L’École d’architecture de Lyon (Extrait)

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L’École d’architecture de Lyon (prix spécial du jury de l’Équerre d’argent en 1987), de Françoise-Hélène Jourda (1955-2015) et de Gilles Perraudin (1949), livrée en 1988, se distingue comme l’une des constructions publiques les plus singulières des années 1980, véritable symbole du réinvestissement de l’État dans la formation des architectes. Pendant près d’une vingtaine d’années, les projets se multiplient dans l’agglomération lyonnaise avant que le choix de la localisation de la nouvelle École d’architecture ne se porte sur Vaulx-en-Velin, dans le cadre d’un rapprochement avec l’École nationale des travaux publics de l’État, construite en 1976, matérialisant sa longue complicité avec les grandes écoles publiques d’ingénieurs et qui marque le début d’une structuration des campus de ce qui deviendra l’Université de Lyon.

25,00 € TTC ISBN : 978-2-491924-05-8 Dépôt légal : novembre 2020 www.editions-libel.fr

l’École d’architecture de Lyon, Un manifeste architectural

sous la direction de Philippe Dufieux

l’École d’architecture de Lyon Un manifeste architectural



sous la direction de Philippe Dufieux Benjamin Chavardès et Christian Marcot préface de Nathalie Mezureux

L’École d’architecture de Lyon Un manifeste architectural



Préface Nathalie Mezureux architecte et urbaniste générale de l’État, directrice de l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon

Quarante ans après le lancement par l’État du concours international de l’école d’architecture de Lyon, cet ouvrage restitue le récit d’une réalisation devenue une référence architecturale obligée à la faveur d’un regard renouvelé sur la fortune critique de l’enseignement de l’architecture à Lyon. Cette publication, élaborée sous la direction de Philippe Dufieux avec Christian Marcot et Benjamin Chavardès, retrace les principaux jalons contemporains de l’histoire – au demeurant ancienne – de l’enseignement de l’architecture à Lyon, la genèse du projet au cours des années 1960-1970, les enjeux du programme et s’intéresse aux figures qui s’illustrèrent lors du concours. À la lecture de leurs contributions, on comprend combien ce projet-manifeste répondait au double objectif de l’État au tournant des années 1980 : doter un territoire périphérique d’un campus universitaire dédié à l’architecture aux côtés de l’ingénierie et mettre en œuvre le nouveau cadre de la commande publique et la dimension exemplaire de la politique de l’État en faveur de la qualité architecturale. Françoise-Hélène Jourda et Gilles Perraudin, jeunes architectes diplômés de l’École de Lyon, matérialiseront ces ambitions à travers un édifice monumental et synthétique doublé d’une remarquable inventivité technique – « entre rationalisme constructif et architecture high-tech » selon l’analyse de Jacques Lucan. Cette réalisation architecturale majeure, saluée par la critique contemporaine – mais encore par les professionnels et les visiteurs d’un jour –, offre un cadre des plus stimulants aux futurs architectes que nous formons en s’imposant aujourd’hui encore comme une véritable leçon de théorie et de pratique. L’architecture de Jourda et de Perraudin participerait-elle de la forte attractivité de l’ENSAL ? En tout état de cause, nos étudiants, qui proviennent de toutes les régions de France – de l’étranger pour certains – évoluent au sein du campus de Vaulx-en-Velin dans un environnement à la fois didactique et dynamique. Au début de leur cursus, l’édifice sert de support au dessin d’observation avant que leurs centres d’intérêt ne se portent vers la cité rhodanienne et son site historique, la métropole lyonnaise jusqu’à la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans l’environnement universitaire de Lyon, la pluridisciplinarité en matière de formation comme de recherche est à l’œuvre. Fidèle aux ambitions architecturales et techniques de l’édifice, l’École d’architecture de Lyon se distingue dès les années 1990 par ses doubles diplômes avec les sciences de l’ingénierie, l’urbanisme et les sciences humaines. Depuis une dizaine d’années, le développement du doctorat d’architecture est venu souligner l’importance de la recherche en consacrant l’École comme l’un des partenaires de l’Université de Lyon. En concevant ce cadre intemporel, Françoise-Hélène Jourda et Gilles Perraudin ont relevé le défi d’enraciner l’établissement dans un temps long – celui de l’histoire – tout en offrant aux étudiants comme à leurs enseignants un environnement propice pour imaginer l’avenir.


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Un manifeste architectural Philippe Dufieux



Les avis sont unanimes pour consacrer l’École de Vaulx-en-Velin (1981-1987), conçue par FrançoiseHélène Jourda (1955-2015) et Gilles Perraudin (1949), comme l’une des constructions majeures des années 1980 aux côtés des grands chantiers présidentiels contemporains. Symbole du réinvestissement de l’État dans la formation des architectes, manifeste ambigu, « [construction] à la fois rationnelle et postmoderne1  », authentique anthologie savante2, véritable tournant dans la conception des établissements d’enseignement, il n’est peut-être pas d’équipement de cette nature qui ait été autant publié dans la presse nationale, auréolé par la mention spéciale du jury de l’Équerre d’argent en 1987. Outre sa volumétrie spectaculaire et la sincérité de ses modes constructifs, les observateurs n’ont pas manqué de relever combien sa plasticité novatrice marquait un retour à des formes élémentaires et géométriques, loin des structures tridimensionnelles et proliférantes qui connurent une longue postérité dans ce type d’édifices et dont elle s’émancipe délibérément pour réaffirmer l’importance de la rue fermée et, à travers elle, une certaine idée de la ville comme des circulations qui l’irriguent3. Il est vrai que l’établissement s’inscrit délibérément en rupture avec son environnement proche qu’il était pourtant censé servir et densifier dans le dessein de forger une nouvelle urbanité, à l’exemple de la délocalisation dans la même commune de Vaulx-en-Velin de l’École nationale des travaux publics de l’État quelques années plus tôt (1976). Sa physionomie massive – ses lourds soubassements en béton tout autant que sa « tête administrative » percée de meurtrières – suggère, non pas tant l’image d’un camp retranché que celle d’un fortin échoué qui semble contredire les intentions premières de la maîtrise d’ouvrage, attentive à inscrire la nouvelle école aux côtés de l’ENTPE dans le développement de ce grand ensemble en devenir. En réalité, l’École se préserve en se repliant sur elle-même bien que s’ouvrant sur le paysage en cultivant de nombreuses ambigüités qu’il convient aujourd’hui de dissiper. Relevons que le programme des « écoles » d’architecture connaît un spectaculaire renouvellement au cours des années 1970 à la faveur de réflexions théoriques et pédagogiques qui ambitionnent alors de façonner l’architecture de l’enseignement à l’aune des évolutions sociétales contemporaines. L’heure est en effet à l’expérimentation − notamment d’un point de vue pédagogique − dans des spéculations architecturales et urbaines qui devaient profondément marquer l’histoire de ces établissements au sein de nouveaux quartiers qui s’imposent parmi les réalisations les plus novatrices du moment, qu’il s’agisse du Mirail à Toulouse comme de la Villeneuve à Grenoble. Il est vrai que les unités pédagogiques devaient fortement contribuer à « changer la ville », selon l’expression consacrée, en s’immergeant dans l’urbs au plus près des enjeux sociétaux. Expérimentale, participative, collaborative et modulable, l’architecture des écoles d’architecture entend matérialiser les profondes mutations que connaît alors l’enseignement supérieur tout en cultivant ses spécificités au regard des réalisations universitaires contemporaines. Quarante ans plus tard, c’est un regard plus circonspect qui se pose sur l’évolution de ces mêmes édifices au cœur de quartiers qui connaissent, depuis plusieurs décennies, une mutation spectaculaire sous l’action concertée des pouvoirs publics et de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. L’École de Vaulx-en-Velin s’impose en réalité comme l’ultime conclusion de ce vaste programme d’équipements, dans une réalisation qui, pour ses concepteurs, devait poser les fondements d’une collaboration d’une rare fécondité.

