comment
LETTRE DE
Lyon s’éloigne
Je n’aurais peut-être pas entrepris de repar ler de Lyon si, depuis des années, je n’avais pas le sentiment d’habiter une ville qui s’éloigne et que certains jours désormais je peine à reconnaître, quand son nom résonnait pour moi comme l’as surance que sur son territoire mon pas ne saurait faillir, qu’aucune marche jamais ne viendrait à me manquer. Une ville que j’avais la conviction de savoir distinguer entre toutes à sa matérialité, à son rythme, au régime saisonnier de sa lumière comme à celui de son activité et de son repos quand dans les rues devenues désertes se devinaient, plutôt qu’elles ne se laissaient déchiffrer, ses instances les plus discrètes. Cette ville, je pouvais prétendre la connaître parce que, avant même mes vingt ans, mes pas s’y étaient sentis guidés et le réseau de ses passages s’était offert à moi, fidèle comme il l’avait été aux générations qui m’avaient précédé.
Un tel constat, qui sollicite la mémoire bien au-delà des inscriptions topographiques, confronte d’emblée à un problème difficile. De tous les paysages, le paysage urbain est celui qui convoque le plus de fantômes. À la mémoire personnelle, la ville superpose la sienne propre, chroniquée, mais aussi bien lisible dans le tracé de ses rues, ses façades banales ou glorieuses, son arrière-fond et son étendue même ; mémoire semblable à un vaste dépôt de couches géologiques que le passant sait plus ou moins bien lire et sur lequel il projette, comme autant d’ombres et de repères, ses propres souvenirs. Ces deux régimes de relation au passé se conjuguent de manière vivante pour le flâneur ; néanmoins ils divergent, la mémoire personnelle étant appelée à s’effacer avec celui qui la porte, tan dis que le décor ne saurait demeurer inchangé.
Rien de plus commun, en somme, qu’une ville qui s’éloigne, surtout quand elle a servi de cadre aux premiers souvenirs. C’est notre lot que de vieillir dans des villes qui, recouvrant de travaux nouveaux ceux qui l’ont constituée, rajeunissent. Lyon de mon enfance et de mon adolescence était une ville insoucieuse des jugements portés sur ses apparences comme sur sa forme, où le poids du temps se lisait dans le manque d’entretien et la vétusté de bien des immeubles, le noir inoubliable imprégnant les façades, enduit de suie séculai rement déposé par les retombées des cheminées domestiques. Lyon de ma vieillesse est une ville
dans laquelle la marque des générations apparues depuis se lit en façades ravalées, couleurs pimpantes et mise en scène lumineuse. À une ville repliée sur ses puissances a succédé une ville qui s’expose.
Je ne suis pas un spécialiste du phénomène urbain. Le rapport que, jeune homme, j’ai noué avec la ville – j’écris la ville plutôt que Lyon, ce que le nom recouvrait ne m’est apparu qu’ensuite –, la découverte qu’il a alors signifiée, ne se distin guaient pas de la promesse que dans les mêmes années je pensais entendre chez quelques poètes. Il en est demeuré marqué et c’est un trait que je revendique toujours au moment où, plus d’un demi-siècle plus tard, je m’efforce de mesurer et comprendre combien et comment ma relation à la ville a changé.
Le motif baudelairien qu’un tel propos ranime ne tranche rien. Que la forme d’une ville soit fugace, rien n’est moins assuré. Baudelaire a été le contemporain d’un complet bouleversement en la matière. Ma génération en a vécu un autre. Entre ces deux périodes, là où la guerre n’a pas frappé – réserve colossale à la vérité ! – c’est une simple évolution que l’on avait pu observer.
Un bouleversement donc et des manifes tations qui ne sont pas récentes. Reste que, des décennies durant, j’ai vu Lyon se transformer sans que jamais il ne me devienne moins familier. À la
fin, je le savais bien, je n’aurais fait que passer dans une ville dans laquelle, depuis sa fondation, se sont succédé quelque quatre-vingts ou quatre-vingt-dix générations. Je ne m’étonnais pas de l’écart qui, au fil du temps, se creusait entre les représentations ; il n’y avait là rien d’autre que l’illustration d’une loi. Mais voilà qu’au sentiment de renouvellement est venu se mêler, d’abord par accès et dans les marges, puis de façon toujours plus centrale et insistante, celui d’une réalité étrangère. Sans préjudice de la question de ses racines, il me semble que ce chan gement, repérable depuis le basculement dans les années 2000, est devenu de plus en plus percep tible au cours de la dernière décennie. C’est cet air jamais respiré auparavant qui me trouble, que j’ai merais approcher et mieux définir.
