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Un architecte pour l’école
Un architecte pour l’école
IntroductIon
L’extérieur exprime l’intérieur p. 5
Les origines, la formation
La famille p. 10
La formation p. 19
Les influences
Les grands noms du Mouvement Moderne p. 28
L’Algérie dans la peau p. 31
Des premiers projets fondateurs
L’hôpital neurologique de Lyon p. 40
Le home d’infirmières Lacassagne p. 58
L’apparition de Saintt-Jean-Apôtre p. 60
Pour les blessés de la vie
Les Ateliers Denis Cordonnier p. 72
Compagnonnage avec Bernard Bichet p. 76
Pour de grands handicapés p. 80
L’école au cœur
Un premier groupe scolaire à Décines p. 86
L’architecte cogite pour de futures écoles p. 94
L’Isle-d’Abeau, une école nouvelle p. 96
À Écully, les parents d’élèves réclament A. Chomel p. 102
L’école-centre de loisirs de Décines p. 107
Prises de parole p. 112
Et aussi des logements
Une maison en communication avec le terrain p. 120
Plantée dans les monts du Lyonnais p. 122
Logements collectifs p. 125
Morceaux choisis
Extraits de textes et d’interventions p. 132
ÉpIlogue
Les utopies scolaires p. 141
« les bâtiments, je les pense beaucoup plus de l’intérieur que de l’extérieur alors que souvent les architectes regardent les façades avec une attention extraordinaire. l’extérieur exprime l’intérieur. cela est vrai pour n’importe quel homme, s’il est mal dans sa peau, ça se voit. Quand il est bien, ça se voit aussi. »
Telle est la profession de foi de Alain Chomel, architecte lyonnais qui a exercé son métier de 1955 à 2000.
Cet ouvrage propose une « promenade » en compagnie de cet homme passionné, sensible, singulier. Et donc d’un architecte passionné, sensible, singulier.
Pourquoi, en effet, en matière d’architecture, faudrait-il limiter son intérêt aux seules observations, descriptions du bâti, théoriser sur les partis-pris architecturaux, les influences, les choix de matériaux et négliger la personne humaine qui est à l’origine de ces œuvres ?
Tout est tellement lié : l’homme et l’architecture qu’il déploie, sa vie comme elle est allée et l’œuvre qu’il a construite. Cette évidente proximité, cette fusion intime se révèlent particulièrement justes chez Alain Chomel.
Alain Chomel est fils et petit-fils d’architecte, ce terreau familial a certes son importance dans sa formation et le choix de cette profession. Mais il endosse le vêtement d’architecte à sa manière, presque à rebours de l’exemple paternel. Guidé par son tempérament artistique, ses valeurs humanistes, ses interrogations politiques et sociales autant que par ses rêves et ses rencontres, il suit sa voie propre. À ses débuts, là où ses jeunes confrères se lancent à tout va dans la conception de logements, il a la chance de démarrer par un hôpital, puis une église, toujours bien présents à Lyon : l’hôpital neurologique à Bron et l’église SaintJean-Apôtre dans le huitième arrondissement de Lyon.
Toutefois les deux piliers de son œuvre — ceux du cabinet Chomel 61 rue de la Part Dieu — demeurent les équipements sanitaires et sociaux d’une part, les écoles maternelles et primaires d’autre part.
Habité par ce credo « l’espace a une influence importante sur les mentalités », il veut, pour ce que pudiquement l’on nomme « l’éducation spécialisée », des lieux de vie et parfois de travail, conçus au plus près des besoins et des fragilités. Il dit : « ce sont les personnes qui ont le plus de difficultés d’adaptation et de communication qui ressentent le plus profondément l’agression d’un espace anonyme, froid, trop collectif. »
Pour des handicapés mentaux, des polyhandicapés, des jeunes délinquants, tous ceux que la vie a blessés, il conçoit des foyers, des CAT (Centre d’Aide par le Travail), des IMP (Institut Médico-Psychologique), des services de psychiatrie… Qu’il qualifie de « maisons pour renaître ».
Alain Chomel porte le même regard exigeant et généreux sur le monde scolaire qu’il voudrait voir se réformer : il abhorre les écoles-casernes. Il suggère d’ailleurs des voies de changement, prenant la plume dans la presse nationale pour se pencher sur cette thématique dérangeante (« architecture et violence scolaire », journal libération du 4 mars 1998), présentant des propositions au ministère de l’Éducation nationale pour qu’enfin l’école soit à l’écoute de ses « habitants », élèves comme professeurs. Et qu’elle accueille tout ce petit monde dans des bâtiments véritablement dessinés pour un projet de vie et d’éducation… ensemble ! « l’école doit être un lieu de plaisir, il faut que les enfants aient envie d’y venir », tranche-t-il. Alain Chomel aura l’occasion de donner forme à cette vision en concevant une première école à Décines. Suivra le premier groupe scolaire de la Ville Nouvelle de L’Isle-d’Abeau en Isère puis ce sont vingt-cinq écoles de la région lyonnaise — construites ou rénovées — qui portent au final sa signature. S’ajoutent également quelques maisons individuelles, des logements sociaux ainsi que différents équipements collectifs.
Certes les écoles, les établissements spécialisés et l’hôpital neurologique dessinés par Alain Chomel, ont perdu certaines de leurs caractéristiques d’alors. Ils ont dû être modifiés afin de pouvoir accueillir des populations plus nombreuses et passer sous les fourches caudines de réglementations sans cesse plus étouffantes — notamment en matière de sécurité.
S’ils apparaissent toujours emblématiques de leur époque, tous ces bâtiments recèlent néanmoins une approche universelle qui mériterait d’être remise au goût du jour, car elle place l’humain au centre de l’acte architectural.
Toutes ces réalisations ont donc été portées par un homme et cet homme fut forgé par une famille, une éducation, une formation et par tant d’autres expériences de la vie. C’est bien l’idée de cet ouvrage : dérouler le fil de la vie d’Alain Chomel et le tisser avec son accomplissement d’homme-architecte. Des expériences ont abouti à des convictions, des rencontres ont enrichi une sensibilité qui ne demandait qu’à s’exprimer.
Alain Chomel a nourri son travail de tout ce passé, mais aussi de ce que la vie lui donnait à voir et à partager. Ainsi, c’est la rencontre avec des éducateurs, personnalités fortes et généreuses, qui l’a conduit à concevoir des lieux de vie pour l’enfance inadaptée. Porté par cet élan fraternel, il a plus tard développé une architecture scolaire novatrice, voire iconoclaste. Par ailleurs il sait que « sa » guerre d’Algérie fut une expérience fondatrice : « la guerre d’Algérie m’a fait découvrir l’injustice, mais aussi la nécessité de faire, ma vie durant, émerger plus de justesse dans la conception de l’architecture. »
Voilà toute l’histoire du parcours d’Alain Chomel, récit ponctué par sa parole et celle de personnes qui l’ont côtoyé, apprécié et qui souvent sont issues du monde de l’architecture, mais aussi d’autres univers.
Cet ouvrage s’éclaire également de nombreuses illustrations, car il se veut essentiellement livre d’architecture : une architecture incarnée et engagée.