Richard Klein, « L’architecture des écoles d’architecture, de la culture de l’enseignement à la singularité de l’équipement », Architecture des écoles d’architecture, Paris, d’a, 2006, p. 25-26. 2 [Anonyme] « L’École d’architecture de Lyon », Construction moderne, n° 54, juin 1988, p. 12-13. 3 On songe en particulier aux unités pédagogiques de Nanterre (1971-1972, Jacques Kalisz) et de Lille (P. Eldin, 1974-1978) et dans une moindre mesure celle de Grenoble (Roland Simounet, 1973-1978).

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À l’heure où les écoles nationales supérieures d’architecture s’interrogent quant à leur devenir au sein de l’enseignement supérieur, il n’est pas indifférent de s’intéresser aux spécificités de ces équipements dont l’architecture a suscité de nombreux travaux ces dernières années4, notamment dans le cadre du programme de recherche sur l’histoire de l’enseignement de l’architecture au XXe siècle5. On peut s’étonner toutefois qu’un édifice aussi emblématique que l’École de Jourda et Perraudin soit resté aussi longtemps en marge des études contemporaines au-delà des publications monographiques qui virent le jour peu après son achèvement et qui devaient fortement contribuer à sa célébrité. Trente ans après son inauguration, le temps semble venu de porter un regard critique sur cette œuvre-manifeste dont il conviendra d’analyser la savante genèse intellectuelle, constructive et plastique à l’aune du contexte politique, social et territorial des années 1980. Il est vrai que sur la fin du siècle, la métropole rhodanienne se hisse une fois encore au-devant de la scène architecturale internationale à la faveur de chantiers majeurs, qu’il s’agisse de la Maison du livre, de l’image et du son de Villeurbanne de Mario Botta (1988), de la Cité internationale de Renzo Piano (1994-2006) comme de la nouvelle la place des Terreaux reconfigurée par Daniel Buren et Christian Drevet (1992). À ces réalisations s’ajoutent le chantier controversé de l’Opéra, transformé par Jean Nouvel (1989-1993), la cité judiciaire conçue par Yves Lion et Alain Levitt et inaugurée en 1995, sur un projet datant de 1982, le réaménagement de la halle des abattoirs de la Mouche par Bernard Reichen et Philippe Robert (1988) et enfin la construction de l’École normale supérieure Lettres et Sciences humaines par Henri Gaudin à laquelle répond la bibliothèque Denis-Diderot de Bruno Gaudin (1999-2000). À bien des égards, l’École d’architecture de Lyon a valeur de chantier fondateur de cette décennie décisive.

4 Voir en particulier Guy Lambert et Éléonore Marantz (dir.), Les Écoles d’architecture en France depuis 1950. Architectures manifestes, Genève, Metis Presses, 2018, 272 p. 5 Coordonné par Anne-Marie Châtelet (École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg), Daniel Le Couédic (Université de Bretagne Occidentale) et Marie-Jeanne Dumont (École nationale supérieure d’architecture de Belleville) et soutenu par le Comité d’histoire et la Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture.


Jalons pour une histoire de l’enseignement de l’architecture à Lyon (1906-1988) Christian Marcot

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L’École régionale d’architecture de Lyon est instituée par le décret du 23 juillet 1906 signé du président de la République Armand Fallières sur le rapport du ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes Aristide Briand. Plus de trois ans s’écoulent entre le décret du 23 janvier 1903 créant les écoles régionales d’architecture et la fondation effective d’un tel établissement entre Rhône et Saône. Le peintre Nicolas Sicard (1846-1920), alors directeur de l’École des Beaux-Arts de Lyon, devient le premier directeur de l’École régionale selon le principe du double directorat qui devait connaître une longue postérité à Lyon. L’arrêté nomme également un bibliothécaire, un surveillant général, un gardien et douze professeurs aux différentes chaires, l’enseignement étant divisé en classe préparatoire, seconde et première classe. Le premier corps de professeurs se distingue par une recherche d’équilibre entre les différents champs artistiques et scientifiques, associant architectes, artistes et universitaires. L’enseignement de la composition décorative et de la théorie de l’architecture revient à Eugène Huguet (1863-1914), professeur à l’École des Beaux-Arts de Lyon et deuxième second Grand Prix de Rome, qui s’illustra à la préfecture de la Loire à Saint-Étienne (1902) ainsi qu’au palais de Bondy à Lyon (1904), tandis que le cours de construction est attribué à Tony Garnier (1869-1948), de retour dans sa ville natale après son séjour romain. Arthur Kleinklausz (1869-1947), professeur à la faculté des lettres de Lyon, est nommé pour l’enseignement de l’histoire générale et de la littérature1. Henri Lechat (1862-1925), professeur à l’École des Beaux-Arts de Lyon, est chargé de l’histoire générale de l’architecture, de l’histoire de l’architecture française, de l’histoire de l’art et de l’archéologie2. Enfin, Paul Pic (1862-1944), professeur à la faculté de droit de Lyon, enseigne la législation du bâtiment3. Relevons que l’enseignement simultané des trois arts est alors partagé entre les professeurs de dessin de figure, de modelage et d’architecture4. Les cours se déroulent entre début octobre et fin juillet, du lundi au samedi, au palais des Arts, sauf celui de physique et chimie qui est dispensé à l’Institut de chimie. Les cours des deux classes représentent environ quatre-vingt-dix heures dont soixante-quinze concernent le dessin ornemental, celui de figure et le modelage.

