2000 ANS DE PASSAGES
éditorial
Danielle HugonPRÉSIDENTE DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA HAUTE-AUVERGNE
L’exposition que nous propose le musée de la Haute-Auvergne, Musée de France de la ville de SaintFlour (Cantal), évoque l’histoire des mobilités sur les hautes terres cantaliennes bien avant l’époque gauloise jusqu’à nos jours, en partant des collections patrimoniales sanfloraines, mais aussi d’objets empruntés à d’autres musées. Son parcours nous montre que les tensions habituelles entre récits, croyances et préjugés ne résistent pas aux investigations des chercheurs en quête de traces fiables pour mieux comprendre la vie de ces populations montagnardes.
On y retrouve le reflet de la grande histoire avec ses déclinaisons locales et ses décalages. Mais on y découvre, en creux, que ces retards souvent imputés au conservatisme d’une population repliée sur ellemême traduisent surtout le résultat de choix politiques extérieurs et de partis pris négatifs. Les priorités nationales ont été orientées bien davantage sur la desserte des pays de plaines que sur celle des zones montagneuses, où relief et hivers rudes multipliaient les difficultés techniques et augmentaient le coût des chantiers. Le Massif central offrant la particularité d’être un obstacle naturel aux grandes voies de communication, il était beaucoup plus simple de le contourner…
Double pénalisation pour une Haute-Auvergne faiblement urbanisée, peu industrialisée, dont l’économie reposait essentiellement sur la valorisation des produits agricoles, mais aussi sur l’importation des marchandises qui lui faisaient défaut. Aujourd’hui nous disposons d’une infrastructure routière de qualité. L’autoroute A75 a sensiblement augmenté l’attractivité du pays de Saint-Flour et de l’est Cantal. Le développement local appelle désormais d’autres formes de mobilité liées aux technologies numériques qui se jouent du temps et des distances. L’intégration territoriale des porteurs de projets et d’activités, celle des collaborateurs dont ils ont besoin et de leurs familles, interpelle non seulement l’offre d’emploi, la qualité des services éducatifs, de santé ou de loisirs, mais aussi le dynamisme de la vie culturelle.
Merci aux équipes patrimoniales, aux archéologues et historiens d’avoir rétabli l’histoire d’une HauteAuvergne ouverte depuis toujours sur les provinces voisines comme sur les destinations plus lointaines.
avant-propos
Vincent FlauraudMAÎTRE DE CONFÉRENCES, UNIVERSITÉ CLERMONT-AUVERGNE, CENTRE D’HISTOIRE « ESPACES ET CULTURES »
Dans les années 1980, un conférencier cantalien avançait que son département était celui qui avait le plus long réseau routier, tous types de routes confondus — ce qu’il expliquait par la desserte de nombreux hameaux, dans un relief multipliant les lacets. Vérification faite, le Cantal n’est que 58e ; en rapportant son réseau routier à sa superficie, il est même rétrogradé à la 65e place, clairement après le milieu du tableau1. Ce n’est qu’en calculant le nombre de kilomètres par habitant (72) qu’il se singularise, à la troisième place derrière la Lozère et la Creuse. Cette dernière distinction, toute relative, n’est que la résultante de la dépression démographique qui s’est installée dans le Massif central à l’époque contemporaine. Mais elle joue sans doute pour faire naître et pour rendre potentiellement crédible ce type d’assertion. La charge financière par habitant que représentent les routes dans le budget des collectivités y est forcément majorée, indépendamment des réformes de 1930, 1972 et 2005 qui ont vu osciller la tutelle de certains tronçons.
Zone périphérique par rapport aux pôles les plus actifs de l’économie du pays, en plus d’être un espace montagnard, cette partie du Massif central cumule les handicaps, qui l’éloignent de l’accès aux infrastructures normalisées du moment — mis à part le ruban autoroutier issu du plan Massif central de 1975, au statut ambivalent (est-ce d’abord une route pour les Auvergnats, ou un itinéraire de délestage pour les jours de grandes migrations vacancières nationales ?). La route, ici, peut sembler écartelée entre deux perceptions : elle est à la fois très présente (comme charge financière ou comme contrainte physique) et jugée trop peu présente (comparativement à des régions densément maillées en équipements routiers de haute qualité). Les élus, les habitants, se plaignent ainsi, de façon récurrente, de l’« enclavement » de ce sud de l’Auvergne.
