HISTOIRE DE LA LUTTE CONTRE LE FEU
Lyon a toujours eu à son service des hommes prêts à se dÊvouer pour sauvegarder sa population. L’actuel service dÊpartemental
JACQUES PÉRIER
et mÊtropolitain de lutte contre l’incendie et de secours trouve lui aussi ses racines dans ce lointain passÊ. Le prÊsent volume propose, depuis l’AntiquitÊ jusqu’à l’aube du XXe siècle, de revenir sur l’histoire des combattants du feu à Lyon. À partir des ÊlÊments patiemment inventoriÊs pendant plus de 40 ans dans de nombreux fonds
d’archives, l’auteur Jacques PÊrier restitue avec rigueur et passion la manière dont les Lyonnais se sont organisÊs pour faire face aux incendies et autres catastrophes naturelles.
HISTOIRE DE LA LUTTE CONTRE LE FEU
Si l’on connaÎt relativement bien cette histoire à partir du XIXe siècle, elle est en revanche totalement inÊdite pour les pÊriodes antÊrieures. C’est cette histoire lyonnaise, inÊdite et inattendue, qui est ici contÊe, au travers de très nombreuses anecdotes et d’une riche iconographie.
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JACQUES PÉRIER
HISTOIRE DE LA LUTTE CONTRE LE FEU
âœş ET LES AUTRES CALAMITÉS DANS LA VILLE DE LYON PREMIĂˆRE ÉPOQUE DE L’ANTIQUITÉ Ă€ 1912
45,00 ₏ TTC / www.editions-libel.fr ISBN : 978-2-917659-74-8 • DÊpôt lÊgal : juin 2018
LIBEL_POMPIERS_COUV RESO_TROK.indd 2-4
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DE L’ANTIQUITÉ À LA RÉVOLUTION
DE NAPOLÉON Ier À NAPOLÉON III
La cité gallo-romaine de Lugdunum Les pompiers de l’antiquité Les pompiers de Lugdunum Lyon au Moyen Âge La renaissance lyonnaise Les hommes du feu Les seaux d’incendie L’origine de la garde bourgeoise L’organisation municipale La gratuité des secours La tutelle royale Les seringues d’incendie Les réorganisations de 1619 et de 1654-1655 Les interventions divines La réapparition de la pompe en Europe occidentale Les pompes portatives Les catastrophes de 1711 La réorganisation du gouverneur Villeroy Les pompes aspirantes du citoyen Montagnon L’architecte Soufflot réorganise les secours La rareté de l’eau à Lyon L’adoption des pompes à quatre roues La garde bourgeoise prend le rôle principal Les nouveaux entrepôts de matériel d’incendie Le secours aux noyés Le véritable début de la prévention Les ouvriers-pompiers des hôpitaux La révolution Des spécialistes pour les secours nautiques Le siège de Lyon : le bombardement et l’épreuve du feu De la Convention au Consulat
97 103 105 110 112 115 119 121 124 128 132 138 143 159
La création d’une compagnie de gardes-pompiers Des dépôts de pompes et des corps de garde La prévention et les secours sous Napoléon ier L’évolution des matériels La Restauration Les éternels problèmes de l’alerte et de l’alimentation en eau La réorganisation du sauvetage fluvial Les nouveaux officiers La Monarchie de juillet Les progrès matériels depuis Napoléon ier L’amélioration des services de garde et des secours Les victimes des eaux et du feu La deuxième République Les sapeurs-pompiers des communes suburbaines
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LE SECOND EMPIRE ET L’ÈRE INDUSTRIELLE
LES SAPEURS-POMPIERS DE MARIANNE LA RÉPUBLICAINE
La nouvelle ville de Lyon Le bataillon de sapeurs-pompiers volontaires L’apparition d’un esprit de corps Les secours hors incendie Les secours aux blessés et malades de la voie publique Les secours fluviaux Les secours donnés aux noyés et des pompiers solidaires Le réseau d’eau public La nouvelle stratégie avec des pompes légères La disparition d’un grand chef La transformation du centre-ville et ses conséquences Le feu sacré des sapeurs volontaires lyonnais Le début de la mécanisation des secours La guerre franco-prussienne Les trois compagnies auxiliaires Les renforts matériels Les restrictions budgétaires Une lamentable vengeance politique Le feu destructeur et meurtrier
231 234 235 237 238 240 244 246 249 250 253 259 262 264 266 269 272 273 276 280 287 289 293 297
La garde prétorienne du conseil municipal Les douze postes de nuit et les dépôts Le télégraphe, un nouveau progrès Les premières grandes échelles aériennes Les cantonniers requis au feu Le premier texte organique national La pompe à vapeur de Vaise Un chef incompétent et retors La traction hippomobile Les défaillances et l’insuffisance des secours Les deux commissions d’étude Les premières améliorations matérielles Les compagnies auxiliaires de banlieue Des exercices, de la théorie récitative et une grande tradition Les pompiers connaissent la musique La gymnastique chez les pompiers Un nouveau et moderne moyen de communication L’expansion ultime des postes et des dépôts de quartiers Un chef intransigeant et irascible Des années noires pour les volontaires L’hommage de la ville à ses pompiers Les peines et les joies de l’année 1894 Enfin, de l’eau à profusion L’électricité, un progrès immense mais aussi un danger
UsommaireV
U5V VERS LA FIN D’UNE ÉPOPÉE DE dix-neuf SIÈCLES 307 311 315 318
L’inéductable disparition des compagnies volontaires L’avènement de l’automobile chez les pompiers Les deux postes-casernes Le moteur à pétrole a vaincu la pompe à bras
323 Annexes 326 Bibliographie 327 Remerciements
AVERTISSEMENT Seules les informations touchant à l’organisation de la
Les dessins de l’auteur représentant les différentes
lutte contre le feu et les autres calamités, ainsi que les
tenues portées par les hommes du feu lyonnais ont été
divers sinistres mentionnés dans le texte, font l’objet
réalisés avec le souci constant de respecter au plus près
d’appels de notes pour le commentaire et l’origine de
la vérité historique. Dans la mesure du possible, si elles
la source du document ou du fait cités. Sauf exception,
ne sont pas multiples, les sources qui ont guidé le crayon
ne posant aucune difficulté quant à sa recherche et sa
sont indiquées précisément dans la légende.
consultation, toujours datées dans le texte, la source des
Abréviations utilisées dans les notes et les légendes : •
ACAD : Académie des sciences, belles lettres et arts de Lyon
•
AD : Service d'archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon
•
AHCL : Archives des Hospices Civils de Lyon
•
AML : Archives municipales de Lyon
délibérations de la municipalité n’est pas indiquée. Pour
NOTA : Les documents iconographiques : photographies,
•
AN : Archives nationales
l’histoire de Lyon, proprement dite, et les divers autres
gravures ou dessins, illustrant cet ouvrage, provenant de
•
BIUM : Bibliothèque inter-universitaire de médecine
sujets annexes abordés dans l’ouvrage, nous ne donnons
collections publiques et privées ou de celle de l’auteur, ne
•
BML : Bibliothèque municipale de Lyon
que la bibliographie consultée. Pour la plupart, classés
peuvent être reproduits sans l'accord de l'auteur sous la
•
Coll. JP : collection de l’auteur
sur les rayons des usuels, ces livres sont librement acces-
bienveillance des responsables du musée des sapeurs-
•
Dessin JP : dessin de l'auteur
sibles pour le public à la bibliothèque municipale de la
pompiers de Lyon-Rhône.
•
MG : Musées Gadagne
•
MGRL : Musée gallo-romain de Lyon
•
SHAT : Service historique de l'armée de terre
Part-Dieu à Lyon. Quelques recherches ayant été menées il y a plus de trente ans aux archives municipales ou départementales, certaines cotes ont été modifiées ou totalement changées en cas de reclassement intégral des séries concernées. Il n’a pas été toujours possible à l’auteur de trouver la correspondance entre les anciennes et les nouvelles cotes. Pour un très petit nombre de sources, les notes sont donc fausses. C’est notamment le cas en ce qui concerne l’ancienne série N concernant les eaux publiques. Les lecteurs intéressés par lesdits sujets devront reprendre les recherches adéquates de leur propre initiative.
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De l’antiquité à la révolution
U1V DE L’ANTIQUITÉ À LA RÉVOLUTION
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De l’antiquité à la révolution
Vue hypothétique de Lyon sous l’Antiquité. MG inv. 53. 1376
LA CITÉ GALLO-ROMAINE DE LUGDUNUM ✺ Les origines antiques de lyon Prenant prétexte de l’incursion des Helvètes, Jules César entra en Gaule, en 58 av. J.-C., à la tête de plusieurs légions afin d’en achever la conquête, la Provence étant déjà sous tutelle romaine depuis longtemps. En huit ans, le chef romain soumit le pays gaulois à sa domination. Après la mort du dictateur, le Sénat romain chargea Lucius Munatius Plancus, proconsul de la Gaule chevelue, de fonder officiellement une colonie sur le site lyonnais. Ainsi naquit, en 43 av. J.-C., l’année 711 de Rome, la colonie de Lugdunum ». Au fil des années un grand centre
urbain s’édifia. Plusieurs quartiers constituaient l’agglomération lyonnaise antique. Sur la colline de « Fourvière », étaient établies la cité administrative et la colonie romaine. Là, se situaient tous les édifices officiels dont le forum qui, plus tard, donna son nom à la colline ellemême lorsque, après l’abandon de la ville haute, il devint le vieux forum (forum vetus) déformé plus tard en Fourvière. Face à Fourvière, sur les pentes bordant le plateau de la Croix-Rousse, l’autre colline lyonnaise, s’étageait un quartier gaulois, nommé « Condate » qui ne faisait pas partie de la colonie romaine. Entre le Rhône et la Saône se trouvaient les « Canabae » lesquels occupaient une partie de l’actuelle presqu’île. Ce terme, d’origine militaire, désignait les baraquements civils dressés aux portes des camps de l’armée. Ce quartier était à la fois résidentiel et commerçant. À cette époque, la jonction du Rhône et de la Saône se produisait à la hauteur du quartier d’Ainay. Enfin, un autre lieu d’habitation existait dans la plaine de Vaise et le vallon de Gorge de Loup. Un pont au moins reliait les deux rives de la Saône, vraisemblablement au niveau du futur pont du Change où existait une barrière rocheuse à fleur d’eau. Quelques historiens pensent qu’un pont existait aussi sur le Rhône sur un emplacement fixé un peu plus au sud de l’actuel pont de la Guillotière.
L’incendie de Lugdunum À l’automne 64 ou au cours de l’hiver 64-65 – les historiens ne s’accordent pas tous sur la date précise du sinistre – un terrible incendie endommagea gravement Lugdunum. Ce sinistre a incontestablement suivi de près celui de Rome. Plusieurs historiens modernes ont tenté d’apporter des explications sur cet accident. Toutes demeurent des hypothèses sans fondement sérieux puisqu’aucun document d’époque ne permet d’élucider le mystère qui plane sur l’origine et l’étendue de l’incendie. Nous savons seulement que l’empereur Néron fit envoyer un secours de quatre millions de sesterces pour aider les Lyonnais.1 En fait, ces derniers reçurent une somme égale à celle qu’ils avaient fait parvenir à Rome lors de l’incendie de juillet 64. À cette date, un très grand incendie avait ravagé Rome. À la suite de cette catastrophe, par solidarité, les habitants de Lugdunum avaient fait parvenir à Rome une somme de quatre millions de sesterces. Dans une longue lettre adressée à son ami Lucilius, Sénèque mentionnait l’incendie de Lyon. 2 La colonie de Lugdunum a-t-elle réellement été détruite par le feu en une nuit ? Sénèque n’apporte en fait aucun détail permettant d’affirmer quoi que ce soit. Les
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Le grand incendie de Lugdunum et les autres sinistres ont-ils été combattus par des pompiers ? Avant de tenter d’apporter une réponse, il nous faut tout d’abord préciser que le terme « pompier » désignait à l’origine un fabricant de pompe, puis, au fil du temps, il qualifia ceux qui manœuvraient ces machines. Logiquement, on ne peut donc parler de pompiers qu’au moment où apparaissent les pompes, ce qui est le cas pour l’Antiquité. À l’époque romaine, parmi les vigiles très spécialisés, figuraient les siphonarii, des mécaniciens spécialement chargés de l’entretien et de la manœuvre des siphons (pompes), lesquels jouaient un rôle assez proche de nos sapeurs-pompiers du XIXe, qui, eux aussi, le plus souvent, ne maniaient leurs pompes à bras que face à un seul adversaire : le feu !
La patrouille des vigiles rencontre deux noctambules. Dessin JP
fouilles de la ville haute n’ont jamais permis de trouver une quelconque trace de ce grand incendie. Cependant, Néron ayant décidé de redonner à Lugdunum une somme équivalente à celle envoyée à Rome, on peut en déduire que les dégâts subis par la cité rhodanienne durent être très importants. Comme Rome, Lugdunum a sans doute été souvent victime du feu. De 1973 à 1982, par étapes successives, des fouilles furent effectuées rue des Farges, au sommet de la colline de Fourvière. Ce quartier, maintenant dit des Hauts de Saint-Just, révéla un ensemble de constructions qui avaient été détruites par un violent incendie à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle. Il nous faut toutefois noter que ce quartier avait peut-être été abandonné avant ce sinistre, car aucun mobilier ni objet endommagés par les flammes ne fut découvert dans les vestiges des bâtiments explorés. 3 Cependant, ils avaient peut-être été évacués au moment du sinistre, ainsi que cela se pratiquait plus tard. Lors des investigations archéologiques effectuées en 1983 avenue Adolphe Max, dans le quartier Saint-Jean, on a identifié les vestiges de thermes publics construits au IVe siècle sur les ruines de bâtiments plus anciens ravagés par le feu.4 Enfin, effectuées en 1989, avant la construction d’un parc de stationnement souterrain, les fouilles de la place de la Bourse ont permis de découvrir les traces d’un sinistre qui avait provoqué la destruction de divers bâtiments au cours de la seconde moitié du Ier siècle apr. J.-C.5
LES POMPIERS DE L’ANTIQUITÉ ✺ les vigiles militaires de rome Lugdunum a certainement bénéficié d’un service de lutte contre l’incendie. Mais, avant de l’évoquer, revenons succinctement sur celui qui reste exemplaire pour l’Antiquité : le fameux corps des vigiles de Rome. À l’origine de la Rome républicaine, il n’y a pas de preuve formelle d’une organisation spécifique pour combattre les incendies. Plus tard, le peuple choisit des « aediles publici », qui obtinrent progressivement presque tous les pouvoirs de police. Compte tenu de l’étendue de Rome, d’autres magistrats, subordonnés aux édiles, furent créés sous le nom de « triumviri capitales ». Ceux-ci faisaient fonction d’officiers de police responsables de la sécurité. D’autres fonctionnaires, les « triumviri nocturni », furent spécialement chargés du service de nuit. Ils organisaient des patrouilles avec des gardes salariés et en outre disposaient d’esclaves publics postés aux portes de Rome et près des remparts où ils étaient requis en cas de besoin.6 La lutte contre le feu faisait partie de leurs attributions. À la suite d’un grand incendie en l’an 23 av.J.-C. l’empereur Auguste organisa l’année suivante une milice chargée de lutter contre l’incendie. Il
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De l’antiquité à la révolution
confia alors aux édiles curules la tâche d’entretenir un corps spécialisé de six cents esclaves.7 Plusieurs grands sinistres ayant ravagé certaines parties de la capitale romaine, Auguste créa en l’an 6 apr. J.-C. deux corps de police : les cohortes urbaines, chargées de la police diurne, et les cohortes de vigiles dont dépendaient la police nocturne et la lutte contre l’incendie. Le corps des vigiles de Rome totalisait un effectif de sept mille hommes répartis en sept cohortes organisées militairement et placées sous les ordres d’un « préfet dit des vigiles ». L’état-major de cet officier se trouvait à la caserne de la première cohorte. Au-dessous du préfet, les cadres comprenaient des officiers : les tribuns et les centurions ; et des sous-officiers dits « principales ». À ces derniers, il fallait ajouter les « optiones », équivalents à nos adjudants ; les « immunes » spécialisés, soldats exempts de corvées, et les médecins.8 Les cohortes, logées dans des casernes (stationes), étaient réparties à raison d’une pour deux régions. Chacune d’elles fournissait des détachements pour les postesvigies (excubitoria), établis dans les sept régions de Rome démunies de caserne.9 Le service de surveillance confié aux vigiles comprenait deux éléments. Premièrement, les corps de garde fixes qui étaient installés dans les casernes et les postes. Deuxièmement, les patrouilles qui effectuaient des rondes nocturnes, auxquelles le préfet était tenu de participer en personne.10 Le matériel employé par les pompiers romains est relativement bien connu.11 Les vigiles de Rome utilisaient pour le principal : des seaux, des éponges, des couvertures, des échelles, des haches, des catapultes (pour démolir les édifices sacrifiés pour faire la part du feu), et des pompes, appelées « siphons ». Une pompe antique a été découverte à Lyon lors des opérations de sauvetage archéologique opérées en 1975 dans le cadre des travaux de la première ligne du métro tracée dans la presqu’île, sur le site des anciennes Canabae. Elle était immergée à six mètres de profondeur, dans un ancien puits romain situé rue Victor Hugo à l’angle de la rue Sainte-Hélène. Son corps est constitué d’un bloc de chêne qui comporte deux cylindres de quatre-vingt-trois millimètres de diamètre évidés dans le bois massif et chemisés en bronze. Elle possède une chambre de refoulement percée entre les deux cylindres de pistons. Le mécanisme des tiges de pistons et celui du balancier ont malheureusement disparu.12 Cette pompe ménagère était probablement destinée à approvisionner en eau une riche demeure des Canabae de Lugdunum. Même s’il ne s’agit pas d’un matériel d’incendie, cette pompe a le mérite de prouver que ce genre d’appareil hydraulique n’était pas inconnu à Lugdunum.