1 Cet éminent médiéviste eut une influence considérable au sein de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon et comme président de la commission des musées de la ville. Il fut l’un des fondateurs de la commission des études rhodaniennes qui donnèrent à la géographie, alors discipline supplétive de l’histoire, un statut de discipline à part entière. Son célèbre ouvrage Lyon des origines à nos jours, publié en 1925, demeure une référence obligée. 2 Ancien élève de l’École normale supérieure de Paris, agrégé de lettres, historien de l’art, conservateur, archéologue, membre de l’École française d’Athènes, responsable du musée des moulages de la faculté des lettres de Lyon, il étudie avec l’architecte Alphonse Defrasse la restauration d’Épidaure. Ses publications manifestent le souci d’embrasser le phénomène artistique dans une visée globalisante dictée par l’analyse stylistique. 3 Son ouvrage pionnier Traité élémentaire de législation industrielle et lois ouvrières, publié une première fois en 1894 puis en 1903, devait connaître une large diffusion. Le juriste lyonnais estimait, dans la lignée de Léon Bourgeois, le solidarisme comme le rameau le plus prometteur de l’école interventionniste dont il situait l’équilibre entre socialisme et libéralisme. 4 On relève encore pour la perspective, la stéréotomie et la levée de plan, Noël Charruit, professeur au lycée de Lyon, pour les mathématiques et la mécanique, Chevassus, chef de travaux à la faculté des sciences de Lyon, pour la géométrie descriptive, Paul Wiernsberger, docteur ès sciences mathématiques, pour la physique et la chimie, Louis Meunier, chargé de cours à la faculté des sciences de Lyon, pour le dessin de figure, Alexandre Bonnardel, professeur à l’École nationale des Beaux-Arts de Lyon, pour le modelage, Jean Ploquin, professeur à l’École des Beaux-Arts de Lyon.

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L’École régionale d’architecture au palais des Arts (1907-1936) Dès 1907, l’École régionale s’installe au palais des Arts à la suite de la classe d’architecture de l’École des BeauxArts qui y demeure depuis 1807. Les élèves pouvaient suivre soit la seconde classe à Lyon puis rejoindre Paris pour la première, soit l’ensemble de la formation à Lyon – ce fut le cas d’une grande majorité d’entre eux – hormis la soutenance du diplôme qui se déroulait à Paris. Plusieurs élèves souhaitaient pratiquer un cursus mixte, de manière à bénéficier du mouvement artistique intense de la capitale et d’aller au-delà du diplôme par l’accès au concours de Rome, comme le rappelle Louis Piessat5. Cette double tendance s’illustre notamment par la figure de René Révoux qui suit toute sa scolarité à l’École régionale et devient le premier architecte DPLG de province en 1913. Michel Roux-Spitz (1888-1957) et Laurent Lambert suivent pour leur part la seconde classe à Lyon puis, rejoignant l’atelier Duquesne et Recoura pour la première classe, multiplient médailles et prix. Roux-Spitz remporte le Grand Prix de Rome en 1920. Les candidats aux examens d’entrée des écoles régionales d’architecture se préparent au sein d’ateliers extérieurs dans une formation que le législateur s’est précisément gardé de réglementer lors de la création des écoles régionales en 1903. Aux côtés de l’École, l’atelier demeure en effet le lieu spécifique et privilégié de la formation. Là, sous la direction d’un maître, les élèves-architectes s’exercent librement à la composition sur des sujets donnés à Paris pour l’ensemble des écoles. L’atelier naît de la rencontre d’un architecte souhaitant transmettre son savoir et d’un groupe d’élèves qui reconnaissent en lui un patron dont la pratique est conforme à leurs idées. C’est à Huguet que revient le soin de créer le premier atelier lyonnais. À sa mort, survenue en 1914, Garnier lui succède avec Emmanuel Cateland (1876-1948), auteur du premier gratte-ciel de Lyon en 1911, pour le cours de théorie. Au moment de l’entrée en guerre, l’École régionale d’architecture comptait déjà plus de cinquante élèves et une petite quarantaine d’autres préparait le concours d’admission. Beaucoup d’entre eux furent mobilisés et partirent au front, où plusieurs moururent. Pendant la guerre, Garnier développe le projet, initié dès 1914 avec Édouard

Herriot, d’une école d’enseignement théorique et pratique des arts6. Les dessins, datés pour l’essentiel de 1917 et de 1919, traduisent l’ambition de ce nouvel établissement visant à former des artistes, des architectes et des artisans d’art. À bien des égards, le projet synthétisait l’histoire de l’enseignement des arts à Lyon dans une recherche de pluridisciplinarité qui n’était pas sans parenté avec l’École des arts de Glasgow. Après-guerre, parallèlement aux cours dispensés pour l’essentiel à l’École des Beaux-Arts, l’atelier reprend son activité au 37 rue Vieille-Monnaie où il s’était installé avant-guerre. Les anciens combattants se remettent à l’étude pour préparer l’admission ou pour finaliser leur formation. L’atelier reçoit, outre une majorité d’élèves provenant de la région lyonnaise, de nombreux étudiants russes, serbes, bulgares, polonais, canadiens attirés par la réputation de Garnier7. Pour les élèves de l’atelier, l’année 1931 fut particulièrement faste puisque les Lyonnais Georges Dengler (atelier Defrasse-Madeline) et Georges Bovet (atelier Pontremoli) remportent le premier et le second Grand Prix de Rome8. Cette première période s’achève au terme du directorat de Kleinclausz, qui succède à la direction de l’École régionale en 1928 au sculpteur Jean Larrivé (1875-1928), lui-même nommé en 1919. Ce dernier avait succédé à l’architecte Louis Rogniat (1852-1956) qui avait assumé un intérim d’un an après le départ de Sicard. Au cours de cette période, le corps des professeurs est resté relativement stable. Relevons qu’entre 1927 et 1932, Antoine Sainte-Marie Perrin (1871-1927) et Roux-Spitz animent un second atelier indépendant dans le dessein de rénover l’approche pédagogique du projet et de se démarquer de l’enseignement de Garnier.

