Couleur sépia. L'Isère et ses premiers photographes (1840-1880)

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Dès son invention en 1839, la photogr aphie a r encontré un succès public considérable, débordant vite le cadre du cénacle parisien pour toucher la pr ovince et notammen t l’Isèr e. À Grenoble, Vienne ou enc ore Voiron, se dé veloppe, sous le Second Empir e, une fl oraison d’ ateliers photogr aphiques, fréquentés par une bour geoisie aisée v enue se « f aire tirer le portrait ». Mais la photogr aphie iséroise se distingue sur tout par la pr oduction de nombr euses vues de pa ysages, réalisées pour les premiers touristes fortunés, qui se rendent à la Grande Chartreuse, à Allevard, à Uriage ou en Oisans. Riche de plus de 200 r eproductions de tirages originaux d’époque, légendées et documentées, Couleur Sépia constitue le tout premier travail d’envergure consacré aux débuts de la photographie en Isère. Un pr écieux témoignage à déc ouvrir, à la f ois livr e d’ art et ouvrage de référence.

www.editions-libel.fr 35,00 euros TTC ISBN : 978-2-917659-05-2 Dépôt légal : octobre 2009

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9 782917 659052

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Sommaire

Avant-propos

L’Isère et ses premiers photographes (1840-1880)

p. 4

i Sabelle l azier

petite histoire de la photographie en isère au xixe siècle Une révolution venue à son heure

Les débuts de la photographie, en France en général et en Isère en particulier

p. 9 p. 11

J ean -l ouiS r oux Un photographe dans l’ombre de Jongkind Amateurs, mais pas « en amateur » Conflit d’alpages : la photographie à la barre, bernard FrançoiS Photo, gravure et photogravure Les sept vies d’une photographie

Un artisanat très particulier

Les ateliers de photographie à Grenoble (1850-1879)

p. 25

r égiS b aron Peintre mais photographe, J ean -l ouiS r oux

Gustave Margain, un photographe « en grande faveur »

p. 33

r égiS b aron & J ean -l ouiS r oux

Gustave Margain, repères biographiques

Victor Muzet, un véritable auteur

p. 39

r égiS b aron

Victor Muzet, repères biographiques

Alfred Michaud, la quête du Dauphiné pittoresque

p. 43

« Les Alpes peuvent se photographier ! »

p. 49

b ernard F rançoiS

r aymond J oFFre


cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition présentée au Musée de l’ancien Évêché à grenoble Couleur sépia L’Isère et ses premiers photographes (1840-1880) Du 23 octobre 2009 au 22 mars 2010

Paysages avec fabriques

Le pittoresque, le pictural, le photographique

p. 57

J ean -l ouiS r oux Une question de point de vue

le catalogue des œuvres i Sabelle l azier , m ylène n eyret

et

c onStance c azenave

Portraits Balade à Grenoble Voyage en Isère

pour en savoir plus sur l’isère et les photographes • Répertoire des photographes et éditeurs cités • Glossaire • Index des photographes et des personnes cités • Index des lieux • Carte des lieux photographiés, P ierre -y veS c arron

• Index des sites et monuments de Grenoble • Contributions et remerciements

p. 65 p. 67 p. 89 p. 113

p. 161


Avant-propos L’Isère et ses premiers photographes (1840-1880) Isabelle Lazier

4

L’histoire des pionniers de la photographie en Isère ne s’est intéressée qu’aux professionnels ou aux amateurs qui ont exercé leur talent dans les deux dernières décennies du XIXe siècle. On se souvient de la très belle exposition Martinotto, photographes à Grenoble (1880-1950) présentée en 2002 au Musée dauphinois1. On connaît par ailleurs l’extraordinaire fonds iconographique de la Société dauphinoise d’amateurs photographes (S.D.A.P.: 25 000 négatifs réalisés entre 1890 et 1941), conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble2. Un nouvel intérêt pour le sujet s’est esquissé, en 2007, à l’occasion de la présentation de Grenoble, Visions d’une ville au Musée de l’Ancien Évêché3, exposition qui avait mis en avant les relations étroites qu’entretenaient la peinture et la photographie.

Cette simple curiosité serait restée lettre morte si Jean-Louis Roux, journaliste et écrivain, mais surtout passionné de photographie ancienne, n’avait évoqué un travail sur les premiers photographes conduit par un groupe d’érudits grenoblois dont il partageait la passion, et amorcé depuis quelques années. Les recherches étaient alors suffisamment avancées, étayées sur des sources solides pour qu’une valorisation soit envisagée. Cet ouvrage et l’exposition qu’il prolonge


est l’aboutissement de cette quête de longue haleine. Il livre un premier état des lieux qui fera date sur les débuts de la photographie en Isère (1840-1880). Merci donc à Régis Baron, Bernard François, Raymond Joffre, Gaston Magi et Jean-Louis Roux, pour la plupart membres titulaires ou associés de l’Académie delphinale, d’avoir communiqué les résultats de leurs études inédites, de les avoir transposés dans un projet collectif de publication et d’avoir participé avec enthousiasme à la préparation de l’exposition. Il est évident en effet qu’un travail culturel rétrospectif sur les débuts de la photographie ne prend réellement sens qu’à travers la réunion et la présentation de séries d’images témoignant de cette production artisanale. Le repérage de l’iconographie amorcé dans les fonds publics s’est poursuivi chez les propriétaires privés où près de mille cinq cents épreuves ont été identifiées. Il faut citer ici la collection historique constituée à Grenoble, au début du xxe siècle, par le docteur Joseph

Flandrin (1867-1942) et conservée jusqu’alors4 par son petitfils, le docteur Georges Flandrin, installé à Paris. Elle a livré une part conséquente des pièces les plus rares, notamment celles intéressant les premiers procédés photographiques.

Le choix a été fait de travailler exclusivement sur ces ensembles privés, composés d’images inédites5, réservant pour des projets à venir le patrimoine des musées et des bibliothèques. La sélection, parfois douloureuse6, s’est arrêtée sur la seule production iséroise, avec une attention particulière portée à celle des photographes grenoblois. Si des clichés sont signés d’opérateurs7 de Vienne, d’Allevard ou de Voiron, sans compter les images restées anonymes, une recherche approfondie resterait à faire sur la nébuleuse d’ateliers qui se développe en Isère, entre 1840 et 1880. Sur les deux cent quatre-vingts images présentées dans l’exposition, deux cent treize sont reproduites dans cet ouvrage. Une part essentielle intéresse la production des trois grands artistes qui ont marqué de leur empreinte le travail des générations suivantes : Gustave Margain (1826-1907), Victor Muzet (1828-après 1885) et Alfred Michaud (1828-1890). Ceux-ci ont développé leur art en réponse à la demande sociale, mais ils ont aussi véritablement exploré et inventé les innombrables voies d’expression de ce nouveau média qu’était la photographie.

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6

Il convenait de rendre compte du travail des auteurs à travers la diversité des sujets représentés et des genres photographiques. Les portraits (cinquante dont certains identifiés) sont particulièrement significatifs de la période étudiée. Ils nous plongent, des daguerréotypes aux photos-cartes, dans une frange de la société du Second Empire jusqu’ici méconnue. Les paysages (quarante-sept vues pour Grenoble et quatre-vingt-dix-sept pour l’Isère) témoignent du travail de création artistique des pionniers, de leur maîtrise technique et de leur formidable inventivité dans le regard qu’ils portent sur leur environnement.

été légendées et documentées, afin d’être situées dans un espace-temps qui leur donne sens. L’ensemble forme ainsi l’amorce d’un corpus cohérent, mais non exhaustif, auquel les historiens et les historiens de l’art pourront se référer et envisager peut-être des travaux futurs.

Un panorama de cette production s’offre à nous à travers la multiplicité des formats et des sujets traités. Grands et moyens formats, susceptibles de plaire aux touristes fortunés, intéressent les lieux pittoresques et touristiques à la mode, tandis que les vues stéréoscopiques ou les cartes album ou cartes de visite proposent une promenade dans les bourgs de l’Isère ou dans les rues de Grenoble.

que nous proposent ici ses premiers photographes. Celle-ci s’inscrit en complément de la présentation de l’œuvre photographique du marquis de Bérenger, proposée par le musée Hébert à La Tronche.

Ces photographies – dont certaines présentent un caractère artistique, documentaire ou historique exceptionnel – ont

Dans cette « géographie-photographique8 », le plus étonnant reste sans doute le rapprochement inattendu qu’opèrent ces images avec notre histoire. Jusqu’ici illustrée principalement par les peintres et les graveurs, cette période acquiert pour les non-spécialistes une nouvelle réalité. C’est donc une découverte totalement inédite de l’Isère, au milieu du xixe siècle,

1 Huss Valérie (dir), Martinotto photographes à Grenoble (1880-1950), Musée Dauphinois, Libris, 2002. 2 Bois-Delatte Marie-Françoise, « La Société dauphinoise d’Amateurs photographes », in La Pierre et l’Écrit, n°4, Grenoble, 2004. 3 Lazier Isabelle (dir.), Grenoble, Visions d’une ville. Peintures, dessins, estampes (fin xvie – début xxe s.), Musée de l’Ancien Évêché, Glénat, 2007. 4 Ce fonds a été acquis depuis par le Musée dauphinois à Grenoble. 5 Ce caractère inédit tient au statut unique de l’épreuve et non à la représentation de l’image qui par essence est multiple. 6 Il existe de somptueuses vues de Baldus, Davanne, Braun auxquelles nous avons dû renoncer ! 7 Se reporter à l’index des personnes citées pour repérer les images, page 162. 8. Expression empruntée à un texte de l’exposition permanente du Musée Nicéphore-Niepce (Chalon-sur-Saône).



Avertissement Les dimensions des photographies et documents sont exprimÊes en centimètres


Petite histoire En Isère au siècle de la PhotograPhie xix e

9


Jean-Louis Roux

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Une révolUtion venUe à son heUre

Les débuts de la photographie, en France en général et en Isère en particulier


fig.