La longue durée permet de prendre ses distances vis-à-vis de la tentation facile d’expliquer un enclavement par des causes « naturelles » — le relief, en particulier — et d’en faire un état immémorial. L’archéologie nous a appris à repérer les indices d’échanges de biens à longue distance dès les périodes très anciennes. Les connexions entre le sud de ce qui est devenu l’Auvergne et le reste du continent, voire de l’espace méditerranéen, sont attestées dès l’Antiquité. Jamais il n’y a eu là un isolat, même si la densité des relations extérieures a pu varier dans le temps. La route, même à l’état de chemin, relie, ouvre sur l’ailleurs. Il est possible, à pied ou à dos d’animal, de s’en passer, certes ; mais la fréquence des marqueurs de propriété (les murets, les haies), qui sont autant d’obstacles hors des sentiers balisés, tout comme la nécessité pour le voyageur de gérer les incertitudes du déplacement (savoir où l’on est, pouvoir se restaurer, faire étape), confèrent à la route un magnétisme qui forge son rôle structurant.
Certes, l’absence, en Haute-Auvergne, de voies significativement navigables, a pu constituer un handicap relatif tant qu’elles ont été privilégiées pour le transport, c’est-à-dire jusqu’à l’essor du chemin de fer. Mais les réseaux routiers terrestres, longtemps, ne présentaient guère d’écarts marqués dans la distance-temps qui leur était attachée. C’est bien la modernité de la fin de l’Ancien Régime qui, en développant grâce au corps des Ponts et Chaussées un réseau normé d’échelle nationale, centralisé, a introduit des hiérarchies de plus en plus marquées, qui ont forgé puis accentué de plus en plus un isolement routier du sud du Massif central, comme le montre le travail, à base d’anamorphoses, d’Anne Bretagnolle, Alain Franc et Nicolas Verdier. L’enclavement cantalien est un phénomène relatif, et d’une certaine façon une « conquête récente ».
La route2, prise au sens large d’espace longiligne aménagé pour le déplacement, est donc bien plus que le canal qu’empruntent, plus ou moins vite, les êtres et les biens. Elle sépare en même temps qu’elle relie. Étymologiquement, le terme vient d’ailleurs de « rupta », soit « rompue, brisée ». Elle structure le territoire en distinguant des entités. Elle est à la fois élément de la maîtrise et du fonctionnement de l’espace, organisant les polarisations. Elle contribue à lui conférer son identité, sans cesse réécrite : après tout, un paysage se regarde, se découvre, le plus souvent depuis la route. Elle intéresse tant l’historien des techniques que de l’économie, du social ou des représentations3. La route est une matérialité ; elle est aussi porteuse d’un imaginaire.
2 Le mot, en soi, ne s’est diffusé en français qu’à compter du XVIIIe siècle. Voir Céline Perol, « Cheminement médiéval : l’homme, l’historien et la route » dans Jean-Luc Fray et C. Perol (dir.), L’Historien en quête d’espace, Clermont-Ferrand, 2004, p. 91-108.
3 Quelques repères : Les routes du Sud de la France, de l’Antiquité à l’époque moderne, Paris, CTHS, 1985 ; « Qu’est-ce qu’une route ? », Les Cahiers de médiologie, n° 2, 1996 ; Georges Reverdy, Histoire des routes de France, du Moyen Âge à la Révolution, Paris, 1997 ; Georges Livet, Histoire des routes et des transports en Europe. Des chemins de Saint-Jacques à l’âge des diligences, Strasbourg, 2003 ; Céline Pérol (dir.), dossier « Faire la route », Siècles, t. 25, 2007. Ou plus indirectement : Antoine de Baecque, Une histoire de la marche, Paris, 2016.
Coupe en céramique
Céramique sigillée, Type DRAG 37. 40-60 apr. J.-C. Graufesenque - Millau (Aveyron) - Roffiac (Cantal) Musée de la Haute-Auvergne, inv. en cours
Vaisselle en terre cuite de grande qualité, la céramique sigillée figure sur toutes les bonnes tables de l’Empire. Les ateliers de la Graufesenque, près de Millau, ont littéralement inondé le monde romain de leur production variée. Rassemblant des centaines d’artisans, ils ont exporté en Europe de l’Ouest, des Pays-Bas au Portugal, puis en Afrique du Nord, dans les Balkans et jusqu’au Proche-Orient (Syrie, Israël, Palestine).
Rien d’étonnant donc à trouver cette coupe près de SaintFlour, ville-étape proche du lieu de production située sur la route commerciale des sigillées vers les provinces romaines plus au nord.
Intaille
Cornaline (agate rouge), Ier - IIe siècle apr. J.-C. Puy de Mathonière, Allanche (Cantal).
Coll. Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac, inv. 986.17.1
La Victoire, déesse tutélaire de l’Empire romain, tient les rênes d’un bige, char à deux roues généralement utilisé pour la course, attelé de deux chevaux de front.
