LA TAILLANDERIE VAL DE MORTEAU
DE LA DÉFAITE DE 1870 À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
[XX-XX]
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GROUPE LOUE ET LISON
Disparition après la Première Guerre mondiale
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GROUPE DE BAUME-LES DAMES ET SANCEY
MONTRES : BESANÇON
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HAUTE-SAÔNE
1793, Mégevand
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ICONOGRAPHIE
Besançon capitale française de l’horlogerie
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BIBLIOGRAPHIE
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Quasi-disparition et timide renouveau au début du 21e siècle MONTRES ET COMPOSANTS : LE HAUT-DOUBS
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Une organisation privilégiant le travail à domicile [XX-XX]
Une industrie triomphant à Morez au IXe siècle [XX-XX]
[XX-XX]
PENDULES ET MONTRES : LA RÉGION DE MONTBÉLIARD [XX-XX]
1776, Frédéric Japy [XX-XX]
Une activité bien établie au milieu du 19e siècle [XX-XX]
Une industrie triomphant à Morez au IXe siècle
Horloges monumentales et de parquet : le Haut-Jura
Le déclin au XXe siècle
[XX-XX]
Une organisation privilégiant le travail à domicile
CARACTÈRES GÉNÉRAUX
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Horloges monumentales et de parquet : le Haut-Jura
L’OUTILLAGE
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Des Années folles aux Trente Glorieuses
CARACTÈRES GÉNÉRAUX
[XX-XX]
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L’HORLOGERIE
BIBLIOGRAPHIE
L’apparition de nouvelles entreprises [XX-XX]
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Une industrie en essor jusqu’à la Première Guerre mondiale
Le déclin au XXe siècle
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[XX-XX]
DE LA DÉFAITE DE 1870 À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE [XX-XX]
PENDULES LA RÉGION DE MONTBÉLIARD
De la Première Guerre mondiale aux Trente Glorieuses
Disparition après la Première Guerre mondiale
[XX-XX]
[XX-XX]
[XX-XX]
1776, Frédéric Japy
Une industrie en crise à partir des années 1970
MONTRES : BESANÇON
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[XX-XX]
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L’apparition de nouvelles entreprises
ICONOGRAPHIE
1793, Mégevand
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES [X-XX] Dotée d’une métallurgie précoce, la Franche-Comté développe très tôt une industrie de transformation du métal dynamique, répondant avant tout aux besoins locaux d’une société essentiellement agricole mais qui n’hésite pas à exporter dès que l’occasion se présente. Ateliers artisanaux et grosses usines cohabitent aux 19e et 20e siècles, fabriquant des produits aussi divers que variés : poutres et grilles, pointes et clous, vis et boulons, faux et outils taillants, outillage de toute nature (notamment celui à destination des métiers de précision), machines et machines-outils, lunettes, horloges et montres, composants et pièces métalliques en tous genres, cycles et motocycles, automobiles et locomotives, matériel agricole, etc. Dans des dimensions également variables : de quelques millimètres et quelques milligrammes pour les vis utilisées pour l’assemblage des montres à plus d’une vingtaine de mètres et de tonnes dans le cas des locomotives.
LA TAILLANDERIE Directement issue du martinet, dont elle reprend une partie de l’équipement (marteau hydraulique et fournaise), la taillanderie n’est parfois que l’un des ateliers d’une usine métallurgique bien plus importante. Elle est dédiée à la production des outils tranchants, notamment des faux : une enquête statistique de 1744 mentionne ainsi explicitement que 20 des 42 martinets recensés dans le Doubs fabriquent des faux ; ils sont deux sur les dix que compte le Jura mais il n’y en a pas en Haute-Saône, où six martinets sont alors signalés. [01]
UNE INDUSTRIE DES 18e ET 19e SIÈCLES Article délicat à réaliser (leur fabrication est un travail très technique, supposant la maîtrise du fer et de l’acier au cours d’un processus organisé en neuf passes et dix-sept chauffes), les faux sont au 18e siècle fréquemment importées, surtout d’Allemagne et d’Autriche (célèbre pour l’acier de Styrie). Les rares taillanderies françaises se concentrent dans le Doubs, les Ardennes, en Alsace et en Isère. Désireux de s’affranchir de cette dépendance, le gouvernement révolutionnaire puis l’administration napoléonienne soutiennent le développement des recherches, portant spécialement sur la fabrication de l’acier. En 1816, une manufacture est créée à Toulouse, dont la production atteint 100 000 faux trois ans plus tard. Les taillanderies se multiplient dans la première moitié du 19 e siècle tandis que se généralise l’usage de la faux, permettant un gain de rapidité spectaculaire : il ne faut plus que 25 heures pour moissonner un hectare de blé contre 100 avec la faucille (mais trois seulement avec les faucheuses moissonneuses de 1900 !). [01] Faux et outils taillants à la taillanderie Philibert, Nans-sous-Sainte-Anne.
5
[01] Archives
départementales du Doubs : Atlas des Eaux et Forêts.
LE MARTINET DE SYAM EN 1763 Document exceptionnel
[01]
, ce plan levé en 1763 par l’arpenteur Baronnet détaille les installations techniques du martinet.
La fabrication des faux s’effectue dans l’atelier du haut, doté de quatre foyers (n° 3) alimentés en air par un soufflet (5) et deux trompes à eau (16-17, dispositif rare dans la région mais courant dans le monde alpin). Actionnées par quatre roues hydrauliques (entre les deux bâtiments), ses machines consistent en cinq marteaux à bascule (7, 8, 19) et une cisaille (entre 9 et 10). Les faux sont aiguisées sur une meule (48) dans l’atelier du bas, où le fer est produit dans un foyer (33) muni de deux soufflets (36). Deux roues en-dessus (44), trois marteaux (31) et un bocard — moulin à pilons — (43) lui sont adjoints.
6
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
[03]
Forge Clément, Corravillers.
La production d’une taillanderie ne se limite cependant pas à cet article et comprend haches et cognées, herminettes, serpes et volants, faucilles, houes, binettes et serfouettes, bêches, pics et pelles, pioches, coutres et socs de charrue, etc. Le tout décliné en une multitude de formes et de dimensions afin de répondre aux usages de chaque contrée.La plupart du temps, la taillanderie est une structure artisanale ou semi-artisanale, à l’origine implantée en montagne, dans le massif du Jura. Ainsi se signalent dans le Haut-Jura les établissements de Morez (celui créé en 1706 par Jean-Baptiste Dolard ou cet autre appartenant en 1812 à la famille de Lamartine), de Syam (tenu au 18e siècle par la famille Pery qui, ayant bénéficié d’un « transfert de technologie » de taillandiers du Tyrol, produit 15 000 à 18 000 faux en 1763), de Sirod (fondé par Charpaux en 1858) et de Doucier (8 000 à 10 000 faux en 1806). En 1812, le Haut-Doubs concentre 36 des 39 taillanderies recensées dans le département, avec pas moins d’une quinzaine dans le val de Mouthe et les environs de Jougne, et une demi-douzaine dans la zone de Pontarlier [02] . Les progrès de l’agriculture et la maîtrise de la production de l’acier conduisent, dans la première moitié du siècle, à une multiplication des ateliers, qui s’installent aussi en plaine : les 47 taillanderies signalées dans le Doubs en 1851 sont disséminées sur la quasi-totalité du département à l’exception des cantons limitrophes de la Haute-Saône. Six ou sept sont localisées dans ou à proximité des vallées de la Loue (vers Ornans) et du Lison (Nans-sous-Sainte-Anne).
[02] Légende
à faire.
LA TAILLANDERIE
7
Leur activité diminue cependant à la fin du 19e siècle, alors que l’agriculture se mécanise et que la production des outils taillants s’industrialise dans quelques usines, notamment à Corravillers [03] en Haute-Saône. La plupart disparaissent donc — dans un mouvement encore accentué par la généralisation des outils en fer fondu et non plus forgé —, certaines, comme celle des Philiponet à Indevillers, en conséquence de la Première Guerre mondiale (notons que la production française de faux connaît à la veille de ce conflit son apogée avec un million de pièces). Dans le Doubs, les deux dernières taillanderies à fermer sont en 1969 celle des frères Philibert à Nans-sous-SainteAnne et, à l’extrême fin du 20e siècle, celle de Claude Vuillemin à Grand’Combe-Châteleu. La fabrication cesse dans le Jura en 1973 à Sirod, en Haute-Saône en 2004 à Corravillers.
LE VAL DE MORTEAU Le val de Morteau constitue l’un des berceaux de la taillanderie franc-comtoise, avec sept établissements recensés en 1744 à Grand’Combe-Châteleu et aux Gras, et trois à Montlebon. [02] Légende
à faire.
[04] Taillanderie
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Nicod au Dessus de la Fin, Les Gras.
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
Trois taillanderies sont connues aux Gras, aux mains des familles Nicod et Bobillier. Celle du Dessus de la Fin, qui se signale par un linteau gravé d’une faux et de la date 1571 [04] , est exploitée au 18e siècle par les Nicod (aussi établis à Maisons-du-Bois-Lièvremont au début du siècle suivant). En 1797, Pierre François Nicod fabrique 12 000 faux, le double de la production de son beaufrère, Pierre Bobillier, installé juste en amont. Dans sa demande en autorisation de maintien en activité du 27 août 1812, il précise : « Cette usine consiste en un seul bâtiment ne faisant qu’un avec celui d’habitation, et où se trouvent établis trois feux, et cinq petits martinets propres à tirer, élargir et finir les faux ; lesquels martinets se meuvent alternativement et à volonté, par un seul et même cylindre, ou arbre à une roue ; deux autres roues font mouvoir les soufflets de trois fournaises. Le fer et l’acier qui sont les seules matières à traiter, se tirent, savoir : le fer des forges des Départements du Doubs et de la Haute-Saône, et l’acier vient de l’Allemagne par la voie du commerce […] Comme l’usine ne roule que par le moyen de l’eau du ruisseau des Gras, et du bief de la Dreuve, dont le confluant est au dessus et très-proche de l’usine, et qui ne sont l’un et l’autre alimentés en grande partie que par la fonte des neiges, cette usine n’est roulante qu’environ quatre mois de l’année, à diverses reprises, sur tout encore en raison du peu de pente qu’offre le court espace de terrain qui sépare cette usine de l’usine supérieure. »1 Cette usine supérieure [05] , fondée en 1506 et rebâtie en 1799 par Etienne François Bobillier, réunit en 1812 moulin à blé, scierie et taillanderie contiguë à l’habitation, contenant le même équipement que la précédente et « roulant » aussi peu de temps qu’elle. Toutes deux passent aux deux fils d’Etienne
[05]
Taillanderie Bobillier au Dessus de la Fin, Les Gras.
François, Isidore et Sylvain, et en 1823 consomment 9,5 t de « fer fin taillandier » des forges de la Ferrière-sous-Jougne, 3,5 t d’acier de Styrie et 1 000 stères de bois de sapin pour produire 14 000 faux (dont 8 000 pour la première) avec 26 personnes. La fabrication y cesse dans la deuxième moitié du 19 e siècle. Dans la commune de Grand’Combe-Châteleu, à quelques centaines de mètres en aval sur le même ruisseau du Théverot, se trouve le martinet de la Malepierre. Attesté avant 1563, il est reconstruit dans la décennie 1720 pour Etienne François Bobillier, également à l’origine de la ferme voisine [06] . Il associe un siècle plus tard moulin, scierie, forge et taillanderie (équipée de trois feux et quatre martinets mis en mouvement par deux roues hydrauliques en-dessus). La production est de 7 000 faux en 1819 (pour moitié exportées en Suisse), 16 000 en 1834 alors que la société Célestin Bobillier et Frères compte 16 personnes et exploite la marque J.A.C.B. (pour Joseph Aimé Célestin Bobillier). Elle fonctionne jusqu’au début des années 1920.
[06] Ferme de la taillanderie Bobillier (ou de la Malepierre), Grand’Combe-Châteleu.
LA TAILLANDERIE
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Au village, Amédée Vuillemin fonde en 1883 son affaire sur un site constitué d’une ferme et d’un atelier rebâtis en 1876 par son père, Louis. Amédée y développe taillanderie (achetant une partie du matériel de la Malepierre) et tournerie (fabriquant notamment des manches d’outils et des tabourets à vis pour les horlogers). L’établissement manque souvent d’eau et Amédée l’a surnommé : « Ecoute s’il pleut » car en cas de pluie, le bassin se remplit et il faut sans attendre gagner son poste de travail. Un moteur diesel est donc installé en 1897-1898, remplacé en 1917 par un moteur électrique. En 2016, le métal et le bois sont toujours travaillés sur le site par les descendants d’Amédée : le premier par Benoît, ferronnier d’art, qui a conservé les machines de la taillanderie [07 et 08] , et le second par son cousin Laurent, ébéniste.
