
gobelet d’argent de manière à refléter leurs couleurs. Flandrin reprend cette idée du reflet coloré récepteur, sans le prétexte d’un objet coloré émetteur. De façon tout aussi arbitraire, il introduit des ombres violettes sur la serviette.
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Jeux de lumière
n° 34 | Torse antique 1912 – Huile sur toile – 130 x 80 Signé en bas à droite : J. FLANDRIN Collection particulière Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.132 Expositions : galerie Druet, Paris, 1912 ; Saint-Antoine-l’Abbaye, 1993.
Ce tableau qui se présente comme une nature morte est un hommage à la lumière et à l’Antiquité. Dans cette composition totalement maîtrisée, chaque objet a un sens. Flandrin réunit ici tout ce qu’il admire : l’Antiquité, une affiche encadrée de ToulouseLautrec intitulée La Vache Enragée111 et une de ses toiles représentant le chemin de Malanot, devant la maison familiale de Corenc. L’artiste joue sur la mise en abîme du cadre avec la répétition de formes géométriques, celles des deux tableaux, des portes vitrées du buffet et du panneau décoré sur la droite qui forme un carré. Le torse à l’antique en plâtre attire l’attention par sa position frontale et en hauteur ainsi que par le traitement de sa matière. Au lieu d’un blanc mat qui absorbe la lumière, ce plâtre façonné en touches régulières de blanc, de jaune et de gris irradie toute la composition. Curieux paradoxe pour un peintre que cette sculpture qui projette son ombre sur la peinture. 111 Cette affiche a été réalisée en 1896 par Toulouse-Lautrec pour le Journal illustré mensuel.
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n° 38 | Le Piano dans l’atelier Vers 1899 – Huile sur toile – 33 x 23,6
n° 39 | Tête de femme (Jacqueline Marval)
Signé en bas à gauche : J F Collection particulière.
1899 – Huile sur toile – 46 x 36 Signé daté en bas à droite : J.FLANDRIN 99 Collection galerie Thomire, Paris Bibliographie : BERNARD, Le réveil du Dauphiné, juin 1899 ; Oxford, 2001, p.106 Exposition : Salon de la Société nationale des beaux-arts, Paris, 1899 Photographie Nicolas Roux.
Tête de Femme est exposé au Salon de la Société nationale de 1899 au côté de La Toilette113. Juliet Simpson114 insiste sur la parenté de cette œuvre avec le symbolisme de Moreau, Delville et Knopff ainsi que sur la présence de motifs nabis. En outre, la recherche sur la couleur induit une démarche pré-fauve. L’expérimentation sur le chromatisme menée dans cette œuvre est comparable à celle entreprise la même année dans Le Piano dans l’atelier115. Flandrin utilise le même fond bleu-vert. Chaque couleur est nuancée et longuement travaillée : le manteau comme la chevelure sont composés de violet et de fines touches linéaires de rouge orangé.
Cet intérieur d’atelier est probablement celui du 9 rue Campagne-Première à Paris où Flandrin, grand amateur de musique, avait installé son piano. L’œil est rapidement guidé vers le fond de l’image par la disposition du piano et la simplification des touches de l’instrument en une bande blanche. Ce vertige visuel s’appuie également sur la
stridence des couleurs. Le rougeoiement des bougeoirs du piano et de la chaise est confronté au bleu vert de la tapisserie. Il fait ainsi référence aux tonalités symbolistes de Gustave Moreau, son professeur. Néanmoins, la soumission du dessin à la couleur révèle une tout autre recherche, celle de la libération et de la primauté de la couleur.
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Flandrin met en application la loi du contraste simultané de Chevreul116, en utilisant les dominantes colorées de bleu (le fond) et sa complémentaire orange (le ruban du chapeau, les touches dans les cheveux). La couleur est outrée et fortement contrastée, mais le visage est traité de manière très détaillée avec une précision quasi photographique qui rappelle celle du visage du Portrait bleu de François117, daté de 1897. 113 Notice nº 37. 114 SIMPSON Juliet, op. cit. p 106. 115 Notice nº 38. 116 CHEVREUL, De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés, publié en 1839. Ce scientifique a découvert et prouvé que lorsqu’une couleur primaire est juxtaposée à sa complémentaire, la couleur primaire semble plus vive et donc plus contrastée. 117 Notice nº 24.