1

anonyme Jules Ricard, pharmacien à Grenoble

une révolution venue à son heure

(vers 1848) Silhouette – 7,9 x 6

Alors que la peinture réservait le portrait à une minorité fortunée (principalement l’aristocratie), l’avènement de la photographie va permettre à une clientèle beaucoup plus vaste d’y avoir recours. En vérité, dès avant l’invention de la photographie, l’appétence du public pour le portrait était déjà largement dans l’air du temps. Au xviii e siècle, deux procédés tentaient de répondre à cette demande. Des machines à dessiner permettaient, par la projection d’une ombre portée, la réalisation de silhouettes (fig. n° 1) de profil (contour découpé aux ciseaux, ou bien tracé à l’encre). Autre procédé inventé dans la seconde moitié des années 1780, le physionotrace (fig. n° 2) possédait l’avantage, par rapport à la silhouette, d’autoriser la reproduction du portrait en plusieurs exemplaires : par projection, puis passage au pantographe, on obtenait la gravure sur plaque de cuivre d’un profil miniaturisé ; la plaque gravée permettait le tirage de plusieurs épreuves de ce profil réduit. En dépit de la raideur des portraits ainsi obtenus et de leur ressemblance aléatoire (la main de l’homme continuait d’interférer sur l’image), le physionotrace connut un large succès durant la Révolution, puis la Restauration… jusqu’à ce que la photographie entrât en scène.

11 petite histoire de la photographie en isère

1789-1839. Cinquante ans tout rond séparent ces deux dates. Cinquante ans, le temps d’un jubilé… On sait aujourd’hui que la divulgation publique soigneusement orchestrée par LouisFrançois Arago des secrets de fabrication du daguerréotype devant les Académies des Sciences et des Beaux-Arts réunies, le 19 août 1839, ne coïncide pas nécessairement avec la découverte véritable de la photographie, puisque plusieurs précurseurs avaient déjà mis au point divers procédés autrement porteurs d’avenir que l’invention de Nicéphore Niépce et Jacques-Louis-Mandé Daguerre ; on songe notamment au Britannique William Henry Fox Talbot et au Français Hippolyte Bayard. Mais qu’importe : l’invention « officielle » de la photographie survient exactement un demi-siècle après la prise de la Bastille. La photographie, conquête ultime de la Révolution française ? L’interrogation est moins saugrenue qu’il n’y paraît. Marquant institutionnellement le passage du sujet au citoyen, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme l’égalité de tous et le primat de l’individu sur la collectivité. Cette mise en avant de la personne trouvera sa traduction artistique avec le succès immédiat et prodigieux de la photographie — du portrait photographique, devrionsnous écrire. Car la photographie, à ses débuts, ce fut surtout cela : un désir frénétique de se faire tirer le portrait.


fig.

2

FouRnieR (dessinateuR), ChRétien (gRaveuR) Mademoiselle Henriette de Berckheim (fin xviiie siècle) Physionotrace – dia 6 cm

une révolution venue à son heure

H. de Berckheim épouse Augustin Périer en 1798.

petite histoire de la photographie en isère

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La photographie ouvre brusquement le marché du portrait à un large public, qui était manifestement en attente. Certes, cette démocratisation est relative. Quentin Bajac rappelle que le prix de vente d’une chambre noire daguerrienne était d’environ 300 francs, soit l’équivalent de cent journées de travail d’un ouvrier. Et André Rouillé remarque qu’il en coûtait entre 25 et 150 francs (suivant le format) pour un portrait réalisé en 1862 chez le photographe parisien Pierre Petit, et 15 francs pour obtenir chez le même une douzaine d’épreuves dudit portrait en petit format (« carte de visite »), quand le salaire journalier d’un ouvrier agricole était de 1,82 franc et celui d’un mineur de 2,50 francs. C’est dire que la fréquentation du photographe constituait un événement rare, relevant de la cérémonie. On en juge par les tenues endimanchées des modèles (les plus aisés se font photographier dans des tenues de bal somptueuses) et leurs attitudes avantageuses ou empruntées, accentuées par le temps de pose interminable, qui fige les traits jusqu’au durcissement. La solennité de la pose (répondant à des stéréotypes esthétiques immuables) est soulignée par la pompe du décor : colonnes, balustrades, mobilier cossu, tentures et draperies. Premier procédé photographique commercialisé, le daguerréotype (fig. n° 3) est une photographie sur métal, plaque de cuivre recouverte d’argent, dépourvue de négatif. Chaque

image est donc unique et, par conséquent, rare. Cet aspect précieux fut parfois souligné par une intervention manuelle du photographe, qui coloriait le daguerréotype à l’aquarelle ou à la gouache. Si les daguerréotypes de grandes dimensions (la « pleine plaque » mesure 16,5 x 21,5 cm) étaient présentés sous encadrement, ceux de tailles plus modestes bénéficiaient d’un traitement soulignant leur valeur (écrins, médaillons, boutons de vêtements) et qui les assimilaient à des bijoux. C’était sans doute là une façon de rendre le portrait photographique aussi raffiné que le portrait peint, de tenter d’élever la prosaïque photographie au rang de la noble peinture. Et si, lors d’une exposition récente au musée d’Orsay, le daguerréotype a été défini comme « un objet photographique », c’est que les premières photographies ont eu précisément ce double statut d’image (représentation immatérielle) et d’objet (chose tangible).


Contrairement donc à une idée reçue, la photographie a fait l’objet, dès la divulgation de son procédé en 1839, d’un engouement public considérable. Et cet engouement-là a relativement vite débordé le cénacle parisien, pour atteindre la province. Il faut cependant attendre une dizaine d’années, avant de voir apparaître des mentions de photographes professionnels à Grenoble. Le premier dont les historiens ont retrouvé la trace est Hippolyte Fortuné Achard, qu’un acte notarié de 1852 présente comme sculpteur et photographe. Mais nous ne connaissons rien de sa production, vraisemblablement éphémère. Sans doute, au vu de la date de son activité, était-il daguerréotypeur. Il en est de même d’Auguste Poton, dont la présence est attestée dès 1856, mais dont aucune œuvre ne nous était jusque-là parvenue. La préparation de la présente exposition a permis d’exhumer deux précieux témoignages de l’art de Poton, signés de sa main : un portrait d’un couple (cat. n° 1) réalisé à la chambre noire daguerrienne ; et un somptueux ambrotype (procédé inventé en 1854, permettant une épreuve unique sur plaque de verre sensibilisée), rarissime exemplaire sur verre ovale et bombé (cat. n° 6), portrait d’un homme — peut-être un artiste, s’il faut accorder une signification au décor de l’image (un chevalet supportant une peinture).

3

anonyme Jeune femme aux anglaises (entre 1840 et 1860) Daguerréotype colorié sous verre dans son écrin – 3,8 x 3,1

La même année que Poton, Gustave Margain commence à exercer la photographie. Connu déjà des amateurs d’art pour sa production de lithographies (il est originellement dessinateur), il s’impose très vite sur la place, devenant le portraitiste favori de la bonne société grenobloise. Il est vrai que Margain saisit d’emblée les avantages des nouvelles techniques photographiques qui commencent à s’imposer (procédé négatif-positif, tirage sur papier) ; et épouse avec intelligence la mode du portrait dit « carte de visite ». Alors que Poton pratique encore les procédés à image unique (daguerréotype, ambrotype), Margain s’en tient en effet d’entrée à cette nouvelle donne de la photographie : la reproductibilité. L’invention du négatif sur plaque de verre (à l’albumine, au collodion humide ou au collodion sec) et la mise au point du papier photographique albuminé permettent de passer de l’épreuve unique (qui était la règle, jusque-là) aux tirages multiples. Le principe du négatif (et donc de l’image multipliable à l’infini) va triompher avec le portrait « carte de visite ». Imaginée en 1851 par le photographe marseillais Louis Dodero, mais brevetée en 1854 par le photographe brestois (puis nîmois, puis parisien) André-Adolphe Disdéri, la « carte de visite » fit l’objet, du Second Empire jusqu’à la Première Guerre mondiale, d’un immense emballement. On nommait ainsi ces photo-

une révolution venue à son heure

fig.

13 petite histoire de la photographie en isère

Objet donc : objet d’amour, objet de convoitise, objet de curiosité… On peine aujourd’hui à imaginer le bouleversement considérable que ce fut, d’avoir soudain le pouvoir de fixer durablement sa propre image ou l’image de ceux qu’on aime sur un support, que l’on peut contempler à loisir. Ce basculement des habitudes mentales (voire sentimentales…) s’apparente à une véritable révolution culturelle. Prétendre que cette révolution-là fut une conséquence indirecte de la Révolution n’a, dès lors, rien de déplacé. Produit d’une époque prodigieusement inventive en avancées technologiques et économiques (c’est dans la France de Louis-Philippe et de Napoléon III, que se développent aussi le chemin de fer et le bateau à vapeur, les routes nationales et les Messageries maritimes, la télégraphie et l’urbanisme moderne, les sociétés anonymes et le Crédit foncier), la photographie vient répondre à la nouvelle donne idéologique : celle du rêve démocratique. Elle assoit, avec un moyen d’expression de son temps, la victoire de l’individu : une technique moderne au service d’un idéal moderne. La photographie « révèle » (au sens photographique du terme) le triomphe de la bourgeoisie exhibant sa réussite politique et sociale. Le portrait photographique, c’est alors l’image pieuse d’un pays tentant de devenir laïc.


Si Margain se taille donc une réputation enviable dans le domaine de la « carte de visite », d’autres professionnels grenoblois se spécialisent, eux, dans le portrait photographique colorié à la main. C’est le cas d’Hubert Baudon, inscrivant derrière ses épreuves un audacieux « H. Baudon, peintre à Grenoble »,

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1 | Un photographe dans l’ombre de Jongkind

petite histoire de la photographie en isère

une révolution venue à son heure

graphies de petites dimensions, car elles avaient le même format qu’un bristol et que les gens se les offraient mutuellement comme on échange sa carte. Ces dimensions réduites et le procédé utilisé (une chambre noire à plusieurs objectifs, permettant d’intégrer jusqu’à huit clichés sur un seul négatif) font baisser le coût des tirages, vulgarisant d’autant le recours au portrait. (Enfin, une variante populaire et bon marché de la « carte de visite » sera le ferrotype, épreuve directe obtenue sur une plaque de fer noircie, réalisé sur les foires par des photographes ambulants. Ces derniers utilisent des chambres munies de six à dix-huit objectifs, autorisant la réalisation d’épreuves de petit format — notamment les « photos boutons », portraits de taille minuscule montés sur des cartons au format d’une « carte de visite ».)

Fils de Joséphine Fesser, compagne du peintre Jongkind, Jules Fesser (1851-1925) s’est initié à la photographie dès avant la guerre de 1870, grâce à l’un de ses parents à Château-Thierry. En 1872, il rejoint le château de Pupetières, où il remplace son père Alexandre au poste de cuisiner dudit château. Il pratique déjà la photographie en amateur éclairé, ainsi qu’en témoignent quelques tirages de cette période (vue du château, portraits de Jongkind, etc.). En 1878, il s’installe à la villa « Beauséjour », à La Côte-Saint-André, où il s’aménage un atelier photographique. Il semble qu’à compter de cette date, la photographie soit devenue pour lui une activité semi-professionnelle (il était aussi agent d’assurances). Il produira surtout des portraits « carte de visite », mais encore quelques rares paysages. Après 1891 (année des décès de Jongkind et de Joséphine Fesser, laquelle était la légataire universelle du peintre), il cesse apparemment son activité photographique. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES • AUFFRET François, Jongkind (1819-1891), biographie illustrée, Maisonneuve & Larose, 2004. • FOURNIER Louis, Virieu en Dauphiné, autoédition, 2001.

