Pour saluer le Rhône (extrait)

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POUR SALUER LE

JACQUES BETHEMONT

JEAN-PAUL BRAVARD

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4 p our saluer le r hône
réface

L’originalité de ce volume, l’importance considérable de son contenu, mériteraient une préface analytique conséquente pour rester à la hauteur des apports de l’ouvrage, mais ce serait ajouter un handicap supplémentaire apporté à l’impatience du lecteur d’en prendre connaissance. Il me semble donc préférable de souligner deux grandes originalités, choisies parmi beaucoup d’autres, d’autant plus qu’elles ne coexistent que très rarement dans un même ouvrage, ce qui souligne les difficultés de l’entreprise.

De tous les grands fleuves médio-européens, le Rhône est certainement celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études et de recherches, et de ce fait, il a suscité de nombreuses publications et ouvrages. La complexité de son histoire, de sa structure, de son fonctionnement est telle que la très grande majorité de ces publications sont spécialisées dans un domaine particulier et sont le plus souvent monothématiques. À cet égard, le présent volume est par contre exceptionnel, il est polythématique, interdisciplinaire et nous fournit une sorte d’« encyclopédie rhodanienne » même si la modestie des auteurs leur fait affirmer à plusieurs reprises qu’ils ne prétendent pas à l’exhaustivité. Il constitue pourtant un ouvrage de référence capable de satisfaire la curiosité de lecteurs avides de connaissances rhodaniennes dans de nombreux domaines. Le contenu de chaque chapitre est solidement argumenté, pourvu d’un grand nombre de références facilement et directement accessibles en bas de page et non pas selon l’usage habituel en fin d’ouvrage, pratique qui oblige le lecteur à de fastidieux allers et retours entre le texte lui-même et cet appendice terminal. L’iconographie, importante, variée et de qualité, non seulement aère le texte, mais le soutient et de plus offre au lecteur un voyage pictural dans l’espace rhodanien passé et actuel. Toutes ces particularités de présentation facilitent l’accessibilité du texte et en renforcent la qualité.

La plupart des ouvrages consacrés au Rhône se concentrent sur l’axe fluvial, le cours principal, au mieux sur ses annexes immédiates, parfois sur ses grands affluents. L’axe fluvial est certes le plus visible, le plus évident, mais il ne reflète pas immédiatement qu’il est en réalité le résultat, l’intégration de toutes les propriétés structurales et fonctionnelles des territoires de son bassin versant. Aussi, une des originalités de ce volume, et ce n’est pas la moindre, est de nous présenter le « Rhône en son bassin » en analysant ses différentes composantes tant dans l’espace que dans le temps. Prendre en compte tout l’espace fluvial et remonter dans le temps permet aux auteurs non seulement d’appréhender le présent, mais aussi de se projeter dans le futur dans le cadre du changement climatique.

Pris au sens habituel du terme « Saluer le Rhône » est un titre bien réducteur dans le cas présent, car ce n’est pas un simple salut que les auteurs adressent au Rhône, mais un véritable hommage qu’ils rendent au fleuve qui les a passionnés tout au long de leur carrière de chercheur. Il fallait bien cette passion et l’audace de chercheurs convaincus d’interdisciplinarité pour oser aborder une telle entreprise. Les résultats sont là… Saluons-les… et rendons hommage aux auteurs !

5 p réface
Albert Louis Roux Professeur honoraire, Université Claude-Bernard Lyon 1

avant-propos

De tous les fleuves européens, malgré la petite taille de son bassin versant, le Rhône est l’un des plus complexes, des plus difficiles à saisir dans sa totalité. C’est qu’avec ses affluents, il appartient à la fois au domaine hercynien (Vosges, Massif central), au domaine des fossés tectoniques (la Saône et le Rhône sur la majeure partie de leur cours), enfin au domaine des chaînes jurassienne et alpestre. Il est vrai que manque à son bassin un fragment des vastes plaines sédimentaires de l’Europe septentrionale. La conséquence en est un comportement largement dicté par les caractères du relief, par les effets de « dominance » qu’impose un cadre montagneux quasi omniprésent aux marges du bassin. Les caractères de l’écoulement des eaux ont aussi à voir avec une gamme de climats qui résument assez bien l’Europe, du moins l’Europe du Sud-Ouest : influences océaniques et continentales exacerbées par l’altitude et, fait unique pour un grand fleuve, un bassin méridional affecté par les bienfaits, mais aussi les excès du climat méditerranéen. Avec le Rhône et ses tributaires, on est bien en présence de l’archétype du fleuve européen, même si sa taille et son débit forcent à la modestie.

Partant du constat de la complexité du bassin, du fleuve et des affluents du Rhône, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité et limitons notre propos à deux registres : la synthèse des études d’hydrologie, de morphologie et d’écologie qui font du Rhône l’un des fleuves les plus étudiés de la planète ; la présentation des traits les plus originaux de son histoire, de son économie et de ce qu’on peut appeler la culture rhodanienne. Nous ne disons pas tout sur le Rhône, nous ne l’approchons qu’avec la circonspection et le respect qu’inspirent sa puissance et son originalité. Nous sommes convenus à cette fin de quelques limites et règles de travail.

Des limites Dans l’espace

Nous nous sommes efforcés de rester au plus près du bassin versant, ce qui nous a conduits à faire des choix : nous n’avons évoqué Marseille que dans ses rapports avec le fleuve. Nous avons franchi les limites du bassin dans deux cas, l’intégration

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du Creusot dont le sort a été et reste lié au bassin rhodanien par ses relations avec Chalon et la Saône ; le versant oriental des ouvrages de la Compagnie du Bas-Rhône-Languedoc fondés sur l’eau du Rhône et intégrés à l’espace rhodanien. En revanche, nous avons limité le champ de notre recherche à la vallée du Gier sans intégrer Saint-Étienne dont le développement économique s’inscrit dans le Forez et le bassin de la Loire. Pour le reste, nous avons été obligés de nous imposer des choix qui ont été guidés par le souci de privilégier le domaine de l’eau dans ses multiples composantes.

Des règles De travail

Nous avons accordé, surtout pour tout ce qui touche à la dynamique fluviale, la priorité à l’axe rhodanien sans toutefois occulter l’ensemble du bassin qui est traité de façon sélective en fonction des thèmes abordés. Concernant le temps, nous soutenons que l’espace est dans une certaine mesure un produit du temps et qu’il n’est pas possible de dresser l’état actuel des lieux sans prendre en compte leur genèse et les trajectoires sur lesquelles s’inscrivent les actions humaines qui produisent les paysages actuels. D’où la partition en plusieurs entités allant — comme il sied à une rhétorique classique — du passé à l’avenir. Concernant la logique d’ensemble et tout en professant qu’il y a de constantes interactions entre les données du milieu naturel et l’action humaine, nous sommes partis des composantes naturelles pour aboutir aux données culturelles en passant par l’action humaine.

Même ainsi limité ce programme est ambitieux. Aussi ne l’abordons-nous qu’avec un souci de l’ellipse et la volonté de cerner l’essentiel. Nous ne prétendons pas à l’exhaustivité et nous savons que le présent, qui est le terrain des géographes, tombe rapidement dans le domaine de ce qui fut. Simples passants dans la chaîne du temps, notre propos se limite à saluer le Rhône, sachant que dans quelques décennies, sans doute moins, un nouvel ouvrage traitera de ce que le Rhône sera devenu. Il est vrai que la dernière synthèse portant sur l’ensemble du Rhône (mais pas sur ses affluents)

parut sous la plume de Daniel Faucher en 1968, il y a près de 50 ans. Il faut bien admettre que ce silence sur le fleuve a été trop long, même s’il fut rompu par la parution d’Eaux en Rhône-Méditerranée-Corse (Agence de l’eau, 1991) au moment où se dessinait le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux du bassin 1 . Et D. Faucher était le lointain successeur d’auteurs du XIXe siècle, tel Charles Lenthéric 2 .

Encore sommes-nous à même de présenter le Rhône dans son entier puisque l’un et l’autre, nous avons consacré nos thèses — thèses dites d’État, vastes recherches conduites selon des normes convenues contre lesquelles nous avons l’un et l’autre regimbé — non pas au Rhône dans sa plénitude, ce qui n’était ni souhaitable ni possible dans le cadre des recherches académiques, mais au Rhône, à l’aval de cette ville de confluence pour l’un (J. Bethemont, 1972) et à l’amont de Lyon pour l’autre (J.-P. Bravard, 1985). Par la suite et sans doute est-ce ce qui nous autorise à produire une synthèse, nos carrières se sont déroulées sous le signe de l’eau, avec de constants retours sur le Rhône. Un Rhône dont toutes les composantes ont été affectées depuis plus d’un siècle, soit par des techniques comme celle de l’hydroélectricité ou du nucléaire, soit par le grand chantier qui a transformé un fleuve assez sauvage en une suite de biefs canalisés. Tout fleuve est en devenir, le Rhône reste lui-même, mais il a été métamorphosé. Et c’est cette identité et cette métamorphose qui sont au cœur de notre propos.

Jacques Bethemont & Jean-Paul Bravard Août 2015, Chomérac (Ardèche) et Villeurbanne (Rhône)

1 L’ouvrage ajoute de vastes territoires au bassin du Rhône français (Languedoc et Roussillon, Provence non tournée vers le Rhône) ; autre manière de dire que cet ouvrage ne pouvait prendre en compte le Rhône suisse.

2 Faucher D., 1968 : L’Homme et le Rhône. Géographie humaine Paris, Gallimard, NRF, 402 p. et Lenthéric Ch., 1892 : Le Rhône, histoire d’un fleuve. Paris, Plon, 2 tomes 357 & 585 p.

7 avant-propos
sommaire Préface 4 Avant-propos 6 Présentation du fleuve : Le taureau et le chemin des nations 10 I MétaMorphoses. l a changeante nature des couloI rs de la saône et du r hône 18 chapItre 1 Un bassin au relief cloisonné 21 chapItre 2 Climat et végétation : les souffles méridiens 36 chapItre 3 La longue durée des métamorphoses fluviales 50 chapItre 4 Montagnes et cours d’eau du bassin du Rhône au Petit Âge Glaciaire 62 II le te Mps long des hoMMes du fleuve 84 chapItre 5 Inondations et hydrologie du Rhône, de l’Antiquité aux années 1920 87 chapItre 6 Le fleuve, les hommes et le temps long 104 chapItre 7 Le fleuve et les prodromes à la maîtrise de l’espace 118 chapItre 8 Terres protégées, terres conquises, la conquête de l’espace alluvial à l’époque moderne 132 8 p our saluer le r hône
l a Modern I té dans l’espace rhodan I en 154 chapItre 9 Assagir le fleuve et maintenir la navigation 157 chapItre 10 La Compagnie Nationale du Rhône et la dernière métamorphose du fleuve 166 chapItre 11 Abondance d’eau et richesse énergétique 182 chapItre 12 Une agriculture sous le signe de l’eau 196 chapItre 13 L’industrie, trajectoires et mutations 212 chapItre 14 L’eau des loisirs et l’eau utile, deux approches aux territoires de l’eau 226 I v un fleuve en Mutat Ion 246 chapItre 15 Le fleuve et la question des transports solides 249 chapItre 16 Flux d’eau : une hydrologie altérée 262 chapItre 17 Le nouveau Rhône : un bilan en demi-teinte 276 chapItre 18 L’hypothèque du changement climatique sur le fleuve 292 chapItre 19 Crues et inondations : des plaines au péril du fleuve 302 v un terrI toI re en deven I r 322 chapItre 20 Les deux visages du fleuve dans la ville 325 chapItre 21 Centres, axes, périphéries : les structures du territoire 338 chapItre 22 Formes et lieux du fleuve 352 chapItre 23 Paysages et patrimoines rhodaniens 364 chapItre 24 Le fleuve, le bassin et l’isthme 378 Le cours du fleuve, le cours du temps et le temps de l’urgence 390 Table des matières 396 9 avant-propos s o MM a I re
III

S’il est vrai, d’une manière générale que la civilisation a marché de l’Est à l’Ouest en suivant de rivage en rivage le bassin de la Méditerranée, il n’est pas moins vrai que la ligne presque droite formée par le cours du Rhône et de son grand tributaire la Saône, a forcé l’histoire, pour ainsi dire, à faire en cet endroit un brusque détour vers le Nord afin de gagner par le chemin le plus facile le versant océanique du continent. Dans la stricte acception du mot, l’étroite vallée du Rhône est devenue un grand chemin des nations.

p résentation du fleuve : l e taureau et le chemin des nations

Il faut, pour saluer le Rhône, intégrer dans un même ensemble ces deux termes riches de contrastes et de paradoxes que sont la violence du taureau évoquée par Michelet et la puissance du chemin des nations attestée par Reclus.

Le contraste ou plus précisément le faisceau des contrastes, va du cours du fleuve entre le torrent descendu des Alpes et la rivière issue des Vosges, au climat allant du Jura humide à la Provence sèche, des brouillards de la Saône à la lumière dure et à la végétation entre le sapin vosgien et l’olivier provençal. Il s’étend à l’agriculture qui peut être pluviale ou irriguée, à l’industrie qui juxtapose le moulin et la centrale hydraulique, et aux densités humaines, fortes dans le couloir rhodanien et souvent faibles aux confins du bassin.

Le paradoxe court dans le temps et l’espace, du fleuve sauvage au fleuve source d’énergie, du fleuve aménagé à la modestie de son trafic fluvial, des opportunités offertes par le grand sillon qui court de la Méditerranée à la mer du Nord à son confinement et sa marginalisation dans un espace trop strictement national.

Contrastes et paradoxes constituent la trame de cet ouvrage, mais se résolvent en une infinité de nuances et une étonnante diversité. Celle résultant de l’action humaine, mais aussi celle qu’impose la nature du fleuve dont le régime réunissait à Beaucaire avant les grands aménagements et selon l’heureuse formule du grand hydrologue Maurice Pardé 1 « dans une infinité

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1 Pardé M., 1925 : Le régime du Rhône p. 569. É. Reclus, La France Un taureau furieux et qui court vers la mer J. Michelet, Histoire de France

de nuances et de contrastes la Massa, l’Arve, l’Isère, la Durance, l’Ain, la Saône, l’Ardèche, c’est-à-dire des cours d’eau appartenant à toutes les catégories qu’on puisse trouver en Europe occidentale ». Et de préciser qu’« on ne saurait définir par une épithète le tempérament du fleuve, régulier par l’abondance soutenue de la saison chaude… irrégulier jusqu’à l’extravagance en automne par la possibilité de crues soudaines et formidables, à la suite même des étiages les plus bas ».

Cette diversité a un coût imposé par la nature des lieux. On ne retrouve pas, à l’échelle du bassin rhodanien, les vastes ensembles uniformes du Bassin parisien ou des grands fleuves de l’Europe du Nord, mais un émiettement entre de multiples petites cellules trop individualisées pour se prêter facilement à la formation d’un grand ensemble cohérent intégrant des « pays » aussi divers que la Bourgogne, les Alpes et la Provence. Autant dire que l’inéluctable unité rhodanienne reste en gestation.

D’entrée de jeu, cet énoncé liminaire exclut toute prétention à l’exhaustivité tant est grande la diversité rhodanienne et les auteurs limitent leur recherche à la saisie des traits forts. Ce parti implique des choix s’agissant du cadre spatial, du dilemme opposant l’axe fluvial et le bassin, de la relation espace-temps.

En première analyse, le bassin fluvial constitue le cadre de cet ouvrage, mais quelques constructions régionales, bien que situées en dehors de ce cadre, l’intègrent pour des raisons où se mêlent l’histoire, les techniques et les tropismes culturels. Relèvent de cette logique, les régions du Creusot et de Saint-Étienne, ainsi qu’une marge languedocienne fortement intégrée à l’espace rhodanien.

S’agissant de la relation entre l’axe fluvial ou le couloir rhodanien d’une part et l’ensemble du bassin d’autre part il faut rappeler que le fleuve est un tout et que le flux mesuré à Beaucaire est une somme intégrant aux glaciers alpins, les ruisseaux et les torrents descendus de la Haute-Saône ou des Cévennes, de sorte que tous les points du bassin sont solidaires. Ce constat n’ôte rien à la prééminence du fleuve-maître.

Sur le plan méthodologique, partant du constat que l’espace est un produit du temps et qu’il n’est pas possible de dresser l’état actuel des lieux sans prendre en compte leur genèse et les trajectoires sur lesquelles s’inscrivent aussi bien es temps géologiques que l’action humaine, nous avons scindé l’ouvrage en grandes séquences temporelles. À chacune de ces séquences, correspondent des thèmes qui, sans négliger les interférences entre données naturelles et humaines, vont des composantes naturelles aux données culturelles en passant par l’action humaine.

Si ces choix prêtent à discussion, ils n’en correspondent pas moins à une sorte de plaidoyer en faveur d’une unité rhodanienne. Certes, le bassin ne saurait constituer une unité administrative, du moins il constitue déjà une unité de gestion de la ressource en eau. Mais pour l’essentiel le fleuve est le lien entre des régions qui, entraînées dans une dynamique commune, pourraient unir leurs efforts et créer un isthme économique allant d’une rive à l’autre de l’Europe, de la mer du Nord à la Méditerranée.

11 p résentat Ion du fleuve : l e taureau et le che MI n des nat Ions
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I MétaM orphoses. l a changeante nature des couloI rs de la saône et du r hône

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u n bassin au relief cloisonné

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c limat et végétation : les souffles méridiens
l a longue durée des métamorphoses fluviales
m ontagnes et cours d’eau du bassin du r hône au p etit Âge g laciaire

Il n’est pas douteux que les vallées du Rhône et de la Saône expriment la puissance et la pérennité des données naturelles. C’est cette diversité du cadre géologique qui semble fonder la richesse de la mosaïque paysagère et des aptitudes agricoles. Pour ne retenir que le coteau viticole, il crée un principe d’unité de la Bourgogne à la Costière nîmoise, mais que de diversité des climats et microclimats, des roches, des formations superficielles et des sols, des cépages eux-mêmes hérités d’une riche histoire. Ou bien prenons la diversité d’un parcours qui conduirait du haut Vivarais au massif préalpin de la Chartreuse. Il serait d’abord jalonné par des hêtraies et des pâturages sur le socle et les roches volcaniques ; ensuite par des châtaigneraies et une polyculture autrefois modeste sur les basses pentes du piémont rhodanien ; les vignobles prestigieux de la gorge du Rhône ; les terres lourdes et froides des très vieilles surfaces du Bas-Dauphiné où l’on retrouve le châtaignier et le hêtre, où la culture de la pomme de terre était naguère si proche de celle du pêcher ; avant de gagner l’étagement montagnard et humain des Préalpes qui sont l’antichambre des Alpes.

C’est dire aussi que la diversité des paysages, si elle se fonde sur une structure géologique très forte, doit aussi aux climats, aux aptitudes de sols utilisés et usés par des millénaires d’action humaine et, bien entendu, aux choix des sociétés qui se sont succédé dans la vallée. Ce sont les éléments que nous allons maintenant considérer.

20 p our saluer le r hône I. Méta M orphoses. l a changeante nature des coulo I rs de la s aône et du r hône

La Saône et le Rhône donnent leur nom au couloir méridien qu’ils drainent des Vosges à la mer Méditerranée (le « couloir Rhône-Saône » ou « saôno-rhodanien ») 1 , et il n’est pas douteux qu’ils en constituent le principe d’unité majeur. La rectitude remarquable du parcours de ces deux cours d’eau assemblés n’empêche cependant pas l’observateur de noter la complexité de la mosaïque des pays traversés. Axe fluvial certes, si l’on s’en tient aux fonctions de cette grande voie d’eau de rang européen, mais une vision élargie sollicite le regard qui est attiré par des irrégularités, des singularités, un principe d’hétérogénéité. Il convient de décrire et de comprendre la logique de construction des pays que l’on suit du nord au sud, les plateaux de Haute-Saône, la Bresse et la Dombes, le Bas-Dauphiné auquel succèdent des étroitures et de petits bassins déjà méridionaux, avant les épanouissements provençaux du Comtat Venaissin et de la Camargue. Quoi de commun entre la plaine de la Saône, que l’on doit arrêter à l’endroit où la barrière des Monts d’Or lyonnais annonce déjà le domaine méridional, et la vallée du Rhône à l’aval de Lyon ?