[07] Chauffe du métal, taillanderie Vuillemin, Grand’Combe-Châteleu.
Des taillandiers se sont aussi installés dans la commune voisine : Montlebon. La carte de Cassini, gravée en 1762, figure treize établissements hydrauliques sur le ruisseau de la Douve, dont un certain nombre de forges et martinets créés au 16e siècle. En 1821, dans le vallon de Derrière le Mont [09] , trois d’entre eux sont des taillanderies (autant qu’en 1744), appartenant à Vermot-Desroches, Nicod et Binétruy, et occupant ensemble huit à dix personnes ; deux fabriquent essentiellement des faux (environ 8 000 par an) et le troisième « des instruments aratoires et de la grosse taillanderie » (14 t par an). Il n’en reste plus qu’un en activité au début des années 1880, qui disparaît avant la Première Guerre mondiale.
[08] Martelage d’une houe taillanderie Vuillemin, Grand’Combe-Châteleu.
LES VALLÉES DE LA LOUE ET DU LISON La Loue et le Lison, un de ses affluents, ont animé plusieurs taillanderies aux 19e et 20e siècles. À Mouthier-Haute-Pierre, nous retrouvons la même famille Nicod déjà rencontrée aux Gras, mais via une branche établie à Jougne.
[10]
Taillanderie Nicod, chemin des Moulins,Mouthier-Haute-Pierre.
10
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
En 1924 en effet, la veuve du taillandier Arthur Nicod transfère son activité de la Ferrière-sous-Jougne dans l’ancien moulin Maugain [10] , à Mouthier, rebâti en 1918 par l’architecte Paul Robbe. Reprise peu après par Georges Petithuguenin, l’affaire emploie une vingtaine d’ouvriers et cesse ses activités vers 1950. Quelques kilomètres en aval, à Lods, Auguste Louvrier a fait construire en 1832 une usine, actionnée par trois roues hydrauliques verticales (roues « pendantes »), à la fois moulin, scierie, taillanderie (à deux martinets) et atelier de construction mécanique (Louvrier a fait breveter en 1847 une batteuse à grains mue par la force animale). La taillanderie est détruite dans les années 1880. Citons aussi le martinet de Hauterive, fondé vers 1700 à Vuillafans et converti au milieu du 19 e siècle à la fabrication du fil de fer et des clous.
[11]
Ateliers de la taillanderie Philibert, Nans-sous-Sainte-Anne.
[12]
Les martinets de la taillanderie Muhr en 1980, Guillon-les-Bains.
L’établissement le plus célèbre est sans conteste celui de Nanssous-Sainte-Anne. Signalé dès 1276 à la source du Lison, il est transformé en taillanderie en 1798 par Martinien Lagrange, auparavant taillandier aux forges de Vuillafans. C’est vraisemblablement son fils Pierre François qui le transfère en 1828 au Creux de la Doye, sur le ruisseau de l’Arcange, où vingt ans plus tard, équipé de « quatre tournants entraînant deux ordons de martinet, des pistons et une meule », il emploie six ouvriers. Il est acheté en 1865 par Louis Joseph Philibert, issu d’une famille de taillandiers de Grand’Combe-Châteleu (travaillant pour les Bobillier) également passée par Jougne. Modernisée par ses fils, la taillanderie est exploitée par ses petits-fils — Léonard, Auguste et Emile — jusqu’en 1969 (la production n’est alors plus que de 3 000 faux) [11] . Transformée en musée en 1978 et ouverte à la visite, elle est classée monument historique en 1984.
LA TAILLANDERIE
11
[02] Soufflet
en bois à double effet.
[01] Martinets
et leurs roues motrices.
LA TAILLANDERIE DE NANS-SOUS-SAINTE-ANNE Dans les années 1880 et 1890, la famille Philibert rénove totalement le site : atelier de fabrication à quatre gros marteaux [01]
actionnés par deux roues hydrauliques en-dessus, soufflet à double effet
[02]
adapté aux quatre foyers de forge, ma-
chines modernes, turbine et dynamo de Gramme fournissant l’électricité utilisée pour l’éclairage, etc. (les moteurs seront modernisés au début des années 1920). Entre 1895 et 1914, l’usine compte jusqu’à 20 ouvriers et produit en moyenne 20 000 faux et 10 000 outils taillants par an, diffusés dans la France entière et en Algérie ; elle peut fabriquer 180 faux et 87 outils taillants différents, déclinés en plus de 540 variantes.
LE SECTEUR DE BAUME-LES-DAMES ET SANCEY Toujours dans le Doubs, des taillanderies se sont aussi installées au 19e siècle dans les environs de Baume-les-Dames et Sancey-le-Long. Près de Baume, les eaux du Cusancin ont actionné les martinets de celle de Pont-les-Moulins, active durant la première moitié du 20e siècle sous la direction de la famille Boussard. [15]
Atelier est, forge de Pesmes.
« Forges, taillanderie en tous genres et sur modèles. Spécialité de haches, serpes et pioches. Charrues et outils de vignes et de jardins. Force électrique - Lumière » sont signalés sur un papier à en-tête. En amont sur la rivière, à Guillon-les-Bains, Louis Muhr transforme en taillanderie un moulin acquis en 1851. L’établissement se transmet de père en fils jusqu’au dernier taillandier Roger Muhr, lequel cesse son activité vers 1973. L’atelier, à l’étage de soubassement [12] , se composait de deux martinets, d’une presse, d’une meule à polir et de diverses petites machines (ferraillées vers 1976), animées par une turbine tandis qu’une roue hydraulique en-dessous actionnait le soufflet en bois.
12
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
A Sancey, à la fin de la décennie 1840, le moulin de Chaucheux cède la place à l’usine des Calots, taillanderie établie par Pierre Victor Dupré. L’établissement est repris en 1881 par les frères Renaud, Justin et Emile François, forgerons mécaniciens des Fontenelles. Il est alors converti à la fabrication des pompes à eau manuelles, activité déjà pratiquée aux Fontenelles, puis devient une scierie au décès de Marcel Renaud.
EN HAUTE-SAÔNE Peu nombreuses, les taillanderies de HauteSaône sont de dimension industrielle. Celle de Corravillers est autorisée en 1856. Due à l’entrepreneur vosgien Pierre Clément, de Remiremont, et dotée de trois turbines, elle est progressivement agrandie de 1875 à 1905 . [13]
Elle cesse la fabrication des faux avant la Première Guerre mondiale mais poursuit, avec une centaine de personnes en 1918, celle des outils agricoles (pioches, pelles, pics, râteaux, houes, etc.) [14] , en grande partie vendus dans les colonies françaises. L’usine est reprise au milieu des années 1990 par la société Forge de Magne, qui y cesse en 2004 la fabrication (outils de jardin), transférée dans ses ateliers de Douzy dans les Ardennes. Le site est actuellement à l’abandon. Pour sa part, l’usine de taillanderie de Pesmes date de 1893 : l’industriel dolois Auguste Chrétien installe une fabrique d’outils sur le site des forges, autorisées en 1660 et dont le dernier haut fourneau a été arrêté en 1874. Connue en 1929 sous le nom de Manufacture générale franc-comtoise, l’affaire est reprise en 1930 par René Amstutz, qui a ouvert en 1919 une fabrique de pinces à Villars-sous-Dampjoux. Amstutz y transfère en 1936 une partie des équipements des anciennes forges de Fraisans, peut-être dans les ateliers couverts de sheds bâtis dans ce quart de siècle [15] . La production comprend sécateurs, échenilloirs et cisailles à haies mais aussi du petit outillage : tenailles, cisailles, burins, marteaux divers, tournevis, pinces coupantes, etc. L’usine emploie une cinquantaine de personnes après la Deuxième Guerre mondiale mais seulement douze lorsque la Société des Forges de Pesmes dépose son bilan en 1973. Acquise en 1976 par la Société ardennaise des Forges et Taillanderie de la Givonne, elle redémarre avec 34 personnes et produit 200 t d’outils en 1980. Devenue L’Outillage franc-comtois en 1991, elle cesse ses activités deux ans plus tard. Le site est alors repris par la commune et un musée y ouvre ses portes en 1998.
Modèles et pinces situés à proximité du laminoir, forge Clément, Corravillers.
[14]
[13] Forge Clément, Corravillers. Papier à en-tête, 1938 (Archives départementales de la Haute-Saône : 5 M).
LA TAILLANDERIE
13
L’HORLOGERIE Jusque dans les années 1970, l’industrie franc-comtoise est systématiquement associée à l’horlogerie. Cette association ne date pas d’hier puisque Besançon s’est déclarée capitale de l’horlogerie un siècle plus tôt. Ce que confirme en 1877 le best-seller des manuels scolaires (réédité près de 400 fois), Le tour de France par deux enfants : « C’est Besançon et la Franche-Comté qui donnent l’heure à une bonne partie de la France »1.
CARACTÈRES GÉNÉRAUX
[01]
Paysage enneigé au Grand Mont, Les Gras.
L’industrie horlogère, dont l’histoire s’étire sur plus de trois siècles, est particulièrement adaptée aux contraintes du massif du Jura, que son climat (avec un enneigement important) et son altitude (900 à 1 000 m dans le Haut-Jura et le Haut-Doubs) empêchent d’atteindre à l’autosuffisance alimentaire. [01]
Il faut acheter à l’extérieur une partie de sa nourriture donc se procurer de l’argent, ce que permet l’horlogerie avec des produits d’un poids modéré et d’un faible volume (faciles à transporter) qui se vendent cher alors que la matière première est bon marché et l’outillage réduit. La plus-value est apportée par la main d’œuvre, ce que signalait déjà en 1804 le préfet du Doubs Jean Debry : « De toutes les manufactures qui existent, une des plus intéressantes, sous tous les rapports, est celle de l’horlogerie, parce qu’on peut y employer des individus de tout âge et des deux sexes, et qu’il n’existe aucune fabrique qui puisse créer des moyens d’échange et des valeurs commerciales avec moins de dépense de matières premières. Dès l’âge de huit à neuf ans, les enfans [sic] peuvent y gagner bien au-delà de leurs dépenses. » 2
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
15
Cette industrie s’est principalement concentrée sur quatre zones [01bis] , dont les relations sont mal connues : par ordre chronologique Haut-Jura, pays de Montbéliard, Besançon et Haut-Doubs (essentiellement l’actuel « Pays horloger » mais aussi, un temps, la région de Pontarlier où exista de 1852 à 1854 un éphémère centre d’apprentissage horloger). Pour sa part, le secteur de Servance, en Haute-Saône, a connu un épisode horloger « périphérique » avec la fabrication de chaînes et de carrés (clefs) permettant le remontage des montres et autres horloges.
STRUCTURATION DE LA FILIÈRE Trois objets emblématiques suffisent à évoquer ce domaine : l’horloge d’édifice, celle de parquet (indifféremment appelée comtoise, Morez ou Morbier) et la montre. La filière se subdivise en deux secteurs, chacun ayant sa propre histoire et son propre mode d’organisation : l’horlogerie de gros volume d’une part, celle de petit volume d’autre part. Le premier secteur réunit horloges monumentales (d’édifice) [02] et de parquet, puis il s’élargit aux pendulettes et réveils, chronomètres de marine, montres de tableau de bord et équipements techniques (appareils enregistreurs de temps ou de présence, horodateurs, compte-tours, dispositifs de commande horaire, etc.). [01 bis]
Carte de localisation des régions horlogères.
Le second secteur est celui de la montre [03] et, contrairement au premier, il dépend dès l’origine étroitement de la Suisse. En effet, la révocation de l’édit de Nantes en 1685 a conduit les protestants à trouver refuge hors de France. Parmi eux, certains horlogers se sont réfugiés à Genève mais son carcan corporatif les a incités à gagner les montagnes de Neuchâtel, où les corporations n’existaient pas. Ils y ont développé une industrie de la montre rémunératrice et dynamique, qui a trouvé une partie de sa main d’œuvre de l’autre côté de la frontière et s’est même installée à Besançon.
SPÉCIFICITÉS ARCHITECTURALES
Mécanisme d’une horloge d’édifice (lycée Victor Bérard, Morez).