• MOREAU-NÉLATON Étienne, Jongkind raconté par lui-même, Laurens, 1918. • ROUSSIER François, Johan Barthold Jongkind, 1819-1891, musée Mainssieux, 1997. • SPILLEMAECKER Chantal (dir.), Jongkind, des Pays-Bas au Dauphiné, Libel, 2009.

et dont Henri Ferrand insinue avec malice qu’il « abusait de l’immense supériorité que lui donnait l’habitude de la palette pour colorier ses portraits et livrer à la clientèle des œuvres multicolores ». La vogue de la « carte de visite » sera en tous les cas décisive, dans le développement des ateliers photographiques en Isère. Régis Baron a établi qu’en 1869, onze photographes professionnels avaient pignon sur rue à Grenoble. Mais le cheflieu du département n’a déjà plus le monopole des établissements photographiques. Durant le Second Empire, Gauthier impose durablement son nom à Vienne ; à Voiron, Verchère (qui se déclare « Peintre, Photographe ») et Cottin (dont l’atelier sera repris par le Grenoblois Jouve, lequel en fera sa succursale) tentent l’aventure, bientôt rejoints par Desgranges. À partir de la IIIe République, le raz-de-marée atteindra la plupart des communes du département, y compris les plus imprévisibles : La Côte-Saint-André, avec Jules Fesser (voir encadré 1) ; Mens, avec Léon Bard ; voire plus tardivement Saint-Pierre-de-Bressieux, avec Paul Roux. Et l’on repère même, phénomène plutôt rare pour l’époque, des femmes exerçant professionnellement la photographie, comme Anne-Henriette Lapouge (veuve du photographe Victor Lapouge) à Grenoble, ou une dame Rozier (associée à ses fils), dont on relève la présence à Grenoble, puis à Vienne. Quant aux stations thermales d’Uriage et d’Allevard, elles ont bien entendu leur propre kiosque photographique, ouvert durant la saison touristique… Le tourisme, précisément : on sait ce que les Alpes lui doivent, et ce qu’il doit aux Alpes. L’Isère ne fait pas exception. Dès le xixe siècle, les curistes fréquentent donc ces villes d’eaux que sont Uriage et Allevard, les pèlerins font leurs dévotions au monastère de la Grande Chartreuse ou au sanctuaire de La Salette, les excursionnistes se mesurent du regard aux cimes de Belledonne et de l’Oisans, tandis que ces touristes un peu particuliers que sont les militaires en garnison séjournent longuement à Grenoble. Toutes ces populations de passage, aisées pour la plupart, ne dédaignent pas d’ajouter à leur bagage quelque souvenir de leurs visites. Cela fait d’abord le bonheur des artistes, qui multiplient les albums de gravures et de lithographies. Mais ce sera surtout, à partir de la deuxième moitié des années 1850, l’avènement de la photographie iséroise de paysage. Si ce genre photographique est d’abord l’apanage d’amateurs éclairés (voir encadré 2), les premiers professionnels à s’en soucier sont, le plus souvent, des photographes parisiens, qui effectuent des campagnes de prises de vue dans toute la France…


tient (en association) un kiosque photographique ; les frères Auguste et Louis Lumière, alors âgés de 18 et 16 ans, y séjournent en 1880 et effectuent quelques clichés ; mais le grand artisan du développement thermal d’Allevard n’est autre que le docteur Bernard Niépce, cousin au troisième degré de l’admirable Nicéphore.

phie (voir encadré 3). Au cours de ses quelques mois d’installation présumée en Isère, Godard aura le temps de réaliser d’excellentes prises de vue de Grenoble et d’Uriage. Après

une révolution venue à son heure

Au reste, il semble que le premier photographe paysagiste à avoir tenté de faire carrière en Isère ait été un photographe venu d’ailleurs. Un faisceau d’indices laisse effectivement à penser qu’Adolphe Godard a essayé durant quelques mois de s’implanter à Grenoble. Il y est parvenu suffisamment, d’ailleurs, pour que la mairie d’Huez fasse appel à lui en 1856, dans ce qui est sans doute historiquement l’une des toutes premières expertises judiciaires au moyen de la photogra-

Dès les années 1849-1850, il s’adonne à la nouvelle technique, « probablement pour pousser aussi loin que possible ses explorations des phénomènes de la lumière », avance Nathalie Lebrun. Cela en ferait historiquement l’un des tout premiers peintres français à avoir pratiqué la photographie.

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2 | Amateurs, mais pas « en amateur » En Isère (comme partout ailleurs, du reste), les premiers à pratiquer la photographie de paysage furent des amateurs, suffisamment fortunés pour avoir le loisir et les moyens de s’adonner à cette nouvelle passion, alors très complexe à mettre en œuvre. Nous en sommes encore à la pratique redoutable du calotype, tout premier procédé négatif-positif (négatif sur papier et tirage sur papier salé), aux effets esthétiques indéniables, mais aux défauts techniques (un certain flou) condamnant cette technique à rester entre les seules mains des amateurs. Le plus connu de ces amateurs est le marquis Raymond de Bérenger, seigneur de Sassenage. Ce dernier adhère à la Société française de photographie en 1855, obtient une récompense à l’Exposition universelle de 1867 et expose à Paris, Londres, Amsterdam et Bruxelles. S’il faut en croire Hélène Bocard, les critiques de l’époque ont reproché à Bérenger ses faiblesses techniques, mais louaient son regard raffiné. De fait, ses clichés montrent une grande intelligence du médium photographique, un refus de l’anecdote et du pittoresque, une sensibilité aux textures et aux matières, une audace remarquable quant aux cadrages : décentrement, vide insistant du premier plan, etc. Pour autant, Bérenger fut, semble-t-il, précédé par François-Auguste Ravier, le peintre pré-impressionniste de Crémieu et Morestel.

Le troisième de ces primitifs est l’ingénieur grenoblois Félix Teynard, qui voyage en Égypte et en Nubie entre 1851 et 1852. Il en rapporte cent soixante calotypes, qu’il publie entre 1853 et 1858. Cette expérience unique (on ne lui connaît aucune autre œuvre photographique) s’avère remarquable en tout point. Ses clichés ne recherchent pas la précision documentaire : l’un des premiers en photographie, il s’intéresse aux vestiges égyptiens pour leur seule beauté formelle, leur poésie ruiniste et le contraste troublant entre l’ombre et la lumière. Osons l’écrire : avec Teynard, l’Isère a vraisemblablement donné le jour à son plus brillant photographe.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES • BOCARD Hélène, « Le marquis de Bérenger et les débuts de la photographie », conférence prononcée au musée Hébert, La Tronche, 12 octobre 2007. • BOCARD Hélène, HUAULT-NESME Laurence, L’aristocrate et la chambre noire Raymond de Bérenger, marquis de Sassenage, Musée Hébert, 2009.

• JAMMES Marie-Thérèse et André, En Égypte au temps de Flaubert, 1839-1860, les premiers photographes, Kodak-Pathé, sans date, circa 1975. • LEBRUN Nathalie (dir.), Turner Ravier, lumières partagées, aquarelles, maison Ravier, 2007. • LEMOINE Serge et TOMASINI Olivier (dir.), Vues d’architectures, photographies des xixe et xve siècles, RMN et musée de Grenoble, 2002.

petite histoire de la photographie en isère

Le premier d’entre eux est Noël-Marie Paymal Lerebours, dont l’ouvrage Excursions daguerriennes (1840-1843) comporte une vue de Grenoble et une autre du château de Vizille, gravures réalisées d’après des daguerréotypes. Mais le plus fameux de ces photographes extérieurs reste évidemment Édouard Baldus, lequel opère en Dauphiné notamment dans les années 1853-1854 ; on connaît de lui des clichés du Grésivaudan, d’Allevard, de Sassenage, de Voreppe, de Saint-Antoine, de Pont-en-Royans (vue dont Gustave Doré s’inspirera pour un dessin, publié dans Le Tour du Monde en décembre 1860), ainsi qu’une série sur Vienne (dont plusieurs clichés consacrés au tunnel ferroviaire). Moins illustres sans doute, mais opérateurs chevronnés, Adolphe Braun et Alphonse Davanne produisent à leur tour de nombreux clichés du Dauphiné, qu’ils diffuseront abondamment. Pour la petite histoire, on signalera enfin les liens anecdotiques que la station d’Allevard noue au xixe siècle avec les grands noms de la photographie : Nadar y vient régulièrement en villégiature ; Disdéri y


une révolution venue à son heure

quoi il ouvrira un établissement photographique à Gênes et assurera la couverture photographique de la Campagne d’Italie en 1859. Si la tentative supposée de Godard reste donc sans lendemain, du moins donne-t-elle des idées à quelques photographes locaux, qui se hasardent, dès lors, à sortir de leurs ateliers et à oser la prise de vue en plein air. L’audace ne leur faisait pas défaut…

petite histoire de la photographie en isère

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Car la photographie de paysage, en ces temps-là, relève de l’expédition. Chambres noires, trépieds, plaques de verre, laboratoire ambulant, flacons de substances chimiques : tout cela doit impérativement accompagner l’opérateur, qu’il se déplace à deux kilomètres ou à cinq cents. Ajoutons que les appareils photographiques sont en bois massif, que les plaques de verre sont lourdes, que les négatifs doivent être traités obligatoirement dès la prise de vue, que les produits utilisés sont sensibles au gel comme à l’évaporation, etc. La chronique rapporte que l’Anglais Linnaeus Tripe, pour sa campagne photographique à Madras (1857-1858) utilise quatre chars à bœufs affectés au transport de son matériel photographique ; que, pour son « reportage » photographique en Amérique du Sud (1858-1860), le Français Désiré Charnay transporte avec lui plus de quatre cents kilos dudit matériel ; et que, pour la première exploration photographique de l’Himalaya (1864), l’Anglais Sa-

3 | Conflit d’alpages : la photo appelée à la barre ! Une longue procédure contentieuse était engagée, depuis les années 1850, entre la commune d’Huez et des habitants d’Oz concernant la propriété d’alpages dans les montagnes de l’Alpette (Oisans). Après un rapport d’experts défavorable, l’avocat d’Huez, Me Richard, proposa alors de faire photographier les accidents de terrains invoqués par la commune comme limites de ses pâturages. En juillet 1856, il se rendit sur les lieux avec le photographe Poton de Grenoble1, mais l’opération échoua. Un autre photographe, M. Godard, s’étant proposé, une seconde tentative eut lieu en août. Me Richard en fit le récit suivant2 : « Mr Godard, un aide et moi, nous rendîmes sur la montagne d’Huez […] Nous fîmes le voyage et nos opérations en trois jours […]. Je pourvus pendant toute la durée du voyage et des opérations à toutes les dépenses et déboursés. Mr Godard fit sur les lieux une vingtaine de vues stéréoscopiques qu’il me livra plus tard

fig.

