Dessinateur à la manufacture nationale de tapisserie de Beauvais, membre fondateur de la Société astronomique de France créée à l’initiative de Camille Flammarion, archéologue et amateur d’art, « entré en photographie » pour les besoins de sa passion pour les astres, Léon Fenet (1839-1898) est un parfait représentant de ces hommes de sciences et de culture qui ont marqué le XIXe siècle.
Léon Fenet photographies 1883 › 1898
Fervent observateur du ciel – on le disait « amant d’Uranie » –, il nous a légué des clichés hors du commun de la Lune, qui laissent transparaître les mystères de l’immensité céleste. Contrepoint terrestre de cette passion, il a fixé l’image des œuvres et des vestiges somptueux ou insolites du passé, et s’est attaché à garder la mémoire d’un habitat rural en voie de disparition, composant en autant de tableaux photographiques le cadre et les modes de vie de nos aïeux.
De l’Oise à la Lune
C’est à la découverte des parcours croisés de Léon Fenet, qui mêlent photographie, astronomie, patrimoine et ethnologie, que vous invite le présent ouvrage.
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enet s 1883 › 18 F n o Lé raphie g o t o ph
prix : 15 € ISBN : 978-2-917659-25-0 dépôt légal : septembre 2012 www.editions-libel.fr
Archives départementales de l’Oise
Sommaire
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Préface
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Fenet en son siècle
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Les images de Léon Fenet
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Cahiers d’images
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Photographier le ciel
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Mégalithes et silex
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Monuments de l’Oise
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Chaumières, fermes et villages
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Le Beauvais du XIXe siècle
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Excursions et voyages
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Sources photographiques et orientation bibliographique
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De l’Oise à la Lune
Le 7 janvier 1839, lors d’une séance de l’Académie des sciences de Paris, l’astronome et physicien Louis François Arago, grande figure de la science française de l’époque, présente un nouveau procédé permettant de reproduire de manière mécanique les images qui se forment dans la chambre obscure, cette machine à dessiner employée depuis le XVIe siècle par les artistes. Arago exhorte l’État français à en faire rapidement l’acquisition auprès de son inventeur, Jacques Louis Mandé Daguerre, qui l’a lui-même baptisé « daguerréotype ». Le 24 avril de cette même année 1839, naît à Beauvais Charles Léon Fenet. Deux évènements apparemment sans rapport et pourtant…
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Les premiers pas de Léon Fenet à Beauvais Léon Fenet naît à Beauvais rue du Pont Godard. Son père, Amable Joseph Fenet1, est tailleur d’habits, sa mère, Louise Eugénie Constance Livier2, couturière. Quatre autres enfants naîtront de cette union3. La ville de Beauvais est alors en pleine transformation. Depuis le début des années 1830, des améliorations importantes ont changé l’aspect jugé alors désagréable qu’avait autrefois Beauvais avec des rues mal percées, des maisons non alignées, presque toutes construites en bois. On trouve désormais, au centre de la ville, de très belles maisons d’un style moderne, une vaste place prolongée d’une rue neuve, très large, sur laquelle on installera quelques années plus tard (en 1851) la statue de Jeanne Hachette. On trouve également « de beaux et spacieux boulevards, garnis de plantations d’arbres, formant d’agréables promenades. Ils sont bordés par un canal d’eau vive qui, après en avoir fait le tour, se décharge dans le Thérain. Ils remplacent les anciens remparts fortifiés, construits pendant les 12e et 13e siècles, qui étaient entourés de fossés marécageux et remplis d’une eau stagnante dont les vapeurs exhalaient continuellement des miasmes aussi contagieux que funestes à la santé des habitants. La démolition de ces remparts, commencée en janvier 1803, s’est continuée d’année en année jusqu’en 1846 […] »4.
« Beauvais. Vue prise sur les hauteurs de la rue de Bretagne », entre 1883 et 1885. Cliché Léon Fenet. Épreuve sur papier albuminé. Collection privée. AD Oise, 5 Num2-10/05.
