Loin des fronts ? Commémoration(s) en action (Extrait)

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COMMÉMORATION (S) EN ACTION

LOIN DES FRONTS ? COORDINATION ÉDITORIALE PHILIPPE HANUS GILLES VERGNON RÉSEAU MÉMORHA



COMMÉMORATION (S) EN ACTION COORDINATION ÉDITORIALE PHILIPPE HANUS GILLES VERGNON RÉSEAU MÉMORHA


PRÉFACE VÉRONIQUE PEAUCELLE-DELELIS DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’ONACVG OFFICE NATIONAL DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE

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Les évolutions du paysage mémoriel contemporain questionnent profondément notre modèle commémoratif. Ses formes et ses objets sont de plus en plus diversifiés, patrimoniaux, culturels, locaux. La commémoration historique et nationale s’émancipe aujourd’hui de ses formes traditionnelles pour s’enraciner dans le champ des mémoires territorialisées, dont les acteurs sont multiples. Le présent ouvrage est un témoignage de cette nouvelle dynamique, une photographie du paysage mémoriel en Auvergne-Rhône-Alpes et un portrait de ceux qui le font vivre. Il montre « la commémoration en action » à travers une image des conflits contemporains inscrits dans le contexte d’une région aux mémoires multiples et à l’histoire complexe. De l’Ardèche à l’Auvergne, d’Ongles à Oyonnax, du Mont Mouchet au Tata de Chasselay, il donne à voir les différents visages de la commémoration « loin des fronts ». Cet ouvrage est un acte de civisme. Il traite sans tabou des commémorations qui « gênent », de celles qui questionnent, qui émeuvent localement et nationalement. En abordant des thématiques telles que la guerre d’Algérie ou la mobilisation des troupes coloniales, il contribue à promouvoir le travail de mémoire comme un outil pertinent pour lutter contre le racisme, l’antisémitisme, les discriminations, et extrémismes violents qui, malheureusement, s’épanouissent encore en France au XXIe siècle. Dans ce cadre, il entre en forte résonnance avec la mission de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), qui met régulièrement en œuvre des séances de témoignages croisés autour des mémoires plurielles de la guerre d’Algérie. L’Office prend part au processus de territorialisation de la mémoire en accompagnant la démarche des communes qui souhaitent rendre hommage aux combattants d’Afrique engagés pour la France. Par la valorisation de la prison de Montluc, du Tata de Chasselay, des nécropoles de la Doua et de Vassieux-en-Vercors, par l’organisation de visites et d’ateliers pédagogiques, l’ONACVG contribue à favoriser l’animation de la vie commémorative locale en Auvergne-Rhône-Alpes. Cet ouvrage est un outil supplémentaire à destination des acteurs culturels et éducatifs qui souhaiteraient prendre conscience des dynamiques mémorielles régionales. Son approche localisée permet de donner à voir, dans un territoire donné, les multiples visages du processus commémoratif qui dépasse largement le cadre des cérémonies auquel il est trop souvent réduit. La commémoration emprunte la voix du témoignage, elle passe par la pierre du patrimoine, par les œuvres artistiques et culturelles, par la cérémonie et le jeu de société. Elle s’épanouit dans les musées et sur les bancs de l’école, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mouvante, évolutive, elle appelle à toujours plus de littérature, à l’image de cet ouvrage, pour permettre de saisir à un instant donné la pluralité de ses ancrages et de ses usages.

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SOMMAIRE


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PRÉFACE VÉRONIQUE PEAUCELLE-DELELIS

INTRODUCTION

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COMMÉMORER LOIN DES FRONTS ?

PHILIPPE HANUS — GILLES VERGNON

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SUR LA RITUALITÉ COMMÉMORATIVE

PHILIPPE DUJARDIN

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CARTE DE LOCALISATION DES SITES MENTIONNÉS DANS L’OUVRAGE

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1

COMMÉMORER EN MAJESTÉ ?

28 LES « HAUTES AUTORITÉS » DANS LES HAUTS LIEUX : OYONNAX, MONT MOUCHET, VERCORS 2013-2014…

GILLES VERGNON

38

LA RECONSTITUTION HISTORIQUE DU DÉFILÉ DES MAQUISARDS À OYONNAX, LE 11 NOVEMBRE 2013

FLORENCE SAINT CYR GHERARDI

44

LA COMMÉMORATION DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN À VALENCE : UNE REVENDICATION POLITIQUE PORTÉE PAR UNE SYMBOLIQUE RELIGIEUSE CHRÉTIENNE, POUR LA TRANSMISSION D’UNE MÉMOIRE IDENTITAIRE

RONAN LAGADIC

59

PORTFOLIO / CÉRÉMONIES D’OYONNAX EN 2013

67

PORTFOLIO / JOURNÉE DU SOUVENIR DE LA SECTION PORTE DES MAQUIS DE L’OISANS

73

PORTFOLIO / CÉRÉMONIES COMMÉMORATIVES EN ARDÈCHE (1944-1985)


80

2

82

COMMÉMORER GERGOVIE ET ALÉSIA ?

BLAISE PICHON

90

LA « VICTOIRE HAÏE » ? LA POLITISATION DE LA COMMÉMORATION DE LA GRANDE GUERRE DANS LE STÉPHANOIS INDUSTRIEL

ROBERT BELOT

112

BIENVENUE AU PAYS DES BOURBAKI ! ENJEUX D’UNE COMMÉMORATION TRANSFRONTALIÈRE DANS LA PETITE SIBÉRIE JURASSIENNE (1871-2021)

PHILIPPE HANUS

124

L’IMPOSSIBLE COMMÉMORATION DU VOTE DU 10 JUILLET 1940 À VICHY

AUDREY MALLET

132

LA COMMÉMORATION DES BOMBARDEMENTS DE 1944 EN DRÔME-ARDÈCHE : UNE MÉMOIRE À BAS BRUIT

PASCAL GUYON

144

COMMÉMORER L’ARRIVÉE DES HARKIS EN FRANCE : ONGLES ET BOURG-LASTIC, 2016-2017

ABDERAHMEN MOUMEN

159

PORTFOLIO / PARCOURS MÉMORIEL BOURBAKI LES VERRIÈRES (NEUCHÂTEL)

167

PORTFOLIO / INAUGURATION D’UNE STÈLE COMMÉMORATIVE (GUERRE D’ALGÉRIE) AUX ROUSSES (JURA)

COMMÉMORER DANS LA GÊNE OU DANS L’OUBLI


174 3 176

LA COMMÉMORATION PAR SES ACTEURS

LA RENCONTRE DE LAFFREY : UNE COMMÉMORATION « D’EN BAS » ?