4

anonyme Autoportrait d’un photographe (avant 1880) Carte de visite – 9,2 x 5,6

muel Bourne se fait accompagner de quarante-deux porteurs chargés d’acheminer son équipement photographique. Ces exemples-là, évidemment, sont extrêmes. Mais Henri Ferrand se souvient d’avoir vu, en 1862, le photographe du Bourgd’Oisans Alfred Michaud charger deux mulets de son matériel photographique, afin d’effectuer ses prises de vue en extérieur. Encore Ferrand précise-t-il que Michaud s’était efforcé de restreindre l’encombrement de son équipement, ayant « réduit à l’état de laboratoire portatif les ingrédients alors nécessaires au collodionnage et à la sensibilisation sur place ». Il convient donc de conserver en mémoire, lorsqu’on contemple une photographie de paysage du xixe siècle, que cette

image représente souvent des prouesses non seulement techniques, mais physiques. Que ladite image, par surcroît, puisse être belle en est, du coup, miraculeux. À ce jeu, ils sont trois Isérois à s’en être sortis avec les honneurs. Ces trois-là, nous les avons nommés « les trois M », puisque le hasard a

et qui sont au pouvoir de Me Louis Michal [autre avocat]. Je les lui ai payées 80 francs et un stéréoscope 8 francs. J’ai payé les journées du mulet et du muletier une douzaine de francs, et j’ai pourvu à leur nourriture sur la montagne, ainsi qu’à la notre. » Le jugement du 23 mars 1861 reconnaîtra en grande partie le bien-fondé des prétentions d’Huez, sans toutefois faire allusion aux photographies. L’opiniâtreté de Me Richard se justifiait donc. Les vues stéréoscopiques de 1856 existent-t-elles encore, classées quelque part dans un dossier d’archives ? Ces prises de vues de montagne, in situ, dans le seul but d’apporter des éléments d’appréciation à la justice, étaient véritablement innovantes et les photographes Poton et Godard peuvent être considérés comme de véritables précurseurs des techniques modernes d’investigations judiciaires où la photographie joue un rôle de premier plan. Bernard François 1 Poton (Auguste), demeurant 14 place Grenette à Grenoble, est cité comme « daguerréotypeur » en 1856. 2 ADI 2 O 191/4


petite histoire de la photographie en isère

17

une révolution venue à son heure


Tableau de la photographie au xix e siècle

4 | Photo, gravure et photogravure

en France en général et en Isère en particulier

18

Avant la généralisation des procédés photomécaniques, la reproduction de la photographie (pour l’édition ou la presse) était, sinon impossible, du moins malaisée. Différents subterfuges furent imaginés pour y remédier. On eut par exemple longtemps recours à des graveurs, chargés d’interpréter (plus ou moins fidèlement) les clichés fournis par les photographes. En témoigne cet article du journal L’Illustration, consacré à la dernière grande inondation de Grenoble, qui eut lieu entre le 2 et le 5 novembre 1859. L’article est illustré de deux gravures sur bois (fig. 7), plutôt conformes à leurs modèles photographiques (des vues stéréoscopiques (fig. n° 5 et 6) de Victor Muzet) ; sauf que le graveur s’est autorisé l’adjonction de personnages en situations plus ou moins périlleuses, afin d’ajouter une dose de drame et de pathétisme à des images… originellement exemptes de toute présence humaine. On imagina même l’insertion directe de photographies originales dans les livres ou les revues. Ainsi, dans les années 1870, les premiers annuaires de la section iséroise du Club alpin français et de la Société des touristes du Dauphiné étaient parfois illustrés de tirages photographiques. Mais le procédé n’était envisageable que pour des publications éditées à un nombre d’exemplaires restreint ; et encore cela n’allait-il pas sans des travaux de façonnage laborieux. Toute l’histoire de la photographie, dans les années 1850-1880, est secouée par l’apparition plus ou moins fugitive de procédés de reproduction photomécaniques : photolithographie, photoglyptie, héliotypie, phototypie, etc. La photogravure viendra mettre un point final, pour longtemps, à cette quête. Entre 1874 et 1878, le photographe isérois Alfred Michaud participa à cette recherche. Il parvint à des résultats honorables, mais ne réussit jamais à développer son projet. On ne sait rien, en revanche, de la technique exacte qu’il avait mis au point : il n’a laissé aucune description de son procédé ; et les termes, parfois contradictoires, qu’il emploie pour le désigner varient au fil du temps : il parle couramment de « photogravure » (donc gravure en relief), mais utilise aussi les expressions « épreuve photolithographiée » et « tirage lithographique » (donc gravure à plat)…

fig.

5

fig.

6

viCtoR muzet Inondation de Grenoble, du 2 au 5 novembre 1859 : le quai Perrière

viCtoR muzet Inondation de Grenoble, du 2 au 5 novembre 1859 : le quai Stéphane-Jay

(novembre 1859) Vue stéréoscopique - 6,4 x 13,1

(novembre 1859) Vue stéréoscopique - 5,7 x 13,

fig.

7

Débordement de l’Isère à Grenoble, d’après des photographies de M. Irvoy L’Illustration, journal universel, n°873, 19 novembre 1859, p. 357 Gravures sur bois : le quai Perrière et le quai Napoléon (actuel quai Stéphane Jay)


Reste que la photographie de paysage n’allait pas sans risques — notamment financiers. Si l’on connaît peu de choses du train de vie des ateliers isérois de ces années-là (encore qu’on sache, par une photographie du Grenoblois RostaingBiéchy (fig. 6, p. 31), que l’atelier de ce dernier s’apparentait à un hôtel particulier fort cossu), du moins a-t-on en mémoire que les établissements photographiques les plus prestigieux de Paris ne furent pas à l’abri d’une faillite retentissante, à l’instar de Le Gray, Nadar, Disdéri ou Mayer & Pierson. Encore sont-ce là des ateliers principalement spécialisés dans le portrait, c’est-à-dire opérant à la demande du client. Le paysage, lui, se révèle autrement périlleux, puisqu’il s’agit d’investir dans un travail photographique de longue haleine, sans avoir la moindre certitude quant au bénéfice qu’on en tirera. Force est de constater que nos « trois M » se confronteront à l’écueil financier. Margain trouvera la parade en s’associant à un autre photographe : d’abord à Muzet, puis à Joseph Jager. Muzet, lui, après son association avec Margain,

Muzet et Michaud ne se féliciteront guère de leur recours à des financiers. L’association entre Muzet et Bajat se termine en 1861 devant le tribunal de Commerce, lequel déclare Bajat (le financier) seul propriétaire des clichés de Muzet (le photographe) ! Une mésaventure semblable se produit pour Michaud : assigné par Charpenay devant le même tribunal en 1879, Michaud (le photographe) est condamné à céder ses propres clichés à Charpenay (le financier)… Si Bajat continue par la suite à commercialiser les photos de Muzet (ainsi que certaines de Margain et de Godard), du moins a-t-il l’élégance de ne pas gratter la signature du photographe sur le négatif. Il en va autrement pour Charpenay, qui a exploité abondamment les photographies de Michaud. Dans une notice nécrologique (Les Alpes illustrées du 10 décembre 1892) concernant le décès du père d’Eugène Charpenay, ce dernier est prudemment présenté comme « l’éditeur bien connu des célèbres vues du Dauphiné et de la Savoie ». Par la suite, il se montre moins honnête, signant les clichés de Michaud d’une mention « E. C. » évasive, puis en les créditant d’une formule « Photo Charpenay », aussi tonitruante qu’usurpée. Si bien que la légende a perduré jusqu’à nos jours que le maire de La Tronche était un photographe émérite, alors qu’il n’est pas même prouvé que ledit Charpenay ait réalisé personnellement une seule

une révolution venue à son heure

fait appel à un marchand d’art, Claude-Auguste Bajat, qui lui fournit les fonds nécessaires (Bajat édite aussi les photographies iséroises de Godard). Après l’échec de cette expérience et une courte période en solitaire, Muzet s’installera à Lyon, où il s’associera à un autre collègue, Gabriel Joguet. Quant à Michaud, s’il exerce d’abord la photographie par ses seuls moyens (son activité principale de pharmacien au Bourgd’Oisans lui permet de subvenir à ses besoins), dès lors qu’il s’installe à Grenoble et se consacre entièrement à la photographie, la question financière se pose également à lui : il s’associe alors à Eugène Charpenay, négociant en soieries (et futur maire de La Tronche).

19 petite histoire de la photographie en isère

fait que leur patronyme, à tous trois, commence par cette lettre-là de l’alphabet. Il s’agit de Gustave Margain, de Victor Muzet et d’Alfred Michaud, lesquels produiront des centaines de vues de paysages, commercialisées sous des présentations multiples, dont la préférée des amateurs est alors la vue stéréoscopique. Deux clichés simultanés, au cadrage très légèrement décalé, sont juxtaposés sur un carton de format oblong ; glissée dans un appareil binoculaire, cette vue stéréoscopique propose une saisissante expérience de vision en trois dimensions. Le public, d’ailleurs, ne s’y trompa pas, qui plébiscita massivement le procédé, dans les dernières décennies du xixe siècle — voire largement au-delà. Néanmoins, d’autres présentations étaient bien sûr proposées par les photographes paysagistes, de la modeste « carte de visite » aux luxueuses épreuves de grand format. (Rappelons qu’à cette époque, l’agrandisseur n’existait pas encore et que les épreuves étaient donc tirées par contact direct : pour obtenir par exemple un tirage de 25 x 35 cm, il était nécessaire d’utiliser une chambre photographique suffisamment grande pour contenir un négatif sur plaque de verre de la même dimension. On imagine le poids et l’encombrement…). Les paysagistes mettaient aussi à la vente des épreuves réunies en albums. Ils exploitaient enfin les droits de leurs images, pour publication dans la presse ou l’édition (voir encadré 4) ; ce qui a parfois donné lieu à de véritables sagas iconographiques (voir encadré 5).


fig.