L’un d’eux relève la tête, dans un mouvement très réaliste exécuté avec une grande finesse sur une si petite surface (11 millimètres).
Cette gemme taillée a été mise au jour à 1 250 mètres d’altitude en pleine montagne, sur le plateau du Cézallier, à quelques mètres des vestiges d’un fanum, un temple gallo-romain. Ce sanctuaire de sommet aurait voisiné avec le carrefour de deux importantes voies de passages : la route est-ouest de Brioude à Figeac, la Via Celtica des Romains, et le grand chemin de pénétration sud-nord depuis le Languedoc, les Cévennes, les Causses et la Planèze de Saint-Flour.
Des foires ont pu s’y tenir, des marchands y rencontrer leurs clients, de toutes classes et origines. Ce qui pourrait expliquer la présence de cet objet raffiné dans une zone aujourd’hui dépeuplée.
LES ROUTES MÉDIÉVALES 2
L’Empire Romain d’Occident se dissout au cours du Ve siècle au fil d’incursions puis d’installations de plus en plus longues des peuples « barbares » de l’Est en son sein.
Les rois francs fondent de nouvelles capitales dans l’ancienne Gaule (500-750) : Paris, Orléans, Tours, bien reliées entre elles. Loin de ces foyers politiques et économiques, les seigneurs locaux abandonnent le réseau routier. Les villageois récupèrent les pierres des chaussées romaines, démontent les accotements pour gagner de la surface cultivable.
Charlemagne maintient encore une partie du maillage routier pour faire circuler ses émissaires de poste. Mais les grands défrichements forestiers de l’An Mil auront finalement raison du réseau romain : le paysage s’ouvre, des villages se créent sous la poussée démographique. Il faut unir, au plus près, les nouveaux points habités, les nouvelles forteresses.
Un « chevelu » complexe et enchevêtré de chemins, routes et voies toutes de même importance, se dessine, impossible à reconstituer en Auvergne en l’absence de cartes.
Entre deux mêmes points, il n’existe plus une route, mais parfois trois ou quatre, aléatoires et variables selon les conditions climatiques, les circonstances politiques et les dangers du moment.
La route est-ouest par le Plomb du Cantal, itinéraire protohistorique de passage de la montagne, subsiste sur le nom de grande Estrade du Cantal. Elle va être utilisée par les voyageurs médiévaux et modernes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Ce sera longtemps la route la plus directe de franchissement à pied du Volcan, de Saint-Flour à Aurillac. Sur cet itinéraire, s’embranche à Murat la route venant de Limagne, au nord, par les hauts plateaux du Cézallier.
Un autre grand itinéraire joint Saint-Flour à Toulouse, par Chaudes-Aigues et la vallée de la Truyère. Toulouse, capitale des Plantagenêt et de l’Aquitaine, aire d’influence dans laquelle se situe toute l’Auvergne jusqu’au XIIIe siècle.
Troisième grand itinéraire de la période, le « Chemin français ». Cet itinéraire Paris - Aigues-Mortes (et ses salins) par Le Puy et Nîmes draine la majeure partie
des voyageurs nord-sud, avant le rattachement de la vallée du Rhône à la couronne de France au XIVe siècle. Ainsi la Haute-Auvergne est-elle quasiment située à une intersection de routes nord-sud et est-ouest.
Routes de pèlerinages
Les paysans ne dépassent guère les 5 ou 10 km autour de leur foyer, sauf nécessité, tandis que les grands ecclésiastiques, aristocrates et gens d’armes, émissaires du roi et diplomates, sillonnent le pays et l’Europe.
Des itinéraires de longs parcours conduisent aux centres de pèlerinages qui émergent à partir du Xe siècle sous l’impulsion des grands ordres monastiques, tel Cluny. Ainsi celui de l’apôtre saint Jacques, à Compostelle. Vers 1140, le Guide du Pèlerin (Iter pro peregrinis ad Compostellam) décrit quatre principaux « chemins de Saint-Jacques ». La Via Podiensis, la voie venant du Puy-en-Velay, traverse l’Aubrac, au sud de la Haute-Auvergne.
Une route par Saint-Flour et Aurillac permet de vénérer au passage les miraculeuses reliques de Sainte-Foy à Conques et celles de Notre-Dame de Rocamadour. Dans le sens inverse, elle conduit les pèlerins venus du Sud-Ouest au sanctuaire du Puy-en-Velay pour y vénérer la Vierge noire. Il existe en réalité autant de routes que de pèlerins, qui se regroupent et suivent leur propre itinéraire au gré de la piété et du gîte.