Le territoire de la ville, assez restreint, s’étend sur environ 756 hectares. La population avoisine alors les 12 000 habitants (12 265 habitants en 1843)5. La ville de Beauvais est très commerçante et particulièrement active dans la fabrication des étoffes de laine, industrie qui décline cependant après 1790. Beauvais comptait également des manufactures de toiles peintes puis d’impressions sur étoffe et de nombreuses autres activités s’y développaient, blanchisserie, imprimerie, tannerie, brasserie, boucherie… On y trouvait aussi de nombreux cafés et épiceries. C’est donc dans une ville fort industrieuse que Léon Fenet va faire ses premiers pas, une ville dont les habitants seraient « persévérants, circonspects et très laborieux ; [auraient] l’imagination vive, le goût du travail et de l’industrie, de l’aptitude pour le commerce et une fidélité scrupuleuse à tenir leurs engagements »6. Sur l’enfance de Léon Fenet, on sait peu de choses. Il résidait rue du pont Godard puis rue des trois cailles. Sans doute fréquentait-il l’école primaire. En effet, il entre à la manufacture impériale de tapisserie de Beauvais en 1856, à l’âge de 17 ans. Or, on sait qu’en 1905 les jeunes gens qui désirent entrer à la manufacture doivent être pourvus du certificat d’études primaires. Ils font d’abord deux ans de stage aux cours de dessin |1| Né à Mureaumont (Oise) le 25 janvier 1804, décédé à Beauvais le 16 janvier 1891. |2| Née à Beauvais le 27 janvier 1804, décédée dans cette ville le 30 septembre 1858. |3| Jules Joseph, né en 1833, décédé en 1839, une fille sans vie en 1837, Edmond Frédéric Ernest, né en 1841, décédé en 1845, et Eugénie Marie Angélique, née en 1842 (décédée à Toulouse le 29 juin 1918). |4| Tremblay (Victor), Notice ou histoire abrégée de la ville de Beauvais et de ses environs, 1846 (AD Oise, rééd. 2009, 1 BH 6091). |5| Pour comparaison, Compiègne compte 9 076 habitants en 1841, Amiens 47 117 habitants. |6| Tremblay (Victor), op. cit.
Salle de dessin de la manufacture nationale de tapisserie à Beauvais, début du XXe siècle. C’est dans une salle de dessin semblable à celle-ci que Léon Fenet apprit le dessin entre 1856 et 1860. Carte postale. AD Oise, 4 Fi 509.
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et de tapisserie, et sont admis ensuite, s’ils ont montré les dispositions nécessaires, comme « élèves appointés ». Après huit ans d’études environ, à 21 ans, ou après l’accomplissement de leur service militaire, ils prennent rang parmi les « artistes » et sont nommés par le ministre des Beaux-Arts, sur la proposition de l’administrateur7. Léon Fenet n’a évidemment pas son certificat d’études puisque ce dernier ne sera créé qu’en 1866 par Victor Duruy, et réinscrit dans la loi Jules Ferry du 28 mars 1882. Néanmoins, la manufacture s’assurait vraisemblablement d’un minimum de connaissances scolaires et d’aptitudes artistiques avant d’accepter des élèves. Il est certain que Léon Fenet était très doué en dessin comme le montre le dessin d’un village d’Alsace qu’il fit en 18598. C’est cette même année que d’élève il devient « artiste ouvrier »9. Ses études devaient s’apparenter à celles du cursus de 1905, tout en étant plus courtes. Lorsqu’il débute comme élève, en 1856, Léon Fenet gagne 150 francs. Son traitement augmente régulièrement jusqu’à atteindre 2800 francs en fin de carrière, suivant sa progression professionnelle au sein de la manufacture : élève, puis artiste-ouvrier en 1859, « employé aux calques » en 1876, puis comptable en 1884 et chargé du service du magasin10.
Un village de l’Est de la France, 1859. Reproduction d’un dessin à la plume, réalisé par Léon Fenet, alors élève à l’école de dessin de la manufacture impériale de tapisserie de Beauvais. Cliché Léon Fenet, entre 1885 et 1895. Épreuve sur papier albuminé. AD Oise, fonds Écomusée des pays de l’Oise, 39 Fi 15/77.
Quatre ans après être devenu « artiste-ouvrier », Léon Fenet fonde une famille en épousant, à Beauvais, le 6 juillet 1864, Rose Mathilde Montalescot, née à Beauvais le 11 février 1849. Quatre enfants naissent de leur union : un garçon sans vie en 1866, Robert Adrien en 1872, Marguerite Jeanne en 1875 et Lucien Prosper en 1886. |7| Bousson (Ernest), La manufacture nationale de tapisserie de Beauvais, son histoire, son fonctionnement actuel et son rôle artistique, 1905 (AD Oise, 2 BR 2113). |8| AD Oise, 39 Fi 15/77. |9| Archives nationales, F/21/668. |10| Registre du personnel de la manufacture des Gobelins.