[02]
16
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
D’un point de vue architectural, l’horlogerie recouvre une bonne partie de la gamme des possibles. Elle peut être extrêmement discrète voire invisible lorsqu’elle est pratiquée à son domicile par un artisan, dont l’atelier occupe une partie de l’appartement voire se réduit à un coin de table ou une place d’établi ; elle est beaucoup plus visible, avec un ou plusieurs bâtiments dédiés, lorsqu’elle réunit une dizaine à plusieurs centaines d’ouvriers. Elle se rencontre aussi bien à la campagne, dans les fermes et les bourgs, qu’à la ville. Une seule constante : cette activité, très minutieuse car faisant appel à des composants minuscules, se pratique dans une pièce chauffée dotée d’un éclairage suffisant. La recherche de la lumière est primordiale si bien qu’en ville, les ateliers ont tendance à gagner le dernier étage ou le comble. Elle se manifeste alors par la multiplication des fenêtres, avec un module de base
— la « fenêtre horlogère » (composée de deux baies accolées partageant le même piédroit) — qui peut être augmenté en accolant plus de baies, couramment trois ou quatre (« fenêtre multiple ») [04] , voire en les multipliant jusqu’à constituer un bandeau continu [05] . La version industrielle correspond à ces baies de grande largeur ajourant parfois presqu’entièrement les murs, dans lesquels les vides l’emportent sur les pleins.
HORLOGES MONUMENTALES ET DE PARQUET : LE HAUT-JURA Première à s’imposer, cette branche de l’horlogerie a son mythe fondateur relaté en 1821 par l’ancien juge de paix morézien Jean-Baptiste Reverchon. Celui-ci place vers 1660 la demande présentée par le gardien des capucins de Saint-Claude, cherchant un artisan capable de réparer l’horloge en bois de son monastère.
Montre de gousset mécanique dite régulateur de cheminot (collection Jean-Claude Vuez, Villers-le-Lac).
[03]
C’est un Mayet, de Morbier, qui lui donne satisfaction en réalisant une copie en fer de l’instrument. L’artisan se lance alors dans cette fabrication, avec trois de ses frères également forgerons nous dit Reverchon (en réalité, il s’agirait plutôt de Claude Mayet, né en 1619, assisté par quatre de ses fils : Jean Claude, Claude, Pierre et Petit Pierre). Les horloges les plus anciennes qui en sont conservées sont celles de Saint-Nizier à Lyon (1684) et de l’église d’Orgelet (1685) [06] . Elles sont représentatives de ces mouvements cage fer dans lequel les organes sont fixés sur un bâti en fer forgé. A la fin du 17e siècle, les Mayet déclinent ce mouvement sous une forme moins imposante : l’horloge comtoise est née [07] . Ingénieux, ils la dotent rapidement du pendule inventé par Christian Huygens. Invention décisive puisque cet organe régularise le fonctionnement de l’instrument dont la variation quotidienne est considérablement réduite, passant de 10 à 15 minutes à 10 à 15 secondes. Huygens publie son Horologium Oscillatorium en 1673 et il faut peu de temps aux Mayet pour s’en inspirer. Laissons la parole à Reverchon : « A cette époque, les frères Mayet, ayant eu connaissance de ce perfectionnement, essayèrent de faire et firent une horloge avec un pendule, mais lorsqu’elle fut achevée, ils ne parvinrent pas à la faire marcher. Ils étaient même sur le point de la mettre de côté, lorsqu’ils apprirent qu’un bourgeois de Genève en possédait une avec la modification apportée par Huygens. L’un d’eux s’y rendit aussitôt, afin de se faire montrer la manière de la mettre en mouvement. A
Mécanisme d’horloge d’édifice par les frères Mayet en 1685, église d’Orgelet.
[06]
L’HORLOGERIE
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son retour, apercevant ses frères qui l’attendaient sur le seuil de sa maison, il leur cria en patois : «Embraye-là, c’est-à-dire, mettez-le en marche.» L’impulsion donnée, l’horloge marcha à la grande satisfaction des frères Mayet, fort surpris de n’avoir pas songé à faire osciller le pendule. » 3 Le mythe était né, rappelant celui contemporain (1679) du Suisse Daniel Jeanrichard pour la montre.
UNE ORGANISATION PRIVILÉGIANT LE TRAVAIL À DOMICILE De Morbier, la nouvelle industrie gagne rapidement les villages alentours, notamment Bellefontaine, Foncine (le-Bas et le-Haut), Fort-du-Plasne et, bien entendu, Morez dont les forges et les fonderies fournissent au 18e siècle les fers, roues dentées et autres composants dont ont besoin les horlogers. Horloge comtoise du milieu du 19e siècle (Musée du Temps, Besançon). [07]
[08]
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Tournebroche (collection particulière).
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
Il n’est pas encore question d’usine : « On ne doit pas se représenter l’horlogerie comme une manufacture régulièrement organisée ; chaque chef de famille a son atelier dans son habitation ; quelques-uns ne travaillent que pendant l’hiver. Un travail sans relâche, aidé de moyens et d’adresse, peut produire 30 horloges dans une année ; mais de tels résultats sont rares. » 4 Ainsi répartie, la production annuelle atteint à la fin du siècle 4 000 mouvements pour l’ensemble de la zone. Elle dépasse les 100 000 pièces au milieu du 19e siècle et s’accompagne de toute une fabrication annexe faisant appel à des mouvements d’horlogerie : miroirs aux alouettes, tournebroches, etc. [08] Un rapport de 1867 mentionne pour le canton 100 000 horloges comtoises et d’édifice, 4 000 pendules à ressort et 3 000 petites horloges, 80 000 caisses d’horloges [09] et 25 000 tournebroches. Un tel essor est lié à la mise en place entre 1780 et 1840 du système de l’établissage, auquel l’industrie horlogère se prête bien : la fabrication y est divisée en de multiples passes (opérations), effectuées à domicile par des travailleurs indépendants. Ceux-ci abandonnent la fabrication de l’horloge complète pour se spécialiser dans une opération ou un ensemble d’opérations, spécialisation qui leur donne une grande dextérité et les conduit à améliorer voire inventer leur outillage. Avec ce nouveau système, les pièces brutes produites à Morez sont confiées aux horlogers par un négociant — l’établisseur —, qui se charge ensuite du montage des horloges et de leur commercialisation (le schéma est similaire pour l’indus-
[10]
La ville de Morez.
trie de la montre). Le monde paysan, en plein essor démographique, trouve ainsi une occupation lui évitant l’exode rural ou la cantonnant à des mouvements vers Morez ; les négociants ont affaire à une main-d’œuvre bon marché, peu revendicative, réactive et soucieuse du travail bien fait. Certaines belles fortunes se constituent alors, chez les Vandel-Reverchon, Malfroy, Bailly-Comte, Girod ou Jobez par exemple (ce dernier laissant à sa clientèle ses horloges plusieurs mois en dépôt-vente).
UNE INDUSTRIE TRIOMPHANT À MOREZ AU 19e SIÈCLE Née au 16e siècle de l’industrie — et singulièrement du travail du métal —, Morez devient une ville au cours du 19e siècle [10] . En 1821, Reverchon en liste les établissements industriels et commerciaux, au nombre desquels « six martinets où se fabriquent toutes sortes d’ouvrages de fer […] ; sept ateliers de pendules à ressorts, et divers autres d’horloges ; deux fabriques de couronnements de laiton, étampés et dorés ; une fabrique de limes ; six fabriques de cadrans d’émail ». Un document de 1806 précisait déjà : « Sous le nom de fabrique proprement dite, on entend un attelier [sic] qui réunit pour travailler un certain nombre d’ouvriers sous la direction d’un maître ou fabricant : il leur fournit la matière première & les outils ; ainsi les ouvriers travaillent pour son compte à tant par jour, par mois, par an, ou
Gravure de Fraipont, publiée dans : Fraipont, Gustave. Le Jura et le pays franc-comtois. - Paris : Laurens, entre 1890 et 1900, p. 267. [09]
L’HORLOGERIE
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[12] Affiche publicitaire de la société Paget, 1882-1883 (Société Luc Paget et Fils, Morbier)..
[11]
Enfournement d’un cadran émaillé, Maison de l’Email, Morez.
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
à tant par chaque pièce &... Telles sont […] les fabriques des cadrans d’émail [...] 5 Quant aux autres articles, on peut considérer le canton de Morez comme un seul et grand atelier, dans divers points duquel travaillent les ouvriers en divers genres ; parce que chaque ouvrier travaille chez soi & avec ses propres outils ; tels sont les horlogers […], les faiseurs […] de caisses pour horloges […] ; tous versent leurs ouvrages chez les marchands fabricants [...] » 6 La fabrique évoquée dans ce texte correspond à une phase de regroupement de la main d’œuvre mais pour réaliser les composants (cadrans émaillés, roues dentées, etc.) et non, dans un premier temps tout au moins, pour les assembler. La ville y gagne de nouveaux domaines d’activité. L’émaillerie se développe à la suite de l’horlogerie : il faut des cadrans pour les horloges d’édifice et, à partir de 1720 environ, pour les comtoises (dont les premières n’étaient munies que d’un simple cercle de laiton) [11] . Ce cadran émaillé est acheté en Suisse mais pour s’affranchir de cette dépendance, les Moréziens font venir des émailleurs helvétiques afin de former des apprentis : Huguenin en 1755, vers 1774 Durand et Buzard, Vueille, etc.
Jean-Baptiste Chavin est l’un des premiers émailleurs locaux mais ils seront 11 vers 1791, 53 en 1846. Il faut aussi des caisses pour abriter le mouvement des comtoises (à l’origine laissé nu et fixé tel quel au mur), d’où le développement des scieries, ateliers de menuiserie et de décoration. Pour la décoration encore, il faut des ateliers fournissant le fronton en laiton, d’abord découpé puis coulé (ce type s’imposant progressivement à partir de 1725 environ) et finalement estampé (à partir de 1820 environ). Le balancier lui-même gagne en sophistication, passant d’un simple poids en plomb au bout d’une « chaîne d’arpenteur » à un balancier estampé, doré et peint, voire animé, tels ceux de la société Luc Paget et Fils à Morbier [12] . De véritables usines d’horlogerie, utilisant les eaux de la Bienne, voient le jour telles les trois de la famille Girod, qui s’échelonnent sur une même dérivation de la rivière et dont la première en amont (au 18 rue Pierre Morel) a été édifiée de 1854 à 1856 pour Emmanuel Girod [13 ou] .
Le personnel de la société L.-D. Odobey Cadet dans le 4e quart du 19e siècle (collection Bénier-Rollet, Morez). Louis-Delphin Odobey est debout à gauche. [13]
Originaire de Foncine-le-Haut, Louis Delphin Odobey Cadet crée sa fabrique en 1858 [ou 13] . Paul, son fils aîné, s’établit en 1879 dans une ancienne forge, dont il reconstruit la plupart des bâtiments. Il travaille en relation avec son père et ses frères, si bien que leurs modèles se ressemblent énormément (son affaire passera à la fin des années 1900 à Lucien Terraillon et Joseph Petitjean, qui la transféreront à Montaigu en 1921). Autre exemple notable : l’usine bâtie vers 1866 pour l’industriel horloger Émile Bailly-Comte (114 horloges d’édifice installées en 1885 et 1886). À Morbier, fondée en 1830, la société Cretin-l’Ange fait construire en 1877 son usine [14] , reprise de 1906 à 1937 par Léon Labrosse qui exportera nombre d’horloges monumentales en Espagne. En 1882, le canton totalise ainsi 55 fabriques, fournissant du travail à 3 275 personnes. Dessin extrait d’un catalogue, 4e quart 19e siècle (Société des Anciens Ets Charles Peccaud, Morbier). Usine d’horlogerie Cretin-l’Ange, 94-98 route Blanche, Morbier.
[14]
LE DÉCLIN AU 20 SIÈCLE e
Triomphante au milieu du 19e siècle, l’horlogerie haut-jurassienne décline ensuite et la production des comtoises n’est plus, en 1901, que de 35 000 pièces, auxquelles s’ajoutent 25 000 « pendules à ressorts à poser et à suspendre, genres œils-debœuf et cartels » [15] et 13 500 « tournebroches à ressorts et miroirs à alouettes ». En cause : un désenclavement trop tardif (le chemin de fer n’atteint Morez qu’en 1900) alors même qu’il faut faire face à la concurrence féroce des produits plus bas de gamme de la Forêt-Noire (coucous en bois), dont les fabricants sont soutenus par l’Etat allemand. A cela s’ajoute la saturation du marché en garde-temps quasi-inusables, comtoises aussi bien qu’horloges monumentales (dont 400 mouvements seulement sont réalisés en 1901). Pressentant les difficultés, la Chambre consultative des Arts et Manufactures de Morez a poussé la ville à se doter de la première école professionnelle du département afin d’enseigner la fabrication de la montre. Ouvert en 1855, l’établissement [15]
Œil-de-bœuf (collection particulière).