Laurence JAILLARDAlain Chomel naît le 23 janvier 1931 à Lyon dans une famille bourgeoise lyonnaise et surtout dans une famille d’architectes. Son père, Antonin Chomel (1889-1964), commence son activité après la guerre de 14-18 et s’associe, sans doute après la mort de son propre père en 1923, avec Pierre Verrier. Il a réalisé avec une architecture très moderne pour l’époque, des bâtiments importants. Par exemple pour la Chambre de Commerce de Lyon, l’aérogare de Bron, les bureaux des Chambres de Commerce de Villefranche-sur-Saône et de Bourg-en-Bresse et enfin les Musées des Tissus et des Arts Décoratifs de Lyon, rue de la Charité. Pour un autre client de poids, la Société des Forces Motrices du Rhône, il construit le barrage de Jons sur le Rhône, à l’entrée du Canal de Jonage, dont il régule les niveaux en fonction des besoins de l’usine de Cusset à Villeurbanne ; celle-ci fournit en électricité Lyon et sa région. Avec le même maître d’ouvrage, il réalise deux centrales hydroélectriques au pied du Vercors (Pont-en-Royans et Bourg-de-Péage).
Parmi d’autres réalisations, on peut citer à Gerland les bureaux de la Société des Câbles de Lyon et pour la Compagnie Nationale du Rhône alors naissante (CNR) les bureaux du Port Édouard-Herriot. Tous ces bâtiments, sauf l’aérogare de Bron démolie, fonctionnent encore de nos jours. Dans son enfance, Alain Chomel se souvient que son père parlait peu de son métier, il l’a emmené juste une ou deux fois sur un chantier. C’est encore à Antonin Chomel, mais au début des années 1960, que l’on doit la Salle des Tapis qui relie le célèbre Musée des Tissus de Lyon avec son voisin immédiat, le Musée des Arts Décoratifs. Ce fut son dernier chantier. « mon père a vécu comme architecte la transition entre l’ancien et le nouveau statut de la profession. Il s’est beaucoup investi dans l’ordre des architectes au sein duquel il a contribué à la mise au point du premier système de retraite. »
Antonin Chomel était, quant à lui, le fils aîné d’Augustin Chomel (1857-1923), également architecte à Lyon. Il signe entre autres l’église Saint-Augustin ou encore une première version du Grand Bazar de Lyon (« la République) débouchant sur la place des Terreaux face à l’Hôtel de Ville aussi à Augustin Chomel des immeubles de rapport et un immeuble très familial, 1 rue des Chartreux à l’angle du boulevard de la Croix-Rousse, où il fait sculpter par son ami Guiget le portrait de ses quatre enfants au-dessus de la porte d’allée d’ailleurs dans un de ces immeubles construits par son grand-père, au 61 rue de la Part-Dieu, qu’Alain Chomel passe son enfance et vit jusqu’à son mariage. Architecte à son tour, il y installera plus tard son agence. Filiation, enracinement dans des lieux imprégnés de l’histoire familiale, tel est le terreau du jeune Alain Chomel. Propice à sa vocation future
■ La « dynastie »
Chomel : Augustin (1857-1923), Antonin (1889-1964) et Alain (1931).
« Il existe deux figures principales pour les lignées d’architectes. La première en fait une sorte d’activité familiale et mondaine, sorte de charge nobiliaire n’ayant que l’importance amusée que l’on doit à une position sociale agréable que l’on a eu besoin ni de conquérir ni de défendre. La seconde fait de l’architecture une image œdipienne et de l’exercice une bataille avec l’image du père. De ce fait, l’activité professionnelle n’échappe pas au caractère passionnel et à la difficulté de se faire un prénom. Alain Chomel fait passionnément un métier où son père lui a fait la douce violence de l’engager… » – Guy Vandera, dans le magazine « Pignon sur Rue » du 6 novembre 1978
■ Chambre de Commerce de Bourg-en-Bresse par Antonin Chomel, 1928-1929. Photo Blaise Adilon, vers 1985.
■ Barrage de Jons (Rhône), entrée canal de Jonage, par Antonin Chomel, 1933-1934. Photo Blaise Adilon, vers 1985.
D’un premier mariage, Antonin Chomel a eu deux garçons, devenu veuf il épouse en 1927 la mère d’Alain Chomel. Lorsqu’il naît, le petit Alain a ainsi deux demifrères de 10 et 12 ans, lesquels filent vite en pension aux Chartreux : les relations grincent parfois entre cette mère et ses deux beaux-fils. Face aux tensions de cette vie de famille parfois compliquée, Alain Chomel se souvient être demeuré en retrait, comme spectateur, mais tiraillé. D’autant qu’est né, deux ans et demi avant lui, un garçon, son frère aîné, devenu fort turbulent : « Il changeait souvent d’école, il est passé par des maisons de correction. Il était très sot, c’était sa manière à lui d’exprimer son soutien à ses demi-frères dont il se sentait plus proche ; moi j’étais d’autant plus sage… finalement j’ai été élevé comme un enfant unique. » Longtemps après, 7 et 14 ans plus tard, viendront une sœur et un autre frère.
L’appartement du grand-père, tout un étage sur 200 m2 donnant sur la place Guichard, demeure ancré dans les souvenirs de l’architecte. Avec ces longs couloirs dans lesquels il roulait à trottinette, mais surtout avec l’Histoire venue cogner plusieurs fois juste en bas, sur la place. C’est le Front populaire avec ses cortèges immenses de manifestants, ces foules impressionnantes tandis que le père, Croix de Feu, fait claquer les drapeaux tricolores aux fenêtres de l’appartement familial. Quand la guerre d’Espagne éclate, la place vibre du passage de camions qu’on dit chargés d’armes. Bruits ? Rumeurs ? Toujours sur cette place, Alain Chomel voit défiler un 11 novembre les fiers cavaliers spahis et plus tard les troupes allemandes…
Paradoxalement l’enfant d’alors vit un début de guerre plutôt heureux. Jusqu’en mai 1940, les pères étant mobilisés, avec leur mère ils rejoignent dès septembre à Marseille une belle-sœur de celle-ci et sa petite fille, chez qui ils habitent. Insouciance de l’enfance, les deux fils Chomel jouent avec les gamins du quartier dans des grottes, anciennes carrières, sous Notre-Dame de La Garde. « on jouait à la guerre pendant la guerre. mais en mai 40, le frère cadet de ma mère que nous adorions, aviateur, est tué au cours d’essais d’un nouveau bombardier ”Amiot ". » Ils quittent alors Marseille pour rejoindre Mérignac (Bordeaux) et vivre tous ensemble dans la maison de fonction de leurs cousins, puis plus tard dans une pension de famille à Bordeaux. Enfin, c’est le retour à Lyon, la ligne de démarcation entre zone libre et zone occupée vient d’être créée et la demande de retour, présentée auprès de la Kommandantur, aboutit.
Cette période d’attente et d’entre-deux se traduit paradoxalement pour ces jeunes non scolarisés par une grande liberté. Le jeune Alain se souvient que les soirs de bombardement, il allait avec son frère — dont il partageait le même lit — observer, depuis les lucarnes du grenier, le ballet des projecteurs antiaériens et des bombardiers. Au petit matin, ils allaient ramasser dans les jardins les éclats d’obus.
Même pas en cachette. Globalement, l’enfance d’Alain Chomel s’enracine dans une large famille : « Beaucoup de cousins, des réunions de famille, une maison de famille aux chartreux où avait habité mon grand-père et où habitaient à présent les deux sœurs de mon père, dont la très nombreuse famille thaller… » De sa mère, il veut raconter un trait d’audace qu’il apprendra sur le tard : en 1923 alors qu’elle n’avait que 20 ans, elle part en Amérique pour travailler comme jeune fille au pair pendant trois ans. Une jeune fille toute seule en Amérique, voilà qui était osé pour l’époque.