Façade sur rue de la manufacture nationale de tapisserie de Beauvais, début du XXe siècle. Détruite lors des bombardements de juin 1940, la manufacture s’ouvrait sur la rue éponyme, actuelle rue de la tapisserie. Carte postale. AD Oise, 4 Fi 497.
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l’admission à l’exposition universelle semblera particulièrement utile à l’éclat de cette solennité » et d’organiser des expositions de produits industriels, agricoles et horticoles du département27. Léon Fenet est à l’image de ce XIXe siècle où les sciences et les techniques font des progrès rapides et impressionnants. Non content d’être spécialiste en astronomie et en photographie, il s’intéresse aussi à l’archéologie, jusqu’à en devenir, là encore, une référence dans le Beauvaisis.
|27| AD Oise, Mp 4156.
Lettre de Léon Fenet adressée à Camille Flammarion, 17 mai 1887. Les deux hommes, partageant la même passion pour l’astronomie, correspondent régulièrement entre mai 1887 et août 1895. Société astronomique de France, fonds Camille Flammarion.
Planisphère céleste mobile pour l’horizon de Paris, dressé sous la direction de Camille Flammarion par Léon Fenet, entre 1885 et 1887. Société astronomique de France, fonds Camille Flammarion. Cliché Stéphane Vermeiren, AD Oise.
page de droite : Carte générale de la Lune dressée sous la direction de Camille Flammarion par Casimir-Marie Gaudibert, dessinée par Léon Fenet, 1887. « Offert à la bibliothèque des Archives du Département de l’Oise : Beauvais le 8 janvier 1888. Le Dessinateur : Léon Fenet. Astronome ». AD Oise, plan 1344.
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La production photographique de Léon Fenet débute en 1883 et ne s’étend que sur une quinzaine d’années. Des « 3 000 clichés positifs ou négatifs de : monuments divers, maisons curieuses, scènes champêtres, paysages, vues de Beauvais et du département de l’Oise, photographies d’astres et du ciel » mentionnées dans le catalogue de la vente aux enchères publiques consécutive à son décès en 189833, les Archives départementales de l’Oise conservent aujourd’hui 194 plaques de verre et 177 épreuves sur papier. Si l’on y ajoute les quelque 160 clichés répertoriés dans d’autres collections, tant publiques que privées, la totalité des photographies qui nous sont connues ne représente qu’environ un sixième de la production de ce photographe. Pourtant, la grande qualité technique de ces images et le soin que l’auteur a apporté à leur composition en font un des ensembles les plus riches et les plus attachants du patrimoine photographique régional. |33| Catalogue des livres anciens et modernes composant la bibliothèque de feu Monsieur Léon Fenet, 1898 (AD Oise, 2 BR 4435).
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De l’Oise à la Lune Les images de Léon Fenet
On ne connaît les débuts photographiques de Léon Fenet que par une phrase extraite d’un compte rendu des séances de la Société astronomique de France : « […] Charles Herbert, photographe et artistepeintre à Beauvais, qui a bien voulu m’initier aux manipulations et aux procédés photographiques »34. Charles Herbert est, avec Léon Gautier, l’un des premiers photographes ayant pignon sur rue à Beauvais. À la fois artistes-peintres, inventeurs et artistes-photographes, ils ouvrent tous deux boutique au début des années 1860, durant la première grande période de la photographie35. Il est d’ailleurs surprenant que Léon Fenet se rapproche alors de Charles Herbert, qui revendique le titre de « photographe du Ministère des Beaux-Arts », plutôt que de Léon Gautier, dont la raison sociale précise qu’il est le « photographe de la Manufacture Nationale de la Tapisserie » 36, au sein de laquelle Léon Fenet exerce alors ses fonctions d’artiste-ouvrier.