L’HORLOGERIE
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LA SOCIÉTÉ PRÊTRE En Franche-Comté, une seule fabrique d’horloges monumentales est attestée hors du Haut-Jura : celle de la famille Prêtre, famille d’agriculteurs suisses installée en France en 1640. Le premier à réaliser des horloges est Théophile (1782-1842) - ou son père Claude Ignace - à Narbief puis au Bizot, où il se consacre à l’horlogerie à partir de 1810. Son fils Lucien (1813-1884) transfère en 1851-1852 son affaire à Rosureux afin de profiter de l’énergie hydraulique
[01]
. Inventif et commerçant, Asther
(1844-1919), le fils de Lucien, développe l’entreprise, forte d’une dizaine de personnes au maximum, qui alimente le marché national et exporte (Suisse, Espagne, Amérique du Sud, etc.)
[02]
. Arrêtée lors de la Deuxième Guerre mondiale, elle redé-
marre petitement en 1950 à Cour-Saint-Maurice avec Robert, le petit-fils d’Asther, qui se consacre surtout à l’électrification des horloges et des systèmes de sonnerie des cloches. Ce sont ses fils Christian et Patrice qui, en 1979-1980, installent la société Prêtre et Fils à Mamirolle. Dirigée depuis 2009 par Nicolas, le fils de Christian, celle-ci compte six personnes en 2018, conçoit et fabrique toujours des horloges monumentales mécaniques, et entretient plus d’un millier d’installations campanaires.
[01]
Ferme et atelier d’horlogerie Prêtre, 1-3 impasse de la Truite, Rosureux.
[02] Planche d’une notice intitulée Fabrique spéciale d’horloges publiques Prêtre Asther Fils [...], 4e quart 19e siècle (Société Prêtre et Fils, Mamirolle).
a fermé dès 1861-1862 : c’est un échec, apparemment dû à une sous-estimation des différences entre l’horlogerie en gros volume — maîtrisée localement — et celle en petit, ainsi qu’au retard technique par rapport à la Suisse. L’école n’aura donc pas permis l’implantation de cette industrie (même si quelques centaines de pièces ont pu être produites). Alors qu’une partie de ses forces vives se tourne vers la lunetterie et que l’émaillerie conquiert son autonomie avec d’autres produits (« cœurs de Morez » [15bis] et signalétique), la profession fait un effort de mécanisation et de diversification. A la fabrication des comtoises succède celle des régulateurs, pendules et autres carillons ; aux poids et au mouvement cage fer des premières répondent pour les derniers le ressort et le mouvement entre platines en laiton (dont une partie provient de Beaucourt). Ce secteur connaît alors, durant la première moitié du 20e siècle, une embellie certaine qui entraîne la création à Champagnole, à une trentaine de kilomètres de là, de plusieurs entreprises de menuiserie spécialisées dans les meubles d’horlogerie.
[15bis]
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Cœur de Morez (cimetière de Morez).
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
Ce renouveau est attesté à Morbier par la Manufacture d’Horlogerie Girod (édifiée en 1938 par l’architecte Joseph Duboin, de
Saint-Claude, et comptant 161 personnes en 1947) et à Morez par les usines de la société Odo. Fondée en 1924 par une famille d’horlogers morberans, les Odobez, cette dernière reprend trois ans plus tard l’atelier principal de Paul Odobey à Morez, dans lequel elle débute en 1931 la fabrication des carillons. Elle rencontre un tel succès avec son modèle Westminster qu’elle peut faire construire une première usine [16] (du même Duboin) en 1936 puis une deuxième en 1951 (par le fils du précédent, Jean-Constant), toutes deux ensuite réoccupées par des sociétés lunetières.
[16] Usine d’horlogerie Odo puis de lunetterie des Ets Marius Morel, 18-22 avenue Charles de Gaulle, Morez.
En fait, l’évolution rapide du goût, des modes de vie et des techniques conduisent à l’abandon des comtoises et autres pendules volumineuses au profit de petites horloges électriques, colorées, tandis que les horloges mécaniques d’édifice sont délaissées pour leurs descendantes électriques puis électroniques. Les dernières fabriques d’horloges monumentales de Morez ferment dans les années 1960 : celle de Louis Delphin Odobey en 1964 (elle sera détruite en 1989), celle de la société Francis Paget et Cie (qui avait succédé vers 1910 sur le site du Martinet neuf à la maison Prost Frères) vers 1967. L’activité horlogère morézienne disparaît en 1987 et 1990. 1987 est la dernière année d’activité
[15]
Œil-de-bœuf (collection particulière).
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de René Mayet, qui fabrique des pendules et autres carillons sous la marque Map (son affaire a compté une quinzaine de personnes au maximum). 1990 correspond au départ de la société Odo pour Morbier, où elle a acquis la fabrique Romanet [17] (édifiée en 1948 sur des plans de l’architecte André David, de Saint-Claude). Elle y produit deux ans plus tard 3 000 horloges comtoises et 40 000 pendules et réveils électriques mais ferme en 2005 (reprise par un fournisseur, elle disparaît en 2015). Foncine-le-Haut a perdu son activité horlogère bien plus tôt. La société Collin y avait ouvert en 1859 un atelier, remplacé par une grande usine en 1882-1883 [18] . Successeur de Wagner en 1852, Armand François Collin est alors l’un des horlogers d’édifice parisiens les plus importants. Il produit quantité d’horloges monumentales (dont celle de Notre-Dame de Paris en 1867), des horloges pour les compagnies ferroviaires, des régulateurs, œils-de-bœuf, sonnettes électriques, métronomes, instruments de précision (marégraphes, etc.), compteurs en tous genre, etc. Son entreprise est reprise en 1884 par la société Château Père et Fils, qui emploie 75 personnes à Foncine au tournant du siècle et s’y maintient jusqu’en 1932.
[17] Usine d’horlogerie des Ets Romanet puis Odo, 4 chemin du Caton, Morbier.
PENDULES ET MONTRES : LA RÉGION DE MONTBÉLIARD Petite enclave protestante rattachée à la France en 1793, la principauté de Montbéliard est depuis le 17e siècle le siège d’une industrie métallurgique et de transformation des métaux dynamique. Ses relations privilégiées avec la Suisse ne sont pas pour rien dans l’introduction de l’horlogerie au milieu du 18e siècle et en 1793, une soixantaine d’horlogers est attestée à Montbéliard. Cette activité connaît un essor considérable, qui fait de cette zone au 19e siècle le premier centre horloger français, actif aussi bien dans l’horlogerie de petit volume (montres) que dans celle de gros volume (pendules de cheminée, pendulettes et réveils). En 1894, Jules Japy en estime l’effectif à plus de 15 000 ouvriers, « dont une partie sont à la fois horlogers et cultivateurs » 7, tandis que Besançon en compterait 10 000 et le HautDoubs 4 500 environ (1 500 « à la fois horlogers et éleveurs » sur le plateau de Maîche et 3 000 « dont une partie sont mixtes ou semi-agricoles » dans le val de Morteau).
[18]
Usine d’horlogerie Château, Foncine-le-Haut.
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
La région de Montbéliard est alors spécialisée dans la fabrication mécanique des ébauches et des mouvements, la production des garde-temps finis ne venant que dans un second
EBAUCHE ET ÉTABLISSAGE L’ébauche constitue le châssis sur lequel sont fixés les composants du mouvement. Au 18e siècle, elle est formée de deux
platines en laiton séparées par des piliers [01] . Elle porte le barillet (contenant le ressort moteur) et la fusée (régularisant la force motrice) jusqu’à sa modification, à la fin du 18e siècle ou au début du suivant, par Jean Antoine Lépine qui remplace la deuxième platine par des ponts et supprime la fusée, obtenant ainsi des montres bien plus plates [02] . Cette ébauche (ou
blanc) devient un blanc roulant après que le finisseur lui a ajouté le rouage ou finissage (ensemble de roues dentées et pignons) et a retouché les pièces afin qu’elles jouent librement. Pour que le mouvement soit complet, il ne manque plus que l’échappement, posé par le planteur d’échappement. Réalisés à domicile puis en atelier ou en usine, les composants - mouvement
[03]
et habillage (boîte, cadran, aiguilles, etc.)
[04]
- sont assemblés par l’établisseur (fabricant négociant) ou
en sous-traitance pour lui (c’est alors seulement un négociant). Qu’il assure ou non le réglage, l’établisseur se charge de la commercialisation du garde-temps fini.
[01] Mouvement
de la montre de gousset mécanique dite de Frédéric Japy, fin 18e siècledébut 19e siècle (Musée Japy, Beaucourt). [02] Montre
de gousset mécanique des Ets Victor Mougin (Morteau), 1924 (collection Jean-Claude Vuez, Villers-le-Lac).
[03] Chaîne
cinétique d’un mouvement de montre. A gauche, le moteur (ressort dans son barillet) est surmonté d’une roue dentée engrenant avec le système de remontage et mise à l’heure (en bas). Il fournit l’énergie au rouage (trois roues dentées chacune munie de son pignon), qui la transmet à l’échappement (à droite), chargé de découper le temps en intervalles réguliers et dont le fonctionnement est régularisé par le balancier-spiral.
L’HORLOGERIE
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temps, comme le précise un article de 1866 : « L’industrie horlogère du pays de Montbéliard n’établit pas la montre en entier, elle ne s’occupe que d’un certain nombre de parties, ses produits sont envoyés aux établisseurs de Besançon et de la Suisse. Les ébauches et les finissages [les rouages] sont les deux parties qui occupent plus particulièrement les ouvriers de notre contrée. Ces deux parties en effet se prêtent mieux que les autres au travail des grandes fabriques […] » 8 L’horlogerie de ce secteur est en effet avant tout une industrie mécanique du composant, et ce depuis Frédéric Japy dans le quatrième quart du 18e siècle.
1776, FRÉDÉRIC JAPY
[19] Portrait de Frédéric Japy, 1er quart 19e siècle (Musée Japy, Beaucourt).
Fils d’un maréchal-ferrant de Beaucourt, Frédéric Japy (17491812) [19] se forme au Locle (Suisse), où il achète en 1776 les machines créées par Jean-Jacques Jeanneret-Gris. Cette date marque l’entrée (progressive) de l’horlogerie dans une dimension industrielle, avec remise en cause du modèle d’organisation en vigueur. La parcellarisation des tâches (travail en parties brisées), prévalant au sein de l’établissage, conduit en effet à une spécialisation poussée d’où un nombre élevé d’intervenants, travaillant chez eux. Or Japy réunit ses ouvriers dans la fabrique qu’il fait bâtir en 1777, la « Pendulerie » [20] . Avec cette concentration de main d’œuvre et ses machines, actionnées par un manège à chevaux, la production croît énormément : près de 30 000 ébauches avec une cinquantaine de personnes vers 1780, 100 000 en 1800, 150 000 avec 500 personnes en 1806. Leur prix est divisé par trois, passant de 7,50 francs à 2,50 francs (chiffres de 1794). Japy exporte alors les neuf dixièmes de sa production en Suisse et vend le reste à Montbéliard et Besançon. Ces résultats lui donnent une situation de monopole d’où, en 1802, les récriminations de ses concurrents : « ces machines en abrégeant infiniement [sic] l’ouvrage ôtent à quantité d’ouvriers de gagner leur vie » 9. Ce à quoi il réplique : « je donne dans mes ateliers du travail à plus de 500 ouvriers, la plupart estropiés vieillards et enfants » 10. Sans compter qu’une bonne partie du personnel (les « chambrelans ») travaille encore à domicile à certaines tâches non mécanisables (montage du rouage, réglage, etc.). La mécanisation est toutefois en marche, ce que confirme en 1819 cette observation sur la fabrique d’ébauches de Badevel qui « occupe 80 ouvriers, dont moitié sont des enfants au-dessous de 14 ans ; parmi les autres ouvriers il n’y a que deux horlogers. Tout s’y fait à la mécanique. » 11
DES PREMIÈRES FABRIQUES À LA FIN DU SECOND EMPIRE [20] Gravure montrant la Pendulerie, 1823. Dessin Jean Mieg, lithographie Gabriel Engelmann, 1823. Série des Manufactures du Haut-Rhin, pl. XXV.
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
Cette longue période, qui est celle de l’industrialisation de la France, voit l’entreprise Japy conforter sa position dans un domaine où, malgré la fréquence des crises horlogères, les sociétés se multiplient.
[23] Le hameau de Berne à la fin du 19e siècle, gravure (Association les Amis du vieux Seloncourt, Seloncourt).