À partir du XIVe siècle, le pèlerinage vers Notre-Dame de Montserrat en Catalogne emprunte le Chemin de France en Languedoc — de Paris à Perpignan, par Saint-Chély, Lodève, Narbonne. 153 bourgeois de Saint-Flour (dont 15 femmes) s’élancent ainsi en 1582 pour 650 kilomètres et 43 jours de marche…
Marchands, commerce et péages
Par cette route à travers la montagne, empruntée de l’ouest vers l’est, puis vers le nord, dès le début du XIIIe siècle, les marchands du Cantal se rendent aux grandes foires d’Île-de-France et de Champagne. À Provins, Lagny et Troyes, Aurillacois et Sanflorains vendent cuirs et fourrures, lainages et chevaux du Cantal, déjà réputés. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, on les retrouve en Bourgogne, au début du XVe à Genève et en Dauphiné. À plus petite distance, ils vont aux foires renommées de Saint-Flour, d’Allanche, de Montferrand.
Les chemins de terre qu’ils empruntent, sans fondations, sont, au mieux, recouverts de caillasses et non drainés. C’est seulement lorsque la route se resserre au passage de ponts, construits en pierre à partir du Xe siècle, qu’elle est pavée.
À Saint-Flour, la chaussée du pont sur l’Ander, au pied de la falaise, est réservée au roulage et aux caravanes de mulets. Une charpente en bois en débord au-dessus de l’eau forme une voie réservée aux piétons. Une tour défend le pont côté route, puis une porte côté ville.
S’ils veulent accéder à la ville et à ses foires, les marchands venant de l’est et circulant sur l’axe nord-sud, parvenus au pied de la falaise de SaintFlour, doivent payer la taxe pour emprunter le pont et traverser l’Ander. Les droits perçus sur les marchandises et animaux sont destinés à l’entretien du pont. Seuls les pèlerins en sont exemptés.
Huile sur toile. Musée d’art et d’archéologie d’Aurillac, inv. 853.5.1
Coquilles et enseigne sur la capette, bâton, chapelet… ce pèlerin affiche tous les attributs du voyage à Compostelle, dont on distingue le sanctuaire en arrière-plan.
Les hommes voyagent très majoritairement à pied, les pèlerins pour obtenir leur pénitence, les autres pour des raisons économiques : les pâtres du Quercy, les faucheurs de la châtaigneraie cantalienne viennent se louer sur la Planèze de Saint-Flour, les clients des foires viennent acheter chevaux, bétails, vin, blé… Les plus fortunés voyagent à dos de cheval ou de mule, les aristocrates en litières aménagées, portées par hommes ou chevaux, parfois en chariot à quatre roues. On avance lentement, 10 à 15 km par
jour, car les chars s’embourbent, sauf sur les très rares portions empierrées à proximité des villes. Et l’on se regroupe pour se protéger des pillards dans un pays encore largement couvert de vastes forêts.
La grande Estrade du Cantal
Du latin strata, chemin de grand parcours, la grande Estrade part de Murat, gagne Bredons, Prat-de-Bouc, passe le col de la Tombe du Père à 1 586 m, au pied du Plomb du Cantal, puis suit les crêtes orientales de la vallée de la Cère jusqu’à Curebourse, Saint-Jacques-des-Blats, et Aurillac. C’est cet itinéraire que le pape Urbain II venant de Clermont emprunte de SaintFlour à Aurillac en décembre 1095 et saint Géraud d’Aurillac, en sens inverse, pour se rendre à Rome. La neige et les vents violents interrompent souvent le passage l’hiver durant plusieurs mois.
Châsse-reliquaire saint Thomas Beckett
Chêne, cuivre, émail champlevé. Dernier quart du XIIe siècle. Limoges (Haute-Vienne) - Le Vigean (Cantal). Commune du Vigean, en dépôt au Musée de la HauteAuvergne, inv. 2008.0.2. Classé Monument Historique le 21-10-1902.