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n° 43 | Juliette dans son fauteuil dit aussi Juliette au chapeau 1910 – Huile sur toile – 65 x 50 Signé et daté en bas à gauche : J.FLANDRIN 1910 Collection particulière Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.98 ; Oxford, 2001, p.120 Expositions : Salon de Grenoble, 1931 ; Ashmolean Museum, Oxford, 2001.
Dans ce portrait de sa nièce et filleule, Flandrin met sa technique au service de son sujet qu’il respecte profondément. Si la touche brossée à grands coups rappelle celle des fauves, l’harmonie dominante des bleus et blancs s’apparente plutôt à celle des Nabis. Assise sur un fauteuil comme une dame chapeautée dans sa robe du dimanche, l’enfant tient un chat sur les genoux
auquel, très sérieuse dans son rôle de modèle, elle ne prête guère attention. Un jeu savant d’ombre et de lumière pénètre l’espace clos de la scène. Aux couleurs dégradées, plus ou moins vives de la robe, répond la succession d’écrans blancs projetés sur le mur. Loin d’être figées, les surfaces animées de touches épaisses et orientées dans différentes directions traduisent la présence vibrante du soleil.
À l’image des peintres d’icônes, Flandrin a commencé par peindre la silhouette sombre de la fillette avant de l’éclaircir par superpositions successives. En confrontant l’aspect mouvant et éphémère de la lumière à une figure enfantine, le peintre a sans doute voulu montrer l’état transitoire de l’enfance.
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n° 44 | Nature morte dit aussi Bouquet de Tulipes dit aussi Vase de Tulipes Vers 1909 – Huile sur toile – 73 x 54 Signé en bas à droite : J. FLANDRIN Collection particulière Historique : Lettre de J.F. à sa mère le 7 mai 1909 ; galerie Aalto, Grenoble, 1992 Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.64 Expositions : Cercle de l’art moderne, Havre, 1909 ; Saint-Antoine-l’Abbaye, 1993.
Qualifier cette œuvre de nature morte semble inapproprié, car loin d’être un simple rassemblement d’objets, elle est d’abord le témoignage d’un artiste en pleine recherche sur les couleurs vives et le bouleversement de la perception du réel. Flandrin construit et confronte différents espaces au sein d’un même tableau. En haut à gauche, les contours en aplats d’une cheminée évoquent de façon évidente un tableau et son cadre, un moyen pour l’artiste de dire que tout objet est peinture. Il oppose ces
surfaces unies à la découpe franche des tulipes, fleurs homogènes dans leur forme et leurs coloris. Par contre sur la droite de la toile, les aplats ont été remplacés par une exaltation de la touche. Les tulipes « perroquets » très épanouies aux multiples pétales rouges, orangés et roses, se confondent avec le tissu d’un sofa. Traités avec les mêmes nuances et dans une gamme chromatique similaire, ces deux entités de la nature morte ne font qu’une. À l’inverse, les deux objets posés sur le tapis, la théière et
le vase sont peints en bichromie pour signifier leur volume et se dressent dans un espace à trois dimensions, comme le suggère leur ombre. La perturbation de l’espace et de la réalité n’affecte pas ces deux éléments. L’aspect de la théière probablement d’origine japonaise est minutieusement rendu par une matière diluée qui donne l’aspect froid et rugueux de la fonte. Par son dessin linéaire, le tapis fait écho au cadre de la cheminée, mais contrairement à celui-ci, il donne de la profondeur à l’image déjouant
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l’effet de centralité du motif principal. Sans cette diagonale, tous les objets fusionneraient dans un espace plan indéterminé. Flandrin se livre ici à une recherche tout à fait comparable à celle déjà entreprise par Matisse sur « l’esthétique du tapis ». Ceci met en évidence les liens qui unissent les deux artistes et la façon dont Flandrin qui a déjà acquis un métier sûr, est capable de se remettre perpétuellement en question.
