Henry Moret 1856-1913
De Pont-Aven à l’impressionnisme en Bretagne
Ouvrage sous la direction de Guillaume Ambroise et Florence Rionnet, assistés de Lola Bournerie
Préface
Jean-Yves RollandL’organisation d’une exposition monographique permet souvent de mieux appréhender la place d’un artiste au sein des mouvements qui ont façonné son parcours. En observant la carrière d’Henry Moret, on mesure l’originalité de sa contribution, lui qui a su en de nombreuses compositions mêler les leçons du synthétisme à la spontanéité de l’impressionnisme.
Son œuvre a bénéficié par le passé de plusieurs présentations mémorables. Nous ne saurions trop insister sur l’importance historique des expositions organisées par la Galerie Durand-Ruel. Plus récemment, les musées de Pont-Aven ou Quimper ont pris le relais. Des acquisitions judicieuses ont également été menées par les conservateurs du Finistère. Depuis, le corpus du peintre a continué de s’étoffer et la compréhension de son œuvre de s’affiner.
La sélection qui a été retenue pour cette nouvelle rétrospective quimpéroise rassemble œuvres inédites et œuvres repérées depuis longtemps. Elle permet surtout de concentrer, en sections bien rythmées, les principales séquences qui définissent l’évolution de sa peinture. Qu’il se rapproche de l’art d’un Paul Gauguin ou qu’il penche vers les subtilités chromatiques d’un Claude Monet, Henry Moret affirme en toute occasion sa véritable passion, celle d’un peintre épris des mille et une nuances de la nature bretonne.
Travaillant au catalogue raisonné de cet artiste depuis plusieurs années, je ne puis que me réjouir de l’aboutissement de ce projet. Avec près d’une centaine d’œuvres réunies, nous pourrons ainsi cheminer le long des côtes de Bretagne, en suivant le pinceau toujours alerte du meilleur des guides ! Qu’il me soit donc permis de remercier l’ensemble des collectionneurs qui m’ont témoigné de leur confiance et ont accepté de contribuer à la réussite de cette exposition. Je tiens également à saluer le travail accompli par l’équipe du musée des Beaux-Arts de Quimper et à souligner les liens noués avec ses conservateurs enthousiastes. C’est toujours une grande joie de savoir sa passion partagée par les professionnels de l’art.
Souhaitons une reconnaissance méritée à l’œuvre d’un peintre dont on apprécie chaque jour un peu plus les lumineuses compositions !
Ce catalogue a été publié à l’occasion de l’exposition Henry Moret (1856-1913).
De Pont-Aven à l’impressionnisme en Bretagne, présentée au musée des Beaux-Arts de Quimper du 24 juin au 4 octobre 2021. Le commissariat de l’exposition a été assuré par Guillaume Ambroise, Florence Rionnet, assistés de Lola Bournerie.
Avec la généreuse contribution de Jean-Yves Rolland, expert de l’artiste.
MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE QUIMPER
Direction
Guillaume Ambroise, directeur Florence Rionnet, directrice-adjointe
Régie des œuvres
Catherine Le Guen
Administration et suivi des prêts
Marie Argouarc’h, Marie-Christine Feunteun
Secteur technique, sûreté et sécurité
Coordination : Matthieu Bodchon
Conception et mise en place de la scénographie, transport des œuvres, encadrement et accrochage : Nicolas Quilliec, Ronan Le Bellec, Stéphanie Le Bras
Surveillance : Éric Cariou, Jérôme Contet, Sébastien Dias, Nathalie Guillotin, Ronan Le Bellec, Stéphanie Le Bras, Myriam Le Quéré-Molis
Service des publics et communication
Fabienne Ruellan
Billetterie et boutique
Anne-Yvonne Belinger, Gaël Le Meitour, Christine Le Née
Henry Moret, « un révolutionnaire paisible et sincère1 »
LES CONTOURS D’UNE EXISTENCE
En 1971, Wladyslawa Jaworska pouvait écrire dans l’étude approfondie qu’elle consacrait à Henry Moret : « Dans le groupe de Pont-Aven, Moret est l’un des rares peintres dont la vie et l’œuvre peuvent apparemment être étudiées sans trop de difficultés 2 . » En effet, les expositions organisées régulièrement par la galerie Durand-Ruel, en mars 1959, janvier 1966 ou encore mars 1973, permettaient un accès facile à l’œuvre de cet artiste. Des peintures importantes étaient exposées et soulignaient l’originalité et l’intérêt de son parcours (Fig. 1) . Par contre, sa biographie demeurait lacunaire et les recherches entreprises depuis n’ont guère permis de préciser la place de ses années de formation ou la véritable importance de ses amitiés artistiques. Finalement, l’analyse de sa production apparaît souvent délicate au regard d’une chronologie encore incertaine. Heureusement, la carrière d’Henry Moret a traversé une époque fertile en bouleversements artistiques.