Du palais Saint-Pierre au cours des Chartreux (1936-1959) En 1936, l’École régionale est transférée cours des Chartreux dans les murs de l’École de tissage, récemment livrée par Garnier. Toujours à la tête de l’atelier, l’architecte est bientôt secondé par son ancien élève Pierre Bourdeix (1906-1987) en raison de l’augmentation considérable du nombre d’élèves. En 1937, Garnier fait valoir ses droits à la retraite. André Teissier lui succède comme professeur de construction après l’avoir longtemps suppléé dans cette fonction. Plusieurs changements interviennent : Benoît-

6 Christian Marcot, « Lyon : le projet de Tony Garnier pour une École d’enseignement théorique et pratique des arts (1914-1922) », HEnsA 20, n° 4, juin 2018, p. 17-22. 7 Parmi ceux-ci, Yu Binglie, pensionnaire de l’Institut franco-chinois de Lyon, entre à l’atelier en 1922. Il devient le premier architecte chinois diplômé en France. Il en va de même de l’architecte cambodgien Nguyen-Khac-Shéou. 5 Louis Piessat, Tony Garnier 1869-1948, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 8 Louis Piessat, Tony Garnier 1869-1948, op. cit., p. 153. 1988, p. 142.


Gonin (mathématicien) devient professeur de géométrie descriptive, Jean Colonge (physicien et chimiste) remplace en 1938 à la fois Louis Meunier et Henri Longchambon (minéralogie). Puis, en 1944, le sculpteur Louis Bertola (1891-1973), premier Grand Prix de Rome 19239, devient professeur de modelage et l’architecte Marcel Descottes-Genon, professeur de théorie de l’architecture. Au lendemain de l’armistice, la ligne de démarcation séparant la France en deux zones rend impossible le maintien du système centralisé de jugement des projets et des diplômes. La loi de 1940 institue l’Ordre des architectes, impose le diplôme et l’adhésion au code de déontologie largement inspiré du code Guadet. En 1942, l’École régionale est habilitée à préparer le titre d’architecte, aussi Georges Dengler (1904-1983) – nommé directeur de l’École en 1941 –, recrée-t-il à Lyon le système des jurys pour permettre aux écoles régionales de la zone occupée de fonctionner. C’est ainsi que l’École des Beaux-Arts de Lyon assure provisoirement la coordination administrative des écoles régionales de la zone Sud (Lyon, Grenoble, Marseille, Montpellier, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Toulouse, Alger). Pendant la guerre, l’effectif oscille entre cent trente et cent cinquante élèves. À la Libération, le système centralisé de l’École des Beaux-Arts se remet en place, les projets d’école sont de nouveau jugés à Paris sous l’égide des « patrons » des ateliers intérieurs. Puis, en 1946, la direction de l’École régionale échoit à l’architecte Paul Bellemain (18861953), ancien élève de Victor Laloux. L’effectif de l’école avait considérablement augmenté, rendant l’atelier de la rue Vieille-Monnaie tout à fait inadapté. L’effectif de l’atelier Tony Garnier-Pierre Bourdeix s’élève à cent quatrevingt-quinze élèves pour la seule année 1947-1948. La ville transfère alors l’atelier montée du Gourguillon dans une maison du XVIe siècle bénéficiant d’une vue panoramique sur la ville depuis un élégant jardin, « on ne pouvait pas rêver meilleures conditions de travail : du calme, de l’air et de la lumière10 », écrivait Piessat, venu seconder Bourdeix immédiatement après la reformation de l’atelier Tony Garnier par son confrère. En 1949, l’atelier est de nouveau contesté par plusieurs élèves, influencés par les écrits de Le Corbusier et des maîtres du Mouvement moderne et par la lecture des revues d’architecture contemporaine. Désireux de rompre avec le folklore de l’École et les concours d’émulation, ceux-ci refusaient le «  conservatisme  » de l’atelier et

ses exercices qui portaient en classe préparatoire à redessiner les modèles de l’architecture grecque ou romaine sur format demi-aigle au crayon dur pour « mieux graver le papier » puis à réaliser des lavis et des tracés d’ombre. En pleine Reconstruction, les sujets proposés leur apparaissaient obsolètes au regard des enjeux soulevés par la crise contemporaine du logement et l’accélération de la croissance urbaine. C’est ainsi qu’en 1949, René Ravet, Henri Borrel et Gabriel Roche firent scission et créèrent l’atelier de la rue de Savoie patronné par René Gagès (1921-2008), rejoint en 1951 par François-Régis Cottin (1920-2013). Jacques Rey dira à propos de ses maîtres : « Dans l’enseignement, ils combattaient l’asservissement aux modes successives, la copie des modèles et des revues. Ils ne considéraient pas le parti comme un a priori conventionnel, mais comme une idée structurant le projet. La modernité devait être une manière de voir et de concevoir l’architecture et l’urbanisme, jamais un style. Le but pédagogique n’était pas de transmettre des recettes, ni d’imposer une vision des choses, mais d’aider les étudiants à prendre parti, à définir leur propre vision et à la traduire dans les détails de leur architecture11. » À leurs yeux, le premier Grand Prix de Rome de Jacques Perrin-Fayolle (1920-1990) en 1950 comme celui de Clément Cacoub (1920-2008) en 1952, tous deux anciens élèves de l’atelier Tony Garnier, relevaient d’une virtuosité plastique aux antipodes des approches sociales et scientifiques de l’épistémologie. Les prémices d’une crise de l’enseignement de l’architecture se faisaient déjà sentir12.

Du cours des Chartreux à la rue Neyret (1960-1968) En 1960, la nouvelle École des Beaux-Arts est inaugurée rue Neyret dans un site remarquable sur la colline de la Croix-Rousse. Pour la première fois de leur histoire, l’École des Beaux-Arts et l’École régionale d’architecture emménagent dans un édifice conçu à leur intention. Aucun ministre n’était présent à la cérémonie, pas même Louis Joxe, ministre de l’Éducation, sans parler d’André Malraux. Deux ans plus tard, le décret-cadre Debré de 1962 ouvre la voie à la création des écoles nationales d’architecture sur fond de réforme de l’enseignement pour répondre aux attentes sociétales contemporaines et préparer les futurs architectes aux nouvelles conditions

9 Philippe Dufieux, Sculpteurs et architectes à Lyon (1910-1960) de Tony Garnier 11 Jacques Rey, Lyon, cité radieuse. Une aventure du Mouvement moderne à Louis Bertola, Lyon, Éditions Mémoire active, 2007, préface de Jean-Michel international, Lyon, Éditions Libel, 2010, p. 57. Leniaud, 141 p. 12 Éric Lengereau, L’État et l’architecture, 1958-1981. Une politique publique ? 10 Louis Piessat, Tony Garnier 1869-1948, op. cit., p. 155. Paris, Picard, 2001, p. 77-90.