Le jeune Alain Chomel suit sa scolarité de la maternelle jusqu’à la classe de 3e à l’annexe Saxe du Lycée Ampère puis au lycée Ampère près de la Bourse. Fidèle aux désirs paternels, il étudie le grec et le latin, mais montre surtout du goût pour l’histoire et la géographie. À 18 ans, il décroche le bac « philo », malgré une très mauvaise note en philosophie. D’évidence, l’école ne le passionne pas, il se dit élève moyen et enfant certes sage, mais surtout « enfant rêveur et doux »
En réalité c’est dans le scoutisme qu’il se sent heureux. Dès l’âge de huit ans, Alain Chomel devient « louveteau » et pendant des années s’engage dans le scoutisme.
« tous mes copains étaient parmi les scouts. J’appréciais beaucoup cette vie extérieure, les bonnes actions comme déménager des appartements bombardés, fait exceptionnel en 1943, ou porter un repas à des personnes âgées du quartier. pour moi, le scoutisme incarne la camaraderie, les valeurs morales. » Deux souvenirs émergent de cette période scoute qui fut très importante pour lui. En 1945, juste à la fin de la guerre, c’est l’année du jamboree, grand rassemblement mondial du scoutisme. Les scouts de France doivent choisir les équipes qui les représenteront en fonction d’exploits réalisés. Alain Chomel organise dès lors avec sa patrouille une descente en radeau d’un affluent de l’Ain, le rapport de présentation de l’expédition plaît et voilà donc sa patrouille présente à cette manifestation emblématique, en bord de Seine près de Paris, dans la forêt de Moisson.
Et aussi, à 17 ans révolus, devenu scout routier, il fabrique dans sa chambre un kayak de 5 mètres de long dont il faut sortir les extrémités de l’ossature par une fenêtre pour les mouiller et les plier, avant de l’habiller d’une toile de bâche américaine. Opération plutôt complexe. Alain Chomel se montre en effet bricoleur et surtout passionné par le monde maritime. « J’ai été emballé par le musée de la marine du trocadéro à paris. Je me lançais dans des maquettes de bateaux déjà compliqués… » Par exemple la maquette de « la Belle Poule », très proche de la célèbre « Hermione » construite à Rochefort et qui a fait parler d’elle au printemps 2015. Alain Chomel en a tous les plans, mais son rêve en est resté là. En fait à l’origine, il se voulait architecte naval ! Mais pour cela il fallait faire Polytechnique…
Souvenir fort pour l’enfant Alain Chomel : pendant des vacances en Haute-Savoie, il découvre son père en train de réaliser une aquarelle dans les pâturages, à la sortie du village. Il l’observe, le questionne, le trouve particulièrement détendu. Son père lui décrit le plaisir qu’il a de jouer avec les couleurs et la lumière. Ainsi est révélée une facette inconnue d’Antonin Chomel : « nous ignorions tout de ce patrimoine familial, il n’y avait aucune aquarelle de mon père, ni de mon grand’père sur les murs de l’appartement. ce n’est que très longtemps après la mort de mon père que nous avons trouvé un carton rempli d’aquarelles d’Augustin et d’Antonin. Surtout celles faites en orient pendant la guerre. nous avons alors compris que ce trésor faisait partie de son premier mariage dont la souffrance ne s’était jamais refermée. »
À l’adolescence, Alain Chomel, après avoir fait quelques gouaches, a envie de se mettre à la peinture à l’huile. Son père, qui ne connaît pas cette technique, l’emmène plusieurs fois à Boën sur Lignon, chez son ami le docteur Coignet qui est un bon peintre et lui apprend les bases sur le terrain. Il se remémore son premier paysage peint à l’âge de 13 ans, sa grand-mère à ses côtés : une gouache représentant un paysage du Grand Bornand en Savoie. ■ Aquarelle, par Antonin Chomel (jeune enfant serbe en costume traditionnel, Première Guerre mondiale).
Son goût pour la peinture ne le quittera jamais. « J’allais tout le temps avec mon chevalet peindre sur les pentes de lyon. J’aime peindre sur le motif, je ne sais pas faire autrement. trouver des endroits qui m’inspirent, plutôt des paysages mouvementés, avec des profondeurs, où la lumière joue et il faut savoir la saisir. » La lumière, les paysages, les couleurs… Alain Chomel est imprégné depuis très jeune de cette sensibilité artistique. Elle deviendra pierre angulaire de son futur métier d’architecte. Dès lors, il choisit d’abord la peinture. ■
Aquarelle, par Antonin Chomel (en Serbie pendant la Première Guerre mondiale).
Avec Paul Cézanne comme maître absolu, Alain Chomel s’inscrit, le bac en poche, aux Beaux-Arts à Lyon. Comment ? Il veut briser la lignée, ne sera pas architecte ?
Antonin Chomel ne dit rien, car pour le moment la lignée n’est pas menacée : École d’architecture et Beaux-Arts font première année commune. Alain Chomel s’initie au plâtre, au modelage et suit avec ferveur l’enseignement de ses professeurs dont le peintre René Chancrin qui habite près de chez lui et à qui il montre ses peintures.
Après deux années de Beaux-Arts, Antonin Chomel remet doucement la question sur le tapis : ne serait-il pas plus sûr pour son fils de devenir architecte ? Son cher Paul Cézanne ou encore Vincent Van Gogh ne sont-ils pas morts dans la misère ?
À sa grande stupéfaction, Alain Chomel se soumet docilement aux injonctions
paternelles : « Je n’ai pas résisté, cela m’a étonné. du reste, je m’en étonne encore. »
D’autant qu’il se sait à l’époque complètement « vierge en architecture. J’en avais une image totalement vieillotte, celle du cabinet de mon père. un endroit sombre, encombré de plâtres ; une secrétaire accueillante et un vieux monsieur tout grincheux, son crayon sur l’oreille, qui faisait des bouts de dessins ». À cette époque, pendant et après la guerre, le travail se fait rare pour l’architecte et Antonin doit travailler par ailleurs pour des régies, mener des travaux d’entretien. Donc bizarrement Alain Chomel s’engage dans la voie de l’architecture. « Bizarrement oui, j’accepte, comme si j’étais content que mon père me libère… même si je l’ai pas mal embêté après. » Pour illustrer cet aveu : un jour, il fait une razzia dans l’agence du quai Saint Clair avec l’aide d’un camarade complaisant. Ils chargent en voiture un certain nombre de plâtres et les jettent au Rhône, depuis la passerelle Saint-Clair. Juste en face du bureau paternel !
Du 20 juin au 9 juillet 1985, la Maison de Lyon place Bellecour accueille une exposition emblématique sous l’intitulé « 100 ans d’architecture 1885-1985. Augustin, Antonin, Alain Chomel, trois architectes lyonnais. » Alain Chomel tient à célébrer cet anniversaire et mettre en avant cette lignée d’architectes lyonnais. Une continuité exceptionnelle et riche de sens. Il s’en expliquait à l’époque : « mon grand-père Augustin chomel créait en 1885 un cabinet d’architecture à lyon. J’ai saisi cet évènement anniversaire pour construire cette exposition d’architecture. l’ancien aide à comprendre le nouveau et le suivi de trois générations de bâtisseurs est en même temps un cheminement dans l’histoire de notre société. »
La préparation de cette exposition lui demande un travail considérable, il s’immerge dans les plans, les textes, les documents. Soigne la présentation, ponctue la mise en scène de dessins, de textes. Et bien sûr aussi des œuvres de ces trois architectesartistes, avec les aquarelles d’Augustin et d’Antonin, ses propres tableaux faits à la peinture à l’huile. L’essentiel de l’exposition demeure centré sur sa production personnelle — à l’époque déjà 25 ans d’architecture — avec le désir de faire un certain bilan sur tous ces domaines investis : habitat, architecture pour la rééducation et les handicapés, écoles maternelles et primaires, équipements socioculturels… Le but est bien celui-ci : « rendre l’architecture abordable et permettre la compréhension d’une démarche aux multiples aspects dont l’objectif final est “d’habiter la vie”. »
Au début de l’exposition, trois grands portraits d’Augustin, Antonin, Alain Chomel accueillent les visiteurs. Cette exposition apparaît comme un bel hommage d’Alain à ses prédécesseurs, elle est aussi l’occasion d’heureuses découvertes. « J’ai compris que mon père avait fait des bâtiments modernes pour l’époque. J’ai trouvé chez mon grand-père des choses que je cherchais moi-même, comme les arrondis des cours intérieures qu’il plaçait dans les immeubles.” »
l’exposition est ponctuée de textes qui sont autant de « professions de foi » par lesquelles Alain c homel décrit ce qui l’habite, le met en mouvement pour son métier d’architecte.