Une telle explication, je l’avais d’abord conçue comme une lettre destinée à quelques amis – une « lettre de loin » pour mieux dire, l’anagramme approximative, mais somme toute satisfaisante, destinée à traduire à la fois mon appartenance lyonnaise et l’éloignement qu’à un moment donné j’ai senti s’approfondir. Abandonnée puis reprise et devenue plus longue que je ne l’avais prévu, elle s’est écartée de sa forme initiale sans perdre tout à fait, je l’espère, son caractère d’adresse.
Un point encore : je parle d’une ville qui s’éloigne ; je ne m’en soucierais pas si, par nombre d’aspects, elle ne continuait à me toucher, si je ne pensais pas spontanément à elle comme au lieu
longtemps accordé et tel, malgré les intermittences de l’attachement et de la sûre reconnaissance, qu’elle le demeure. Ce faisant, je ne prétends pas proposer une nouvelle traversée urbaine dans les règles. En bien des points expéditif, mon inventaire se veut avant tout soucieux du partage entre attractions préservées ou, au contraire, sous le coup d’une menace, entre ce qui demeure et ce qui, en changeant, infléchit une ligne. Un inven taire tourné vers les aspects matériels de la ville – le visage des quartiers – et bien sûr aussi vers la façon d’habiter, les usages et les ambiances qui en résultent, ces dernières manifestations devenues aujourd’hui peut-être les plus symptomatiques et déterminantes.
Vivre dans un même lieu ne fait pas de nous les habitants de la même ville.
Cela s’exprime de multiples manières : la faculté ou non de choisir le quartier dans lequel habiter – une affaire de position sociale, à tout le moins de revenus –, l’activité exercée, la disponibilité, les pôles d’intérêt dans lesquels se reconnaître, l’âge aussi, qui se traduit d’abord par la somme et la nature des souvenirs emmagasinés. Car la ville dans laquelle, enfants, nous avons appris jour après jour à nous reconnaître et émerger à nous-mêmes, dont ado lescents nous avons fait l’apprentissage, cette ville nous accompagne. Par conséquent, c’est par elle que tout commence, elle qu’il faut d’abord évoquer, non pour s’étonner de sa disparition, mais pour définir quelle empreinte elle a laissée en nous.
Trois ou quatre flashes de haute enfance ont retenu pour moi la fuite d’une allée sous les grands arbres du parc de la Tête-d’Or, une volée d’escaliers au-dessus des Terreaux, une vitrine et quelques pans de murs à la fin des années 1940, mais les premiers souvenirs précis que j’ai gardés de Lyon remontent au début de la décennie suivante. Ouvriers, employés, artisans, petits commerçants donnaient alors à la ville son imprégnation laborieuse, son tempo régi par les rythmes du travail, tôt éveillée, bruissante et encombrée le jour, gagnée par l’annonce du sommeil dès la tombée de la nuit. Ceux qui n’appartenaient pas aux classes popu laires partageaient ce rythme avec elles, entraînés par des fonctions de direction ou d’encadrement, ou simplement par le flux général de l’activité.