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d’exercice de la profession. Marginalisé, l’atelier GagèsCottin se saborde deux ans plus tard (1964), au moment même où les regards se portent vers l’architecture moderne révérée par ses élèves qui, pour certains, rejoignent les rangs de l’atelier « historique » Tony Garnier, dirigé depuis 1965 par Perrin-Fayolle. Entre-temps, le projet de création d’une École nationale d’architecture à Lyon prend forme sur le site de l’ancien couvent de la Visitation au cœur du paysage verdoyant de la colline de Fourvière. Le projet, qui reçoit un avis favorable du conseil des Bâtiments de France en 1967, est établi par Bernard Zehrfuss (1911-1996) sur la base d’un programme destiné à accueillir trois cent cinquante élèves. La proposition de l’architecte repose sur un dialogue savant entre le cloître, qui devait constituer le cœur de la future école où devaient se développer les classes et les ateliers, et une extension contemporaine projetée à l’est qui autorisait des expérimentations et des innovations pédagogiques. Celle située au nord matérialisait l’entrée du site et accueillait à la fois l’administration et la bibliothèque. Le projet de Zehrfuss créait ainsi une unité intégrant d’une certaine manière l’histoire même des écoles et leurs orientations nouvelles. Pourtant, rien ne semble pouvoir enrayer le déclin de l’enseignement de l’architecture pris à Lyon dans une situation problématique née de l’opposition entre les ateliers, ni la réforme expérimentale engagée en 1965, ni même la création du groupe Sud-Est en 1967 visant à fédérer les ateliers de Lyon, de Grenoble et de Marseille13. Las de ces débats, Perrin-Fayolle démissionne en décembre 1965 ; Gagès et Cottin seront nommés peu après à sa succession. La qualité des cours est invariablement interrogée et discutée par les élèves. Nombre d’entre eux entraient à l’École régionale avec un bac scientifique de bon niveau et déploraient la faiblesse des enseignements théoriques et scientifiques, exception faite de la géométrie descriptive et des cours de construction professés par Cottin. Les sciences appliquées de la physique et la chimie des matériaux, pas plus que les sciences sociales et humaines, n’avaient encore droit de cité. Certains élèves, menés par Roland Chomel, Bernard Duprat et Jean-Maur Lyonnet impulsèrent une dynamique nouvelle au cours des années 1960. Bien avant l’édition du célèbre essai de Christopher Alexander De la synthèse de la forme (1971), l’un d’eux, Régis Humbert, traduira par exemple l’édition originale de 1964 (Notes on the synthesis of Form) rapporté

de Londres par Chomel. Ces élèves, réunis au sein du « groupe Alexander », inviteront des mathématiciens, des physiciens, des psychologues et des psychiatres à l’École. Le cours de législation du bâtiment fut notamment complété par un cours de législation de l’urbanisme. Avec l’appui de Perrin-Fayolle, un cours de théorie de l’architecture sera également confié à Denys Pradelle (1913-1999).

L’Unité pédagogique d’architecture (1968-1986) Les événements de 1968 consacrent la disparition des écoles régionales et l’ouverture du champ de l’architecture à de nombreux domaines scientifiques et techniques auxquels l’École nationale supérieure des Beaux-Arts était longtemps restée indifférente. Cette évolution majeure se confond avec la création de laboratoires de recherche et le rattachement à l’enseignement supérieur par le rapprochement avec l’Université. Cette fracture émanait de deux positions irréconciliables, l’une entendait perpétuer le système Beaux-Arts en l’aménageant, l’autre souhaitait ouvrir la discipline à de nouveaux horizons plus en phase avec les enjeux contemporains14. Par décret du 6 décembre 1968, une nouvelle organisation de l’enseignement de l’architecture est promulguée à titre transitoire. Cette réforme passait nécessairement par la création de nouveaux établissements, le gouvernement proposant alors de généraliser les principales dispositions de la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur en conférant aux futures écoles un statut s’apparentant à celui des établissements publics à caractère scientifique et culturel. Il s’agissait également de permettre une reprise des études dans les meilleures conditions, en regroupant les étudiants dans des unités pédagogiques de dimensions «  raisonnables  » et en conférant à ces dernières une autonomie pédagogique par l’association des enseignants et des étudiants à leur gestion. Le rapprochement avec l’Université devait se traduire par des partenariats privilégiés, notamment sous la forme d’enseignements mutualisés, dans le dessein de compléter la formation scientifique et technique des élèves15. L’Unité pédagogique d’architecture de Lyon est créée par décret du 6 décembre

14 Marie-Jeanne Dumont, « L’enseignement de l’architecture au XXe siècle, une histoire méconnue », HEnsA 20, cahier n° 1, 2016, p. 45-48. 15 Les études d’architecture se structurent alors en trois cycles comprenant chacun vingt-quatre unités de valeurs. Un premier cycle d’études générales (deux ans) conduit au diplôme de premier cycle ; le deuxième cycle d’études fondamentales (deux ans), conduit au diplôme de deuxième cycle des études d’architecture, diplôme national de l’enseignement supérieur. Au terme du troisième cycle d’approfondissement des connaissances (deux ans), l’élève 13 La première abandonnait le principe du jury unique au profit d’un jury scindé obtient un diplôme d’architecte, décerné après validation des unités de en trois groupes hébergés au Grand Palais. Le groupe A plutôt conservateur, valeurs, d’un stage pratique en agence et la soutenance d’un travail personnel le groupe B, auquel appartenait l’atelier lyonnais, et le groupe C des réformade troisième cycle. teurs. Chaque groupe jugeait l’un après l’autre tous les projets.


1968. Tout était alors à reconstruire – l’institution comme l’enseignement –, d’autant que les étudiants lyonnais s’étaient fortement mobilisés dans les manifestations de mai 1968, comme nombre de leurs collègues. Peu après les événements, les étudiants acceptent d’intégrer provisoirement des bâtiments préfabriqués construits dans l’urgence sur le site de l’ancien couvent de la Visitation à Fourvière.

À l’ombre de Fourvière (1969-1975) Les débuts de l’Unité pédagogique de Lyon furent difficiles pour les étudiants, leurs enseignants comme pour le nouveau directeur, l’ingénieur Jean Meyer, et les membres du conseil de gestion comprenant en nombre égal des enseignants, des étudiants et des représentants du personnel administratif. Dès 1957, des contacts sont établis avec l’Institut national des sciences appliquées, conçu par le recteur Jean Capelle (1909-1983) et le philosophe Gaston Berger (1896-1960), alors directeur de l’enseignement supérieur, avec Perrin-Fayolle. L’équipe pédagogique, qui s’était constituée dans une certaine autonomie et par cooptation, multiplie les contacts institutionnels pour engager un rapprochement avec l’enseignement supérieur, trouver des locaux dignes d’une École d’architecture, reconstruire des pédagogies, développer la recherche, maintenir de bonnes relations avec la profession et ouvrir enfin des perspectives avec d’autres écoles d’architecture françaises et étrangères. Comme nombre de leurs collègues, ces enseignants étaient profondément marqués par la culture anglo-saxonne, notamment en matière de conception architecturale. Dans le sillage de Bernard Huet, les élèves lyonnais découvraient à leur tour les enseignements de Louis I. Kahn et de l’ingénieur Robert Le Ricolais, mais aussi les contributions théoriques de Robert Venturi, de Kevin Lynch et de Christopher Alexander ainsi que l’œuvre de Frank Lloyd Wright et celle de Louis Sullivan16. Louis I. Kahn avait été formé à l’Université de Pennsylvanie où il avait suivi les cours de Paul-Philippe Cret (1876-1945), arrivé à Penn en 1903 après de brillantes études à l’École des Beaux-Arts de Lyon puis de Paris où il avait été remarqué puis recommandé par ses camarades américains de l’atelier Pascal venus à Paris pour étudier à ce qu’ils nommaient « the école17  ». Comment dès lors ne pas chercher à s’inscrire dans une filiation aussi prestigieuse ?