En outre, le couloir de la Saône et du Rhône ne peut se définir sans évoquer ses hautes bordures. Si de sombres roches métamorphiques s’imposent à la traversée des défilés de la Saône dans Lyon et du Rhône à l’aval de cette ville, c’est que les deux grands cours d’eau sont mitoyens du Massif central et empiètent même sur sa bordure orientale. Le paysage est très différent à l’est, le Jura et les Alpes dessinant un cadre montagneux prestigieux qui s’affirme à l’aval de Lyon dans une fragmentation qui doit beaucoup aux Alpes (et même curieusement aux Pyrénées) et s’impose dans des défilés calcaires, tel celui de Donzère. Ainsi le Rhône ne peut-il se comprendre sans faire référence à son cadre montagneux qui lui impose sa présence alors que la Saône est une vraie rivière de plaine hormis son entrée dans Lyon.

1 L’adjectif correspondant au mot Saône est officiellement « séquanien » (par exemple, dans l’expression : le couloir séquanorhodanien (Larousse). Une divinité, Sequana, peut-être pré-celtique, aurait donné son nom à un fleuve (la Seine) et de là au peuple celte des Séquanes qui vivaient dans le bassin de la Seine et sur les rives de la Saône amont (J. Carcopino, 1957 : Seine et Séquanes. C.R. des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 101e année, n° 4, p. 344-350). Certains auteurs préfèrent, pour désigner la Saône, le terme de « saucon(n)ien » car la rivière doit son nom à la déesse Sauconna (mais elle portait aussi les noms d’Arar et Brigoulus) (cf. J.-C. Decourt, 2002 : « Du Brigoulos à la Saône en passant par l’Arar : ce que disent les textes anciens ». In Bravard J.-P., Combier J., Commerçon N. (Éd.), 2002 : La Saône, axe de civilisation Lyon, Presses Universitaires de Lyon, p. 349-364. Nous avons fait le choix, pour éviter toute confusion avec la Seine, de retenir l’adjectif « saôno-rhodanien », déjà employé par le climatologue P. Pagney (Climats et cours d’eau de France Paris, Masson, 1988).

Et comment traiter du Haut-Rhône ? Car le fleuve est multiple, fait de pièces et de morceaux assemblés en un ensemble hydrographique très récent à l’échelle géologique. Le Haut-Rhône « suisse » draine la gouttière du Valais et rejoint le lac Léman où il perd provisoirement son caractère torrentiel. C’est ensuite le Haut-Rhône « français » qui mêle les caractères alpestres et jurassiens, coule de bassins en défilés avant de gagner le fossé saôno-rhodanien au coude qu’il décrit en enserrant le Jura méridional.

1 chapitre un bassin au relief cloisonné
21 chap I tre 1. un bass I n au rel I ef clo I sonné

fIg. 1 Modèle numérique de terrain du bassin du Rhône. (NASA, image SRTM)

L’imagerie radar contemporaine donne une représentation des altitudes hiérarchisée entre blanc (basses altitudes) gris (plateaux et collines) et noir (hauteurs des Alpes et des Cévennes). L’image fournit une représentation inhabituelle des plateaux de la haute Saône où l’on voit comment le réseau se hiérarchise à l’amont de la large zone de confluence du Doubs et de la Saône ; la position haute de la Dombes par rapport à la Bresse ; le piémont digité du BasDauphiné. Le plateau du Jura contraste avec la bordure déchiquetée du Massif central.

le grand fossé MérIdIen de la saône et du rhône

Le large couloir de la Bresse et de la Dombes se tient à une altitude moyenne de 300 m environ. Il est ceinturé à l’ouest par les hauteurs de la bordure orientale du Massif central qui s’abaissent de 1 000 m en Beaujolais à 500 m au plateau de Langres, lequel forme un seuil donnant accès au Bassin parisien. Au nord-est, la ligne de partage des eaux qui divise les écoulements entre le domaine atlantique et le domaine méditerranéen se redresse au flanc des Vosges méridionales avant de s’abaisser de nouveau à la porte d’Alsace. À l’est, ce sont les plateaux étagés du Jura qui culminent à 1 400-1 600 m dans ses chaînons orientaux. Au sud de Lyon, la bordure orientale du Massif central s’enlève à 1 600 m dans les Cévennes (au mont Lozère) tandis que les Alpes s’élèvent progressivement d’ouest en est des Préalpes et plateaux provençaux aux Alpes internes dont l’altitude peut dépasser les 4 000 m. Délimiter le couloir est difficile sur sa marge orientale d’autant qu’il est comme barré par le plateau disséqué du Bas-Dauphiné (dont l’altitude s’élève de 300 à 700 m d’ouest en est) et fragmenté par la proximité de reliefs de style alpin entre Valence et Orange (Fig. 1).

fIg. 2 Carte géologique simplifiée : l’âge des roches du bassin du Rhône français. (Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, BRGM modifié)

La carte géologique souligne la géométrie du fossé de la Saône et du Rhône. Le fond du fossé est en gris, la couleur attribuée aux dépôts quaternaires qui l’ont en partie remblayé. Le cadre de roches anciennes (granite et roches métamorphiques) ressort en orange (Vosges, bordure orientale du Massif central, massifs cristallins externes des Alpes). Les plateaux et plis enveloppant le fossé à plus basse altitude sont formés de roches sédimentaires de l’ère secondaire (le Jurassique en bleu et le Crétacé en vert). Le remblaiement du fossé d’âge tertiaire est figuré en jaune (cailloutis, molasse ou grès tendres).

Le couloir de largeur inégale qui se glisse entre le Massif central à l’ouest et les chaînes du Jura et des Alpes à l’est est d’origine tectonique. Il est un élément du « rift » 2 qui court de l’Alsace aux plaines du Bas-Rhône. Le Grand Rift européen, que l’on suit de la mer Baltique au Languedoc, passe par l’Alsace et le fossé de la Saône et du Rhône. Même si des mouvements précurseurs ont été repérés au sein de l’ère secondaire, l’acte de naissance du grand couloir nord-sud remonte au tout début de l’ère tertiaire, à l’Éocène, lorsque la tectonique des plaques amorce une ouverture de l’Ouest de l’Europe. Le rift casse le socle hercynien qui forme aujourd’hui l’ossature du continent sous les dépôts des mers secondaires et sur leurs marges exondées. On peut suivre le tracé de puissantes failles de distension 3 dans le fossé rhénan, de Mannheim à Bâle, et du piémont des Vosges à la Provence, en particulier sur la bordure orientale du Massif central. Cette cicatrice de la croûte terrestre crée dans un premier temps des bassins lacustres ou lagunaires d’âge oligocène (leurs dépôts soumis à des climats alors chauds et humides teintent d’une couleur rouge tropicale certains territoires où ils affleurent, comme dans le

2 Un rift est un espace de distension de la croûte terrestre ouvert entre des failles majeures de l’écorce terrestre. La phase de distension tertiaire n’aura pas de continuation géologique après la formation de fossés qui furent en partie envahis par la mer, mais furent par la suite comblés de sédiments continentaux. Ce « rift » présente des analogies avec celui qui fait dériver depuis quelques millions d’années la Corne de l’Afrique et a ouvert la mer Rouge.

3 Distension : deux blocs se séparent de part et d’autre d’une ligne de faille. fIg. 2

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Royans, au nord-ouest du Vercors), puis elle permet l’invasion marine au Miocène. La molasse est un sable gréseux, de couleur blonde, parfois un cailloutis d’origine torrentielle ; elle est déposée à la période miocène au pied des hauteurs que le soulèvement du Massif central et le plissement des Alpes ont fait naître sur les marges du fossé (Fig. 2).

C’est à la fin du Miocène que le rift cesse de fonctionner et que la tectonique de distension est remplacée par une tectonique de compression : tandis que le Massif central se soulève, formant une marge rigide (« passive »), la tectonique des plaques forme la bordure orientale du fossé. D’une part les Alpes, en poussant vers l’ouest et plissant les couches sédimentaires profondes d’un géosynclinal ; d’autre part le Jura dont les lourds plis rigides et faillés épousent des blocs du socle sous-jacent et sont localement charriés de plusieurs kilomètres sur l’avant-pays bressan.

L’instabilité (d’échelle de temps géologique) qui vient d’être brièvement décrite se prolonge de nos jours dans l’existence historique et actuelle de séismes et dans le risque sismique. Ce dernier concerne davantage des secteurs des Alpes du Nord et du Sud (en particulier la Provence) que la vallée du Rhône et le Jura qui sont en zone de risque modéré. La carte réglementaire du risque sismique en France établie en 2011 souligne nettement la zone du rift et davantage encore les zones de compression alpine (Fig. 3). La comparaison avec la carte qui a été en vigueur entre 1986 et 2011 met en évidence la sous-estimation du risque jusqu’à une date récente et le durcissement des règles en matière de construction 4 .

4 Benoît Helly, Bruno Helly et A. Rideau, se fondant sur des témoignages recueillis dans l’archéologie du bâti (temple d’Auguste et Livie, diverses constructions gallo-romaines), datent avec précision un séisme qui affecta sévèrement la ville de Vienne en 36 ou 37 apr. J.-C. et

L’ouverture du fossé de la Saône et du Rhône au début du Tertiaire a donné l’allure générale du grand couloir, mais les évènements qui se sont ensuite succédé pendant environ 40 millions d’années ont structuré les « Pays de la Saône et du Rhône » 5 . Du nord au sud, il est plus aisé de distinguer plusieurs grands ensembles de relief que de traiter en un seul bloc les pays du Grand Rift périalpin. Nous distinguerons successivement les pays de la Saône que limite au sud le Seuil du Lyonnais, les pays sous influence alpine directe et les pays provençaux.

les pays de la saône

Ce sont en premier lieu les plateaux faillés de la haute Saône, large gouttière inclinée au Midi, sous laquelle rejouent dans le socle rigide les vieilles fractures hercyniennes ; de direction « varisque » (sud-ouest/nord-est), elles organisent la trame du relief et du réseau hydrographique. Au nord-ouest du fossé de la Saône, les voûtes et plateaux du seuil de Bourgogne forment un large anticlinal qui relie les Vosges au Morvan. Un ensellement dans les calcaires jurassiques posés sur

se reproduisit plusieurs fois par la suite. In Adadj F. [éd.], 2013 : Vienne Acad. Inscriptions et belles Lettres, Carte archéologique de la Gaule, 38/3, p. 119-123.

5 À notre connaissance, le premier ouvrage consacré à l’ensemble du couloir Saône-Rhône fut écrit par P. George (1941 : Les Pays de la Saône et du Rhône Paris, P.U.F., 210 p.). Signalons aussi le document à usage pédagogique de P. Estienne, 1964 : Les Pays de la Saône et du Rhône. Chambéry, EDSCO Documents, 32 p. et annexes.

fIg. 3 Risque sismique dans la France de l’Est (1986-2011 et depuis 2011). (BRGM, modifié)

La France de l’Est est une région sismique des Vosges et de l’Alsace (un fossé tectonique) à la Méditerranée ; des secteurs des Alpes du Nord et du Sud sont particulièrement concernés. La figure de gauche fournit la zonation du risque valable entre 1986 et 2011. Elle a été révisée en 2011 pour tenir compte d’une amélioration des connaissances. Le bassin du Rhône est concerné par un risque moyen (Ib) à fort (II).

3 23 chap I tre 1. un bass I n au rel I ef clo I sonné
fIg.

le socle abaisse la voûte et sollicite les axes de communications : c’est par cet ensellement que se glissent le canal de Bourgogne reliant la Saône à la Seine et deux autoroutes.

La bordure orientale du Massif central prolonge vers le sud les plateaux de la Saône. La tectonique de faille, d’axes dominants nord-sud et nord-ouest/sud-est, a fragmenté le horst hercynien en blocs rigides, parfois organisés en gradins surmontés de couches calcaires dominant la plaine. Ces plateaux étagés forment la Côte-d’Or où l’on distingue l’Arrière-Côte et la Côte bourguignonne.

Puis vient au sud un ensemble complexe de petites lanières soulevées et inclinées, parfois ornées de crêts comme à Solutré, et de fossés qu’empruntent des affluents de la Saône telles la Dheune et la Grosne ; ce sont les pays du Châlonnais, du Tournugeois et du Mâconnais. Plus loin vers le sud, le soulèvement du socle a permis le dégagement de la couverture calcaire ; on entre alors dans le Beaujolais cristallin dont la couverture sédimentaire a probablement disparu, terre non plus des cépages bourguignons chardonnay et pinot, mais terre du gamay.

Au cœur du fossé séquanien, la Bresse et la Dombes furent savoyardes, tout comme le Bugey, jusqu’au Traité de 1601 qui les donna à la France. Les géologues prennent cependant en compte dans leur approche un espace plus vaste que la Bresse et la Dombes historiques ; le fossé est pour eux l’ensemble du bas pays qui s’étend entre le Massif central et le Jura. Si l’allure générale est celle d’un graben (fossé) d’orientation nord-sud et d’une relative planéité, la structure profonde est plus complexe. Le sous-sol est en effet morcelé en puissantes unités d’orientation nord-est/sud-ouest :

a) la Bresse chalonnaise effondrée dans l’axe de la Saône entre Gray et Chalon-sur-Saône ;

b) un seuil NE-SO entre Sennecey et le horst du massif cristallin de La Serre, lequel perce la couverture sédimentaire au flanc du Jura ;

c) le fossé allongé de la Bresse louhannaise entre la forêt de Chaux et Mâcon ;

d) le seuil NE-SO de Cormoz et le fossé de Bourg-enBresse. Entre les horsts (blocs soulevés) proches de la surface, l’épaisseur des sédiments meubles peut dépasser 1 000 mètres.

À l’est, la bordure du Jura est composite. Au nord, entre Gray et Dôle, ce sont les « avant-monts » du Jura, plissés et faillés, dans lesquels s’enfonce le cours du Doubs avant son arrivée à Dôle. Entre Poligny et Bourg-en-Bresse se dressent de rigides escarpes calcaires, à peine entaillées de quelques reculées calibrées par les glaces quaternaires. La netteté du contact, qui contraste avec celui de la retombée bourguignonne du Massif central, est due au chevauchement tardif du Jura sur le fossé bressan.

Voici pour les grandes lignes du relief et de la structure. Intéressons-nous maintenant à l’histoire géologique du fossé

bien connue grâce à de nombreux travaux 6 Le fossé bressan est relativement récent puisqu’il se met en place après une phase de mouvements de faible ampleur et d’exondation 7 Cette phase est elle-même suivie d’une phase de planation d’époque fini-crétacée, qui nivelle les couches de sédiments secondaires faiblement déformées.

À l’Eocène et au début de l’Oligocène, soit au tout début de l’ère tertiaire (il y a 43-32 millions d’années), la région au sens large est calme, d’allure analogue à celle du Bassin parisien ; dans une cuvette lacustre se déposent des meulières et des calcaires sous une mince pellicule d’eau. L’effondrement du fossé de la Saône (et du Rhône) est synchrone de celui de l’Alsace et de la Limagne en un temps où le socle européen se fragmente sous l’influence de la tectonique des plaques. L’effondrement procède par saccades pendant plusieurs millions d’années (entre environ 32-26 millions d’années). Tous les accidents tectoniques précédemment décrits rejouent à cette époque, qu’ils reprennent les vieilles orientations hercyniennes ou qu’ils soient nouveaux, s’alignant selon un axe nord-sud. Le fossé se remplit des matériaux enlevés aux bordures en cours de soulèvement.

Le Miocène est une nouvelle période de calme. En bordure de la mer qui a envahi le territoire (entre 19 et 12 millions d’années), se mettent en place de vastes surfaces d’érosion faiblement inclinées qui mordent sur les reliefs bordiers du Massif central. À la fin de la période miocène, au Pontien, la tectonique reprend, comme dans le Jura et sur toute la périphérie des Alpes. Les reliefs bordiers se soulèvent, tels le seuil de Bourgogne et le Morvan (on distingue encore la surface miocène à une altitude voisine de 600 m en bordure du Morvan) ; c’est l’époque du charriage du Jura sur les dépôts miocènes de la Bresse. Ces mouvements de grande ampleur signifient qu’à l’ouverture oligocène du rift a succédé une

6 L’histoire et le remblaiement du fossé bressan sont bien documentés depuis la fin du XIXe siècle grâce aux travaux de géologie de Delafond F. et Depéret C., 1894 : Les terrains tertiaires de la Bresse et leurs gîtes de lignite et de minerais de fer. Étude des gîtes minéraux de la France. Imp. Nationale, Paris, 332 p. ; Bourdier F., 1961 : Le bassin du Rhône au Quaternaire, géologie et préhistoire Thèse de Sciences, Paris, 2 vol. Éd. CNRS, 658 p. ; Mandier P., 1988 : Le relief de la moyenne vallée du Rhône au Tertiaire et au Quaternaire. Essai de synthèse paléogéographique Doc. Bureau Recherche géologique et minière, 151, 3 tomes, 654 et 231 p. (pour la partie aval du fossé) ; Petit C., 1993 : Un bassin d’avant-pays de type pelliculaire, la Bresse au Plio-Pléistocène Thèse de géologie, Université de Bourgogne, 335 p. La récente compilation de L. David et N. Mongereau (L’Exploration géologique du Fossé rhodanien Paris, Presses des Mines, 373 p.) est un document très utile pour suivre l’histoire des découvertes et des idées des (seuls) géologues. Le lecteur regrette cependant que les auteurs ne présentent pas de manière équitable les arguments de la théorie polyglacialiste, pourtant admise sur le pourtour des Alpes, selon laquelle les dépôts et les formes glaciaires présents sur les piémonts ont été construits au fil du Quaternaire et ne peuvent tous dater du Würm et de ses stades de retrait (théorie monoglacialiste des auteurs). Le glacier du Würm est en effet moins étendu que les glaciers du Pléistocène ancien et moyen qui ont laissé des sols évolués. Il est vrai que les datations absolues font encore défaut pour les glaciations antérieures au Würm.

7 L’exondation est ici un soulèvement qui provoque le retrait de la mer et le passage à des conditions continentales.

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phase de compression correspondant au rapprochement de la bordure orientale du fossé. L’effondrement a cependant repris en Bresse, où il est compensé par un remblaiement à l’origine des marnes du « lac bressan ».

Le lac bressan existe encore au Pliocène. La Bresse a conservé l’allure de bassin d’effondrement que rappellent les argiles lacustres de son remplissage. Cette cuvette a attiré une partie des écoulements fluviatiles issus du plateau suisse et du Rhin supérieur avant que les cours d’eau n’adoptent leur tracé actuel vers la mer du Nord, suite à l’ouverture du fossé rhénan. Les géologues du Groupe Bresse ont montré que le Complexe des Marnes de Bresse est en partie formé des apports caillouteux de puissants cours d’eau d’origine alpine. Entre 3 et 2,6 millions d’années, l’Aar et le Doubs ont construit des cônes de déjection comme celui de la forêt de Chaux. Plus au sud, les apports d’un paléo-Rhône se déposent sur une période encore plus longue (3 à 1,8 million d’années). Leur succèdent les sédiments plus fins du « Complexe de couverture » ; issus des plateaux environnants, ils ont été mobilisés dans un environnement plus calme et ont achevé le remblaiement du bassin à fond plat de la Bresse pliocène (1,7 à 1,2 million d’années). La réalité est encore plus complexe, car des vallées ont été creusées et remblayées par des cours d’eau ; en témoignent les Sables de Trévoux venus du nord (3,4-2,6 millions d’années) et des cailloutis rhodaniens (2,4-2,0 millions d’années), découverts sous la Dombes, qui auraient été déposés dans des périodes de refroidissement climatique.