En 1806, les trois fils aînés de Japy reprennent l’affaire paternelle tandis que deux de ses gendres ouvrent à Hérimoncourt une fabrique mécanique de pignons et rouages d’horlogerie. Les Japy font construire à Beaucourt l’usine des Fonteneilles (ébauches de montres et quincaillerie) et en 1817 celle de Badevel (mouvements de pendules). Les trois quarts de cette production sont expédiés dans la capitale, d’où l’appellation de « mouvements de Paris » [21] qui leur reste attachée. Dopée par la demande suisse (qui en capte 80 % en 1837), la fabrication des ébauches de montres atteint 500 000 pièces en 1854 (pour 60 000 mouvements de pendules). Japy Frères se lance aussi dans la finition des garde-temps bon marché : montres (la « Démocratique »), pendules et réveils (à partir de la fin des années 1860). En 1865, sa branche horlogerie occupe 1 356 ouvriers à Beaucourt, dont une moitié de femmes et d’adolescents. Le travail à domicile n’a pas été supprimé, loin de là [22] , et la société précise : « avec notre industrie horlogère, nous pouvons donner à presque tous nos ouvriers de quoi occuper à la maison leurs femmes et leurs enfants ; la mère peut alors exercer sur sa famille une surveillance plus active et ne pas la laisser s’abandonner à l’oisiveté et la débauche » 12. La réussite des Japy suscite de nombreuses vocations. Seloncourt voit la naissance d’autres fabriques d’ébauches : les frères Seydel (au moulin de Berne) en 1799, Beurnier en 1810. Louis Japy (un petit-fils de Frédéric) convertit en 1845 l’ancienne usine Seydel [23] à la fabrication des mouvements de montre Lépine (200 personnes), avant d’implanter en 1851 une fabrique
[21] Mouvement de Paris, fin 19e siècle-début 20e siècle (collection particulière).
L’HORLOGERIE
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Usine Roux et Cie, avenue du maréchal Joffre, Montbéliard, vue à la fin 19e siècle ou au début du 20e siècle (Archives communales, Montbéliard).
[24]
de pignons à Hérimoncourt. En 1856, la production horlogère de sa société atteint 250 000 mouvements et 12 000 réveils, 2 000 métronomes et 840 pendules « établies » (achevées). A Montbéliard, embauché par Japy en 1817, le Corse Jean Vincenti ouvre en 1823 une fabrique de montres. Son associé, Albert Roux, la transfère à la Prairie [24] , où elle a une production diversifiée : mouvements de pendules, carillons, réveils et régulateurs de chemin de fer, boîtes à musique, métronomes, télégraphes électriques, lampes à huile, miroirs aux alouettes, compteurs de filature, compteurs à eau et à gaz, etc. Autre affaire montbéliardaise : celle créée en 1832 par le Suisse Samuel Marti (400 personnes en 1865). A Sainte-Suzanne, Auguste L’Epée, un ancien de Japy, s’associe en 1839 avec le Genevois Paur pour exploiter une manufacture de boîtes à musique. La liste des fabriques ne cesse de s’allonger.
DE LA DÉFAITE DE 1870 À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
Plan-type de maison ouvrière Japy à Beaucourt, publié dans : Etablissements de Japy Frères et Cie à Beaucourt - Haut-Rhin. Note sur les ouvriers de Beaucourt et sur les institutions créées en leur faveur. — [Japy], 1868. (Musée du Château, Montbéliard). Dans cette maison commandée par Japy, huit places de travail sont visibles : deux établis (chacun accompagné de trois tabourets) à gauche, un (avec deux tabourets) à droite. [22]
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
L’horlogerie est toutefois confrontée à un nombre croissant de difficultés. Les entreprises se font une guerre féroce si bien que le prix d’un mouvement est réduit de moitié entre 1858 et 1865, passant de 12 à 6 francs. A quoi s’ajoutent les conséquences de la guerre franco-prussienne de 1870 et un renforcement généralisé du protectionnisme. L’Exposition universelle de Philadelphie révèle par ailleurs en 1876 l’avancée des EtatsUnis dans la mécanisation, la standardisation et l’interchangeabilité. La Suisse, qui prend le virage de la mécanisation, pro-
[01] Plan
du début du 20e siècle. (Archives départementales du Territoire de Belfort : 9 J 1 D 4-7).
LA SOCIÉTÉ JAPY En 1910, la société Japy compte treize usines, occupant 6 000 ouvriers, implantées à Beaucourt et alentours (notamment dans la vallée de Lafeschotte), Seloncourt, Voujeaucourt, L’Isle-sur-le-Doubs, Baume-les-Dames et hors de Franche-Comté [01]
. L’entreprise n’a de cesse de diversifier ses activités dans la petite métallurgie
(tout en étant présente dans le tissage et l’ameublement) : visserie, quincaillerie (rondelles, pitons, gonds, boucles de sellerie, etc.), articles de serrurerie (cadenas, serrures, targettes), de lustrerie en bronze, zinc ou fonte (boîtiers de pendules, cendriers, encriers), outils et accessoires (vrilles, pinces, tournebroches, compas, tire-bouchons, etc.), moulins à café, ustensiles de cuisine et vaisselle étamée puis émaillée (« casserie »), plaques émaillées, pompes, machines agricoles, moteurs thermiques, matériel électrique (moteurs, alternateurs, convertisseurs, etc.), mécanographie (machines à écrire), etc.
[02]
De cet ensemble ne subsistent dans le
Doubs que deux sites : celui de Cristel à Fesches-le-Châtel (articles culinaires de haut de gamme en inox) et celui des Pompes Japy à Dampierre-les-Bois.
[02] Ustensiles
de ménage Japy (Musée du Château, Montbéliard).
L’HORLOGERIE
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[25]
Usine des Fonteneilles, rue Frédéric Japy, Beaucourt.
duit 1 500 000 montres en 1880, pour 500 000 en France et 350 000 aux Etats-Unis mais dans ce pays, neuf ans plus tard, la Waltham Watch Co en fabrique à elle seule 882 000 et l’Elgin Watch Co 500 000 ! Japy Frères, qui emploie 5 500 personnes en 1870, connaît à cette époque des déboires, dont en 1881 l’incendie des ateliers d’horlogerie des Fonteneilles (aussitôt rebâtis, en briques avec poteaux en fonte, par la société lilloise E. et P. Sée, spécialisée dans les bâtiments industriels incombustibles) [25] . L’entreprise développe la fabrication des produits finis et, en 1889, elle réalise quotidiennement 1 000 à 1 200 montres et 1 000 à 2 000 « pendulettes, réveils ronds, carrés, réveils à musique, réveils-sonnerie, huitaines, répétitions-réveils, etc., montés dans des boîtes d’une grande variété de formes et de modèles » [26] . Elle rencontre cependant des difficultés nouvelles pour elle, ainsi résumées en 1885 par ses représentants à Besançon, Sandoz Frères : « jadis un calibre mettait dix ans à passer de mode. Aujourd’hui grâce au progrès, tous les six mois c’est une modification nouvelle qui bouleverse tout » 13.
[26]
Réveil Japy « style colonial » (Musée du Château, Montbéliard).
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
Cette période voit la création de nombreuses entreprises, dont beaucoup s’orientent vers la fabrication de la montre complète. A Seloncourt : Paul Japy (un fils de Louis), le Suisse Guinand, Boname [27a ou] en 1877, Hosotte, Muth en 1890, Paicheur, Rantz et Cie en 1898, Beaudroit en 1902, etc. Citons encore les fabriques d’ébauches et échappements Cramotte et Louys vers 1870, de boîtes de montre Henry en 1873, de pignons Wittmer,
Roy et Hebmann en 1894-1895, etc. A Vieux-Charmont, Jean Frédéric Marti (un neveu de Samuel) fonde en 1870 la société Fritz Marti et Cie et à Héricourt, Adolphe Mougin crée en 1872 sa fabrique d’ébauches de pendules.
DISPARITION APRÈS LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE La Grande Guerre, qui ouvre largement le marché national aux montres helvétiques, conduit aussi la Suisse à développer ses propres fabriques de composants, concurrençant ensuite les entreprises françaises. C’est ainsi qu’à la fin des années 1930, la France importera 70 % de ses composants de base (ébauches notamment). La crise de 1929 ajoute encore aux difficultés de la profession, qui voit nombre d’affaires fermer ou se reconvertir dans la mécanique générale. D’autant que le créneau de la montre bon marché est balayé par les productions de Besançon et du Haut-Doubs, si bien que ne subsiste plus dans le pays de Montbéliard que la grosse horlogerie. Les disparitions se succèdent à Seloncourt : Boname-Beaudroit vers 1930 [28a ou] , Paicheur, Rantz et Cie en 1932, l’usine de Berne [ou 28b] (appartenant aux Ets Albert Paul Japy) la même année (elle sera rachetée en 1943 par Georges Wittmer, fabricant de pièces détachées pour l’horlogerie). A Montbéliard, la société Amédée Roux et Cie ferme ses portes en 1929. Japy Frères et Cie disparaît dans les années 1950. La société, qui connaît des problèmes de gérance aigus, se replie progressivement sur elle-même, ayant perdu le sens de l’innovation, dotée d’un matériel vieillissant, hypertrophiée par la multiplication des produits fabriqués, concurrencée par de nouvelles industries plus attractives telle la construction automobile. Elle regroupe en 1932 ses activités horlogères à Badevel et Beaucourt mais ferme le premier site en 1935. Elle est scindée en quatre sociétés autonomes en 1954 et la branche horlogerie est cédée à Jaz. La Pendulerie ferme vers 1959 et les bâtiments sont détruits en 1978 (à l’exception de l’extension de 1892, réhabilitée en logements et abritant le musée Japy) [30] . Disparitions et reconversions se poursuivent après la Deuxième Guerre mondiale. A Hérimoncourt, Hebmann cesse son activité juste après la guerre tandis qu’à Vieux-Charmont, Fritz Marti et Fils (400 personnes en 1958) abandonne l’horlogerie en 1955 [31a ou] . A Seloncourt, la société Les Fils de Georges Megnin est convertie à la mécanique générale en 1946 tandis que celle créée par Eugène Megnin subsiste jusqu’en 1950. Longévité plus grande pour Beaudroit, qui poursuit son activité horlogère jusqu’au milieu des années 1960. Si Hosotte a cessé la production des montres en 1932, son département mécanique de précision est acquis en 1959 par les Ets René Marti, qui produisent jusqu’en 1970 de l’horlogerie de marine, des pendules, des baromètres et des compteurs enregistreurs. La société Les Fils de C. Muth, quant à elle, disparaît en 1981.
[28b]
Usine d’horlogerie Seydel puis Japy, Berne, Seloncourt.
[30] Usine de petite métallurgie et d’horlogerie dite la Pendulerie, 16-30 rue Frédéric Japy, Beaucourt.
L’HORLOGERIE
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LA SOCIÉTÉ L’EPÉE Auguste L’Epée fonde en 1839, à Sainte-Suzanne, une société qui compte plus de 150 ouvriers vingt ans plus tard. En 1862, il fait construire une usine à vapeur, agrandie par ses fils Charles-Auguste et Henry qui lui succèdent en 1875. La société produit en 1900 près de 150 000 petites boîtes à musique pour enfants et 24 000 porte-échappements [01 et 02] . La première fabrication cesse en 1914 tandis que la deuxième se développe et que la production est diversifiée. Les effectifs augmentent (260 personnes en 1962, 600 en 1970), d’où la construction de nouveaux ateliers et l’ouverture de deux unités secondaires dans le Haut-Rhin. Mais l’entreprise, qui réalise 1 110 000 porte-échappements en 1968, est frappée de plein fouet par le changement technologique (quartz). Reconvertie dans la pendulette de luxe [03] , elle disparaît en 1995.
[01] Boîte
à musique, vers 1880 (collection Jean Lenôtre, Seloncourt).
La dernière entreprise horlogère est L’Epée, à Sainte-Suzanne [ou 31b] . Déstabilisée par l’arrivée du quartz qui rend obsolètes ses porte-échappements, elle est acquise en 1975 par Matra-Manurhin, qui la convertit à la fabrication des pendulettes de luxe et « d’officier » (10 000 pièces en 1985), ainsi que de mécanismes pour l’armement. De nouveau en difficulté, elle disparaît en 1995 et ses bâtiments sont transformés en logements. Ainsi finissent deux siècles d’horlogerie dans le pays de Montbéliard.
MONTRES : BESANÇON Atelier d’usinage de l’usine d’horlogerie Fritz Marti puis de petite métallurgie IPM, 10 route de Belfort, Vieux-Charmont.
[31a]
Besançon est le pôle horloger le plus connu. Si Frédéric Japy s’est formé auprès de maîtres helvétiques et si leur pays a constitué son principal client, le lien est encore plus direct dans le cas de la capitale franc-comtoise, où ce sont des Suisses qui ont développé l’industrie horlogère. Bien qu’elle ait compté des horlogers au 18e siècle, sa relation avec ce domaine était jusqu’alors plutôt commerciale, due à sa position géographique entre le marché français et les centres producteurs helvétiques (Le Locle et La Chaux-de-Fonds).