JEAN-PHILIPPE REY

186

L’ÉPOPÉE DE LA GRANDE COLLECTE 1914-1918 EN ARDÈCHE : LES ARCHIVES DANS LA COMMÉMORATION

CORINNE PORTE

196

LE 11 NOVEMBRE AU « TATA » DE CHASSELAY

BERNARD DELPAL

208

LES TRANSFIGURATIONS DES COMMÉMORATIONS RELATIVES AUX SAUVETAGES DE JUIFS DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE EN AUVERGNE

JULIEN BOUCHET

216

AUTOUR DE LA RAFLE DE 1943 DE L’UNIVERSITÉ DE STRASBOURG : LA POLITIQUE MÉMORIELLE DU LYCÉE BLAISE PASCAL DE CLERMONT-FERRAND

ALINE FRYSZMAN

226

LE RENOUVEAU DU FAIT COMMÉMORATIF EN 2014 DANS LE VERCORS À TRAVERS DEUX SÉQUENCES

PIERRE-LOUIS FILLET

232

« C’ÉTAIT UNE BELLE CÉRÉMONIE ! » RÉFLEXIONS D’UNE ÉLUE SUR LES POLITIQUES MÉMORIELLES DE LA VILLE DE GRENOBLE AU XXIE SIÈCLE

MARTINE JULLIAN

241

PORTFOLIO / RECONSTITUTION DE L’ÉPOPÉE NAPOLÉONIENNE À LAFFREY (ISÈRE)

249

PORTFOLIO / COMMÉMORER LES ÉVÉNEMENTS DU VERCORS AU XXIE SIÈCLE

255

PORTFOLIO / RECONSTITUTION DE LA VIE AU MAQUIS DANS LE VERCORS

261

PORTFOLIO / CÉRÉMONIES CONTEMPORAINES AU « TATA SÉNÉGALAIS » DE CHASSELAY (RHÔNE)

270 • CONCLUSION 272

RECOMPOSITIONS DU PHÉNOMÈNE COMMÉMORATIF

ANNE HERTZOG

279

PORTFOLIO / CÉRÉMONIES COMMÉMORATIVES À GRENOBLE ET EN ISÈRE (1943- 1945)

287

PORTFOLIO / INSTANTANÉS DE LA COMMÉMORATION DU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS À VALENCE



INTRODUCTION


COMMÉMORER LOIN DES FRONTS ? PHILIPPE HANUS COORDINATEUR DE L’ETHNOPÔLE « MIGRATIONS, FRONTIÈRES, MÉMOIRES » (LE CPA) RÉSEAU MÉMORHA

GILLES VERGNON MAÎTRE DE CONFÉRENCES HABILITÉ EN HISTOIRE CONTEMPORAINE, SCIENCES PO LYON / LARHRA

INTRODUCTION

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« Il y avait ce monument aux morts à inaugurer. Tout le monde avait son rôle. Les conseillers municipaux, les agents de police. Les sociétés savantes. Les fils des morts, les femmes des morts, les pères et mères des morts. Il n’y avait que les morts qui n’eussent pas de rôle, comme leur nom l’implique. Il était d’ailleurs superflu de penser aux morts : le monument était Là Pour Ça ! » Georges Hyvernaud, Le wagon à vaches, 1953

Commémorer, nous dit le dictionnaire, c’est « rappeler par une cérémonie le souvenir d’une personne ou d’un événement ». L’acte de commémorer pose ainsi la question du rapport à un passé collectif dans le rappel à soi de ce qui a disparu. Il est aussi une manière de délivrer un message à l’adresse d’un auditoire au cours d’une opération de transmission et de communication dont le monument est souvent le lieu central1. L’acte de commémorer ne consiste pas seulement en une évocation du passé, une remémoration. À travers la production d’un discours ou la mise en scène d’un geste, il utilise le passé pour esquisser, devant les membres de la société du présent, leur devenir commun et manifester ce qui les lie ensemble aujourd’hui. Les commémorations sont donc un marqueur de l’historicité, de la perception sociale du temps, tout autant qu’elles servent de fabrique identitaire2. L’histoire des commémorations ou de tout « rapport injonctif au passé » dont le « devoir de mémoire » n’est que le dernier avatar3, est aussi vieille que celle des sociétés humaines, de la Pâque juive (« Pessah ») qui perpétue le souvenir de la sortie du peuple hébreu d’Égypte, au mandement du roi Charles VII en 1450 appelant à célébrer chaque 12 août le « recouvrement de la Normandie » sur les Anglais, un des épisodes terminaux de la guerre de Cent Ans4, en passant par les grandes batailles de l’Antiquité grecque et romaine5. 1 Jean-Yves Boursier, « Le monument, la commémoration et l’écriture de l’Histoire », Socio-anthropologie [En ligne], 9 | 2001, http://journals. openedition.org/socio-anthropologie/3 2 Patrick Garcia, « Exercices de mémoire ? Les pratiques commémoratives dans la France contemporaine », Les Cahiers français, n° 303, 2001, p. 33-39. 3 Sébastien Ledoux, Le Devoir de mémoire. Une formule et son histoire, Paris, CNRS Éd., 2016 ; Johann Michel, Le devoir de mémoire, Paris, Presses Universitaires de France, 2018. 4 Franck Collard, « A-t-on commémoré Jeanne la Pucelle en son temps ? », Historiens&Géographes, 446, mai 2019, p. 55-58. 5 Jan Assmann, La mémoire culturelle : écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, Paris, Aubier, 2010 ; Anne Kubler La mémoire culturelle de la deuxième guerre punique. Approche historique d’une construction mémorielle à travers les textes de l’Antiquité, Bâle, Schwabe, 2018.