La tectonique tertiaire correspond certes à une cuvette de subsidence, mais la Bresse et la Dombes sont aujourd’hui en position topographique de bas plateaux. Les cours d’eau principaux sont légèrement enfoncés, notamment le drain principal de la Saône. Comment expliquer cette inversion ? C’est que la tectonique plio-pléistocène a relevé la Bresse au front du Jura, tout en déprimant une série de cuvettes ou cellules à l’ouest du fossé. Ces dépressions, de tectonique probablement active au Quaternaire récent, sont drainées par la Saône et ont contribué à localiser le cours de la rivière moderne au pied du Massif central. Le profil en long de la rivière est donc influencé par la tectonique de subsidence qui s’est déportée à l’ouest du fossé (régions de la confluence de la Saône et du Doubs, de Châlons-sur-Saône, par exemple). Il est encore admis par des géologues que la tectonique a joué un rôle sur le cours aval de la Saône. En effet, du fait de la surrection du « seuil » lyonnais au Quaternaire, peut-être consécutif à la fonte du glacier de piémont alpin, la Saône se serait enfoncée sur place entre les Monts d’Or et le plateau dombiste. Des terrasses quaternaires, bien développées au pied du Massif central dans la région de Mâcon et Villefranche-sur-Saône, sont un autre argument en faveur du soulèvement du cadre de la basse Saône 8 .

8 Plusieurs auteurs ont insisté sur le poids de la tectonique : Journaux A., 1956 : Les Plaines de la Saône et leurs bordures montagneuses Thèse géographie, Paris, éd. Caron, 531 p. ; Bourdier F., 1961, op. cit. ; Rat P., 1984 : « Une approche de l’environnement structural et morphologique du Pliocène et du Quaternaire bressans ». Géologie

Les seules formations susceptibles de faire de l’avantpays bressan et dombiste un « piémont » du Jura sont des dépôts morainiques et fluvio-glaciaires qui ne s’aventurent pas bien loin sur la Bresse 9 La Dombes, dont les allures de plateau sont mieux affirmées que celles de la Bresse puisqu’elle domine le Rhône à l’amont de Lyon par une « côtière » d’une hauteur relative de plus de 100 m, possède des caractères nouveaux malgré sa relative planéité. Tardivement soulevée lors de la formation des Alpes, elle inaugure l’ensemble des piémonts de la chaîne alpine qui l’emportent vers le sud. Si le substrat du pays dombiste est composé de formations lacustres à l’instar de la Bresse, des cailloutis pliocènes et des moraines quaternaires le recouvrent et en font déjà une annexe du Bas-Dauphiné voisin.

l a vallée du haut-rhône, du glacIer de la furka à lyon

Admettons par souci de simplification que le Haut-Rhône est le cours du fleuve depuis sa source au glacier de la Furka, en haut Valais, jusqu’à Lyon. La complexité de ce cours amont et montagnard est telle qu’il eût été préférable de la part des Anciens, et pour la commodité des choses, de dénommer Rhône l’organisme fluvial qui se suit des Vosges à la mer, mais c’est ainsi. Dans la pratique et plus sérieusement, il convient de distinguer trois unités, deux fluviales et une lacustre.

La vallée du Haut-Rhône valaisan couvre une surface d’un peu plus de 5 000 km2 sur les 90 000 que compte le bassin du Rhône dans son ensemble ; cette fraction du bassin couvre donc une étendue limitée, mais son rôle hydrologique est fort important. Le cours amont du Rhône qui draine le Valais a une longueur de 164 km du glacier de la Furka jusqu’à l’amont du lac Léman. La vallée, localement profonde de près de 4 000 m, est localisée sur une des grandes cicatrices structurales de la chaîne qui a été qualifiée de « gouttière médullaire » des Alpes 10 Le fond de vallée correspond

de la France, BRGM, 3, p. 185-196. Cependant Bravard J.-P., 1997 : « Tectonique et dynamique fluviale du Würm à l’Holocène à la confluence Saône-Rhône (France) ». Géographie Physique et Quaternaire, vol. 51, 3, p. 315-326, privilégie le rôle de la dynamique fluviale.

9 Pour le détail des stades glaciaires et les nappes fluvio-glaciaires d’âge würmien, on se référera à M. Campy, 1982 : Le Quaternaire Franc-comtois. Essai chronologique et paléoclimatique Thèse Sc. Nat., Univ. de Franche-Comté, 574 p. ainsi qu’à Couterrand S., 2010 : Étude géomorphologique des flux glaciaires dans les Alpes nord-occidentales au Pléistocène récent Université de Savoie, thèse de géographie, 471 p.

10 Nous renvoyons le lecteur français à l’ouvrage de Veyret P., 1967 : Au cœur de l’Europe, les Alpes Paris, Flammarion, 546 p. Il présente de façon claire et assez détaillée les caractéristiques physiques de ce territoire.

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fIg. 4 Le verrou rocheux du glacier du Rhône. (S. Oliver) Dégagé au XXe siècle par le retrait du glacier, il expose ses surfaces rocheuses moutonnées dans un environnement boisé.

fIg. 5 La plaine du Rhône à l’amont de Martigny. (J.-P. Bravard)

Le fond très plat entre des versants raides sculptés par les glaces ; le vignoble prospère sur les versants en pente douce et les cônes de déjection.

fIg. 6 Le bloc erratique

Venetz sur une colline de Sion, en fait un « verrou » rocheux. (J.-P. Bravard)

Le géologue Ignace

Venetz montra le premier l’importance des glaciers dans le façonnement du relief alpin ; il fut aussi l’initiateur de la « correction » du Rhône.

au remblaiement alluvial d’une zone surcreusée par les glaces issues des vallées affluentes, en particulier celle du fameux glacier d’Aletsch (Fig. 4). Des cônes torrentiels et des collines façonnées dans de grands écroulements de versants font la diversité du fond de vallée 11 Les sondages réalisés dans le cours aval du Rhône, entre Pramagnon et Martigny et entre Martigny et le lac Léman, ont montré que l’accumulation des sédiments s’est faite à un rythme rapide. En amont de Martigny, les sédiments les plus anciens repérés par sondage ont été remontés d’une profondeur de 30-40 m : ils sont vieux de 9 à 10 000 ans. Ces dépôts, de nature fluviatile, reposeraient sur plusieurs centaines de mètres de dépôts lacustres entre Martigny et Saint-Maurice (Fig. 5 & 6) 12 Après la fusion du dernier glacier, le lac Léman s’étendait donc très loin vers l’amont avant que le cône de déjection du Rhône ne progresse jusqu’à atteindre sa position actuelle à son entrée dans le lac.

Le lac Léman, dont le nom pourrait provenir des mots celtes « lem » (grand) et « an » (eau), est la plus grande nappe d’eau douce d’Europe de l’Ouest. Il couvre une surface de 582 km2 et sa masse d’eau occupe un volume de 89 km3. Le plan d’eau se tient à la cote de 372 m et le lac a sa plus grande profondeur (309 m) au large de Lausanne 13 Les études sismiques ont montré que le lac Léman est établi sur des accidents structuraux ; une grande déchirure enveloppe le Chablais de Montreux à la ligne Rolle-Yvoire et s’articule à l’ouest avec un synclinal dont l’axe est parallèle au dernier pli jurassien entre la ligne Rolle-Yvoire et Genève. Ces accidents ont probablement guidé le travail des glaciers de sorte que le lac est souvent défini simplement comme une cuvette de surcreusement glaciaire facilement déblayée dans les formations tendres de la molasse tertiaire du Plateau suisse (Fig. 7).

Le flux de glace d’origine valaisanne divergeait au sortir des Alpes, avec une branche se dirigeant vers le Rhin et une branche suivant à peu près le cours du Rhône français. Ce sont les eaux sous-glaciaires de cette branche qui l’ont emporté de sorte que le Rhône draine le Valais et les eaux du lac depuis la fin du Würm. Les sédiments du Rhône valaisan ont construit un delta dans la partie orientale du lac et ont remblayé le fond du lac (la « plaine ») d’une couche de sédiments fins. Il faudra des dizaines de milliers d’années pour que le lac Léman soit remblayé 14 sachant que le rythme récent de l’accumulation

11 Reynard E., Arnaud-Fassetta G., Laigre L., Schoeneich P., 2009 : « Le Rhône alpin sous l’angle de la géomorphologie : état des lieux ». In E. Reynard, M. Evéquoz-Dayen, Dubuis P. (dir.) : Le Rhône : dynamique, histoire et société Sion, Cahiers de Vallesia, p. 75-102.

12 Finger W., Weidmann M. : « Quelques données géologiques nouvelles sur la vallée du Rhône entre Sierre et le Léman ». Bull. Murithienne 105 (1987) : p. 27-40.

13 La cote du lac Léman a pu varier de plusieurs mètres au cours de l’Holocène en fonction de l’activité de l’Arve. Le cône de déjection de l’Arve, puissant affluent du Rhône, a été plus ou moins développé selon les époques. Il faisait barrage au Léman lors des périodes de crues et de forte alimentation sédimentaire ou au contraire était entaillé par l’émissaire du lac dans les périodes de calme hydrologique.

14 Delebecque A., 1898 : Les Lacs français Paris, Chamerot et Renouard, 436 p. ; Forel F.-A., 1904 : Le Léman, monographie

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5 fIg. 6 26 p our saluer le r hône I. Méta M orphoses. l a changeante nature des coulo I rs de la s aône et du r hône
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est de 1 770 000 tonnes par an (dont 1 500 000 apportés par le Rhône) ; la sédimentation est à 90 % détritique et allogène ; elle décroît du delta du Haut-Rhône vers l’ouest du lac (où la composante endogène augmente) 15

La vallée du Haut-Rhône français, ou mieux la vallée du Haut-Rhône à l’aval du lac Léman, puisque l’émissaire du Léman coule d’abord en territoire suisse, est composée d’éléments géologiques et géomorphologiques disparates que le fleuve actuel réunit. La paléohistoire du Rhône est ici beaucoup plus incertaine qu’elle ne l’est dans la moyenne vallée du Rhône dans la mesure où les glaces quaternaires ont effacé les traces du passé ou les ont rendues très peu lisibles. Il est possible qu’un Rhône pliocène ait traversé le Jura méridional par la cluse des Hôpitaux pour former un cône de déjection en Dombes 16 ; il est également possible qu’un paléo-cours d’eau ait emprunté le synclinal du Bourget, la cluse de Chambéry pour rejoindre ensuite le Grésivaudan et le cours actuel de l’Isère ; le sillon alpin aurait dans ce cas joué le rôle d’un grand collecteur des eaux à l’échelle des Alpes occidentales, y compris pour les eaux du piémont savoyard. Les glaciations successives auraient remodelé les tracés anciens en fonction de l’importance relative des masses glaciaires forcées de chercher des voies de déversement vers l’ouest par-dessus les chaînons occidentaux du Jura (cluse de Nantua, cluse des Hôpitaux, défilés du cours actuel notamment, qui l’auraient emporté sur les deux premiers, l’écoulement sous-glaciaire du glacier würmien ayant préfiguré l’actuel) 17 Il a été montré que l’alimentation du glacier de piémont dans la période 30 000 à 20 000 BP doit beaucoup plus à la contribution iséroise, sachant que le glacier du Rhône était bloqué dans la cuvette lémanique 18 . À ce sujet, des travaux récents réévaluent en effet fortement la part relative des glaces savoyardes et iséroises par rapport à la part des glaces rhodaniennes venues du Valais dans la formation du « lobe lyonnais ». Les vastes bassins de l’Arve et du Fier en Savoie ; ceux du Beaufortin, de la Tarentaise et de la Maurienne (par les Bauges, la cluse de Chambéry et le Grésivaudan) jouaient un rôle déterminant dans l’alimentation du glacier de piémont de la cluse des Hôpitaux au nord, à la vallée actuelle de l’Isère au sud 19

limnologique Lausanne, F. Rouge, t. 1, 543 p. ; Touchart L., 1994 : Le Baïkal et le Léman, géographie et histoire de la géographie de deux lacs Univ. Paris IV-Sorbonne, thèse de géographie, 337 p.

15 Loizeau J.-L., Girardclos S., Dominik J., 2012 : « Taux d’accumulation de sédiments récents et bilan de la matière particulaire dans le Léman ». Arch. Sci., 65, p. 81-92.

16 Martin J.-B., 1911 : Le Jura méridional. Étude de géographie physique spécialement appliquée au Bugey. Thèse Fac. Sc. Univ. Paris, 224 p. et Dubois M., 1959 : Le Jura méridional. Étude morphologique Paris, SEDES, 642 p.

17 Voir à ce sujet Y. Bravard, 1984 : « Le relief des Alpes occidentales. Vers des explications nouvelles ? » Revue de géographie Alpine, LXXII, 2-3-4, p. 389-409.

18 Mandier P., 1988 : Reconstitution de l’expansion glaciaire de piedmont des stades A et D des glaciers würmiens du Rhône et de l’Isère : implication et origine de leur disparité. Quaternaire, 14 (1), p. 129-133.

19 Couterrand S., 2010 : Étude géomorphologique des flux glaciaires dans les Alpes nord-occidentales au Pléistocène récent du maximum de

Si l’on s’en tient au cours du Rhône postérieur à la derrière glaciation (würmienne), c’est-à-dire au cours du Rhône actuel, on distingue de l’amont vers l’aval les ensembles suivants :

Le bassin genevois au substrat formé de molasse miocène érodée et recouverte par les glaces quaternaires. Le Rhône a enfoncé son cours dans ce qui est un bas plateau aux formes adoucies. Le cadre montagneux est composé de reliefs plissés calcaires, ceux du chaînon oriental du Jura à l’ouest et du Mont Salève au sud.

Le Rhône sort du bassin genevois par l’étroite cluse de Fort-de-L’Ecluse ouverte à la traversée de la Montagne de Vuache qui prolonge au sud le Grand Crédoz jurassien. Cette cluse aurait été ouverte au Pliocène (Fig. 8).

Le canyon du Rhône défonce ensuite le synclinal de Bellegarde-sur-Valserine, d’axe nord-sud, au fond en baquet, plissé et soulevé par la tectonique alpine (Fig. 9). Le coude brusque du Rhône à Bellegarde, qui oriente le fleuve au sud, est sans doute guidé par des failles. La structure géologique du plateau de la Semine superpose de bas en haut : le Crétacé inférieur de faciès urgonien (il est karstifié 20 depuis son émersion au Crétacé moyen), la molasse miocène et les dépôts morainiques quaternaires. Les études géologiques réalisées pour la construction de l’ouvrage hydroélectrique de Génis-

la dernière glaciation aux premières étapes de la déglaciation Thèse géographie, Univ. Savoie, 471 p.

20 Karstifié : doté de caractères liés à la dissolution du calcaire par les eaux (galeries et autres formes souterraines dans le cas présent).

fIg. 7 Le vignoble de Lavaux est un magnifique paysage culturel accroché au versant du lac Léman à mi-distance de Lausanne et Montreux.

(J. Couchepin, Médiathèque du Valais, Martigny)

Ancrés dans la molasse et des poudingues, les murs soutiennent plus de 10 000 terrasses ou charmus. Ce vignoble possède entre autres les grands crus de Villette, Saint-Saphorin, Grandvaux ou Chardonne.

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fIg. 8 Les pertes du Rhône, gravure de Le Clere d’après un dessin de T.G.G. Boissel. Le Rhône en crue s’engouffre dans une fissure naturelle sous la passerelle de Lucey. Le site sera retenu pour le barrage de Bellegarde.

fIg. 9 Le Rhône et la trouée de Fort-L’Écluse (vue vers l’amont). (G. Poussard, Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse)

Le Rhône franchit une très ancienne cluse ouverte dans un chaînon calcaire du Bugey méridional. Il s’écoule ensuite dans les formations meubles du plateau de la Semine.

fIg. 10 La plaine du Rhône depuis le Grand Fenestré. (P. Gaydou)

Cette image montre au premier plan l’extrémité nord du lac du Bourget et plus au nord le grand marais de Chautagne qui occupe l’emplacement d’un synclinal remblayé par de la molasse tertiaire et surcreusé par les glaces quaternaires.

À l’est (à droite), le chaînon savoyard du Mont Clergeon et à l’ouest le chaînon du Grand Colombier. Le Rhône aménagé passe devant la petite ville de Culoz.

siat ont montré qu’un paléo-Rhône quaternaire, distinct du Rhône actuel (post-würmien) s’est écoulé un peu plus à l’est à travers le plateau de la Semine ; il a ensuite été remblayé par des cailloutis qui l’ont masqué.

À Seyssel, le Rhône est déjà sorti du bas plateau entaillé en canyon et emprunte un synclinal nord-sud qu’il suit jusqu’au défilé de Pierre-Châtel entre les Préalpes de Savoie et le Bugey qui est la terminaison méridionale de la chaîne jurassienne. Ce synclinal, qui traverse le petit pays de Chautagne, est façonné dans les sédiments secondaires et le remblaiement de molasse miocène. À l’aval de Seyssel, les glaciers quaternaires ont surcreusé le fond du synclinal du Rhône et la cuvette du lac du Bourget à l’est du mont du Chat. Après la fonte du glacier würmien, le fleuve se jetait dans un vaste lac étendu aux marais actuels de Chautagne et Lavours. Il coule aujourd’hui sur le remblaiement holocène de la cuvette qui est formé de sédiments grossiers, deltaïques puis torrentiels ; des formations de tourbe se sont ensuite mises en place dans les arrière-marais de Chautagne et de Lavours isolés à l’Holocène par la montée progressive des dépôts fluviatiles. Jusqu’aux travaux de génie civil contemporains, le Rhône était encore à la recherche d’un profil d’équilibre dans les alluvions caillouteuses qui ont remblayé depuis plus de 10 000 ans les cuvettes glaciaires (Fig. 10).

À l’aval de la cluse de Pierre-Châtel, le Rhône emprunte un synclinal parallèle au précédent, sur la marge orientale du Bugey, puis oblique vers le nord-ouest dans l’ombilic glaciaire des Basses Terres. Cette cuvette de surcreusement fut occupée par un lac avant d’être remblayée par les sédiments fluviatiles à l’Holocène. Un temps on imagina que le Rhône avait coupé de manière directe vers l’ouest et contourné le plateau calcaire de l’île Crémieu par le sud. Il n’en fut rien. Le Rhône post-würmien, sur le tracé d’un écoulement sous-glaciaire, est fixé sur le faisceau de failles qui sépare les plis du Bugey occidental et le plateau incliné et faillé de l’île Crémieu. À hauteur de Lagnieu, toujours guidé par des fractures, il oblique vers le sud-ouest en longeant la face occidentale du plateau de Crémieu. Plus à l’aval enfin, libéré des contraintes structurales, il gagne Lyon en longeant la Côtière des Dombes, sur la marge nord du Bas-Dauphiné.

fIg. 8 fIg. 9
28 p our saluer le r hône I. Méta M orphoses. l a changeante nature des coulo I rs de la s aône et du r hône
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sous l’Influence dIrecte

des alpes : les pays du rhône Moyen

le site De l’agglomération lyonnaise

Il est remarquable par la façon dont le piémont du BasDauphiné entre en contact avec la bordure orientale du Massif central et le plateau dombiste. Un vaste amphithéâtre est formé à l’ouest par le plateau du Lyonnais cristallin et cristallophyllien que l’on retrouve à l’est de la Saône avec le plateau de la Croix-Rousse. Le massif des Monts d’Or, qui surmonte le socle au nord-ouest de Lyon, est une enclave de couches jurassiques faillées en horst et inclinées dans un style qui rappelle la structure du Bas Beaujolais. Le Plateau lyonnais se prolonge topographiquement à l’est par le plateau dombiste dont les sédiments de nature détritique se sont déposés dans le fossé tertiaire qui s’étendait sur la Bresse et la Dombes. Les dépôts de piémont de la Dombes repoussaient l’écoulement fluvial à l’ouest sur le Plateau lyonnais, formant une gouttière empruntée par la Saône et le Rhône au Plio-Quaternaire ; il subsiste des traces de ces écoulements et de moraines du Quaternaire ancien entre les hauteurs de Vaise et Givors sur le Plateau lyonnais.

