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VILLEURBANNE, « CAPITALE NATIONALE DES FACTEURS D’INSTRUMENTS DE MUSIQUE »

ANNE-MARIE DOLEDEC-GONITZKE • LAURA JOUVE-VILLARD

Trente-cinq ans avant le projet Instruments voyageurs, Villeurbanne avait déjà accueilli une exposition très remarquée réunissant, au sein de l’hôtel de ville, plusieurs grands noms de la facture instrumentale : Savarez, Adège, Cavagnolo, Bratti… autant de noms d’ateliers qui s’étaient installés plus ou moins durablement à Villeurbanne et qui partageaient une histoire commune, celle de l’immigration italienne dans la métropole lyonnaise.

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Bien connues des guitaristes, les cordes Savarez fabriquées en boyaux, puis en nylon et enfin en métal, élurent domicile à Villeurbanne au début des années 1970, avant de déménager à Caluire-et-Cuire. Du nom de la famille italienne Savaresse, cette petite entreprise lança également la première fabrique française de flûtes à bec en bois, travaillant les essences rares (buis, érable, olivier) avec une grande exigence : les flûtes Adège.

Au cœur du quartier des Charmettes, à l’ouest de la ville, c’était le son des accordéons qui résonnait dans les ateliers fondés par Domenico Cavagnolo et qui s’échappait de l’appartement du musicien et pédagogue Célino Bratti, lui aussi facteur d’accordéons. Nombre d’instruments historiques composés entre leurs mains présentent l’inscription « Lyon-Villeurbanne » sur la grille ou le boîtier en bois laqué. Une mention alors gage d’authenticité.

Et enfin, à l’est de la ville, à cheval entre les quartiers de la Perralière et Grandclément, c’était des orgues que l’on restaurait : les Dunand pères et fils y avaient installé leur manufacture, de laquelle sortaient les tubes et souffleries destinés à ces majestueux instruments de toutes esthétiques, de l’orgue classique au néo-baroque, en passant par l’orgue romantique.

Avec cette concentration de manufactures instrumentales renommées sur le territoire, Villeurbanne méritait bien son titre de « capitale nationale des facteurs d’instruments de musique », comme l’écrivait en 1985 la mairie de Villeurbanne à l’occasion de cette toute première exposition dédiée aux instruments de musique de la ville. De nos jours, cet héritage industriel et culturel, en partie lié à l’histoire de l’émigration italienne depuis les années 1920, ne se déchiffre plus sur les murs de la ville et ne résonne plus derrière le zinc des troquets villeurbannais. Mais il est encore timidement présent dans les mémoires ; notamment celles des enfants et petits-enfants ayant participé à l’âge d’or de la « boîte à frissons »… c’est-à-dire l’accordéon !

VILLEURBANNE, TERRE DU « PIANO À BRETELLES »

ANNE-MARIE DOLEDEC-GONITZKE • LAURA JOUVE-VILLARD

Rien ne peut indiquer au passant traversant aujourd’hui le quartier des Charmettes, à l’ouest de Villeurbanne, qu’au beau milieu de la rue Jean-Claude-Vivant siégeait jadis un haut lieu de l’histoire musicale de la métropole lyonnaise. Au numéro 48, derrière la façade rosée et les lambrequins typiques de la capitale des gones, on cousait depuis 1924 des soufflets en satin, on accordait des lamelles métalliques, on sculptait des enjoliveurs et on laquait des milliers de boutons : bref, on fabriquait des accordéons !

Et pas n’importe lesquels : l’entreprise Cavagnolo, fondée en 1904 dans le petit village piémontais de Vercelli, puis délocalisée à Villeurbanne après la Première Guerre mondiale et l’arrivée au pouvoir de Mussolini, demeure aujourd’hui mondialement réputée pour son savoir-faire. En France, les plus grandes vedettes du « piano à bretelles » ne juraient que par cette petite entreprise villeurbannaise : Marcel Azzola, Yvette Horner, André Astier… Les Cavagnolo étaient des artisans de renom, mais ils étaient aussi des musicien·ne·s passionné·e·s : dans le petit café jouxtant l’atelier, se réunissaient ainsi régulièrement les membres de la Société des accordéonistes lyonnais fondée en 1928. Quand les ateliers Cavagnolo déménagèrent dans la rue d’Alsace voisine, le café des accordéonistes demeura un point de rendez-vous privilégié des musiciens populaires de la métropole. Le programme de chaque concours international d’accordéons de Villeurbanne se préparait ici, un événement qui pouvait réunir jusqu’à six cents musicien·ne·s sur la scène du célèbre Palais d’Hiver, situé aux abords du parc de la Tête d’Or, côté Villeurbanne. Avant sa destruction en 1988, il n’était rien de moins que le plus grand music-hall d’Europe.

Portraits des frères Pietro et Ermanno, fabricants de la célèbre marque d’accordéons Cavagnolo Lyon-Villeurbanne, avec leur instrument, carte postale, non datée.

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Archives municipales de Villeurbanne – Le Rize

Toujours dans ce même quartier des Charmettes, dans la rue parallèle Alexandre-Boutin, vivait et travaillait un autre grand nom italien de l’accordéon français : Célino Bratti. Compositeur, professeur et facteur, il eut un rôle déterminant dans l’élévation de cet instrument souvent jugé ringard au rang de véritable instrument de concert. Jusqu’à la fin des années 1990, ont été écrites et éditées des centaines de partitions de sérénades, valses, tangos ou études que les jeunes accordéonistes retrouvent encore aujourd’hui dans leurs manuels.

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