Que sait-on et que doit-on retenir aujourd’hui de la vie du peintre 3 ? Henry Moret est né à Cherbourg le 12 décembre 1856. Son père, militaire, commande à la garnison de cette ville. Seule une brève mention 4 évoque un milieu bourgeois, mais nous ne savons finalement rien de l’existence du jeune homme avant son arrivée à Lorient. En 1875, alors âgé de 19 ans, Henry Moret y effectue son service militaire au 62e Régiment d’Infanterie. Premier et durable contact avec la Bretagne, il découvre rapidement les alentours 5 de ce port actif et s’intègre au milieu artistique local. La sympathie de deux jeunes femmes peintres, Élodie La Villette (Fig. 2) et Caroline Espinet 6 , le rapproche d’Ernest Corroller, paysagiste confirmé, amateur de marines tempétueuses et pédagogue recherché. Familier des expositions du Salon parisien7, il encourage Moret à parfaire sa formation en s’inscrivant aux cours dispensés dans les ateliers d’artistes académiques réputés. Les mentions restent lacunaires, mais il est avéré que Moret a complété son éducation artistique, d’abord auprès d’Henri Lehmann puis dans la classe de Jean-Paul Laurens 8 . Ce parcours parisien, difficile à appréhender en l’absence d’œuvres certaines, n’interrompt pas le lien avec la Bretagne. D’ailleurs, à partir de 1881, Henry Moret réside au Bas-Pouldu 9
petit port amarré à l’embouchure de la Laïta. Animé par le va-et-vient des paysans-pêcheurs qui se déplacent entre les côtes du Morbihan et celles du Finistère, ce site offre l’avantage de présenter quelques facilités pour le logement. Après avoir été hébergé par le
Fig. 3 – Pont-Aven
– Panorama de la Ville et de la Vallée de l’Aven (détail) [Au premier plan, sur la gauche, on distingue la verrière de l’atelier Kerluen], début du xxe siècle, carte postale, Musée de Pont-Aven
cabaretier Goulven, Moret s’installe dans une remise de l’Hôtel Portier. Durant le laps de temps qui s’écoule jusqu’en 1887, il présente de rares œuvres au Salon parisien (voir 3 p. 31) ou à Versailles10 . Nous ne savons rien de plus de son existence et, surtout, il ne semble pas avoir rencontré Paul Gauguin qui excursionne au Pouldu en 1886 et peint trois paysages11 . Deux années plus tard, débute pourtant la période qui allait le plus intéresser les exégètes de son art. En effet, en 1888, Henry Moret loue à Pont-Aven un atelier au maître de port, René-Jean Kerluen (Fig. 3). Son arrivée à la fin du printemps coïncide avec les séjours de plusieurs artistes dont les noms sont, pour la plupart, passés à la postérité : Paul Gauguin, Émile Bernard, Paul Sérusier, Charles Laval, Henri Delavallée, Charles Filiger, Émile Jourdan ou Ernest Ponthier de Chamaillard. Non seulement Moret fréquente Gauguin12 , mais, surtout, il assiste, après l’arrivée début août d’Émile Bernard, à la naissance du synthétisme puis à sa formulation13 . Son atelier sert de point de ralliement et facilite le quotidien de peintres parfois désargentés. La dispersion du groupe se précise au mois d’octobre sans que les habitudes de Moret n’en soient affectées. Il reste à Pont-Aven pendant une partie de l’hiver.