« L’ARCHITECTURE est un ART SOCIAL, un évènement SOCIAL au service des hommes / sans démagogie / elle participe à leur éducation / interpelle avec tendresse / sans brutalité / elle encourage, aide, suscite / sans contraindre / elle fait appel aux aspirations les plus profondes / élargit l’horizon de chacun aux dimensions du cosmos / donne une dimension infinie à ce qui semble fini. »
Alain chomel saisit aussi les mots de poètes :
« Celui qui n’a jamais saisi, fut-ce en rêve ! … l’aventure d’une construction finie quand les autres voient qu’elle commence… Celui qui n’a pas regardé dans la blancheur de son papier une image troublée par le possible, et par le regret de tous les signes qui ne seront pas choisis, ni vu dans l’air limpide une bâtisse qui n’y est pas… Celui-là ne connaît pas davantage, quel que soit d’ailleurs son savoir, la richesse et la ressource et l’étendue spirituelle qu’illumine le fait conscient de construire. » – Paul
Valéry■ Ancienne villa d'Anto, nouvelle mairie de Chazay d'Azergues (Rhône)
par Augustin
Chomel, 19041906. Photo Blaise Adilon, vers 1985.
Antonin Chomel a eu Tony Garnier comme professeur, en toute logique il pousse son fils à se former au métier d’architecte à l’Atelier Tony Garnier. Le célèbre architecte lyonnais est mort et son Atelier est devenu École Régionale d’Architecture de Lyon, sous la direction de deux anciens de ses disciples : Louis Piessat et Pierre Bourdeix. Alain Chomel le dit tout net : « mes études d’architecture ne m’ont pas laissé de souvenirs impérissables. elles étaient très tournées vers le passé. » Cette École est alors une structure privée indépendante, plus ou moins rattachée à l’École des BeauxArts. Y est dispensé à une trentaine d’étudiants un enseignement assez artisanal, ceci dans une ambiance bon enfant et quasi familiale. Avec, pour cadre, des locaux un peu « foutoir » installés dans la très pittoresque Montée du Gourguillon (Lyon 5e).
« louis piessat avait aussi son appartement à côté de l’Atelier, nous y croisions sa femme et ses enfants. pierre Bourdeix ne passait qu’en fin de journée. »
En première année 1951-1952, Alain Chomel, comme ses co-disciples, planche sur des sujets de taille moyenne dits « de seconde classe », il se souvient d’une chapelle immense… Pour le reste, il extrait de sa besace aux souvenirs un étrange mix qui faisait alors le quotidien des étudiants en architecture : dessins, modelage, travail à l’équerre, petits projets théoriques, colonnes doriques, petits pavillons dans un parc… Quels liens avec l’architecture contemporaine ? Les grands noms d’alors, au premier rang desquels celui du Corbusier, sont ignorés ; en cette matière, il fera sa formation par lui-même (voir chapitre 2). L’École n’abrite non plus aucune bibliothèque et des pans théoriques essentiels selon Alain Chomel, comme la sociologie, n’apparaissent nulle part. « le contenu, les méthodes de cet enseignement, m’ont déçu. et plus ça allait, plus nous refusions cet enseignement traditionnel. » Contrariété supplémentaire, les travaux de ces étudiants lyonnais sont jugés « par les grands pontes parisiens. Il fallait tenir compte des modes… »
Heureusement l’ambiance est fort chaleureuse entre ces jeunes gens. Ils discutent beaucoup, partagent au sein de l’atelier les nuits blanches avant les fameuses « charrettes ». « Je travaillais surtout chez moi et j’allais à l’atelier pour retrouver mes camarades à la bonne franquette. nous étions une fine équipe à nous retrouver tous ensemble au dernier étage, chacun penché sur son projet. » Parmi cette fine équipe, on découvre de futurs architectes lyonnais comme Charles Curtelin, Jean-Gabriel Mortamet, Bernard Chamussy, Pierre Dolmais, qui resteront amis proches d’Alain Chomel. 1952-1953 est l’année du projet de construction qui termine la seconde classe des études réalisées sous la direction de Louis Piessat, avec François-Régis Cottin comme professeur de construction (études techniques). À la fin de cette période, il est de coutume de faire son service militaire, Alain Chomel demande à servir dans l’armée d’Afrique « pour partir loin de ma famille et loin de cette école… »
Croquis,
en mars 1988, une exposition rend hommage à pierre Bourdeix à la mairie du 8 e arrondissement dont il fut l’architecte. pierre Bourdeix s’occupait des élèves de 1re classe dont fit partie Alain chomel à son retour d’Algérie. À cette occasion, plusieurs architectes, anciens élèves, écrivent un texte pour évoquer ce personnage qui a formé de nombreux architectes lyonnais (parmi ceux-ci charles d elfante). Voici ce que dit alors du « patron », eugène gachon :
« Il est 21 h ou 21 h 30 ! Dans l’extraordinaire capharnaüm du 27 montée du Gourguillon qui abrite l’atelier, règne un silence ponctué de quelques solides jurons, à moins que ne s’élève un de ces chants paillards transmis de génération en génération… Les lampes suspendues avec deux fils horizontaux tendus sous tension, en contradiction avec toutes les règles de sécurité, détachent de larges cercles lumineux où se découpent les têtes sombres sur le té et l’équerre… Un énorme poêle rond en fonte essaie d’apporter quelque chaleur dans cet antre qui abrite une trentaine de garçons et une ou deux filles venus pour apprendre leur futur métier.
La porte s’ouvre et le patron apparaît. Un rapide bonsoir et il commence à corriger les projets qui prennent corps sur le calque ou le papier à dessin. C’est alors que commence pour lui une gymnastique intellectuelle incroyable, car si le sujet est bien entendu le même, pour la France entière d’ailleurs, chacun a choisi un parti de composition différent et le patron va pousser chaque élève à tirer la quintessence du choix qu’il a fait, en critiquant, en conseillant, en démolissant si nécessaire, en orientant et en faisant quelquefois un croquis toujours admirable avec un crayon que je n’ai jamais vu plus grand que 5 cm, parce que toujours usé, toujours taillé avec soin, ce croquis qui remettait dans le droit chemin, que certains se débrouillaient même à susciter pour combler le retard de leur étude. » – Eugène Gachon, architecte
Croquis, par Alain Chomel, 1950 : Istanbul, voyage école des BeauxArts.
À son retour d’Algérie et pendant dix ans, Alain Chomel s’attelle à un projet ambitieux et là encore exceptionnel pour un jeune architecte, la conception d’un nouvel hôpital pour les Hospices Civils de Lyon. L’hôpital neurologique est, de fai, le premier hôpital d’envergure que les HCL planifient depuis l’emblématique Grange-Blanche. Ce dernier est de type pavillonnaire, le futur hôpital quant à lui doit regrouper dans un même bâtiment l’ensemble des services de neurologie et de neurochirurgie alors dispersés dans plusieurs établissements lyonnais.