Photographier le ciel Ce sont les nouvelles possibilités que la photographie apporte à ses observations du ciel qui incitent l’astronome Léon Fenet à « entrer en photographie ». Les plus anciennes images de Léon Fenet connues à ce jour sont deux photographies de la Lune, respectivement datées de 1883 et 188437 et conservées au Harry Ramson Center (Université du Texas, Austin, États-Unis). Une série de ses clichés d’« objets célestes » est intégrée aux collections du fonds Camille Flammarion, à l’observatoire de Juvisy-sur-Orge. Dans l’Oise, on répertorie à ce jour cinq photographies de la Lune dont trois dans les collections du musée départemental de l’Oise et une dans le fonds de l’Écomusée des pays de l’Oise, aujourd’hui conservé aux Archives départementales. La photographie est, depuis ses origines, une précieuse collaboratrice de l’exploration astronomique. L’exposition prolongée des surfaces sensibles à la lumière des astres permet d’enregistrer les sources lumineuses d’objets célestes indécelables même à l’aide des plus puissantes lunettes astronomiques. Si la sensibilité des plaques de verre s’est déjà considérablement accrue depuis les premiers essais de prises de vues lunaires au daguerréotype, plusieurs secondes de pose sont encore nécessaires, en cette fin du XIXe siècle, à la captation photographique des rayons émanant de notre satellite, et bien davantage encore pour enregistrer les sources lumineuses plus lointaines. C’est là que réside l’essentiel de la difficulté technique : durant le temps nécessaire à la fixation de l’image sur la plaque de verre, le photographe doit composer avec le lent mais perpétuel mouvement des éléments, à commencer par celui de la rotation de la Terre. Il est alors nécessaire de synchroniser, par un procédé mécanique dit « équatorial », le déplacement relatif du télescope, et de la chambre photographique qui y est fixée, au rythme de la rotation terrestre. |34| L’astronomie, revue d’astronomie populaire, de météorologie et de physique du globe, 1884. |35| Cartier (Jean), « Les professionnels de la photo à Beauvais », in Les cahiers de l’écomusée, Écomusée des pays de l’Oise, n°7, octobre 1984, pp.25-36 (AD Oise, 118 PER 1). |36| Cartier (Jean), op. cit. |37| Voir pages 17 et 40.
page de gauche : « Photographie directe de la lune », 1890. Cliché Léon Fenet. Épreuve sur papier albuminé. Collection privée. AD Oise, 5 Num2-13/01.
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De l’Oise à la Lune Les images de Léon Fenet
Revue, chez l’auteur, M. Fenet, à Beauvais, au prix de 1 fr (75 centimes pour les abonnés de la Revue) […] »48) et une seconde, portée en marge d’un cliché protestant contre la démolition de l’arcade marquant la Porte de Bresles, à l’entrée est de Beauvais en 1895 : « Photographie en vente 1 fr 25, au profit des pauvres ».
L’illustration photographique Ses rencontres avec les érudits locaux dans les sociétés savantes du Beauvaisis et ses talents reconnus de photographe vont conduire Léon Fenet à devenir l’illustrateur de publications historiques et touristiques locales. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’une partie de ses clichés consacrés à l’architecture monumentale réponde à quelques commandes. C’est tout d’abord par des dessins réalisés « d’après une photographie de Léon Fenet » que l’on découvrira les talents de l’artiste49 dans les publications locales. On remarque également quelques épreuves sur papier originales collées dans les pages d’ouvrages au tirage limité�50. Il faudra encore attendre quelques années pour voir se répandre les procédés d’impression photomécaniques des images. On trouvera alors des images de Léon Fenet dans des ouvrages aussi divers que La paroisse et l’église Saint-Étienne de Beauvais de Victor Lhuillier51, publié en 1896, ou L’habitation dans le département de l’Oise, son hygiène, de Georges Baudran52, publié en 1897. Quelques-uns de ses clichés illustreront encore des ouvrages d’historiens beauvaisiens, dont Charles Fauqueux ou Victor Leblond, parus plus de vingt ans après sa mort. Les cahiers d’images présentés ici sont ordonnés en une série de thèmes abordés par Léon Fenet : l’astronomie tout d’abord, dont le nombre des clichés présentés reflète mal l’importance prise par cette discipline dans les centres d’intérêt du photographe, puis les quelques photographies consacrées aux monuments mégalithiques, témoignant de son intérêt pour l’archéologie et les silex taillés du paléolithique. Aux images d’architecture monumentale succèdent celles des habitations rurales, puis celles consacrées aux rues et aux maisons de Beauvais et enfin quelques clichés de voyages, tout proches ou plus lointains. Aucune image de la vie privée, aucun album de famille n’apparaissent dans les collections de clichés identifiés à ce jour. L’ensemble des documents et des photographies de Léon Fenet conservé par ses descendants, ainsi que la plupart des clichés réalisés par son fils Robert, ont disparu avec la maison familiale d’Abbeville, sinistrée en 1940. Seuls deux portraits authentifiés de Léon Fenet, réalisés par Charles Herbert en 1882, ont pu être retrouvés, parmi les photographies du fonds Camille Flammarion à Juvisy-sur-Orge. Ces deux clichés ont également permis de reconnaître Léon Fenet dans les traits du photographe à la barbe grisonnante que l’on retrouve sur les quelques portraits, réalisés par Charles Commessy, de notre photographe astronome.
