Le pays des Étangs. Autour de Réchicourt-le-Château (extrait)

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I M A G E S D U PAT R I M O I N E

LE PAYS DES ÉTANGS AUTOUR DE RÉCHICOURT-LE-CHÂTEAU GRAND EST



Histoire d’un territoire

Vue aérienne du village de Gondrexange, de l’étang et du canal de la Marne au Rhin.

« D’immenses nappes d’eau, bordées de nénuphars, enfonçant leurs golfes, comme de longs doigts fureteurs dans l’épaisse toison forestière, la rendent particulièrement sauvage et solitaire. Ma maison est bâtie loin des villages, au milieu d’une clairière enchâssée dans les bois qui s’entrouvrent sur un étang de plusieurs centaines d’hectares, où la cohue des canards, sarcelles, grèbes, morelles, oies sauvages, hérons, cigognes se bousculent dans un tourbillon de vie intense. » (François de Curel décrivant sa propriété de Ketzing, dans La chasse ma grande passion, en 1921). « Leur atmosphère humide ajoute encore une sensation à cette harmonie générale de silence et d’humilité (...). » (Maurice Barrès, Au service de l’Allemagne, 1921. Description des paysages lors de son séjour au château d’Alteville.)

L Les noms suivis d’un* renvoient à une biographie en annexe et un glossaire.

e territoire étudié est constitué par les quatorze communes du canton historique de Réchicourt-le-Château (créé en 1789 et supprimé en 2015) : Assenoncourt, Avricourt, Azoudange, Foulcrey, Fribourg, Gondrexange, Guermange, Hertzing, Ibigny, Languimberg, Moussey, Réchicourt-le-Château, Richeval et SaintGeorges. Situé en Moselle, dans l’arrondissement de Sarrebourg,


R o r b a c h - l è s - D i e u z e L i n d r e - H a u t e

Z o m m a n g e

G u e r m a n g e

D i e u z e

S a i n t - J e a n - d e - B a s s e l B e l l e s - F o r ê t s

Le Strimelberg L i n d r e - B a s s e

G o s s e l m i n g

D e s s e l i n g

Cornée de Guermange (6 sites)

Vidambourg

Bensing

Ta r q u i m p o l

Bois de la Charbonnière

F r i b o u r g

Belle-Ville Derrière la Ville

Grande

A s s e n o n c o u r t

L a n g a t t e

voie de Metz à S trasbou

rg

La Harss

G e l u c o u r t

R h o d e s

L a n g u i m b e r g

K e r p r i c h - a u x - B o i s

A z o u d a n g e

D i a n e - C a p e l l e

Trou de Pierres (localisation supposée)

B é b i n g

La Vieille Tour

B o u r d o n n a y

B a r c h a i n H é m i n g

La Gallematte Sur le chemin des corbeaux

H e r t z i n g

M a i z i è r e s - l è s - V i c

Hensematte

R é c h i c o u r t l e - C h â t e a u

X o u a x a n

G o n d r e x a n g e Philisvin

Le Champ le Valet

N e u f m o u l i n s L a g a r d e

Le Beuil

Bréquematte L a n d a n g e

Etang de Liège

La Justice

L o r q u

M o u s s e y

La Grande Basse

S a i n t G e o r g e s R e m o n c o u r t

A v r i c o u r t

A s p a c h

I b i g n y Azey

F o u l c r e y

A v r i c o u r t

L e i n t r e y I g n e y

Vestiges Gallo-Romains

Grande voie de Metz à Strasbourg Voies romaines

R e i l l o n

R e p a i x

A u t r e p i e r r e G o n d r e x o n

H a t t i g n y

G o g n e y

Sources : Carte Archéologique de la Gaule ; Académie des inscriptions et Belles-Lettres et Tracé des voies romaines dans l’arrondissement de Sarrebourg, Louis BENOIT