8

Radeaux de bois sur l’Isère Gravure sur bois – 7 x 11,5 Extrait de Adolphe Joanne, Dauphiné et Savoie, 4 édition, Collection des guides-Joanne – guides Diamant, Paris, Librairie Hachette, 1879, p. 49 fig.

9

gustave maRgain, Joseph-auguste JageR Grenoble : le quai de la Graille, les radeaux sur l’Isère et la porte Créqui (entre 1866 et 1870) Moyen format – 7,7 x 14,6 fig.

10

hubeRt sattLeR (1817-1904), pseudonyme : L. R itsChaRd La Porte Créqui à Grenoble Huile sur bois, avant 1904 Collection particulière fig.

11

ChaRLes beRtieR (1860-1924) Grenoble et les Alpes roses Huile sur toile, 1879 Grenoble, Musée Dauphinois

20

5 | Les sept vies d’une photographie Postérité d’un cliché… Réalisée par Gustave Margain et Joseph Jager avant 1870, cette photographie de Grenoble montre les radeaux de troncs de sapins de Chartreuse, descendant par flottage l’Isère et le Rhône, pour fournir en mâts les chantiers navals de l’arsenal de Toulon (fig. n° 9). L’image a frappé les esprits ; elle n’en finit pas de réapparaître. Elle sert de modèle à une gravure sur bois, reproduite dans plusieurs ouvrages, notamment d’Adolphe Joanne : la Géographie du département de l’Isère (1870) et le Guide Diamant Dauphiné et Savoie de 1879 (fig. n° 8). Après la séparation de Margain et Jager, le photographe grenoblois Eugène Léon récupère le négatif et commercialise de nouveaux tirages sous son nom. Plus tard, le cliché est édité en carte postale. Et dans leur Histoire illustrée des rues de Grenoble (Grenoble, Baratier, 1893), Henry Rousset et Édouard Brichet publient l’image, la légendant ainsi : « Le quai de la Graille et la porte Créqui en 1867 ». Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car plusieurs peintres s’inspireront ouvertement de cette œuvre. C’est le cas du miniaturiste autrichien

Hubert Sattler, dont La Porte Créqui à Grenoble (avant 1904) copie servilement la photographie, se contentant de la mettre en couleur ; et du Grenoblois Charles Bertier, dont Grenoble et les Alpes roses (1879) fait preuve de davantage de personnalité (fig. n° 10 et 11). Est-ce tout ? Non pas. Avant d’exercer la photographie, Margain était dessinateur lithographe ; on lui doit l’estampe Grenoble, vue prise de l’abattoir, qui préfigure ce cliché. Et une autre lithographie du même, Grenoble, vue prise du pont de pierre, montre l’un des fameux radeaux traversant la ville. Margain a-t-il emprunté à ses aînés ? Les similitudes sont troublantes avec Grenoble, la porte Créqui (années 1830), huile sur toile d’Alexandre Debelle ; ou avec Vue de Grenoble depuis le quai de la Graille (1841), aquarelle de Bache. Sans compter qu’il arrive encore de croiser la photographie de Margain et Jager dans des publications récentes, mais sous des signatures fantaisistes (notamment celle d’Henri Ferrand). C’est sans début ni fin…


petite histoire de la photographie en isère

21

une révolution venue à son heure


une révolution venue à son heure petite histoire de la photographie en isère

22

photographie de sa vie ! On admettra que, depuis lors, la notion de droits d’auteur a accompli quelques progrès… Le scrupule invite néanmoins à préciser que toute l’histoire de la photographie du xixe siècle se trouve traversée par de telles pratiques, la plus notable concernant la vingtaine de photographes américains (dont Timothy O’Sullivan) chargés de couvrir la guerre de Sécession (1861-1865) et embauchés à cet effet par le photographe Mathew Brady, lequel publia finalement les images de ces vingt photographes sous sa seule signature — mais du moins Brady savait-il manier un appareil photo ! Cependant, les agissements troubles de Charpenay nous entraînent déjà dans les ultimes années du xixe siècle. La photographie, alors, a changé de nature… En 1888, George Eastman a lancé sur le marché le « Kodak n° 1 », l’un des tout premiers

appareils portables destinés aux amateurs. Dans ces mêmes années, le procédé au gélatino-bromure d’argent (ancêtre de la photographie argentique) permet enfin des négatifs prêts à l’emploi, des temps de pose véritablement instantanés… et l’abandon du trépied. À Grenoble, les ateliers de photographes se multiplient ; toutes les communes iséroises de quelque importance possèdent désormais les leurs ; et le département se taille une réputation internationale sur le marché de la photographie : les papeteries BFK de Rives, qui ont entamé la fabrication du papier photographique vers 1850, s’imposent en effet durablement comme leaders mondiaux dans ce domaine à partir des années 1880. C’en est fini de l’âge d’or des précurseurs et des pionniers : naguère cantonnée à l’artisanat, voire à l’art, la photographie entre désormais dans son ère industrielle. Mais c’est là une autre histoire. Nous vous la conterons peut-être un jour — photos à l’appui.


fig.

12

International exhibition, Philadelphie, septembre 1876 Prix du Papier photographique à Blanchet Frères et Kléber, papeterie BFK de Rives Diplôme cartonné – 39,8 x 57,5

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e

23 petite histoire de la photographie en isère

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une révolution venue à son heure

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES


R é g i s b a Ro n

38

viCtor MUzet Un véritable auteur


fig.

1

viCtoR muzet, gabRieL Joguet Vue de Grenoble prise depuis la montée du Rabot (vers 1864) Grand format – 31,2 x 39,3

victor muzet

Ce point de vue original du nord-est de la cité souligne la topographie de la ville, déployée le long de la rivière et séparée des montagnes de Belledonne par la vallée de l’Isère.

comme d’ « une des villes les plus tristes et les plus sombres du département de l’Isère », avec des « maisons aussi laides qu’insalubres »1. C’est très probablement là que Muzet fait la connaissance, vers 1853-1855, d’un dessinateur de lithographies de paysages, Gustave Margain, qui y réside aussi. Ce dernier ouvre un atelier de photographie à Grenoble, en 1856, Muzet devient son associé vers 1858-1859 et ils commencent tous deux à produire des vues de paysages.

Né à Vizille en 1828, Victor Muzet est le fils d’un tisserand qui, après avoir été employé dans l’industrie textile locale, ouvre un atelier d’horloger à Grenoble, dans les années 1830. Si Muzet n’est pas issu du monde artistique comme nombre de photographes à cette époque (anciens dessinateurs en lithographie, peintres de miniatures, de genre, de tableaux religieux), il n’en est pas moins ouvert à l’usage des instruments d’optique que vendent les horlogers et dispose d’une ouverture évidente vers les appareils photographiques et leurs objectifs. Il s’installe à son tour, vers 1850, comme horloger à Vizille, petite ville très active et centre industriel d’importance (textile, papeterie, fonderie…), même si Adolphe Joanne, le créateur des célèbres guides, en parle, en 1862,

La période grenobloise de Muzet se caractérise par une forte spécialisation dans la photographie de paysage, d’abord avec Margain, puis avec Bajat au sein de la Société Photographique du Dauphiné et de la Savoie (S.P.D.S.) et enfin seul, de 1861 à 1863. Cet itinéraire est exceptionnel, car l’immense majorité des photographes vivent alors avant tout de leur activité de portraitistes, pratiquée dans un atelier où ils reçoivent leur clientèle. D’atelier, Muzet n’en dispose pas et attendra son arrivée à Lyon, à la fin de 1863, pour en ouvrir un. Ce n’est qu’à partir de ce moment qu’il pratique le portrait et s’associe très vite avec Gabriel Joguet, sans doute pour avoir le temps d’effectuer ses vues en extérieur. En 1871-1872, il inscrit encore au dos de ses épreuves « spécialité : paysage et agrandissement ».

dE GRENOBLE à LyON

39 petite histoire de la photographie en isère

Parmi les photographes professionnels isérois qui ont exercé entre 1850 et 1880, Victor Muzet (1828–après 1885) occupe une place à part. Spécialisé dans la photographie de paysage, il est en effet le seul dont le rayonnement va très vite dépasser le département, obtenant la reconnaissance des institutions artistiques comme des expositions industrielles. Il quittera assez vite Grenoble pour s’établir à Lyon, puis à Marseille, revenant malgré tout dans la région pour réaliser de nouveaux clichés.


voyages. Napoléon Maisonville, l’éditeur de la S.P.D.S., est à l’origine de plusieurs articles publiés, de 1859 à 1861, dans sa Revue des Alpes3, vantant les mérites des photographies de la S.P.D.S. !

fig.

2

victor muzet petite histoire de la photographie en isère

3

viCtoR muzet, gabRieL Joguet , pieRRe meyniaC Corps village en allant à la Salette

(entre 1867 et 1870) Vue stéréoscopique – 8 x 14,7

(1868) Vue stéréoscopique - 8 x 14,6

On distingue le clocher de l’église construite en 1867.

40

fig.

viCtoR muzet, gabRieL Joguet Vue générale prise de la plaine, Allevard

fig.

4

viCtoR muzet, gabRieL Joguet Forges d’Allevard (1864 - 1870) Vue stéréoscopique – 8,2 x 14,5

L’usine de Pomine, en rive droite du Bréda, fabrique, depuis 1854, des ressorts plats pour les véhicules ferroviaires (on en voit posés le long de la façade).

Cette voie originale implique la recherche d’une clientèle plus nationale que locale, car la production de Muzet concerne surtout des lieux touristiques en plein développement : stations thermales d’Uriage et d’Allevard, vallée de Chamonix et sites religieux de la Grande Chartreuse et de la Salette. Il se trouve avant tout « là où ça se passe », y compris parfois pour couvrir l’actualité (inondations de novembre 1859 à Grenoble (cf. p. 18), vues de la Savoie juste après son rattachement à la France en 1860, reportage sur l’exposition de Lyon, en 1872, etc.). À Lyon, en 1863, et à Marseille, en 1874, il s’établit au cœur des nouveaux quartiers nés de la révolution urbaine en cours, dans les deux plus grandes villes françaises après Paris. L’une est riche de son industrie de la soie, l’autre est le premier port de l’Europe continentale. Afin d’être plus encore dans le courant de la modernité, Muzet participe à des expositions industrielles, au premier rang desquelles Londres, en 1862, et Paris, en 1867, qui marque l’apogée du Second Empire avec ses 50 000 exposants et ses dix millions de visiteurs2. Il y obtient, avec Joguet, une médaille de bronze, à l’instar d’Étienne Carjat, le photographe portraitiste de l’intelligentsia parisienne, ou de Charles Marville dont les vues témoignent des transformations urbaines de Paris. Muzet bénéficie également d’une médiatisation dans la presse et les livres de

Il en est de même dans des ouvrages tels que celui d’Achille Raverat4, toujours édités chez Maisonville. Il existe heureusement d’autres auteurs, moins suspects de complaisance, qui ont évoqué les vues de Muzet. Le plus important d’entre eux est Adolphe Joanne qui écrit, en décembre 1860, dans Le Tour du Monde : « Les belles photographies de M. Baldus, de Paris, et de M.M. Muzet et Bajat, de Grenoble, ont produit des résultats aussi heureux pour les contrées qu’elles reproduisent que pour leurs habiles et consciencieux éditeurs. » 5

LE tRAvAIL dE L’ARtIStE Parmi les œuvres produites par Muzet et Margain, il est difficile de déterminer la part de chacun des artistes dans le processus de création. Toutefois, il apparaît évident que Margain a utilisé son expérience et sa sensibilité de dessinateur de lithographies, du début des années 1850, pour privilégier les éléments arborés et aquatiques, tant à Grenoble que dans les environs de la Grande Chartreuse (cat n° 149). Sous influence, le regard de Muzet va évoluer dans ses représentations urbaines, saisies de manière plus directe, comme en témoigne par exemple cette vue de grand format prise depuis la montée du Rabot (fig n° 1), où le regard plonge directement dans la rivière pour mieux rebondir sur les quais et les maisons de l’autre rive.