Au cours du Quaternaire les glaciers et les écoulements fluviaux (fluvio-glaciaires et interglaciaires) ont déblayé les sédiments meubles de la partie bas-dauphinoise du site de Lyon qui se tient plus de 100 m en contrebas des deux plateaux précédents. Les collines de Meyzieu, Saint-Priest et Mions, au cœur molassique, ont été façonnées par les glaces du Riss qui butaient contre la Croix-Rousse et Fourvière. Au Würm, le glacier stationnait dans l’ombilic de La Verpillière, en arrière de la moraine frontale arquée que l’on suit de Jons à Heyrieux ; les écoulements fluvio-glaciaires construisaient les nappes localisées entre les collines des moraines du Riss. Le cours du Rhône actuel entre le confluent de l’Ain et Lyon emprunte le passage des eaux de fusion glaciaire qui l’a emporté sur les autres au Tardiglaciaire et qui a été surcreusé et façonné à l’Holocène.

Au sud de Lyon débute une autre organisation des formes majeures du relief, différente de celle des pays de la Saône, tant la proximité des Alpes a imposé sa marque.

le reborD oriental Du massif central

À l’aval de Lyon, il est relativement homogène. Le socle granitique et métamorphique est limité par une grande faille d’orientation nord-sud qui fait du premier rebord, celui qui domine le Rhône, un escarpement de faille remontant à l’Oligocène (élément majeur du rift présenté ci-dessus, il est de même âge que celui qui délimite le fossé bressan). Vient un premier plateau qui se tient entre 300 et 400 m. Cette

large banquette est interprétée comme une surface d’érosion façonnée en bordure de la mer miocène. Elle est fortement disséquée par le réseau hydrographique qui a son origine sur les hauteurs du Pilat et du Vivarais à une altitude voisine de 1 000 m ; les rivières (la Cance, le Doux, l’Eyrieux) ont des gorges d’autant plus nettement dessinées que le Rhône eut au Pliocène un cours nettement plus bas que l’actuel (Fig. 11).

À l’aval de Tournon, des blocs formés de calcaire jurassique font leur apparition (notamment la montagne de Crussol dont le château domine Saint-Péray) ; le calcaire l’emporte à partir de Soyons et La Voulte pour former au Pouzin le vaste plateau des Gras qui s’étend jusqu’au Gard. Le socle du Massif central s’éloigne vers l’ouest, délimité par la grande faille cévenole

fIg. 11 Extrait de la carte géomorphologique de la moyenne vallée du Rhône entre Tain-Tournon et Valence. (Mandier, BRGM éd., 1988 : Le relief de la moyenne vallée du Rhône)

Cette carte montre la grande complexité des formations tertiaires et des terrasses quaternaires à dominante caillouteuse.

fIg. 11 29 chap I tre 1. un bass I n au rel I ef clo I sonné

fIg. 12 Coupe en travers de la moyenne vallée du Rhône à hauteur du Bas-Dauphiné. (Divers auteurs, adapté)

Dessin à 5 périodes distinctes. L’évolution du relief dans la moyenne vallée du Rhône depuis la fin du Miocène. Le Rhône ancien a été établi au contact de la bordure du Massif central entaillée dans le socle et du grand cône du BasDauphiné, mais sa position a varié comme en témoignent d’anciens tracés soulignés par des dépôts argileux (en noir). fIg. 12

d’orientation NE-SO. Le plateau des Gras porte des formes d’origine volcanique que l’on suit du col de l’Escrinet aux Coirons ou au pic de Chenavari et au site du vieux Rochemaure à l’aplomb du Rhône. Les coulées basaltiques dans lesquelles s’intercalent les alluvions caillouteuses d’une paléo-Ardèche, ont été datées du Miocène et du Pliocène (environ 8 millions d’années) ; les laves se sont épanchées à la faveur des mouvements tectoniques amorcés à l’ère tertiaire.

les Défilés

Ils sont un élément remarquable du paysage rhodanien. On a vu plus haut que la Saône a entaillé une véritable gorge dans le socle métamorphique à son entrée dans Lyon ; c’est le défilé de Pierre-Scize qui joua un rôle important dans la défense de la ville comme en témoignent des fortifications remarquables. Sur le Rhône, c’est ensuite le défilé de Vienne entre Chasse et Condrieu, enfin le défilé de Saint-Vallier à TainTournon, tous deux assombris par les affleurements de roches métamorphiques. Au sud de Valence, les défilés sont façonnés dans les plateaux formés de calcaires secondaires ; le plus célèbre est celui du « Robinet » de Donzère où les trains remontant du sud pouvaient être bloqués par la force du mistral accéléré par un effet Venturi, du moins à l’époque héroïque de la vapeur 21 Celui de Vienne est entaillé au contact de la bordure orientale du Massif central et du piémont du Bas-Dauphi-

21 Les géographes ont forgé l’expression de « percée épigénique » pour caractériser ce type de gorge. La Saône et le Rhône coulaient primitivement sur une mince couverture sédimentaire avant de s’enfoncer sur place dans les roches dures du socle ou de la couverture sédimentaire résistante (Vidal de la Blache, 1909 ; Chapotat, 1935).

né. Le Rhône s’est enfoncé sur place au Miocène, au contact des plans inclinés formant gouttière du piémont rhodanien et du cône de déjection du Bas-Dauphiné. Il a entaillé un couloir dans les roches dures du socle plutôt que d’emprunter par un détour à l’est des secteurs de roche tendre où il eut déblayé un large bassin ; à l’aval de Condrieu, le Rhône quitte le socle et ouvre le bassin de Péage-de-Roussilon et Saint-Rambertd’Albon (Fig. 12).

le piémont Du bas-Dauphiné

Le Bas-Dauphiné est un « bassin continental » localisé entre la bordure orientale du Massif central et les Alpes : le fossé tectonique s‘amorce à l’Eocène et sa topographie bordière est modelée par une intense érosion sous des climats agressifs. Le compartimentage du couloir rhodanien par la tectonique de distension s’impose à l’Oligocène tandis que la bordure orientale du Massif central se soulève et que s’achève la phase de rift.

Le couloir rhodanien subit au Miocène une nouvelle phase de mouvements tectoniques qui l’abaissent, permettant des invasions marines. Les dépôts du fossé sont alors formés de sables et graviers consolidés en un grès tendre marin, la « molasse ». Le fossé est enfin comblé par les sédiments issus de l’érosion des Alpes que la tectonique des plaques plisse et soulève. À l’est du fleuve, ce piémont est un vaste cône de déjection qui a été comparé au Lannemezan sous-pyrénéen 22 . Même inclinaison de la surface sommitale emportée par la surrection des Alpes au Tortonien (fin du Miocène) et au Quaternaire, davantage marquée au front montagneux que dans la gouttière fluviale. Même substrat formé de sédiments meubles marins puis continentaux ; similaire sculpture de langues glaciaires qui ont ouvert au Quaternaire de larges vallées dont le fond doit sa planéité à des remblaiements fluvio-glaciaires parfois modelés en terrasses. Au fur et à mesure de sa subsidence, le bassin avait déjà été comblé par des sédiments marins d’âge secondaire. Le socle qui forme les hauteurs du Massif central à l’ouest est à une profondeur de 1 500 m sous le couloir de la Bièvre-Valloire, au sud-est de Vienne. La molasse du BasDauphiné a servi à construire des monuments prestigieux (la cathédrale Saint-Maurice de Vienne ou la collégiale Saint-Barnard à Romans-sur-Isère) ainsi qu’un habitat rural typé.

À la fin de la période miocène, le mouvement se renverse et le piémont se soulève, emporté par le mouvement de surrection des Alpes. Une vaste « gouttière » se modèle entre la

22 Nombreux sont les chercheurs qui se sont penchés sur la géologie et la géomorphologie du Bas-Dauphiné. Parmi eux citons : Kilian et Gignoux, 1910-1911 : « Les formations fluvio-glaciaires du BasDauphiné ». Bulletin du Service de la Carte Géologique de la France, t. 21, p. 1-83 ; Bourdier F., 1961 : Le bassin du Rhône au Quaternaire, géologie et préhistoire Thèse Sciences, Paris, 2 vol., Éd. CNRS, 658 p. ; Bravard Y., 1963 : Le Bas-Dauphiné. Recherches sur la morphologie d’un piedmont alpin Grenoble, Imp. Allier, 504 p. ; Gigout M., 1969 : Recherches sur le Quaternaire du Bas-Dauphiné et du Rhône moyen. Mém. BRGM, n° 65, 91 p. ; Mandier P., 1988, op. cit.

30 p our saluer le r hône I. Méta M orphoses. l a changeante nature des coulo I rs de la s aône et du r hône

chaîne alpine et le Massif central. Le cours du paléo-Rhône correspond approximativement au cours actuel du Rhône holocène : à l’est de la gouttière, les cailloutis du cône de déjection d’origine alpine repoussent le Rhône à son emplacement actuel et le réseau hydrographique descendu des Préalpes se met en place ; les sédiments meubles apportés par les torrents alpestres forment des cônes de déjection coalescents datés de la fin du Miocène, composés de matériel caillouteux consolidé en poudingues. La mer a fait son retour tout au long du Miocène et envahi le couloir rhodanien de la Provence jusqu’au Lyonnais, un bras de mer ceinturant au nord-est les Alpes naissantes, de l’avant-pays savoyard actuel à la Suisse, la Bavière et l’Autriche. À l’ouest de la gouttière centrale, le piémont rhodanien est entaillé dans les roches métamorphiques du Massif central. L’ambiance climatique est alors favorable à la formation d’un « pédiment », vaste plan incliné au pied de l’actuel massif du Pilat, façonné par des écoulements violents sous climat à saisons sèches et arides alternées. Une phase de plissement d’échelle régionale affecte les Préalpes et le piémont du Bas-Dauphiné à l’extrême fin du Miocène. C’est alors qu’un soulèvement général emporte le Bas-Dauphiné et le piémont rhodanien, provoquant le creusement du fleuve jusqu’à une profondeur relative de 350-400 m (Fig. 13). S’il convient de donner toute sa place à la tectonique de soulèvement pour expliquer l’enfoncement du Rhône (c’est la phase « rhodanienne » de l’orogénie alpine), le rôle d’évènements majeurs qui affectent la Méditerranée n’en demeure pas moins essentiel, comme nous allons le voir.

le canyon pliocène Du rhône

L’organisation du Bas-Dauphiné et la genèse de la périphérie alpine seraient somme toute simples si ne s’était intercalé au Pliocène un épisode remarquable, aujourd’hui bien connu, qui donne à l’axe rhodanien une puissante, mais discrète unité. On sait depuis 1895, grâce aux travaux pionniers du géologue Charles Depéret, que le Rhône creusa une gorge étroite au Pliocène, entre Lyon et la Provence. La surrection du piémont fut tôt invoquée pour expliquer le phénomène, mais on sait aujourd’hui que le moteur de ce profond surcreusement fut l’assèchement de la Méditerranée, lui-même provoqué par la fermeture du détroit de Gibraltar et par un bilan hydrologique négatif, l’Atlantique ne pouvant plus fournir son apport à son annexe isolée. Cet évènement remarquable est placé dans la période « messinienne » du Pliocène. Le niveau de la Méditerranée s’abaissa de 1 500 mètres pour une durée très brève à l’échelle du temps géologique, moins de 300 000 ans. Le Rhône, demeuré bien alimenté par son bassin alpin, creusa par érosion régressive 23 une gorge (que l’on peut localement qualifier de canyon à la traversée des calcaires) sur une longueur de 600 km et sur une profondeur qui dépasse 1 000 m en Provence. On la retrouve à Pierre-Scize à l’entrée

de la Saône actuelle dans Lyon 24 , puis quasiment sur le tracé du Rhône. Il est remarquable à cet égard que le tracé pliocène soit si proche du tracé actuel, 5 millions d’années plus tard. De la fin du Miocène au Quaternaire, la vieille gouttière viennoise s’est donc maintenue sans que change de manière significative l’axe d’écoulement du Rhône. Tout au plus empruntait-il localement telle ou telle boucle latérale inscrite dans le socle ou sa couverture, près de Serrières ou entre Saint-Péray et Soyons. De manière générale, cette gorge, profondément entaillée dans le socle rigide, alterne avec les épanouissements des « bassins » du Rhône moyen décrits par D. Faucher, lorsque le creusement du fleuve pliocène a pu se faire dans le remblaiement détritique du piémont alpin.

Lors de la réouverture du détroit de Gibraltar, toujours pour des raisons liées à la tectonique, la remontée marine fut brutale : le « déluge zancléen » ennoya le canyon d’âge messinien du Rhône jusqu’à Lyon. Le paysage de la vallée pouvait rappeler aux premiers auteurs celui des fleuves côtiers de l’Ouest européen au moment de la remontée marine post-glaciaire, d’où l’expression de « ria pliocène » qui fut employée. La ria du Rhône pliocène fut ensuite remblayée par des argiles « plaisanciennes 25 » sous un climat tropical humide favorable au couvert forestier, à la protection des pentes et à la finesse des matériaux fluvio-marins que l’on retrouve en profondeur dans la vallée 26 Les travaux préparatoires au barrage de Vaugris, dans le

24 Un paléo-Rhône empruntait la vallée du Garon, à l’ouest du Rhône actuel, au cœur du Plateau lyonnais.

25 Du nom d’argiles bleues similaires découvertes en Italie, dans la plaine du Pô, à Plaisance.

26 Ces argiles avaient été découvertes dès 1882 par le géologue F. Fontannes.

fIg. 13 Le défilé de TainTournon. (Pléiades © CNES 2015, Distribution Airbus DS)

Le socle du Massif central est souligné par la teinte vert sombre des forêts établies sur le versant nord des vallées affluentes. La plaine alluviale du Rhône est à l’emplacement de l’ancienne « ria » pliocène. Elle s’élargit au niveau de Tain et de Tournon : on entre dans la plaine de Valence. Le coteau de l’Hermitage, bien exposé au sud, domine la petite ville de Tain.

23 C’est-à-dire par rapport au niveau de base marin.
31 chap I tre 1. un bass I n au rel I ef clo I sonné
fIg. 13

défilé de Vienne, ont confirmé la présence de ces argiles sous la plaine alluviale moderne. Les sondages placent le toit de l’argile pliocène à des cotes comprises entre 100 et 135 m NGF sous les cailloutis du Rhône ; cette irrégularité du toit des argiles est due au fait que la formation argileuse a été ultérieurement ravinée lors des bas niveaux du Rhône au Quaternaire.

les retouches finales apportées au relief Du bas-Dauphiné

La poursuite du soulèvement alpin et des conditions climatiques favorables à l’érosion ont au Quaternaire retouché la partie sommitale du cône de déjection du Bas-Dauphiné. Les formations sommitales des plateaux de Bonnevaux et des Chambarans ne sont pas datées avec précision. Elles ont été attribuées au Villafranchien ou au Pliocène supérieur, mais elles pourraient être plus anciennes encore. Seules les hautes Terres Froides et les Chambarans, perchés entre 400 et 700 mètres, ont échappé au travail des glaces et déploient de très vieux sols argileux, épais de plusieurs dizaines de mètres ; ils doivent leur couleur rouge aux oxydes de fer et d’aluminium formés après un million d’années de pédogenèse. Ces sols remontent au Villafranchien 27 selon la terminologie ancienne, la période charnière d’achèvement de la construction de l’immense cône torrentiel alpin et de survenue des premières crises climatiques quaternaires vers 3-2,2 Ma BP. Mais dans l’ensemble, le piémont du Bas-Dauphiné a été profondément disséqué au Quaternaire, tant par les langues glaciaires issues des Alpes que par les écoulements fluvio-glaciaires (à l’avant des glaciers), et périglaciaires (dans les vallées non englacées mais sous climat froid).

l’étranglement Des plis subalpins entre valence et orange

L’étroiture déjà signalée à partir de Livron et jusqu’à Donzère, qui fait du large couloir septentrional un mince ruban enchâssé dans les strates calcaires, a son origine dans l’histoire tectonique du fossé rhodanien. Antérieurement à l’ouverture du rift qui survint à l’Oligocène, soit à la fin du Crétacé et à l’Éocène supérieur, les pays de la rive gauche du Rhône furent plissés selon une direction est-ouest. Les synclinaux et les anticlinaux de la phase dite « pyrénéo-provençale » (dont le fameux synclinal de la forêt de Saoû), ainsi qu’un ensemble plus confus de rides et de cuvettes, donnent son originalité au paysage des chaînes « subalpines » méridionales. La complexité de la structure et des formes tient aussi à l’action d’une seconde grande phase de plissement et de faillage survenue au Miocène. C’est la phase « alpine », d’orientation nord-sud, qui affecte les épaisses séries marneuses de la « fosse vocontienne » déjà plissées puis érodées. Les affluents du Rhône, comme la Drôme, ont fixé leur réseau au Miocène

27 Le Villafranchien, défini par la faune des mammifères, couvrait une période comprise entre 5,2 et 1,2-0,9 Ma, soit à cheval sur le Pliocène et le début du Quaternaire tels que définis aujourd’hui.

sur une surface d’érosion inclinée vers l’ouest avant que le plissement pontien (fin du Tertiaire) et pliocène ne provoque leur enfoncement 28 Le fossé rhodanien, si bien exprimé au nord de Valence et jusqu’au nord de la Bresse, n’existe pour ainsi dire pas dans ce secteur caractérisé par une autre histoire géologique, très alpine et qui fut provençale.

le couloIr rhodanIen dans son MIdI

La partie méridionale du couloir rhodanien, formée des pays du Bas-Rhône, est fort différente de l’amont. Elle ouvre ses plaines en un vaste triangle tourné vers la Méditerranée tout en étant fragmentée par des chaînons calcaires d’orientation est-ouest. Les Alpilles et le Lubéron à l’est sont les chaînons les plus connus.

La vigueur des reliefs provençaux et la blancheur de leurs assises s’expliquent par la tectonique du début du Tertiaire et par la présence du calcaire de faciès urgonien que, descendant du nord, on aperçoit dès le robinet de Donzère et au sud du Ventoux (Fig. 14 & 15). Formé dans des récifs coralliens, le faciès urgonien impose sa résistance à l’érosion lorsqu’il est à l’affleurement dans les Garrigues du Gard et sur les massifs faillés de Provence (Montagnette, Alpilles, Lubéron). Les sédiments crétacés qui se sont déposés sur l’Urgonien sont moins résistants ; ils sont déjà en partie érodés lorsque l’« isthme durancien » se soulève à la fin du Crétacé, tandis que des dépôts détritiques s’accumulent dans des cuvettes lacustres. Les plis de la phase tectonique pyrénéo-provençale trouvent ici toute leur expression à la fin de la période éocène (Tabl. 1). D’orientation ouest-est, ils sont recoupés à l’Oligocène par des failles de direction sud-ouest/nord-est, expression locale du grand épisode de distension européen qui rompt l’« isthme durancien ». Ces failles peuvent délimiter des fossés très profonds, comme le fossé d’Alès ou celui que borde la faille de Nîmes (l’épaisseur de leur remblaiement atteint 5 000 m dans le fossé de la Vistrenque à l’ouest du Rhône). Les faciès marins de l’époque miocène offrent les beaux calcaires gréseux, blonds et tendres (la « pierre du Midi ») qui ont été utilisés dans l’architecture des villes et des monuments. Ils sont contemporains de la molasse du Bas-Dauphiné.

À la fin du Miocène et au Pliocène, la marge cévenole du couloir poursuit son soulèvement, y compris dans les plateaux gardois, tandis que s’affaisse le bassin du Bas-Rhône et

32 p our saluer le r hône I. Méta M orphoses. l a changeante nature des coulo I rs de la s aône et du r hône
28 Masseport J., 1960 : Le Diois et les Baronnies. Étude morphologique Grenoble, Allier éd., 478 p.

provençal, qui pas son origine dans cette histoire ancienne qui est antérieure au plissement alpin (Eocène-Oligocène) ou contemporaine de ses débuts (fin du Miocène). Les reliefs créés par la tectonique tertiaire et quaternaire sont à l’origine de la vigueur des formes actuelles, de la sécheresse des escarpements calcaires et de la force du vent canalisé.