LA FIN DES VIGILES MILITAIRES L’institution du corps des vigiles militaires resta sans doute l’apanage de Rome pendant quatre siècles. Ce service subsista sans grande modification jusque vers le milieu du IVe siècle. À partir de cette époque, le préfet des vigiles devint un subordonné du préfet de la ville dont il n’était plus qu’un chef de service. Les pompiers militaires disparurent alors pour laisser place à une nouvelle organisation faisant (de nouveau ?) appel aux « collegiati » (membres des collèges), ou corporations, notamment à celles des métiers du bâtiment, les « fabri ». Les deux services, incendie et police nocturne, furent séparés. La nouvelle organisation est surtout bien connue pour Constantinople.13
LES POMPIERS MUNICIPAUX CIVILS Selon la tradition romaine, les collèges des métiers furent créés par le roi Numa Pompilius, deuxième roi légendaire de Rome (v. 715 - v. 672 av. J.-C.). Ce souverain organisa la plèbe (le peuple) en corps de métiers. Désormais, ceux-ci se groupèrent en confrérie ou collèges. À cette époque, le bois était encore le principal matériau de construction. Les charpentiers « fabri tignarii » représentaient donc, naturellement, l’ouvrier par excellence. Ensuite, on reconnut sous le terme de « fabri » non seulement les charpentiers, mais aussi tous les corps de métiers œuvrant pour la construction des bâtiments. Progressivement ils eurent un rôle de service public, notamment pour la lutte contre l’incendie. Collaborateur du « Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines » de Daremberg et Saglio, historien de la Gaule, Camille Jullian écrivait à ce sujet : « il semble que les fabri aient un autre devoir à rendre à l’État : prêter mainforte aux magistrats en cas d’incendie ; Je croirais volontiers qu’ils avaient déjà cette mission sous la république ; les fabri municipaux la conservèrent toujours. C’était dans la nature de leurs métiers et leurs habitudes d’être les hommes les plus aptes à escalader les maisons incendiées, à abattre ou à démolir les pans de murs pour faire la part du feu. Ce furent désormais là les services publics, officiellement, qu’on leur demanda ». Pendant le Bas-Empire, à Constantinople, les pompiers n’étaient pas des vigiles militaires casernés. Il s’agissait d’artisans ou de membres de diverses professions constituant les « collèges de fabri ». Les recherches des historiens ont démontré qu’il existait à l’époque de
l’Empire romain dans les municipalités, aussi bien en Orient qu’en Occident, des services d’incendie civils constitués par les fabri. Après la disparition des vigiles militaires, comme les autres villes de l’Empire, Rome utilisa leurs compétences. Les membres des « collegia » provenaient principalement des corporations de charpentiers, maçons, menuisiers et architectes. L’existence de ces véritables services civils municipaux d’incendie dans tout l’Empire est attestée par de nombreux documents. Beaucoup de villes ont bénéficié d’un service d’incendie assuré par ces collèges. Ces pompiers civils possédaient des matériels à peu près identiques à ceux des vigiles militaires. « L’organisation des collèges contre l’incendie paraît avoir atteint un développement et une perfection non dépassée, à peine même égalée par les institutions de nos jours ». L’historien allemand Otto Hirschfeld écrivait ces lignes en 1884 ! C’est peut-être une organisation de ce genre qui protégea Lugdunum contre les ravages du feu. Nous ne pouvons pas en apporter la preuve.
LES POMPIERS DE LUGDUNUM ✺ LE PRÉFET DES VIGILES LYONNAIS En ce qui concerne l’existence d’un corps de vigiles militaires à Lugdunum, la question restera posée tant qu’il n’existera pas de trace formelle de la participation des diverses cohortes lyonnaises au service du feu. Il n’est pas certain que ces pompiers municipaux civils aient toujours été appelés vigiles. Sur le territoire de l’ancienne Gaule, on ne rencontre ce terme qu’à Nîmes14 et à Lyon. À Lyon, le 15 mars 1820, dans le jardin de l’Antiquaille, a été trouvé un autel dédié à Jupiter par un préfet des vigiles : « À Jupiter, très bon, et très grand, protecteur contre les calamités. À tous les dieux et à toutes les déesses et au génie du lieu. Titus Flavius Latinianus, préfet des vigiles ».15 Le préfet Latinianus était-il lyonnais ? Nous inclinons pour le oui, car, nous l’avons indiqué plus haut, le préfet de Rome était tenu d’assister
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en personne aux rondes nocturnes des vigiles. Il ne pouvait donc pas s’absenter longtemps de la capitale romaine. Le fonctionnaire lyonnais était probablement astreint aux mêmes obligations. Pour autant, nous ne pouvons pas en déduire que Lugdunum possédait un corps de pompiers militaires, car à Lyon on ne trouve nulle part mention d’officiers, de sous-officiers ou de simples soldats portant le nom de vigiles. Comme celui de Constantinople, ce préfet gallo-romain lyonnais avait donc probablement recours aux membres des collèges de « fabri ».
LES COHORTES URBAINES Au côté des corporations, ou même avant cellesci, une autre institution a peut-être participé à la lutte contre l’incendie à Lugdunum. Lors de la réorganisation administrative de l’an 6 apr. J.-C., outre le corps de vigiles, l’empereur Auguste créa d’autres phalanges policières : les « cohortes urbaines ». 16 Celles-ci étaient chargées de la police de jour. Or, Lugdunum fut l’une des deux capitales provinciales de l’Empire, avec Carthage, qui posséda une garnison permanente de ce type. À Rome, les cohortes urbaines instituées par Auguste, mais peut-être organisées sous Tibère seulement, étaient au nombre de trois, numérotées à la suite des neuf cohortes prétoriennes dont elles furent distinguées progressivement. Qualifiées d’urbaines, elles reçurent les matricules Xe, XIe et XIIe. Administrativement, les cohortes urbaines relevaient du préfet de la ville, un des plus hauts personnages de l’administration romaine. Il nous faut préciser qu’à l’origine, l’épithète « urbana » n’était attribué qu’aux seules cohortes policières de Rome. Pour les autres lieux on ne parlait que de cohortes, sans autre indication.
LA PREMIÈRE Stèle d'un préfet des vigiles trouvée à Lyon dans le jardin de l'Antiquaille. MGRL © C. Thioc, inv. AD 95
GARNISON LYONNAISE En 1881, un autre historien allemand, Theodor Mommsen, avança l’hypothèse que, dès le règne d’Auguste, une quatrième cohorte urbaine avait été créée pour Lugdunum sous le numéro XIII. Il considérait, qu’ainsi, la cité principale des Trois Gaules était devenue la seconde capitale de l’Empire.17 Depuis le début des années 1990 cette hypothèse est remise en cause, notamment par M. François Bérard, professeur, éminent spécialiste du sujet.18 En fait, ni à Lyon, ni ailleurs il n’existe de preuve de la présence de cette unité à Lugdunum à l’époque d’Auguste, pas plus qu’au cours du Ier siècle. Au contraire, diverses découvertes récentes permettent de penser que la « cohors XIII » a vu le jour à Rome entre l’an 23, où il n’existe que trois cohortes urbaines, et 40 – 44 dates la mentionnant de manière certaine. Selon M. Bérard, il est donc fort probable que la première garnison lyonnaise était constituée d’un autre corps de troupe, non identifié à ce jour. En suivant ce raisonnement, Lyon perd sa reconnaissance comme capitale de la Gaule gallo-romaine. Il n’en reste pas moins que Lugdunum eut ce privilège, exceptionnel, de posséder une
garnison romaine permanente très tôt après sa création, distinction partagée d’abord avec deux grands ports italiens et Carthage qui vint s’ajouter plus tard.
LES PREMIÈRES COHORTES LYONNAISES Né à Lyon en 10 av. J.-C., Claude fut empereur de janvier 41 à octobre 54. Sous son règne, Suétone mentionnait la formation de deux nouvelles cohortes chargées de veiller à la sécurité de Pouzzoles et Ostie, les deux ports affectés à l’approvisionnement de Rome. Suétone, précisait que ces deux unités policières spéciales étaient chargées de la lutte contre les incendies : « Puteolis et Ostiae singulas cohortes ad arcendos incendiorum cassus collocauit ».19 Généralement, les historiens pensent que la XIVe était stationnée à Ostie et la XVe à Pouzzoles. Compte tenu de leurs matricules, ils leur attribuent aussi un rôle de police, de jour comme de nuit. À Lyon, en 1978, une petite stèle funéraire a été mise au jour dans la nécropole paléochrétienne de Choulans. Elle porte le nom d’un militaire et mentionne une cohorte. Malgré une lecture difficile, sans l’affirmer et en l’attente de confirmation par une autre découverte, M. Bérard propose d’attribuer le matricule XIV (ou plutôt XIIII) à cette nouvelle cohorte. S’agirait-il alors de la cohorte précédemment stationnée dans le port d’Ostie ? Dans le cas d’une réponse positive, cette unité assurait peut-être à Lyon le service du feu comme elle le faisait précédemment dans le port romain. Trois autres cohortes, portant les matricules XVI, XVII et XVIII, furent constituées par l’empereur Claude ou son successeur, Néron, qui régna de 54 à juin 68. À leur création elles étaient stationnées en Italie même. Signalée de manière certaine, la deuxième cohorte présente à Lyon portait le matricule XVII. Il semble donc qu’elle vint d’Italie pour remplacer la précédente unité. Découverte en 1867 à Vichy, une stèle porte l’épitaphe d’un soldat de la « cohors XVII Luguduniensis ad monetam ».20 Son nom indique, de manière certaine, que cette unité était en garnison à Lugdunum et, probablement, préposée à la garde de l’atelier monétaire qui existait à Lyon, ou casernée près de ce dernier. Trouvée à Fourvière, une plaque d’équipement de soldat, circulaire en bronze, marquée au nom de la XVIIe cohorte, confirme la présence de cette troupe à Lugdunum. La troisième troupe de garnison lyonnaise connue portait le matricule XVIII. Hirschfeld considérait qu’elle avait remplacé à Lyon la XVIIe cohorte celle-ci étant repartie à Ostie. Ce fait tendrait encore à
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De l’antiquité à la révolution
prouver qu’il s’agissait bien d’une unité mixte assurant les rôles de pompier et de policier. En 69, Tacite la considérait comme la garnison régulière de Lugdunum.21
LES DEUX COHORTES URBAINES LYONNAISES Après les luttes sanglantes de l’année 69 entre plusieurs prétendants au trône impérial, vainqueur, Vespasien réorganisa l’armée romaine. Les cohortes prétoriennes, qui s’étaient vu portées à seize, furent ramenées à neuf unités. Les cohortes urbaines de Rome furent réduites à quatre, sans doute sous les matricules : X, XI, XII et XIV. Pour Lugdunum, le souverain créa dans le même temps une nouvelle unité, ou bien rebaptisa la XVIIIe qui disparut. À cette époque une nouvelle unité apparut à Lyon, sous le nom de « Ière Flavia urbana ».22 Pour la première fois une cohorte, non pas romaine, mais destinée à une autre ville, était qualifiée d’urbaine. Elle stationna dans la cité rhodanienne au moins jusqu’en l’an 88. En Afrique du Nord, la cité de Carthage disposait depuis longtemps d’une garnison militaire formée par des détachements d’une légion, lesquels étaient mis au service du proconsul du Sénat romain. Vespasien fit partir, aux ordres de son procurateur en Afrique, la XIIIe cohorte urbaine qui s’installa alors à Carthage (près de Tunis).23 Au début du IIe siècle, semble-t-il, les garnisons de Lugdunum et de Carthage permutèrent. C’est entre le règne de Domitien (81-96) et celui de Trajan (98-117) que la Ière Flavia urbana lyonnaise partit en Afrique remplacer l’unité carthaginoise. Dans le même temps, la XIIIe cohorte urbaine traversa la Méditerranée pour prendre ses quartiers à Lyon. 24 Cette cohorte urbaine resta à Lyon pendant toute la domination des Antonins, à l’apogée de l’Empire et de la cité impériale lyonnaise. En 197, une guerre porta un coup très dur à la puissance de Lugdunum. Deux concurrents, Septime Sévère et Clodius Albinus, se disputaient alors le pouvoir ; Lyon soutint le second qui fut battu. Pour se venger des Lyonnais, Sévère fit saccager et incendier la ville qui ne put jamais se remettre complètement de cette catastrophe. Pendant ce conflit, la XIIIe cohorte urbaine se battit aux côtés des légions de Bretagne, partisanes d’Albinus. Après la défaite, la cohorte lyonnaise fut définitivement dissoute.