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L’Astronomie, revue d’astronomie populaire, de météorologie et de physique du globe, 1884. Lhuillier (Victor), Le canton de Songeons illustré, 1889 (AD Oise, 2 BR 207). Pihan (Léon, abbé), Beauvais, ses principaux monuments, 1885. AD Oise, 2 BH 183. AD Oise, 1 BH 4976.
Victor Lhuillier, Le canton de Songeons illustré, « Une chaumière dans le Haut-Bray », dessin d’après une photographie de Léon Fenet, 1889. AD Oise, 2 BR 207.
De l’Oise à la Lune Les images de Léon Fenet
Charles Commessy posant sous les saules (non localisé), entre 1890 et 1898. Charles Commessy (1856-1941), passe pour quelques instants du rôle de photographe à celui de modèle, pour les besoins de ce cliché de Léon Fenet au contre-jour parfaitement maîtrisé. Cliché Léon Fenet. Épreuve sur papier albuminé. Collection privée. AD Oise, 5 Num2-13/10.
Léon Fenet posant devant le moulin de la Miauroy à Beauvais, entre 1890 et 1895. La présence de Léon Fenet sur plusieurs clichés de Charles Commessy et celle de Charles Commessy sur quelques vues réalisées par Léon Fenet attestent leurs excursions photographiques communes. Cliché Charles Commessy. Plaque de verre stéréoscopique. AD Oise, fonds Charles Commessy, 5 Fi 950-1.
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L’astronomie et la photographie des astres furent la « grande affaire » de la vie de Léon Fenet. C’est vraisemblablement Rigobert Milice, chef d’atelier de la manufacture de tapisserie, qui lui transmit la passion de l’astronomie. Autodidacte en la matière et fervent observateur du ciel depuis les années 1860, Fenet fut sollicité par Auguste-Lucien Vérité, son concepteur, pour participer à l’élaboration des cadrans astraux de l’horloge astronomique de la cathédrale de Beauvais. Ses multiples séances d’observation faisaient en effet de lui un spécialiste reconnu. Plus tard, en 1887, répondant à l’appel de Camille Flammarion pour la création de la Société astronomique de France, il en devint l’un des membres fondateurs. C’est dans ce contexte, en collaboration avec Flammarion, que Léon Fenet réalisa de nombreux dessins d’observation, des planisphères célestes et des cartes de la Lune. Les nouveaux champs d’exploration ouverts à l’astronomie par les progrès de la photographie l’amenèrent à réaliser ses premières images dès 1883. Son traité technique sur La photographie du ciel et ses importantes applications en astronomie, publié en 1886, est un plaidoyer pour la photographie appliquée à la connaissance de l’univers.
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« On a beaucoup étudié la Lune, reprit Barbicane ; sa masse, sa densité, son poids, son volume, sa constitution, ses mouvements, sa distance, son rôle dans le monde solaire, sont parfaitement déterminés ; on a dressé des cartes sélénographiques avec une perfection qui égale, si même elle ne surpasse, celle des cartes terrestres ; la photographie a donné de notre satellite des épreuves d’une incomparable beauté. En un mot, on sait de la Lune tout ce que les sciences mathématiques, l’astronomie, la géologie, l’optique peuvent apprendre ; mais jusqu’ici il n’a jamais été établi de communication directe avec elle. » Jules Verne, De la Terre à la Lune.