Les années suivantes, jusqu’en 1894, date du dernier séjour breton de Gauguin, Moret renoue avec un environnement qui lui est familier. Il séjourne au Bas-Pouldu et retrouve, non loin, Paul Gauguin et Meijer de Haan qui logent à l’auberge de Marie Henry. Les relations avec cette « thébaïde artistique » demeurent toutefois prudentes. Par contre, il entame une amitié durable avec Maxime Maufra 14 , peintre talentueux dont le parcours présente bien des affinités avec son évolution.
De fréquents déplacements rythment ces années et Moret profite de longs séjours dans les îles, Ouessant ou Groix. Lorient l’attire aussi, sans doute pour des raisons plus prosaïques. L’espoir de séduire quelque amateur ne l’abandonne pas. La providence lui sourit enfin en 1895 lorsque le marchand des impressionnistes, Paul Durand-Ruel, décide de le soutenir et de diffuser son œuvre. Entre-temps, Moret a déménagé à Doëlan en 1894.
Il occupe d’abord un ancien corps de garde situé sur la rive gauche non loin de la cale de Cayenne. Puis, à partir de 1896, il loue une petite maison sur la rive droite15 (Fig. 4) . Plus abritée et surplombant l’animation du port de pêche, Moret est définitivement conquis par sa situation. Désormais, il l’habite à intervalles réguliers, alternant excursions bretonnes et déplacements parisiens. La sédentarité de Moret paraît ainsi toute relative. Le dépouillement des courriers adressés à Durand-Ruel16 , s’il ne nous apprend rien sur le peintre, livre, par contre, de nombreuses indications sur ses pérégrinations. Peu d’artistes connaissent aussi finement que lui les côtes bretonnes depuis Belle-Île jusqu’au pays des Abers.
LA VIE TRANQUILLE
Par chance, plusieurs témoignages17 nous sont parvenus et donnent une image assez vivante du peintre. Sa physionomie a été brossée avec justesse dans un de ces courts récits biographiques aujourd’hui connus : « Ainsi Lorient voyait-il fréquemment Henry Moret dans ses murs. De taille moyenne, de forte carrure, bel homme au regard bleu très doux, à la barbe blonde, il s’en allait d’un pas calme et mesuré, le chef recouvert du traditionnel chapeau mou gris foncé, aux très larges bords18 . » Le piéton tranquille qui paraît dans cette description est celui que devaient croiser ses contemporains, tant à Paris (Fig. 5) que dans la première grande ville bretonne qui l’avait accueilli. C’est aussi à Lorient en 1893 que Moret entame une relation durable avec une jeune veuve, Célina Chatenet19 , qui le soutient avec constance durant ces années difficiles. La description de cette existence lorientaise révèle enfin quelques traits de caractère qui achèvent de composer une figure aimable, portée vers les plaisirs simples 20 . C’est également le souvenir que laisse le peintre lorsque des amitiés se nouent au gré de ses « ports d’attache ». Les préoccupations de Moret apparaissent fort éloignées des spéculations théoriques sur le devenir de l’art. Nous sommes bien loin des arguties néo-platoniciennes que pouvaient développer un Émile Bernard 21 , des attirances théosophiques d’un Paul Sérusier, grand lecteur d’Édouard Schuré, ou de l’immense culture picturale d’un Charles Filiger, fin connaisseur des primitifs italiens. Artiste épris du grand air, il ne connaît de plus grande félicité qu’au contact de la nature : pêche, chasse, randonnées variées accommodent son menu hebdomadaire lorsqu’il réside à Doëlan. Il n’est pas jusqu’au nom de son chien qui ne nous soit parvenu 22 Cette passion pour la chasse (voir 12 p. 43) avait aussi trouvé en Paul Gauguin 23 un amateur intéressé. Leur amitié, même éphémère, s’est accomplie dans la complicité de goûts communs. L’amour de la liberté et la découverte d’espaces sauvages que ménageaient ces parties de chasse avaient permis de réunir ainsi deux artistes au caractère pourtant fort dissemblable. Rapportant sa conversation d’avec son ancien logeur, Joseph Tonnerre,
Catalogue
« Je ne cache pas le plaisir que m’a procuré la vue de certains de ses tableaux.