En réalité c’est son père qui initialement est en charge de ce projet ayant reçu l’aval du ministère de la Santé de l’époque, ceci en association avec un certain Paul Durand. Paul Durand semble bien indiqué pour cette tâche, il est un ancien collaborateur de Tony Garnier et a travaillé sur l’hôpital Grange-Blanche. Alain Chomel a eu l’occasion de faire quelques débuts professionnels aux côtés de cet associé de son père, à son premier retour d’Algérie en 1955, mais le contact n’est franchement pas passé. « Je m’intéressais à tout, je voulais comprendre comment les choses fonctionnaient dans un hôpital, mais lui faisait obstacle à mon information. c ’était un personnage gris, renfrogné. »
En 1956, l’Algérie définitivement derrière lui, Alain Chomel retrouve l’étude paternelle et le projet d’hôpital neurologique dont l’étude est à l’arrêt dans l’attente d’une nouvelle loi concernant les hôpitaux… Et toujours Paul Durand. Celui-ci n’admet pas trop l’impatiente curiosité du jeune Chomel qui veut profiter de l’arrêt de l’étude pour réfléchir, prendre contact avec le terrain. Marchant peut-être sur ses plates-bandes sans le savoir. « Je voulais faire de l’architecture contemporaine et lui m’aurait voulu
■ Hôpital neurologique, façade principale.
soumis. Il fit en sorte que je me mette à dos le corps médical puisqu’un jour je suis mis à la porte du pavillon d’urgence de g range-Blanche. » La situation se tend jusqu’au jour où le professeur Pierre Wertheimer, patron de la neurochirurgie et administrateur des HCL en charge du projet, convoque les Chomel père et fils. Heureusement la situation se calme par le biais de la future épouse d’Alain Chomel, nièce d’une neuropsychiatre bien connue, Line Thévenin. Celle-ci est proche des médecins du futur hôpital et en particulier du professeur Dechaume responsable de la neurochirurgie, ce qui calme le jeu. Le professeur Wertheimer se montre compréhensif et renouvelle sa confiance aux Chomel, Paul Durand est remplacé par l’architecte des HCL. Au final, au sein de l’agence familiale, Alain Chomel seul pilote le projet. Un sacré challenge.
■ Hôpital neurologique, coupe longitudinale sur bloc opératoire.
LA GRAVITÉ DE L’ACTE DE CONSTRUIRE en 1963 – dans un article paru au moment de l’inauguration de la neurochirurgie, 1re et 2e tranches de l’ensemble – Alain chomel s’est penché sur ce challenge que représente la construction d’un hôpital et a idéalisé ses priorités d’alors : « Il est nécessaire de prendre conscience de notre responsabilité, car cet hôpital va demeurer là pendant de nombreuses décennies et sa présence pourra être une aide ou un obstacle à l’épanouissement de la vie de l’homme. Elle marquera ainsi de nombreuses générations c’est pourquoi les choix présents engagent à coup sûr l’avenir. L’hôpital est donc pour l’architecte une occasion d’aborder un des programmes les plus complets et de ce fait les plus difficiles. Un hôpital est par excellence quelque chose de vivant et de complexe, aux multiples fonctions différenciées et complémentaires. C’est justement la diversité de ces éléments qui doit se traduire par une architecture vivante et non pas monotone et impersonnelle.
C’est cette volonté qui a dominé dès le départ, non pas par désir de singularité, mais par réaction contre l’aspect triste, antipathique, lugubre et impersonnel qui est souvent la caractéristique des hôpitaux. C’est pourquoi, par exemple, une recherche particulière a été faite pour redonner à l’ensemble “dépôt mortuaire” non seulement la décence qui lui manque souvent, mais surtout le caractère digne et sacré qui devrait lui appartenir en propre. » – A. C.
Pour huiler les rouages de cette complexe machine « Neuro » à lancer, l’administration avait désigné le futur directeur Jean Cathelin pour assurer les liaisons avec elle, le corps médical et l’équipe de maîtrise d’œuvre. Jean Cathelin dirigeait précédemment l’hôpital de Giens, son fils Daniel poursuit à Lyon ses études d’architecte ce qui permet une meilleure compréhension mutuelle. Il faut comprendre en effet toute la complexité que doit affronter Alain Chomel. Comment vont être organisés les services ? Comment travailleront les médecins ? Quels sont les attentes, les désirs des futurs utilisateurs ? Et tant d’autres questions. Pour y répondre, l’architecte, bien résolu à découvrir « le pourquoi du comment », s’immerge dans les pavillons « neurologie » et « psychiatrie » de Grange-Blanche va même jusqu’à fréquenter les salles d’opération. « ce n’était pas forcément utile, mais j’avais besoin de m’immerger dans la réalité. »
Il interroge des médecins, voudrait échanger sans frein avec les infirmières, mais il se heurte vite à la pesante hiérarchie médicale. « en fait je rencontrais toujours le médecin-chef, qui me dirigeait vers la “cheftaine” de service. Jean cathelin faisait les ronds de jambe nécessaires avec les médecins, mais finalement, je me sentais assez seul, peu de choses me semblaient cadrées. » Les réunions s’enchaînent pour tenter de cerner la future organisation générale, tâche ardue comme la décrit Alain Chomel : « penser l’organisation architecturale d’un ensemble d’une complexité pleine d’inconnues alors que les futurs utilisateurs eux-mêmes ont de la peine à en appréhender le fonctionnement dans l’avenir, est extrêmement hasardeux. » Revenant sur la genèse de l’hôpital neurologique bien des années plus tard, Alain Chomel ne peut que constater : « malgré de très nombreuses réunions pour essayer de comprendre le fonctionnement souhaitable de chacun des différents services, il n’a finalement jamais été possible d’avoir une vision claire de l’ensemble. l’hôpital apparaissait comme une juxtaposition d’éléments très divers aux relations assez floues. »
Heureusement, « Neuro » se construit par tranches successives ce qui permet une adaptation au fil du temps. Il accueille ses premières équipes médicales, ses premiers malades et progressivement le dialogue s’assouplit entre l’architecte et les médecins. Fidèle à sa méthode d’immersion, Alain Chomel fréquente l’hôpital en devenir : « J’y suis beaucoup allé, j’ai écouté les critiques sur place. d ans les services, je me baladais en disant “je suis l’architecte”, je me faisais engueuler par les infirmières qui me reprochaient la longueur des couloirs… dont je n’étais pas responsable ! J’ai rencontré des gens qui y avaient été opérés. J’avais fait cet hôpital comme un architecte, c’est-à-dire selon moi comme un usager, un éventuel malade. J’avais la grande idée d’humaniser l’hôpital, mais c’était assez théorique. »
C’est bien avec l’hôpital neurologique qu’Alain Chomel teste et adopte ce qui sera sa « marque de fabrique » : mettre les futurs utilisateurs au cœur de tout projet architectural. Un objectif là encore compliqué : « Il faut arriver à ressentir, à découvrir ce que personne ne vous demande ou ne vous explique, parce qu’y vivant déjà, il n’en a plus conscience. Il s’agit d’entrer dans la peau de l’usager, d’imaginer sa vie jusque dans les détails dont il ne comprend pas l’importance, d’assimiler le fonctionnement et les rapports des choses entre elles. »
Ainsi, et cela peut sembler invraisemblable de nos jours où le moindre projet de construction est cerné de normes, réglementations, études préalables, concertations tous azimuts, l’hôpital neurologique de Lyon (400 lits, 6 étages) inauguré en 1963, s’est construit dans un flou déroutant, les besoins émergeant au fur et à mesure.
■ Hôpital neurologique, entrée, plan-masse et plan de situation.