On ne peut manquer d’évoquer également les figures de Jean-Claude Barthez, sociologue, qui sera le premier coordonnateur pédagogique de l’Unité pédagogique de Lyon – il est nommé en 1970 –, le géographe Maurice Allefresde (1926-2002), ainsi que l’historien de l’art Lucien Lepoittevin (1932-2010), nommé directeur en 1971. Dans ces années décisives, les enseignants, au nombre desquels il faut citer Michel Paulin et Bernard Duprat, tissent des liens avec leurs collègues Philippe Boudon ou Jean-Pierre Épron de Nancy, Paul Quintrand de Marseille ou Jean-Pierre Penaud à Nantes. Malgré ces initiatives, le bilan dressé en 1971 par le ministère des Affaires culturelles souligne la nécessité de préciser encore l’organisation des études, qu’il s’agisse des conditions d’accès à l’enseignement, de la validation des acquis et des équivalences comme de la sanction terminale des études. En mars 1973, la création du Conseil supérieur de l’enseignement de l’architecture offre aux unités pédagogiques une structure permanente de concertation18. Puis, dans la nuit du 11 au 12 avril 1975, un incendie ravage les deux tiers des locaux préfabriqués de Fourvière. Après un hébergement d’urgence, les équipes pédagogiques, administratives et les étudiants rejoignent hâtivement les bâtiments du couvent des Sœurs du Bon-Secours d’Angers à Écully (Rhône).

L’intermède d’Écully (1976-1986) Les nouvelles conditions d’hébergement se révèlent encore plus problématiques que précédemment ; au cours de l’été 1975, les bâtiments sont aménagés sommairement et la rentrée 1976 se déroule sans encombre. Le programme pédagogique de l’Unité pédagogique s’était développé suivant l’organisation requise en trois cycles et cinq champs disciplinaires sous la forme de modules dont trentehuit de cadre commun (cc), trente et un propres à l’Unité (up) et trois optionnels, eux-mêmes subdivisés. En premier cycle, les champs de l’architecture, de la construction et des sciences exactes bénéficient d’enseignements portant sur la méthodologie, le contrôle du milieu physique, l’approche des structures et l’informatique. Le second cycle propose des enseignements de mathématiques et d’informatique. Enfin, le troisième cycle engage un projet d’architecture fondé sur des études approfondies dispensées à travers l’ensemble des cinq champs de l’architecture (architecture, construction, perception

16 Juliette Pommier, « Assimilation et transmission de la leçon de Kahn à UP8 », 18 Relevons qu’une réflexion est engagée deux ans plus tard au sein de l’Unité HEnsA 20, cahier n° 4, juin 2018, p. 27-32. pédagogique de Lyon dans la perspective de la création d’une cellule de 17 Isabelle Gournay, « De Paul Cret à Jean Labatut, la contribution des French recherche collective sur le thème du processus de conception, de la maîtrise critics aux États-Unis », HEnsA 20, cahier n° 4, juin 2018, p. 21-27. de la démarche et des méthodes du projet.

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et expression plastique, sciences exactes, sciences humaines et juridiques), initiant ainsi l’étudiant à une forte interdisciplinarité des savoirs dans le cadre de la conception architecturale. Les enseignements optionnels proposés sont identifiés pour l’essentiel en quatrième année et permettent de prolonger l’enseignement de l’histoire et de la théorie de l’architecture développé pendant les trois premières années, ou bien encore des enseignements liés à l’énergie et à la technologie, aux mathématiques et à l’informatique, à la psychologie, à l’espace habité et à l’aménagement rural. Une seconde analyse en fonction des champs offre une autre lecture du programme. L’architecture représente quarante et un modules (cc et up), soit 57 % des enseignements dont onze modules (cc et up) pour l’histoire, la théorie, la méthodologie, soit 15 % des enseignements. Les enseignements de conception dans les ateliers représentent près de 42 % des modules. La part de l’histoire et de la théorie est de l’ordre de 4 %. La construction représente à elle seule neuf modules (cc et up), soit 13 % des enseignements. Les sciences exactes, les sciences humaines et l’expression plastique se répartissent à parts égales 30 % des enseignements. En cette même année 1976, la Délégation générale à la formation et aux enseignements se penche enfin sur le statut des personnels enseignants des unités pédagogiques d’architecture. Jusqu’en 1968, l’enseignement de l’architecture et des arts plastiques dans les écoles relevant du ministère des Affaires culturelles était assuré par des professeurs titulaires recrutés parconcours sur titre. Depuis 1968, aucune titularisation n’avait été prononcée et les nouveaux enseignants étaient recrutés sur contrat ou rémunérés par vacations. Il s’agissait, dans le sillage de la réforme de 1968, d’engager un renouvellement du corps professoral en passant d’un enseignement fondé sur l’expérience et la pratique à un enseignement supérieur conforme au modèle universitaire. Mais les enseignants lyonnais ne furent consultés ni par la Délégation générale, ni même par les organisations syndicales. Ceux-ci transmirent à la Délégation générale à la formation et aux enseignements un certain nombre de remarques portant sur la nature et la finalité de l’enseignement dispensé dans les unités pédagogiques et les orientations qui pouvaient être envisagées quant à leur devenir : école professionnelle, école d’ingénieurs, unité d’enseignement et de recherche composante d’une université suivant les possibilités de la loi Faure du 12 novembre 1968. Concernant le statut des enseignants, la distinction entre enseignants praticiens

et théoriciens menait à l’idée d’une possibilité d’accès au doctorat d’État par validation d’une expérience professionnelle et de recherche. Cette question était avancée pour permettre l’admission des enseignants praticiens dans le corps des professeurs contractuels homologue au corps des professeurs titulaires. Pour les enseignants des disciplines associées à l’architecture, le titre de docteur d’État était souhaité sous réserve d’une thèse abordant le lien entre la discipline d’origine (sciences exactes, sciences humaines, arts plastiques) et la discipline architecturale. Une réflexion était également menée sur l’engagement des enseignants à réaliser un plein temps pédagogique, ce qui questionnait l’autorisation accordée aux professeurs titulaires de l’ancienne École des BeauxArts à exercer une profession libérale découlant de leur fonction. Aux yeux de nombreux observateurs, cette situation avait délibérément orienté l’enseignement vers la pratique professionnelle. L’été 1976 met un terme à la «  grande autonomie  » des unités pédagogiques d’architecture en matière de recrutement puisqu’à la suite du décret précisant les cinq champs disciplinaires, un arrêté précise la composition de la commission nationale de recrutement19.