Cette société imposait sa physionomie à la rue dont chaque point permettait de prendre le pouls de l’organisme au sein duquel elle s’ouvrait. Un trait d’époque, qui reliait puissamment celle-ci aux générations précédentes, tenait à ce que commerces et échoppes d’artisans déclinaient sur place tous les besoins de la vie et s’appliquaient au quo tidien à les satisfaire : enseignes alimentaires et leur spécialisation alors aussi banale que répan due (une laiterie-fromagerie, une boucherie che valine, une triperie…), cafés d’une sociabilité qui s’exposait partout, restaurants et, du cordonnier au menuisier, en passant par le tapissier, le mate lassier ou le tailleur pour clientèle populaire, toute la gamme des ateliers auxquels se mêlaient entre prises manufacturières et même usines. Lyon était alors une ville où l’immense majorité des habi tants allait à pied ou empruntait les transports en commun – tramways et trolleybus rouges et blancs d’époque, et, dans les mêmes tons, les « ficelles » (les funiculaires) de la Croix-Rousse, de SaintJust ou de Fourvière – où les véhicules circulaient moins nombreux qu’aujourd’hui, signes d’un rang social ou outils de travail, mais paralysaient déjà la circulation à l’heure des livraisons. Il existait des rues en retrait, exclusivement vouées ou presque à être résidentielles, mais la plupart s’animaient d’activités sur toute leur longueur ou du moins restaient maintenues en éveil par leur proximité. Camelots et démonstrateurs forains vantaient leur
marchandise et, dans la première moitié des années 1950, il était fréquent que le trottoir accueillît encore l’un des petits métiers hérités du passé : un aiguiseur, un étameur, un rempailleur, un vitrier. Cris de la ville : ceux du vitrier précisément, des vendeurs de journaux, des pattiers comme on disait ici, c’est-à-dire des chiffonniers, auxquels se mêlaient sur un autre registre les derniers chanteurs ambu lants. Cris en écho lointain de ceux de Paris et de Londres que nous ont transmis les musiciens avant que ne triomphent les images – celles-ci certes déjà présentes et parfois très frappantes, comme dans le cas de quelques affiches et des publicités murales peintes où, dans mon souvenir sans doute très sélectif, apéritifs, produits de toilette ou capillaires et cirages se disputaient l’espace.
Il résultait d’un tel état un fonctionnement à part dont rend compte la description de la ville à travers la structure villageoise de ses quartiers. Formes locales qu’il faudrait pour être plus juste affiner encore : un quartier comme celui des pentes de la Croix-Rousse ne vivait pas seulement d’une existence autonome évoquant celle d’un village, il était à la vérité composé d’une fédération de ces entités auxquelles s’ajoutait, bien à part au sommet de la montée de la Grande-Côte, le quartier arabe. Qui habitait à mi-pente rue Burdeau ou rue des Tables-Claudiennes n’était nullement contraint de s’éloigner de sa rue pour effectuer la plupart de ses courses quotidiennes.
Avant que ne les relaient les industries des banlieues de l’est et du midi, où Berliet avait son fief et où s’étirait déjà un couloir de la chimie, les grandes usines de Vaise, des États-Unis, de Monplaisir et de Gerland achevaient de donner à la ville ses contours et son rang de grande place ouvrière, quand aux côtés des établissements tex tiles du centre, Rhodiacéta, Tiss-Métal, Plastimer, Calor, Lenzbourg, Jeumont-Schneider, Câbles de Lyon, étaient les noms parmi d’autres d’autant d’entreprises intra muros. Mais c’étaient des fermes et des cultures maraîchères que l’on rencontrait à Caluire sitôt quittée la Croix-Rousse, ou bien encore, notamment à Vaise, où ils résistent encore, ces jardins que l’on n’avait pas honte d’appeler ouvriers. Tout se passait en somme, comme si du centre à la périphérie un même sang irriguait l’es sentiel du tissu urbain – je pense à l’omniprésence des activités textiles déjà évoquées, mais aussi à la multitude de petites entreprises qui, hormis sur ses marges résidentielles des quais du Rhône, du boulevard des Belges et des Brotteaux, essaimaient à travers le 6e arrondissement. (Je ravive à plaisir le souvenir de faits bien établis – il me faut lutter contre l’envie d’en convoquer d’autres – parce que, j’y insiste, les images qui leur sont liées ont pour moi fixé à jamais une idée de la ville.)
La confusion encore fréquente entre lieu de production et lieu de vente comme la conti guïté, elle aussi répandue, de l’atelier et des pièces
d’habitation, continuaient à entretenir un peu de la porosité entre espace public et espace privé héritée de la ville d’avant les grandes séparations instaurées au xixe siècle (développement de quartiers proprement résidentiels, ségrégation géographique et non plus par étages des classes sociales, etc.). Dans un registre comparable, c’est la pénétration de l’activité derrière les façades, sa colonisation des cours intérieures et jusque des étages qui, dans les quartiers à traboules, en confortaient l’usage et exigeaient de maintenir celles-ci constamment ouvertes – si bien que la nuit il suffisait de pousser la porte d’entrée.