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INTRODUCTION


Avec la structuration progressive des États-nations dans l’Europe du XIXe siècle, la commémoration change d’orientation et s’adresse désormais à l’ensemble du « corps de la nation » et se trouve mêlée au « sentiment national ». Dorénavant, les politiques de mémoire ont pour objectif de consolider le groupe stato-national et ses valeurs6. À cette fin, depuis trois décennies, le calendrier commémoratif s’est considérablement alourdi en France7, ajoutant aux journées nationales, fériées ou non, créées entre 1880 et 1954 — 14 juillet (1880) ; fête nationale de Jeanne d’Arc (1920), 11 novembre (1922), 8 mai (1946), journée nationale de la déportation (1954) — une nouvelle strate de dix journées nationales, créées pour l’essentiel sous les présidences de Jacques Chirac (cinq8), François Hollande (deux9) et Emmanuel Macron (trois10). La trame commémorative française recouvre désormais d’un filet serré tous les grands conflits du e XX siècle, au premier chef les deux guerres mondiales, et les conflits de décolonisation (Indochine et Algérie), mais aussi des génocides extra-européens, arménien et rwandais, ainsi que, très récemment, les victimes des attentats terroristes de 201511. Ce quadrillage commémoratif du « court XXe siècle » ne ménage que peu de place à l’histoire antérieure, sinon l’évocation de Jeanne d’Arc, peu commémorée sauf localement12, la Révolution française, et, depuis 2006, le souvenir de l’esclavage aboli, après la traite en 1815, en 1848 dans les colonies françaises13. Il couvre en tous cas tout le pays, métropole et outre-mer, avec des intensités locales variables, et mobilise le même trépied d’acteurs, installé depuis les premières commémorations de la Grande Guerre : l’État et ses représentants (préfets, sous-préfets, Offices départementaux des anciens combattants, voire brigades de gendarmerie), les collectivités territoriales et les associations d’anciens combattants, puis de leurs héritiers, accompagnées aujourd’hui de groupes de « reconstituteurs ». Il ne s’agit là nullement d’une spécificité française, puisque d’un bout à l’autre du continent européen, la passion commémoratrice paraît effectivement plus d’actualité que jamais. Les commémorations s’enchaînent en effet à un rythme accéléré14.

6 Sylvain Antichan, Sarah Gensburger et Jeanne Teboul. « La commémoration en pratique : les lieux sociaux du rapport au passé », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 121-122, n° 3, 2016, p. 5-9. 7 À ce propos l’historien Pierre Nora a pu parler de « boulimie », d’« obsession », voire d’« acharnement » commémoratif. Pierre Nora « L’ère des commémorations », Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, vol. III, p. 4699-4706. 8 Journée nationale pour les morts d’Indochine (le 8 juin), journée commémorative de l’abolition l’esclavage (le 10 mai), « journée nationale commémorative de l’appel du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l’ennemi » (le 18 juin), journée nationale d’hommage aux Harkis (le 25 septembre), journée nationale d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et aux combats du Maroc et de la Tunisie (le 5 décembre) sans compter la requalification de la « journée nationale à la mémoire des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France (le 16 juillet). 9 Une seconde « journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » (le 19 mars), et la journée nationale de la Résistance (le 26 mai). 10 Journées commémoratives du génocide arménien (le 24 avril), du génocide des Tutsis (le 7 avril) et des victimes du terrorisme (le 11 mars), toutes décidées par décrets en 2019. Pour une analyse des politiques mémorielles, voir Sophie Hasquenoph et Serge Barcellini, Le devoir de mémoire. Histoire des politiques mémorielles, Paris, Soteca/ Le Souvenir français, 2016. 11 « Commémoration des attentats du 13-Novembre : dépôt de gerbes et minute de silence », Le Monde, 13 novembre 2019 : https:// www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/13/attentats-du-13-novembre-matinee-de-commemorations_6018972_3224.html 12 La municipalité d’Orléans organise chaque année, du 29 avril au 8 mai, des « fêtes johanniques » inscrites depuis 2018 à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel en France. 13 Jean-Luc Bonniol, « De la construction d’une mémoire historique aux figurations de la traite et de l’esclavage dans l’espace public antillais », in Jean-Luc Bonniol, Maryline Crivello (dir.), Façonner le passé. Représentations et cultures de l’histoire (XVIe-XXIe siècles), Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2017, p. 263-284. 14 Étienne François. « Commémorer en Europe », Inflexions, vol. 25, n° 1, 2014, p. 71-77.

INTRODUCTION

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Durant les deux premières décennies du XXIe siècle, l’intensification de la passion commémoratrice ne s’est pas tarie. Elle est observable à tous les niveaux, depuis l’échelon local ou régional jusqu’au niveau européen, voire mondial. À l’échelle globale, les Nations Unies et l’Unesco se posent en effet, elles aussi, en actrices d’une commémoration universelle en cours d’émergence, par l’établissement de « journées mondiales », à l’exemple de la journée du 27 janvier, date de la libération du camp d’Auschwitz, déclarée en 2005 « International Holocaust Remembrance Day ».