J’y ai retrouvé une pure sensation d’air, de lumière, de nature perçue par un artiste délicat et sensible. »
Anonyme, 11 mai 1901
1 – Élodie La Villette (1842-1917), Le Peintre à son chevalet, s. d. [vers 1880-1890], huile sur panneau, collection particulière
« Le jeune maître se promène dans sa galerie, l’œil vif, la barbe à peine parsemée de quelques fils d’argent. Il répond aimablement à une critique que lui fait un de ses amis, sourit à ce que, dans l’expression de notre enthousiasme, sa modestie trouve exagéré. L’éloge de la vision et de la facture délicate, forte et intense d’Henry Moret, n’est plus à faire. »
[Gustave Geffroy], 27 février 1904
Du naturalisme au synthétisme
Entre 1875 et 1880, la carrière de Moret est mal connue. Au début des années 1880, les œuvres qui lui sont attribuées de manière certaine sont rares même s’il faut pouvoir compter sur de probables redécouvertes . Le Banc des lançons au Pouldu (coll. Van der Meulen, p. 31), qu’il expose au Salon de 1881, garde le souvenir de son premier style, forgé au contact de ses amitiés lorientaises (Ernest Corroller, Élodie La Villette et Caroline Espinet) et, dans une moindre mesure, lors de son apprentissage académique dans les ateliers parisiens. Dès ses débuts, Henry Moret manifeste une forte attirance pour les paysages et, plus encore pour les bords de mer. La description de l’estuaire de la Laïta, non loin du Pouldu, lui permet de travailler sa composition en resserrant sa gamme de couleurs autour des nuances de verts, bleus, gris. La délicatesse de ses accords chromatiques révèle son goût pour la mesure autant que pour les effets de transparence. Au-delà de l’héritage réaliste et de sa diffusion par les artistes naturalistes, on lit la filiation avec certaines œuvres de Camille Corot, peintre souvent cité en exemple par Élodie La Villette. Plongé dans l’aventure de Pont-Aven dès 1888, Henry Moret assiste à l’éclosion d’un mouvement qui renouvelle complètement les codes de la représentation issus de la Renaissance. Cultivant une certaine forme de primitivisme ainsi qu’un fort intérêt pour les arts extraeuropéens (et d’abord l’art de l’estampe japonaise), Paul Gauguin et Émile Bernard renoncent à la reproduction illusionniste de la réalité et inventent le synthétisme. Certaines de leurs trouvailles plastiques sont progressivement assimilées par Henry Moret. L’apparition de larges aplats
colorés, la présence de cernes (Hameau, Morbihan, coll. part., voir p. 32) pour séparer les plans ou souligner les volumes, l’adoption de cadrages décentrés témoignent de l’influence de ce compagnonnage. Plusieurs toiles montrent des perspectives relevées ( Prairie en Bretagne, musée du Petit-Palais, Genève, voir p. 47) ou surplombantes (Trou de l’Enfer à Groix, coll. Doyen, voir p. 39) et attestent de son émancipation du réalisme académique. La pratique du paysage reste essentielle dans l’univers des peintres de Pont-Aven et se complète d’un vif intérêt pour les travaux des champs (Le Battage du blé au village, coll. part., voir p. 48-49) ou les activités côtières (Les Pêcheuses, coll. Amoudjayan, voir p. 54-55). Fait remarquable, l’adhésion de Moret au synthétisme n’est pas servile. Moret se garde bien d’introduire des sujets littéraires ou symbolistes dans ses compositions. La sensibilité de son regard impose une voie médiane qui l’amène aussi à concentrer ses efforts sur les moyens de traduire la respiration d’une scène de plein air. Aux acquis du synthétisme, il adjoint les intuitions chromatiques du mouvement impressionniste et, surtout, l’usage de la touche morcelée. Cette combinaison s’épanouit dans ses meilleures toiles et finit par caractériser son style au milieu des années 1890. Le chatoiement des couleurs connaît un premier apogée ! C’est aussi durant ces premières années 1890 que Moret s’essaie brièvement au genre du portrait (Younn du, coll. part., voir p. 41). D’incontestables réussites ponctuent cette brève incursion dans un domaine moins connu et reflètent un intérêt sans doute aussi dicté par des préoccupations matérielles.