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n° 45 | Acacias dit aussi Les Mimosas dit aussi Vase aux glycines ou les mimosas 1910 – Huile sur carton – 52 x 67 Signé en bas à gauche : J.FLANDRIN Collection particulière Historique : lettre de J.F. à sa grand-mère le 28 mai 1910 ; Druet nº 6147 : « entrée le 18 novembre 1921 et sorti le 19 avril 1922 » Expositions : galerie Druet, Paris, 1912 ; galerie Druet, Paris, 1922 ; Saint-Antoine-L’Abbaye, 1993.
Contrairement à la plupart des natures mortes de Flandrin, celle-ci ne se lit pas du premier coup d’œil. Peints avec des couleurs superposées, fleurs et feuillages s’enchevêtrent sans qu’il soit toujours possible de les distinguer. Cette végétation qui se présente comme un rideau de verdure envahit la quasi-totalité de la toile et se confond avec l’espace environnant. Ainsi, les branches noires du bouquet
semblent se prolonger dans les volutes qui ornent la partie droite du tableau. Il est tout aussi difficile d’identifier les ouvertures en partie cachées par le bouquet. S’agit-il de fenêtres ou de toiles accrochées au mur ? Seuls le bord de la table et la rondeur du vase qui en expriment le volume, viennent rétablir la profondeur au sein de cet espace plan, traité comme un décor.
À travers son geste très libre qui strie le tableau de traits noirs et dans sa manière de refuser l’espace tridimensionnel, l’artiste libère sa peinture de la stricte représentation de la réalité. Sans jamais se départir de son sujet, si anodin soit-il, Flandrin tente ici – en suivant la leçon de Matisse – de faire cohabiter deux espaces, deux perceptions du monde dans un même et unique tableau.
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n° 46 | La Vigne rouge 1913 – Huile sur toile – 50 x 65 Signé et daté en bas à droite : J.FLANDRIN 1913 Collection particulière Historique : Druet : « nouveau numéro 10320, ancien numéro 7938 entré le 14 novembre 1923 » Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.143 Expositions : galerie Druet, Paris, 1913 ; musée de Grenoble, 1972 ; Saint-Antoine-l’Abbaye, 1993.
Cette toile est une de celles où le fauvisme trouve sa plus juste expression dans l’œuvre de Flandrin ; un style qui atteint chez lui son plein épanouissement à partir de 1909. À elle seule, l’exaltation de la couleur pure suffit à qualifier ce paysage de fauve. Le pied de vigne, point d’accroche du tableau, s’impose par sa couleur d’un rouge éclatant et par sa position en avant-plan.
Pour rendre cette couleur encore plus vibrante, l’artiste utilise différents rouges qu’il mêle de brun et l’associe à sa couleur complémentaire le vert. À la cime du pied de vigne, point de rencontre du vert et du rouge, tout respect de la perspective et du naturalisme disparaît, seule la couleur compte. Le jaune lumineux de la meule de foin, brossé avec vigueur, joue en contrepoint. Si pour le paysage alentour
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Flandrin suit les règles traditionnelles de la mise en perspective, il en donne une vision très rapprochée et abolit toute description en particulier dans les lointains où le ciel et les montagnes ne sont pas clairement délimités. À la manière de Marquet, l’artiste anime son paysage de personnages, qu’il campe en quelques coups de pinceau, sans omettre les accessoires, en particulier les chapeaux.
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n° 51 | Esquisse pour Bacchanale faussement intitulé L’Oiseau de feu 1910 (Ballet Cléopâtre) 1909 – Crayon sur papier – 16,5 x 26,5 Signé en bas à droite : Jules Flandrin Collection particulière.
n° 52 | Bacchanale 1909-1910 – Huile sur bois – 44,5 x 81 Signé en haut à gauche : J. FLANDRIN Collection particulière Historique : galerie Thomire, Paris Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.274 ; Oxford, 2001, p.127 ; Aix-Les-Bains, 2002, p.8 Expositions : galerie Druet, Paris, 1910 ; Saint-Antoine-l’Abbaye, 1993 ; Ashmolean Museum, Oxford, 2001 ; musée Faure, Aix-Les-Bains, 2002.