L’« EMPAYSAGEMENT »15 DES COMMÉMORATIONS Comment s’incarne un tel dispositif dans les douze départements de la grande région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) créée en 2015, et dans quelques territoires voisins de Franche-Comté, Provence et Suisse romande ? C’est là le questionnement à l’origine de ce livre. On ne commémore pas, à l’évidence, avec la même intensité la Grande Guerre au Chemin des Dames qu’à Montélimar (Drôme), la mémoire de l’esclavage aux Antilles qu’à Chambéry, et la bien oubliée guerre franco-allemande de 1870-1871 en Lorraine ou même en Côte-d’Or16, qu’à Clermont-Ferrand ou à Lyon. La territorialisation de l’événement, la proximité ou non de son épicentre, sont de puissants facteurs de différenciation entre régions et départements. Mais est-on si « loin des fronts ? », dans ce vaste espace étendu du Cantal au Mont-Blanc, des étangs de la Dombes au Tricastin17, frontalier avec l’Italie et la Suisse, qui agglomère des territoires aux caractéristiques et aux histoires différentes ? C’est, à l’évidence, vrai pour la Grande Guerre, où, du Puy-de-Dôme à la Haute-Savoie, nul Verdun, nulle Marne ou nulle Somme n’ont imprimé leur marque sur les espaces et les mémoires. Pas de « polémopaysages » patrimonialisés de la Grande Guerre18 en région AURA… On a pourtant commémoré le centenaire sous des formes guère différentes sans doute d’autres départements de l’arrière-front, en multipliant publications, et colloques19, « grande collecte » des services d’archives départementales20 et, bien sûr, cérémonies du 11 novembre plus fréquentées qu’à l’accoutumée21. Surtout, l’installation massive dans la région de populations d’origine arménienne fuyant le génocide organisé en 1915 par le gouvernement ottoman a multiplié, de Valence à Lyon, Villeurbanne ou Décines (Rhône) les « petites Arménies22 », qui font de la commémoration

15 Anne Hertzog, « Les paysages comme lieu de mémoire », Paysages en guerre. Paysages de guerre, Les Chemins de la mémoire (numéro hors-série), novembre 2018, p. 14-19. 16 Voir sur ce point Éric Sergent, 1870-1871, souvenirs d’une défaite. Mémoire d’une guerre en Côte d’Or, préface de Gilles Vergnon, Éditions universitaires de Dijon, 2020. 17 La région Auvergne-Rhône-Alpes est troisième par sa superficie (69 711 km2), derrière la Nouvelle-Aquitaine (84 061 km2) et l’Occitanie (72 624 km2). 18 Pour l’usage de cette notion, Anne Hertzog, « Les paysages… », art. cité. 19 Ainsi, dans l’Ardèche, « Le Vivarais dans la Grande Guerre », Revue du Vivarais, 801 et 802, 2015, dans la Drôme, La Drôme et la Grande Guerre. Un département du front de l’arrière. Actes du colloque de Valence, Lyon, Libel, 2015 ; en Savoie, cinq publications successives sur Les pays de Savoie et la Grande Guerre à l’initiative de l’université Savoie Mont Blanc et de sociétés savantes. 20 Voir dans ce volume la contribution de Corinne Porte, « L’épopée de la Grande Collecte 1914-1918 ». 21 « Drôme et Ardèche : un 11 novembre pas comme les autres », Le Dauphiné libéré, 12 novembre 2018. 22 Boris Adjémian, Les « petites Arménies » de la vallée du Rhône, Lyon, Lieux Dits, 2020.

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INTRODUCTION


SUR LA RITUALITÉ COMMÉMORATIVE PHILIPE DUJARDIN POLITOLOGUE, ANCIEN CONSEILLER SCIENTIFIQUE DE LA DIRECTION DE LA PROSPECTIVE DU GRAND LYON

INTRODUCTION

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Le propre de l’humain n’est pas de vivre dans le temps. Le propre de l’humain est d’ordonner le temps. À cet égard, le cérémoniel commémoratif offre une occasion privilégiée d’interroger les conditions d’un rapport au temps qui ne peut se soustraire à la prise en compte d’échelles de temporalité étonnamment ouvertes : celle de l’anthropologie, celle de l’histoire, celle des conjonctures du temps dit présent. Aborder la problématique commémorative sous l’angle anthropologique n’est pas se dérober aux exigences de l’interprétation des opérations qui se nouent dans notre contemporanéité. C’est, bien au contraire, en dégager un ressort premier. Premier, car il ressortit aux datations que fournissent l’archéologie et la paléoanthropologie. Il en va des conditions de l’humanisation à des époques où coexistent l’homme de Néanderthal et l’Homo sapiens. Les récents travaux menés en France dans la grotte de Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne, permettent de dater une compétence rituelle avérée à – 180 000 ans. L’homme cérémoniel sous contrainte de « théâtraliser son existence », pour reprendre la formule de Pierre Legendre, est sans aucun doute bien plus âgé encore. Mais, pour approcher notre objet d’étude, il est utile et il suffit de se rapprocher de l’Homme de Skull, dont les vestiges sont déposés au Musée Rockfeller de Jérusalem. Celui dont les restes sont exposés a fait, assurément, l’objet d’un rituel funéraire. L’âge qu’on lui prête est de 100 000 ans. C’est à une telle borne temporelle que nous pouvons rapporter, sans risque d’anachronisme, la compétence du faire-mémoire. La ritualité funéraire n’a pas seulement vocation, en effet, à distinguer les restes humains des reliefs des animaux ; elle a vocation à permettre l’évocation de cela qui fut, qui n’est plus, mais qui demeure comme effet de discours, comme effet de traces mnésiques. Première est la compétence rituelle par son extension dans le temps. Première est la compétence qui atteste du savoir-faire symbolique de l’animal parlant : mettre en mots cela qui fait défaut. Le ressort de la ritualité commémorative, on l’aura compris, ne relève pas du passé. Il relève de ce que l’on peut se permettre de désigner comme un quasi invariant, au titre des conditions mêmes de l’humanisation. Ce ressort est instituant. Cet opérateur mémoriel institue notre présent. C’est sous une telle condition anthropologique que peut être envisagée l’actualisation historique du faire-mémoire. Prenons en compte, au titre de l’historicité, l’aire culturelle dont nous relevons, soit l’aire euro nord-américaine. Celle-ci se singularise à la fois par son ordonnancement religieux du temps et par la matrice religieuse qu’elle fournit au faire-mémoire. C’est bien du Christianisme qu’a dérivé, historiquement, la possibilité de déterminer une « ère chrétienne » devenue, de fait, le mode universel d’ordonnancement calendaire du temps. Mais c’est le Judaïsme qui a fourni la matrice d’un faire-mémoire d’une particulière efficience. La matrice est attachée à la ritualité de la Pâque juive qui s’ordonne sous le motif du « Souviens-toi ! ». Mais, loin que le souvenir ait une fonction purement rétrograde, il ouvre à un futur : le souvenir d’une libération est simultanément promesse d’une nouvelle libération, promesse d’un salut messianique. C’est donc à une triplicité du rapport au temps qu’ouvre le rituel pascal. Dans le présent de l’opération rituelle un passé est convoqué-invoqué, un futur est engagé. Grammaticalement, il en va d’un oxymore, soit celui du futur antérieur. Poétiquement, on peut retenir la formule paradoxale que s’autorise un Louis Aragon, « Souvenance de l’avenir ». Quant à l’efficience de cette modélisation du rapport au temps, elle se mesure aisément. Elle se mesure à l’aune de sa reconduction dans la ritualité du faire-mémoire de la Pâque chrétienne et dans la ritualité liturgique du rituel eucharistique : le faire-mémoire est promesse de salut, promesse de vie éternelle. Mais l’efficience se mesure aussi, plus subtilement, à la reconduction séculière, laïque, d’un tel dispositif.

