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PRÉFACES

Venu d’un pays où les langues et les musiques d’origine étaient méconnues, l’Algérie des années 1950, j’ai toujours été taraudé par cette surdité à des richesses humaines si proches. Dans la partition humaine d’alors, vivre à côté n’ouvrait pas au savoir et à la création. Le temps n’y fit rien, et c’est souvent bien après le drame que l’on prît la mesure de ce à quoi nous n’avions pas prêté l’oreille.

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Aujourd’hui, la France, comme d’une promesse, reste porteuse d’une communauté de destin. Mais persistent la partition urbaine, la méconnaissance du voisin et souvent le déni institutionnel de ses cultures. Le hasard (?) m’a amené à Villeurbanne, à la direction de l’École Nationale de Musique : une école de toutes les musiques voulue par une ville construite par l’accueil ! C’est là un appel à montrer le bien-fondé, non plus seulement de la tolérance et du vivre-ensemble, mais de l’urgence d’aller vers tous les publics, d’étudier en profondeur les filiations et cousinages entre cultures et repenser l’enseignement de la musique et de la danse sur des valeurs plus universelles. Il n’y aurait pas de piano sans santûr, de luth et de guitare sans oud, d’accordéon sans orgue à bouche laotien, de timbales sans tbel arabe : autant d’instruments venus d’ailleurs, aujourd’hui voisins et porteurs de savoirs très actuels (modes, ornementation, improvisation, souffle continu, polyrythmie…).

Il y a là pour chacun une chance de resituer sa culture dans l’humanité, en connaissance de cause. Encore faut-il se fréquenter, et s’inviter. Dans une vie antérieure, à Caen, nous étions déjà allés à la rencontre des musicien·ne·s issu·e·s, comme nous, de l’immigration. Ce fut si riche d’amitiés, de festins musicaux, de « solfèges » non écrits, mais combien reconstituants, qu’il en naquit un livre-CD, Le tour du monde en 25 voisins, musiques et récits de l’immigration en BasseNormandie, avec la philosophe Mahjouba Mounaïm. Bientôt nos co-citadins venus d’ailleurs voulurent bien nous confier cent de leurs instruments en une magnifique exposition, Instruments du monde en Normandie.

Je rêvais de revivre l’aventure à Villeurbanne. L’immense chance pour l’ENM d’y côtoyer le Rize, bateau rare dans le paysage français, et le CMTRA, rare aussi à explorer le patrimoine interculturel, a permis d’aboutir à ce beau projet, grâce à l’engagement de leurs équipes. La promesse serait entière pour la cité si, au-delà, s’instituait l’espace permanent de partage des savoirs et répertoires entre habitant·e·s où chacun serait plus pleinement lui-même, car à la fois reconnu en son histoire et en relation avec les autres. Devenu d’ici, car bienvenu d’ailleurs. La Cité-Monde est un Laboratoire. Le Conservatoire se doit de résonner à toutes ses musiques, de battre au tempo de leurs rencontres.

Martial Pardo

Ancien directeur de l’ENMDAD de Villeurbanne (1999-2019)

Doctorant en musicologie, Université Lumière Lyon 2 (Laboratoire de l’IHRIM)

Comme beaucoup de grandes aventures, Instruments voyageurs — Le monde sonne à nos portes, est née autour d’une bonne table. Ce jour-là de l’hiver 2018, trois structures culturelles villeurbannaises déjà complices ont fait le vœu de construire un projet culturel commun, fort des particularités professionnelles de chacune. En tant qu’établissement d’enseignement musical attentif à la diversité culturelle locale, l’ENM rêvait depuis longtemps d’une grande agora réunissant les instruments de musique du monde. En tant qu’association dédiée à la connaissance et à la valorisation des mondes musicaux de la région, le CMTRA se voyait déjà parcourir rues, parcs et immeubles de Villeurbanne, en quête des histoires musicales intimes et collectives que chacun porte en soi.

Et le Rize enfin, lieu hybride dédié aux mémoires sociales et culturelles du territoire, s’enchantait à l’idée d’une exposition et d’une programmation entièrement conçues à partir de récits et d’objets confiés par des habitant·e·s.

Personnage principal de cette saison culturelle commune, l’instrument de musique a été saisi sous toutes ses coutures : en tant qu’objet sonore, production artisanale savante, indicateur de mobilités et d’échanges culturels, en tant qu’écrin à souvenirs personnels ou familiaux, ou encore fidèle compagnon influençant notre façon d’être au monde.

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Vue de l’exposition Instruments voyageurs.

Au terme d’un an et demi de travail collectif, le projet Instruments voyageurs s’est concrétisé sous la forme d’une exposition temporaire déployée dans les murs du Rize de novembre 2020 à septembre 2021 ; d’une extension mobile, graphique et sonore (le Dring - Dispositif Relais Instrumental et Novateur en Goguette) ayant circulé dans plusieurs écoles et structures culturelles du territoire, et enfin d’une programmation de concerts, rencontres, ateliers avec certains des témoins de l’exposition, malheureusement amputée de quelques mois compte tenu des péripéties sanitaires que nous avons traversées.

L’ouvrage que vous tenez entre vos mains et les enregistrements qui l’accompagnent constituent une trace partielle, mais somme toute fidèle, du foisonnement culturel que ce projet Instruments voyageurs nous a permis de révéler et de partager. Y sont rassemblées les voix de Villeurbannais·es ayant accepté de nous confier les souvenirs associés à leurs instruments de musique, mais aussi les regards de chercheurs, artistes et enseignants de Villeurbanne et d’ailleurs qui nous ont accompagnés de près ou de loin tout au long de cette aventure collective. À l’image de la façon dont l’équipe du projet Instruments voyageurs a cheminé pendant près de trois ans, cet ouvrage est un kaléidoscope de points de vue sur l’objet « instrument de musique résidant à Villeurbanne ». Il retrace un parcours de recherche-action collaborative, mais livre aussi des franges méconnues de l’histoire culturelle et sociale de Villeurbanne.

LAURA JOUVE-VILLARD

Chargée de recherche au CMTRA (2015-2021)

VINCENT VESCHAMBRE

Directeur du Rize - Centre mémoires, cultures, échanges de la Ville de Villeurbanne

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