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R i c h e v a l

Terres de l'Abbaye

Vestiges du Haut Moyen Âge

V é h o

La Halotte

F r é m o n v i l l e Ta n c o n v i l l e 0

1

2 Kilomètres

B e r t r a m b o


De nombreuses villae* ont été fouillées ou signalées sur le territoire dont celles de Gondrexange, Foulcrey ou Guermange. À proximité d’Assenoncourt et de Guermange se situe la cité antique de Tarquimpol-Decempagi, carrefour routier fortifié sur la grande voie romaine de Reims à Strasbourg via Metz. Cette voie est déjà utilisée pour le trafic du sel. À Guermange, sur les rives de l’étang de Lindre, six sites gallo-romains ont été mis au jour en 1976 pendant la période d’assec*. Un de ces sites atteste d’une activité métallurgique, avec la présence de scories. Cette découverte est à relier à l’agglomération antique de Tarquimpol qui s’étendait à l’emplacement actuel de l’étang jusqu’à la cornée de Guermange. Autour d’Assenoncourt, une voie antique passait dans le bois de la Cure vers Tarquimpol où plusieurs établissements ruraux gallo-romains sont attestés. À Azoudange, la voie antique Tarquimpol-Donon traversait le territoire et recoupait, à Romécourt, la voie Tarquimpol-Sarrebourg. La carte archéologique atteste un nombre important d’établissements ruraux gallo-romains sur le territoire. Ils sont toujours implantés à proximité des voies de circulation. Sur le ban de Gondrexange, plus d’une dizaine de sites sont identifiés. Le chef-lieu, Réchicourt-leChâteau a lui aussi connu une occupation antique avec la présence d’un établissement gallo-romain, au lieu-dit La Justice. Entre les invasions de la fin du IIIe siècle et la décomposition de l’Empire romain à la fin du Ve siècle, le territoire se christianise. À la suite de l’arrivée de l’évêque saint Clément à Metz vers 280-300, les peuples germaniques qui occupent le territoire se convertissent progressivement au christianisme et le diocèse devient le cadre territorial. Quelques sites sont occupés pendant la période mérovingienne. Des nécropoles ont été mentionnées sans certitude à Gondrexange, Réchicourt-le-Château, Avricourt et entre Fribourg et Languimberg. L’occupation du sol s’intensifie au cours des IVe et VIIe siècles. De nombreuses abbayes bénédictines sont fondées à proximité. Par de généreuses donations, elles accroissent leurs possessions en s’implantant sur le territoire. Les abbayes Saint-Arnould de Metz (Moselle), de Wissembourg (Bas-Rhin), de Moyenmoutier (Vosges), de Marmoutier (Bas-Rhin), de Haute-Seille (Meurthe-et-Moselle) et de Vergaville (Moselle) sont richement possessionnées autour de Réchicourt-le-Château. Le partage de l’Empire carolingien en 843 par le traité de Verdun entraîne la création de la Lotharingie puis de la Haute-Lotharingie en 959, futurs duchés de Lorraine. La plupart des villages du territoire relèvent alors du temporel* de l’évêque de Metz qui bénéficie d’un vaste territoire sous son autorité grâce aux largesses des empereurs ottoniens. Le temporel* de l’évêque de Metz constitue une enclave dans les terres du duché de Lorraine. À partir du XIe siècle, plusieurs seigneurs se révoltent et cherchent l’indépendance de leurs possessions à l’intérieur du duché. L’instabilité politique, les invasions et les

Charte datée de juin 1315. « Je Rodolf (…) baillis de l’évêché de Metz fais assavoir à tous que ces lettres verront et orront que je ai repris en fief et en hommage ma maison que je ai faite à Guermanges (…) donne le fief aux évêques de Metz. » (AD 57, G107). La charte est signée par les sires de Réchicourt et de Fénétrange dont elle porte les sceaux.

terreurs de l’an Mil conduisent les seigneurs ecclésiastiques à confier une partie de leur temporel* à des seigneurs locaux. À Fribourg, le premier château construit sur les « Talbours » au XIIe siècle est attribué aux évêques de Metz. Ces derniers sont désireux de protéger la voie saunière Marsal-Sarrebourg et leur territoire face à des voisins aussi belliqueux que les comtes de Réchicourt-le-Château. Le château de Réchicourt-le-Château, mentionné pour la première fois en 1103, est édifié sur des terres des évêques de Metz cédées aux Werd-Sarrebruck, puis aux comtes de Linange. À partir du XIIe siècle, les évêques de Metz en conflit avec la bourgeoisie messine et menacés par la politique agressive des comtes de Bar et des ducs de Lorraine cèdent en effet certains de leurs domaines aux seigneurs locaux et aux ducs de Lorraine. Lorsque Vic-sur-Seille devient la résidence principale des prélats après leur exil forcé de Metz (1234), les évêques veulent protéger leur temporel*. Ils octroient une charte de franchise aux habitants de Fribourg en 1241. À Guermange, ils

Les voies romaines et les sites d’occupation à l’époque gallo-romaine et médiévale

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Un patrimoine en images

Vue de l’étang de Gondrexange au Rohrweiher. Girouette découverte à Fribourg (Musée du Pays de Sarrebourg).