En 1170, durant la nuit du 29 décembre, alors qu’il célèbre la messe dans sa cathédrale, l’archevêque de Canterbury Thomas Becket est assassiné par quatre chevaliers aux ordres d’Henri II Plantagenêt roi d’Angleterre. Cet événement, qui voit un homme d’Église s’opposer au nom de la religion chrétienne à l’absolutisme du pouvoir royal, retentit dans toute l’Europe. Un vaste mouvement de vénération populaire, parti de Canterbury dès le 31 décembre, s’étend à l’Angleterre tout entière puis au continent. Bientôt des pèlerins affluent en grand nombre pour prier sur le lieu de l’assassinat, dans un rayon de 500 km au nord de Canterbury et de près de 700 km au sud, jusqu’à Bergerac et Le Puy-en-Velay. En Périgord, Limousin, Auvergne, des cultes locaux naissent autour des reliques de saint Thomas partagées et distribuées dans toute l’Europe. Des châsses sont commandées pour les abriter dans les églises de France, d’où leur nom de « châsse-reliquaire ». Limoges, centre de production d’objets en émail champlevé, en réalise une importante série de 1185 à 1220. Celle de Saint-Laurent du Vigean (Cantal), l’une des cinquante-deux actuellement répertoriées dans le monde, est sans doute l’une des premières réalisées. Sur la face avant, l’archevêque prie face à l’autel tandis qu’un soldat anglais lui tranche la gorge. La main de Dieu sortant des nimbes esquisse un geste de bénédiction. Les motifs en forme de disques et les frises de couleurs, dans une gamme chromatique variée (bleu ultra mer, bleu, blanc, vert, jaune, rouge, noir) sont typiques de la peinture romane.
1 Coffre de portage
Chêne sculpté, XVIe siècle, Auvergne. Musée de la Haute-Auvergne, inv. MHA 1982.24.1
Les coffres et malles de voyage remontent à l’époque phénicienne. Au XVe siècle, il en existe en osier et en bois massif, tel celui-ci, à couvercle bombé, dit à dos d’âne, pour permettre le ruissellement de l’eau. Le volume de contenance, donc des possessions, et la qualité du décor sculpté typiquement gothique, indiquent l’appartenance de cet objet à une personne fortunée, de haut rang social.
2 Enseignes de pèlerinage, XVIIIe et XVIe siècles
Plomb, étain. Le Puy-en-Velay. Musée Crozatier. inv. 2002.62.25 - 1937.1.116 - 1945.445
Enseigne. Livrée d’un pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle. XVIIe siècle.
Musée d’art et d’archéologie d’Aurillac, inv. 973.2.1 —
Des sanctuaires visités, les pèlerins rapportent des souvenirs, telles ces enseignes bon marché de la Vierge noire du Puy, fixées sur le chapeau ou la cape. La coquille Saint-Jacques (Pecten maximus) abondante sur les côtes de Galice, protège aussi le pèlerin sur sa route de retour. Au fil du temps, elle devient le symbole de tous les pèlerinages. Celle-ci, découverte en 1944 parmi 17 autres autour de la tête d’un défunt enterré dans l’église SaintGéraud d’Aurillac, porte un ornement en plomb découpé, qui représente le sanctuaire de Compostelle : une grille à sept linteaux, surmontée du saint en livrée de pèlerin. À droite, la Vierge avec l’Enfant dans les bras, à gauche saint Pierre.
3 Flacon en cristal de roche en forme de lion et florin d’or
Quartz hyalin monolithe, XIe-XIIe siècle, Le Caire (Égypte) ; florin au baptiste, Naples (Sicile) 1343-1347, ou Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône) 1372. Dépôts de la commune d’Albepierre-Bredons (Cantal), Musée de la Haute-Auvergne, inv. MH 1954.9.7 et inv. en cours —
Découvert dans les années 1930 dans le cimetière de Bredons, important prieuré clunisien à 20 km de Saint-Flour, ce florin d’or porte les armes de Charles d’Anjou, roi de Sicile. Dès le XIIIe siècle, le florin s’impose comme monnaie commune et, véritable euro avant l’heure, circule dans tous les royaumes européens. De Bredons provient aussi ce lion, sculpté en Égypte sous le règne des Fatimides (969-1171), offert par le vicomte de Murat à son retour de la IIIe croisade. Cette pièce de prestige, rapportée de Terre sainte, est un exemplaire unique dans les collections publiques françaises.
Carte générale des montagnes de la Haute-Auvergne, par le Sr de Clerville
Papier chiffon, encre. 1670. Bibliothèque du Patrimoine Clermont métropole, CA Del 1743.
La Planèze de Saint-Flour est ici cartographiée pour la première fois. Des localités placées à vue d’œil, une échelle peu fiable, des ponts, mais pas de routes… Seuls cours d’eau et montagnes sont précis !
Carte de la frontière séparant, en Haute-Auvergne, les pays rédimés des pays de petite gabelle
Gravure aquarellée, XVIIe siècle.
Archives départementales du Cantal, 365 F 7, n° 21
Depuis 1454, l’Auvergne est traversée par une frontière sud-ouest/nord-est. À l’ouest, les « pays rédimés » peuvent acheter librement leur sel à bas prix en Poitou ; à l’est, les pays de « petite gabelle » (Saint-Flour, Murat, Brioude) doivent continuer à l’acheter plus cher en Languedoc. La contrebande explose. Tandis que le sel « officiel » arrive par le Grand Chemin de France en Languedoc au grand jour, le sel clandestin emprunte de nuit les sentiers de montagne.