Le ballet Cléopâtre semble avoir inspiré le peintre pour ce tableau. Différente de ses autres compositions représentant les Ballets russes, celle-ci montre la danse dans ces mouvements les plus vifs. Un dessin préparatoire réalisé sur une partition de musique révèle le goût de Flandrin pour l’association des arts. Par son format horizontal, le tableau se présente comme une frise avec une succession de danseurs. Deux hommes à
la peau brune, sortes de satyres musiciens, resserrent l’attention sur le cœur du tableau occupé par les deux femmes vêtues de blanc. L’une projetée en avant, l’autre en arrière, elles dessinent un cercle, figure symbolique de l’enchaînement de leurs mouvements. La blancheur de leur peau et de leur costume est mise en valeur par le rang de danseuses vêtues de rouge et celui des danseuses vêtues d’une cape noire parsemée de
points jaune d’or. Celle qui tient un tambourin est placée exactement entre les deux protagonistes pour mieux attirer l’attention sur elles. La confusion qui semble se dégager de cette bacchanale n’est qu’apparente, chaque figure, chaque couleur, chaque mouvement ont leur raison d’être et concourent à l’expression de cette danse endiablée. Dans un souci d’unité générale, aucun visage n’est singularisé,
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contrairement à son habitude, le peintre a laissé très peu d’espace vide pour insister sur le caractère excessif de la danse. Tension des lignes et opposition forte des couleurs traduisent à la fois les mouvements de la danse et l’écho rythmique de la musique, dans un expressionnisme rare chez l’artiste.
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La danse
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n° 53 | Le Spectre de la rose (ballet Le Spectre de la rose) Vers 1912 – Huile sur toile – 128 x 129 Signé en bas à droite : Jules. FLANDRIN Collection particulière Historique : Druet nº 9021 : « entrée le 17 avril 1919 et sorti le 17 septembre 1920 » ; collection Charles Pacquement Bibliographie : FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.160 ; STANCIU-REISS POURVOYEUR, 1992, p.259 Expositions : galerie Druet, Paris, 1919 ; galerie Georges Petit, Paris, s.d. ; Première exposition des collectionneurs, Société des amis du Luxembourg, 1924.
Flandrin a assisté à la représentation du Spectre de la Rose au théâtre du Châtelet dont il a réalisé deux tableaux de grand format. Pour peindre cette œuvre, il a utilisé des photographies de Bert comme aide-mémoire, ce qui le libère d’une recherche de composition et lui laisse tout loisir d’inventer la couleur. La robe est remarquablement façonnée ; sur le fond d’un blanc légèrement additionné
semblent se superposer à ce décor irréel sans lui appartenir, seules les ombres portées de leurs pointes de pieds confirment qu’ils sont bien sur scène. Flandrin illustre ainsi le thème du ballet et sa part d’imaginaire : une jeune fille rentre du bal, elle s’assoupit et voit en songe le spectre de la rose qui entre dans sa chambre et l’entraîne dans une danse tendre et passionnée avant de disparaître au matin.
de jaune, le peintre superpose des empâtements de blanc qu’il aplanit, par la suite avec un couteau. L’éclairage artificiel du ballet est parfaitement rendu avec ses ombres et ses lumières très contrastées et met en valeur les nuances des étoffes. Le traitement en aplats des éléments du décor rappelle la technique de la fresque et réduit la scène à deux dimensions. Les danseurs
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La danse
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n° 59 | Le Vallon boisé 1910 – Huile sur toile – 180 x 230 Signé et daté en bas au centre : Jules FLANDRIN 1910 Collection particulière Historique : lettre de J.F. à sa mère, le 12 février 1910 Bibliographie : Catalogue illustré du Salon de la Société nationale des beaux-arts, 1910, p.165 ; FLANDRIN ROUSSIER, 1992, p.118 ; Oxford, 2001, p.66 Exposition : Salon de la Société nationale des beaux-arts, Paris, 1910.