Cette cité industrieuse conservait ainsi, presque en tous quartiers, sa tonalité populaire, entretenue par ceux qui, ouvriers, employés, arti sans, petits commerçants, n’en étaient pas encore réduits par l’exil vers la périphérie à déserter des zones entières. C’est elle, avec ses murs noircis, que restituent des films comme Thérèse Raquin, que Carné a situé à Saint-Jean (on peut y revoir aussi, aujourd’hui détruits, le sommet de la montée de la Grande-Côte et le pont du Change) ou, dans ses images liminaires, Un Revenant de ChristianJaque. Peuplée de 460 000 habitants au recensement de 1946 (très en deçà des dénombrements douteux des années 1930 qui lui donnaient, avec plus de 100 000 habitants supplémentaires, un poids démographique détaché de la réalité), elle s’apprê tait à franchir la barre du demi-million de résidents
à la fin des années 1950, un chiffre proche de la situation actuelle. La crise mondiale, la guerre qui avait suivi, l’absence d’une politique de l’habitat de quelque envergure, tout concourait à y rendre difficile la recherche d’un logement. Pour avoir passé mon enfance au bas des pentes de la Croix-Rousse, je sais par expérience combien celui-ci pouvait se présenter dépourvu des commodités devenues depuis élémentaires. La nostalgie bien réelle qu’il m’arrive d’éprouver à l’évocation de cette époque ancienne ne puise pas à cette source.
Il se pourrait bien, en revanche, qu’elle s’ali mente aux images d’une météorologie perdue. La société carbonifère, dont Henri-Alexis Baatsch s’est fait le chroniqueur1, vivait sans le savoir ses dernières années. Bois-charbons : à cette enseigne partout présente, bois et anthracite commandés par les foyers bourgeois, bois et boulets à destina tion des foyers populaires, alimentaient les milliers de poêles domestiques qui, de la ville basse aux hauteurs de la Croix-Rousse, de Saint-Just et de Fourvière, venaient joindre leurs fumées à celles rejetées par tant de hautes cheminées d’usines et engendraient, dès les premiers froids de l’automne, l’inoubliable brouillard alors emblématique de Lyon – tel, certains matins, qu’il transformait en spectres les passants et dérobait tout à cinq mètres.
« Pli selon pli » : bien avant d’avoir lu Mallarmé, ou même entendu ce nom, magie d’avoir vu Lyon se dévoiler ainsi, comme Bruges dans le poème.
Confidence propre à faire s’étouffer d’indignation tous nos modernes « lanceurs d’alerte » à la pollution, celle-ci ayant alors atteint dans le spectre du visible des degrés qu’on n’imagine même plus. (Comme je suis prêt à affronter les critiques, mais mal disposé à subir des leçons de morale, autant préciser d’emblée que je sais de quel prix ces situa tions poétiques se payaient, ce qu’il en coûtait en maladie des voies respiratoires, notamment chez les enfants. Avec le rachitisme, provoqué par le manque d’ensoleillement de beaucoup d’apparte ments, l’une des plaies endémiques de la situation sanitaire de l’époque.)
Ces records atmosphériques appartiennent au passé, à un domaine de sensations disparues, comme certaines saveurs – celle, précisément, du brouillard dans la bouche –, certaines odeurs – de celle, légère et vive, souvenir parfois encore ranimé, du café un peu partout torréfié, aux moins avouables à l’heure du passage des camions de vidange – ou tant de bruits, sonneries, bourdonnement ou cliquetis mécanique, que ne raniment plus que de très loin en très loin quelques activités survivantes d’arrière-cour.