L’ancienne ria pliocène s’évasait et s’approfondissait entre Languedoc et Provence, par le double effet de la tectonique de distension, qui affaissait les pays du Bas-Rhône, et de l’incision du paléo-Rhône qui cherchait à rattraper le niveau de base de la Méditerranée asséchée. Le canyon est aujourd’hui masqué par une épaisse sédimentation quaternaire, mais les travaux scientifiques menés dans le canyon de l’Ardèche et dans les plateaux gardois ont prouvé sa réalité y compris sur les affluents. Le talweg du cayon du Rhône s’enfonça si rapidement au Messinien que le lit de l’Ardèche ne put suivre son encaissement. Cette histoire explique qu’un réseau de galeries souterraines se soit développé sous le lit de l’Ardèche actuelle, constituant une forme d’ajustement karstique à la surrection des plateaux de l’Ardèche calcaire et à l’effondrement concomitant du niveau de base rhodanien. Lors de la remontée marine pliocène, le karst profond se remplit d’eau ; ses orifices furent bouchés par les sédiments argileux, ce qui provoqua des modifications du réseau souterrain 29

les terrasses fluvIo-glacIaIres, un puIssant éléMent de l’IdentIté rhodanIenne

S’il est courant de faire la distinction entre le Haut-Rhône (à l’amont de Lyon), le Rhône moyen entre Lyon et Orange (sans que la délimitation soit nette ni ferme) et le Bas-Rhône, il n’est pas sans intérêt de choisir un critère qui est la présence ou l’absence de terrasses quaternaires aux marges de la vallée du Rhône. La terrasse est une figure récurrente du paysage rhodanien en ce sens qu’elle introduit sa planéité et ses rebords francs dans un paysage par ailleurs souvent énergique, et parce que les épandages caillouteux qui en forment la surface garantissent des sols secs propices à l’agriculture pour peu qu’ils soient arrosés et fertilisés 30

La terrasse rhodanienne est une construction alluviale de faciès grossier (les gros galets sont fréquents), construite en période froide à l’avant des fronts glaciaires du Quaternaire (ce sont des terrasses dites « fluvio-glaciaires »). La pente des terrasses est forte (2 à 3 m/km, voire davantage) puisqu’il est nécessaire qu’une forte énergie s’exprime pour entraîner vers l’aval les cailloutis grossiers issus des fronts morainiques. Un dernier caractère est la morphologie de surface des terrasses qui était faite de chenaux et de bancs de galets dans lesquels il est possible de reconnaître un style fluvial en « tresses » caractérisé. De manière générale, la pente des terrasses rhodaniennes est plus forte que celle du fond de la vallée holocène. Pendant les périodes froides du Quaternaire, le niveau des eaux de la Méditerranée était en effet plus bas que l’actuel de 110-120 m environ et il servait de niveau de base. Les terrasses sont de ce fait perchées dans la moyenne vallée du Rhône et plongent sous le niveau de la plaine holocène à l’aval de Pierrelatte. En outre, la tectonique de surrection a joué au Quaternaire et a contribué à percher les terrasses, les plus anciennes étant aussi les plus élevées. Les principes mêmes de la genèse des terrasses expliquent que le découpage de la vallée du Rhône puisse se faire en retenant le critère « terrasse », ce qui donne un résultat un peu différent du découpage classique.

“Geodynamic evolution of the peri-Mediterranean karst during the Messinian and the Pliocene: evidence from the Ardèche and Rhône Valley systems canyons, Southern France”. Sedimentary Geology, 188-189, p. 219-233.

30 Nous mentionnerons pour mémoire, au titre de l’histoire des idées, la théorie du « diluvium alpin » qui eut cours après 1830. Elle liait les épandages de galets et de blocs erratiques perchés audessus du fleuve à des épisodes successifs de la tectonique alpine : le refroidissement de la croûte terrestre était rendu responsable du soulèvement des montagnes, de l’expulsion de la chaleur interne, donc de la fusion de glaciers et de l’épandage de matériaux par les eaux. L’expression « diluvium alpin », de par sa force évocatrice, survécut assez longtemps à l’abandon de la théorie qui l’avait fait naître.

fIg. 14 et 15 Le Robinet de Donzère. (J.-P. Bravard) Le Rhône entaille un lit étroit dans un massif calcaire karstifié dont les grottes possèdent un riche patrimoine archéologique. La voie navigable côtoie la voie ferrée de rive gauche. C’est ici que commence traditionnellement le Midi et que le mistral acquiert sa plus grande vitesse.

29 Mocochain L., Clauzon G., Bigot J.-Y., Brunet Ph., 2006 :
fIg. 14
fIg. 15 33 chap I tre 1. un bass I n au rel I ef clo I sonné

tabl. 1 Les grandes périodes de l’ère tertiaire (Paléogène) et du Quaternaire.

La fin du Miocène et le Pliocène sont mieux connus que les périodes précédentes et mieux datés ; c’est encore plus vrai du Quaternaire (voir la figure 11).

Ère Période Âge (millions années)

fluvio-glaciaires durant le Quaternaire, comme l’attestent d’étroits lambeaux fluvio-glaciaires emboîtés à des altitudes comprises entre 270 m et 190 m, entre Chasse et Seyssuel 31 Depuis environ 16 000 ans, le creusement lié au dernier réchauffement climatique a façonné les fonds de vallées actuels. Les terrasses du grand couloir glaciaire de la Bièvre-Valloire, un véritable musée des formes, présentent des étagements d’autant plus nets qu’il s’agit aujourd’hui d’une vallée morte abandonnée par les eaux de fusion des glaciers alpins au profit de la vallée de l’Isère.

Le Haut-Rhône entre Genève et Lagnieu (au nord du plateau de Crémieu) ne compte qu’un nombre très limité de terrasses et encore sont-elles datées du Quaternaire récent. La raison en est que le dernier grand glacier quaternaire du Rhône, le glacier würmien, a atteint le secteur du confluent de l’Ain et du Rhône et a déblayé sur son passage les témoins plus anciens en creusant des ombilics dans les roches tendres. Les basses terrasses présentes à l’amont de Lagnieu correspondent à des nappes fluvio-glaciaires établies en avant de fronts glaciaires de retrait (tardifs), au pied du Bugey. En fait, le Rhône actuel utilise l’un des multiples tracés possibles (Fig. 16) puisqu’en avant de l’immense front glaciaire du Würm, les eaux s’étalaient en plaines d’épandage au style en tresses qui étaient sans doute similaires aux sandurs islandais actuels ; le fleuve a « choisi » le tracé nord plutôt que de passer par la cuvette de Bourgoin.

Entre Lagnieu et Pierrelatte se situe le vaste domaine des terrasses fluvio-glaciaires du Rhône moyen (au sens large). Les plus anciennes terrasses reconnues remontent à la glaciation de Günz de la terminologie alpine (vers -1,2 à -0,7 Ma), les dernières aux stades les plus récents de la déglaciation würmienne (vers -18000 à 16000). L’étagement des terrasses appartenant à plusieurs cycles glaciaires est remarquable. Il est en partie dû au fait que la vallée du Rhône a été englobée dans l’aire périalpine de soulèvement tectonique, les niveaux les plus anciens se trouvant soulevés davantage que les plus récents. Il est aussi dû à l’inégale extension des glaciers, le glacier rissien (-0,30 à -0,12 Ma) a par exemple eu une puissance et une extension supérieures à celle du glacier du Würm et moindres que celles du Mindel (de -0,65 à -0,35 Ma) et du Günz. Dans la plaine de l’Est lyonnais, les niveaux du maximum du Würm (vers -20000 ans) sont emboîtés dans les moraines du Riss et les formations fluvio-glaciaires de même époque. Sur la base d’une solide stratigraphie relative, on sait que les bas plateaux de la rive gauche du Rhône entre Lyon et Vienne conservent les traces de plusieurs formations alluvio-morainiques (Günz, Mindel, Riss et Würm, selon la terminologie alpine, la plus ancienne pouvant remonter à 1,2 million d’années). Le paléo-Rhône a drainé les écoulements

Dans la basse vallée, les terrasses anciennes sont encore étagées avant de toutes plonger sous la plaine holocène, car leur pente est plus forte que celle de cette dernière et, car la tectonique a provoqué l’affaissement des pays du Bas-Rhône. Ils perdent alors leur cadre de terrasses caillouteuses à l’aval de Châteauneuf-du-Pape où un vaste épandage de blocs de quartzites d’un diamètre pouvant atteindre 40 cm a été attribué à la vieille glaciation de Günz. L’étagement des niveaux est d’autant plus complexe à déchiffrer que la tectonique quaternaire a déformé les bas plateaux voisins du fleuve 32 . C’est en revanche dès Pierrelatte que la basse terrasse würmienne disparaît sous la plaine holocène. Comme on l’a vu plus haut, la raison en est que les terrasses quaternaires étaient ajustées à un niveau de base marin très bas, caractéristique des phases climatiques froides (on estime que le niveau des océans était 110 à 120 m plus bas que l’actuel au Würm). La remontée marine post-glaciaire, acquise vers -6000, a provoqué le remblaiement progressif de la basse vallée.

De part et d’autre du delta du Rhône, des formations alluviales remontant au Quaternaire ancien ferment l’espace rhodanien.

À l’ouest, relayant vers l’aval les accidents tectoniques de la Garrigue nîmoise, la Costière de Nîmes est formée de cailloutis d’origine alpine ; les galets sont appelés localement les gress lorsqu’ils sont libres et les taparas lorsqu’ils sont cimentés en poudingues. Ce sont de bonnes terres viticoles.

À l’est du delta du Rhône, la Crau est un ancien delta de la Durance qui fut un fleuve indépendant jusqu’à une époque avancée du Quaternaire ; la Durance s’écoulait par des étroitures des massifs calcaires, les « pertuis ». L’embouchure du début du Quaternaire, sorte de réplique de la Costière, est la « vieille Crau » ou Crau d’Arles, au débouché du pertuis de Saint-Pierrede-Vence. L’embouchure de la Durance se déplaça ensuite vers l’est, passant successivement par les pertuis d’Eyguières (glaciation de Mindel), puis de Lamanon (Riss et Würm ancien) ; elle forma alors la jeune Crau ou Crau de Miramas. C’est au maximum de la glaciation de Würm, vers -18000 ans, que la Durance bascula vers le cours du Rhône. Les terres caillouteuses de la Crau portaient des pâturages secs, les coussous.

31 Mandier P., 1988. Op. cit. 32 Gabert P., 1969 : « Les terrasses quaternaires et la néotectonique dans la région de Châteauneuf-du-Pape ». Méditerranée, 4, p. 371-82.
Tertiaire (Paléogène) Paléogène 65 – 56 Éocène 56 – 33,9 Oligocène 33,9 – 23 Miocène Fin : Tortonien Messinien 23 – 5,3 11,6 – 7,25 7,25 – 5,33 Pliocène Zancléen Plaisancien 5,33 – 2,6 5,33 – 3,6 3,6 – 2,6 Quaternaire 2,6 – Actuel
tabl. 1 34 p our saluer le r hône I. Méta M orphoses. l a changeante nature des coulo I rs de la s aône et du r hône

Le cadre géologique des couloirs de la Saône et du Rhône compose un tableau remarquable, à la fois fortement structuré de façon méridienne des Vosges à Lyon, puis de Lyon à la mer, et encore plus original et complexe des sources du fleuve à Lyon. Si la tectonique est l’élément essentiel, tant au cœur des Alpes que dans le vieux fossé tertiaire du rift que l’on peut suivre de l’Alsace à la mer Méditerranée, elle ne saurait rendre compte à elle seule de paysages aussi variés. Des millions d’années d’histoire du relief ont fait agir des climats très contrastés, l’action de rivières puissantes coulant vers une mer dont le niveau a fortement varié à certaines époques, créant des conditions d’enfoncement majeur et de vastes invasions marines. Le dernier million d’années est enfin celui des glaciers qui ont façonné le Bas-Dauphiné jusqu’à Lyon, ont érodé et remblayé, projeté vers la mer de puissantes nappes caillouteuses, et barré les plaines de la Saône transformées en lac à plusieurs reprises.

La diversité du bassin du Rhône n’est cependant pas unique en Europe, car celles du Rhin et du Danube ne le lui cèdent en rien. Une commune influence alpine de ces grands cours d’eau, tant sur le régime des eaux que sur celui des alluvions, impose sa marque jusque sur les piémonts ; dans le cas du Rhône, le piémont touche à la Méditerranée où se jetait le fleuve quaternaire. La commune influence du vieux socle hercynien impose dans ces bassins des cassures, des fossés, les roches résistantes et sombres des vieux massifs. Mais la diversité rhodanienne est unique en Europe à l’échelle spatiale aussi menue où elle s’exprime, le contact des chaînes jeunes (Jura et Alpes) et des massifs anciens (des Vosges aux Cévennes) s’exprimant ici d’une façon nette et continue sur des centaines de kilomètres.

La diversité d’origine géologique est accrue par celle des climats qui affectent le bassin, comme le démontre le chapitre suivant.

fIg. 16 Une vue de l’avantpays alpin. (G. Poussard, Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse)

Prise du Grand Fenestré (chaîne du Grand Colombier) en direction du sud, cette photographie montre un effet de l’inversion thermique liée à un anticyclone, avec la brume de fond de vallée dans une couche froide. Les Bauges à gauche (est), la cluse de Chambéry et les chaînons de style jurassien qui prolongent le Bugey méridional émergent telles des îles. Dans le lointain, les massifs cristallins externes et, vers le sudouest, la Chartreuse et le Vercors. Au premier plan, on discerne l’aménagement hydroélectrique de Belley avec le vieux Rhône au pied du Mont Landard et le large canal conduisant au lac du Lit au Roi.

fIg. 16
35 chap I tre 1. un bass I n au rel I ef clo I sonné

Étendu en latitude sur plus de 600 km, le bassin du Rhône est ouvert au nord aux influences océaniques, voire polaires, et au sud aux influences méditerranéennes ; c’est à ce titre un espace d’échanges de masses d’air unique en Europe, comme il le fut en matière d’échanges commerciaux et culturels au cours de son histoire humaine. L’intensité de ces échanges méridiens doit beaucoup au cadre montagneux qui a été présenté dans la partie consacrée au relief et à la géologie du bassin. Peu élevé à l’ouest, il laisse pénétrer les influences océaniques soumises à des flux d’origine atlantique, mais à l’est la barrière est si haute qu’elle contraint les échanges et renforce l’effet de couloir entre l’Europe des plaines du nord et la Méditerranée.

chapitre 2

c limat et végétation : les souffles méridiens

Le Valais, nous l’avons vu, est une vallée d’origine tectonique et surcreusée par les glaciers au Quaternaire. Elle est protégée au nord et au nord-ouest par les Alpes vaudoises, fribourgeoises et bernoises dont les sommets dépassent 4 000 m et au sud par les Alpes valaisannes (Mont Rose, Simplon), encore plus élevées en moyenne ; à l’ouest, la barrière est constituée par le massif du mont Blanc et ses 4 807 m. Alors que les précipitations moyennes annuelles ont une valeur de 850 mm à Genève, qu’elles dépassent 1 100 mm à Zurich, elles peuvent atteindre 1 700 mm aux stations du pied de la chaîne des Alpes en Italie. Les dépressions chargées d’humidité d’origine atlantique et méditerranéenne arrosent les versants externes de la chaîne, la condensation étant exacerbée par l’effet orographique (refroidissement lié à la montée de la masse d’air forcée de s’élever), alors que le Valais est un pays de sécheresse avec moins de 800 mm en moyenne dans les vallées et même moins de 600 mm à Sion ou encore 520 mm dans la vallée des Vièges (Fig. 1).

Le climat d’abri présente une autre caractéristique qui est l’effet de foehn. Une fois que la masse d’air a franchi la chaîne depuis la plaine du Pô ou depuis le nord-ouest, elle subit un effet de compression pendant sa descente et elle se réchauffe, ce qui diminue son humidité. Il est fréquent de voir des masses nuageuses venant du nord se bloquer sur la crête des Alpes, déborder légèrement sur le versant exposé au sud et laisser place à un beau soleil dans le Valais. Le phénomène s’accompagne d’un vent parfois violent, sec et chaud au printemps et en été, alors qu’au printemps, le passage du Foehn (le Schneefresser ou mangeur de neige) provoque une fusion brutale de la couverture neigeuse et provoque des crues

le valaIs : un reMarquable clIMat d’abrI
36 p our saluer le r hône I. Méta M orphoses. l a changeante nature des coulo I rs de la s aône et du r hône

brèves et violentes. Le temps dégagé en hiver provoque un refroidissement marqué à l’ubac et en fond de vallée (avec une inversion thermique, l’air froid et lourd issu des sommets enneigés s’y accumulant), mais l’adret qui le surplombe est bien réchauffé dans la journée ce qui réduit le gel. Les forts écarts thermiques intersaisonniers enregistrés dans les fonds de vallée sont un des caractères du climat continental sec. Cette sécheresse marque la physionomie de la végétation avec des espèces adaptées comme les pins sylvestres et des pelouses sèches. Les bisses (voir infra) détournent l’eau des torrents pour corriger cette contrainte qui pèse sur la production de foin. Mais le grand bénéficiaire de ce climat exceptionnel est bien entendu la vigne, qui produit d’excellents crus.

Refroidi en hiver, le climat du Valais central présente une forte nuance continentale alors que la sécheresse et la chaleur estivales lui confèrent des traits méditerranéens. Le moyen et surtout le haut Valais empruntent aussi au climat méditerranéen des précipitations de saison intermédiaire (printemps et automne). Ce climat contraste avec celui du Chablais et des Alpes vaudoises où l’humidité et la fraîcheur sont assez équitablement répartis dans l’année.

Si ce type de climat confère une forte identité au Valais, on le rencontre dans des conditions similaires dans le bassin français du Rhône : dans les Alpes (Maurienne, Durance) et dans le couloir Rhône-Saône en contrebas des hauteurs du Massif central.

de la haute-saône à la MédIterranée : un couloIr ouvert aux cIrculatIons MérIdIennes

Dynamique Des types De

temps

La carte de France des températures moyennes annuelles donne un gradient nord-sud record au sein du couloir Saône-Rhône puisqu’il est de près de 5 ° entre le pied des Vosges et la Méditerranée ; il est surtout manifeste en hiver, car le nord-est de notre pays est sous l’influence des masses d’air continentales froides. Ce gradient moyen est cependant modulé en fonction des saisons.

En effet, le climat du couloir est fortement affecté par sa topographie intramontagnarde d’orientation méridienne 1 En premier lieu, les effets moyens de la latitude sur la radiation solaire et la durée de l’ensoleillement (gradient de 2 000 au nord à 2 700 h par an au sud) sont modulés par le puissant facteur géographique que constitue le fossé tectonique. Le couloir de la Saône est relativement ensoleillé pour sa latitude,

1 La trame du chapitre climatologique doit beaucoup aux ouvrages de R. Frécaut et P. Pagney, 1983 : Dynamique des climats et de l’écoulement fluvial Paris, Masson, 239 p. et P. Pagney, 1988 : Climats et cours d’eau de France Paris, Masson, 248 p. Voir également Leroux M., 1995 : La Dynamique du temps et du climat, Paris, Masson.

fIg. 1 Image Landsat 8 en fausses couleurs du bassin versant du Rhône valaisan. (Courtesy of the U.S. Geological Survey)

À la mi-juillet 2013, les Alpes sont encore enneigées ou englacées au-dessus de 2 000 m (en bleu clair). Les forêts, les prairies et les champs sont dans diverses nuances du brun rouge. Le Valais et les vallées affluentes, notamment celles de rive gauche, sont déneigées, ce qui souligne une identité topographique et climatique. Entre Martigny et le Léman, la vallée du Rhône s’oriente au NNO.

fIg. 1 37 chap I tre 2. c l IM at et végétat Ion : les souffles M ér I dI ens

fIg. 2 Le paysage des haies au sud de la Durance en 1965. (Photographie aérienne IGN de 1965 issue du Géoportail)

L’habitat et les fermes isolées dans la plaine agricole sont au cœur d’un paysage de haies de cyprès orientées perpendiculairement au vent dominant soufflant du nord, le mistral. La protection des cultures irriguées par de petits canaux dérivés de la Durance est ainsi assurée.

de façon plus nette que ne l’est la vallée du Rhône à l’aval de Lyon ; il bénéficie en effet d’un certain effet de foehn lorsque dominent les flux d’ouest, de façon similaire (mais moins marquée) à ce qui se produit en Alsace au pied des Vosges : l’air descend dans le couloir, s’assèche du fait de l’augmentation de la pression et l’ensoleillement tranche avec celui des hauteurs adjacentes, en particulier sur le versant abrité de la tombée du Massif central. En été, la situation météorologique est différente puisque le couloir accueille les remontées d’air chaud méridional et la topographie en cuvette favorise le réchauffement qui se glisse aisément vers le nord.