Victor Muzet a été un photographe ouvert sur son temps, qui a su accompagner diverses facettes du décollage économique français dans les Alpes et au-delà dans le grand Sud-Est. Au début des années 1860, il a surtout œuvré dans la « photographie de voyage »9 (le paysage touristique) où il a apporté

une touche personnelle. Il n’a d’ailleurs pas été le seul sur ce créneau : parmi d’autres, Adolphe Braun, de Mulhouse, a fait de cette spécialité un des leviers pour construire une grande firme photographique dont les opérateurs ont sillonné toute la moitié est de la France, la Suisse, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas… Leur production, travail collectif et normatif, ne peut toutefois se comparer à l’œuvre d’un homme dont les épreuves connues laissent entrevoir, derrière le « faiseur de vues »10, un véritable auteur. On peut regretter que la reconnaissance immédiate qu’il a reçue pour son œuvre ait été suivie d’une longue période d’oubli. 1 « Itinéraire descriptif et historique du Dauphiné » Collection des guides Joanne. Librairie Hachette (1862). 2 Chevalier Michel, Exposition Universelle de Paris. Rapports du jury international (Paris,1868). 3 La Revue des Alpes : 29 oct.1859, 2 juin.1860, 1er sept. 1860, 29 déc. 1860, 5 janv. 1861. 4 Raverat Achille, À travers le Dauphiné. Voyage pittoresque et artistique, Éditions Maisonville, 1861. 5 « Excursions dans le Dauphiné » in Le Tour du Monde, Librairie Hachette, n° 50,1860. 6 La Société Française de Photographie, fondée en 1854, regroupe l’élite de la photographie de l’époque, avec des préoccupations aussi bien scientifiques qu’artistiques. Elle organise ses propres expositions et publie la revue La Lumière. 7 « Les artistes dauphinois au Salon de 1863 » in Petite Bibliothèque Historique et Littéraire du Dauphiné, Montélimar Bourron éditeur, novembre 1863. 8 Jugement du Tribunal de Commerce de Grenoble du 14 juin 1861. 9 Mention figurant au dos de certains tirages commercialisés par Joguet et ses fils après 1870. 10 Expression employée, dans un sens péjoratif, par Rodolphe Topffer, en 1834, à propos des dessinateurs de vues touristiques de la Suisse. Cité dans La Photographie en Suisse, page 41.

victor muzet, repère biographiques 1828 (17 février) : naissance à Vizille.

cm), petits formats, vues stéréoscopiques.

(77, place de l’Impératrice : place des

Vers 1850 – 1858 : horloger à Vizille

Médaille donnée par Napoléon III, en

Jacobins), associé à Gabriel Joguet, atelier

1859 : travaille comme photographe avec

septembre 1860, pour les vues de la vallée

de photographes portraitistes, vues de

Gustave Margain à Grenoble

de Chamonix.

paysages et œuvres d’art photographiées,

(photographies de paysages de grand

Mars 1861 – fin 1863 : exerce seul à

médaille de bronze à l’Exposition Univer-

format (35 x 26 cm), vues stéréoscopiques).

Grenoble comme photographe paysagiste.

selle de Paris en 1867.

Novembre 1859 – février 1860 : associé

Participation à de nombreuses exposi-

1870- 1873 : exerce encore à Lyon, réalise un

avec Gustave Margain et Claude-Auguste

tions : Société Française de Photographie

reportage sur l’Exposition de Lyon en 1872.

Bajat au sein de la Société Photographique

à Paris, Société Marseillaise de Photogra-

1874 – vers 1884 : s’établit à Marseille, avec

du Dauphiné, Maisonville et Fils éditeurs.

phie et Nantes (médaille d’or) en 1861,

deux ateliers successifs (rue Saint Férréol

Mars 1860 – mars 1861 : association à deux,

Exposition Universelle de Londres en 1862,

puis quai du port).

avec Bajat, dans la Société Photographique

Salon des Beaux Arts de Paris, Photogra-

du Dauphiné et de la Savoie. Muzet photo-

phic Society à Londres et Union des Arts à

graphie et Bajat investit financièrement

Marseille en 1863.

(vues de grand format (39 x 33 cm, 35 x 26

Fin 1863 – 1870 : s’installe à Lyon

victor muzet

Son œuvre obtient la reconnaissance de la Société Française de Photographie6 (S.F.P.) et de l’Académie des Beaux-Arts. Ses épreuves sont exposées à la 4e exposition de la S.F.P., en 1861, et au Salon de 1863, organisé par l’Académie, dans la section Photographie. Elles se voient là honorées d’une récompense de première classe. Victor Advielle écrit à cette occasion : « Il tient à peu de chose aujourd’hui que les épreuves photographiques de M. Muzet, qui sont merveilleuses d’exécution, ne soient bientôt connues, comme celles des frères Bisson, dans toutes les parties du monde. » 7 Les grandes photographies prises par Muzet durant son association avec Bajat (1860-1861) restent la propriété de ce dernier après la dissolution de leur société8 et des tirages seront commercialisés par Bajat après cette date. Il en est de même des épreuves réalisées par Muzet, lors de son association avec Joguet (1864-1870), suite à un accord entre eux. Elles seront vendues par Joguet et ses fils sous leur nom, après 1870.

Le droit d’auteur n’est pas alors ce qui prime dans la législation ou dans les accords commerciaux entre photographes. Certaines des médailles obtenues par Muzet constitueront encore une « réclame » pour les fils de Joguet, vers 1895 !

41 petite histoire de la photographie en isère

Au cours des années 1860, il aborde dans certaines de ses œuvres d’autres thématiques, en décalage par rapport à la représentation habituelle des sites touristiques. C’est le cas de cette vue prise près d’Allevard avec des paysans dans leurs champs (fig n° 2) ou de l’intérieur du village de Corps (fig. n° 3) avec des personnes attendant la voiture publique. Il devient ici un précurseur de la photographie à visée ethnographique de la fin du siècle, voire des reportages sur la vie quotidienne. Il utilise surtout à cette fin le format des vues stéréoscopiques, lequel est plus apte à représenter des scènes quasi instantanées.


R ay m o n d J o F F R e

48

« les alPes PeUvent se PhotograPhier ! »


(vers 1878) Moyen format – 9,8 x 14,1

Planche extraite de l’annuaire de la Société des Touristes du Dauphiné, n°5 (1879). Le refuge a été construit, en 1877, par la S.T.D.

fig.

2

gustave maRgain, Joseph-auguste JageR Les trois pics de Belledonne vus depuis le col de Freydane

« les alpes peuvent se photographier ! »

1

FeRdinand Rostaing Refuge du lac de La Farre, massif des Grandes Rousses

(entre 1866 et 1878) Format album – 9,5 x 14,6 fig.

3

gustave maRgain, Joseph-auguste JageR Le Grand lac du pic du Doménon (entre 1867 et 1878) Moyen format – 10,3 x 15,4

Cette déclaration entonnée en chœur par Daniel DollfusAusset, alpiniste, et Camille Bernabé, photographe lyonnais, donne le coup d’envoi de la photographie de montagne. En effet, dans les pas de Dollfus qui réussit l’ascension du Scheuchzerhorn (3 456 m) dans les Alpes valaisannes, en août 1850, Bernabé réalise des clichés du sommet. Pour la première fois, on a pu « fixer d’une manière absolue leur image [les Alpes] sur du papier »1. Cette performance avait bien sûr un but scientifique, celui « de fixer l’image actuelle de ces masses de glace mouvantes et de les comparer à ce qu’elles seront dans l’avenir ». En France, les études et les expositions concernant la photographie de montagne s’étaient, jusqu’alors, surtout intéressées au massif du Mont-Blanc. Bisson réalisa, en 1861, après plusieurs échecs, trois photos au sommet du mont Blanc. La

49

presse de l’époque en salua immédiatement le succès, sans vraiment mesurer à quel point les risques d’échouer dans de telles entreprises étaient grands. L’alpinisme et la photographie en étaient en effet à leurs balbutiements. Si l’on considère, avec les spécialistes de l’histoire de l’alpinisme, que l’âge d’or de la conquête alpine démarre en 1850, la photo est alors prête à en enregistrer progressivement toutes les péripéties et à les transmettre à un large public. De plus, dans cette époque riche en innovations, la création des voies ferrées, qui réduisent les délais de voyage, contribue à accélérer le développement du tourisme, dont la photo sera, là aussi, le témoin. Désormais, l’homme devient capable de reconnaître les sites, d’identifier les massifs dans un monde dont il peut voir, enregistrer et étudier les modifications, comme en témoigne l’exposition universelle de 1855, à Paris, sur les Champs-Élysées. Celle-ci fera une large place aux photographies de paysage et de montagne.

petite histoire de la photographie en isère

fig.


petite histoire de la photographie en isère

50 « les alpes peuvent se photographier ! »


fig.

4

anonyme, attRibuabLe à g ustave m aRgain et J oseph -a uguste J ageR Alpinistes sur les bords du Grand lac du Pic du Doménon, Belledonne (avant 1874) Moyen format – 17,1 x 23,7

fig.