L’École d’architecture de Lyon à Vaulx-en-Velin (1988) En 1978, un an après la loi du 3 janvier 1977 qui définit l’architecture comme une expression de la culture et institue les Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, l’État transfère la Direction de l’architecture au ministère de l’Environnement et du Cadre de vie. Conscients de la singularité de cette situation, Bernard Duprat, René Ravet et Michel Paulin, responsables des trois cycles d’études, rencontrent Michel Prunier, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, alors directeur de l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE), créée en 1953 et décentralisée à Vaulx-enVelin en 1975. Prunier comprend immédiatement l’intérêt d’un rapprochement entre ingénieurs et architectes. L’hypothèse d’une implantation de la future École d’architecture à Vaulx-en-Velin sur le campus de l’ENTPE sera rapidement confirmée puisqu’en 1980, le choix du terrain est arrêté par la Direction de l’architecture

19 Parmi les premiers enseignants contractuels lyonnais, citons l’architecte Michel Barres, le plasticien Dominique Blaise, l’ingénieur Patrick Depecker, le psychologue Pierre Dosda, l’architecte Bernard Duprat, le mathématicien Michel Gangnet, l’informaticien Pierre-Alain Jaffrennou, l’urbaniste Gilbert Lazar, l’architecte et ingénieur Maximin Lebeau, les architectes Pierre Lebigre, Jean-Pierre Naimo, Henri N’Guyen, François Ortis, Michel Paulin, Michel Pothier, René Ravet, l’urbaniste Jean-Pierre Rossetti et le mathématicien Georges Véran.


sans aucune concertation avec les acteurs régionaux. En novembre 1979, une note diffusée lors de la visite du directeur de l’architecture à Lyon soulignait les difficultés rencontrées par l’Unité pédagogique au cours des dix dernières années tant du point de vue des moyens, des locaux que des enseignements. Les modalités de sélection des candidats, la structure de l’enseignement, les jurys d’enseignants et les examens étaient évoqués tout comme les orientations pédagogiques de troisième cycle. Le rapprochement de l’Unité pédagogique de Lyon avec les écoles d’ingénieurs de l’agglomération s’impose alors d’évidence malgré des échelles d’établissements complètement disproportionnées. Outre l’ouverture aux champs de l’ingénierie, un rapprochement s’opère également avec la formation des urbanistes, sous l’impulsion de Jean-Pierre Naimo et Jean-Pierre Rossetti et de Jean Pelletier, professeur de géographie à l’Université Lyon 2. Ces relations permettront à plusieurs étudiants de rejoindre une formation à l’Université et d’obtenir des DEA et DESS en urbanisme. Des liens se nouent dans les mêmes années avec la faculté d’architecture de l’École supérieure de technologie de Stuttgart. Les enseignants de l’Unité pédagogique prirent une part importante dans la définition du programme de la future École d’architecture de Lyon à Vaulx-en-Velin en collaboration avec les services de la Direction départementale de l’équipement du Rhône et le programmiste Michel Garnier. Au cours des années 1980, l’Unité pédagogique de Lyon s’insère progressivement dans le paysage de l’enseignement supérieur, cette orientation ne freinant en rien le développement des ateliers de projet d’architecture dont les thèmes et les problématiques visaient d’année en année une maîtrise du processus de conception. Le premier cycle repose sur une initiation à l’architecture et sur l’apprentissage des modes de représentation de la conception architecturale. Le second cycle s’oriente vers l’autonomie de réflexion et l’application des connaissances. En troisième cycle, sont abordés des programmes comme le logement collectif, le logement individuel, les équipements hospitaliers, hôteliers et de loisirs, pour l’enfance, en montagne, de spectacle sous la responsabilité d’architectes-enseignants parmi lesquels Jean-Yves Quay, Pierre Lebigre, Michel Pothier, Michel Barrès, Pierre Bost, Denys Pradelle et Georges BacconnierBerjot. Enfin, une logique thématique s’organise autour des questions urbaines et de la réhabilitation. En 1983, Jean-Luc Fraisse est nommé directeur de l’Unité

pédagogique en remplacement de Jean Navecht dont le mandat s’était étendu sur dix années. Le nouveau directeur, diplômé d’études supérieures de droit public et de sciences politiques, avait préalablement dirigé l’Unité pédagogique de Saint-Étienne à partir de 1977. Fraisse aura deux dossiers d’importance à gérer dès sa prise de fonction : le transfert de l’Unité pédagogique d’Écully à Vaulx-en-Velin et la mise en œuvre de la réforme de l’enseignement qui s’annonce. Sur les fondements des rapports de Joseph Belmont, directeur de l’architecture de 1978 à 1981, puis de Jean-Pierre Duport, directeur de l’architecture de 1981 à 1987, la réforme d’Ornano précise, par son décret du 9 avril 1984, les missions liées à l’enseignement de l’architecture. Elle organise l’enseignement en certificats pluridisciplinaires, un système de regroupement des enseignements par ensembles définis par leur objet, leur contenu, plutôt que par leur référence à une discipline. Les champs disciplinaires sont alors redéfinis, toujours au nombre de cinq (architecture, construction, perception et expression plastique, sciences exactes, sciences humaines et juridiques). La structure de l’enseignement est alors profondément transformée. Les études sont ramenées de six à cinq ans en deux cycles au lieu de trois. L’ancien cycle du diplôme et de la recherche est supprimé. Le premier cycle de deux ans est désormais sanctionné par le diplôme d’études fondamentales en architecture (DEFA). Le deuxième cycle de trois ans est orienté sur la pratique du projet conduisant au DPLG. Il peut être complété par un cycle d’études architecturales approfondies (CEAA) qui ouvre l’hypothèse d’un rapprochement avec le troisième cycle universitaire. Puis, en 1986, les écoles d’architecture se substituent aux unités pédagogiques d’architecture par un décret les érigeant en établissement public d’enseignement supérieur à caractère administratif. L’École d’architecture de Lyon (EAL) accueille cette annéelà pas moins de quatre cent quatre-vingt-six étudiants, dont cent vingt élèves en première année pour trente à quarante futurs diplômés. Par le biais du CEAA, l’École d’architecture de Lyon est institutionnellement liée à d’autres écoles d’architecture (Grenoble et Clermont-Ferrand), aux Universités Lyon 2 et Lyon 3 (DESS et DEA communs, enseignements conjoints au DPLG), à de grandes écoles parmi lesquelles l’INSA Lyon, l’ENTPE, l’ESCAEL (par des activités du cycle DPLG), à des établissements de recherche, CNRS (par l’UA 041144), Maison régionale des sciences de l’homme, Institut français