De l’Oise à la Lune Photographier le ciel
« Observatoire de Juvisy [-sur-Orge]. Camille Flammarion », 8 octobre 1892. La propriété de Juvisy-sur-Orge (Essonne) fut donnée à Camille Flammarion en 1882 par un généreux admirateur, Louis-Eugène Méret. Camille Flammarion transforme l’imposant bâtiment en observatoire de 1884 à 1886. On le voit ici en compagnie de Sylvie Petiaux, sa première épouse, posant pour Léon Fenet devant le bâtiment surmonté de la coupole renfermant la lunette astronomique. Cliché Léon Fenet. Plaque de verre négative. AD Oise, fonds Léon Fenet, 13 Fi 134.
page de gauche : Vue de la Lune, entre 1890 et 1898. Cliché Léon Fenet. Épreuve sur papier albuminé. Musée départemental de l’Oise, n° 95-38/27. AD Oise, 5 Num2-16/05.
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De l’Oise à la Lune
Vraisemblablement sollicité par quelques érudits, membres des sociétés savantes du Beauvaisis qu’il fréquentait, Léon Fenet a réalisé de nombreux clichés d’architecture rurale afin d’illustrer leurs écrits consacrés à l’histoire locale. Il a photographié les rues des villages du Pays de Bray, du Plateau picard ou du Vexin, les constructions en pans de bois et torchis couvertes de chaume, les moulins à eau et à vent, les porches des fermes… Le photographe semble s’être évertué à enregistrer l’image d’un cadre de vie en voie de disparition. Les mesures contraignantes prises par les préfectures à partir du Second Empire ont en effet progressivement mené à la disparition des chaumières, propagatrice d’incendies dans les villages. La vétusté des habitations photographiées par Léon Fenet reflète également les préoccupations relatives à la santé publique, qui ont marqué la fin du XIXe siècle après les découvertes de Pasteur.
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De l’Oise à la Lune Chaumières, fermes et villages
« Une rue et église de Cauvigny », 5 août 1894. Dans la rue principale, on remarque au second plan le portique de bois utilisé pour l’entraînement des pompiers du village. Cliché Léon Fenet. Plaque de verre négative. AD Oise, fonds Léon Fenet, 13 Fi 43.
« Une rue à Hermes », 25 août 1893. Cliché Léon Fenet. Plaque de verre négative. AD Oise, fonds Léon Fenet, 13 Fi 58.
pade de droite : « À Amuchy [hameau de] Senantes, Haut-Bray Oise », 1893. Cliché Léon Fenet. Épreuve sur papier albuminé. AD Oise, fonds Écomusée des pays de l’Oise, 39 Fi 15/13.
De l’Oise à la Lune Chaumières, fermes et villages
« Les villages du pays de Bray ont une physionomie particulière, surtout dans les hameaux ; les habitations sont espacées au milieu des herbages ou des terrains plantés et entourés de haies vives. Les bâtiments ont cet aspect pittoresque qui plaît tant aux paysagistes. Les couvertures en chaume, il faut le dire, sont les plus saines de toutes ; elles protègent l’intérieur des habitations et les récoltes contre les intempéries atmosphériques infiniment mieux que la tuile et l’ardoise. Il faut espérer qu’on fera bientôt des expériences sérieuses pour rendre le chaume incombustible. » Victor Lhuillier, Le canton de Songeons illustré. Notice géographique, historique, statistique, administrative, agricole et industrielle, 1889 (AD Oise, 2 BR 207).
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De l’Oise à la Lune
Des multiples bouleversements subis au cours des siècles par la ville de Beauvais, la mémoire collective retient essentiellement ceux causés par les bombardements de juin 1940. Aux vues poignantes de la ville en ruines, on oppose généralement la douceur surannée de celles des cartes postales du début du XXe siècle, permettant à chacun de retrouver ou de découvrir le « vieux Beauvais ». Les photographies de Léon Fenet nous montrent un Beauvais du XIXe siècle plus méconnu encore : celui de maisons disparues aux pignons élancés, bordant des rues aux noms ou aux tracés oubliés. Beauvaisien de naissance, Léon Fenet connaît d’autant mieux la ville qu’il en a également dessiné deux plans et reproduit de nombreuses gravures et documents historiques. Il a également illustré les travaux de plusieurs historiens locaux ; dans leurs ouvrages, ses photographies du bâti beauvaisien témoignent de la richesse d’un patrimoine aujourd’hui disparu.