Un geste architectural fort a cependant été posé au niveau de l’avant-projet par le père d’Alain Chomel, approuvé par le ministère de la Santé à Paris, il n’était pas possible d’y déroger : l’hôpital neurologique de Lyon, baptisé plus tard « Pierre Wertheimer », doit s’inscrire dans un bâtiment en forme de grande barre. Cette organisation linéaire permet de faciliter l’ensoleillement des chambres toutes aménagées sur la façade sud la mieux exposée et de s’adapter à un terrain de 6 hectares tout en longueur. Présentant par ailleurs au nord la très profonde excavation d’une ancienne carrière de sable, ce qui permettait d’y concentrer un certain nombre de services techniques.
Cette grande barre se révèle un carcan pour Alain Chomel, il s’efforce toutefois d’y échapper quelque peu et de faire aboutir ses intentions propres : « faire un hôpital qui ne ressemble pas un hôpital. Aussi curieux que puisse paraître cette affirmation, cela voulait dire la recherche d’un espace qui ne soit pas aseptique, hygiénique et impersonnel comme trop souvent, mais ouvert, accueillant, varié, dynamique, coloré. un “fonctionnel” aux dimensions élargies. l’apport de la polychromie a été important dans cette tentative. »
Pour mener à bien cet important travail, Alain Chomel constitue progressivement autour de lui et sous l’ombrelle de l’agence paternelle, une équipe totalisant jusqu’à vingt personnes. Charles Cavallini (voir plus loin), qui a fait ses études en Italie, en est la cheville ouvrière technique, deux architectes Henri Beaupère et Jacques Armagnat viennent en renfort. Tout comme l’architecte, les bureaux d’études sont désignés par les HCL : le cabinet Cler pour les structures et le cabinet Martin pour les fluides. Ils sont payés par les entreprises, ce qui ne se fait plus aujourd’hui. C’est avec l’ingénieur de structures Pierre Delescluse qu’Alain Chomel a les rapports les plus positifs, car il l’initie aux multiples possibilités du béton armé ; l’aide à trouver un langage architectural cohérent. Pour cette raison, il l’embarquera plus tard dans d’autres réalisations. Alain Chomel insiste sur la nécessité d’un tel travail collectif : « l’architecture ne peut être que le fruit d’un immense travail
Une rencontre fortuite conduit Alain Chomel à s’investir dans le monde des blessés de la vie : handicapés physiques, handicapés mentaux, polyhandicapés, jeunes délinquants, adolescents difficiles… Architecte sensible, il construit, rénove des établissements spécialisés pour ces populations fragiles dont il comprend et surtout ressent au cœur les attentes particulières. Il s’efforce d’y répondre en mettant en œuvre une architecture particulièrement attentive et adaptée. Son credo en la matière : « ce sont les personnes qui ont le plus de difficulté d’adaptation et de communication qui ressentent le plus profondément l’agression d’un espace anonyme, froid et trop collectif. les lieux de rééducation, mais aussi tous ceux qui accueillent des hommes et des femmes en grande difficulté, doivent être des lieux pour renAÎtre. » Différents projets dans cet univers particulier ponctuent ainsi son chemin d’architecte, le font progresser, enrichissent son savoir-faire, nourrissent sa sensibilité.
En 1966, Alain Chomel est sur le terrain de la propriété de la Solitude, chemin de Montauban Lyon 5e, où s’installe une extension du collège des Maristes. Nouveau client important, les Pères Maristes viennent d’acquérir cet ancien orphelinat dont il est train de réaliser les relevés quand le hasard met sur son chemin René Raymond, directeur des Ateliers Denis Cordonnier (Centre d’Aide par le Travail pour adultes handicapés mentaux) ; locataire d’une partie des locaux avec un groupe d’ateliers, René Raymond doit désormais construire un centre neuf pour ses « pensionnaires », dispersés dans plusieurs locaux inadaptés, et il choisit Alain Chomel comme architecte, car d’évidence le hasard a bien fait les choses : le courant passe parfaitement entre les deux hommes. « rené raymond avait écrit à le corbusier pour lui confier ce projet qu’il pressentait complexe, mais, trop occupé — c’est l’époque de chandigarh — ■ Ateliers Denis Cordonnier.
celui-ci avait décliné en répondant : vous trouverez bien un jeune architecte pour ce projet ! » Élément favorable à Alain Chomel, l’association « l’Hygiène mentale du Rhône », fondatrice des Ateliers Denis Cordonnier, a des liens solides avec l’hôpital neurologique et valide facilement le choix de ce jeune architecte.
Pour celui-ci, ce nouveau projet tombe à pic, car la fin de l’hôpital neurologique signe le net ralentissement du cabinet Chomel, réduit à quatre personnes. En outre Antonin Chomel décède en 1964. Alain prend la succession de son père, mais il peine à développer l’entreprise familiale. Pousser les bonnes portes, cultiver un relationnel affûté avec les personnes bien placées comme savait le faire son père, faire preuve d’entregent commercial, tout cela n’est clairement pas inscrit dans son ADN. En outre dans le milieu bourgeois lyonnais, il demeure « marqué » par son engagement pour une Algérie indépendante ce qui « l’ostracise » un peu. L’essentiel demeure que, en tant qu’architecte, il veut garder sa liberté, rester centré sur ses exigences architecturales, garder la haute main sur la création. Dès lors, il observe avec distance la course au business de ses confrères architectes : « Ils couraient les notaires, les marchands de bien pour décrocher des projets de logements. c’était la manne de l’époque. J’étais bien content que se présentent les Ateliers denis cordonnier, car j’avais besoin de travailler. »
Ce qui sera le premier Centre d’Aide par le Travail de France (CAT) s’avère un projet ambitieux. Il s’agit de réunir en un même lieu — un terrain tout en longueur à Écully — plusieurs groupes d’ateliers dédiés à des activités d’emballage, des bureaux, des services communs, un restaurant… Plus tard s’ajouteront des logements.
Dans le sillage de René Raymond qui le pilote dans les ateliers existants de Lyon, Alain Chomel découvre le monde des handicapés mentaux, « ce sont des gens très gentils, tactiles, ils vous serrent dans les bras ». Fidèle à son approche, il s’immerge pendant plusieurs mois dans ce nouveau milieu a priori assez fermé, fréquente l’association ADAPEI (alors Association Départementale des Amis et Parents des Enfants Inadaptés) échange avec ces proches des personnes handicapées. Il discute aussi beaucoup avec René Raymond, dont la ligne de conduite se résume fort simplement : que ces adultes handicapés mentaux soient considérés.
L’association en charge des Ateliers Denis Cordonnier n’est pas riche, ce qui conduit Alain Chomel à utiliser pour les bâtiments des matériaux simples : charpente en bois et toitures eternit, béton brut ou aggloméré avec enduits blancs projetés. De tels choix ne sont pas pour lui déplaire, « j’ai même quelques fois poussé à l’extrême le désir d’économie ». Il accorde en parallèle une attention toute spéciale aux détails : installer un bassin dans le bâtiment principal, mettre des bancs pour la pause des travailleurs handicapés, considérer la logistique des ateliers et bien séparer les flux voitures et piétons. Concevoir l’espace pour cette population particulière qui a besoin à la fois d’être ouverte au groupe et en même temps de protéger son intimité. Et comme toujours laisser la plus grande place à la lumière.