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INTRODUCTION


Le paradoxe s’énonce ainsi, à l’initiative de l’historien moderniste, Alain Boureau : l’entrée dans l’âge post féodal et post monarchique, suite à la guerre d’indépendance américaine, suite à la Révolution française, a pour effet d’évincer de l’espace symbolique les rituels de célébration monarchique ou princière. L’évincement opère au profit de rituels proprement commémoratifs. La ruse de l’histoire étant, ici, qu’une matrice rituelle religieuse est mise au service de sociétés promettant à leurs membres un salut profane. La cérémonie française de la Fédération, le 14 juillet 1790, peut passer, à ce titre, comme inaugurale de l’impressionnante série déroulée jusqu’à nos jours. C’est sur le fond de cette configuration anthropologique et de ces actualisations historiques que peut alors être apprécié, au plus près, le jeu de ceux qui se trouvent enrôlés dans ce type de pratiques. Le vocabulaire de l’enrôlement, employé à dessein, a vocation à suggérer que l’acteur doit être compris comme sujet actif-passif d’une œuvre dont il ne commande pas l’écriture. L’écriture prend source depuis des temps immémoriaux, ceux de l’anthropologie, s’actualise au fil des millénaires et des siècles, au fil des âges dits historiques. À quel jeu l’acteur du processus commémoratif pourra-t-il alors s’adonner ? S’il ne maîtrise que très peu la facture symbolique du rituel, il lui est loisible, dans l’espace-temps d’une conjoncture donnée, d’opérer tactiquement, voire stratégiquement. Car la cause que l’on entend honorer dans l’opération rituelle suppose mobilisation. Mobilisation de moyens humains, financiers, techniques, tels que la cause puisse être servie avec dignité, voire avec faste. Et qui dit mobilisation dit projection dans le temps, évaluation des coûts, savoir-faire dans la recherche des connivences, des alliances, des regroupements affinitaires. Qui dit mobilisation dit, tout autant, capacité à neutraliser ou à contrer l’adversité. Qui dit mobilisation dit finesse ou ruse, de telle sorte que sous le motif affiché de l’opération commémorative puissent être glissés les attendus des mobiles neufs. Ce temps-là de l’action commémorative est le temps du joueur d’échecs. Il est maître de ses coups, mais — quoiqu’il puisse être « grand maître » — il n’est pas maître de la règle à laquelle il a consenti. In fine, c’est à Pierre Legendre que l’on demandera, à nouveau, de nous aider à penser notre objet. « Objet premier » disions-nous. C’est dans l’ouvrage Le visage de la main1, que Pierre Legendre assure que « l’outil premier de la survie… est l’invention des procédures cérémonielles ». Et en amont de cet énoncé, il avait posé celui-ci : « Le Monde est un théâtre, l’homme est l’Animal cérémoniel. »

1 Pierre Legendre, Le visage de la main, Paris, Les Belles Lettres, 2019.

INTRODUCTION

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CÉRÉMONIE ORGANISÉE PAR LES RÉSISTANTS D’AUBENAS AU CIMETIÈRE DE JOANNAS. © FONDS DU MUSÉE DE LA RÉSISTANCE ET DE LA DÉPORTATION EN ARDÈCHE. ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L’ARDÈCHE, 70 J 36 39




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COMMÉMORER EN MAJESTÉ ?


LES « HAUTES AUTORITÉS » DANS LES HAUTS LIEUX: OYONNAX, MONT MOUCHET, VERCORS 2013-2014… GILLES VERGNON MAÎTRE DE CONFÉRENCES HABILITÉ EN HISTOIRE CONTEMPORAINE, SCIENCES PO LYON / LARHRA

COMMÉMORER EN MAJESTÉ ?