L’originalité de Flandrin réside souvent dans son appropriation des codes plastiques dont il opère ensuite une synthèse très personnelle. Cette œuvre qui se réfère à l’art nabi et à l’estampe japonaise en est une parfaite illustration. Les paysages nabis de Vuillard, Bonnard et surtout Vallotton l’ont inspiré, mais au lieu de peindre, comme eux, des jardins publics avec des enfants en train de jouer, il préfère s’attaquer à la montagne. De façon très subtile, en s’appuyant sur les couleurs et la lumière il relie chacun des espaces de son
tableau. L’éclairage violent qui atteint le muret et les fillettes augmente les contrastes entre ombre et lumière. L’arbre à proximité est lui aussi vu à contre-jour, mais par ses teintes il se rapproche de la forêt environnante. En guise de ciel, une trouée lumineuse dans des tons de bleu et de blanc fait écho aux deux personnages. Cette lecture du tableau est en soi une expérience de la durée, de l’écoulement du temps à laquelle l’artiste ajoute celle de la mesure de l’espace. La netteté avec laquelle les personnages se découpent et la
pureté de leurs couleurs contribuent à leur isolement face à une forêt qui semble inaccessible. Le moutonnage des arbres s’apparente à une arabesque qui se prolonge bien au-delà des limites de la toile. Cette simplification du rendu de la végétation est redevable aux Japonais, notamment aux montagnes d’Hokusaï, représentées comme une succession de cascades arrondies. En 1908, Flandrin avait déjà travaillé son sujet dans une toile très proche intitulée Deux fillettes, après-midi de septembre où ses nièces Adèle et Juliette
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occupent la même position à côté d’un figuier. Au loin, on reconnaît la chaîne du Vercors. Tous les éléments du tableau sont traités avec un certain naturalisme. La transformation qui s’est opérée dans Le Vallon boisé est révélatrice de la volonté de l’auteur de donner à son œuvre un caractère intemporel ce qu’il a parfaitement réussi. Flandrin démontre magistralement sa capacité à substituer à la réalité un espace de pure peinture où l’œil se délecte moins du sujet que de l’association des formes et des couleurs.
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Le paysage
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n° 60 | Le Saint-Eynard, route de la Grande Chartreuse 1913 – Huile sur toile – 130 x 195 Signé et daté en bas à droite : Jules FLANDRIN 1913 Faculté de Médecine de Grenoble Historique : don d’un patient au docteur Pierre Flandrin ; don de Pierre Flandrin à la faculté de Médecine de Grenoble Expositions : galerie Druet, Paris, 1913 ; exposition d’art français, 1917.
En 1913, avec Le Saint-Eynard, route de la Grande Chartreuse, Flandrin réalise un de ses paysages les plus réussis de la région grenobloise. Au loin, la montagne et ses environs sont magistralement représentés dans des tons dégradés et tout en nuances qui vont du mauve au bleu gris. Le choix de l’automne permet à l’artiste d’élargir au maximum sa palette pour rendre une nature plus vivante, en particulier dans la vallée au
second plan. Sans souci de topographie, il interprète cette nature domestiquée, au sein de laquelle il place à sa guise quelques habitations. Depuis le chemin en diagonale au premier plan, le regard se dirige vers les arbres orangés dont le haut des feuillages sert d’écrin aux deux maisons familiales. Chères à l’artiste, leurs façades lumineuses, bleues et blanches scintillent comme des bijoux. L’inclinaison du terrain
conduit vers d’autres habitations plus ou moins intégrées dans le paysage. Si réduite soit-elle, la présence de personnages et d’animaux dans la prairie est révélatrice du souci de l’auteur, qui tout en interprétant la nature, ne s’éloigne jamais complètement de la réalité. L’artiste reste au pied de la montagne, le SaintEynard est ici une simple silhouette presque irréelle qui sert de toile de fond à la nature habitée et construite par
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l’homme. Loin d’être un paysagiste répétitif, Flandrin donne ici une vision nouvelle et en partie imaginée d’un site qu’il connaît fort bien, afin de montrer l’infinie variété de spectacles qu’offre la nature.
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n° 62 | Jeunes cavaliers près d’une source 1913-1923 – Huile sur toile – 241 x 173 Signé en bas à gauche : Jules FLANDRIN Musée Paul Dini, Villefranche-sur-Saône. Bibliographie : VAUXCELLES, Le Gil Blas, avril 1913 ; CHARLES, La Liberté, avril 1913 ; GENET, L’opinion, avril 1913 ; GOTH, Hommes du jour, mai 1913 ; MOUREY, Le journal, avril 1913 ; SARRADIN, Journal des débats, avril 1913 ;KAHN, Le quoti dien, 1923 ; APOLLINAIRE, Chroniques d’art, 1960, p.314 ; FLANDRIN et ROUSSIER, 1992, p.124, 125, 207 ; Oxford, 2001, p.140 ; LAZIER Isabelle, p.17 ; TERCINET, Villefranche-sur-Saône, p.69 Expositions : Salon de la Société nationale des beaux-arts, Paris, 1913 ; galerie Druet, Paris, 1919 ; Salon des Tuileries, Paris, 1923 (version retravaillée) ; Royal west of England Academy, Britol, 1930, (tapisserie) ; Ashmolean Museum, Oxford, 2001.