Vue de l’aqueduc du Gier au lieu dit de Beaunant sur la commune de Sainte-Foy-lès-Lyon. MG inv. 55.82.25
LES LÉGIONNAIRES
L’EAU
DE LUGDUNUM
À LUGDUNUM
Pour remplacer la défunte cohorte urbaine, issus de quatre légions qui étaient stationnées sur le Rhin, au long du fameux limes qui constituait en quelque sorte la frontière de l’Empire, des détachements de légionnaires furent affectés à Lugdunum. À tour de rôle, la Ière Minervia (Pia Fidelis Antoniniani) et la XXXe Ulpia Victrix de Germanie inférieure ; la VIIIe Augusta et la XXIe Primigenia Pia Fidelis de Germanie supérieure, envoyèrent des soldats pour reconstituer la garnison policière lyonnaise. Ces unités demeurèrent entre Rhône et Saône pendant tout le IIIe siècle. Ces différents corps policiers et ces détachements militaires de légionnaires ont-ils assuré le service d’incendie à Lugdunum ? Nous ne pouvons répondre affirmativement à cette question sans preuve formelle. Cependant, il nous semble difficile d’imaginer une formation militaire, chargée de maintenir l’ordre, se croiser les bras devant un incendie. En tous les cas, à Lyon, pendant les siècles qui suivirent, et jusque vers la fin du XIXe, les diverses unités militaires et les corps de police stationnés à Lyon furent les fidèles et dévoués auxiliaires du service de lutte contre l’incendie.
Les « pompiers » romains de Lugdunum, membres des collèges, des cohortes ou des légions, ne manquaient pas d’eau, élément éminemment essentiel pour la lutte contre le feu. Une agglomération comme Lugdunum exigeait une grande abondance d’eau. Les deux cours d’eau et les puits y pourvoyaient largement pour les quartiers bas. Recueillant l’eau de pluie, des citernes furent rapidement aménagées dans les premières années d’existence de la colonie romaine. 25 Plus de cinquante citernes privées ont été retrouvées lors des grandes investigations archéologiques menées dans les quartiers de Saint-Just et de la Sarra. Comme à Rome, les Romains édifièrent progressivement un vaste ensemble de récupération et d’acheminement des ressources en eau situées autour de la ville. Quatre aqueducs allaient chercher la manne liquide dans la proche campagne lyonnaise, mais aussi bien au-delà. Fait exceptionnel, le réseau lyonnais d’adduction d’eau comportait six siphons destinés à franchir les différentes vallées traversées par les ouvrages. Selon un archéologue du début du XXe siècle, C. Germain de Montauzan, les quatre aqueducs romains fournissaient quotidiennement aux habitants de Lugdunum entre soixante-douze mille et quatre-vingt-deux mille mètres cubes d’eau. S’étendant sur quatre-vingt-six kilomères, le plus important de tous était l’aqueduc du Gier. Partant du massif du Pilat, avec le cours d’eau dit
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du Gier, cet aqueduc recueillait ensuite les eaux du ruisseau Janon et de nombreux autres petits affluents. Traversant les monts du Lyonnais, il terminait son long parcours dans un réservoir situé juste au-dessus du théâtre et de l’odéon. Long de vingt-six kilomètres, celui du Mont d’Or partait du Mont Thou, vers le hameau des Gambins sur la commune de Poleymieux. Il arrivait vers la Duchère en suivant, dans la hauteur des collines, un chemin presque parallèle à la Saône. Son débit est estimé à quatre mille mètres cubes par jour. L’ouvrage dit de Craponne ou de l’Yzeron, s’étendant sur vingtsept ou quarante kilomètres, suivant le lieu où l’on situe son départ. Trouvant son origine aux abords de Grézieu-la-Varenne, il était alimenté par diverses sources disposées en branches palmées. Son débit potentiel semble avoir pu atteindre journellement treize mille mètres cubes. Enfin, l’aqueduc de la Brévenne, mesurant soixante-dix kilomètres et captant les eaux des affluents de la Brévenne, naissait près de Sainte-Foy-l’Argentière. Il aboutissait dans le réservoir de fuite d’un pont-siphon situé dans le quartier des Massues, au-dessus de Fourvière. Son débit pouvait être de dix mille à vingt-huit mille mètres cubes par jour.
LA FIN DE LA VILLE HAUTE Menaçant depuis longtemps l’Empire, les Barbares réussirent à briser le limes. Des hordes étrangères effectuèrent de nombreuses incursions guerrières de plus en plus profondes en Gaule. Créateur et conservateur du musée gallo-romain de Lyon, l’archéologue lyonnais Amable Audin avait avancé en 1947 l’hypothèse que la colonie romaine édifiée à Fourvière avait été abandonnée à la suite de la destruction des aqueducs au IVe siècle par les envahisseurs étrangers. En réalité, des recherches plus récentes le prouvent, la désaffection des
quartiers hauts fut beaucoup plus précoce. Lugdunum amorça un repli urbain dès la fin du IIe siècle, probablement à la suite du sac de la ville par les troupes de Septime Sévère, en 197, et de la récession économique apparue à la fin de ce même siècle. La crise de l’Empire qui débuta sous Marc Aurèle, empereur de 161 à 180, entraîna un déclin général de l’activité économique. Vivant essentiellement des échanges commerciaux, Lugdunum accusa le coup et vit déjà sa richesse diminuer. La grande cité galloromaine devint incapable de nourrir une population importante et se replia sur elle-même. La colline de Fourvière et la colonie furent désertées par les gallo-romains qui descendirent s’établir essentiellement sur la rive droite de la Saône. Selon toute vraisemblance, les quartiers déjà établis au pied de la colline furent remaniés pour faire face à l’afflux de population. De nouvelles habitations s’édifièrent. Par manque d’espace, nulle place ne fut laissée pour créer des rues transversales coupant les deux principales artères parallèles existant déjà entre la colline et la rivière. Seuls, des passages percés au cœur des constructions permirent alors une circulation perpendiculaire aux axes principaux. C’est l’origine des fameuses traboules lyonnaises (trans-ambulare). Pour finir, à la fin du IIIe siècle, l’empereur Dioclétien (284-305) réorganisa l’Empire. Lugdunum devint alors un simple chef-lieu au profit de Vienne et d’Arles qui lui ravirent son rôle politique. La ville disparut de l’histoire pour des siècles. Seuls quelques écrits la mentionnèrent parfois. Son déclin fut assez rapide au cours des IIIe et IVe siècles. En matière de lutte contre l’incendie, les collèges des métiers du bâtiment, s’ils périclitèrent, ne disparurent sûrement pas en totalité. Même dans une cité devenue plus pauvre, ces artisans et ouvriers étaient indispensables pour réparer ou construire les maisons des citadins. En toute logique, Lyon conserva donc ses pompiers issus des collèges antiques, si peu nombreux fussent-ils.
LYON AU Moyen Âge ✺ LA LOI DES ROIS BURGONDES Les peuples germaniques commencèrent à attaquer l’Empire romain vers 260. Au milieu du IVe siècle, une bande d’Alamans ravagea la Gaule, mais ne put conquérir Lugdunum. Vinrent ensuite les Huns puis les Burgondes. Ces derniers s’installèrent dans la cité rhodanienne entre 470 et 474. En l’an 500, Gondebaud devint roi de Burgondie (la future Bourgogne) et, pour un temps, fit de Lugdunum, avec Genève, l’une de ses résidences principales. Après son accession au trône, il établit une législation destinée à régir son royaume. Connu sous le nom de « loi Gombette », ce texte fut en quelque sorte un embryon de code civil qui se juxtaposa à la loi romaine. Il resta en vigueur pendant trois cent cinquante ans, même après l’établissement des Francs, jusqu’au IXe siècle sous Louis 1er le Débonnaire.26 Un des chapitres de cette loi traitait de l’incendie des moissons : « - article 1 : si quelqu’un a employé le feu pour faire un défrichement et que la flamme, sans être poussée par le vent, ait gagné de proche en proche et soit arrivée à une haie ou à un champ de blé appartenant à un autre propriétaire tout le dommage causé par l’incendie devra être réparé par celui qui l’a occasionné. - article 2 : mais si c’est la violence du vent qui a poussé la flamme sur la haie du voisin celui qui a allumé le feu ne sera responsable d’aucun dommage ». Ne prenant pas en compte l’imprudence, cette justice peut paraître aujourd’hui bien étrange. Pendant des siècles, à Lyon, la notion de négligence semble ne pas avoir existé sur le plan juridique. Il faut attendre le milieu du XVIIIe siècle pour voir poindre la menace de sanctions en cas de non-respect des consignes de prévention contre l’incendie, notamment pour le ramonage des cheminées. Dans le même état d’esprit, un incendie non criminel ou les décès accidentels ne donnaient pas suite à une quelconque enquête sur les circonstances du sinistre ou de la mort d’une victime. Ce type d’événement, qui dépassait l’initiative humaine, était attribué à la volonté divine seule. La Sénéchaussée, la jus-
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De l’antiquité à la révolution
tice royale, intervenait rarement dans ce genre d’affaire. Seules l’identification des victimes ou la reconnaissance en légitimité des orphelins, dont les parents avaient disparu au cours d’un incendie ou d’un autre accident, pouvaient voir la justice se mettre en action. Le cas était différent face à un incendiaire pris en flagrant délit ou dénoncé. La justice se montrait alors impitoyable et la mort immédiate était souvent la seule punition envisagée.
LES CITÉS MÉDIÉVALES FACE AU FEU Les fils de Clovis s’emparèrent de la Burgondie en 534. Celle-ci fut ensuite partagée et Lugdunum échut, semble-t-il, à Childebert, premier roi de Paris. La ville entra ainsi dans un royaume mérovingien. Pendant le haut Moyen Âge, la quasi-disparition des échanges poussa les populations vers les campagnes pour leur survie. Le réseau routier antique ayant disparu faute d’entretien, ne pouvant plus commercer en toute sécurité, les agglomérations urbaines dépérirent. Ce phénomène de recul de l’habitat urbain fut ressenti dans toute l’Europe de l’Ouest. Les barbares germains, et leurs successeurs, n’aimaient pas les grandes villes. Ils conservaient l’habitude des habitations non sédentaires, légères, démontables et installées éloignées les unes des autres. Au contraire, comme à Lugdunum au sein des grandes cités latines anciennes on restait fidèle à la conception romaine. Les dangers liés à ce type de grande concentration humaine, et notamment celui de l’incendie, subsistèrent donc d’une manière cruciale. En outre, à Lugdunum, comme dans le reste de la Gaule, n’ayant plus les moyens humains et matériels d’extraire, de transporter et de travailler la pierre, pour les constructeurs, plus facile à utiliser, le bois redevint certainement le matériau principal augmentant le danger d’incendie. Nous le verrons, bien plus tard, au XIXe siècle, en plein cœur de Lyon, subsistaient encore des bâtiments en bois. Au Moyen Âge, il est fort peu probable qu’un service d’incendie, réglé militairement comme à l’époque romaine, ait existé à Lugdunum en cette époque de régression. Les sociétés humaines ne se préservent vraiment des périls accidentels, comme l’incendie, que lorsqu’elles doivent préserver des richesses considérables. Seules ces dernières peuvent justifier la mise en place de services de lutte contre l’incendie en y consacrant des moyens financiers importants. Aujourd’hui, le fait est encore vrai pour les pays non encore émergents. L’ancienne métropole
gallo-romaine lyonnaise était devenue une petite ville médiévale dont la population avait fortement diminué. Les quartiers situés au pied de Fourvière continuaient à vivoter. Cependant, la presqu’île ne fut, apparemment, pas complètement abandonnée. Le quartier Saint-Vincent subsistait toujours et même continua de s’étendre jusqu’au Ve siècle. La ville mérovingienne, puis carolingienne, occupait essentiellement les deux rives de la Saône, en tournant le dos au Rhône. Le centre de la cité, siège des décisions administratives et religieuses, était désormais situé vers le groupe épiscopal de Saint-Jean. Le seul événement lyonnais remarquable pour cette période historique très mal connue concerne une grande inondation. Dans son Histoire des Francs, l’évêque Grégoire de Tours mentionnait cet événement pour l’an 580, en précisant qu’elle avait renversé une partie des murailles et détruit les quartiers bas de Lugdunum.27
LE DEVOIR ET LA TRADITION Au cours de l’effondrement de la civilisation antique, beaucoup de belles inventions, comme les pompes à incendie, disparurent en Europe occidentale. Peut-être utilisées pour lutter contre les flammes pendant les combats contre les envahisseurs, et exposées aux dégradations dans leurs dépôts, elles ont dû être détruites ou subir de si graves avaries qu’elles devinrent irréparables. Comme le reste de la population, les hommes qui les manœuvraient et les entretenaient étaient victimes des massacres. Dès lors, il n’exista plus ni spécialistes ni matériels préposés à la lutte contre les incendies. Avec de très faibles moyens, représentés par les seuls outils qu’ils utilisaient quotidiennement, les artisans et les compagnons des métiers du bâtiment restèrent le dernier recours pour lutter contre le feu menaçant des villes devenues des proies toutes désignées pour les flammes. Beaucoup d’historiens affirment qu’il n’existait aucun lien entre les collèges romains et les confréries ou corporations du Moyen Âge. Ici, précisons que le mot « corporation » est d’origine anglaise. Il ne fut pas utilisé en France avant le XVIIIe siècle. Nous l’employons par simple facilité de langage. Malgré une philosophie et des structures différentes, la filiation entre les organisations antique et moyenâgeuse nous semble pourtant réelle en ce qui concerne les devoirs et les traditions des gens du bâtiment. Même en l’absence de moyens techniques spécifiques, même en ayant subi eux-mêmes le changement de société, selon toute vraisem-
blance, les ex fabri poursuivirent leur rôle de « pompier ». Dans cet univers de bois, source des plus grands dangers, leur présence aux incendies était d’une nécessité absolue, notamment pour « faire la part du feu ». Pour quelles raisons auraient-ils abandonné leur rôle salvateur ? Pour eux, assurer le service d’incendie était une obligation, une tradition même, déjà vieille de plusieurs siècles, et finalement rattachée aux devoirs de leur métier. Comme sous la domination romaine, le volontariat n’existait pas au Moyen Âge. Le choix de servir ou non n’était sans doute pas donné. Nous sommes personnellement convaincus de la permanence de ce service même après la chute de l’Empire.
LES VEILLEURS DE NUIT Devenue mérovingienne au milieu du VIe siècle, Lugdunum appartint successivement aux rois de cette dynastie. En 595, roi d’Austrasie, de Bourgogne et de Neustrie, Clotaire II édicta un acte capitulaire concernant le service du guet de nuit. Le souverain menaçait de punir les guetteurs qui, complices des voleurs, les laissaient s’échapper pour partager le butin plus tard avec eux. Désormais les fautifs pouvaient être condamnés à rembourser les objets volés et payer une amende de cinq sols. Cet acte capitulaire autorise de croire en l’existence d’un service de guet nocturne à Paris à la fin du VIe siècle. En était-il de même à Lyon ? Ce texte ne faisait aucune allusion à la lutte contre le feu. Cependant, les historiens le considèrent comme l’une des prémices d’une nouvelle organisation contre les incendies. En effet, il paraît raisonnable de penser que, tout comme les antiques vigiles romains, ces veilleurs de nuit assuraient un double rôle de policiers et de pompiers en complément des gens du bâtiment. Au moins pouvaient-ils donner l’alerte et apporter un premier secours. À quelle date ce guet de nuit fut-il recréé ? En fait, avait-il réellement et complètement disparu après la chute de l’Empire romain ? Face à tous les dangers engendrés par l’instable société médiévale la nécessité de veiller à la sûreté nocturne des villes s’imposait comme une mesure indispensable, avant même la lutte contre le feu. En 813, l’empereur Charlemagne renouvela cette disposition par un autre acte capitulaire. En cas de manquement à leur devoir, les hommes chargés du guet de nuit étaient passibles d’une amende de quatre sols infligée par le comte ou son premier magistrat. 28 À la même époque, la ville de Lyon a-t-elle bénéficié d’une organisation de veilleurs de nuit ? Rien ne permet
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En 1269, en guerre contre l’archevêque, les troupes lyonnaises attaquent, sans succès, le cloître de Saint-Just. AML Dessin de J. Drevet in Lyon de nos pères, E. Vingtrinier, Lyon 1901 © Gilles Bernasconi
d’apporter une réponse affirmative. Cependant, l’institution des « pennonages », la future garde bourgeoise de Lyon, tenait probablement son origine de cette ancienne disposition.