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Le 11 novembre 2013, François Hollande célèbre à Oyonnax le 70e anniversaire du fameux défilé des maquisards de l’Ain dans les rues de la ville ; les hommes de Romans-Petit ayant eux-mêmes voulu en 1943 affirmer la force et la discipline des maquis en commémorant l’anniversaire de l’armistice victorieux du 11 novembre 19181. Même si le président s’était déjà rendu en Corse le 4 octobre pour l’anniversaire de la libération de l’île, la « commémoration au carré » d’Oyonnax ouvrait de facto, avec quelques semaines d’avance, le double jubilé du centenaire du début de la Grande Guerre et du 70e anniversaire de la Libération de la France. Quelques mois plus tard, le président revenait dans la région pour commémorer le 9 juin 2014 la mobilisation des maquisards du Mont Mouchet, aux confins du Cantal, de la Haute-Loire et de la Lozère. De son côté, le Premier ministre, Manuel Valls se rendait à Vassieux-en-Vercors le 21 juillet pour rendre hommage au plus célèbre maquis de France. Entre-temps, le « ministre d’État », ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian s’était déplacé le 6 avril à Glières. Même si l’on exclut ce dernier déplacement pour ne retenir que ceux des deux têtes de l’Exécutif, sur neuf déplacements « régaliens » voués au 70e anniversaire de la Libération en 2013-20142, cinq l’ont été sur des territoires de concentration maquisardes, dont trois en Auvergne-Rhône-Alpes. Plus encore, si l’on soustrait de cette liste les événements « obligés » de format international comme le 6 juin à Sword Beach en présence des présidents américain et russe, de la reine Elizabeth et de seize délégations étrangères, et le 15 août à Toulon en présence de 22 délégations étrangères, voire le 25 août à Paris3, les commémorations « maquisardes » en Auvergne-Rhône-Alpes (à Oyonnax, au Mont Mouchet et à Vassieux) représentent trois sur six des commémorations restantes en présence des plus hautes autorités de l’État. Cette surreprésentation « thématique » (les maquis comme métonymie de la Résistance) et régionale mérite d’être questionnée sous plusieurs angles. D’abord sous l’angle comparatif avec d’autres anniversaires décennaux, au premier chef ceux de 1994 et 2004. Clairement, le deuxième président socialiste de la Ve République a inscrit ses pas dans ceux de son antépénultième prédécesseur, plus que dans ceux de Jacques Chirac4. Ce dernier ne s’est en effet déplacé en 2004, en sus de la Normandie et de la Provence, qu’au seul Chambon-sur-Lignon pour honorer la mémoire des « Justes5 », le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin se chargeant du Vercors, alors que la ministre de la Défense, Michelle Alliot-Marie, se rendait à Glières, et le secrétaire aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachera dans le Haut-Jura le 9 septembre. A contrario, dix ans plus tôt, en avril 1994, François Mitterrand avait salué au cimetière de Morette le maquis de Glières, « une grande action qui ne fut pas une défaite6 » et, annoncé dans le Vercors pour l’inauguration du mémorial du Vercors le 21 juillet, s’était fait remplacer pour raisons médicales par le Premier ministre Édouard Balladur. Il avait également inauguré en septembre 1993 à Besançon un monument dédié aux étrangers dans la résistance et, en octobre 1994 un monument dédié aux guérilleros espagnols à 1 Anne-Sophie Anglaret, « le président de la République à Oyonnax, un rituel entre deux guerres », Observatoire du centenaire, www.pantheonsorbonne.fr 2 4 octobre 2013 à Bastia ; 11 novembre 2013 à Oyonnax ; 6 juin 2014 à Sword Beach ; 9 juin 2014 à Tulle et au Mont Mouchet ; 10 juin 2014 à Oradour ; 21 juillet 2014 à Vassieux-en-Vercors ; 15 août 2014 en Provence ; 25 août 2014 à Paris. 3 « Invitations formats internationaux 2014 », document mission interministérielle des deux guerres mondiales, archives personnelles. 4 Pour une mise en perspective, voir notre article, « Au nom de la France. Les discours des chefs d’État sur la Résistance intérieure », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 112, octobre-décembre 2011, p. 139-152. 5 Dans le même sens, il s’était rendu à Oradour-sur-Glane le 16 juin 1999 pour inaugurer le Centre de la mémoire. 6 « Le rendez-vous inexorable de quelques centaines d’hommes », L’Essor savoyard, 15 avril 1994.