5

anonyme, attRibuabLe à g ustave m aRgain et J oseph -a uguste J ageR Alpinistes au sommet de la Croix de Belledonne (avant 1874) Moyen format – 23,2 x 17,7

51

nature grandiose, en un mot, revit tout entière dans cette admirable collection, œuvre de MM. Muzet et Bajat… » Parmi les premiers qui s’aventurent dans les hautes vallées de l’Oisans (Muzet y passe entre 1861 et 1863), il faut citer le pharmacien-photographe unijambiste de Bourg-d’Oisans, Alfred Michaud3. Il sera d’ailleurs l’un des premiers adhérents avec Jager de la Société des Touristes du Dauphiné (S.T.D.) Du Bourg, il se dirige à Venosc et grimpe jusqu’au lac de Lovitel (ou Lauvitel), puis atteint Saint-Christophe, la Bérarde et remonte le vallon des Étançons pour faire certainement la première photo4 de la face sud de la Meije. Ses images marquent une étape importante dans la conquête photographique des sommets. Dans cette lignée, Joseph-Auguste Jager est lui aussi un véritable photographe-alpiniste (il semble d’ailleurs avoir été commissaire de courses au Club alpin français). Principal collaborateur de Margain, il fera école. Nous possédons deux précieuses images signées Margain & Jager d’une excursion à la Croix de Belledonne, sans doute prises avant 1874. Sur l’une, les alpinistes arrivent au

petite histoire de la photographie en isère

En Isère, les ateliers vont se développer rapidement, entre 1852 et 1860. Si l’on se réfère aux ouvrages de l’époque et aux articles de revue, pour trouver trace du travail des photographes paysagistes de montagne, les informations restent lacunaires. Henry Ferrand2 mentionne plusieurs professionnels : Poton, Mérienne, Léon, Margain, Jager… en oubliant Victor Muzet dont on connaît pourtant la production. Associé de Margain, Muzet est cité par C.-J. Mallein dans La Revue des Alpes, du 29 octobre, pour la qualité de son travail et « le choix et le soin des points de vue des paysages destinés à faire connaître au loin notre splendide pays et à rappeler le souvenir des régions explorées. » Et de conclure sur l’avenir de la photographie en termes concrets : « Des soirées de stéréoscopie convaincront les spectateurs de visiter les lieux présentés. Le tourisme naissant y trouvera son compte en montrant les lieux et paysages à visiter. Les touristes et montagnards auront le plaisir de revoir les régions parcourues et même les exploits réalisés. » La Revue des Alpes, du 26 mai 1860, revient sur le travail des Grenoblois: « MM. Muzet et Bajat viennent d’enrichir leur collection d’une belle série de photographies du Mont-Blanc, d’Aix et de Chambéry. Nous n’hésitons pas à dire que les vues rapportées de Chamonix par Muzet […] peuvent soutenir la comparaison avec ce qui a été fait de mieux. » Il faut cependant observer que dans cette production, mises à part les vues de Bisson, les sommets apparaissent certes en gros plan, mais vus d’en bas. Le baron Achille Raverat, témoin de son temps, n’en dit, en 1861, pas autre chose : « Je ne quitterai pas ces vallées de l’Oisans sans rappeler à mes lecteurs que les photographies Maisonville complètent mes descriptions de la manière la plus heureuse. Ces âpres rochers, ces glaciers étincelants, ces cascades magnifiques, ces eaux vives et transparentes, ces fuyants aux tons si fins, ces perspectives si vaporeuses, cette

« les alpes peuvent se photographier ! »

LES PROFESSIONNELS SONt LES PRÉCURSEURS


fig.

6

anonyme Pêcheur au lac du Lauvitel (Oisans) Format album – 14,5 x 9,8

« les alpes peuvent se photographier ! »

réalise, entre 1859 et 1868, un véritable diorama des Alpes, composé de six cents grandes vues prises de Nice à l’Autriche. Dans le sillage de ces figures d’exception, le développement de la photo alpine démarre dans notre département, en 1873, autour d’un amateur éclairé, alpiniste et photographe, Henry Duhamel.

petite histoire de la photographie en isère

52

lac du pic du Grand Doménon (fig n° 4) et sur l’autre, ils ont atteint le sommet (fig n° 5). Ce sont, à ce jour, les plus anciennes images connues de cette ascension, réalisées par un professionnel. On ne peut oublier cependant que des vues ont été prises, dans le même temps, par des amateurs. Celles-ci témoignent aussi de la part prise par ces derniers dans le développement du genre.

LES AmAtEURS SONt LES PIONNIERS Arthur Raymann5 affirme, en 1912, que Richard-Béranger6 aurait, dès 1856, exécuté des positifs ou négatifs sur papier ciré d’après le procédé Le Gray. Si un travail de recherche reste à faire pour mieux connaître sa production, on peut, sur la foi de Raymann, affirmer que ce fondateur de la section Isère du C.A.F. est un véritable précurseur de la photographie de montagne. Engouement ou mode, d’autres auteurs se passionnent pour cet exercice, comme Aimé Civiale qui

Sa passion pour les Alpes du Dauphiné l’entraîne dans tous les massifs et particulièrement autour de La Meije, dont il espère effectuer la première ascension. Il se constitue à cet effet des albums sur les sommets environnants. Son activité intense nous est parvenue sous forme de récits illustrés de clichés inédits. Les premières photos datent vraisemblablement de 1874, celle de la chaîne de la Meije est parue dans l’Annuaire du C.A.F., en 1875, sous le titre : Vue prise du Rocher de l’Aigle. Dans son deuxième album, des annotations manuscrites (de sa main ?) légendent et datent des vues prises de la face sud de la Meije, en 1875, deux ans avant sa conquête par Boileau de Castelnau et son guide Gaspard. Dans le Bulletin n°2 du C.A.F., paru en 1878, on trouve une illustration collée, non signée mais attribuable à Duhamel, d’un panorama des montagnes des environs de la Bérarde, pris depuis la Brèche de la Meije. Une légende numérotée permet d’identifier précisément les sommets. Dans le même esprit, on retrouve dans l’Annuaire de la S.T.D., de 1879, un autre panorama du glacier de la Pilatte pris du rocher de Lancula (3538 m). Henry Duhamel écrira, en 1878, dans le bulletin du CAF, à propos de ses images : « Je ferai remarquer avant tout le grand avantage que peut tirer l’alpinisme de ces photographies prises par les touristes. Elles permettent, avec l’aide d’une carte, de reconstituer un figuré exact du terrain dans un cabinet de travail. Avec elles, il est possible de se tracer avec une précision presque complète un projet de voyage si compliqué qu’il soit. »


fig.

7

anonyme Alpinistes sur le glacier de la Meije (1881) Moyen format – 19,8 x 13,4

de 7 000 photos7) a permis de reconnaître, d’identifier et de nommer les sommets : pic Coolidge, pointe Gaspard, couloir Zgismondy, pic Lamartine, les pointes Brevoort, de Castelnau, Thorant, Maximin…) et a contribué à établir une cartographie de ces terres d’altitude longtemps restées terra incognita.

EN QUêtE dU mEILLEUR ! Les pionniers, regroupés dans les clubs de montagne, s’efforcent de multiplier et de conjuguer les réalisations individuelles et d’opérer des avancées dans la technique des prises de vue. Sur ce point, Paul Guillemin écrit, en 1875, sur l’expérience de Georges Devin qui utilise l’appareil des frères Bisson : « Le Dauphiné est notre bien. […] Un de nos premiers soins doit être de photographier ses principaux sites, et de faire pour ainsi dire le portrait de ses montagnes et de ses glaciers […] Les collections […] ne donnent que les vallées et les petites montagnes. Il nous faut de la neige et des rochers. Il faut que tous nos touristes rapportent de leurs excursions des albums de vues nouvelles. L’exemple de M. Georges Devin doit être suivi par tous […] M. Devin n’avait jamais fait de photographie avant de partir cette année pour le Dauphiné. » Guillemin, séduit par ce travail, propose même d’insérer dans l’ouvrage La Meije dans l’image, comme première vue photographique connue de la montagne, celle de Georges Devin8. Dans l’Annuaire du C.A.F., de 1875, figurent des gravures reproduites à partir de photos : sur sept illustrations, cinq sont de Devin, une de Michaud et une de Duhamel, qui utilisait le même appareil. On lit dans le bulletin du C.A.F., n° 4 de 1875, que Georges Devin a fait, lors de la réunion du 9 décembre, un récit du plus haut intérêt de ses tentatives d’ascension à la Meije et au Pelvoux, accompagné de projections photographiques à la lumière électrique, qui seront reproduites dans l’Annuaire de 1875.

« les alpes peuvent se photographier ! »

Au centre de la photo, entre les deux guides, se trouve Henry Duhamel.

53 petite histoire de la photographie en isère

Des cinq albums réalisés par Duhamel, trois nous sont parvenus. Les photos qui s’égrènent au cours du temps témoignent de la découverte progressive de la montagne et de l’ascension des sommets. Le premier (1873) concerne Belledonne et on distingue un Duhamel jeune et plein de fougue ; le second (1874-1877) est entièrement consacré à la Meije, « mitraillée » sous toutes ses faces. Apparaissent aussi des panoramiques de la Croix de Chamrousse, des pics de Belledonne, des arêtes de la Meije, du glacier de la Meije (face sud) vu de la Tête de la Maye et bien d’autres encore. Enfin le troisième (1880) réunit des photos de touristes en visite en Valgaudemar et en Queyras. Grâce à une maîtrise technique exceptionnelle de l’opérateur, ces vues figent des scènes animées, alors que la prise de vue instantanée n’en est qu’à ses débuts. Celles du Rif du Sap, de Saint-Véran, du Mont-Jalla et du banquet des alpinistes à Prémol sont aujourd’hui des témoignages irremplaçables. Son fonds d’images qui intéresse l’Oisans (plus


fig.