Le canal de la Marne-au-Rhin et ses aménagements

a - Le canal de la Marne-au-Rhin sur l’étang de Gondrexange. L’étang est exhaussé en 1880 et 1882 afin d’accroître sa capacité en eau. La rigole d’alimentation*, longue de 7,5 km, jusqu’à Hesse avait un débit initial de 2,5 m3 par seconde porté à 5 m3 en 1897. En 1921, des travaux d’étanchéité des digues sont entrepris en même temps que la construction d’une usine élévatoire des eaux. Deux digues dépassant de 2,5 m le niveau

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maximum de l’étang permettent sa traversée, celle située à l’ouest, servant aussi de chemin de halage. L’étang est équipé de plusieurs déversoirs* construits à des périodes différentes. Quatre d’entre eux, trois de superficie* et un de fond, sont encore en fonction. Un cinquième est ruiné. Deux déversoirs* préexistant au canal (b et c), ont été reconstruits en 1853 (d). De plan demi-circulaire (plan d’un

déversoir, AD 57, 2S405) (e), tous les déversoirs* sont construits en pierre de taille de grès. La chaux provient des fours de Hochfelden (Bas-Rhin), le sable pour la maçonnerie des carrières de Buhl (Haut-Rhin) et celui pour le rejointoiement du lit de la Sarre distante de quelques kilomètres. Les grès sont transportés par bateaux. Les moellons proviennent d’une carrière ouverte dans le village de Gondrexange et les pierres de taille de la carrière

d’Arzviller (Moselle). Les bois sont peints en trois couches vert olive ou jaune. Les vantelles métalliques actionnées manuellement à l’aide de crémaillères sont aujourd’hui automatisées. Celles-ci étant ouvertes, l’eau se déverse au fond de l’ouvrage et s’écoule dans un canal de fuite. f - Les prises d’eau fonctionnent par un système de vantelles. Elles communiquent entre les deux


parties de l’étang de part et d’autre du canal par des tuyaux en fonte permettant de réguler les niveaux d’eau des réservoirs sans intervenir sur celui du canal. g - Les portes de gardes* au pont de Gondrexange sont en fonte, elles fonctionnent comme des portes d’écluse. Elles se ferment automatiquement lors des crues afin d’éviter les inondations.

h - L’usine élévatoire électrique est installée en 1895. Au départ elle est équipée de deux turbines permettant de mouvoir trois moteurs accouplés à trois pompes centrifuges à axe vertical. En 1921, un barrage à poutrelles est ajouté dans le chenal d’amenée à l’usine élévatoire. En 1931, trois nouvelles pompes électriques débitant ensemble 2 550 litres par seconde viennent à nouveau augmenter sa puissance.

a

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Les châteaux et les anciens domaines

a - Le domaine de Milberg et son étang. b - Le parc du château. c et d - La porte dite d’Allemagne du quatrième quart du XVIe siècle. Portail à porte charretière et porte piétonne de plan rectangulaire. Il est orné d’un décor de motifs géométriques et de volutes sculptés sur les pilastres toscans et les cintres. L’appareillage en pierre de taille à bossage à refend provient d’une carrière de grès gris des Vosges. e - La porte dite de France est surmontée d’une tour en brique à chaîne d’angle harpée en pierre de taille, en grès gris des Vosges. Elle est encadrée par deux pilastres toscans portant un fronton à volutes timbré des armes des Martimprey (d’azur à la face d’or chargée de trois étoiles).

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f - Le puits, en pierre de taille de grès gris, est adossé au mur des anciens communs, à droite du logis principal. Trois arcatures ornées au sommet d’une coquille composent la partie supérieure de la margelle. La niche centrale est accostée de deux pilastres à fûts lisses.

c

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Les châteaux et les anciens domaines

a - Le logis et le puits du château de Romécourt. b et c - La chapelle du château de Romécourt est édifiée à la fin du XVIe siècle, en même temps que le château. En 1699, les seigneurs de

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Martimprey demandent qu’elle soit érigée en chapelle castrale afin que la messe y soit célébrée pour la famille et la domesticité. Elle sert alors aussi de chapelle funéraire. Située à l’angle nord-est du château, elle présente un plan rectangulaire pourvu d’un chœur

polygonal orienté. De son histoire castrale, elle conserve des traces de fortification : deux meurtrières percées dans les bas-côtés et une autre dans le mur ouest. Le campanile de plan hexagonal, couvert d’ardoise, s’élève au centre d’une toiture de tuile plate.

d - La ferme du Toupet construite en 1572 tient son nom d’Etienne Toupet, trieur des salines de Dieuze et propriétaire de l’alleu* dont il obtient, en 1575, l’érection en fief. Dès lors, le seigneur du Toupet peut « y tenir troupeau à part, essarter et défricher trois pièces de terre ». Le domaine est constitué de terres arables, de prairies, d’un moulin (le moulin de Boule) (e), d’une maison d’habitation et de bâtiments d’exploitation. On distingue sur la photographie aérienne deux bâtiments : à gauche, la ferme-moulin de Boule et à droite, un des bâtiments de la ferme du Toupet, reconstruit après la Seconde Guerre mondiale (f). Le procès-verbal de la visite détaillée avant les travaux de reconstruction en 1946 recense cinq bâtiments d’exploitation de dimensions variées, une ancienne bergerie, une porcherie et un poulailler. Un colombier, un séchoir et un égayoir* complètent l’installation, ainsi qu’une marcairerie* déjà attestée en 1699, date à laquelle elle est tenue par Félix Fielle. En 1752, le domaine compte vingt habitants. En 1946, on recense 32 hectares de terre labourable sur 56 car 8 sont transformés en prairie temporaire et 14 en parc.