EN VOITURE ! 4
Jusqu’à l’apparition du réseau routier des années 1950, le réseau créé durant le XVIIIe siècle reste le fondement de la circulation. La République, puis l’Empire le complètent et le perfectionnent pour des raisons militaires et économiques. Routes impériales et départementales sont créées en 1811. Les premières reprennent les routes royales, élargies à 13 mètres ; 32 000 km de routes départementales sont désormais à la charge des départements et des communes. En Auvergne, les travaux sur l’axe principal SaintFlour - Aurillac se poursuivent et le tunnel routier du Lioran ouvre en 1848. Il n’est plus nécessaire d’affronter le Col de Font-de-Cère. On peut désormais franchir la montagne en hiver !
Le maillage du réseau s’affine
La voirie rurale obtient à son tour un véritable statut en 1836. Les chemins vicinaux se classent, par ordre décroissant d’importance, en « chemins de grandes communications, d’intérêt commun » et « ordinaires ». L’apparition du rouleau compresseur, employé pour stabiliser les couches de pierres cassées facilite le transport des marchandises, qui lorsqu’elles « n’étaient pas transportées à dos, l’étaient à dos de mulet par des muletiers conduisant à la file 15 à 20 de ces animaux », écrit Sers, préfet du Cantal, dans les années 1820.
Jusqu’à l’aube du XXe siècle, on continue à croiser sur les routes d’Auvergne les convois de bêtes de somme, ânes, mulets ou chevaux, voisinant avec les attelages de vaches et de bœufs, les colporteurs, marchands de draps, représentants de commerce, qui marchent à pied.
La circulation se densifie, au fur et à mesure que progressent l’avancée du chemin de fer, l’industrialisation, le commerce et que s’amplifient les émigrations, vers l’Espagne — la moitié des boulangers de Madrid sont auvergnats au milieu du XIXe siècle — aussi bien que vers les grandes villes françaises, Paris en tête.
De la diligence à l’autobus
Sur ce réseau rénové, circule une grande variété de voitures de transport collectif de voyageurs. Les « messageries », relais de poste privés, déjà bien installés au XVIIIe siècle, prospèrent.
En 1826, Clermont-Ferrand est à quatre jours de diligence de Paris. Chaque matin à 9 h une berline part de là pour Massiac, Saint-Flour, Rodez et Albi. De Saint-Flour à Aurillac, il faut compter une journée. Ces diligences, qui se sont perfectionnées depuis la fin du XVIIIe siècle sont partout, surtout après la disparition de la malle-poste, de la Poste aux chevaux en 1873. Le XIXe siècle en constitue l’âge d’or ; elles règnent sur les routes jusque dans les années 1920, gardant toute leur importance même après l’arrivée du train, pour transporter les voyageurs sur de courtes distances, en ville comme à la campagne. Au début du XXe siècle, on les voit attendre dans les cours des gares, où les bicyclettes voisinent avec des calèches, les charrettes attelées côtoient les premiers autobus.
La montée des orgues à Saint-Flour en 1821, détail. Étienne-Jean Delécluze (1781-1863), Album de dessins de vues d’Auvergne
De Neussargues, gare terminus, rayonnent les services de redistribution des marchandises. À partir de 1910, deux autobus de 10 places desservent Pierrefort et ChaudesAigues. La diligence dessert Allanche et Condat. Le taxi se fait encore à cheval.
C’est entre 1900 et 1930 environ que la traction animale cède peu à peu la place à la traction mécanique. Le moteur à essence de pétrole, mis au point vers 1864, gagne en premier les véhicules utilitaires, fourgonnettes, estafettes, camions, pour transporter les marchandises vers les gares justement, puis les transports en commun de voyageurs. L’autobus supplante les dernières diligences vers 1925. En parallèle, la voiture individuelle se développe : Panhard et Levassor commercialisent la première voiture quatre places ; en 1900, la France compte 3 000 voitures privées, le Cantal, 3. Dès 1919, la fabrication en série, venue des États-Unis, est appliquée à la Citroën Type A.
Dans les années 1930, les routes poussiéreuses de campagne sont enduites d’asphalte. Les routes apparaissent plus nettement dans les paysages. De bien de luxe au début du XXe siècle, l’automobile se démocratise et devient un bien de consommation de masse à partir de 1945. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le développement du niveau de vie des Français permet au tourisme individuel de prendre son essor, d’autant que depuis l’instauration des congés payés en 1936, le tourisme n’est plus réservé aux seules classes sociales aisées. La Nationale 9 s’impose comme la route des vacances vers le sud à travers le Massif central, comme la Nationale 7 dans la vallée du Rhône. Vers la mer Méditerranée, l’insouciance des congés et des lendemains qui chantent.