Dans cette ville, chaque quartier avait son style, son atmosphère originale, mais chacun donnait le sentiment d’appartenir à une texture urbaine unique, dense et enveloppante, dont les murs enduits de suie et les lourds pavés locaux, qui parfois laissaient place au revêtement caillouteux
des « têtes de chat », demeureraient à jamais les signes extérieurs de reconnaissance. J’ai déjà évoqué ailleurs la matière de ce « Je me souviens des années 1950 ». Y revenir est un mouvement assumé. Comment ne pas y céder ? Cette ville, je l’ai dit, a été celle de l’émergence à soi de l’enfance, celle des découvertes adolescentes, de ses retom bées déceptives, mais aussi, combien de fois, de l’exaltation qui les accompagnait en dehors même de l’idée d’un bonheur accessible. Elle n’avait pas encore totalement disparu quand je suis revenu m’y réinstaller au début des années 1970, après une demi-douzaine d’années passées au loin, mais entrecoupées de fréquentes visites. Affirmer son attachement à ces souvenirs, ce n’est pas adresser aux plus jeunes générations le discours sur une ville destinée à leur demeurer inconnue et peutêtre difficilement représentable dans ses caractères concrets. J’admets sans peine que, quel que soit le degré de connaissance ou d’ignorance, cette réalité ne pèse pas au quotidien davantage pour les tard-venus que pour moi celle de la ville des omnibus à chevaux et des fiacres. Cette image de la ville passée, je ne l’extrais pas des tréfonds de ma mémoire, je la décris telle qu’elle m’accompagne. Je peux, à l’occasion, introduire un regard polémique à partir d’elle, mais je ne l’évoque ici qu’en illustration du fait que la ville habitée n’exerce pas les mêmes pouvoirs et n’est pas la même pour tous, cela pour bien des raisons, mais d’abord en fonction de notre
âge qui date l’apprentissage que nous en avons fait. La mesure des années écoulées y révèle autant de strates géologiques.
Une conséquence de ce qui précède : nous ne pouvons habiter longuement une ville sans que l’écart entre l’expérience que nous en avons et celle des générations qui nous suivent n’en fasse une ville à demi imaginaire à leurs yeux. Proposition qui se complète et corrige immédiatement ainsi : cette part imaginaire, il nous faut voir en elle une com posante indissociable de l’identité ; elle est, tendue sur les années, la passerelle qui relie les états du décor que nous avons connus et traversés, comme les souvenirs de qui je fus donnent forme au por trait où je me reconnais moi. Qu’un détail agisse au passage comme un déclencheur de la mémoire et ramène à la conscience claire une image disparue (le plus souvent d’ailleurs une situation vécue liée à elle) ou que, de manière infiniment troublante, contre toute prévision, une sorte de persistance rétinienne continue à se manifester, le Lyon dans lequel je marche se signale avec constance par l’un de ces inserts que je suis le seul, alors, à enregistrer. Il arrive aussi que, par leur apparence, tel secteur d’un quartier ou telle rue affichent une capacité de résistance qui en font comme les buttes-té moins d’un temps ailleurs oublié. Ce qui fut la rue Centrale – autrement dit l’enchaînement des rues Paul-Chenavard et de Brest – a longtemps constitué
pour moi un étonnant conservatoire de la ville des années 1950, représentation qui se fondait sur la façon dont nombre de vitrines et d’enseignes y avaient traversé les décennies. Il est évident qu’une telle vue s’exposait à la contradiction. J’ai souvent entendu des représentations contraires m’être opposées, jusque dans mon entourage, sans que pour autant ce grand axe du centre-ville en sorte transformé à mes yeux. Aujourd’hui encore, il suf fit que je m’y aventure pour y capter un air lointain connu de toujours, alors même que la constellation de ce qui m’y faisait signe, aux trois quarts effacée déjà, est sur le point, après une surprenante longé vité s’agissant de boutiques, de disparaître pour de bon dans un mouvement qu’aura brusqué le pas sage au xxie siècle.
DU MÊME AUTEUR
Arrière-histoire du Pérou, Bourgois, 1979.
Le Goût de Lyon (anthologie), Mercure de France, 2004.
Le Nom de Lyon, Bourgois, 2013.
Vieux-Lyon, années 1960 (avec le photographe Bernard Agreil), Libel, 2018.
Vie et mort de l’Inca Atahuallpa, Bourgois, 2018.
Édition
Libel, Lyon www.editions-libel.fr
Conception graphique
Cecilia Gérard Impression
Corlet imprimeur
Dépôt légal : novembre 2022 ISBN : 978-2-491924-29-4