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
1793, MÉGEVAND La Révolution change la donne. Opposée au reste de l’Europe, la France révolutionnaire cherche à gagner son autonomie en tout, horlogerie comprise [33] . Ce qui fait l’affaire du Suisse Laurent Mégevand (1754-1814), lequel propose la création à Besançon d’une manufacture qui évitera une dépense annuelle d’environ 50 millions de francs pour l’achat de 120 000 montres dans son pays. Cette manufacture est instituée par le décret du 21 brumaire an II (11 novembre 1793), contenant des conditions très attractives pour les Suisses si bien que la colonie qui s’installe en ville compte près de 400 personnes. Ils sont 930 en mars 1794, lorsqu’un nouvel arrêté déclare la manufacture d’intérêt national, puis 1 855 l’année suivante, soit plus de 8 % de la population bisontine (avec ce que cela peut entraîner comme heurts entre communautés de religion différente). Mégevand abandonne rapidement l’idée de regrouper les horlogers dans un même local mais ouvre une fabrique mécanique d’ébauches à Thise, dans la banlieue de Besançon. Les résultats sont là : près de 15 000 montres en métaux précieux produites en 1797. C’est toutefois sa mauvaise gestion qui est avancée l’année suivante par l’Etat pour justifier son retrait alors que, par ailleurs, la France vient d’annexer Genève et le Jura bernois, deux places horlogères bien établies.
BESANÇON CAPITALE FRANÇAISE DE L’HORLOGERIE Couvent des carmes déchaussés dit des petits carmes, 48-50 rue Battant, Besançon.
[34]
Les Suisses qui se fixent en ville constituent la « fabrique de Besançon ». Selon Jean-Luc Mayaud 14 , les horlogers bisontins sont 3 500 en 1848 : 1 120 Suisses, 1 670 Suisses naturalisés Français et 35 Français de souche (en faisant abstraction des 675 enfants). L’Œuvre de Saint-Joseph, fondée en 1844 par l’abbé Faivre dans le couvent des carmes déchaussés, assure une formation dans ce domaine jusqu’à sa disparition en 1848 [34] . Positionnée sur la montre ordinaire, le « bon courant », la production augmente : 94 897 montres en métaux précieux en 1853 (notons cependant que les seuls chiffres dont on dispose pour évaluer la production sont ceux des boîtes en or ou en argent). La ville, qui organise en 1860 une exposition nationale, est bien en 1866 la capitale de l’horlogerie française : sur 310 849 montres en or ou argent produites en France, 305 435 (98 %) sortent de Besançon. Mais la concurrence suisse reste rude, renforcée par une contrebande quasi-institutionnalisée (dont les risques encourus par les participants sont même couverts par des sociétés d’assurance). En 1875, l’Annuaire de la Fabrique d’horlogerie de Besançon 15 recense 5 072 personnes (soit 10 % de la population), qui réalisent 420 000 montres en métaux précieux. La majorité des 191 « fabricants d’horlogerie » est composée d’assembleurs, employant le tiers des horlogers signalés dans l’annuaire
[33]
Montre révolutionnaire (Musée du Temps, Besançon).
L’HORLOGERIE
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Intérieur d’un atelier d’horloger, 1939, par Enric Casanovas (Musée du Temps, Besançon).
[35]
(1 625 personnes) et achetant ébauches et mouvements dans le pays de Montbéliard, le Haut-Doubs ou en Suisse. Les deux tiers restants œuvrent à la fabrication ou à l’ornementation des composants. Parmi eux, 600 monteurs de boîtes répartis en 110 ateliers (soit 5 ouvriers en moyenne), 670 personnes occupées au décor (émailleurs, graveurs-guillocheurs, sertisseurs, doreurs), 551 au polissage, etc. Une majorité travaille seule ou dans de petits ateliers, souvent à domicile (principalement au centre-ville et dans le quartier de Battant) [35] .
MISE EN PLACE D’UN « ÉCOSYSTÈME » PERFORMANT La fabrique bisontine bénéficie de plusieurs appuis, à commencer par l’école municipale d’horlogerie [36] , créée en 1861 et nationalisée en 1891.
[36] L’atelier de mécanique de l’école nationale d’Horlogerie durant l’année scolaire 1916-1917 (Archives du Lycée polyvalent Jules Haag, Besançon).
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
Un cours de mécanique s’y ouvre en 1889, bien tardivement. En effet, les horlogers français n’avaient pas pris conscience des enjeux de la mécanisation révélés par l’Exposition universelle de Philadelphie en 1876, cramponnés à leur idée que l’horlogerie est une affaire d’artistes et non de mécaniciens. Treize ans plus tard, il leur faut bien, à l’instar de la Chambre de Commerce, se rendre compte que le monde a changé : « Aujourd’hui, la production mécanique tend de plus en plus à se substituer à la main de l’homme et notre industrie a moins besoin d’ouvriers que d’horlogers-ingénieurs, connaissant la
[37]
Observatoire, avenue de l’Observatoire, Besançon.
théorie en même temps que la pratique et capables d’appliquer les méthodes scientifiques. Si donc l’on veut conserver à la fabrique de Besançon sa prépondérance et son renom sur le marché français, il est nécessaire de préparer à bref délai la transformation du travail d’établissage en travail de manufacture qui nécessite, à côté des moyens financiers, un personnel dirigeant possédant des connaissances approfondies. » 16 Le deuxième appui est l’observatoire. Dans les années 1860, quelques esprits clairvoyants se sont émus de la concurrence d’une horlogerie helvétique positionnée sur le créneau de la qualité et ont alerté sur la nécessité de fabriquer des montres plus précises. Pour cela, il faut disposer localement d’une « base de temps » fiable, alors manquante : « il est assurément extraordinaire et à peine croyable que dans l’état actuel des choses, on ne sache pas l’heure exacte dans une ville où l’on fabrique un millier de montres par jour » 17. Or seul un observatoire permet de calculer l’heure. Celui créé en 1878 à Besançon entre en service en 1885 [37] : il « fabrique l’heure » avec sa grande lunette méridienne et la transmet à l’hôtel de ville, contrôle la marche des montres, décerne aux meilleurs d’entre elles le titre de chronomètre et organise à partir de 1889 un concours chronométrique annuel. Cette infrastructure sera complétée en 1901 par une école d’ingénieurs (Laboratoire de Chronométrie, puis Institut de Chronométrie en 1929), la transformation en 1921 de l’école municipale en Ecole nationale professionnelle d’Horlogerie (dotée de vastes locaux en 1932-1933) et la création en 1938 d’un centre technique (qui deviendra en 1945 le Centre technique de l’Industrie horlogère : Cetehor).
[37] Lunette méridienne utilisée à l’observatoire pour « fabriquer l’heure », avenue de l’Observatoire, Besançon.
L’HORLOGERIE
35
LA SOCIÉTÉ SAVOYE La société Savoye est fondée par Charles Eugène et Eugène Louis Savoye, représentant à Besançon la quatrième génération d’une famille d’horlogers d’origine suisse venue avec Mégevand. En 1864, l’entreprise marque sa réussite par la construction d’un immeuble conçu par l’architecte Gustave Vieille
[01]
. Atypique,
l’édifice associe des magasins au rez-de-chaussée à huit ateliers d’horlogerie et autant d’appartements répartis sur quatre étages. En fait, il présente deux visages : immeuble d’habitation d’inspiration haussmannienne côté square, usine dotée de larges fenêtres sur la façade postérieure et les faces latérales. Entre autres sociétés, il abrite la maison Louis Leroy et Cie auteur de 1897 à 1904, pour le collectionneur portugais Antonio Augusto de Carvalho Monteiro, de la « Leroy 01 » qui fut en son temps la montre la plus compliquée du monde.
[02] Façades
postérieure et latérale droite de l’immeuble. Les ateliers se distinguent par leurs grandes fenêtres aux étages tandis que la séparation avec la partie habitation est bien lisible à gauche.
ATELIERS FAMILIAUX ET GRANDES USINES
[39] Usine de la Société générale des Monteurs de Boîtes d’Argent, 23 rue Gambetta, Besançon.
36
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
En 1891, le nombre de personnes dépendant de l’horlogerie est évalué à 10 000, pour 56 000 Bisontins. Si une grande majorité des horlogers travaille toujours à domicile, des usines voient le jour dans les nouveaux quartiers. A la suite de la maison Savoye (square Saint-Amour) au milieu des années 1860, les créations se concentrent dans le quartier délimité par les rues de Lorraine, Proudhon et Gambetta. Cette dernière devient la rue de l’horlogerie avec trois usines bâties entre 1880 et 1900 : au n° 21 pour la Société générale des Monteurs de Boîtes d’Or (1880-1881, 250 personnes vers 1900), au n° 23 pour la Société générale des Monteurs de Boîtes d’Argent (vers 1899) [39] et au n° 25 pour la fabrique d’ébauches de la Société anonyme d’Horlogerie de Besançon (1891-1892). A l’autre extrémité de la rue, aux n° 17 et 19, le bâtiment édifié vers 1894 pour Claudius Gondy est représentatif des édifices associant sous un même toit atelier au rez-de-chaussée et logement patronal dans les étages [40] . A noter aussi l’installation au moulin de Tarragnoz de la société Geismar et Cie, qui regroupe en 1890 l’ensemble de ses ateliers à Tarragnoz où elle crée une manufacture de montres, produisant et assemblant elle-même ses composants. Après l’arasement des remparts dans les années 1890, le déclassement de l’enceinte fortifiée en 1911 s’accompagne de la suppression des servitudes militaires. De nouveaux espaces s’ouvrent donc à la construction sur la rive droite du Doubs, dans les quartiers de la Mouillère et des Chaprais [41] . Les grandes entreprises restent cependant rares : en 1908, la ville ne compte que cinq sociétés horlogères de plus de 200 ouvriers et 20 employant 20 personnes.
DES ANNÉES FOLLES AUX TRENTE GLORIEUSES
[42] Intérieur d’atelier en 1933, publié dans : La France horlogère, n° 15, 1er août 1933, p. 28. Usine d’horlogerie Hatot, 13 rue de la Rotonde, Besançon.
Si certaines entreprises suisses ouvrent après-guerre une filiale à Besançon (Zénith en 1921, Boss en 1922, Universo en 1923, etc.), des sociétés françaises s’installent hors de la « Boucle » : Hatot (pendules) en 1918 [42] , les Spiraux Français en 1919, Pétolat vers 1922, etc. Mais l’horlogerie souffre : la crise de 1929 entraîne la fermeture d’une quarantaine d’entre elles tandis que le déclin de la boîte en argent s’accompagne de la disparition des décorateurs et que l’essor de la montre-bracelet rebat les cartes. Une reprise s’amorce la décennie suivante puis la Deuxième Guerre mondiale perturbe le mouvement : la construction par les frères Perret de l’usine de Raymond Dodane [43] dure de 1939 à 1943 ; celle des Ets Perfex n’est achevée qu’en 1946. En 1943, la population horlogère bisontine est évaluée à un peu plus de 1 900 personnes (c’est une estimation car les chiffres disponibles pour le 20e siècle sont donnés à l’échelle du département : 8 255 en 1921, 4 244 en 1946). A l’issue de la guerre, l’horlogerie connaît un essor sans pareil. De nouvelles usines sont bâties dont celle de la Sidhor [44] , totalement atypique. La Société d’Investissement pour le Développement de l’Horlogerie est fondée par une association de fabricants horlogers de Besançon et du Haut-Doubs (Lip et sa filiale le Pignon Français, Clérian, Cheval Frères, Augé et
Usine d’horlogerie Dodane (inscrite monument historique en 1986), 5-7 avenue de Montrapon, Besançon.
[43]
L’HORLOGERIE
37
[44]
Usine d’horlogerie Sidhor, 23 rue de la Mouillère, Besançon.
Epiard) qui souhaitent héberger sous un même toit leurs entreprises, par ailleurs totalement indépendantes. Le bâtiment en croix grecque est édifié en 1947-1948 sur des plans des architectes stéphanois Alfred Ferraz et Lucien Seignol. L’activité horlogère gagne les zones périphériques. Ainsi, la société Yema fondée en 1948 par Henri Louis Belmont, auparavant directeur technique chez Lip, s’installe en 1961 rue des Cras, dans une usine prévue pour 200 personnes et 300 000 montres (la production atteindra 1 300 000 pièces en 1978). Fred Lip ouvre, aussi en 1960-1962, à Palente un nouveau site dans laquelle 1 200 personnes produisent quotidiennement 2 600 montres. L’usine de la société Kelton lui est contemporaine : issue en 1955 de l’Américain Timex, Kelton emploie 2 500 personnes au milieu des années 1970 et fabrique plus de 2 millions de montres.