L’ARCHEVÊQUE DE LYON À Lugdunum, comme dans la plupart des contrées d’Europe occidentale, dès le milieu du IVe siècle, le clergé de la nouvelle religion d’État, le christianisme, affirma un rôle politique de plus en plus important. En l’absence d’une autorité laïque forte, les princes de l’église chrétienne prirent en main la destinée de la ville. Installé dans le quartier Saint-Jean puis dans son château de Pierre-Scize, l’archevêque de Lyon acquit progressivement un ascendant exclusif sur la population lyonnaise. Pendant la suite du règne des Carolingiens et même sous les premiers Capétiens, Lyon vécut une période historique et politique très confuse qu’il ait inutile de développer ici, car nous n’avons aucune information concernant la lutte contre le feu. Pendant les IXe et Xe siècles, passant d’un souverain à l’autre, le Lyonnais échut finalement à l’empereur du Saint Empire romain germanique en 1032. Située aux confins de cet État, la ville de Lyon était en réalité presque indé-
pendante. L’éloignement du suzerain favorisa le renforcement de l’autorité du Primat des Gaules. Celui-ci usurpa le pouvoir temporel au détriment du comte laïc. Cette situation provoqua de longues luttes entre les deux partis, qui ne cessèrent qu’en 1173 avec la signature d’un traité. Beaucoup de cités d’Allemagne, d’Italie et du nord de la France avaient obtenu depuis longtemps leur franchise municipale alors que Lyon restait assujettie aux décisions de son archevêque et du chapitre de Saint-Jean. Ce pouvoir était très pesant aux Lyonnais qui admettaient de plus en plus difficilement le joug qui leur était imposé. Depuis la reprise de l’activité économique, vers la fin du XIIe siècle, ce carcan politique gênait beaucoup les échanges commerciaux. Des révoltes éclatèrent, d’abord en 1208, sans aucun résultat. Puis la lutte reprit en 1269. Les corporations des métiers et les quartiers de la ville s’organisèrent en troupes armées puis s’emparèrent du cloître de SaintJean. L’année suivante, la guerre se ralluma. N’ayant pas réussi à pénétrer dans le cloître Saint-Just, les troupes bourgeoises lyonnaises se vengèrent sur les possessions extérieures du clergé : à Cuire, Couzon, Genay et Écully. Le 30 novembre 1270, vingt-trois maisons furent incendiées à Genay. À Écully, les Lyonnais agirent avec encore plus de férocité. Ils pillèrent les habitations et boutèrent le feu à l’église où s’étaient abrités des soldats du chapitre ainsi qu’un grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants. Traqués par les flammes, en vain, ils tentèrent d’éviter la mort en sautant du clocher ou de la toiture. Un témoin du temps évalua à une centaine le nombre de victimes. 29 Une trêve intervint en 1271, douze citoyens furent alors désignés par les bourgeois pour agir et signer au nom de la communauté lyonnaise. De cette période, il ne subsiste malheureusement pas de rôle d’enregistrement des délibérations syndicales. Des précautions contre le feu ontelles été prises à cette époque ? Nous l’ignorons totalement.
LES TROUPES DE L’ARCHEVÊQUE Depuis sans doute fort longtemps, ayant accaparé le pouvoir temporel, l’archevêque fut placé dans l’obligation de payer des gens d’armes chargés, en premier lieu, d’assurer sa propre sécurité. Avec le temps, cette troupe se vit probablement amenée à faire respecter et imposer, si besoin par l’emploi des armes, les volontés du prélat devenu seigneur féodal. Peu à peu, par la force des choses, un rôle de police ordinaire et quotidien dut être assuré par ces soldats. Le
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guet de l’archevêque avait en main la police de la ville et la surveillance de nuit. Nous ne connaissons pas l’importance numérique de ce guet. L’officier chef de cette troupe était un laïc probablement militaire d’origine. Ce corps disparu en 1565 lors de la création d’une compagnie de guet royal. Pour cette période de gouvernement religieux, nous n’avons encore aucune indication sur d’éventuelles décisions concernant la lutte contre l’incendie. Les troupes de l’église prenaient-elles part à la lutte contre le feu en plus du service d’ordre qu’elles devaient, certainement, assurer au cours des sinistres ? La chose n’est pas impossible.
LA RENAISSANCE LYONNAISE ✺ LA COMMUNE DE LYON Désireux de rattacher la ville à son royaume, le roi de France soutenait les Lyonnais dans leur lutte contre l’archevêque. Enfin, le 10 avril 1312, l’archevêque Pierre de Savoie céda ses droits sur Lyon à Philippe IV le Bel. Par la signature de cet acte, la ville entra au sein du royaume de France. Le 21 juin 1320, l’archevêque de Lyon reconnut les libertés, usages et coutumes des Lyonnais. Ces derniers reçurent alors officiellement le droit de nommer des conseillers, de s’armer, d’avoir la garde de la ville et d’en détenir les clés. Dès lors, « le Consulat », l’ancêtre direct de l’actuel conseil municipal, prit véritablement en main l’administration entière de la ville. La commune de Lyon fut solennellement proclamée le 15 décembre 1336 au cours d’une cérémonie qui se déroula à l’île Barbe au milieu de la Saône et au nord de la vieille cité gallo-romaine.
LA PRESQU’ÎLE RENAÎT ET S’URBANISE Les quartiers bas de la presqu’île, entre Rhône et Saône, avaient sans doute subi d’immenses dégâts au cours de l’inondation de 580. La presqu’île allait cependant retrouver, peu à peu, une vie active. Des communautés religieuses
s’implantèrent sur ce site. Ces couvents étaient entourés de vastes exploitations agricoles exploitées pour subvenir à tous les besoins des religieux ou des religieuses. Un petit bourg d’habitat laïc apparut, semble-t-il, vers l’an 840. Un pont fut établi, ou rétabli, sur la Saône, probablement entre 1050 et 1167. Peu à peu, d’autres hameaux s’organisèrent, généralement autour d’un puits. Le tissu urbain se resserra progressivement jusqu’à former un réseau de rues étroites et tortueuses. Ce nouveau mouvement d’urbanisation partit de la rive gauche de la Saône pour s’étendre très lentement vers les berges du Rhône. À partir de 1185, semblet-il, un pont de bois fut construit afin de franchir le fleuve pour relier la ville avec la province du Dauphiné. Cet ouvrage s’écroula en 1190 au passage des fourgons à bagages marchant avec l’arrière-garde des Croisés menés par Philippe Auguste, roi de France, et de Richard Cœur de lion, roi d’Angleterre ; ils y eu des victimes.30 La construction d’un nouveau pont en pierre ne s’acheva qu’au XIVe siècle. Serpentant transversalement entre les ponts du Rhône et de la Saône, une rue très commerçante se dessina au fil des ans, la « via Mercatoria » (la rue du Commerce), qui n’est autre que l’actuelle rue Mercière. Elle devint l’artère principale de la presqu’île. Jusqu’au XVIe siècle, seuls les quartiers de Saint-Jean, Saint-Paul et Saint-Georges, établis sur la rive droite de la Saône, ainsi que SaintNizier, situé entre les deux cours d’eau, faisaient véritablement figure de cité urbaine. La ville ne retrouva vraiment sa prospérité d’antan qu’à partir du milieu du XVe siècle. La fin de la guerre de Cent Ans avec l’Angleterre et les relations établies par les rois avec l’Italie, ramenèrent une vie très active à Lyon. À cette reprise d’un mouvement de développement urbain remarquable et d’une nouvelle richesse manufacturière et marchande, allait correspondre la réapparition, attestée, d’une organisation et des moyens de lutte contre l’incendie à Lyon.
LES GUETTEURS ET LEURS TROMPETTES Dès l’époque romaine, les trompettes marquèrent les événements importants de l’activité urbaine. À Lyon le service des guetteurs fut organisé très tôt. Depuis la construction de la chapelle de Fourvière, en 1168, et même peut-être avant, « la gueyte de Forvyère », un guetteur muni d’une trompette, était payé pour veiller jour et nuit afin de signaler le moindre danger. En 1380, « chargé de donner l’alarme en cas d’effroi, d’incendie et de surprise armée », le
guetteur de Fourvière recevait mensuellement seize gros. 31 Lorsque le péril de guerre était important, l’effectif des guetteurs augmentait et plusieurs postes de guet étaient occupés. Le 10 décembre 1417, les conseillers municipaux : « afferme Mathe de Burnage, trompète, pour tromper comme gaite en la bayetière de SaintNisies (Saint-Nizier), à XXX s.(trente sols) pour moys ».32 Généralement établie à la base du clocher d’une l’église, la bayetière était une galerie en bois qui permettait au guetteur d’avoir une vue circulaire sur la ville. Le 25 mai précédant, les consuls avaient décidé de faire réparer cette bayetière le plus rapidement possible. 33 La même année, le 1er septembre 1417, la ville payait cinquante-cinq livres à Michiel Leclerc, habitant de Lyon, pour la fabrication d’un : « cornet de locton (laiton) destiné à la gayte de forvyère ».34 Le 24 novembre 1446, Jehan Dupré recevait quatre livres tournois pour ses gages de guetteur à Fourvière. 35 Au début de 1451, il était reconduit dans sa fonction de guetteur et trompette de la ville : « pour signaler de la tour de Fourvière, les incendies et autres événements qui pouvaient survenir de nuit comme de jour, dans la ville ». Nous ignorons à quelle date fut supprimé le service des guetteurs à Fourvière. Il existait encore en 1528. Le 18 juin de cette année-là, à cause du bruit, le chapitre de Fourvière s’opposa à ce que le trompette de la ville : « alle en la gueyte du dict Fourvière pour sonner la dicte trompette soir et matin à la manière accoustumée ». Le procureur de la ville ayant rencontré, sans succès, deux chanoines du chapitre de Fourvière, l’affaire fut renvoyée au chapitre général (Saint-Jean). 36 La décision finale prise par les autorités religieuse et municipale nous échappe. Le vieux guetteur de Fourvière disparut-il à cette époque ? Certainement non, car en 1530 (ou 1531) la ville payait : « Claude Cheval, trompette, chargé d’aller à Fourvière soir et matin sonner avec sa trompecte, à l’heure que l’on doit ouvrir ou fermer les portes de la ville, comme il est de coutume ».37 Dans son Histoire de Lyon publiée en 1573, Guillaume Paradin précise que cette pratique avait disparu depuis pas très longtemps.
LES CLOCHES À partir du IVe siècle, les cloches vinrent aussi occuper une place éminente dans la vie quotidienne des citadins, et plus tard des campagnards avec la multiplication des églises. Par manque de moyens techniques, la masse du peuple et même les notables ne pouvaient pas mesurer le temps. Aussi, durant toute leur existence, les citadins comme les campagnards
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La grosse cloche de l’église Saint-Bonaventure aux Cordeliers. Lyon de nos pères AML, p. 140 © Gilles Bernasconi
réglaient leurs activités journalières non seulement sur la lumière céleste, mais aussi à l’aide des signaux sonores conventionnels donnés par les cloches. Dans la journée, les trois appels de l’Angélus rythmaient la vie de tous. Dans le domaine laïc, avec les guetteurs et leurs trompettes, les cloches des églises lyonnaises participaient à l’ancestrale coutume d’ouverture et de fermeture des portes de la ville. Pendant la nuit, face aux périls extérieurs, notamment la venue de troupes armées et animées de mauvaises intentions, cette mesure défensive était indispensable. À Lyon, à l’époque médiévale et pendant une partie de la Renaissance, ce service était assuré en deux temps. Déjà mentionné, le cloître de Saint-Jean abritait le chapitre des chanoines de l’Église de Lyon. Il ne s’agissait point d’un seul bâtiment, mais d’un ensemble de constructions destinées au logement des religieux et de citoyens laïcs, ceux-ci avec leurs ateliers ou leurs commerces. Un rempart cernait ce quartier qui figurait presque une ville dans la ville. À la tombée de la nuit, par des coups de trompette, le guetteur de Fourvière donnait le signal de fermeture des portes du cloître de SaintJean. Alors, dans la presqu’île, la grosse cloche de l’église Saint-Nizier faisait entendre une sonnerie spéciale appelée « le gros Séral ». À son écoute, toutes les portes des remparts de la ville étaient closes à leur tour.
LE COUVRE-FEU Au Moyen Âge, la nuit venue, hormis les gens chargés du guet et... les voleurs et autres coquins de tous poils, toute la ville s’endormait. Alors le danger d’incendie devenait latent, surtout pendant l’hiver lorsqu’il était nécessaire de chauffer les maisons. Pour ce faire, à Lyon, on utilisait des cheminées à foyer ouvert ou, plus dangereux encore, des braseros ainsi que des feux placés à même le sol sur un emplacement sommairement délimité au-dessus par une hotte en bois. Provoquée par l’éclatement d’une bûche, la projection d’étincelles sur un parquet, un tapis ou une tenture pouvait engendrer un début d’incendie. Non détecté à temps, devenant incontrôlable au fil des minutes, un sinistre naissant était capable de mener rapidement à une catastrophe et de détruire tout un quartier. Afin de parer ce danger immense, la sonnerie du « couvre-feu » imposait aux citadins de couvrir ou d’éteindre tous les foyers allumés dans leurs demeures. Dans la cité lyonnaise, après la sonnerie du gros Séral qui isolait la ville de la campagne environnante, se faisait entendre celle du couvre-feu que les Lyonnais appelaient le
« chasse-ribauds ». 38 Cette dernière sonnerie était reprise et sonnée par la grande église nous dit l’historien lyonnais Paradin. Il désignait ainsi, probablement, la cathédrale Saint-Jean. Pour la plupart des métiers c’était aussi le signal marquant la fin de la journée ouvrée. Pour des raisons de sécurité, sauf exception, il était interdit de travailler la nuit à la lueur des chandelles.
LE ROI DES RIBAUDS On ne peut pas parler du couvre-feu sans évoquer « le roi des ribauds ». L’origine de ce personnage se trouve à l’époque de Charlemagne. Important officier du palais, il était préposé à la surveillance et à la garde des domaines royaux. Il devait expulser les vagabonds, les malades et les prostituées surpris dans les résidences du souverain. Il avait même droit de vie et de mort sur tout individu suspect. C’est sous le règne du roi Philippe-Auguste (1180-1223) qu’il prit le nom de roi des ribauds. Peu à peu, il devint le véritable chef de la police du palais royal. À la cour de France, le roi des ribauds disparut sous le règne de Charles VII (1422-1461). Au fil des années, la charge de ce fonctionnaire avait complètement dégénéré à la suite d’une corruption de plus en plus évidente. 39 Dans les villes de province apparut le même personnage. Généralement, il était chargé des missions de justice criminelle. Il surveillait les prostituées, lesquelles lui payaient une redevance. Après la sonnerie du couvre-feu, il devenait pratiquement le maître de la vie nocturne de la ville. À Lyon, nous l’avons dit plus haut, après le Gros Séral donné par la grosse cloche de SaintNizier, vers vingt heures trente ou vingt et une heures, retentissait la sonnerie du chasseribauds. Alors, accompagné du guet de l’archevêque, le roi des ribauds faisait sa ronde. Dans la cité lyonnaise, ce personnage était considéré comme un bas officier de la justice séculière, crieur public, en outre chargé de la surveillance des filles de joie. En province, et probablement à Lyon aussi, le roi des ribauds ne dut guère survivre longtemps à celui de Paris. Notons que la sonnerie du couvre-feu était appelée chasseribauds, non seulement à Lyon, mais aussi dans plusieurs villes méridionales. Le terme de ribaud ou ribaude désignait les personnes débauchées et ayant une mauvaise vie en marge de la société humaine ordinaire. Le Consulat jugeait indispensable de conserver les précieuses cloches en bon état. En 1418, le 23 avril, considérée comme propriété de la ville, les consuls décidèrent que la cloche de Saint-Nizier serait examinée pour être réparée.