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régional de la résistance au hameau de La Matrassière31, et surtout Saint-Martin-en-Vercors (371 habitants en 2016) qui commémore pour la première fois, le 3 juillet, la proclamation du rétablissement de la République dans le Vercors et rebaptise la place principale du village, anciennement « place du Tilleul » en « place de la restauration de la République32 ». D’autres communes du Vercors-nord, longtemps peu présentes, telles Autrans ou Villard-de-Lans organisent des « randonnées autour des lieux de mémoire » (à Autrans) ou des « parcours découverte » (à Villard-de-Lans33). Les associations d’anciens résistants, ou plutôt aujourd’hui d’anciens résistants, de leurs descendants et amis sont le deuxième acteur par ordre d’importance. Au mont Mouchet, le CODURA (Comité d’union des Résistants d’Auvergne), créé en 1970 est associé à l’organisation de la cérémonie et le discours de son représentant précède celui du président de la République. À Vassieux, de même, l’Association nationale des Pionniers et combattants volontaires du Vercors (ANPCVV), créée en novembre 1944, a eu pendant des décennies la charge de la co-organisation des cérémonies avec l’État, quand une véritable sous-traitance ne lui était pas confiée. En juillet 2014 encore, c’est une équipe de l’association qui est chargée, la veille de la cérémonie, de pavoiser la nécropole et chacune des tombes, et de monter un chapiteau34. Or ce rôle est forcément remis en question par la concomitance de la baisse et du changement de nature des adhérents, parmi lesquels s’amenuisent les anciens résistants. Le CODURA est aujourd’hui présidé par Serge Godard, né en 1936, ancien maire de Clermont-Ferrand (1997-2014), et associé dans son fonctionnement aux « Cadets de la résistance d’Auvergne », créés en 1985, présidés par Jacqueline Godard (épouse du précédent…) qui essayent d’incarner une relève générationnelle35. Mais ces deux associations-sœurs semblent peiner quant à leur élargissement. Quant aux Pionniers du Vercors (279 adhérents, dont 75 vétérans du maquis en 2013), qui avaient décidé dans leur AG du 12 juin 2014 de s’auto-dissoudre au 8 mai 201536, ils décident finalement en 2017 de se pérenniser sous le nom d’« Association nationale des pionniers et combattants du Vercors, familles et amis37 ». Même volonté pour l’association des maquis de l’Ain et du Haut-Jura qui se transforme en 2015 en « Mémoire de la résistance et des maquis de l’Ain et du Haut-Jura38 ». Toujours présentes en 2019 pour les cérémonies du 75e anniversaire39, les associations issues des maquis, fortement territorialisées, tentent de se pérenniser en se transfigurant, ce qui les singularise fortement dans le paysage des autres associations d’anciens résistants, qui, pour la plupart, avaient choisi de s’auto-dissoudre au tournant du siècle, quitte à transférer leur patrimoine à la Fondation de la Résistance40. 31 « Les commémorations de l’année 2014 », La Gazette du Vercors. Bulletin de la communauté des communes du Vercors, 66, octobre décembre 2014. L’article signale la présence de « 200 participants » de toutes les générations. 32 Ibid. ; Le Dauphiné libéré, 7 juillet 2014. 33 Agenda des commémorations, manifestations et animations. Le Plateau du Vercors : terre de résistance et de combats, plaquette ONAC / Parc naturel du Vercors / Communauté de communes du massif du Vercors, 2014. 34 Le Pionnier du Vercors, 129, novembre 2014. 35 L’assemblée générale de 2019 est commune aux deux associations, La Montagne, 10 mars 2019. Merci à Françoise Fernandez pour les informations qu’elle nous a communiquées. 36 Le Pionnier du Vercors, 129, novembre 2014. 37 300 adhérents en 2018 selon le site de l’association, www.vercors-resistance.fr 38 Le Progrès, 13 octobre 2015. 39 Ainsi, dans le Vercors, le carton d’invitation aux cérémonies du 21 juillet 2019 est cosigné par la secrétaire d’État aux Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, le maire de Vassieux-en-Vercors Thomas Ottenheimer et le président des Pionniers du Vercors, Daniel Huillier. Les logos du ministère des Armées, de la commune et de l’association figurent à égalité sur le carton. 40 Pour une réflexion d’ensemble, voir Gilles Vergnon et Michèle Battesti (dir.), Les associations d’anciens résistants et la fabrique de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, Cahiers du CEHD, 28, 2006.

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Les commémorations de 2014 sont cependant marquées par l’apparition d’un troisième acteur, qui tient une place croissante à l’échelle nationale, les groupes de reconstitution « en costumes », qui se partagent entre troupes professionnelles de théâtre encadrant les habitants et groupes de « reconstituteurs » amateurs. À Oyonnax, la compagnie Vox international théâtre est missionnée par le cabinet de la présidence de la République et la municipalité pour organiser la reconstitution à grande échelle du défilé de 1943. Le dépliant publié par la municipalité annonce la « participation, en costumes, des comédiens, des chanteurs et plus de 700 acteurs locaux » en costumes d’époque, avec la participation des écoles et d’institutions culturelles locales (Conservatoire de musique, troupes de théâtre41…). La manifestation est animée par « une équipe de reportage TV anachronique » (sic), « ORTF-live », qui diffuse des images d’archives, des « interviews de complices et de spectateurs42 ». S’il n’y eut pas de « reconstituteurs » en 2014 au Mont Mouchet où la cérémonie demeure « classique » sous la houlette du préfet de Haute-Loire, du CODURA et du maire d’Auvers43, dans le Vercors, l’association « Dissidences 4444 » marque de sa présence les cérémonies préalables à la commémoration principale. À Saint-Martin-en-Vercors, éphémère « capitale » du maquis en juin-juillet 1944, l’inauguration de la « place de la restauration de la République », est illustrée par l’arrivée « en défilé » de « cinq personnes en tenue d’époque reconstituant la prise d’armes du 3 juin 194445 ». « Dissidences 44 » propose également le 19 juillet un « cheminement mémoriel » avec des « marcheurs en tenue d’époque » sur plusieurs hauts lieux des combats de 194446 et, le 20 juillet, une « exposition vivante » à Saint-Julien avec « des ateliers reconstituant la vie au maquis, un poste médical, la formation militaire, les corvées de ravitaillement, la levée des couleurs47 ». Dans le Vercors, pour la première fois à cette échelle, de nombreuses autres associations participent à cette dilatation des acteurs de la commémoration : les Amis de Jean Prévost48, l’association « base Nature Vercors49 », « L’association philatélique L’Asperge50 » et, comme en 2004, mais avec une implication plus grande, le Parc naturel régional du Vercors lui-même51. Un regard (déjà…) rétrospectif sur les cérémonies de 2014 comme sur leurs prolongements laisse apparaître que le dispositif commémoratif de la Résistance, du moins à l’échelle régionale, est à la croisée des chemins. S’il demeure « classique » encore en 2019 au mont Mouchet (est-ce du fait des difficultés d’accès, ou de la moindre notoriété du lieu ?), où les trois jeeps décorées « à l’américaine » ont été priées par les orga-