Le domaine de la Baronne, appelé aussi La Solitude, se situe sur le territoire d’Avricourt. Il est défini en 1838 comme la ferme « la plus importante du pays » et se compose d’un logis, de bâtiments d’exploitation, d’un parc arboré agrémenté de groupes sculptés (h), de forêts et d’un étang (g). On y accède par une grande allée bordée d’arbres. L’ensemble appartient en 1742 à Jean François Le Liepvre, écuyer-capitaine du régiment de cavalerie de Barbanson. À cette date, ce dernier nomme un garde-forestier pour veiller à la conservation de sa forêt. Les bâtiments sont fortement endommagés durant la Seconde Guerre mondiale. Le corps principal est reconstruit par l’architecte Joseph Denny* (1911-1976), sur les crédits de dommages de guerre pour JeanPierre Robert, commandant de la marine de guerre. g - Vue aérienne du domaine. h - Vue du parc aujourd’hui parsemé d’arbres de haute-tige.

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Un territoire marquĂŠ par le fait religieux

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Les vitraux


Les vitraux

a - Azoudange, église paroissiale Notre-Dame-de-la-Nativité, verrière représentant la Première communion, par l’atelier Janin et Benoit de Nancy (1911). Le sujet illustre un décret promulgué l’année précédente au Vatican par la Sacrée Congrégation des Sacrements (Quamtum singularis) qui conseille de donner la communion pour la première fois aux enfants, dès l’âge de 7 ans. Ici, les fillettes sont vêtues comme des petites mariées, voilées de blanc, et sont agenouillées le long de la grille de communion recouverte d’un tissu blanc afin de recueillir d’éventuelles miettes.

b - Foulcrey, église paroissiale Saint-Rémi, verrière de saint Benoit de Nursie, signée « V. Bischoff, Strasbourg Neuhof, 1957 ». Le petit personnage porteur d’une épée et agenouillé pourrait être le roi ostrogoth d’Italie (541-552), rendant visite à l’abbé de Nursie qui lui reprochait sa cruauté. c - Ibigny, église paroissiale SaintJacques, verrière de saint Christophe réalisée dans les ateliers Ott frères de Strasbourg, 1950.

e - Nouvel-Avricourt, temple, verrière de la crucifixion, Ott frères, Strasbourg, 1951. Le protestantisme mettant l’accent sur la résurrection du Christ, la représentation du Christ mort sur la croix est, en principe, peu fréquente. Cependant, le thème n’a jamais été vraiment absent des édifices luthériens de l’espace germanophone. Le sujet connaît même un regain d’intérêt dans le monde protestant à compter de la seconde moitié du XXe siècle.

d - Réchicourt-le-Château, église paroissiale Saint-Adelphe, verrière de la crucifixion, réalisée dans les ateliers Ott frères de Strasbourg, 1951.

c a

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Situé au centre du Pays des Étangs, le territoire de Réchicourtle-Château conserve un patrimoine lié autant à son histoire qu’à sa nature environnante. Ici nature et culture se mêlent. Le paysage est transformé avec la création des étangs au Moyen Âge, puis au XIXe siècle avec l’aménagement du canal de la Marne-au-Rhin. Ce territoire au caractère rural affirmé, et au bâti façonné par les multiples conflits qui s’y sont succédé depuis la guerre de Trente Ans, s’est doté de deux sites remarquables : la cité ferroviaire de Nouvel-Avricourt conséquence de l’Annexion après 1870 et la cité de la chaussure Bata liée à l’arrivée dans les années 1930 de l’industriel tchèque Thomas Bata. Cette Image du Patrimoine est le fruit d’une étude de l’Inventaire général combinant l’étude sur le terrain aux ressources des différents fonds d’archives publiques et privées. Elle porte sur le patrimoine architectural et mobilier ainsi que sur le patrimoine naturel.

L’inventaire recense, étudie et fait connaître le patrimoine artistique de la France. Les Images du Patrimoine présentent une sélection des plus beaux monuments et œuvres de chaque région.

Prix : 24 € ISBN 978-2-917659-69-4


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