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De l’antiquité à la révolution
Quarante ans plus tard, le 11 juillet 1458, le Consulat accorda une aide de dix livres au chapitre de Saint-Nizier. Cette somme était destinée à la réparation du clocher de cet édifice religieux. Il précisait que : « de toute ancienneté la grosse cloche appelait le peuple pour la publication du syndicat (conseil municipal) et pour servir aussi en cas de feu et d’effroy ainsi que de donner tous les soirs le gros Séral ».41 À cette époque, et pour très longtemps encore, lorsqu’un incendie éclatait, l’alerte était donnée par le « tocsin ». Cette sinistre sonnerie d’alarme, tintée à coups rapides et continus, était bien propre à provoquer une angoisse générale dans la vieille cité aux rues étroites et sombres. Elle était probablement reprise par tous les clochers des églises paroissiales de la ville propageant la frayeur à toute la population. 40
Le roi des ribauds devient le véritable maître de la vie nocturne à Lyon. MG inv. N 1940.1
LES HOMMES DU FEU ✺ LES CONSTRUCTIONS LYONNAISES Au Moyen Âge, comme plus tard à la Renaissance, le feu était un risque majeur. Dans les quartiers populaires anciens, les habitations étaient serrées les unes contre les autres. Le bois constituait toujours un élément très utilisé, par conséquent le danger d’incendie était immense. Mais pour Lyon, ville latine, ne faut-il pas un peu relativiser ce fait au moment de la Renaissance ? Avec la prospérité et la stabilité revenues, le mode de construction avait dû évoluer. La pierre pour les riches édifices, ou le pisé pour les bâtisses ordinaires, avaient certainement retrouvé la préférence auprès des constructeurs lyonnais. Une preuve semble être donnée par la relation d’un voyageur anglais qui visita Lyon en 1609. Il précisait que toutes les maisons étaient édifiées en pierres de taille blanches. N’exagérait-il pas ? Ce visiteur resta dans le centre de la ville, le secteur le plus opulent. Il faut donc probablement nuancer ses dires. Comme de nos jours, il devait exister à l’époque des quartiers plus pauvres où les édifices étaient sans doute moins bien construits. Le voyageur britannique fut très étonné de la hauteur excessive des maisons qui presque toutes atteignaient six ou sept étages. Selon lui, tous ces immeubles possédaient des caves voûtées. À la réflexion, la très grande élévation des maisons lyonnaises n’était pas véritablement étonnante. La ville étant édifiée sur un espace très exigu il était nécessaire de construire en hauteur afin de loger un maximum d’habitants sur un minimum de surface occupée au sol. Un autre sujet de surprise pour ce voyageur fut de s’apercevoir que la majorité des fenêtres étaient fermées, non pas à l’aide de vitres, mais avec du papier huilé. Cette coutume venait d’Italie où elle fut remarquée par un autre Anglais, en 1656. Or les Italiens étaient encore nombreux à Lyon à cette époque.42 En cas d’incendie, cette habitude de clore les croisées avec un matériau très inflammable devait faciliter la propagation des flammes par les façades. À Lyon, le papier huilé fut utilisé jusqu’au XIXe siècle. Les plafonds à la française et les planchers en bois aggravaient le danger. Même
si pour certains édifices le sol des étages était recouvert d’un carrelage, un feu qui éclatait au rez-de-chaussée d’un immeuble ne trouvait guère d’obstacle à sa progression verticale. Courante à Lyon, destinée à protéger les façades des maisons des intempéries, l’avancée du toit sur la rue rajoutait au danger. Plus encore, dans de nombreuses maisons les étages étaient desservis par des escaliers en bois. Nous verrons plus loin qu’une mesure de prévention les prohiba. Les sinistres qui détruisaient des maisons entières n’étaient donc pas rares.
LES HOMMES DES MÉTIERS DU BATIMENT Lors des incendies, l’absence de moyens d’extinction mécaniques devait être suppléée par une main-d’œuvre importante. En conséquence un grand nombre d’habitants répondait à l’appel du tocsin. Si l’acheminement de l’eau réclamait beaucoup de bras non spécialisés, le rôle technique de « pompier », prit au sens moderne du terme, restait dévolu aux gens des métiers du bâtiment. À Lyon, ceux-ci étaient essentiellement choisie parmi les charpentiers et les maçons. La présence de ces artisans est attestée de manière certaine pour l’année 1472. Le 7 décembre, le maçon Jehan Machera reçut six livres tournois pour avoir, lui et cinq compagnons, veillé toute la nuit afin que le feu, qui venait de détruire des maisons construites sur le pont de Saône, n’endommage pas l’arche de cet ouvrage d’art.43 À l’époque, comme le ponte Vecchio de Florence, le pont de Saône supportait des maisons. Il faut attendre 1578 pour trouver un texte désignant officiellement les maçons et les charpentiers ayant en charge la lutte contre le feu à Lyon. Le 3 février, monseigneur de la Mante, suppléant du gouverneur François de Mandelot, « attendu une certaine recrudescence des incendies » édictait une ordonnance. Il prescrivait, entre autres ordres, que les maçons et les charpentiers et leurs valets devaient se rendre au secours des maisons incendiées.44 À l’époque, le terme de valet désignait les ouvriers compagnons des artisans. La troisième preuve est, malheureusement, celle qui ouvre la trop longue liste des hommes du feu victimes de leur devoir. Lors de la collecte des impôts en 1597, plusieurs personnes en furent exemptées en considération des pertes qu’elles avaient éprouvées lors du feu de la rue Mercière. Ce sinistre semble avoir été considérable, car il avait eu de graves conséquences pour ce quartier très commerçant dont, « certains habitants ont été affolés de feu », était-il précisé. Le logis du Lion fut détruit par
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les flammes. La veuve Dumollin était exonérée de taxe, car son mari, le charpentier et hôtelier Guillaume Chany dit Dumollin, s’était tué en coupant le couvert (le toit) d’une maison.45 Nous touchons ici l’une des principales tâches que devaient encore assurer ces hommes : « faire la part du feu ». En effet, comme à l’époque romaine, il était impossible d’éteindre un incendie dès que celui-ci devenait important et menaçait de s’étendre aux constructions voisines. Il s’avérait donc impératif de soustraire les matériaux pouvant faciliter la propagation des flammes, notamment les charpentes et les toitures. Ce rôle dangereux revenait à ceux qui connaissaient parfaitement les techniques de
construction. Ces maîtres et leurs ouvriers, charpentiers ou maçons, devaient être capables de démolir une partie de bâtiment, sans mettre en péril l’ensemble de la construction ou les édifices voisins, limitant ainsi les dégâts. On imagine sans peine les risques encourus dans ces moments difficiles. Monter sur un toit, de jour ou de nuit, probablement sans autre assurance que l’expérience professionnelle, devait représenter un exercice extrêmement périlleux. Nous connaissons le patronyme de ce charpentier, victime du devoir, mais nous sommes certains que d’autres ont laissé leur vie au cours d’incendies, dans des actes de dévouement courageux, qui resteront à jamais inconnus.
Un incendie au Moyen Âge mobilise toute la population du village pour constituer la chaîne des seaux destinée à acheminer l’eau vers le feu. Musée des Beaux-Arts d'Agen MNR 733
LES ORDRES RELIGIEUX MENDIANTS Nés en Italie, les ordres de moines mendiants arrivèrent très rapidement en France. Ne vivant que de la charité offerte par la population, par leur dévouement sans faille, face au feu ou à la peste, ces religieux mendiants remboursaient ainsi la dette contractée. Ainsi, à Lyon, dès le début du XIIIe siècle, puis ultérieurement, l’on vit souvent accourir aux incendies les moines suivants : • les Franciscains, appelés également Cordeliers à cause de la corde qu’ils utilisaient en guise de ceinture. Leur ordre avait été fondé en Italie en 1216. Ils s’établirent dans le quartier de Saint-Bonaventure vers 1220. Ils ont laissé leur nom à ce quartier de la presqu’île lyonnaise. • les Dominicains, dits aussi Jacobins, du nom de la rue Saint-Jacques à Paris où se trouvait leur couvent. Cet ordre, spécialement créé en 1216 pour lutter contre l’hérésie, fut définitivement organisé en 1238. À Lyon, ils s’installèrent dès 1218, d’abord montée du Gourguillon à Saint-Georges, puis dans un nouveau couvent situé dans le quartier Confort. Comme à Paris, ce secteur de la cité lyonnaise fut ensuite connu sous la désignation de « Jacobins ». • les Carmes, dont l’ordre fut fondé en Italie dans la seconde moitié du XIIe siècle, apparurent à Lyon en 1303. Ils avaient leur couvent à l’emplacement de l’actuelle place Sathonay sous le nom de la Déserte. • les Augustins, issus de plusieurs congrégations d’ermites très anciennes qui furent réunies dans cet ordre en 1256 par ordre du pape Alexandre IV. Ils vinrent s’installer à Lyon en 1408, dans le quartier où se situe l’actuelle école de La Martinière. Bien plus tard, en 1526, fut créé l’ordre des Capucins qui était rattaché aux Frères mineurs. Les Capucins poussèrent encore plus loin la rigueur de la règle de Saint-François. Ils se dévouèrent particulièrement pendant les épidémies de peste et se distinguèrent plus encore au cours des incendies. C’est sans doute pour cette raison qu’ils sont les plus connus des moines-pompiers !
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Le cortège des ordres religieux mendiants lors de l’entrée à Lyon de Louis XIII et d’Anne d’Autriche en 1622. MG N 112.c 1 et 2
LES MOINES AU FEU À Lyon, les premiers textes mentionnant les ordres religieux mendiants appelés à lutter contre le feu datent du début du XVe siècle. Le 10 avril 1419, la cité lyonnaise étant menacée d’une agression bourguignonne, le Consulat décida que les gens d’Église iraient là ou l’effroi viendrait et que les mendiants partiraient au feu s’il était nécessaire ».46 L’année suivante, le 7 janvier 1420, une nouvelle délibération précisa encore : « Se feu avenoit en la ville, que Dieu ne vulle ! chascun yra à establea ordonnée (son poste), et les gens d’église et les quatre mendians yront au secors du dit feu le plus dilegement qu’ils porront, sur peine d’estre réputés pour rebelles et désobéysans ».47 Notons au passage, signe du temps, que ces hommes d’église n’avaient guère le choix. Aucun texte lyonnais n’apporte de détail sur les services précis que l’on attendait d’eux. On les utilisait probablement en priorité au transport de l’eau. Cette remarque n’exclut pas la possibilité qu’un rôle plus direct ait pu être joué par les religieux dans l’extinction des incendies. En 1884, un officier des sapeurs-pompiers de Lyon précisait que, sous l’Ancien Régime, les religieux étaient préposés à la garde des objets sauvés des flammes et soignaient les blessés. Il ne citait pas ses sources.48 Non rémunérée, l’activité au feu des divers ordres religieux n’apparaissait jamais dans les comptes de la ville. Cependant, leur présence lors des incendies est certaine. Des ordonnances postérieures demandaient aux religieux de poursuivre leur tâche avec zèle, mais n’apportaient toujours pas de précision sur cette dernière. À Paris, où ils étaient officiellement compris dans le dispositif de la lutte contre le feu, et dans plusieurs villes de province, beaucoup de capucins et d’autres religieux des frères mineurs trouvèrent la mort au cours d’incendies particulièrement violents. De nombreux témoignages confirment leur action directe comme pompiers, la hache à la main et avec un courage peu ordinaire. Face
aux flammes, par excellence image de l’enfer, ces moines à la foi exaltée ne cherchaient-ils pas le martyre ? À Lyon, nous n’avons jamais découvert un seul document qui nous permît d’attester pour eux un véritable rôle de pompier ni de découvrir un moine victime de son dévouement.