PAYSAGES
« M. Henry Moret […] nous offre de belles et vigoureuses interprétations de paysages bretons. »
Ed. S, « Au jour le jour », Journal des débats politiques et littéraires, 28 avril 1895
« “Le Banc des Lançons, au Pouldic [sic] (Finistère)”. La plage est brune et rousse, avec quelques végétations au premier plan. À l’horizon, le flot d’argent annonce la mer et la marée montante, sous le ciel gris, nuageux et bleuâtre à l’horizon. Impression juste et vraie. »
Théodore Véron, 1881
PAYSAGES
PAYSAGES
PAYSAGES
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« Moret est avant tout un peintre de marines : il est le peintre des mouvements de l’eau, qu’il observait du haut des falaises de Groix. Filiger, à qui l’école moderne doit beaucoup, disait de Moret : “Celui-là, c’est la ligne droite.” »
Anonyme, 7 mai 1913
Chez Durand-Ruel, le marchand des impressionnistes
La date de 1895 consacre le début de la reconnaissance de l’œuvre d’Henry Moret. Jusqu’alors, l’artiste avait tenté, tant bien que mal, de participer à des expositions collectives, chez le Barc de Boutteville ou encore au Salon des Indépendants, expositions importantes sur un plan historique, mais de faible portée quant aux retombées financières. En suscitant la curiosité, puis l’intérêt de Paul Durand-Ruel en 1895, Henry Moret allait être associé au prestige du galeriste qui avait soutenu les premiers impressionnistes. À compter de cette époque, les œuvres du peintre figurent dans de nombreuses expositions organisées des deux côtés de l’Atlantique. Cette circulation favorise une large diffusion de son art et lui garantit enfin une relative aisance matérielle à laquelle il aspirait. Quelques voix se sont cependant émues de l’orientation commerciale que Paul Durand-Ruel semblait dicter à l’art de ses protégés, en privilégiant des formats de toiles adaptés aux intérieurs bourgeois ou des sujets, comme les marines, conformes aux goûts de sa clientèle. Cette préoccupation est probablement à l’origine du voyage que Moret effectue aux Pays-Bas en 1900. Le marchand a-t-il en mémoire les nombreuses toiles que Claude Monet avait peintes lors de ses différents séjours en Hollande ? Était-ce une manière de l’inciter à renouveler ses sujets et d’inscrire son parcours dans la lignée du grand impressionniste ? Toutefois et malgré quelques réussites comme Le Paysage (musée des Beaux-Arts, Caen, voir p. 119), vraisemblablement peint dans les environs de Volendam, Moret garde un souvenir mitigé de ce déplacement. Il n’a apprécié que la découverte des musées de La Haye et Amsterdam !