Les caractères de l’ensoleillement, de la température et des précipitations sont largement explicables par la circulation atmosphérique générale. Selon la théorie classique, le jet polaire est responsable de la circulation d’ouest qui affecte la France à toutes ses latitudes dans un balayage qui dépend fortement des saisons. L’arrivée des dépressions d’origine atlantique sur la moitié nord de la France s’accompagne de vents de secteur sud qui soufflent vers le secteur de basse pression ; ces vents sont canalisés dans la vallée du Rhône et de la Saône ; à l’arrière des dépressions, des vents de secteur nord donnent des descentes d’air froid que le couloir peut canaliser.

Les situations de blocage liées au Jura et aux Alpes font persister pendant plusieurs jours certains types de temps, ce qui contraste avec la brièveté des épisodes sous contrôle zonal, les masses d’air balayant d’ouest en est la moitié septentrionale de la France 2 La circulation d’ouest domine en principe au printemps et en automne, mais des hivers doux, caractérisés par une position assez septentrionale des dépressions d’ouest, connaissent ce type de temps. Les hivers froids, pendant lesquels la circulation d’ouest est décalée en Méditerranée, s’accompagnent de puissantes descentes des masses d’air arctique, d’origine océanique ou continentale ; elles sont préférentiellement canalisées dans le couloir méridien et peuvent durer des semaines 3

Quelle que soit la cause du vent du nord, il prend le nom de mistral à partir de la latitude de Montélimar, voire de Valence. Un type de mistral propre au Midi est lié à des ascendances thermiques diurnes qui se produisent sur la Provence en été et attirent un flux de nord ; ce type de mistral dessèche l’air et le sol, et attise les feux de forêt. La basse vallée du Rhône abrite ainsi les paysages du vent (matérialisés par des bosquets d’espèces septentrionales) et les paysages d’abri lorsque le paysage quasi bocager, fait de haies de cyprès, apparaît au sud de Donzère (Fig. 2) et l’emporte sur les campagnes ouvertes plus septentrionales 4

La canalisation des descentes d’air froid dans le couloir topographique explique la violence du vent dans le sud de la vallée, surtout lorsqu’une dorsale anticyclonique s’installe sur la façade atlantique et que des dépressions creusées circulent dans le golfe du Lion et le golfe de Gênes. Un flux de nordouest humide arrose alors les hauteurs du Massif central sur lesquelles il se refroidit avant de plonger dans le couloir rhodanien ; le temps y est lumineux par effet de foehn. Lorsque le flux est de secteur nord sur l’ensemble du couloir, le vent est violent et peut être très froid. La vitesse moyenne annuelle est de 2,75 m/s à Mâcon ; 3,70 m/s à Lyon, 5,5 m/s à Montélimar et 5 m/s à Orange et Marseille, les pointes pouvant atteindre voire dépasser 150 km/h. Moins freinées, les vitesses sont plus élevées en altitude avec des moyennes de 9 m/s au Ventoux et 10,20 m/s à l’Aigoual (les pointes record y sont respectivement de 199 et 236 km/h). La vallée du Rhône serait ainsi une des « plus ventées du monde ».

2 Dubesset P., 1972 : « Choix agricoles et caractères du climat dans la région du Rhône moyen ». Revue de Géographie de Lyon. Vol. 47, 3, p. 297-326.

3 Face à ce schéma classique, la théorie dite des Anticyclones Mobiles Polaires (AMP) proposée par M. Leroux : celui-ci a attribué un rôle moteur aux masses d’air lourd et froid qui dérivent vers le sud depuis les régions polaires. Sur leur trajectoire, ces AMP entrent en collision avec les masses d’air chaud, humide et léger d’origine à la fois maritime et méridionale.

4 Bécquerel A.-C. (1865, Des climats et de l’influence qu’ils exercent sur les sols boisés et non boisés Paris, Firmin Didot, 379 p.) insiste sur l’effet positif des haies à la suite de l’agronome de Gasparin : « C’est au moyen de semblables abris (des haies de 2 m de hauteur) que l’on cultive les pois, les melons et les artichauts, qui ne résistent pas à la violence des vents dans les parties non abritées… En formant des abris avec des arbres verts élevés, on garantit de plus grands espaces. » (p. 116)

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fIg. 2

L’effet du vent remonte loin dans le temps puisqu’il a été capable de façonner des formes de relief. C’est le vent du nord qui explique la présence du lœss quaternaire balayé sur les plaines de l’Europe du Nord et déposé dans des secteurs abrités du couloir rhodanien ; le vent du nord explique aussi le creusement de dépressions dans la molasse tendre de la basse vallée (étangs de la région d’Istres).

De nos jours, le vent du nord renforce la sensation de froid en hiver et il est vrai que la vallée du Rhône connaît des journées assez désagréables. Mais, comme celui du Midi, le vent du nord présente l’avantage de disperser la pollution et d’améliorer l’ensoleillement.

Le vent joue aussi un rôle important dans la production d’énergie éolienne 5 L’intérêt économique du vent est connu de longue date puisque les sommets des collines ont fixé des moulins, en particulier dans les secteurs dépourvus d’eau courante ; le plus ancien moulin à vent de France est mentionné à Arles en 1170. L’intérêt énergétique de la vallée fut repéré dès 1953 par EDF qui évaluait son potentiel énergétique à plus de 60 % du potentiel français du fait des fortes vitesses que l’on y rencontre. Le Plan Rhône a récemment retenu le gisement

5 Corbel J., 1962 : « La violence des vents dans le couloir rhodanien ». Rev. Géogr. Lyon, 37, p. 273-86.

éolien comme axe de développement économique de la vallée, dès l’émergence des Schémas régionaux éoliens et des ZDE (Zones de développement de l’éolien) ; il apporte son soutien aux collectivités en application de la loi de 2005 6 La vallée du Rhône a une puissance installée d’environ 100 MW sur un total national de 900 (Fig. 3). Il est certain que la carte des vents souligne l’intérêt du couloir rhodanien et de ses bordures. C’est le cas de l’atlas éolien de la région Rhône-Alpes qui localise les aires affectées par des vents d’une vitesse moyenne de 4 m/s à une hauteur de plus de 50 m au-dessus du sol (la définition du « gisement intéressant » est fixée par une circulaire de 2006) 7 Il va de soi que les contraintes sont prises en compte dans la décision d’installer des machines éoliennes, ne serait-ce que les grands axes de migration des oiseaux : l’un emprunte la vallée de la Saône, l’autre venu du Plateau suisse rejoint la moyenne vallée du Rhône, les deux axes convergeant au sud de la vallée avant le franchissement de la Méditerranée.

6 La loi du 13 juillet 2005 fixe les orientations de la politique énergétique de la France (loi POPE). Elle modifie le système de soutien à l’énergie éolienne et introduit les « zones de développement de l’éolien » (ZDE).

7 DREAL & Région Rhône-Alpes, 2012 : Schéma régional éolien de la Région Rhône-Alpes Lyon, 146 p. Les schémas régionaux ont été réalisés en application de la loi du 12 juillet 2010.

fIg. 3
fIg. 3 Ferme éolienne dans la Crau. (P. Gaydou)
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fIg. 4 Carte de l’exposition à la pollution atmosphérique en Rhône-Alpes montrant le nombre de jours de dépassement pour les PM10 (particules d’une taille supérieure à 10 microns) en 2011. (AIR Rhône-Alpes) La pollution affecte les secteurs d’altitude inférieure à 300 m et en particulier les fonds de vallée : celles du Rhône, de la Saône et des Alpes. L’Est lyonnais est affecté, de même que la Bresse.

Le rôle du vent est intéressant pour le développement de certains loisirs, comme la voile sur plans d’eau, les planeurs et parapentes). Les lacs sont les meilleurs plans d’eau du bassin, en particulier le Léman.

Si le vent peut être désagréable, il a au moins le mérite d’évacuer la pollution que les situations météorologiques de type anticyclonique favorisent, en particulier en cas de stagnation durable de la masse d’air (Fig. 4). L’air froid stagne dans les couloirs de vallée (Arve, bassin lyonnais et Nord-Isère, zone urbaine des pays de Savoie) et la pollution elle-même empêche la pénétration des rayons solaires et la destruction de la stratification thermique inverse (air chaud en altitude sur air froid bloqué en fond de vallée alors que les fonds devraient être plus chauds, ce qui permet en principe le brassage avec les couches supérieures). Ce sont les mois de novembre à mars les plus touchés, surtout quand le temps est très froid. Les trois quarts de la pollution sont alors dus à des particules fines principalement émises par le chauffage individuel, mais il faut aussi compter avec le dioxyde d’azote émis par le trafic routier, le dioxyde de soufre émis de façon accidentelle par l’industrie et, ce que l’on sait moins, l’ammoniac produit par les épandages agricoles (lisier et fumier). La pollution estivale concerne aussi

l’ozone produit par un processus photochimique jouant sur d’autres polluants et activé par la température et l’ensoleillement 8 L’image du couloir rhodanien et des annexes pollués une vision géographique qui fait hélas partie des réalités régionales ; la situation est d’autant plus préoccupante que santé humaine est en jeu.

les précipitations

Si l’on considère les précipitations, les totaux annuels la France de l’Est sont supérieurs à la moyenne nationale est de 800 mm. À l’échelle des secteurs du couloir, les totaux annuels sont supérieurs à 800 mm entre Lyon et le Tricastin, mais certains secteurs abrités du fossé Saône-Rhône connaissent des totaux compris entre 800 et 600 mm. Les montagnes reçoivent en général plus de 1 100 mm avec des maxima excédant 1 500, voire 2 000 mm dans le Vivarais et Cévennes et sur le Jura et les massifs préalpins jusqu’au Vercors inclus.

Le faible nombre de jours de précipitations souligne la situation d’abri du couloir avec moins de 100-110 jours entre la mer et Lyon. Leur nombre s’élève à 110-130 dans le couloir de Saône, mais sa sécheresse relative est encore nette entre hauteurs encadrantes.

C’est en hiver et en été que le couloir est moins arrosé que ses bordures. En revanche les pluies de mai et surtout pluies d’automne affectent l’ensemble du bassin hydrographique de la Saône et du Rhône et surtout les reliefs du Massif central, du Jura et des Alpes. L’importance des pluies automnales est liée aux remontées d’air humide et chaud d’origine méditerranéenne sur le continent qui est en voie de refroidissement et, même si leur importance relative décroît du sud au nord, l’automne est bien la saison la plus pluvieuse ; ce caractère est encore affirmé à Lyon et même plus au nord. Inversement, les pluies d’été, qui manifestent une relative influence continentale dans le couloir de la Saône et le Lyonnais, restent marquées entre Lyon et Tain-Tournon et elles ne sont pas absentes de la région d’Avignon où elles sont bénéfiques aux cultures. C’est ce double balancement méridien qui caractérise le mieux le climat de transition du couloir de la Saône et du Rhône (Fig. 5).

8 Air Rhône-Alpes, 2015 : Bilan 2014 des épisodes de pollution atmosphérique en Rhône-Alpes Bron, 2 p. L’information est fournie par l’association Air Rhône-Alpes qui édite des rapports d’étude sur les épisodes de pollution dans la région et fournit des données actualisées (www.air-rhonealpes.fr).

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un couloir ensoleillé

Les bilans de l’ensoleillement font apparaître une distorsion notable entre le nord du bassin où la durée annuelle de l’ensoleillement s’élève à 1 930 heures/an au niveau de Dijon et même 1 790 heures à Luxeuil contre 2 980 heures à Marseille-Marignane 9 Dans une situation intermédiaire, Lyon affiche 2 020 heures.

Cet échelonnement latitudinal doit être nuancé par la prise en compte de l’effet couloir qui permet une remontée relative de l’ensoleillement jusque dans la vallée de la Saône par rapport au plateau bourguignon ou aux régions de mon-

tagne très sensibles aux inversions thermiques. La valeur de l’ensoleillement peut se traduire en bilan énergétique soit en kWh/m2 380 à Dijon, 450 à Lyon et 600 à Marseille. Cela signifie que la région PACA dispose d’un potentiel photovoltaïque de 10 000 GWh important dans la perspective du développement de ce type d’énergie (Fig. 6).

nuances climatiques

Les effets de la latitude et ceux de nature météorologique liés au cadre géographique du couloir Rhône-Saône rendent compte de plusieurs types climatiques régionaux assez bien identifiés 10

fIg. 5 Carte des totaux de précipitations annuelles soulignant le rôle du relief (couloirs en situation d’abri et massifs montagneux bien arrosés). (F. Richard-Schott, 2010)

Les diagrammes donnent le régime saisonnier des précipitations (1921-1950) et températures pour 9 stations du bassin français du Rhône (1971-2000).

10 Citons ici la présentation du climat rhodanien faite il y a 150

9 Source : Météo-France et ADEME.
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fIg. 6 Les centrales solaires des Mées, Alpes-de-HauteProvence. (M. Colin)

C’est le premier site de France. Installés sur des terres et des friches agricoles du plateau de La Colle (600800 m d’altitude), louées aux agriculteurs, 200 ha de panneaux photovoltaïques assurent une puissance installée d’une centaine de MW. Les investisseurs sont d’origine très internationale.

La partie nord du bassin (sud des Vosges et Haute-Saône, Franche-Comté et Bourgogne) possède un climat de « transition » caractérisé par des précipitations hivernales sous régime d’ouest, mais leurs totaux sont réduits par les descentes d’air froid sous régime anticyclonique ; ils n’excluent pas de forts abats d’eau hivernaux (sous forme de pluie ou de neige sur les reliefs) susceptibles de donner des crues. Ces régions connaissent aussi des pluies estivales liées à des situations convectives propres aux régions à climat de nuance continentale et des pluies automnales sous influence méditerranéenne malgré une latitude élevée ; ces pluies peuvent être dangereuses et générer des crues si elles se produisent sur toute la longueur de l’axe fluvial. Enfin la continentalité (relative) est sensible dans les contrastes thermiques entre l’hiver (froid) et l’été (chaud).

De la Bourgogne méridionale au Bas-Dauphiné, les nuances climatiques sont affirmées. Si l’ensoleillement, le réchauffement, et la réduction des précipitations sont des réa-

ans par Antoine-César Becquerel : « Ce climat comprend les vallées de la Saône, du Rhône, de l’Isère et de leurs affluents, depuis Dijon jusqu’à Viviers. Il tient au nord au climat vosgien et séquanien, au midi il a beaucoup d’analogies avec le climat girondin ; il est caractérisé par des étés plus chauds et des hivers moins rigoureux que le climat vosgien dans les plaines de l’Alsace ; néanmoins on doit le considérer comme continental. Si l’on en excepte les deux presqu’îles (Bretagne et Cotentin), aucune des régions n’offre une quantité de pluie aussi considérable, comme on peut le voir en consultant le tableau des quantités de pluie annuelles ; le tiers des pluies tombe en automne. Nulle part les pluies ne sont plus diluviennes et plus prolongées ; c’est à cette cause qu’il faut attribuer les débordements si désastreux de la Saône, de l’Isère et de l’Ardèche, qui causent les inondations du Rhône. » (Bécquerel, 1865, op. cit.). L’auteur était professeur de physique au Muséum national d’histoire naturelle.

lités sensibles dans les moyennes statistiques, l’effet couloir et la plus ou moins grande proximité des reliefs perturbent ce schéma. Le couloir, protégé des flux d’origine atlantique, est un espace contraint favorable aux situations de stagnation aérologique ; ce type de situation explique des types de temps à air froid et brouillards de fond de vallée. La couverture nuageuse limite fréquemment les effets déstructurant de l’ensoleillement sur l’inversion thermique. Ces situations de stabilité sont cependant de courte durée, car les types de temps sous contrôle de la dynamique méridienne l’emportent. La forte ventilation du couloir par les flux de nord et de sud décrits cidessus est ambivalente : la force du vent est parfois gênante, mais il assure un bon renouvellement des masses d’air après les situations de pollution atmosphérique (voir plus haut) et réduit les totaux pluviométriques en complément des effets de foehn. Ces flux sont d’autant plus appréciés qu’ils déstructurent les inversions thermiques responsables de la stagnation d’air froid et humide en période de marais barométrique ou en situation anticyclonique, notamment dans la plaine de la Saône et la région lyonnaise. En revanche, les températures et la pluviométrie sont très sensibles aux effets orographiques : les plateaux du Bas-Dauphiné (Terres Froides et Chambaran) sont aussi frais et humides que des régions nettement plus septentrionales.

Le climat méditerranéen est bien caractérisé à partir d’Orange, peut-être même dès l’éperon de Mornas lorsque s’affirme le paysage de la huerta comtadine. Le trait le plus marquant est la douceur moyenne des hivers en plaine et sur le littoral, même si les températures sont influencées par les épisodes de descente d’air froid canalisé par le couloir, qui peuvent donner de fortes gelées. Les saisons intermédiaires sont bien arrosées, surtout l’automne, mais les totaux avoisinent les 600-800 mm seulement du fait de la longue sécheresse des étés chauds sous influence de remontées anticycloniques. La basse vallée du Rhône est bien un « Midi sec » si l’on prend en considération les bilans climatiques 11

les excès du clIMat

Si le climat de la vallée du Rhône est caractérisé par des influences modératrices liées aux entrées marines d’origine atlantique et méditerranéenne, il est aussi soumis à des excès et à certaines formes de brutalité 12 . Ces excès sont intimement liés aux circulations méridiennes ; en d’autres termes,

11 Dauphiné A., 1976 : Les précipitations dans les Midis français Thèse de géographie, Paris, Éd. Lib. Champion.

12 Ce développement emprunte beaucoup à la thèse de J. Comby (1998, op. cit.).

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« l’originalité rhodanienne, mesurée par rapport aux situations moyennes de l’Europe occidentale, provient de l’irruption brutale de masses d’air allogènes, anormalement déportées vers le nord ou le sud 13 ».

La brutalité est en premier lieu de nature thermique : les intenses circulations méridiennes, uniques sur le territoire français à cette échelle, imposent de fortes chutes de température, notamment en hiver, et des remontées d’air d’origine saharienne en été qui compte des journées ou des séquences de jours étouffantes et éprouvantes d’autant que l’humidité est en général forte après le passage sur la Méditerranée et dans le couloir fluvial.

La brutalité est aussi celle des précipitations sous l’influence majeure de la Méditerranée qui possède un énorme potentiel précipitable : la mer, sur laquelle débouche le couloir, est un réservoir d’humidité permanent, un « creuset » où s’accumule l’énergie grâce à une chaleur relative importante dès les premières fraîcheurs 14 Un autre paramètre est la capacité d’ascendance exceptionnelle des masses d’air chaud et humide sur les « tremplins topographiques » que constituent les reliefs bordiers et les cellules d’air froid qui font blocage dans le couloir. Les pluies cévenoles sont emblématiques de ce complexe de facteurs. Les plus violentes du territoire français avec celles des Pyrénées orientales, ces pluies se produisent préférentiellement en automne lorsqu’une dépression d’ouest s’approche du Languedoc et provoque la remontée vers le nord d’une masse d’air réchauffée et humidifiée sur le golfe du Lion. Lorsque la masse d’air affronte la barrière cévenole et rencontre un air froid d’altitude, l’ascendance est exacerbée (les pluies ont une forte composante orographique exagérée par le gradient thermique) et les abats d’eau, d’une durée de 1 à 4 jours, atteignent de 200 à 400 mm, avec des records pouvant dépasser 600 mm.