LE MAL CONTAGIEUX DANS LYON Au cours des temps passés, la cité lyonnaise fut plusieurs fois confrontée à la peste : « le mal contagieux ». Une première fois en 1348, où la peste noire fit disparaître la moitié de la population française. La maladie revint à l’été 1457, puis pendant les guerres de religion, en 1564. La ville subit de nouvelles attaques en 1577, 1581 et 1618, mais l’épidémie la plus terrible eut lieu en 1628. À cette époque, Lyon était une ville très sale. Malgré ses deux cours d’eau et ses sources, Lyon était une ville sans eau. Nous reviendrons plus loin sur cet important sujet. La maladie contagieuse trouvait donc dans la cité lyonnaise un terrain très favorable à son éclosion. Le 7 août 1628, une première malade fut hospitalisée à Saint-Laurent. Presque trois mois plus tard, un rapport du 24 octobre dénombrait trois mille quatre cent soixante-dix malades et seize cent quarante convalescents en quarantaine. Au mois de novembre, il mourait chaque jour trois à quatre cents personnes. Une rémission eut lieu en décembre puis le mal revint après les fêtes de Noël. La plupart des notables de la ville, dont le prévôt des marchands (maire), « indisposé de rhume », partirent s’établir dans leur demeure campagnarde dans les jours qui suivirent l’apparition du fléau. Il est juste de reconnaître que plusieurs des responsables municipaux, ayant eu des malades dans leur famille ou parmi leurs serviteurs, étaient obligés de s’éloigner pour observer une quarantaine. Tous les hauts dignitaires de l’Église et les chanoines de Saint-Jean partirent s’installer dans leurs propriétés extérieures. Ils laissèrent aux religieux des couvents
le soin de participer aux secours et d’assurer régulièrement le service des offices. N’ayant pas les moyens de quitter la ville et leur travail, les gens du peuple furent les plus touchés par l’épidémie. Trente mille ouvriers en soie trouvèrent la mort pendant l’épidémie. Dès le mois d’août, les capitaines pennons (chefs de quartier) furent chargés de surveiller les malades de leur quartier. Puis on essaya de les employer à aider les hospitaliers pour enlever les corps des morts. Ce service les rebuta et ne fut pas bien fait. Un certain nombre de chefs de quartiers abandonnèrent la ville. Les arquebusiers (police municipale) et le guet royal furent mis à contribution pour garder les quartiers, les portes et les ponts. Au mois d’octobre, ce service flancha. Le capitaine de la ville, chef des arquebusiers, quitta Lyon laissant sa compagnie sans commandement. Tous les charpentiers de la ville furent réquisitionnés pour construire les cabanes destinées à abriter les suspects placés en quarantaine. Le 15 août, une sage ordonnance, reprenant un texte précédent datant de 1582, décida de faire procéder au nettoyage des rues ainsi que les cours et allées des maisons. Les maçons eux-mêmes durent assister les « parfumeurs ». Ces derniers faisaient brûler des aromates dans les maisons afin de désinfecter les lieux. Les maçons et leurs aides passaient les murs intérieurs à la chaux. Au mois de novembre, à l’instigation des « commissaires de la Santé », les consuls décidèrent de nommer deux charretiers qui, avec leurs tombereaux, eurent pour mission de ramasser les ordures déposées sur la voie publique. Les Lyonnais exilés commencèrent à rentrer en ville au mois de février 1629. En juillet, le roi Louis XIII passa à Lyon. À la fin de l’été, la cité lyonnaise retrouva son aspect habituel. Aujourd’hui, les historiens du musée des Hospices Civils de Lyon évaluent le nombre de morts à cinquante mille. Cette épidémie eut quelques retours positifs comme celui de l’entretien régulier des rues et la création d’un bureau de la Santé permanent. À partir du 15 février 1629, chaque quartier dut payer un
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Mise en œuvre de grandes seringues d’incendie au XVIIe siècle. Dessin JP
importante que les seaux. Elles représentaient alors un progrès notable sans, cependant, modifier en profondeur l’organisation des secours contre le feu. Nous ignorons quand et où les seringues furent inventées ou réinventées. Les premières furent-elles contemporaines des siphons utilisés par les Romains ? Le début de la Renaissance en Europe occidentale étant conventionnellement situé vers 1450, elles apparurent ou furent redécouvertes, semblet-il, à la fin du haut Moyen Âge. En France, à notre connaissance, un des plus vieux documents faisant mention de seringues d’incendie est une délibération du Consulat de Lyon datant de 1495. L’incendie du couvent des Célestins en 1501 fut, semble-t-il, la première occasion connue de voir fonctionner des seringues d’incendie à Lyon. Cependant, dès le 7 juillet 1495, le Consulat avait délibéré en vertu de courriers reçus du roi Charles VIII. Après avoir énuméré une série de mesures destinées à prémunir la ville contre les incendies, que nous avons mentionnées dans le cadre de l’histoire de la voirie, les consuls consacraient un article à la lutte contre le feu proprement dite : « Touchant la provision advisée en cas de danger de feu elle doit estre exécutée ainsi que portent les dites lectres (lettres du roi), et avec ce fere faire es habitants et à leurs dépens de grosses seringues de leton (laiton) selon la faculté et puissance d’un chacun des dits habitants ».83 Les seringues utilisées au feu des Célestins appartenaient-elles à la ville ? Probablement pas, car les archives municipales ne conservent aucune trace d’achat de ces appareils antérieure à cette date. Étaient-elles propriété de la maison du roi ? Ce n’est pas impossible, puisque, quelques années avant cet incendie, le prédécesseur de Louis XII avait lui-même engagé les Lyonnais à se munir de ces agrès. Enfin, conscients des services que pouvaient rendre
les seringues face au feu, plusieurs notables de Lyon avaient-ils obtempéré à l’ordre royal à titre personnel ? Le 4 juin 1614, un violent incendie causa la mort de quatorze personnes dans le quartier de la Pêcherie. Le Consulat constata alors que la ville ne possédait pas de seringues pour « pousser » l’eau sur les flammes. Par une ordonnance promulguée quatre jours plus tard, entre autres ordres, le Consulat décida d’acheter six seringues aux dépens de la ville. Elles devaient être marquées aux armes de la cité et placées à l’hôtel de ville pour servir en cas de nécessité.84 Ces bonnes décisions n’eurent, semble-t-il, aucune suite puisque, le 6 décembre 1616, lors d’un nouvel incendie, le problème n’était toujours pas résolu. Le feu brûla entièrement une maison attenante à la boucherie Saint-Paul, heureusement sans faire de victime. Une fois encore, le Consulat vit le presque complet dénuement des secours sur le plan des matériels d’extinction. Le secrétaire de la municipalité reprit sa belle plume d’oie et rédigea une nouvelle ordonnance reprenant presque à la lettre le texte de 1614, Il était stipulé qu’elle devait être exécutée en tout point. Cette fois, le voyer était chargé de l’achat des seringues. 85 Occupant la charge depuis 1599, il faut croire que Zanoblis de Quibly avait d’autres préoccupations en tête ou alors hésita à faire la dépense, car, le 26 octobre 1617, pour combattre un autre incendie, les seringues faisaient toujours défaut ! Par chance, ce sinistre éclata à la pointe du jour dans une maison et une fenière du quartier du Plâtre Saint-Esprit. Les secours furent plus prompts que de nuit. Sans désemparer, le Consulat émit aussitôt une troisième ordonnance qui était la copie presque conforme des précédentes. Cette fois, échaudé, le Consulat se donna à lui-même la mission d’acquérir les seringues.86 Ces engins furent-ils
enfin mis en service ? Rien n’est moins sûr, car aucune dépense municipale n’était mentionnée pour cet objet dans les années qui suivirent. Il faut toutefois noter que ces achats furent peut-être effectués par les consuls eux-mêmes sur leurs propres deniers. Il nous faut attendre 1636, pour avoir la certitude de l’acquisition de seringues d’incendie municipales à Lyon. Le 27 novembre, le potier d’étain Claude Morand de Lyon recevait cent quarante livres en échange de quatorze seringues qu’il venait de fournir à la ville. Cette livraison comprenait huit grandes seringues, à douze livres la pièce, et six moyennes au prix de huit livres chacune.87 Nous ignorons à quelles dimensions correspondaient les grandes et moyennes seringues. Des particuliers lyonnais possédèrent aussi des seringues. Le 22 janvier 1694, le maître balancier (maître échantillonneur juré des poids et mesures de la ville) Pingard, demeurant rue Palais-Grillet, reçut six livres pour avoir prêté une seringue lors d’un incendie dans la rue Mercière. Cette même année, en décembre, ce brave citoyen fut indemnisé de quatorze livres, car sa seringue avait été brisée à l’incendie du couvent des pères de Saint-Antoine.88 Nous ignorons si ce type de matériel continua de servir à Lyon au XVIIIe siècle, après l’achat de plusieurs pompes. Un inventaire des matériels d’incendie, datant de 1750, les ignorait totalement. Les seringues furent probablement remplacées par des pompes légères dites « à la Hollandaise ». Ces dernières étaient des pompes à main que l’on plongeait verticalement dans un baquet ou une benne et qui, munies d’un jet orientable, servaient à arroser les flammes à la manière des seringues sans en avoir les inconvénients. Elles pouvaient notamment fournir de l’eau de manière continue à la condition d’alimenter constamment le récipient dans lequel elles puisaient le liquide.
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LES RÉORGANISATIONS DE 1619 ET DE 1654–1655 ✺ LE DRAME DE LA PESCHERIE Nous l’avons évoqué à plusieurs reprises, le mercredi 4 juin 1614, dans la nuit, un très grave incendie ravagea plusieurs maisons de la rue de la Pêcherie. Dans l’une d’elles, quatorze habitants furent piégés par les flammes et périrent. Le feu ayant pris dans un étage inférieur, leur retraite fut coupée par l’embrasement des escaliers en bois qui menaient à leurs logements. Quelques malheureux qui s’étaient réfugiés au faîte de l’immeuble ne purent être sauvés par manque d’échelles assez hautes. 89 Nous le savons, à l’occasion de ce grand sinistre, les conseillers constatèrent une fois encore l’absence totale de matériels de lutte contre le feu. Au cours de ce violent incendie, les secours furent complètement démunis : pas d’échelle, pas de seau de cuir, pas de seringue et pas de harpie pour faire la part du feu ! Le Consulat prit une ordonnance le 8 juillet. Nous l’avons dit, elle n’eut aucun effet, pas plus que celles de 1616 et 1617. Toutefois, ces textes restent intéressants pour nous en raison des précisions qu’ils apportent sur le projet de réorganisation de la lutte contre le feu établi au début du XVIIe siècle à Lyon. Il était notamment rappelé aux maîtres-jurés charpentiers qu’ils devaient détenir chacun une demi-douzaine de crochets ou harpies. Le Consulat décida que chaque quartier devait faire fabriquer douze seaux de cuir, lesquels seraient marqués aux armes de la ville et déposés entre les mains des capitaines pennons, leur lieutenant ou leur enseigne. Les capitaines pennons et les maîtres charpentiers et maçons jurés avaient quinze jours pour mettre à exécution l’ordonnance. 90 Quoique cette dernière mesure se révélât inefficace, nous avons ici les prémices de l’engagement véritable des pennonages dans l’organisation du service d’incendie.
LA RÉGRESSION Qu’étaient donc devenus les matériels d’incendie, seaux, échelles et harpies, mis en service en 1517 et dans les années suivantes ? Nous émettons une hypothèse sur les causes probables qui pourraient expliquer ces défectuosités. Déjà, depuis 1538, les registres de dépenses de la ville ne mentionnaient plus tous ces agrès pour des frais d’entretien ou d’achat. Presque jusqu’à la fin du deuxième tiers du XVIe siècle, Lyon avait connu une période exceptionnelle de développement. Il n’en fut pas de même pendant les trente ou quarante années suivantes. De 1562 à 1598, les guerres de religion qui ensanglantèrent la France provoquèrent aussi une récession économique et un appauvrissement général de la population lyonnaise et donc de la ville. Quelques grands travaux d’utilité publique comme les incessantes réparations du pont de la Guillotière que l’impétuosité du Rhône mettait très souvent à mal, et plusieurs grandes épidémies de peste aggravèrent encore le phénomène régressif à Lyon. Nous devons aussi le reconnaître, l’achat de matériels de secours contre l’incendie figurait rarement comme un objet prioritaire aux yeux des édiles lyonnais. Dans ce contexte financier désastreux, cet état d’esprit ne dut certainement pas évoluer favorablement. Pendant les guerres religieuses, le dépôt de matériels d’incendie situé à l’hôpital Saint-Eloi fut démoli avec ce bâtiment par les protestants en 1562. Ceux des couvents, vidés de leurs occupants, disparurent probablement à la même époque. Seul, peut-être, subsista celui de l’hôtel de ville. Les matériels d’incendie, s’ils avaient survécu aux événements de la guerre, furent probablement regroupés à la maison commune. Il est fort possible qu’ils se dégradèrent progressivement pour finalement disparaître complètement sans que personne ne songe à les remplacer. La ville n’en avait d’ailleurs plus les moyens. Selon nous, voici pourquoi en ce début du XVIIe siècle Lyon se retrouvait complètement démunie face au feu.
LES CAPITAINES PENNONS Il fallait réagir, car, malgré les ordonnances édictées les années précédentes, les quartiers avaient certainement négligé de faire fabriquer des seaux de cuir. Aussi, le 10 avril 1619, les consuls passèrent un contrat avec le maître cordonnier lyonnais Jean Feron pour la fourni-
ture de ces agrès. La quantité de ces ustensiles devait dépendre du bon plaisir du Consulat. À sa demande, les seaux allaient être faits de bon cuir bouilli, bien garni et cousu. Enfin, tous seraient marqués aux armes de la ville et au nom du pennonage auquel ils étaient destinés. Le prix de chaque seau était arrêté à trois livres et treize sols.91 Cette décision intervenait enfin, car les conseillers avaient constaté, qu’outre le manque de matériel déjà reconnu, les habitants voisins d’un incendie ne prêtaient pas volontiers leurs seaux qui étaient souvent détériorés, perdus ou volés. De plus, ces ustensiles, dont beaucoup étaient en métal ou en bois, constituaient un grand danger pour les sauveteurs lorsqu’ils étaient jetés ou tombaient du haut d’une maison ! Au mois d’août, l’artisan fut payé pour les trois cent quarante-deux seaux de cuir qu’il venait de fournir à la ville.92 Le 11 juillet, à la demande des consuls, le sénéchal promulgua une ordonnance afin d’assurer la sauvegarde de ces seaux.93 Après avoir été utilisés au feu, ils devaient être ramenés dès le lendemain et suivant leur marquage, à l’hôtel de ville ou chez les capitaines pennons. Les receleurs de seaux municipaux pouvaient être taxés de cinquante livres d’amende, pour les gens solvables, et de coups de fouet pour les personnes de basse condition ! Lors d’une réunion du Consulat, les sieurs : Gallier, pennon de la rue de Flandres ; Loubat, pennon de la rue du Boeuf ; de la Chaux, pennon du Gourguillon ; Telisoy, pennon de l’Herberie ; de Saint-Joire, pennon de la Juiverie et Mamarot, pennon de la rue de l’Enfant-quipisse, reçurent chacun vingt seaux, soit au total cent vingt récipients.94 En toute vraisemblance, le surplus fut placé en réserve à l’hôtel de ville. Malgré la mise en service de ces nouveaux seaux municipaux, l’habitude d’acheter ou de louer, ponctuellement à l’occasion des sinistres, des seaux, des gerles ou des bennes pour amener l’eau sur les lieux d’un incendie, perdura pendant tout le XVIIe siècle et même une partie du XVIIIe siècle. Venant du latin gerula, le terme gerle désignait une sorte de gros baquet en bois et de forme ovoïde muni de poignées qui servaient à Lyon pour faire la lessive, la vaisselle, ou tous autres travaux nécessitant de l’eau. À la campagne, elles étaient aussi utilisées dans les vignobles pour récolter le raisin lors des vendanges.
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Le pont de pierre sur la Saône et ses maisons au XVIe siècle. Vue de la rive gauche depuis le côté de Saint-Nizier. MG inv. 26 h 1 et 2, détail de la vue de Cléric
LE VÉNÉRABLE PONT DE SAÔNE Le pont de pierre, appelé aussi pont de Saône, établi vers le XIe siècle sur cette rivière fut le théâtre de nombreux incendies ou accidents divers. Le 5 septembre 1632, entre une et deux heures du matin, un incendie se déclara dans plusieurs maisons situées à la sortie du pont de Saône, du côté de Saint-Nizier. Celles-ci et toutes les boutiques contenant beaucoup de marchandises furent détruites par les flammes. Sous les ordres du maître-juré charpentier Louis Burdel, plusieurs charpentiers travaillèrent à éteindre le feu. Deux maîtres maçons furent payés pour avoir fait abattre les murs ruinés par les flammes et commander le dégagement des décombres qui bouchaient le passage sur le pont.95 L’officier enseigne des arquebusiers Hugalier, et le sergent du guet royal Rousset, dit l’Espoir, furent remboursés des sommes qu’ils avaient déboursées pour entretenir, aux têtes du pont, deux corps de garde spéciaux pendant les trois jours et trois nuits qui furent nécessaires pour dégager l’ouvrage.96 Cet incendie provoqua également un grand désagrément au roi Louis XIII. Arrivant dans la ville, et ne pou-
vant emprunter le seul pont existant alors sur la Saône à Lyon, le souverain dut rester dans le faubourg de Vaise en attendant le dégagement du passage. Le cortège royal franchit le pont au milieu des ruines fumantes. L’année suivante, le Consulat autorisa les propriétaires des maisons incendiées à les reconstruire au même emplacement. Le 16 septembre 1632, le Consulat prit un arrêté par lequel il décidait de retirer tous les seaux de cuir des mains des capitaines pennons, de leurs lieutenants et enseignes. Les récipients devaient être réparés et raccommodés pour être ensuite tous déposés à l’hôtel de ville.97 Que s’était-il donc passé ? Lors de l’incendie des maisons du pont de Saône, les consuls avaient probablement constaté le mauvais état des seaux et la difficulté d’en réunir rapidement un assez grand nombre.