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De l’Oise à la Lune Le Beauvais du XIXe siècle
Angle des rues Saint-Martin et Saint-Sauveur à Beauvais, entre 1890 et 1898. À la jonction de la rue Saint-Martin et de la rue Saint-Sauveur (actuelles rue Gambetta et rue Carnot), on distingue les hauteurs de l’abside la cathédrale Saint-Pierre, en partie masquée par les maisons de la rue des Flageots. Si la tête du cheval semble avoir disparu, c’est que celui-ci l’a brusquement remuée durant le temps de pose nécessaire à la prise de vue. Cliché Léon Fenet. Épreuve sur papier argentique réalisée par Fernand Watteeuw (1913-2003) d’après une épreuve sur papier. AD Oise, fonds Fernand Watteeuw, 30 Fi 15/8582-01.
Angle des rues Ricard et Sainte-Marguerite à Beauvais, 21 mai 1885. À l’extrémité de la rue SainteMarguerite, aujourd’hui rue Jules Ferry, on aperçoit le pignon du Palais épiscopal, actuel musée départemental. Cliché Léon Fenet. Plaque de verre négative. AD Oise, fonds Charles Commessy, 5 Fi 1251.
page de droite : Rue Jean-Baptiste Boyer à Beauvais, entre 1883 et 1885. On peut encore voir, au bord gauche de la rue Jean-Baptiste Boyer, l’un des nombreux canaux qui traversaient la ville depuis le Moyen-Âge. Celui-ci alimente alors le moulin Saint-Laurent, grande bâtisse aux colombages apparents fermant l’arrière-plan de l’image. Cliché Léon Fenet. Épreuve sur papier albuminé. Collection privée. AD Oise, 5 Num2-15/10.
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De l’Oise à la Lune
De ses excursions hors de l’Oise, Léon Fenet rapporte un certain nombre de photographies que l’on retrouve aujourd’hui dans les fonds publics et dans les collections privées. Au fil des images, le photographe nous livre un carnet de voyage : château de Gisors, ruines de Château-Gaillard, cathédrales de Reims ou d’Amiens, églises remarquables des départements voisins ; on y découvre aussi un ensemble de clichés du vieux Rouen, témoignages de son intérêt pour cette ville qui, tout comme le Beauvais de la fin du XIXe siècle, a gardé une part de son aspect médiéval. On compte également parmi les clichés conservés aux Archives départementales quelques vues d’un voyage plus lointain en Auvergne et Limousin. S’il est difficile de connaître le contexte dans lequel Léon Fenet a réalisé ces clichés, on peut cependant remarquer qu’il fait preuve du même sens artistique, de la même rigueur et d’un profond attachement aux détails et à la composition de ses images que l’on retrouve dans le reste de son œuvre.
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De l’Oise à la Lune Excursions et voyages
« Auvergne. Vue du Puy-de-Dôme et de Clermont prise de Montferrand », 18 juin 1892. Cliché Léon Fenet. Plaque de verre. AD Oise, fonds Léon Fenet, 13 Fi 151.
page de droite : « Auvergne : une rue à Montferrand », Puy-de-Dôme, 18 juin 1892. Cliché Léon Fenet. Plaque de verre négative. AD Oise, fonds Léon Fenet, 13 Fi 156.
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Photographies de Léon Fenet
Orientation bibliographique
Les photographies connues de Léon Fenet sont conservées aux Archives départementales de l’Oise, dans les collections du Musée départemental de l’Oise, de la ville de Beauvais, du fonds Camille Flammarion (Juvisy-sur-Orge, Essonne), du Harry Ramson Center (université du Texas, Austin, États-Unis) et dans des collections privées.
Catalogue des livres anciens et modernes composant la bibliothèque de feu Monsieur Léon Fenet, Beauvais, imprimerie du Moniteur de l’Oise, 1898 (AD Oise, 2 BR 4435).
Écrits de Léon Fenet Les clichés des Archives départementales sont répartis dans plusieurs sous-séries : - 5 Fi : fonds Charles Commessy (24 plaques de verre) ; - 13 Fi : fonds Léon Fenet (166 plaques de verre) ; - 20 Fi : fonds Lucien Vuilhorgne (25 épreuves sur papier) ; - 21 Fi : fonds de photographies du pays de Bray (33 épreuves sur papier) ; - 30 Fi : fonds Fernand Watteeuw (3 plaques de verre et 39 reproductions argentiques) ; - 39 Fi : fonds Écomusée des pays de l’Oise (1 plaque de verre et 119 épreuves sur papier).