Les excès qui se produisent dans l’axe du couloir, et notamment à l’aval de Lyon qui semble faire limite, concernent en premier lieu les précipitations liquides15 Cet espace est unique qui peut accueillir tant les pluies extrêmes que de fortes chutes de neige et des chutes de grêle dévastatrices. Ces épisodes ne sont en rien le produit de systèmes organisés : ils sont très localisés et largement imprévisibles.

L’un des deux épisodes pluviométriques les plus connus est la catastrophe de Nîmes survenue dans la nuit du 2 au 3 octobre 1988. Un noyau de fortes précipitations s’est concentré sur le plateau dominant la ville. En seulement 8 heures, il est tombé plus de 420 mm sur la station la plus arrosée et le débit

13 Béthemont J., 1972 : Le Thème de l’eau dans la vallée du Rhône. Essai sur la genèse d’un espace hydraulique, St-Étienne, Imprimerie Le Feuillet Blanc, 642 p.

14 Un caractère bien analysé par J.-P. Trzpit, 1980 : « La Méditerranée, un creuset d’humidité ». Méditerranée, 4, p. 13-28.

15 Voir à ce sujet les analyses produites par J. Comby (1998, op. cit.) sur la séquence des évènements de toute nature de la période 19501995.

total transitant le matin du 3 octobre par les « cadereaux » 16 et les rues de Nîmes, aurait atteint la valeur énorme de 800 m3/s. Un fait marquant est que cette intensité pluviométrique, si ce n’est ce type de temps, s’est produite à plusieurs reprises dans l’histoire, comme l’attestent les archives de la cité. Ce type récurrent de pluies très intenses et localisées ne serait pas un épisode de nature purement cévenole en partie parce que la composante ascendance orographique est absente. 17

Une autre catastrophe a touché la marge rhodanienne et est restée dans les mémoires. C’est celle survenue le 22 septembre 1992 à Vaison-la-Romaine, au pied du mont Ventoux, dans le Vaucluse montagnard (Fig. 7 & 8). En tout début d’après-midi de cette journée où la température atteignait encore 25 °C, par un vent violent, il tomba 300 mm sur le bassin de l’Ouvèze. Le niveau des eaux de ce petit affluent du Rhône monta de 17 m sous l’étroit pont romain et fut responsable de la catastrophe la plus grave survenue sur notre territoire depuis 1945. Les 37 victimes recensées étaient des caravaniers profitant des beaux jours de septembre et les habitants de maisonnettes construites dans le lit majeur sans aucune protection. Cette catastrophe a joué un rôle important dans les réflexions portant sur les risques hydrologiques pesant sur notre territoire.

Si, plus largement, l’on considère ces accidents de manière statistique, le secteur situé entre Le Pouzin et PontSaint-Esprit connaît des cumuls de précipitations d’une période de retour centennale sur 24 heures compris entre 200 et 230 mm, ce qui n’est pas si éloigné de la valeur calculée pour Nîmes avec 300 mm. 18

La grêle n’est certainement pas le propre de la vallée du Rhône ; elle affecte maintes régions françaises et frappe de préférence en été les cultures fragiles que sont la production fruitière et les vignes. La grêle affecte périodiquement les coteaux bourguignons, comme en 2012 et 2013. Les parcelles des Côtes de Beaune, entre Aloxe-Corton et Chassagne-Montrachet, ont perdu 10 à 90 % de leur récolte le 23 juillet 2013 et les ceps ont été durablement blessés ; ceci quelques jours après une chute donnant 60 cm de grêlons dans le Chalonnais le 3 juillet de la même année.

Au vrai, la bordure orientale du Massif central est régulièrement menacée par des lignes de grain de direction sudouest/nord-est qui circulent en automne et génèrent des situations orageuses. Ce fut le cas dans le Mâconnais le 9 octobre 2004, ou encore dans le Beaujolais le 1er et le 5 août 2012. Dans

16 Les cadereaux sont des vallons secs drainant le plateau de la Garrigue nîmoise.

17 Telle est la position des Services de la Météorologie Nationale. L’imagerie radar a montré que ce type de pluie est produit lorsque la dépression, au lieu de circuler en suivant une composante de sud-ouest, fait du « surplace » pendant plusieurs heures. La « structure en V » qui la caractérise est repérable dans diverses situations méditerranéennes, comme ce fut le cas en Sardaigne en novembre 2013.

18 Comby J., 1998, op. cit.

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jours par an à Bron (la station de Lyon) et de 8 jours à Montélimar ; sur la période 1960-2013, le record absolu de hauteur de neige mesurée au sol est de 33 cm à Bron (31 décembre 1970) et de 60 cm à Montélimar (30 décembre 1970) 20 L’épisode qui s’étend du 26 décembre 1970 au 2 janvier 1971 est resté dans les mémoires sous le nom de « tempête blanche », car la circulation autoroutière fut bloquée pendant plusieurs jours entre Lyon et Orange. La situation météorologique qui caractérise l’épisode du 9 décembre 1990 a été expliquée par une remontée d’air chaud et humide dans le couloir rhodanien, qui heurte une masse d’air froid descendue du nord alors que le blocage de la dépression s’opère sur les Alpes et l’empêche de circuler vers l’est. Le cumul de neige atteint 43 cm à Bron et 52 cm à Saint-Marcel-lès-Valence ; il fut moins important à Montélimar où une partie de la précipitation eut lieu sous forme pluvieuse 21 De fortes chutes de neige dans une région mal équipée pour le déneigement des routes, où les constructions sont en général incapables de résister au poids d’une neige humide et donc lourde, sont des évènements trop rares pour justifier des investissements lourds et difficiles à amortir, mais les pertes matérielles peuvent être occasionnellement sévères.

Les accidents météorologiques de type tempête de vent, fortes pluies, grêle et neige occasionnent donc une gêne forte et imprédictible. La vallée du Rhône est bien une région exceptionnelle à cet égard. La tendance actuelle au réchauffement climatique semble affecter le dynamisme des anticyclones polaires et renforcer l’importance des anticyclones des basses latitudes, ce qui accroît l’instabilité du temps. De brusques affrontements de masses d’air alternent avec de longues phases de stagnation d’un air relativement chaud et humide sans provoquer de précipitations 22 . Le réchauffement climatique pourrait aussi allonger la durée des épisodes estivaux de forte chaleur sous l’influence des vents du sud qui franchissent la Méditerranée.

fIg. 7 & 8 La crue de l’Ouvèze au pont romain de Vaison-la Romaine du 22 septembre 1992. (J.-P. Bravard)

Le lit majeur de l’Ouvèze à l’aval de Vaison était sans défense et cependant en partie urbanisé. L’état des constructions souligne la fragilité de ce bâti récent. On conçoit que les dégâts aient été considérables, la rivière ayant eu un pic de crue estimé à 1 000 m3/s.

la basse vallée du Rhône, qui est parfois touchée, la chute de grêle des 30 et 31 juillet 1991 est encore dans les esprits, car elle ravagea les vignes de Châteauneuf-du-Pape. Dans la moyenne vallée du Rhône, les orages de grêle semblent bien suivre des trajectoires préférentielles influencées par le relief local dans les situations d’advection d’air polaire de nord-ouest. Il semble que dans les années 1960 les agriculteurs en tenaient davantage compte dans les collines du nord de Romans en restreignant les plantations d’arbres fruitiers 19

Mentionnons enfin la neige dont les chutes revêtent un caractère exceptionnel à l’aval de Lyon. Si l’on considère la durée moyenne de l’enneigement, elle est d’un peu moins de 20

19 Dubesset P., 1972 : « Choix agricoles et caractères du climat dans la région du Rhône moyen ». Revue de Géographie de Lyon Vol. 47, 4, p. 333-359.

20 Auffray et al., non daté : Climat de la Région Rhône-Alpes Météo-France Centre-Est, Division Développements, Études, Climatologie, Rapport pour la DREAL Rhône-Alpes, 47 p.

21 Blanchet G., Deblaere J.-C., 1991 : « L’épisode neigeux de décembre 1990 dans la région Rhône-Alpes : les aspects météorologiques ». Revue de géographie de Lyon, 66, 3-4, p. 151-160. M. Leroux interprète la chute de neige par la descente d’anticyclones mobiles polaires (1991 : « La dynamique des épisodes neigeux du 8 au 13 décembre 1990 dans la région Rhône-Alpes ». Revue de géographie de Lyon 66, 3-4, p. 161-168).

22 Peings H., 2012 : Scénarios généralisés : Indices de référence pour la métropole, rapport pour le Plan National d’adaptation http:// ww.developpement-durable.gouv.fr

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les paysages végétaux du couloIr rhône-saône : un gradIent MérIdIen Marqué

La géographie régionale a depuis longtemps posé la question de la limite septentrionale du climat méditerranéen et n’a jamais considéré les choses sous l’angle de limites bien tranchées dans cette région de carrefour aux transitions graduelles 23

Des espèces clés ?

Le choix fut parfois fait de retenir la limite septentrionale de l’olivier pour indiquer celle du climat méditerranéen. L’annexe préalpine de la vallée du Rhône que sont les collines protégées de Nyons (Fig. 9) ou encore l’adret de Donzère seraient ainsi des apophyses septentrionales de la zone de climat méditerranéen. Il était cependant bien admis que l’olivier, cette espèce emblématique des paysages traditionnels de la Méditerranée, ne signifiait rien de bien concret, si ce n’est une concession au folklore, comme put l’écrire un géographe. La possibilité de cultiver des variétés adaptées doit être prise en compte et les coups de froid, comme celui de février 1956, peuvent ruiner des décennies de travail. La descente des masses d’air froid peut en effet signifier l’occurrence de périodes de gel pouvant atteindre -15 °C loin vers le sud (Fig. 10). On retrouve dans le cas de l’olivier le caractère brutal de situations météorologiques extrêmes qui de fait interdisent de donner la moindre précision aux limites qui seraient construites sur des indicateurs végétaux spécifiques.

Le cas du pêcher, une espèce arbustive cultivée préférentiellement dans les vallées abritées de l’Ardèche puis développée sur les terrasses de la vallée du Rhône et le piémont du Massif central jusqu’à 600 m, illustre bien la gamme des contraintes climatiques. Les sites les plus élevés échappent aux inversions de températures si favorables au gel en situation anticyclonique hivernale ; en d’autres termes, le piémont rhodanien du Massif central peut avoir des températures supérieures à celles du fond du couloir où stagne l’air froid. En réalité, les arboriculteurs craignent moins les dures gelées de janvier (qui peuvent faire descendre le thermomètre à -20 °C)

23 Voir à ce sujet, les pages consacrées au climat par R. Blanchard, 1910 : « Les limites septentrionales de l’olivier dans les Alpes françaises ». La Géographie, XVII, p. 225-240 et 301-324) ; E. Bénévent, 1926 : Le Climat des Alpes françaises Paris, Mémorial de l’O.N.M. n° 14, 435 p.) ; D. Faucher (1927 : Plaines et bassins du Rhône moyen, entre Bas-Dauphiné et Provence Valence et Paris, Charpin et Reyne, 570 p.) ; P. Georges, 1935 : La Région du Bas-Rhône Paris, Baillère et fils, 691 p. ; et J. Bethemont, 1972, op. cit.

que les gelées de printemps, modérées, mais qui se produisent au mauvais moment du cycle végétatif. Les inégalités de la topographie de l’étroit sillon rhodanien (inscrit dans le vaste couloir nord-sud) favorisent les stagnations et les refroidissements nocturnes de basse couche, à moins que le vent du nord, en brassant et en desséchant l’air, ne déstructure les inversions thermiques et n’aide la plante à supporter le froid. C’est bien l’absence de vent qui inquiète l’arboriculteur alors qu’un ciel clair en situation anticyclonique stable est gage de perte des fruits ! Une température de -4 °C est fatale aux boutons floraux de toutes les espèces fruitières, alors que -2 °C et -1 °C sont fatals respectivement aux fleurs et aux jeunes fruits 24 Les risques subis par l’agriculture ne sont pas assez fréquents pour décourager les spéculations : « Ces anomalies sont brèves et présentent souvent un caractère d’exception, au demeurant suffisant pour faire de l’agriculture une spéculation qui n’est pas sans danger du fait de la longueur des situations anticyclonales en hiver et encore au printemps 25 »

fIg. 9 Nyons et ses oliviers. (D. Rousselle)

Au cœur d’un bassin doté d’un excellent climat, Nyons possède l’oliveraie la plus septentrionale de France. Les arbres ont cependant gelé en février 1956.

24 Les travaux de référence sont à ce sujet ceux de J. Bethemont, op. cit. et de P. Dubesset, 1972 : « Choix agricoles et caractères du climat dans la région du Rhône moyen ». Revue de Géographie de Lyon Vol. 47, 3, p. 297-326.

25 Bethemont J., op. cit., p. 46.

fIg. 10 Le Rhône pris par les glaces au pont de Beaucaire pendant l’hiver 1914-1915. (Collection particulière)

Un paysage d’embâcle qu’il n’est plus donné de voir du fait du réchauffement du climat et de l’effet thermique des activités humaines.

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fIg. 11 Une formation de chênes verts. (J.-P. Bravard) Les pentes des versants donnant sur le Rhône ont des conditions de climat et de sol difficiles pour la végétation arborée. Le chêne vert l’emporte sur les arbres à feuilles caduques dans la moyenne vallée du Rhône et se raréfie vers le nord à partir de Vienne.

les formations végétales, intégratrices De la complexité rhoDanienne

Pour caractériser les nuances du climat rhodanien, plutôt que de sélectionner des espèces emblématiques, de surcroît sélectionnées et cultivées, il est préférable de se baser sur des formations végétales naturelles et composites et de bien penser à introduire une forte dimension temporelle dans la dynamique des paysages.

À l’échelle du grand couloir, les formations végétales sont d’une relative homogénéité dans les espaces compris entre les plateaux de la haute Saône et les plateaux du BasDauphiné, c’est-à-dire sur une distance de plusieurs centaines de kilomètres. Les valeurs des températures et des pluies sont favorables aux chênaies océaniques et aux chênaies-hêtraies dans les secteurs les plus frais et les plus humides, toutes latitudes confondues.

fIg. 12 La tourbière à carex des Planchettes (plateau de Chambaran) sur un vieux sol imperméabilisé. (R. Marciau, CEN Isère)

La grande ancienneté de la pédogenèse donne des sols épais de plusieurs mètres, très argileux et compacts.

L’eau stagne toute l’année dans des cuvettes. Les tourbières accueillent des espèces océaniques grâce à la fraîcheur des milieux.

Rien dans le paysage végétal qui traduise un gradient nord-sud sensible, car les précipitations du Bas-Dauphiné ne le cèdent en rien à celles des plaines de la Saône ; les milieux humides et les sols hydromorphes homogénéisent les conditions de milieu et renforcent localement le déterminisme climatique des séries de végétation. C’est à partir de Lyon et surtout de Valence, quand on descend vers le sud, que le climat introduit des conditions de température et de sécheresse estivales assez nettes pour influencer les formations végétales soumises aux effets d’une « chaîne climatique 26 ». De manière très générale, les chênaies à chêne sessile et pédonculé sont remplacées par des chênaies à chêne pubescent et à chêne vert ; en d’autres termes, la famille des chênes se démultiplie en espèces distinctes selon le gradient nord-sud. Le signe le plus visible pour le profane est le passage vers le sud aux chênaies à feuillage persistant (le chêne vert des plateaux calcaires à partir de Valence, sans exclure des biotopes sur versants métamorphiques raides et bien drainés dès la latitude de Vienne) (Fig. 11). La méridionalité s’exprime au mieux dans les nuances microclimatiques et édaphiques de la zone de transition qui, dans la moyenne vallée du Rhône, fait passer des paysages océaniques sous influence continentale (influence certes modeste) aux authentiques paysages méditerranéens que l’on trouve dans la Provence rhodanienne.

À grande échelle, les facteurs naturels de la répartition des formations végétales sont le climat et l’exposition ainsi que la nature des sols et les pentes qui assurent ou non un bon drainage de l’humidité. Le Bas-Dauphiné illustre au mieux la gamme des nuances de la mosaïque des formations arborées actuelle, sur un espace restreint tant le milieu possède une histoire complexe 27 . Le Bas-Dauphiné est une zone de

26 Bethemont J., op. cit., p. 45.

27 Le Laboratoire de Biologie Végétale de Grenoble a beaucoup travaillé sur la végétation des Alpes et de leur avant-pays. Dobremez J.-F. et al., 1974 : « Carte de la végétation potentielle des Alpes du

fIg. 11 fIg. 12
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transition entre les pays de la Saône et les pays spécifiquement rhodaniens.

Les plateaux des Terres Froides et de Chambaran, de climat frais (10,1 °C de moyenne annuelle) et humide (1 1001 300 mm), aux sols rouges lessivés et acides formés sur les très vieilles nappes alluviales villafranchiennes, sont le domaine de la chênaie acidiphile à espèces de sous-bois subatlantiques ; la productivité forestière est très basse et ce pays fut des plus pauvres dans l’histoire. Les bas plateaux du Chambaran (500-600 m) portent des tourbières riches en espèces atlantiques (Fig. 12).

Les fonds de vallée à nappes fluvio-glaciaires et les pentes mal exposées, au modelé rajeuni par l’érosion, portent des sols moins évolués que les précédents, de pH alcalin ou neutre, bien drainés, dans une ambiance à peine moins humide et fraîche. Ils portent une formation de chênes sessiles à charmes. En revanche, les fonds d’alluvions lourdes, mal drainés, portent des chênes pédonculés et des aulnaies.

Les pentes bien drainées et bien exposées sont le domaine de la Série septentrionale du chêne pubescent. Les coteaux molassiques, peu alcalins, voire acides, ne portent pas de buis, ce qui les distingue des coteaux calcaires. Le changement de paysage est marqué même si les précipitations restent comprises entre 1 000 et 1 200 mm tant le facteur édaphique, l’exposition et le bon égouttement des sols jouent puissamment.

Si la série précédente se rencontre dans les milieux les plus favorisés de la partie nord du bassin et n’annonce en rien le Midi méditerranéen, il n’en est pas de même pour la série subméditerranéenne du chêne pubescent. Au nord du domaine méditerranéen stricto sensu, ce type de chênaie, définie avant tout par ses espèces de sous-bois, se glisse tel un doigt de gant dans le couloir fluvial, au pied de l’escarpe massif centralienne, et remonte jusqu’à Givors. Le climat d’abri, ensoleillé par l’effet de foehn et plus sec que celui du BasDauphiné (T°C : 11,5-12,5 °C ; P : 800 mm) fait remonter sur les pentes rocheuses de Tain-l’Hermitage et des communes plus septentrionales colonisées par une viticulture de grande qualité, une ambiance familière aux Méridionaux ; les meilleurs sites sur roches métamorphiques portent des chênes verts à hauteur de Vienne (et le vin y est excellent depuis l’époque romaine au moins).

le temps et les héritages Du passé

Les formations végétales actuelles reflètent-elles le présent climat et des conditions pédologiques stables ? En d’autres termes, et pour reprendre un concept quelque peu tombé en désuétude, ces formations sont-elles climaciques, c’est-à-dire en adéquation avec les conditions du milieu ? Cer-

Nord ». Grenoble, Documents de Cartographie écologique, XIII, p. 9-27 et Dobremez J.-F., Vartanian M.-C., 1974 : « Climatologie des séries de végétation des Alpes du Nord ». Grenoble, Documents de Cartographie écologique, XIII, p. 29-48. Cette revue détaille la complexité des formations végétales à l’échelle du 1/100 000e et du 1/50 000e

tains écologues l’ont cru, qui ont pensé pouvoir utiliser les cartes détaillées de la végétation pour en inférer les nuances du climat et substituer les données de la végétation à celles d’un réseau météorologique jugé trop lâche. La démarche était tentante, mais les études palynologiques et historiques réalisées depuis les années 1970 ont montré que la couverture pédologique et végétale du couloir Saône-Rhône n’est pas révélatrice du climat actuel. La question des paysages, et singulièrement ceux de transition, possède une profondeur historique (voir infra) dans la mesure où les sociétés les ont altérés à plusieurs reprises au fil des millénaires.