41 Oyonnax. Défilé des maquis de l’Ain et du Haut-Jura 11 novembre 1943-11 novembre 2013, dépliant, municipalité d’Oyonnax, 2013. Voir dans ce volume le texte de Florence Saint-Cyr, « La reconstitution historique du défilé des maquisards à Oyonnax ». 42 Oyonnax magazine. Le magazine d’informations de la ville d’Oyonnax, 11, second semestre 2013. 43 Courriel de Françoise Fernandez, 20 août 2019. 44 Dissidences 44 se présente comme une association « dédiée à l’histoire de la Résistance française de 1940 à 1944, qui rassemble des passionnés d’histoire et de reconstitution historique. L’association est composée de collectionneurs sérieux et motivés ayant souhaité se réunir pour travailler ensemble sur la transmission de la mémoire résistante », https://sites.google.com/site/dissidence44/notre association 45 Gilles Borel, « Il était une fois la République », Le Dauphiné libéré, 10 juillet 2014. 46 Les combats du Vercors. Apprendre, visiter et commémorer 70 ans après, plaquette, ONAC, services départementaux de la Drôme et de l’Isère, 2014 ; Drôme hebdo, 17 juillet 1944. 47 Ibid., 17 juillet 2014. 48 Projection de films, conférences, journée « Sur les pas de Jean Prévost », plaquette Les combats du Vercors, op. cit. 49 Création d’un chemin de découvertes de 5 km sur les lieux tragiques des combats de Vassieux-en-Vercors », ibid. 50 « Création d’un timbre commémoratif en mémoire des combats du Vercors », exposition à la mairie de Grenoble (juin 2014), ibid. 51 Cycle de conférences, concert, projections…, ibid.

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nisateurs de rester en retrait « sur le goudron52 », ailleurs le mitage du cérémonial classique semble bien entamé. La municipalité d’Oyonnax a ainsi organisé le 8 mai 2018, une nouvelle reconstitution par une « classe théâtre » d’un lycée de la ville53. Dans le Vercors, les cérémonies de juillet 2019, en présence de la secrétaire d’État Geneviève Darrieussecq, ont été accompagnées par une « marche commémorative » de l’association « Dissidences 44 » en tenues reconstituées du 11e Cuirassiers, une exposition d’objets sur l’esplanade du musée de Vassieux et, plus problématique, la participation aux piquets d’honneur aux côtés des portedrapeaux d’associations ou d’amicales régimentaires54. Ce mitage croissant par les « reconstituteurs », voire par des activités ludiques55, s’il n’a pas encore fait muter par hybridation, comme, à une tout autre échelle, en Normandie, le dispositif commémoratif56, pose question. Il témoigne, en tous cas, de la plasticité des commémorations et de leur investissement par toutes les formes de la modernité comme par la demande sociale. Sur cette question, comme sur toutes les autres, force est de constater que l’avenir du phénomène reste largement ouvert…

52 Courriel de Françoise Fernandez, 20 août 2019. 53 Nous remercions Florence Saint Cyr, directrice du Musée de la Résistance et de la déportation de l’Ain pour ces renseignements. 54 Voir portfolio de « Dissidences 44 » dans ce volume. 55 Il existe, depuis 2015 dans le département de l’Isère, une « course de la Résistance » chaque 8 mai (courses de 8 et 30 kms, épreuves cyclotouristes) pour « rappeler le sens historique de la date du 8 mai » et « mettre en lumière les lieux emblématiques de la Seconde Guerre mondiale en Isère », coursedelaresistance.fr, page consultée le 9 septembre 2019. Mais il existait déjà dans l’Aisne, depuis 2014 un « triathlon des Poilus » renommé en 2016 « triathlon du chemin des Dames » et en Normandie, depuis 1988, les « courants de la liberté » (Jean-Luc Leleu, « L’année 1944, le 6 juin tombait un mardi » in J-L Leleu (dir.), Le débarquement. De l’événement à l’épopée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 277-297). 56 Ibid. Voir aussi Patrick Harismendy et Erwan Le Gall, Un adieu aux armes. Destin d’objets en situation de post-guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019.

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CÉRÉMONIES D’OYONNAX EN 2013

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LE DÉFILÉ DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX FLORENCE SAINT CYR GHERARDI HISTORIENNE, RESPONSABLE DU MUSÉE DE LA RÉSISTANCE ET DE LA DÉPORTATION DE L’AIN

Le 11 novembre 2013 ont eu lieu à Oyonnax dans l’Ain, les commémorations du 70e anniversaire du défilé des maquisards en présence du président de la République François Hollande, dans la lignée de François Mitterrand pour le 50e anniversaire. Ce coup d’éclat, à la barbe des Allemands et de Vichy, médiatisé à l’époque par treize photographies transmises à Londres, par les journaux résistants Combat, Libération, Franc Tireur, Bir-Hakeim ainsi qu’un faux Nouvelliste diffusé en 25 000 exemplaires dans la région lyonnaise, mais aussi par la radio, a eu un fort retentissement. L’événement a donné un vrai visage à la Résistance et une légitimité au maquis. Il n’a cependant pas été sans conséquence puisqu’un mois plus tard, le 14 décembre 1943, en représailles, 150 hommes ont été raflés par les Allemands à Nantua et déportés. Cette rafle a été le préambule de trois autres arrestations de masse dans l’Ain et le Haut-Jura, lors des opérations militaropolicières allemandes Korporal, Frühling, Treffenfeld de février avril et juillet 1944. Ce défilé d’Oyonnax est un marqueur de la mémoire résistante dans l’Ain. À l’occasion de ce 70e anniversaire, la reconstitution du défilé dans les rues de la ville, en amont des cérémonies officielles, impliquant plus de 700 acteurs locaux, a constitué un temps fort de la commémoration. Ces photographies ont été réalisées la veille de la commémoration lors d’une dernière répétition ou le jour même des cérémonies.


CÉRÉMONIES DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX. © FONDS VILLE D’OYONNAX

CÉRÉMONIES DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX. © FONDS VILLE D’OYONNAX



CÉRÉMONIES DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX. © FONDS VILLE D’OYONNAX


CÉRÉMONIES DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX. © FONDS VILLE D’OYONNAX

CÉRÉMONIES DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX. © FONDS VILLE D’OYONNAX


CÉRÉMONIES DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX. © FONDS VILLE D’OYONNAX

CÉRÉMONIES DU 11 NOVEMBRE 2013 À OYONNAX. © FONDS VILLE D’OYONNAX



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