« Henry Moret, un impressionniste savant et subtil. »Arsène Alexandre, 17 mai 1901
En réalité, l’engagement moral qui liait le peintre à son galeriste ne l’a sûrement pas bridé dans l’épanouissement de son œuvre. Au contraire, il y a sûrement gagné une forme de confiance qui l’a confirmé dans ses choix. Jusqu’à sa précoce disparition en 1913, Moret a confié environ 650 toiles à son marchand, soit une moyenne de 30 à 40 peintures chaque année ! La régularité et l’importance de cette production confirment, s’il en est, la relation de confiance qui existait entre les deux hommes. Durand-Ruel a pressenti très tôt en Moret cette transition originale entre une facture imprégnée du ferment synthétiste et qui, patiemment, s’en détache et finit par rejoindre le vocabulaire de la sensation. Le monde de l’idée s’estompe devant l’immédiateté de la perception. En cette fin du XIXe siècle, Moret opère ce glissement et adhère définitivement à l’univers impressionniste dans la première décennie du XXe siècle. Loin d’apparaître isolée, cette évolution rejoint les cheminements parallèles de ses amis bretons Maufra et Ponthier de Chamaillard. Admirable interprète, Moret, use de toutes les ressources que lui offre la touche morcelée ou virgulée, sage ou agitée, fluide ou épaisse. Armé d’une palette qui exalte les complémentaires et encourage les oppositions entre couleurs chaudes et froides, l’artiste poursuit son pèlerinage pictural qui le mène aux confins d’un art musical et poétique. Les saisons se succèdent. La brume enveloppe les reliefs tandis que la neige efface les repères. Le tumulte des vagues répond au murmure des rias. Les pluies battantes sont chassées par la clarté aveuglante des rayons printaniers. Dans ses dernières œuvres, les éléments fusionnent et irradient de pigments portés parfois à l’incandescence.
LA SYMPHONIE DE LA MER
« Toute l’œuvre de Moret était une symphonie vibrante d’une incomparable franchise, d’un accord parfait de valeurs, d’une tenue à la fois savante et simple, triomphale. C’était la symphonie de la mer d’Henry Moret ; la mer d’août, clapotante et très bleue au pied des rochers de l’île de Groix ; la mer profonde des remous d’Océan ; la mer blonde et mauve du matin où les courants s’étirent comme des voies lactées ; la mer reflet du ciel ou miroir terni par les brumes ; la mer sauvage qui jongle avec une barque ; la mer calme qui emprisonne de l’azur, de l’air, de la lumière, charrie des turquoises et des topazes ; la mer qui chante clair… C’était là tout un poème très noble et très beau d’une impressionnante intensité, d’une unité et d’une personnalité puissantes. »
Henry Éon, janvier 1933
LA SYMPHONIE DE LA MER
22 – Port Donnan-Belle Ile, vers 1897-1898, huile sur toile, collection particulière
L’une après l’autre, avec de furieux élans, Les lames glauques sous leur crinière d’écume, Dans un tonnerre sourd s’éparpillant en brume, Empanachent au loin les récifs ruisselants.
José-Maria de Heredia, « Mer montante », Les Trophées, 1893
LA SYMPHONIE DE LA MER
23 – Écume et rochers, vers 1896, huile sur carton, collection particulière
24 – La Plâtrière du Four, Finistère, 1898, huile sur toile, collection particulière
25 – Le Sémaphore de Beg ar Mor (Finistère), 1899, huile sur toile, Musée
« […] M. Henry Moret […] aime le ciel de Bretagne. […]. Combien de fois il s’est assis sur l’abrupte falaise, peignant sans relâche, scrutant l’immensité et tentant d’arracher au ciel et aux flots le secret de leur immuable beauté ! »
Georges Denoinville, 14 avril 1907
LA SYMPHONIE DE LA MER
« Des tons vifs, des verdures franches, des mers violentes, des horizons vastes, de l’air et de la clarté […], c’est un art de lumière chantante, d’impressionnisme sincère. »
Maurice Guillemot, avril 1907