LOUIS XIII À LYON Charles d’Alincourt, marquis de Villeroy, gouverneur du Lyonnais de 1607 à 1642, promulgua le 14 janvier 1633 une ordonnance relative aux pennonages. En cas d’alarme de feu, ou autre, il était ordonné aux capitaines pennons
de demeurer dans leur quartier sans prendre les armes. Mais si l’incendie était situé dans leur quartier, ils devaient prendre les armes et attendre les ordres. Dans l’éventualité où leur présence pouvait être utile au bien public ils étaient autorisés à se rendre sur les lieux, sauf si le secteur dépendait des corps de garde occupés par les troupes royales.98 Le gouverneur n’entendait point blesser dans leur honneur les membres des pennonages, mais plutôt éviter les heurts, toujours possibles, entre les troupes lyonnaises et celles du roi. À l’époque, Louis XIII était encore à Lyon avec un grand nombre de soldats. Aussi, dès le 2 janvier de la même année, le gouverneur avait-il émis une première ordonnance destinée à réglementer la conduite des troupes royales et à protéger la population contre ses débordements éventuels. Entre autres commandements, il était ordonné aux capitaines, officiers et soldats du roi de laisser passer librement, la nuit, le chevalier du guet, son lieutenant et ses archers, de reconnaître le sergent-major de la ville et de ne pas l’empêcher d’aller porter les ordres dans les postes.99 Les trois derniers articles concernaient précisément les secours contre le feu : « IL EST ORDONNÉ aux Capitaines, & Officiers desdictes troupes, en cas d’alarme de feu, ou autrement, de demeurer avec leurs soldats en armes dans leurs quartiers, & là où ils seront en garde, & n’en bouger qu’il ne leur soit ordonné, & de laisser passer, sans les arrester, les charpentiers & maçons, et autres, qui y iront sans armes, pour assister au feu. IL EST ENJOINCT à tous Capitaines Penons, Officiers, & habitants de la Ville, en cas des dictes alarmes, de demeurer chacun dans leurs quartiers, sans prendre les armes, qu’il ne leur soit ordonné, & de mettre chacun de la lumière à leurs fenestres. IL EST ORDONNÉ, en cas de feu, à tous ceux des Églises de ceste Ville, de ne sonner le tocquesin qu’aux Églises du quartier, où le feu sera, à peine aux manilliers de prison, & de trente livres d’amende, appliquables à l’Hostel-Dieu, enjoignant à ceux desdictes Églises d’y tenir la main ».
L’ARDEUR SALVATRICE DES CHARPENTIERS ET DES MAÇONS Le 27 août 1654, le Consulat décida de réorganiser les secours contre l’incendie. Il ne s’agissait point d’encourager les membres des corporations du bâtiment à accomplir leur devoir immémorial. Au contraire, les consuls désiraient réguler l’ardeur salvatrice de ces hommes. En
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préambule de leur déclaration les magistrats municipaux affirmaient : « les fréquents incendies qui arrivent en ladite ville donnent occasion à quantité de charpentiers d’icelle ville d’accourir bien souvent moins pour y apporter du secours que pour avoir lieu de demander des récompenses ».100 En réalité, aucun règlement n’existant alors, lorsque le tocsin sonnait un nombre important de maîtres et de compagnons arrivaient sur les lieux des sinistres. Cette attitude présentait un réel avantage lorsque l’incendie était important. À l’inverse, un petit feu ne justifiait pas un tel déploiement de forces. Selon la coutume lyonnaise, qu’ils aient vraiment participé ou non à l’extinction, les charpentiers et les maçons réclamaient une indemnité pour leur déplacement. Les consuls avaient donc résolu de mettre bon ordre à ce qu’ils considéraient comme des abus. Ceux-ci étaient très certainement involontaires puisqu’alertés par le seul son du tocsin, les sauveteurs ne pouvaient pas préjuger de la gravité du sinistre. Le Consulat était moins regardant pour ses propres dépenses de prestige ! Afin d’établir un début de réglementation, il fut décidé de désigner un petit nombre de maîtres charpentiers jugés par la municipalité capables d’assurer efficacement le service d’incendie. Cinq hommes de l’art furent nommés pour le côté de Fourvière et sept pour le côté de Saint-Nizier. Seuls les charpentiers officiellement affectés au service d’incendie pouvaient prétendre recevoir une récompense en proportion des services rendus lors de l’intervention. Les artisans non reconnus par la municipalité qui, de leur propre chef, choisissaient de rejoindre leurs camarades sur le théâtre d’un incendie ne pouvaient pas réclamer une quelconque récompense. Cette décision découragea peut-être les sauveteurs ou montra son insuffisance quant au nombre d’hommes désignés pour le service du feu. En effet, six mois plus tard, le 29 janvier 1655, le Consulat délibéra pour modifier les mesures prises en 1654. Il décida que désormais chaque maître charpentier désigné pour accourir au feu devait emmener avec lui cinq compagnons. Tous ces maîtres recevraient une indemnité forfaitaire de dix livres chacun pour leur travail. Celle-ci était donc partagée avec leurs cinq compagnons.101 Dans les années qui suivirent, ces dispositions furent appliquées à la lettre. Des indemnités globales étaient accordées une fois l’an, en fin d’année, aux préposés du feu. Cependant, peu à peu, l’usage ancestral de payer les sauveteurs immédiatement à la suite de chaque incendie redevint l’habitude. Le 11 mars 1677, le Consulat reprit ses deux ordonnances précédentes et désigna treize nouveaux maîtres charpentiers. Leur salaire
Le grand collège de la Trinité qui deviendra plus tard le lycée Ampère. AML Dessin de J. Drevet in Lyon de nos pères, E. Vingtrinier, Lyon 1901 © Gilles Bernasconi
était toujours fixé à dix livres, mais, dorénavant, il était prévu une amende de vingt livres en cas de défaillance dans le service. En outre, pour pouvoir être rémunérés, les charpentiers devaient maintenant fournir des certificats de présence établis par les capitaines pennons. Cette nouvelle ordonnance rappelait l’interdiction d’intervenir hors du secteur affecté aux sauveteurs.102 Dans la réalité, les artisans officiellement désignés pour le service du feu devaient certainement s’adjoindre l’aide de collègues, charpentiers ou maçons, qui n’appartenaient pas nécessairement à leur propre entreprise. En cette seconde moitié du XVIIe siècle, il y avait donc théoriquement à Lyon soixantedix-huit hommes préposés au service de lutte contre l’incendie. Tous ces textes sont muets sur le service des religieux au feu.
LES INTERVENTIONS DIVINES ✺ LE GRAND COLLÈGE DE LA TRINITÉ Le 30 janvier 1644, le feu éclata dans le Grand collège de la Trinité. De nombreux sauveteurs accoururent, qui coûtèrent cent livres et treize sols à la ville. Pour maîtriser cet incendie, cent quatre-vingt-dix-huit seilles furent utilisées et payées quarante livres et dix sols à un maître tourneur qui les avait fournies. Probablement
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en bois, ces seaux venaient en complément de ceux qui appartenaient en propre à la commune. Deux meubles de bibliothèque avaient brûlé avec un grand nombre de livres de toutes les disciplines. D’autres ouvrages de valeur furent endommagés après avoir été jetés dans la neige au cours de l’incendie. Quarante chambres, des régents ou des écoliers, avec leur mobilier, deux cents draps et du linge de corps qui séchait dans un comble disparurent dans les flammes. Le 10 mars, assisté par les maîtres-jurés charpentiers et maçons, le voyer fut commis pour estimer les dégâts et établir la valeur réelle des bâtiments incendiés. Afin d’aider les Jésuites à réparer le Collège, le Consulat leur fit don d’une somme de douze mille livres.103
LE SAINT-SACREMENT FACE AU FEU Pour les hommes du XVIIe siècle, Dieu et la religion tenaient une place très importante dans la vie de tous les jours comme dans les moments exceptionnels. Ainsi, dans l’incendie du Grand Collège, les croyants virent-ils un signe divin. La Gazette de France rendit compte de cet incendie en ces termes : « Cette semaine le feu s’est manifesté au collège des Pères Jésuites de Lyon, ou il a causé une grande perte tant en bastimens qu’en livres et autres meubles estimés plus de deux cent mille livres, duquel incendie on tient que leur église qui y joint, a été comme miraculeusement préservée par l’exposition du Saint-Sacrement ; un vent s’estant élevé en détourna les flammes ».104 Pendant tout le Moyen Âge et même bien au-delà, l’usage de porter le Saint Sacrement sur les lieux d’un incendie fut courant. À Lyon, ce rituel était encore très souvent pratiqué au XVIIe siècle. Le registre d’état civil paroissial de la Platière, tenu par messire Millet, curé de cette paroisse de 1629 à 1651, en apporte plusieurs preuves.105 Lors du feu du pont de Saône, en 1632, le Saint Sacrement fut apporté des deux paroisses de la Platière et de Saint-Nizier. Le 10 octobre 1635, le père Millet intervint lors de l’incendie qui éclata rue de la Pêcherie chez le maître teinturier de draps Pillotte. Le 2 juillet 1642, le prêtre partit pour un grand feu qui se déclara, entre onze heures et minuit, dans une des maisons appartenant à Claude Troullier, située dans la rue de la Pêcherie, près du puits et face à la rue de la Tête de mort. Les flammes menacèrent de s’étendre à tout le quartier. Le prêtre écrivait : « nous y avons pourté le très St Sacrt de l’austel & en mesme temps lon a recougnu, par la toutte puissance de nre (notre) créateur, que ceste grande incendie na pas faict plus de progrès ; personne ny a esté blessé, Dieu grâce, lequel
je prie nous en préserver à jamais ». Pour le feu du Grand collège en 1644 le père Millet confirmait encore sa présence. En 1645, le 28 juin, il officia, pour un feu proche de la petite porte de la grand’boucherie, et le 17 août, près du monastère de la Déserte, vers la rue des Bouchers, où le feu ravagea la maison d’un maître charron. Celui-ci périt avec son épouse, sa fille et un valet. Les flammes endommagèrent quatre maisons voisines. Le 4 février 1648, le feu se manifesta dans l’écurie du logis de Sainte-Catherine qui dépendait de l’Aumône générale. La fenière, plusieurs bâtiments annexes et la chapelle de Sainte-Catherine furent détruits par ce grand incendie (ce dernier édifice fut reconstruit peu après). Deux jours plus tard, vers vingt-trois heures, un nouveau sinistre éclata dans la chapelle de Saint-Laurent dans le monastère des Grands Carmes des Terreaux, au pied de la côte Saint-Sébastien. La maison d’un pauvre cordonnier, attenante au couvent fut détruite. Là encore, le père Millet assista les sauveteurs de son divin ministère.
L’INCENDIE DES CORDELIERS Au XVIIe siècle, et pour longtemps encore, comme l’ensemble de la presqu’île, le quartier des Cordeliers avait encore un aspect moyenâgeux avec son réseau de rues étroites et tortueuses, sans le quadrillage précis et régulier que nous lui connaissons aujourd’hui. C’est dans ce secteur très urbanisé qu’éclata, le 31 juillet 1668, un gigantesque incendie. Malgré l’ampleur du sinistre, nous avons peu de renseignements à donner. Nous savons seulement que dix à douze maisons furent détruites par le feu, mais, semble-t-il, il n’y eut aucune victime. Le Consulat indemnisa les maçons, les charpentiers et les crocheteurs, qui furent employés pour arrêter la progression des flammes. Nous trouvons ici mentionnés, pour la première fois, les « crocheteurs ». Ces hommes, dits aussi portefaix, étaient employés au transport des marchandises lourdes et au déchargement des bateaux dans les différents ports de la ville. Dès lors ils furent régulièrement requis pour participer à la lutte contre le feu, notamment pour l’acheminement des seaux. Deux charpentiers et un maçon qui avaient été blessés reçurent une aide pécuniaire. Des maçons et des charretiers furent payés pour avoir dégagé « le marrain », c’est-à-dire les décombres et la terre provenant du pisé des murs des maisons détruites. Du vin fut distribué à ceux qui travaillèrent à éteindre le feu. Cette coutume de verser à boire du vin aux ouvriers à l’occasion des incendies ou
de travaux difficiles réalisés pour la ville, existait depuis fort longtemps et perdura encore un temps après la Révolution. Le voyer Seguin reçut deux cents livres en considération de la peine qu’il avait prise. Le commis à la voirie perçut quarante livres. Les soldats suisses qui avaient eu pour mission de maintenir à distance la foule touchèrent également des indemnités. Un sergent et des soldats arquebusiers furent payés pour avoir travaillé jour et nuit. Enfin, le Consulat décida d’accorder des aides pécuniaires à quatre-vingt-cinq sinistrés qui avaient tout perdu dans l’incendie.106
LE VŒU DU CONSULAT Ce grand sinistre, qui marqua sans doute les mémoires lyonnaises pendant longtemps, ne fut pourtant pas suivi, comme c’était souvent le cas, d’une ordonnance réorganisant les secours. La municipalité préféra s’en remettre au Ciel. Ayant déjà placé la ville sous la protection de la Vierge Marie, le 8 septembre 1643, pour la préserver des atteintes de la peste, le Consulat décida, le 2 août 1668, d’agir de même pour le péril du feu : « Les ditz sieurs ayant considéré qu’il est impossible de remédier aux différents maux qui arrivent dans la vie des hommes sans le secours de la main toute puissante de Dieu qui leur despart souvent ses graces par l’intercession de ses Saints, à plusieurs desquels son adorable providance a voulu mesme apliquer des faveurs singulières pour yvoir ou garentis de certains maux et fléaux particulliers ceux qui recourent en son nom a leur entremise ayant mesme fait reflexion sur la grace extraordinaire que cette ville a reçu du ciel de se voir entièrement deslivrée de la maladie contagieuse qui y a fait autrefois de si grands ravages, despend le vœu que le Consulat a fait faire de faire dire une messe touttes les années en l’esglise de Fourvière en l’honneur de Dieu et de la Sainte Vierge, espérant de sa divine miséricorde une pareille grace pour esloigner de son enceinte et des maisons de ses habitants les incendies qui y arrivent si fréquemment par l’intercession de Sainte-Agathe. Le Consulat a résolu a fait vœu, de faire dire tous les ans une messe en l’église Saint-Antoine le jour fixé de cette Sainte ou il assistera en la même manière qu’il fait en l’esglise de Fourvière le jour de la Notre Dame de septembre et présentera à l’autel dedié à Dieu soubs le vocable de la dite Sainte Vierge à un coeur de cire blanche et commencera l’exécution de la présente délibération dimanche prochain cinquiesme du présent mois dont à esté fait présent acte ».107
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À partir de 1669, fidèlement, chaque année, le 5 février, jour de la Sainte Agathe, revêtus d’une robe noire, le prévôt des marchands et les échevins assistaient à cette messe en portant un cierge et un cœur de cire blanche. Cette cérémonie perdura jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le 1er février 1788, elle fut transférée à la paroisse de Saint-Georges. Le feu ne tint pas compte du vœu pieux du Consulat et les hommes du bâtiment durent encore et toujours affronter les flammes dévastatrices. Pourquoi les consuls avaient-ils choisi de consacrer la ville à Sainte-Agathe ? Cette sainte, née en Sicile dans le port de Catane, au pied de l’Etna, était morte en martyre en 251 pour défendre sa chasteté. Selon la tradition, le voile couvrant son tombeau avait le pouvoir d’arrêter la lave du volcan qui menaçait souvent sa ville, mais la relique, portée en procession, avait aussi la réputation d’éteindre les incendies. Dans le sud de l’Italie, la sainte devint la patronne des fondeurs de cloches et des « pompiers ». La dévotion des Lyonnais à sainte Agathe remontait à l’époque où le cardinal Ginet avait fait don en 1650 des reliques de Sainte-Agathe à la commanderie de Saint-Antoine.108 Par le choix des édiles lyonnais, une fois encore, nous avons la preuve de la présence toujours active de la tradition italienne à Lyon au XVIIe siècle. Deux ans plus tard, le 29 juillet 1670, un nouvel incendie provoqua la mort de plusieurs habitants. Ce sinistre détruisit quatre à cinq maisons proches de la chapelle des pénitents de Lorette, près du pont du Rhône. Des indemnités furent allouées à plusieurs particuliers qui avaient souffert dans l’incendie. Selon la tradition, les charpentiers et les maçons avaient fait leur devoir. Le maçon Estienne Paret reçut neuf cent cinquante livres pour avoir effectué le déblaiement des décombres, dégagé la rue et sorti les corps brûlés des victimes.109
LA RÉAPPARITION DE LA POMPE EN EUROPE OCCIDENTALE ✺ LES PRÉCUREURS GERMANIQUES ET BATAVES Depuis plus de huit siècles, l’usage de la pompe à incendie s’était perdu en Europe occidentale. Ayant vraisemblablement pris connaissance de documents décrivant les inventions de Ctésibios et de Héron, un Bavarois retrouva les techniques anciennes et fit construire une pompe à incendie par des artisans de sa ville. À la date du 27 novembre 1517, un registre concernant les dépenses du service d’architecture de la ville d’Augsbourg, en Bavière, nous livre le nom de cet homme digne de mémoire. Exerçant le métier d’orfèvre à Fridberg, près d’Augsbourg, Antonien Platner reçut vingtsept monnaies d’or pour son invention et fut nommé citoyen d’Augsbourg.110 C’est un artisan, germanique lui aussi, qui fit définitivement renaître la pompe à incendie en Europe occidentale, car, outre son talent d’ouvrier d’art, il avait le sens du commerce. En Bavière, le 1er mai 1655, le chaudronnier forgeron de Nuremberg, Hans Hautsch, proposait à la vente, à l’aide de prospectus, des pompes qu’il avait conçues. D’abord d’une taille colossale, peu à peu, cellesci prirent des dimensions raisonnables, facilitant leur déplacement et leur mise en œuvre. L’artisan bavarois, qui avait commencé sa production dès 1650, parvint à vendre ses machines dans d’autres pays que la Bavière.111 Le principal défaut de ces pompes était leur lance fixée à demeure sur la machine. En 1672, à Amsterdam, aux Pays-Bas, les frères Jan et Nicolas van der Heyden eurent une idée de génie en inventant le tuyau de cuir cousu.