UNE QUASI-DISPARITION DANS LE 4e QUART DU 20e SIÈCLE [40] Immeuble et atelier d’horlogerie Gondy puis Floersheim, 17-19 rue Gambetta, Besançon.
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TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
L’euphorie des années 1960 n’est plus de mise au cours de la décennie suivante, bien que la société Slava, créée en 1961, édifie son usine en 1973 (70 personnes au début des années 1980 et 280 000 à 300 000 montres, dont 80 000 de fabrication soviétique). En effet, la France perd le marché privilégié que constituaient ses colonies puis est confrontée à la crise mon-
LA SOCIÉTÉ LIP Emmanuel Lipmann fonde en 1867, au 14 Grande Rue, sa fabrique d’horlogerie dont sortent trois ans plus tard 970 montres, assemblées par une quinzaine d’ouvriers. Ses fils Ernest et Camille créent Lipmann Frères et font construire en 1902-1903, dans le quartier de la Mouillère, une « manufacture d’horlogerie par procédés mécaniques ». Celle-ci réalise 100 000 montres et chronomètres par an avec environ 200 personnes en 1923, le double (et du matériel électrique) avec près de 900 employés en 1950. Son directeur Fred Lip présente en 1952 la première montre électrique du monde (R 27 puis R 148) [01] puis en 1968 son premier prototype de montre à quartz. Il fait bâtir à partir de 1960, chemin de Palente, une usine ultramoderne [02] d’après un projet de l’architecte Olivier-Pomponne de Bazelaire de Rupierre. Malgré une production record de 600 000 montres en 1968, la société dépose son bilan en 1973. Débute alors « l’affaire Lip » : l’usine est le siège d’importants mouvements sociaux marqués par des manifestations, l’occupation des lieux, la reprise de la fabrication en autogestion par les ouvriers, la vente directe d’un stock de montres confisquées, etc. L’entreprise est finalement liquidée en 1977.
[01] Plaquette
de présentation de la montre électrique R 148, années 1960 (collection Henri Bonnet, Fournet-Luisans).
[02] Usine
d’horlogerie et de mécanique de précision Lip, chemin de Palente, Besançon.
diale (premier choc pétrolier). Mais, les horlogers doivent surtout faire face à la concurrence asiatique, dopée par une main d’œuvre peu chère. Ils ne savent pas présenter un front uni à ces difficultés alors même qu’intervient un changement technologique majeur : l’arrivée du quartz. L’horlogerie devient l’affaire d’électroniciens et non plus de mécaniciens, ce qui achève de balayer la plupart d’entre eux. Nombre d’entreprises disparaissent, telle Lip en 1973 ; les autres entrent dans la valse des rachats et fusions ; celles qui survivent s’orientent vers l’industrie micromécanique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’horlogerie française passe d’environ 14 000 personnes au cours des années 1970 à seulement 8 000 dans les années 1980. Le lycée Jules Haag [45] , ancienne école d’horlogerie, ouvre en 1972 un baccalauréat Microtechniques et cesse toute formation horlogère en 1988 ; l’Institut de Chronométrie devient Ecole nationale supérieure de Chronométrie et Micromécanique en 1961 puis Ecole nationale supérieure de Mécanique et des Microtechniques en 1980. Si le Cetehor [46] a présenté en 1972
Ecole nationale d’Horlogerie puis lycée polyvalent Jules Haag, 1 rue Labbé, Besançon.
[45]
L’HORLOGERIE
39
[46] Centre technique de l’Industrie horlogère, 39 avenue de l’Observatoire, Besançon.
ses premiers prototypes de montres à quartz, la conjoncture l’amène en 1996 à s’ouvrir au milieu de la bijouterie et de la joaillerie, élargi en 2007 aux arts de la table (il constitue actuellement la direction technique du Comité Francéclat, ex Comité professionnel de Développement de l’Horlogerie).
LE TIMIDE RENOUVEAU DU DÉBUT DU 21e SIÈCLE
Chronographe de bord pour l’aéronautique, type 11 A (à droite) et dans sa version actuelle type 211. Maison et atelier d’horlogerie Anode et Dodane 1857, 2 chemin des Barbizets, Châtillon-le-Duc.
[47]
La marque Lip revient en 2015 dans la région, à Châtillon-le-Duc, reprise par la Société des Montres bisontines (120 personnes) fondée par Philippe Bérard en 1984. Dodane, qui employait 120 personnes en 1980, ferme en 1995 puis renaît en 2001 avec la société Anode (5 personnes en 2014) [47] . Yema disparaît en 2009 tandis que Kelton (devenue Fralsen), qui a diversifié ses activités dès les années 1980, ne compte plus que 90 personnes en 2019. Née en 1956, Reparalux assure le service après-vente pour de grandes marques, avec 15 personnes en 2016, année où elle crée sa propre marque de montres (Humbert-Droz). Cette affaire participe d’un double mouvement qui voit d’une part l’installation à Besançon de filiales de grands groupes horlogers suisses chargées d’assurer leur service après-vente, d’autre part la création de petites entreprises horlogères très inventives. Un timide renouveau, mais qui permet en 2008 à l’observatoire de relancer ses activités de certification chronométrique. Renouveau qui concerne également l’horloge comtoise. Philippe Lebru, qui la redessine complétement, fonde son affaire à Besançon en 1993 tandis qu’à Châtillon-le-Duc, la Manufacture horlogère Vuillemin reprend en 2010 l’entreprise Seramm (créée en 1969 par Jean Sdrigotti et qui, avec 45 personnes, produisait un millier de comtoises par mois). Chacune emploie 4 personnes en 2017.
40
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
MONTRES ET COMPOSANTS : LE HAUT-DOUBS
[48] Les montagnes barrant le paysage derrière Villers-le-Lac sont en Suisse.
Au plus près de l’horlogerie suisse, le Haut-Doubs constitue un vaste atelier qui lui fournit main d’œuvre et composants depuis la fin du 18e siècle. Cette zone frontalière [48] (l’actuel « Pays horloger ») associe le val de Morteau (au sud) au plateau du Russey et de Maîche (au nord), qui domine la cité de Saint-Hippolyte. Face à ces quatre bourgs, Le Locle et La Chaux-de-Fonds en Suisse sont dès le 18e siècle des villes, dans lesquelles l’horlogerie a trouvé à s’épanouir. Mais ce sont à cette époque, de chaque côté de la frontière, les mêmes paysans habitués au travail du métal, minutieux et relativement disponibles. Aussi lorsque l’horlogerie helvétique manque de main d’œuvre la trouve-t-elle facilement dans les campagnes françaises proches.
[49] Ferme et atelier d’horlogerie Béliard, les Cordiers, Grand’Combe-Châteleu.
L’HORLOGERIE
41
Intérieur de l’usine Tirolle puis Victorin Frésard (10-14 rue du Château), carte postale, fin 19e siècledébut 20e siècle (collection Henri Ethalon, Les Ecorces).
[51]
UNE ACTIVITÉ BIEN ÉTABLIE AU MILIEU DU 19e SIÈCLE L’importance réelle de l’horlogerie à la fin du 18e siècle et dans la première moitié du 19e demeure mal connue. Elle est attestée de manière indirecte par le maire de Morteau qui écrit en 1835 : « il existait dans cette commune différents établissements d’horlogerie qui occupaient un grand nombre d’individus de la classe ouvrière » 18. Il déplore que par suite de la crise sévissant alors, « la mendicité [soit] devenue dans la commune une véritable profession », et propose sa solution : « faire renaître l’industrie de l’horlogerie pour faire renaître la prospérité ». Pour cela, il faut créer une école pratique, comme cela s’est fait en Suisse. L’autorisation lui est accordée en 1836 (alors qu’elle est refusée à Besançon) et l’école fonctionne jusqu’en 1850, donnant une base solide au milieu horloger local.
[50] Le Doubs à La Rasse, carte postale, 4e quart 19e siècle (collection Henri Ethalon, Les Ecorces).
42
TRANSFORMER LE METAL : OUTILS ET MACHINES
Milieu dominé dans un premier temps par le travail à la ferme [49] : le paysan est fréquemment paysan horloger mais si l’horlogerie rapporte plus, il devient horloger paysan, allant même jusqu’à confier l’exploitation de ses terres à un fermier. Seul le site de la Rasse [50] (commune de Fournet-Blancheroche) atteint une dimension industrielle dans le troisième quart du 19e siècle : François Joubert convertit en 1857 ce moulin en fabrique d’horlogerie comptant 100 à 120 personnes (en grande partie à domicile) et produit des ébauches et, à partir des années 1880, des montres finies.
LA GRANDE FABRIQUE Ingénieur mécanicien originaire des Pyrénées-Orientales, Barthélemy dit Elie Belzon (1838-1911) projette de fabriquer une montre bon marché (5 francs au lieu des 9 à 12 francs habituels) [01] , s’inscrivant ainsi dans la lignée de Roskopf et de sa « Prolétaire » (1867, La Chaux-de-Fonds). Il veut suivre le modèle industriel américain, révélé en 1876 par l’exposition universelle de Philadelphie et qui se développe en Suisse (notamment avec Favre-Jacot et son usine des Billodes, au Locle). Privilégiant mécanisation (machines-outils automatiques) et interchangeabilité, il crée une véritable manufacture
[02 et 03]
, produisant la
majorité des composants qu’elle assemble, équipée d’une machine à vapeur et éclairée à l’électricité.
[02] Gravure de Poyet parue dans L’Illustration , n° 2210, 4 juillet 1885 (collection Jean-Claude Vuez, Villers-le-Lac).
[03] Usine
d’horlogerie dite la Grande Fabrique (13 rue Pasteur, Morteau), carte postale, fin 19e siècledébut 20e siècle (collection Henri Ethalon, Les Ecorces).
Les bourgs s’étoffent, tel Charquemont qui passe de 692 habitants en 1821 à 1 930 en 1866 (dont le tiers vit de l’horlogerie) [51] . En 1850, l’abbé Guinard, curé des Ecorces, s’alarme : « Ceux qui ne s’occupent pas à l’agriculture se livrent à l’industrie de l’horlogerie : roues de montres, cylindres, verges, etc. Cette industrie florissante dans le pays, procure de grands avantages matériels aux pauvres gens. Elle finira par amener la dépravation, si on n’y prend garde, à cause de l’argent qu’elle procure aux jeunes gens et du nombre de personnes qu’elle attire dans le pays dont la conduite est souvent aussi irréligieuse qu’immorale. » 19 Dans cette vaste zone, chaque village se spécialise dans la production d’un composant particulier, dont il maîtrise la fabrication. C’est ainsi que Bonnétage et Les Fontenelles réalisent les roues de cylindre, Damprichard et Charmauvillers les boîtes, que Villers-le-Lac se spécialise dans les balanciers et le plantage d’échappements, etc. [52]
Echappement à cylindre : cylindre et roue de cylindre.
Mais la production phare du plateau, et plus particulièrement de Charquemont, est l’échappement à cylindre [52] . Offrant une grande régularité de marche et permettant la réalisation de montres plates, cet échappement s’est répandu à la fin du 18 e siècle lorsque l’on est arrivé à en maîtriser la fabrication
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[55b] Intérieur d’un atelier des Etablissements Frainier (Morteau) en 1905, gravure, par Poyet. Publiée dans : Reverchon, L. La montre moderne. La Nature, n° 1 659, 11 mars 1905, p. 232.
(une cinquantaine d’opérations). Ses composants sont alors réalisés dans les fermes, une gageure quand on sait qu’un cylindre ne mesure que deux ou trois millimètres de long. De fait, pour ce produit, le Haut-Doubs acquiert une position de monopole, tant vis-à-vis des fabricants français qu’helvétiques. Il la conservera jusqu’à la Première Guerre mondiale, qui forcera les Suisses à réaliser eux-mêmes cet échappement, détrôné au milieu du 20 e siècle par celui à ancre.
UNE INDUSTRIE EN ESSOR JUSQU’À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
[56] Fabrique d’horlogerie de Charles Wetzel dans le 4e quart du 19e siècle (musée de l’Horlogerie, Morteau). Immeuble et atelier d’horlogerie Emile Wetzel et Cie, 3 place de l’Hôtel de Ville, Morteau.