De 1913 à 1923, Jeunes cavaliers près d’une source a connu différents états et ces transformations prouvent l’importance de l’œuvre aux yeux de l’artiste. Sur la reproduction du tableau pour le Catalogue illustré du Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1913, on pouvait distinguer un personnage féminin portant un pichet se tenant entre les encolures des deux chevaux. Le tableau était plus large à droite où le cheval à la robe grise était représenté dans son entier, protégé par une couverture rayée. Entre ses
s’était d’ailleurs fabriqué un sceau en pierre qui représentait un cavalier. Le traitement assez décoratif de la crinière du cheval ainsi que le rapprochement des deux encolures rappellent des effets de la fresque de Buffamalco qu’il a vue à Pise126. Les chevaux animent la composition et s’opposent au hiératisme des personnages caractéristiques de la fresque ainsi qu’à la représentation d’une antiquité classique idéalisée par Flandrin. L’œuvre est baignée dans une lumière du Sud qui éclate vivement sur
jambes, on remarquait des personnages en train de discuter. Lorsqu‘en 1923 Flandrin prend cette œuvre comme modèle pour une ultime tapisserie125, il adapte la toile aux dimensions du métier de haute lisse. La composition simplifiée oblitère alors le sens de l’œuvre puisqu‘elle est aujourd’hui privée de la source qui figurait dans le tableau d’origine. Ainsi, au lieu de se désaltérer, le cheval penché du premier plan en vient à brouter de l’herbe. La thématique des cavaliers est récurrente chez Flandrin ; il
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la tunique blanche et la jambe du cavalier. Cette œuvre résume assez bien l’ambition artistique de Flandrin : créer un art qui dépasse les distinctions d'époque et qui évoque la permanence de la beauté de la nature. 125 La tapisserie a été entièrement tissée de 1924 à 1929 par sa belle-sœur Angèle Flandrin, après la faillite de l’atelier de tapisserie créé par Flandrin en 1919. 126 Lors de son voyage en Italie en 1909, il se rend à Pise où il admire les fresques du Campo Santo, notamment celle du Triomphe de la Mort de Buffamalco. À l’époque de Flandrin, elle est encore attribuée à Orcagna.
Recueil des Ĺ“uvres
Le paysage
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Natif de Corenc, Jules Flandrin (1871-1947) est, dans la première partie du XXe siècle, le plus connu des artistes dauphinois. Il offre l’image d’un homme partagé – dans sa vie comme dans son œuvre – entre art du passé et modernité.
Dépôt légal : novembre 2008
En abordant la première partie de sa carrière, qui voit Flandrin accéder à la plénitude de son art, cet ouvrage dévoile un panorama particulièrement riche et documenté de la diversité du travail du maître entre 1889 et 1914, ainsi que des influences qui guident sa palette. Il révèle ainsi la personnalité éclectique de l’artiste : son goût pour l’art des Anciens, mais tout autant sa proximité avec ses contemporains impressionnistes, Nabis ou fauves. La peinture de Flandrin se laisse également apprécier par la diversité de ses thèmes (le paysage, le portrait, la danse, les scènes religieuses…), le traitement de la couleur ou encore le regard sensible qu’il porte sur le monde qui l’entoure.
9 782917 659007
Enfin, cet ouvrage met en avant pour la première fois le rôle de précurseurs que Jules Flandrin et son frère Joseph ont joué vis-à-vis de la diffusion de l’art moderne à Grenoble dans les premières années du XXe siècle.
Portrait bleu de François Flandrin (le frère de l’artiste), vers 1897.
www.editionslibel.fr 20,00 € TTC ISBN 978-2-917659-00-7
EXAMEN SENSIBLE
Examen sensible – Œuvres de 1889 à 1914
ŒUVRES DE 1889 À 1914
Jules Flandrin
ŒUVRES DE 1889 À 1914