L’ACHAT DE LA PREMIÈRE POMPE LYONNAISE Malgré ces belles réalisations bavaroises et hollandaises, la pompe à incendie resta inconnue dans la France voisine jusqu’au deuxième tiers du XVIIe siècle. Lyon, qui acheta une pompe dès 1671, fait donc figure de précurseur. Elle fut peut-être la deuxième cité de la France du XVIIe siècle à être pourvue d’un tel appareil. Un registre consulaire conserve la trace de l’événement.112 Nous livrons au lecteur le texte dans son intégralité : « Du mardi neufsieme juin 1671 aspres midy en l’hostel commun de la ville de Lyon y estans. Les prevost et eschevins à monsieur François Beneon receveur. Ayant considéré qu’il ne se peut aporter trop de précautions n’y rechercher trop de moyens pour arrester le cours et les funestes progrez des incendies qui arrivent si fréquemment en ceste ville et ayant aspris que le sieur Conzebat avoit fait travailler à une machine roulante de la manière de celle dont on se sert en pareil cas en Allemagne laquelle porte un très grand bassin de cuivre dans lequel entrent trois gros thuyaux de fonte et dont par une invention et un artifice extraordinaire une pompe de mesme metail peut eslever une très grande abondance d’eau jusque au troisiesme et mesme au quatriesme estage des maisons. Nous avons estimé qu’il ne falloit pas négliger un pareil secours et aspres avoir deputé deux de nous pour visitter et faire examiner soigneusement la qualité et l’utilité de la dite machine, sur le raport avantageux qui nous en a esté fait nous aurions résolu de l’achepté et en reigler le prix avec le dit sieur Conzebat,et qui ayant esté fait a la somme de trois mille trois cens livres au dela de laquelle il nous a assuré que montoit la despence qu’il y avoit faite. À ces causes nous vous mandons que des deniers de votre charge vous payez et deslivriez comptant au dit sieur Conzebat la dite somme de trois mille trois cens livres tournois. En raportant le présent mandement et quittance ». Les grands incendies de 1668 et de 1670 étaient encore bien présents dans toutes les mémoires. C’est, probablement ce qui incita le Consulat à investir une somme aussi importante dans l’acquisition d’une pompe à incendie. Le sieur Conzebat, mentionné par la délibération, était un commerçant originaire de la Suisse alémanique. Un temps, il assura notamment le transport des dépêches postales. Il dut probablement amener la première pompe à incendie lyonnaise directement d’Allemagne.113
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Les pompes à lance fixe et à boyaux construites au XVIIe siècle par les frères Van der Heyden chargés de la maintenance des pompes à incendie d’Amsterdam aux Pays-Bas. Coll. JP
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En 1650, la monstrueuse pompe à bras du forgeron bavarois Hans Hautsch est manœuvrée par une trentaine d’hommes. Elle est alimentée en eau par des tonneaux montés sur des traîneaux. Coll. JP
SA MISE EN SERVICE ET SON ENTRETIEN En réalité, la première pompe à incendie lyonnaise paraît avoir été mise en service, au moins, à partir du mois de mars. Un compte du receveur (trésorier) Pascal, prédécesseur de Beneon, mentionnait pour le 25 mars 1671 des dépenses engagées à l’occasion d’un incendie ayant éclaté dans le rue Saint-Jean114 : « - du 25 ème, rendu à maître Jonas quil a payé pour du vin pour faire boire les crocheteurs lors de lincendye rue St-Jean. - Item ceulx quy ontz fait jouer la pompe ». Il ne semble pas qu’à sa mise en service la pompe eût été confiée aux mains de spécialistes chargés de la manœuvrer. Malgré son prix élevé, elle était probablement laissée ponctuellement à la disposition du pennonage où se déclarait le feu ou même du public qui venait la chercher lors des incendies. Trois ans plus tard, un terrible incendie se déclara dans le nouvel hôtel de ville des Terreaux. Le receveur Perrin assura, entre autres, une dépense pour l’achat de : seaux, pompes, seringues, crochets et autres instruments et outils auxquels, disait-il, : « il a fallu pourvoir incessamment et sur-le-champ sans qu’il ayt esté possible de tirer quittance des parties dans un si grand nombre et confusion de personnes et dans une si urgente nécessité à si
utile et fatale conjecture ».115 En réalité, malgré la mention de pompes, les archives font nettement apparaître qu’une seule pompe municipale, toujours la même, resta en service jusqu’à la fin du XVIIe siècle. La maintenance de la pompe était assurée ponctuellement. Le 10 mai 1685, Jean Rousset, « bossetier fondeur », reçut trois livres pour avoir nettoyé et remis en état « la grande pompe du Consulat servant aux incendies ».116 En novembre 1687, le train de roues fut réparé pour neuf livres. Le 6 septembre 1691, Louis Girard, jardinier, fut indemnisé de quarante livres pour les réparations qu’il avait fait exécuter sur la pompe au mois d’avril. Ce dernier document est particulièrement intéressant, car nous y apprenons que le lieu de remisage habituel de la pompe était situé dans le jardin de l’hôtel de ville. Cette précision nous fait comprendre pourquoi ce personnage se chargeait de l’entretien de la machine. Encore faut-il entendre le terme de jardinier comme la désignation d’un artisan ou d’un notable, ayant en charge l’entretien des jardins de l’hôtel commun. Suivant la coutume du temps, il devait être assez fortuné pour avancer une telle somme de ses propres deniers.117 Pour trente-quatre livres, une ultime remise en état fut effectuée au début de l’année 1696 par un charron et par le fondeur Rousset.
SON UTILISATION AU FEU Cette première pompe à incendie lyonnaise est mentionnée plusieurs fois dans les comptes de la ville, comme participant à la lutte contre le feu. Cependant, son emploi ne semble pas avoir été systématique. La machine était probablement d’un usage assez peu commode. Elle était montée sur un train à quatre roues, certainement de petit diamètre, et pesait probablement un poids respectable. Qui plus est, en l’absence de tuyaux, elle n’était capable de lancer l’eau qu’à l’aide de sa seule lance fixée à demeure sur le châssis, donc à l’extérieur des édifices. Lorsque le feu à combattre était difficile d’accès, dans une arrière-cour par exemple, la pompe devenait pratiquement inutilisable. Si elle représenta un progrès immense sur le plan du matériel de lutte contre le feu, étant la seule machine de ce type, sa mise en service ne fit pas fondamentalement évoluer l’organisation des secours contre l’incendie à Lyon. En réalité, nous ne pouvons pas avoir d’idée précise sur le nombre de ses interventions. Seul, à la fin de sa carrière, le voyer Paul Bertaud détaillait par le menu les frais qu’il engageait pour chaque incendie, entre autres :
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• le 1er juillet 1690, lors d’un sinistre rue Thomassin.118 « [...] plus payé aux ouvriers qui ont amené et ramené la pompe et l’ont fait jouer pendant la dite incendie ». • le 23 avril 1695, au cours de l’incendie de la maison de l’abbé de Dourtan, rue Neuve et rue Gentil.119 « [...] plus payé aux ouvriers qui ont mené et ramené la pompe et qui l’ont fait jouer pendant la nuit à l’incendie ; [...] plus payé pour le louage des gerles, bennes et benots pour mettre de l’eau pour remplir la pompe ». La même année, le 28 août, elle fut utilisée pour le feu de la maison Ramadier dans la rue Bourchanin (rue Belle-Cordière).120 Le 30 décembre, emmenée par huit hommes, elle manœuvra pendant trois heures afin de combattre le sinistre qui avait éclaté vers quatre heures du matin rue Chalamont (fragment de la rue Dubois).121 Il semble qu’elle ait servi pour la dernière fois, le 1er juin 1696, en luttant contre l’incendie qui, vers vingt-trois heures, dévora, la maison Guinar, rue Port Charlet (rue de la Ferrandière).122
L’INCENDIE DE L’HÔTEL DE VILLE Ne disposant toujours pas d’hôtel de ville digne de ce nom, le Consulat avait continué d’errer d’un immeuble à l’autre, sans toutefois s’éloigner de Saint-Nizier, berceau de la municipalité lyonnaise. Après avoir occupé en 1569 l’hôtel de Milan situé rue de la Grenette, il revint rue Longue en 1576, puis s’installa en 1604 dans l’hôtel de la Couronne rue de la Poulaillerie. Ce bâtiment abrite actuellement le musée de la Banque et de l’Imprimerie. Cet édifice fut vendu en 1646 pour pouvoir faire construire un véritable hôtel de ville dont la première pierre fut posée le 5 septembre de la même année. Le 14 novembre 1652, le Consulat tint sa première séance dans la nouvelle maison commune. Vingt-deux ans plus tard, le feu faillit détruire entièrement le magnifique bâtiment. Le jeudi 13 septembre 1674, entre midi et treize heures, quelques officiers municipaux et des domestiques logés dans le bâtiment municipal aperçoivent une importante fumée qui s’élève au-dessus du toit de la grande salle. Alors qu’ils se disposent à en reconnaître la prove-
nance, une immense flamme jaillit du comble, entre le toit du grand escalier et le dôme de l’horloge. Le nouvel hôtel de ville de Lyon brûle ! Le feu trouve des aliments de choix avec le bois et beaucoup d’autres matières combustibles. Il n’est pas tombé une goutte de pluie depuis un mois et les grandes chaleurs du mois d’août ont desséché les bois des charpentes. En très peu de temps, un immense incendie consume le toit de la grande salle ainsi que sa voûte, ornée de superbes peintures. Le toit du pavillon sud est également détruit en quelques instants. Les plombs de la toiture fondent en une rivière incandescente. Alertés par le tocsin, arrivant de toutes parts, les maçons, les charpentiers et beaucoup d’autres ouvriers se mettent en devoir de combattre l’incendie. De nombreux habitants de toutes sortes de qualité, âge et sexe, viennent prêter leur concours. Une délibération du 27 décembre faisait mention de plus de trois mille personnes présentes sur les lieux. Elle précisait que : « Tous travaillèrent au péril de leur vie ».123 Le feu se propage à un escalier de bois qui mène à l’intérieur du dôme jusqu’à la salle où se situe l’horloge. Le plancher de cette pièce s’enflamme et l’horloge tombe en plusieurs
Ce tableau donne une idée du grand nombre de personnes présentes sur les lieux lors de l’incendie de l’hôtel de ville en 1674. MG N 22 Photo © X. Schwebel
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Cette gravure est assez réaliste, dressées sur la façade gauche du bâtiment on aperçoit les échelles de sauvetage. Au second plan, on remarque un citoyen portant deux seaux de cuir. MG N 748
morceaux. Puis, les poutres de la charpente qui soutiennent les cloches du beffroi ayant brûlé, les cloches chutent à leur tour. Ces effondrements provoquent de grandes secousses dans la voûte supportant le dôme. Le vent change alors d’orientation et porte les flammes, « avec une rapidité inconcevable », du côté nord où, en moins d’un quart d’heure, elles détruisent la charpente des deux pavillons se trouvant audessus de la galerie qui abrite les portraits des consuls dans la salle du Consulat. Le feu attaque à la même vitesse l’aile contiguë et les bâtiments situés au-dessous. Avec promptitude, on coupe les charpentes et les toits au-dessus de la salle d’archives. Privé d’aliments le feu faiblit. Il dure néanmoins jusqu’à la nuit. Malgré toutes les précautions prises, les flammes purent encore atteindre le plancher de la salle des portraits et brûler la moitié du grand tableau qui ornait cette pièce.
Pendant les trois jours qui suivirent l’incendie, une surveillance active évita une reprise du feu. Privé de toiture, le bâtiment était exposé à toutes les intempéries. Le Consulat prit rapidement quelques mesures pour le préserver de dégradations plus importantes encore.124 Au cours de l’incendie, des hommes montèrent dans le pavillon nord, avec des cordes, pour porter secours à la servante de l’un des mandeurs (huissiers) qui habitait dans cette aile du bâtiment. Ce fonctionnaire et son épouse eurent tout juste le temps de fuir devant la rapidité du feu. La malheureuse femme était suspendue à l’une des fenêtres, la seule voie de salut qui lui restât : elle fut sauvée.125 La municipalité s’attacha également à venir en aide aux veuves et aux orphelins des sauveteurs qui perdirent la vie dans ce sinistre. Malgré de minutieuses recherches dans l’état civil, nous n’avons pu déterminer ni le nombre
de morts, ni celui des blessés qui, semble-til, fut important. La délibération du mois de décembre, déjà citée, précisait que : « plusieurs ouvriers furent enveloppés par les flammes et que d’autres restèrent estropiés ».126 Un courrier des consuls, envoyé à Paris au gouverneur Villeroy, détaillait par le menu les dégâts matériels infligés au bâtiment, mais faisait complètement abstraction des victimes ! Trois mandeurs qui logeaient à l’hôtel de ville, et avaient perdu tout leur bien dans le feu, reçurent aussi des indemnités127, ainsi que deux commis secrétaires qui avaient sauvé des registres et des papiers officiels.128En service depuis trois ans, il est fort peu probable que la pompe à incendie eut un grand rôle à jouer au cours de ce sinistre. Le feu concerna essentiellement les combles du bâtiment qui, compte tenu de leur hauteur, étaient probablement inaccessibles au jet de la machine.
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