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d’archéologie orientale, mais encore à des établissements d’enseignement supérieurs étrangers (Stuttgart, Séville, Damas, Alep, Bagdad). De nouvelles conventions étaient en préparation avec Barcelone, Montréal et Milan. En 1987, le certificat d’études approfondies en architecture « théorie des formes : experts et concepteurs » est créé par Michel Paulin et Bernard Duprat associé à un diplôme d’études approfondies «  étude des systèmes  » de la faculté de philosophie de l’Université Jean-Moulin Lyon 3, représentée par les professeurs Bernard Deloche, François Guéry et Odile Marcel. Cette formation proposait une véritable complémentarité entre les disciplines et ouvrait à une formation doctorale20. L’année 1988 voit la création du premier laboratoire de recherche de l’École, le laboratoire d’analyse des formes (LAF) par la suite habilité par le ministère de la Culture et de la Communication. Les orientations de recherche portent sur les approches typo-morphologiques de l’architecture et de l’urbanisme à travers l’interprétation de corpus d’édifices selon des méthodes relevant de l’analyse morphologique scientifique. Placé sous la responsabilité de Duprat, professeur de théorie architecturale, aidé de Paulin, le laboratoire est piloté par un conseil scientifique élargi21. Dans la foulée, le laboratoire ARIA de l’EAL (application et recherche en informatique pour l’architecture) est fondé en 1988 sous l’impulsion de Pierre-Alain Jaffrenou22. À la faveur de son installation dans ses nouveaux locaux sur le campus de Vaulx-en-Velin, l’École d’architecture de Lyon propose en réalité une structure d’enseignement rénovée qui devait lui permettre de refonder complètement son programme pédagogique23. La charte de novembre 1988 précisait les relations pédagogiques visées par l’École d’architecture de Lyon et l’École nationale des travaux publics de l’État pour finaliser le rapprochement des professions dès le stade de la formation. Celle-ci proposait, pour les étudiants des deux écoles, de développer des enseignements communs, des enseignements optionnels, des enseignements constitués en filière tout en permettant d’obtenir une formation complémentaire diplômante. Ce rapprochement stratégique ouvrait la voie à la création de doubles-cursus architecte-ingénieur

et ingénieur-architecte avec l’Institut national des sciences appliquées, l’École centrale de Lyon et bien sûr l’ENTPE. Comment ne pas évoquer dans ce contexte foisonnant la création des Grands Ateliers de L’Isle-d’Abeau (Isère) – outil d’expérimentation pédagogique inédit – dont l’École d’architecture de Lyon sera l’un des membres fondateurs en 1993 aux côtés de l’École d’architecture de Grenoble qui en avait initié le projet24 ? En l’espace d’un siècle, l’École a accompagné les profondes mutations de la profession en veillant à adapter ses enseignements aux évolutions contemporaines malgré une forme d’instabilité immobilière dans les années de l’aprèsSeconde Guerre mondiale qui devait fortement pénaliser son ancrage au sein de la géographie universitaire lyonnaise. En dépit d’innombrables difficultés, dès les années 1960, les acteurs de l’École n’auront de cesse de développer des relations avec de grands établissements partenaires que sont l’INSA, l’ENTPE et l’École centrale de Lyon dans le dessein d’inscrire l’établissement dans des dynamiques pédagogiques stimulantes en posant les fondements d’une intégration à l’Université.

20 Cette formation a rencontré un certain succès et plusieurs jeunes architectes dont Suzanne Monnot, Serge Monnot, François Tran, Patrick Denis, David Leyval, Christian Marcot sont revenus à l’École avec pour certains l’idée d’engager un doctorat. 21 Le LAF sera transformé en 2014 et deviendra le Laure et EVS-Laure en 2016, composante de l’UMR 5600. 22 Le laboratoire s’associera en 1998 pour devenir le MAP-Aria sous la direction d’Hervé Lequay pour la partie lyonnaise. Ce laboratoire deviendra l’un des sites de l’UMR 3435 MAP (Modèle de simulation pour l’architecture, l’urbanisme et le paysage) qui associe le CNRS et le ministère de la Culture. 24 Alain Snyers (dir.), Les Grands Ateliers : enseigner, expérimenter, construire, 23 Vaulx-en-Velin, arch. de l’ENSAL, rapport de présentation de l’École, 1988. Paris, Jean-Michel Place, 2007.


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Édition Libel, Lyon www.editions-libel.fr

Conception graphique Yannick Bailly / item Suivi éditorial Michel Kneubühler Photogravure Résolution HD, Lyon Impression : EBS, Vérone Crédits photographiques : © Georges Fessy pour le cahier central (p. 76-101) © Bernadette Forest et Nathalie Mezureux pour le troisième cahier (p. 104-110) Dépôt légal : novembre 2020 ISBN : 978-2-491924-05-8 Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou par quelque moyen électronique ou mécanique que ce soit, y compris des systèmes de stockage d’information ou de recherche documentaire, sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Première édition © Libel


L’École d’architecture de Lyon (prix spécial du jury de l’Équerre d’argent en 1987), de Françoise-Hélène Jourda (1955-2015) et de Gilles Perraudin (1949), livrée en 1988, se distingue comme l’une des constructions publiques les plus singulières des années 1980, véritable symbole du réinvestissement de l’État dans la formation des architectes. Pendant près d’une vingtaine d’années, les projets se multiplient dans l’agglomération lyonnaise avant que le choix de la localisation de la nouvelle École d’architecture ne se porte sur Vaulx-en-Velin, dans le cadre d’un rapprochement avec l’École nationale des travaux publics de l’État, construite en 1976, matérialisant sa longue complicité avec les grandes écoles publiques d’ingénieurs et qui marque le début d’une structuration des campus de ce qui deviendra l’Université de Lyon.

25,00 € TTC ISBN : 978-2-491924-05-8 Dépôt légal : novembre 2020 www.editions-libel.fr

l’École d’architecture de Lyon, Un manifeste architectural

sous la direction de Philippe Dufieux

l’École d’architecture de Lyon Un manifeste architectural


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