La photographie du ciel et ses importantes applications en astronomie. Beauvais, Société d’archéologie, sciences et arts du département de l’Oise, 1886 (AD Oise, 11 PER 13). La photographie du ciel et ses importantes applications en astronomie, Beauvais, imprimerie de D. Père, 1886. [version développée de la référence supra] Comptes rendus de la Société d’archéologie, sciences et arts du département de l’Oise, séance du 23 avril 1866 (AD Oise, 11 PER 6). Comptes rendus de la Société d’archéologie, sciences et arts du département de l’Oise, séances du 15 février 1886, 15 mars 1886, 15 novembre 1886, 20 décembre 1886, 21 janvier 1889, 18 novembre 1889, 25 avril 1892, 19 mars 1894, 22 avril 1895 et 16 décembre 1895 (AD Oise, 11 PER 2). Comptes rendus de la Société d’archéologie, sciences et arts du département de l’Oise, séances du 16 mai 1897, 17 octobre 1897, 15 novembre 1897 et 20 décembre 1897 (AD Oise, 11 PER 3). L’astronomie et Bulletins de la Société astronomique de France, 1882, 1883, 1884, 1885, 1886, 1887, 1888, 1889, 1890, 1891, 1892, 1893, 1895, 1897.
Ouvrages illustrés de photographies de Léon Fenet BAUDRAN Georges, De l’habitation dans le département de l’Oise, son hygiène, Paris, Firmin-Didot et compagnie éditeurs, 1897 (AD Oise, 1 BH 4976). LEBLOND Victor, L’église Saint-Étienne de Beauvais, Henri Laurens éditeur, Paris, 1929 (AD Oise, 1 BH 5013). LHUILLIER Victor, La paroisse et l’église Saint-Étienne de Beauvais, Beauvais, Lamiable imprimeur, 1896 (AD Oise, 2 BH 183). PIHAN Léon, Beauvais, sa cathédrale, ses principaux monuments, Beauvais, H. Trézel libraire-éditeur, 1885 (AD Oise, 1 BH 1600).
Édition Libel, Lyon www.editions-libel.fr Conception graphique Mise en page Fanny Lanz Photogravure Artscan, Lyon Crédits photographiques Archives départementales de l’Oise (toutes les illustrations sauf celles signalées ci-après), Mobilier national (p. 13), Harry Ramson Center, Université du Texas, États-Unis (p. 17, 40). Impression Art & Caractère, Lavaur
Le présent ouvrage a été entièrement imprimé sur des papiers issus de forêts gérées durablement.
Dépôt légal : septembre 2012 ISBN 978-2-917659-25-0 (Éditions Libel) ISBN 978-2-86060-031-6 (Archives départementales de l’Oise)
Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou par quelque moyen électronique ou mécanique que ce soit, y compris des systèmes de stockage d’information ou de recherche documentaire, sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Première édition © Libel.
Dessinateur à la manufacture nationale de tapisserie de Beauvais, membre fondateur de la Société astronomique de France créée à l’initiative de Camille Flammarion, archéologue et amateur d’art, « entré en photographie » pour les besoins de sa passion pour les astres, Léon Fenet (1839-1898) est un parfait représentant de ces hommes de sciences et de culture qui ont marqué le XIXe siècle.
Léon Fenet photographies 1883 › 1898
Fervent observateur du ciel – on le disait « amant d’Uranie » –, il nous a légué des clichés hors du commun de la Lune, qui laissent transparaître les mystères de l’immensité céleste. Contrepoint terrestre de cette passion, il a fixé l’image des œuvres et des vestiges somptueux ou insolites du passé, et s’est attaché à garder la mémoire d’un habitat rural en voie de disparition, composant en autant de tableaux photographiques le cadre et les modes de vie de nos aïeux.
De l’Oise à la Lune
C’est à la découverte des parcours croisés de Léon Fenet, qui mêlent photographie, astronomie, patrimoine et ethnologie, que vous invite le présent ouvrage.
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enet s 1883 › 18 F n o Lé raphie g o t o ph
prix : 15 € ISBN : 978-2-917659-25-0 dépôt légal : septembre 2012 www.editions-libel.fr
Archives départementales de l’Oise