« Pour Denis Cordonnier, le bâtiment central, celui où il y a le restaurant, je me suis torturé. Je voulais absolument réutiliser les charpentes des premiers bâtiments dont je connaissais le prix. On n’avait vraiment pas d’argent, je tournais en rond avec ces charpentes. C’était vraiment une contrainte, il y a eu une période de gestation très longue à cause des difficultés à trouver un financement, ce qui facilite la maturation du projet. Je travaille très souvent à très petite échelle, deux millimètres par mètre avec beaucoup de coupes pour concrétiser cette étape du projet et pouvoir le critiquer un certain temps après. Ça dure et c’est difficile jusqu’à ce que le projet soit mûr et se passe dans la joie comme si cela coulait de source. » – A. C.
Les Ateliers Denis Cordonnier ouvrent en 1968 une première tranche de leur nouvel établissement imaginé par Alain Chomel, comprenant deux groupes d’ateliers et trois logements de fonction indépendants. Le plan-masse général est au point pour que l’insertion se passe dans de bonnes conditions. 200 personnes y travailleront. Pour l’architecte, c’est un projet au long cours puisqu’au fil du temps les Ateliers se développent avec de nouvelles activités (espaces verts, textiles). Alain Chomel accompagne ces développements jusqu’à sa retraite du métier. Il avoue avoir pris grand plaisir à mener ce travail. Lequel est d’ailleurs reconnu par ses confrères, par exemple l’architecte Jean Zumbrunnen qui lui écrit en 1973 : « Je viens de découvrir les Ateliers denis cordonnier et il faut que je te fasse part de mon émotion devant une architecture d’une telle qualité. Voir que l’architecte a tout dominé parfaitement, avec une telle finesse, me fait éprouver une joie profonde que je te dois. Il fallait que je te le dise ! »
Il comprend surtout que grâce aux Ateliers Denis Coordonnier il met le pied dans le monde associatif de la rééducation. Très vite, différentes associations œuvrant
autour du handicap et de problématiques diverses feront appel à lui. C’est l’occasion pour Alain Chomel de se lier avec des professionnels qui ont des points de vue sur l’architecture inédits. Il élargit ainsi son regard d’architecte, imprègne son métier de psychologie et de sociologie, bouleverse le rapport de l’individu à l’espace.
La dimension sociologique fait dès lors partie du travail de l’architecte Alain Chomel. On peut lire comme une profession de foi ce qu’il écrivait alors : « l’Architecture doit assurer sur le plan spatial la transition entre l’individu et la collectivité. cette transition doit être progressive et non brutale. Éviter les effets de masse sans signification porteurs de l’angoisse collective. rechercher les groupes intermédiaires qui facilitent l’appartenance sociale et la socialisation de chaque individu, par exemple refuser les alignements systématiques de chambres, de classes, de bureaux, d’appartements. une analyse institutionnelle est nécessaire pour comprendre l’organisation des relations à travers une institution et l’interroger sur son mode de fonctionnement. comprendre où sont les cloisonnements, quels sont les blocages pour savoir ce qui peut être amélioré. donner un territoire personnalisé à chaque groupe pour faciliter son enracinement et l’aider à se situer dans un ensemble plus grand, car il est l’espace de vie d’un groupe déterminé, “son intime”. les espaces de transition sont parmi les plus importants, plus ils sont collectifs plus ils doivent être traités avec soin. la qualité de l’espace est à la mesure de la qualité des relations proposées. »
Parmi les personnalités que rencontre alors Alain Chomel, il en est une essentielle : l’éducateur spécialisé Bernard Bichet. Celui-ci va cheminer avec l’architecte, l’un et l’autre s’imprégnant de leur expertise respective. L’un et l’autre totalement en accord sur la vision de leur travail : les lieux dits de « rééducation » doivent être avant tout des maisons pour « renaître » ; l’architecture doit prendre en compte la complexité de la communication humaine qui sera le meilleur support de l’activité
rééducative, tout mettre en œuvre pour préserver la qualité des relations humaines. Ce compagnonnage durera des années et s’incarnera à travers de nombreux projets : les foyers du Prado à Gerland et à Tassin-La-Demi-Lune, le Foyer René Sornay à Villeurbanne, tous les trois rénovés après incendie, ces foyers recevant des adolescents en difficulté familiale et sociale, ayant éventuellement commis des délits. Ils ont besoin de se réconcilier avec leur propre histoire, le passé occulté ne tarde pas à miner toute tentative de reconstruction. La Maison d’enfants de Saint Romain au mont d’Or, la Maison d’Accueil Paul Mercier Lyon 5e (grands et polyhandicapés), etc. ne posent pas les mêmes problèmes.
Bernard Bichet le dit tout net, on devient éducateur spécialisé pour combler une blessure profonde dont on peut ne pas être conscient : « on a été un être de manque et on choisit de vivre avec les siens, les exclus ; on se veut le médiateur entre la société et les exclus. » C’est en tout cas son histoire, à laquelle s’ajoute une très précoce vocation à devenir architecte, qui lui fait réaliser plans, maquettes, fréquenter les chantiers. La vie l’empêchera de concrétiser ce rêve, mais il conserve de solides connaissances et affinités pour le métier. Il démarre comme éducateur à 22 ans dans un foyer d’adolescents en difficulté à Villeurbanne, le Foyer René Sornay, et d’entrée de jeu il redécore les murs : « mon souci était que le lieu dise quelque chose de ce qui s’y vit. » Imprégné de sensibilité religieuse — il considérait d’ailleurs à l’époque que son métier ne faisait qu’exprimer en terme laïc cette sensibilité —, il fréquente la Fraternité Charles de Foucaud et y rencontre Alain Chomel. L’architecture est leur langue commune, tout comme leur fibre humaniste. Leur dialogue et leur parcours commun vont se poursuivre pendant plus de vingt ans.
Bernard Bichet dirige le Foyer Sornay à Villeurbanne, d’abord dans des locaux provisoires pendant que l’association achète un immeuble dont le seul gros œuvre était réalisé et en confie l’achèvement au Cabinet Chomel. Partant de quatre murs ou presque, ils peuvent donner la mesure de ce qu’ils recherchent — que l’architecture facilite la vie collective avec cet impératif que souligne Bernard Bichet : « Vivre avec et non à côté, une présence plutôt qu’une surveillance. tout en sachant que, nous, éducateurs, vivons avec des “enquiquineurs” et que nous-mêmes sommes pour eux des enquiquineurs. comment traduire cette réalité ? »
La description de ce foyer à l’époque apporte des éléments de réponse tout à fait concrets. Ainsi, plutôt que des dortoirs, les jeunes bénéficient chacun d’une chambre et chaque nouvel arrivant la trouve telle une page blanche. Il la décore selon ses désirs, peintures de couleur, posters… Ce lieu collectif et de rééducation veut se vivre comme une maison, l’installation d’une cheminée joue dès lors un rôle central.
« un banc de béton près de la cheminée permet de parler en regardant le feu plutôt qu’en face à face, ça libère la parole », décrit Bernard Bichet ; « un feu de cheminée, pour certains c’est la possibilité de se mettre en retrait par rapport au groupe », analyse Alain Chomel.