1 Le Courrier de Chaudes-Aigues
2 Autobus de la société Darracq-Serpollet
Photographies sur plaque de verre au gélatinobromure d’argent. Début XXe siècle et 31 juillet 1906. Musée de la Haute-Auvergne, inv. 2014.0.2.0.214 et 2014.0.2.0.031.
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En 1904, cette diligence assure le transport collectif des voyageurs descendus en gare de Saint-Flour vers Chaudes-Aigues, à 28 km, en trois heures. Mais davantage s’il neige, pleut ou vente. On s’arrête aux Ternes, à Peyrelarde et Cordesse pour laisser descendre et monter les passagers. À Chaudes-Aigues, on change de chevaux avant de poursuivre en direction de l’Aubrac, vers Lacalm et Laguiole.
La station thermale est alors en plein essor et ces trois heures de voyage paraissent bien trop longues aux curistes. Le 31 juillet 1906, la société Darracq-Serpollet tente une liaison avec l’un de ses nouveaux autobus, reconnaissable à leurs roues peintes en rouge et leur carrosserie jaune. L’essai est concluant, une Société anonyme des Transports Automobiles Saint-FlourChaudes-Aigues, fondée le 19 janvier 1907, en acquiert aussitôt trois, de 30 CV, livrés à Saint-Flour le 24 mai 1907.
Cette photographie est issue d’un reportage consacré à cette journée de démonstration. L’autobus stationne dans la cour de la gare de Saint-Flour entre une diligence et une voiture attelée particulière. Des stores intérieurs protègent du soleil, un escalier extérieur arrière permet d’accéder à une plate-forme, où ont pris place femmes à ombrelles et messieurs chapeautés. Et si le prêtre se penche avec tant d’intérêt pour examiner l’avant du véhicule, peut-être est-ce parce que le moteur Serpollet fonctionne à la vapeur. Cinq ans plus tard, en 1912, l’usine Darracq-Serpollet mettra la clé sous la porte, le moteur à explosion s’étant imposé à tous les autres.
3 Chaudes-Aigues. Arrivée de l’autobus au garage des diligences
Papier cartonné imprimé. Entre 1906 et 1912. Archives municipales de Saint-Flour.
1 Guide rouge Michelin 1900, 1914 et 1929
Collection du Patrimoine Historique Michelin (Clermont-Ferrand), © Michelin
Alors que la France compte moins de 3 000 automobilistes, Michelin édite en 1900 un petit livre de 400 pages, le Guide Michelin, destiné à faciliter leur voyage en fournissant tous renseignements pour approvisionner et réparer la voiture, se loger, se nourrir…
En 1926 s’ajoute une collection de guides touristiques régionaux, ancêtres des actuels Guides Verts Le premier titre de la collection concerne la Bretagne. Celui consacré à l’Auvergne paraît en 1929. S’adressant à un public d’automobilistes, donc aux classes plutôt aisées de la société, son contenu est orienté vers le tourisme automobile et la culture.
Avec l’émergence des congés payés en 1936, le lectorat évolue : le Guide intègre dès lors les loisirs populaires (excursions, sport, camping…).
2 Itinéraire 43. Guide rouge Michelin 1930, détail
3 Carte routière Michelin État des routes. 1930
Collection du Patrimoine Historique Michelin (Clermont-Ferrand), © Michelin
En 1910, Michelin commercialise un nouveau modèle de carte, à l’échelle 1/200 000e qui offre un niveau de détail satisfaisant tout en ne conservant que les données intéressantes pour l’automobiliste. Le pliage en accordéon permet de la consulter « comme un livre » au fur et à mesure du voyage.
Au milieu des années 1920, de nouvelles indications touristiques apparaissent et, les automobilistes étant de plus en plus nombreux, Michelin décline au tout début des années 1930 une nouvelle collection de cartes thématiques, dont celle-ci consacrée à l’état des routes, remise à jour trois fois par an : au printemps, en été, en hiver.
Collection du Patrimoine Historique Michelin (Clermont-Ferrand), © Michelin
Depuis 1898, Bibendum — le bonhomme de pneus — fait passer des messages aux automobilistes, gourmets et voyageurs. Il est ici mis à contribution en se parant des caractéristiques folklorisées de l’Auvergne, promue dans le guide vert.