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L’horlogerie permet d’offrir du travail à une population en pleine expansion qui, sans elle, aurait été contrainte au départ. Cette main d’œuvre se concentre de plus en plus dans les bourgs : les habitants de Morteau, par exemple, sont au nombre de 1 826 en 1876 puis de 4 018 en 1911. L’industrie horlogère se développe considérablement dans le quatrième quart du 19e siècle, profitant de la desserte du Haut-Doubs par le chemin de fer (lignes Besançon-Le Locle via Morteau en 1884, Morteau-Maîche en 1905) et de l’arrivée de l’électricité en 1895 (centrale hydroélectrique suisse de la Goule pour la zone Maîche-Le Russey et
Société électrique de Morteau) et 1909 (centrale du Refrain [53] sur la commune de Charquemont, desservant le plateau et la région de Montbéliard). Les fabricants viennent donc s’installer au village, premier électrifié. C’est ainsi que Joseph Jeambrun quitte sa ferme des Bréseux pour ouvrir une usine à Maîche. De même, la fabrique d’ébauches et de montres Mougin s’établit en 1905 à Damprichard, abandonnant le site de la Rasse lorsque la municipalité de Fournet-Blancheroche refuse l’offre d’électrification de la Société des Forces motrices du Refrain. Des ateliers plus importants et des usines voient le jour, comme à Charquemont celle d’Aster Frésard édifiée derrière sa ferme [54] . La nature même de l’industrie horlogère locale change, avec l’introduction des machines-outils et l’élargissement de la production à la montre finie. Sans surprise, la mécanisation touche - comme dans la région de Montbéliard - tout d’abord la fabrication des ébauches. C’est à Villers-le-Lac que s’implantent les deux usines les plus importantes : celles d’Hippolyte Parrenin en 1876-1877 (avec machine à vapeur en 1886) [55a ou] et de Virgile Cupillard en 1893-1894. Lui est contemporaine la fabrique Frainier à Morteau [ou 55b] qui, employant 200 personnes en 1901 (et plus de 300 en 1906), est réputée être la plus importante manufacture de boîtes de montre d’Europe. Le Haut-Doubs se lance aussi dans la fabrication des montres avec une usine ultra-moderne créée en 1880-1881 à Morteau par Elie Belzon. Si des problèmes financiers ne permettent pas à l’entreprise d’occuper la place qui lui revient, une telle concentration de main d’œuvre — 412 personnes en 1894 — est une première dans le secteur. A Morteau, les fabriques de montres les plus importantes appartiennent aux établisseurs, qui occupent un personnel réduit dans leurs locaux. Telles celles des frères Wetzel [56] : Charles, établi en 1872 et dont l’affaire, reprise en 1900 par son fils Emile, aurait employé 200 personnes à domicile ; Edouard, installé en 1876, auquel succède la société Les Fils d’Edouard Wetzel (future Thalès). Une autre circonstance s’avère décisive pour orienter la production vers la montre finie : la guerre commerciale entre la Suisse et la France. La loi Méline, adoptée en 1890 pour protéger la production agricole française, signe le retour à un important protectionnisme. En représailles, la Suisse ferme sa frontière, mettant sur la paille ses fournisseurs et sous-traitants voisins tels les planteurs d’échappements de Villers-le-Lac (la ville compte 800 chômeurs !). Certains réagissent en se convertissant à la « terminaison » de la montre complète : Ulysse Anguenot, les Deleule, Joriot, Moutarlier, Vuillemin Frères, etc. Ces quelques années, de 1892 à 1895, suffisent à implanter durablement la nouvelle industrie [57] et en 1893, le val de Morteau produit 200 000 montres (qui ne sortent pas toutes d’entreprises françaises d’ailleurs : certains fabricants suisses y ont ouvert des succursales afin de limiter les perturbations).
Montre de gousset mécanique dite « réveil avertisseur » Hipp, 1er quart 20e siècle (collection Jean-Claude Vuez, Villers-le-Lac). [57]
[58c] Atelier de l’usine de pierres pour l’horlogerie Cheval Frères (4 rue de la Gare, Maîche) en 1950. Photographie publiée dans le catalogue n° 50 de la société Cheval Frères, d’août 1950 (collection Cheval, Les Fontenelles).
Montre-bracelet automatique Relliac et son mouvement France Ebauches FE 4611, vers 1980 (collection Michel Simonin, Maîche).
[59]
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[63a]
Usine d’horlogerie Cupillard-Vuez, 39 rue Neuve, Morteau.
DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE AUX TRENTE GLORIEUSES Les deux guerres mondiales remettent en cause certains équilibres. Ainsi, la fermeture des frontières en 1914 coupe les fabricants français de leur clientèle suisse, conduite à produire ellemême quelques-uns des composants jusque-là achetés dans le Haut-Doubs, comme l’échappement à cylindre. A l’inverse, plus tard, la recherche d’autonomie initiée par Louis Trincano, directeur de l’école d’horlogerie de Besançon, sera poursuivie par le Comité d’Organisation de la Montre, fondé en 1940. Le Comontre (futur Cetehor) souhaite la constitution d’une industrie française des pierres pour l’horlogerie (les rubis [58a]) et en 1941-1942, il convainc Louis Prétot, à Charquemont, et la société Cheval Frères, à Maîche, de se lancer dans cette fabrication. Le premier crée Rubis Précis (180 personnes dans les années 1950), le second ouvre en 1943 une unité de 80 ouvriers à Maîche [ou 58c] .
[61] Publicité pour la société Cattin (8 avenue Charles de Gaulle, Morteau), années 1960-1970 (Musée du Temps, Besançon).
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La reprise à l’issue des guerres peut donc s’avérer compliquée. D’autant que dans les années 1920, à une énième crise horlogère s’ajoute celle mondiale de 1929. Les horlogers de Villersle-Lac, Charquemont et autres lieux doivent s’occuper à des travaux de terrassement pour subsister. Toutefois, son marché protégé permet à l’horlogerie française de redémarrer, plus rapidement qu’en Suisse ce qui incite certaines entreprises helvétiques à franchir la frontière (à Morteau : Gerber Frères vers 1925, Schild et Cie à la même époque, Fernand Girardet et Fils en 1930, etc.).
Usine d’horlogerie France Ebauches, 2 rue Henri Rotschi, Maîche.
[64]
Mécanisation de la fabrication des composants et hausse de la demande en montres conduisent, à partir des années 1930, toujours plus d’horlogers à créer leur affaire, généralement de taille modeste. Ils emploient du personnel à domicile, plus ou moins nombreux suivant les commandes, et fabriquent sous la marque de leurs clients ou sous la leur. Leur production est de plus en plus composée de montres-bracelets, dans lesquelles l’échappement à cylindre cède progressivement la place à celui à ancre [59] . Ce dernier est produit dans le Haut-Doubs depuis 1920-1921, date d’ouverture de l’usine d’Elie Clérian au Russey, suivi en 1926 par Joseph Jeambrun à Maîche et en 1933 par Pierre Frésard à Charquemont. Quelques belles affaires voient alors le jour telle en 1924-1925 la fabrique de montres de Marius Anguenot [60] , qui emploie 90 personnes en 1930 et sera un temps l’une des plus grandes entreprises horlogères de France. A l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, le boom de l’horlogerie est sans précédent. Les entreprises se multiplient, certaines d’importance comme Anguenot Frères-Herma, Bouhelier et Parent Frères à Villers-le-Lac, et la production s’envole : Charquemont, par exemple, fabrique près de 300 000 montres en 1955 mais 1 700 000 en 1972. A Morteau, la manufacture
[65] Usine d’horlogerie Cupillard-Rième, puis France Montre électronique et de la Compagnie générale horlogère, 44 rue Bois-Soleil, Morteau.
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[66] Usine d’horlogerie, de bijouterie et de joaillerie Christian Bernard, 1 rue Victor Mauvais, Maîche.
Emile Cattin et Cie fait construire en 1962 une nouvelle usine [61] , dans laquelle elle produit 10 000 montres par jour au début des années 1970. Réalisant elle-même ses mouvements, elle comptera un maximum de 360 salariés dans les années 1980. La main d’œuvre est formée par l’école d’apprentissage (« école-atelier ») ouverte en 1947 à Morteau et intégrée en 1963 dans le nouveau collège d’enseignement technique (cette formation horlogère existe toujours au sein de l’actuel lycée Edgar Faure).
UNE INDUSTRIE EN CRISE À PARTIR DES ANNÉES 1970
[66] Usine d’horlogerie, de bijouterie et de joaillerie Christian Bernard, 1 rue Victor Mauvais, Maîche.
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Le monde horloger du Haut-Doubs ne réagit pas mieux à la crise que celui de la région bisontine, dont il partage dorénavant le sort. La plupart des petites entreprises disparaissent tandis que les grandes cherchent à se regrouper. Ainsi, par exemple, avait été créée en 1959 à Morteau la fabrique de montres Cupillard-Rième (Ets Cupillard-Vuez et Maurice Bussard) [63a ou] . Le mouvement s’accélère au milieu des années 1960 avec la constitution de la Compagnie française de Montres (LéonGeorges Petit et Abel et Ernest Monnin à Charquemont, Michel-Amadry, Camille Mercier [ou 63b] et Thalès à Morteau) et de la société France Montres Export (Georges Monnin et Herbelin à Charquemont, Parent et Marguet à Villers-le-Lac). En 1969 à Villers-le-Lac, Herma et Hubert Lambert et Fils s’associent pour créer le groupe Finhor.
Même réaction chez les fabricants d’ébauches : en 1967 est fondée la société France Ebauches, réunissant Cupillard à Villersle-Lac, Jeambrun et Technic Ebauche à Maîche, et la Fabrique d’Ebauches de Montres du Genevois à Annemasse (Femga). France Ebauches fait mieux que résister : elle construit deux nouvelles usines [64] (en 1975 à Valdahon et en 1980 à Maîche), emploie 710 personnes en 1977 et se situe au deuxième rang mondial avec 8 millions d’ébauches. L’Etat cherche à organiser la filière autour d’un leader. Lip ayant fait faillite en 1973, son choix se porte sur Jaz, repreneur vingt ans plus tôt de l’activité horlogère de Japy. En 1978, avec Cupillard-Rième et Finhor, Jaz crée France Montre électronique (Framelec), qui compte 525 salariés et reprend la fabrication de modules à quartz de Montrelec [65] . Mais elle cède la place à Matra Horlogerie, filiale de Matra créée en 1981 avec le soutien de l’Etat. La nouvelle entreprise est forte de 1 700 personnes et de 3 000 000 de montres. Elle arrête toutefois en 1981 la production de ses modules électroniques pour se fournir auprès du Japonais Hattori Seiko, qui devient son actionnaire majoritaire en 1986 et la renomme Compagnie générale horlogère. Lorsqu’il la supprime en 1996, la France perd la moitié de son potentiel horloger.
Atelier de l’usine d’horlogerie Michel Herbelin, 9 rue de la 1ère Armée, Charquemont.
[66d]
Les entreprises disparaissent les unes après les autres : à Maîche Relliac en 1976 et Codhor en 1991, à Damprichard la SBBM (Société des Boîtes et Bracelets-Montres Burdet) en 1980 (600 personnes en 1974), à Morteau Cattin en 1997 (300 personnes en 1989), etc. Le mouvement se poursuit au début du 21e siècle : France Ebauches en 2009, Isa France (auparavant Bulova) et Christian Bernard [66a ou] (à Maîche) en 2016. Actuellement rares sont les fabriques de montres dépassant la dizaine de personnes : Péquignet [ou 66b ou] (créée en 1973), Ambre et la Société de Diffusion horlogère à Morteau, Berthet Horlogerie [ou 66c ou] (qui fabrique ses boîtes et composants) à Villers-le-Lac, Michel Herbelin [ou 66d] et Saint-Honoré Paris à Charquemont. Les fabricants de composants sont tout aussi peu nombreux et d’ailleurs, la plupart sont propriété d’entreprises suisses ou travaillent pour elles. En matière d’horlogerie, la place de la Franche-Comté demeure prépondérante au niveau national. En 2013, l’industrie horlogère française comptait 2 955 personnes et 85 entreprises ; la part franc-comtoise s’élevait à 2 080 personnes (70 %) et 47 entreprises (22 fabricants de composants, 14 de montres, 6 de bracelets en cuir et 5 d’horlogerie de gros volume). A comparer aux 10 000 frontaliers travaillant dans des entreprises horlogères suisses (chiffres 2017) : si la compétence de la main d’œuvre française est toujours reconnue, elle trouve dorénavant à s’exercer de l’autre côté de la frontière. Horlogeries française et suisse sont donc toujours liées, et les deux pays se sont même associés dans une démarche commune de candidature auprès de l’Unesco pour faire inscrire sur sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité les savoir-faire en mécanique horlogère et mécanique d’art [67] .
Mouvement de montre mécanique Arte, 2018 (Berthet Horlogerie, Villers-le-Lac).
[67]
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