La position de la cuisine, dans un tel établissement collectif, se révèle également cruciale. Elle doit pouvoir être accessible facilement aux jeunes pour humer les plats, soulever un couvercle, « la nourriture est une médiation de la vie, un partage… toute chose compliquée si la cuisine est fermée ». Dans la salle à manger, une moquette
est mise au plafond pour amortir les bruits. Les appartements des cinq éducateurs sont privatifs, autonomes, mais reliés par une porte palière au foyer pour maintenir le lien. La salle de réunion voulue par l’architecte est ronde, construite dans la cave, elle dispose d’une petite fenêtre pour l’échappée visuelle. Cette forme ronde favorise les entretiens intimes entre l’éducateur et le jeune, bénéficie à la qualité de l’écoute, de l’échange. Alain Chomel place l’entrée du foyer à l’arrière plutôt que sur la rue pour une meilleure utilisation du terrain. « J’ai aussi beaucoup discuté avec Bernard Bichet pour savoir comment accueillir ces jeunes et les mettre en confiance, ce qu’on voit quand on arrive dans l’établissement. »
On pourrait multiplier tous ces détails qui au final changent tout. De fait, le dialogue ne cesse pas, l’architecte interroge au plus fin l’éducateur : qu’est-ce que le travail d’éducateur ? Comment le cadre peut aider ? « Alain chomel aimait que je lui traduise ce qu’est un projet pédagogique. Il disait toujours à ses clients : que voulez-vous vivre ? de mon côté, il m’obligeait à clarifier mes idées. » Les contraintes financières pèsent, on l’imagine, sur les réalisations dans cet univers de la rééducation et Bernard Bichet souligne à quel point Alain Chomel savait « faire beau et pas cher. faire avec l’existant, l’embellir, le transformer ». Et il confie son admiration pour la méthode Chomel : « J’étais en admiration de le voir poser le calque sur les plans, saisir son feutre et alors, les circulations, les communications… tout cela tombait comme un fruit mûr. » Et il conclut : « nous avions les mêmes affinités, la même sensibilité. Que voulons-nous faire ? pourquoi ? Je n’ai jamais rencontré un architecte aussi sensible au sens qu’Alain chomel. »
Bernard Bichet a livré par écrit un constat tout à fait précis sur les impacts positifs de l’architecture élaborée par Alain chomel.
« Dans quelques-uns de ces lieux, j’ai pu mesurer combien le changement architectural avait modifié le climat général de l’établissement. Ils devenaient des lieux chaleureux, accueillants où l’intégration des nouveaux pensionnaires était facilitée. La contagion de la violence, si habituelle dans ces lieux de concentration de la souffrance, y était beaucoup moins importante. La détérioration volontaire en particulier y était très diminuée, le bruit moins intense. Enfin, les éducateurs avaient le sentiment d’y travailler à l’aide d’un “outil” réellement approprié à leur tâche. » – Bernard Bichet, éducateur
Maison d’accueil pour handicapés, centre d’aide par le travail, foyer pour adolescents difficiles, Institut Médico Pédagogique… le parcours d’Alain Chomel est ainsi marqué de constructions ou rénovations destinées à ces populations fragiles. La Maison d’Accueil Spécialisée (MAS) Paul Mercier pour adultes polyhandicapés (physiques et mentaux) portée par une association issue de l’ADAPEI, se révèle un challenge particulièrement complexe. L’OPAC du Rhône donne généreusement le budget nécessaire, mais pour l’architecte, il convient de prendre en compte, pour leur futur lieu de vie, les besoins de personnes adultes très abîmées qu’il n’a encore jamais rencontrées. « ces handicapés physiques et mentaux ont besoin d’un espace adapté à leur esprit et leur corps. les handicapés ont peur des groupes trop grands, ils sont sensibles plus que d’autres à l’espace. c’est comme un prolongement de leur corps, une autre enveloppe qui peut accentuer ou réduire leurs handicaps. leurs corps sont lourds à porter dans des fauteuils, des “charrettes”. »
Pour résoudre cette question, Alain Chomel conçoit l’ensemble sur un seul niveau de rez-de-chaussée. Surtout, il structure la Maison en trois groupes de vie, chacun abritant douze chambres, réparties en deux sous-unités de six. Chaque groupe a son jardin plein sud et l’ensemble est organisé pour favoriser la vie commune. Il veut que ces unités puissent être baignées de lumière naturelle, par ailleurs elles sont reliées par des galeries aux angles largement arrondis. Se rajoutent la cuisine, la lingerie, les salles de kiné, les bureaux pour l’administration… Un jardin entoure l’ensemble et comme toujours Alain Chomel accorde une attention toute particulière aux variétés de la lumière : « J’ai voulu des ouvertures plus ou moins grandes, pour capter la lumière et surtout permettre aux handicapés de voir l’extérieur. »
À cette époque Bernard Bichet collabore pour quelques mois au cabinet d’Alain Chomel et il donne à l’architecte des conseils précieux pour cette future Maison d’Accueil notamment pour les salles de bain. « Il a attiré mon attention sur des problèmes que je ne voyais pas. nous avons beaucoup discuté en effet sur les salles de bain. » Les handicapés profonds y passent beaucoup de temps, option est donc prise de donner encore plus d’espace et de lumière à ces lieux en les disposant
sur le côté sud. Les manipulations y sont complexes, il faut l’anticiper et structurer l’espace, les circulations de ces salles d’eau en conséquence. Du dialogue avec Bernard Bichet, il ressort que les plans d’Alain Chomel doivent être revus. « nous n’avions prévu ni l’un ni l’autre qu’il fallait des baignoires spécialisées pour ces grands handicapés. elles ont été installées après la livraison du bâtiment. leur financement avait donc bien été prévu. » Ces tâtonnements s’expliquent aisément : monsieur Mercier, le président de l’association et l’interlocuteur d’Alain Chomel, n’avait pas su expliciter l’état des futurs pensionnaires, car son fils unique Paul, lui aussi grand handicapé, était mort. Depuis il se battait pour construire un foyer pour ses « semblables » gardés dans leur famille, faute d’institution pour les accueillir.
L’ensemble est livré en 1985 et aujourd’hui encore la MAS Paul Mercier reçoit avec douceur ces êtres fragiles. Alain Chomel le constate : « l’organisation en petites unités de plain-pied, prolongées par un espace extérieur accueillant, c’est-à-dire ensoleillé et abrité du vent, est pour beaucoup dans l’ambiance sereine qui est la caractéristique de cet établissement. » De larges fenêtres où cela est nécessaire, des couloirs spacieux et arrondis, un jardin qui s’invite à l’intérieur, du soleil tout cela contribue au bienêtre des handicapés profonds. Pour Alain Chomel, l’exigence a toujours été d’éviter à tout prix le côté carcéral qui peut ressortir vite dans de tels établissements : « Ils sont ultra-sensibles à cela, si on les boucle, ils hurlent… Alors si on peut adoucir. » La MAS Paul Mercier est un projet de fin de carrière qui, d’une certaine manière, marque l’aboutissement de tout son savoir-faire dans ces univers particuliers.
POUR LES MALADES MENTAUX
d eux fois Alain chomel participe à des concours pour la rénovation de pavillons de l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Bron (rhône). effaré par ce qu’il nomme « l’architecture de l’enfermement et de la mort », il saisit l’occasion de ces concours pour prolonger sa réflexion sur le rapport entre l’individu et l’espace.
« Je suis tout à fait persuadé que la qualité de l’espace et son organisation ont une importance considérable sur le comportement des malades de la communication. En effet, elles sont un des éléments fondamentaux de l’équilibre et de la sécurité de tout individu et de ce fait, de sa capacité à communiquer. Dans tous les cas, l’aménagement de l’espace doit être envisagé comme un des outils de la pédagogie ou de la thérapie de la communication entre les hommes. Il est un élément important de la structuration de leur personnalité. » – A. C.
Alain Chomel a exercé le métier d’architecte à Lyon de 1955 à 2000. Cet ouvrage déroule ses années d’une architecture incarnée, exigeante et novatrice, particulièrement dans le domaine scolaire.
Laurence Jaillard, journaliste à Lyon, a longtemps travaillé pour la presse écrite. Pour cet ouvrage, elle reste fi dèle à son credo : privilégier une approche journalistique, raconter une histoire sur un mode vivant et actuel.
WWW.EDITIONS-LIBEL.FR
PRIX 20 € ■ ISBN 978-2-917659-57-1
Dépôt légal : avril 2017