Au nord du bassin, le chêne fut favorisé par l’homme sur les plateaux des Vosges comtoises et il recule aujourd’hui face à la concurrence du hêtre ; ce dernier a été favorisé par les Eaux et forêts au détriment du chêne dans le cadre de la politique de « conversion type haute Saône ». La politique forestière favorise cependant et avant tout le retour du sapin et l’épicéa planté.

Le hêtre, arbre considéré comme caractéristique de la France océanique, est assez révélateur des changements subis par la répartition spatiale de certaines espèces et formations végétales dans la vallée du Rhône 28 L’espèce Fagus sylvatica est aujourd’hui adaptée à un climat relativement frais et humide et on la rencontre communément entre 800 et 1 200 m d’altitude sur les versants encadrant le corridor Saône-Rhône, ce qui en fait une espèce généralement considérée comme montagnarde. Or il subsiste des boisements réduits, en exposition nord dans la basse vallée du Rhône ; ils furent longtemps considérés comme des reliques de la dernière période froide protégées en situation côtière, sur des sites aujourd’hui submergés par la remontée du niveau marin. Le réchauffement du climat permit au hêtre de remonter vers le nord dans le « couloir de diffusion » qu’était la vallée, y compris en plaine et sur les bas plateaux bordiers (comme en témoignerait la hêtraie supra-méditerranéenne du Grand Fays sur le plateau des Gras au-dessus de Cruas). Cette espèce était sans doute bien développée à basse altitude à l’époque antique, or elle a quasiment disparu depuis et ne subsiste plus que dans de rares forêts du Bas-Dauphiné et de basse Ardèche. Les études palynologiques ont de fait montré un recul du hêtre au Subatlantique après qu’il a triomphé au Subbo-

28 L’histoire de l’écologie du hêtre a été précisée par A. Pons, 1964 : « Contribution palynologique à l’étude de la flore et de la végétation pliocènes de la région rhodanienne ». Annales des sc. Nat., Botanique, Paris, 12e série, V, p. 678-83). Les études palynologiques ont été réalisées par H. Triat-Laval, 1978 (Contribution pollenanalytique à l’histoire tardiglaciaire et post-glaciaire de la basse vallée du Rhône. Thèse Sciences, Université Aix-Marseille III, 343 p.), J. Clerc, 1985 (« Première contribution à l’étude de la végétation tardiglaciaire et holocène du Piémont dauphinois ». Doc. Carto. Ecol., XXVIII, p. 65-83) et J. Argant, 1990 (« Climat et environnement au Quaternaire dans le Bassin du Rhône d’après les données palynologique ». Doc. Labo. Géol. Lyon, n° 111, 199 p.). C. Delhon et S. Thiébault ont fortement nuancé les schémas précédents en insistant sur la dynamique de conquête et de déprise (2005 : « The migration of beech (Fagus Sylvatica L.) up the Rhône : the Mediterranean history of a “mountain” species ». Veget Hist Archaebot, 14, p. 119-132.

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réal. Il est probable que le paysage forestier a été dominé par une chênaie-hêtraie de basse altitude ; les coupes forestières et les défrichements, en modifiant le bioclimat, auraient provoqué le recul du hêtre aujourd’hui cantonné à l’étage submontagnard et montagnard. Les archives de la Réformation des Eaux et Forêts attestent d’une extension plus grande de la chênaie-hêtraie dans le Bas-Dauphiné au XVIIIe siècle.

Les études anthracologiques ont récemment permis de préciser ce schéma : le hêtre s’est étendu vers le nord au Subboréal (à partir de 5 000 BP) et il a surtout connu une période faste vers 500 av. J.-C. et pendant la période gallo-romaine dans la moyenne vallée du Rhône ; il a ensuite fortement reculé devant les défrichements à la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge, en même temps que les sols et les micro-climats se modifiaient.

Ainsi le hêtre fut-il favorisé au détriment du chêne dans les périodes de déprise humaine. Le hêtre est un colonisateur rapide, et il n’est pas étonnant que la réduction de la pression humaine sur les forêts du Bas-Dauphiné au XXe siècle ait permis son retour, de sorte qu’il est aujourd’hui très présent dans les sous-bois. Dans le cadre des successions végétales, le hêtre est ensuite progressivement concurrencé par les chênes à feuilles caduques, car ces derniers, plus compétitifs, recolonisent le territoire dans les phases de faible pression humaine. Le hêtre correspond donc à un stade transitoire de dégradation de la chênaie et les spécialistes privilégient la dynamique des formations forestières plutôt que les variations du climat pour expliquer sa répartition. L’exemple permet de bien saisir l’intérêt de prendre en compte les formations végétales plutôt que les espèces pour caractériser les bioclimats.

Il est important de conclure sur le constat que le couloir rhodanien a joué un rôle dans la diffusion méridienne, à petite échelle, des espèces lors du réchauffement climatique postglaciaire mais qu’ensuite l’histoire de sa végétation se calque fortement sur celle des périodes d’occupation humaine du territoire, les variations climatiques étant subordonnées aux dynamiques d’occupation/déprise à grande échelle. L’ampleur de ces dernières ne doit certes pas être sous-estimée. Ainsi, dans la moyenne vallée du Rhône, les travaux de géoarchéologie ont-ils permis de progresser dans la connaissance des fluctuations climatiques de l’époque romaine (IIe siècle av. J.-C.

IIIe siècle apr. J.-C.) : à cette époque les rivières sont calmes, les lits fluviaux s’enfoncent, les plaines s’assèchent par abaissement de la nappe et accueillent l’habitat. On est en présence d’un léger assèchement du climat dans la période qui se termine au Ier siècle av. J.-C. ; ce sont ensuite deux siècles caractérisés par des écoulements assez forts sur les pentes et par l’érosion des sols, par des remblaiements alluviaux et des crues débordantes, enfin par un retrait de l’habitat, tout ceci en réponse à des défrichements importants et à une fluctuation climatique. Cette fluctuation environnementale serait d’échelle macrorégionale, étendue à l’Europe de l’Ouest et la Méditerranée. Elle serait déterminée par une oscillation climatique contemporaine d’un déplacement du « jet » subtropical

au-dessus de la moyenne vallée du Rhône dans la période IIe av. J.-C Ier apr. J.-C, puis par son retrait vers le sud dans la période suivante, retrait facilitant la circulation d’ouest avec des pluies plus fréquentes et abondantes, et une fraîcheur assez marquée 29

D’autres formations végétales étudiées par les botanistes depuis plus d’un siècle sont les pelouses « sèches » installées en lieu et place de pâturages défrichés sur des cailloutis fluvio-glaciaires filtrants. Une basse terrasse de la confluence de l’Ain porte une pelouse ou steppe xérophile à Stipa pennata, Bromus erectus et à fétuque, sur sols calciques très filtrants. C’est une relique de formations plus étendues au XIXe siècle sur des espaces pâturés, depuis revendiqués par la céréaliculture irriguée La Côtière des Dombes, exploitée par la viticulture et le pâturage au XIXe siècle, comme beaucoup de milieux de pente similaires dans le bassin, portait des sols très maigres, l’érosion et l’incendie les rajeunissant sans cesse. Les pelouses possédaient des espèces xérophiles les rapprochant de certaines formations languedociennes tant les paramètres locaux étaient facteurs de similitudes écologiques. La Côtière est aujourd’hui bâtie et boisée, les séries forestières collinéennes ayant pris le dessus avec l’abandon des pentes. Une dynamique similaire se déroule sur les digues des aménagements hydroélectriques construits par la Cie Nationale du Rhône. Les graviers filtrants sont des « néo-sols » où les successions végétales habituelles en l’absence de perturbations s’expriment de manière très lente ; la pratique du pâturage ovin, destinée à contrôler les feuillus, joue dans le même sens que les caractères édaphiques en maintenant des formations herbacées.

La dynamique des séries régressives et progressives, qu’illustrent les exemples précédents, n’est pas propre à la période récente. Les collines de la Valdaine, dans l’arrière-pays de Montélimar, ont subi plusieurs millénaires de cycles de dégradation et de pédogenèse/reforestation. Plus de dix cycles ont été datés et reliés à des phases de peuplement/déprise et de fluctuations climatiques 30 Les conditions édaphiques actuelles, même dans des milieux en apparence stabilisés, ne peuvent se comprendre sans faire appel à une histoire particulièrement discontinue. Ces travaux, parmi d’autres, confirment que la notion de climax n’est pas applicable.

29 Les données de ce développement sont empruntées à J.-F. Berger, 1996 : « Climat et dynamique des agrosystèmes dans la moyenne vallée du Rhône ». In : Le IIIe siècle en Gaule narbonnaise. Données régionales sur la crise de l’Empire Sophia Antipolis, Éd. ADPCA, p. 299332.

30 Berger J.-F., 1996 : Le cadre paléogéographique des occupations du bassin valdainais (Drôme) à l’Holocène Thèse Univ. Paris 1, Archéologie et environnement, 324 p. Cette étude pionnière a été suivie de nombreux travaux réalisés par l’auteur et d’autres spécialistes ; la place manque pour les citer.

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Que la couverture végétale soit climacique, faite d’héritages paléoclimatiques, ou qu’elle subisse fortement l’influence des activités humaines, elle relève d’un principe de base sur lequel nous reviendrons : une couverture végétale dense, forêt ou maquis facilite la pénétration de l’eau dans le sol, alimente les aquifères superficiels et freine le ruissellement. Inversement, les formations ouvertes, pelouse ou garrigue ainsi que les labours facilitent le ruissellement plus que l’infiltration, donc l’érosion.

Dans un milieu méditerranéen ou subméditerranéen comme celui de la vallée du Rhône dans sa partie méridionale, la gestion du couvert végétal et la prévention des actions érosives doivent prendre en compte la durée d’une saison sèche assortie de forts maxima thermiques, d’où le risque d’incendie 31 . Ressort de multiples relevés statistiques un double constat : dans la vallée du Rhône et dans la Provence, la fréquence et l’étendue des feux (Fig. 13), qu’ils affectent des forêts ou des pelouses, diminuent singulièrement du sud au nord de la Drôme et de l’Ardèche ; bien que certains incendies puissent être d’origine naturelle (dus par exemple à la foudre, à des chutes de pierres), ils sont dans leur grande majorité d’origine anthropique. Historiquement parlant, le feu a été un outil de défrichement, et des forêts claires et quasi monospécifiques ont succédé aux formations pseudo-climaciques du type chêne vert ou des formations fermées du type maquis ont caractérisé les phases de déprise.

La répétition des incendies amène la dégradation du maquis (à dominante de chêne vert en taillis, de myrte ou de thym) au profit d’une formation végétale basse et discontinue, la garrigue (à laurier rose, genévrier romarin), puis au profit d’une prairie à dominante de sparte ou d’asphodèle ; les stades ultimes de la dégradation sont le sol nu, voire le substrat rocheux. Il semble toutefois que ce processus de dégradation soit réversible et aboutisse dans le meilleur des cas et sans intervention humaine à une formation végétale dense du type forêt sur substrat calcaire ou maquis sur roches acides.

On peut donc proposer, en conclusion de ce chapitre, que le paysage du couloir rhodanien, après des siècles de pression humaine qui l’ont « méridionalisé », non seulement se reboise, mais se « ré-océanise » assez rapidement, ce néologisme décrivant le retour d’espèces ombrophiles et de paysages forestiers plus communs dans la France océanique.

Le paysage et les formations végétales de la France moyenne « descendent » au contact du paysage méditerranéen, les unités végétales dégradées (et « méridionalisées » par leur ouverture même) se contractant en même temps que l’agriculture des terres pauvres. La complexité des paysages végétaux ne cesse de se réduire dans les interstices laissés par l’agriculture aux formations « naturelles », si ce dernier terme est adapté. Le réchauffement climatique en cours changera cette donne.

fIg. 13 Un incendie de forêt dans une pinède ardéchoise.

La recolonisation forestière des versants ardéchois suite à l’abandon des terres a favorisé des espèces sensibles au feu ; de plus, la lutte est difficile.

31 Clément V., 2005 : « Les feux de forêt en Méditerranée : un faux procès contre nature ». L’Espace géographique, 34, p. 289-304.
fIg. 13
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l a longue durée des métamorphoses fluviales

Le Rhône, la Saône et leurs affluents, des montagnes aux plaines et à la Méditerranée, drainent les unités de relief qui ont été présentées dans les chapitres précédents. À ce titre, les cours d’eau possèdent des caractères déterminés par leur bassin, incluant des traits en partie invariants (géologiques) et des traits contingents, car dépendants du climat, de la végétation et des sols, eux-mêmes soumis au changement climatique et aux impacts des activités humaines. C’est émettre l’hypothèse que les paysages fluviaux ont dû varier au fil du temps.

La question posée est de savoir quelle a été l’histoire du paysage construit par ces cours d’eau : à quoi ressemblait un fleuve ou une grande rivière dans le passé ? Ensuite, le paysage fluvial a-t-il été constant ou a-t-il changé au fil des siècles et des millénaires ? Nous allons montrer que le paysage fluvial n’a rien de continu dans le fond des vallées ni de constant dans la durée, car il est le produit du jeu de facteurs complexes. En fait, dans un système vraiment naturel, le paysage fluvial obéit à des lois assez déterministes. Il est comme contrôlé par deux grands facteurs : le débit liquide et la charge solide qu’il transporte. Pour peu que ces deux facteurs aient changé dans l’espace et au fil du temps, le cours d’eau s’est adapté (« ajusté ») en modifiant sa forme, son « style », bref son paysage.

un paysage des orIgInes ?

Si l’on demandait à de « vieux » Rhodaniens quel est leur paysage fluvial de référence, en d’autres termes quel est le paysage enfoui dans leurs souvenirs personnels des décennies après la construction des barrages, il y a fort à parier que beaucoup d’entre eux feraient appel à des images construites, à un imaginaire collectif. Mais lequel ? Les « vieux Rhône » antérieurs aux travaux de la CNR fourniraient la référence la plus probable ; ils sont devenus pour la majorité des riverains les sanctuaires d’un paysage révolu, celui d’une époque où l’eau du fleuve coulait entre les digues et casiers de blocs posés depuis des décennies, parfois depuis plus de 100 ans. Mais avant ? Seuls les habitants de la Chautagne, où le vieux Rhône conserve des bancs de galets, ceux du tronçon non aménagé situé entre Sault-Brénaz et Loyettes, et ceux du delta, ont encore la possibilité de se référer à un espace et à un paysage somme toute pas trop différents de celui qu’eux-mêmes, leurs parents et ancêtres ont connu. Mais ailleurs sur le Rhône et avant ?

chapitre 3
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L’un des auteurs de cet ouvrage eut à travailler sur Haut-Rhône à la fin des années 1970 et au début des an nées 1980 ; il eut ainsi la chance d’observer localement un fleuve encore mobile fait de vastes bancs de galets, de che naux multiples et bordés d’une mosaïque de végétation d’une très grande variété. Quelques cartes postales en noir et blanc exhumées d’un vieux fond et racornies sur le présentoir d’un vieux bureau de tabac de la petite ville de Culoz montraient le paysage fluvial des années 1950 (Fig. 1). Le Rhône au pont de Laloi était plus « ouvert » qu’il ne l’est aujourd’hui, en ce sens que la végétation des îles et des berges était plus clair semée, plus basse et déployée sur des bancs de galets large ment étalés ; mais les digues étaient bien présentes et avaient déjà resserré le fleuve. Les cartes anciennes, celles du XVIII et du XIXe siècle, révèlent quant à elles le paysage antérieur l’aménagement : le Rhône, large de près de trois kilomètres l’amont de la Chautagne, était un fleuve alpestre, immense mobile malgré un débit moyen annuel, somme toute modeste, de 400 m3/s (voir chap. 4).

Ainsi le paysage de référence habituel est-il le paysage du tressage, le paysage d’un cours d’eau à la charge cail louteuse surabondante, que malgré ses crues puissantes, Rhône ne pouvait toute entière emporter vers la mer. Pay sage naturel qui ne pouvait être que le paysage en quelque sorte originel, du moins « primitif » ou premier 1 , similaire celui des rivières de montagnes épargnées. À la suite de ce constat, les premiers travaux de recherche adoptèrent assez logiquement, du moins en apparence, un plan progressif de type historique, qui partait du fonctionnement du XVIIIe siècle (supposé originel) et analysait les changements survenus jusqu’à nos jours. Quelques années plus tard, cette idée révélera fausse, car simpliste. Dès 1980, la visite en compa gnie d’archéologues du site gallo-romain en cours de fouille de Condate, peu à l’aval de Seyssel, révélait des dépôts de crue piégés dans les ruines, comme si les bâtiments avaient été non seulement noyés par des crues, mais en partie enfouis ; par la suite, d’autres informations glanées dans la littérature historique et archéologique remirent en cause le schéma pourtant si évident d’un paysage issu, inaltéré, de l’ère glaciaire.

rêt de débuter ce travail au moment où se mettait en place et s’affirmait le concept de « métamorphose fluviale » sans lequel rien n’eût été possible.

fIg. 1 Le Rhône en Chautagne amont, en 1937. (Photographie aérienne IGN de 1937 issue de Géoportail)

Il devenait évident, au fur et à mesure que se déroulait la recherche, que le paysage des tresses modernes n’avait été qu’une étape dans un long processus de changement. Si la mutation du paysage fluvial observée depuis le XVIIIe siècle restait pertinente (le tressage et son altération sous les effets de l’action humaine), il convenait de remonter le temps beaucoup plus haut dans le passé pour connaître l’histoire longue des paysages du Rhône. Il convenait de chercher une méthode permettant de remonter le temps afin d’analyser les changements probables du paysage fluvial. Ce fut tout l’inté-

1 Le terme employé aux États-Unis est celui de « pristine », l’état premier, antérieur à la colonisation. Cette conception est assez statique, ce qui n’est pas dans le propos de ce chapitre.

le concept de MétaMorphose fluvIale

Le concept de métamorphose fluviale a été forgé aux États-Unis à la fin des années 1960 pour incorporer dans un cadre théorique solide des faits d’observation immédiate : il s’agissait de changements du paysage fluvial, profonds, mais peu durables, en fait des changements réversibles. Le concept

Le Rhône a de hautes eaux estivales dont la turbidité est en partie liée à la fonte des glaces. L’intensité du tressage a été réduite par l’effet d’une digue latérale construite dans les années 1780 et par une réduction du charriage. Les îles sont plus boisées qu’au début du siècle.

51 chap I tre 3. l a longue durée des M éta M orphoses fluv I ales

POUR SALUER LE RHÔNE

Né au fond du Valais en Suisse d’un glacier du même nom, le Rhône est l’un des fleuves les plus puissants d’Europe. Le présent ouvrage rend hommage à sa complexité et tente de dire ce que furent ses eaux et ses forces, d’un lointain passé aux années de la révolution industrielle, dans une conception à la fois pluridisciplinaire, actuelle, rétrospective et prospective. Véritable état des lieux scientifique et culturel du fleuve et de ses affluents, le livre propose, au travers de 24 chapitres et plus de 350 illustrations, l’histoire d’un cours d’eau au « service de la nation ».

Jacques Bethemont (Professeur honoraire, Université Jean Monnet, Saint-Étienne) et Jean-Paul Bravard (Professeur émérite, Université Lumière, Lyon 2) ont consacré au Rhône leurs thèses d’État ainsi que de nombreux travaux. Impliqués dans la gestion de la recherche et l’édition dans le bassin du Rhône, ils ont voué leurs deux carrières à l’étude des fleuves, en France comme à travers le monde.

45 euros TTC

ISBN 978-2-917659-50-2

Dépôt légal : mars 2016

www.editions-libel.fr

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