Papier cartonné, imprimé, vers 1945. Archives municipales de Saint-Flour et inv. MHA 2014.0.316
Les Trente Glorieuses, trente ans de développement économique qui suivent la Libération, voient tripler le nombre de voitures produites. Tout un univers culturel se construit à partir de la large diffusion de l’automobile, concomitante à celle de la radio, de la télévision, des réfrigérateurs. Elle évoque alors la liberté retrouvée de se déplacer, la jeunesse, l’ivresse de la vitesse et la modernité.
4 Le Cantal centre de vacances, Raymond Chalier
Gouache sur papier. Après 1946, inv. MHA 1970.98.1
(PAGES SUIVANTES) Affiches promotionnelles
Lithographies sur papier. 1923 et 1929. Musée de la HauteAuvergne, inv. MHA 1985.2.1 et 2009.0.204
1 Construction du chemin de fer
Plaque de verre au gélatinobromure d’argent. Vers 1905. Musée de la Haute-Auvergne, inv. MHA 2014.0.2.0.100
Une équipe de construction du chemin de fer achemine une locomotive à travers les faubourgs de Saint-Flour en démontant les rails derrière son passage puis en le remontant devant elle.
Au vu de la date du cliché, il pourrait s’agir des travaux de l’éphémère ligne Saint-Flour - Brioude (1910-1941), dont le coût considérable ne lui permettra jamais de trouver sa rentabilité.
2 Saint-Flour — La gare
Plaque de verre au gélatinobromure d’argent. Vers 1905. Musée de la Haute-Auvergne, inv. MHA 2014.0.2.0.138
Les gares jouent un rôle social important, lieu de brassage, de rencontre entre le personnel du chemin de fer, les facteurs, les voyageurs. Elles s’articulent autour d’un bâtiment central, abritant billetterie, salles d’attente et service bagages et d’une halle suffisamment vaste pour laisser évacuer les vapeurs des locomotives. Au fil du temps, des services se rajoutent : salles d’attente pour les 3e classes, messagerie, boutiques, restaurant, hôtel.
De Saint-Flour, à partir de 1888, le train est direct vers Perpignan. Avec une correspondance à Neussargues, on rejoint directement Paris via Bort-les-Orgues, Clermont via Arvant, Toulouse via Aurillac. Une liaison vers Brioude est aussi assurée de 1910 à 1939.
Noter les bagages très divers sur le quai (carton à chapeau, valises en cuir et en osier) et l’uniforme du chef de gare, reconnaissable à son képi.
3 Affiche promotionnelle pour le viaduc de Garabit sur la Truyère
Dessinateur E. Paul Champseix. Papier, encre. 1909. Musée de la Haute-Auvergne, inv. MHA 1948.18.1
Le viaduc ferroviaire de Garabit est inauguré le 26 avril 1884 : il permet au train de franchir les gorges de la Truyère à 125 mètres de hauteur et de relier ainsi Paris à Béziers. Sa construction par Boyer et Eiffel est un exploit technique, qui le rend rapidement célèbre, l’érige en symbole de l’Auvergne et haut lieu touristique.
La Cie des Chemins de fer du Midi, qui exploite la ligne, comme sa concurrente la Cie d’Orléans, propose des circuits de découverte de 10, 20 ou 30 jours du Massif central, en autocars et en train, dont le Viaduc est un passage obligé. C’est le train qui ouvre l’Auvergne au tourisme, hivernal au Lioran, thermal à Vic-sur-Cère, estival partout dès les années 1870.
épilogue
« Le soleil n’est jamais si beau qu’un jour où l’on se met en route »
Jean Giono — Les Grands CheminsAujourd’hui, 50 km d’autoroute, 120 km de la route nationale 122, 3 969 km de routes départementales et 6 361 km de voies communales traversent le Cantal. Et trois lignes de chemin de fer transportent des voyageurs, principalement, sur les lignes Aurillac - Brive, Aurillac - Clermont, Aurillac - Figeac.
Durant les confinements qui ont scandé le travail sur l’exposition « 2 000 Ans de passages. Du chemin gaulois à l’A 75 », dont ce catalogue est issu, nous ne cessions de rêver à ces itinéraires devenus soudain muets. Nous rêvions du jour où nous ressentirions de nouveau le vent dans nos cheveux, le souffle de l’air sur notre peau, le plaisir à venir de la marche, de pouvoir nous en aller, en vélo, en voiture, en train ou en avion, sans limitation de distance ni couvre-feu. Pouvoir entendre de nouveau le bruit des wagons sur les rails, les « le train pour Béziers partira de la voie 1. Correspondance pour Marvejols à 13 h 22. » Que se réveille ce monde d’itinéraires possibles… sur lesquels nous poussent la curiosité de la découverte, les nécessités du commerce, le besoin des rencontres, de l’autre.