8

anonyme Chalet-refuge de la S.T.D., au bord du lac du Cos (massif des Sept-Laux) (vers 1875) Moyen format – 12,2 x 17,1

« les alpes peuvent se photographier ! »

Ce refuge a été construit en 1875.

petite histoire de la photographie en isère

54

Pour sa part, Paul Guillemin, durant sa campagne de 1878, intitulée Bivouacs dans les Alpes françaises, utilise au cours de l’ascension du Grand Pic de la Meije le Micromégas9 d’Hermagis de Paris : « Mes glaces étaient préparées par le procédé Kennett10, (procédé gélatino-bromuré) le plus sûr jusqu’à ce jour… » C’était, en fait, le photographe haut-alpin Jacques Garcin11 (50, rue Childebert, à Lyon) qui avait été le premier à mettre en œuvre le procédé Kennett. Dans le Bulletin trimestriel du C.A.F., de 1879, il est rapporté qu’au cours des deux conférences sur le Dauphiné et la Savoie, on a admiré les belles vues photographiques des collections de MM. H. Duhamel et P. Guillemin, rapportées de leurs excursions, même de la cime de la Meije… Le souci de ces alpinistes-photographes n’est pas tant de se mettre en scène, mais plutôt de donner une idée de montagne accessible en créant, pour la première fois, des cartes comportant des itinéraires précis, vérifiés et validés. Arthur Raymann12 précisera : « Où mieux que sur une photographie, témoin fidèle et exact, peut-on se rendre compte d’un itinéraire à suivre ? »

UN OUtIL AU SERvICE dE LA CONNAISSANCE Si les photographes professionnels ont joué un rôle primordial dans le développement du tourisme de montagne, la plupart d’entre eux n’iront pas en altitude en raison du poids des appareils et de la difficulté des ascensions. En revanche, ils prépareront par leurs recherches et leur expérience le terrain pour les alpinistes-photographes. Ceux-ci13 ont contribué, en Dauphiné comme dans les Alpes en général, à défricher des contrées inconnues. Ils ont gravi des sommets jusque-là inaccessibles et identifié des passages entre les vallées. Les

photos qu’ils nous ont laissées sont le témoignage d’une vision objective de la montagne qui, aujourd’hui, permet de jalonner l’histoire de cette prodigieuse aventure. Certes, leurs aînés avaient déjà clarifié les itinéraires de découverte en les dessinant (Brockedon, Bonney), mais leur représentation ne traduisait pas l’observation exacte du paysage réclamée par les nouveaux alpinistes qui vont s’engager sur les traces des pionniers des Alpes. Henri Vallot soulignera en 1909 : « le parti que peuvent tirer par leurs propres moyens, les alpinistes, de leurs photographies, pour la mise en place et la détermination des altitudes approximatives des points principaux de régions alpines mal connues. » Effectivement, ces alpinistes-photographes contribueront à la connaissance approfondie de la montagne ; désormais les sommets sont nommés, identifiés, répertoriés et des cotes d’altitude leur sont attribuées. Adolphe Joanne bénéficiera de leurs apports dans la rédaction de ses guides, mais aussi W.A.B. Coolidge, Félix Perrin et Henry Duhamel, qui auront à leur disposition tous les éléments pour publier, en 1887, leur célèbre Guide du Haut-Dauphiné et inciter ainsi les alpinistes à partir à l’assaut des Alpes. 1 Bulletin de la Section Vosgienne du Club Alpin Français, n°5, 1896. Et dans la Revue alpine de 1896, sous la signature de Gustave Dollfus. 2 Ferrand Henri, La photographie à Grenoble, Brotel, Grenoble, 1904. 3 Voir l’article de Bernard François. 4 Catalogue d’Alfred Michaud daté de 1870 et réunissant 244 vues dont la face sud de la Meije. 5 Raymann Arthur, Évolution de l’alpinisme dans les Alpes françaises, Imprimerie Léon Aubert, Grenoble, 1912. 6 Catalogue de l’exposition alpine de Grenoble (1892), n°104. Richard-Béranger était conseiller général et membre fondateur du C.A.F. de l’Isère. 7 Robert Perret, page 142. L’œuvre scientifique du Club alpin français, Paris, 1936. 8 Bâtonnier du Barreau de Paris, auteur de la première tentative française d’ascension de la Meije en juillet 1875 avec ses deux guides chamoniards : Alexandre Tournier et Henri Devouassoud. Il a fait aussi la quatrième de la Barre des Ecrins en août 1875. Il était l’un des 138 membres fondateurs du C.A.F., en 1874. 9 Cet appareil était utilisé par M.J. Berger, secrétaire général de la section de Lyon du C.A.F., lors du deuxième congrès du C.A.F., tenu à Grenoble le 12, 13 et 14 août 1877. 10 Le procédé Richard Kennett avait été découvert à peu près à la même époque par Gariod de Bourgoin qui l’avait appelé le procédé Odagir anagramme de Gariod Henry ! 11 Originaire des Hautes-Alpes, il est connu pour ses photographies du Queyras… 12 Ibidem, p. 2. 13 Henry Ferrand écrira : « Il serait impossible de suivre […] les rapides progrès que l’alpinisme fit faire à la photographie ; l’un guidant l’autre… »


fig.

9

henRi FeRRand Le père Ferrand et son guide au sommet du Grand-Veymont (Vercors) Vers 1880 Format album – 9,7 x 14,3

• Archives départementales des Hautes-

• Duhamel Henry, Albums de photogra-

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• Raymann Arthur, Évolution de l’alpinisme

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de 1875 à 1880.

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nuaires de 1875 à 1880.

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Guillemin Paul et Salvador de Quatrefages,

par la rédaction du Dauphiné-Journal,

Explorations dans les Alpes briançonnaises,

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Lyon, 1878.

55 petite histoire de la photographie en isère

REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUES

« les alpes peuvent se photographier ! »

Henri Ferrand, ami de Paul Guillemin, co-fondateur de la section Isère du C.A.F. en 1874, membre actif de la S.T.D. fondée en 1875, est aussi un amateurphotographe.



LE CATALOGUE L’Isère et ses premiers photographes (1840-1880) DES ŒUVRES

65


Portraits

1|Auguste Poton Portrait d’un couple (vers 1857) Daguerréotype sous verre – 8,7 x 6,7

Inscription manuscrite à l’encre noire sur le carton de dos du daguerréotype : « Agste Poton place Grenette 14 à Grenoble »


le catalogue des Ĺ“uvres

67

portraits


2|Anonyme François-Xavier Roux (1829-1896) (fin des années 1850 -début des années 1860) Daguerréotype sous verre –7,4 x 6,2

Propriétaire terrien à SaintMarcellin, il a été adjoint au maire de sa commune puis conseiller municipal.

3|Anonyme Catherine Jayet, épouse Bérard, mère de Jean-Baptiste Bérard

portraits

Début des années 1840 Daguerréotype sous verre – 6,4 x 5,2

le catalogue des œuvres

68

Diodore Rahoult rapporte dans son journal le second mariage puis le décès de Jean-Baptiste Bérard, en 1837. Si l’on suppose que ce dernier est mort jeune (entre 30 et 40 ans), le portrait de Catherine, sa mère (environ 60 ans), pourrait avoir été réalisé dans la première moitié des années 1840.

4|Anonyme Jules Bérard (1816-1889) et sa sœur Estelle (1818-1908) (début des années 1840) Daguerréotype encadré sous verre – 9,3 x 7,3

Jules et Estelle sont les petitsenfants de Catherine Jayet (recherche généalogique réalisée par Georges Flandrin).

5|Anonyme Militaire avec épée et shako Ambrotype encadré sous verre – 10,3 x 7,5

Sans doute un officier d’artillerie du Second Empire (1852-1870).


À souligner l’excellente qualité de l’épreuve qui reste un siècle et demi après sa prise de vue parfaitement lisible et contrastée, ainsi que la bonne conservation du tirage collé sur verre et du cadre caractéristique des séries réalisées sous le Second Empire.

69 le catalogue des œuvres

(vers 1857) Ambrotype sur verre ovale bombé sous verre – 13,3 x 10,4

portraits

6|Auguste Poton Portrait en médaillon (d’un artiste ?)


7|Anonyme Mélanie Blanc, épouse de Victor Blanchet (vers 1850) Négatif sur papier (calotype) et tirage sur papier salé – 14,3 x 10,8

Victor Blanchet est le co-fondateur des papeteries de Rives qui ont eu comme spécialité la fabrication du papier albuminé pour la photographie. Avant que ce procédé ne soit développé (après 1850), on utilisait un papier salé dont les épreuves sont beaucoup plus rares.

8|Anonyme Le père Gaspard

portraits

(fin des années 1870) Format album – 14,3 x 9,6

le catalogue des œuvres

70

Né à Saint-Christophe-en-Oisans, il effectue, en juillet 1877, la première ascension de la Meije aux côtés de Boileau de Castelnau. Il en tirera le surnom de « Gaspard de la Meije ».

9|Anonyme Eustache Bernard, artiste grenoblois (1836-1909) (1880 ?) Ferrotype - 9 x 6,5

S’agit-il d’une photo préparatoire à un tableau ? Cet antéchrist en robe de bure semble désigner la fin des temps devant une toile peinte figurant l’éruption du Vésuve sur l’antique Herculanum.


le catalogue des Ĺ“uvres

71

portraits


40|JeAn-bAPtiste Jouve Garçonnet en costume Vichy (entre 1867 et 1876) Carte de visite – 9,3 x 5,7

86

41|ChArles d’hérou Petite fille accoudée (entre 1868 et 1880) Carte de visite – 9,3 x 5,9

Petite fille posant probablement en robe d’écolière, ses cheveux sont retenus par une résille.


le catalogue des Ĺ“uvres

87

portraits


Balade À Grenoble 42|viCtor muzet La citadelle, le pont suspendu et le quartier Saint-Laurent (entre 1861 et 1863) Grand format – 26,5 x 35,5

Une vue prise depuis les berges de l’Isère à l’Ile-Verte, au pied des murs de la citadelle militaire. En arrière-plan, dans un voile de brume, les falaises des Trois Pucelles et du Moucherotte dont le relief est souligné par les langues de neige. Ce point de vue, très romantique, a été peint pour la première fois par Isidore Dagnan en 1829.


le catalogue des Ĺ“uvres

89

balade Ă grenoble


le catalogue des Ĺ“uvres

90 balade Ă grenoble


43|gustAve mArgAin, viCtor muzet L’Isère et le quartier Saint-Laurent 1858 – 1859 Grand format – 24,5 x 35

1858 – 1859 Grand format – 24,9 x 34,9

Ce paysage marque depuis le début du xixe siècle les représentations de la ville : rivière, pont, clocher et montagne. Le rendu laiteux des eaux de l’Isère est lié au temps de pose de l’appareil qui ne convient pas aux personnages ou aux éléments en mouvement qui disparaissent dans une sorte de flou. Sur la berge, à gauche, l’assistant du photographe sert à donner l’échelle.

45|viCtor muzet L’Isère, la citadelle et la tour de l’Ile (vers 1861) Grand format – 25,6 x 33,5

Une vue inédite de la citadelle militaire, construite au xviie siècle, dont les édifices, éclairés par un soleil de mi-journée se reflètent dans les eaux de l’Isère. Aux angles des murs de l’enceinte se dressent deux échauguettes (celle de droite est toujours en place) tandis que la Tour de l’Ile (xive siècle) est enserrée dans des bâtiments militaires. Pont et quais ne sont pas encore construits.

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44|gustAve mArgAin, viCtor muzet L’Isère à Grenoble, le pont Marius-Gontard, le clocher de l’église Saint-André et la chaîne de Belledonne

balade à grenoble

Situé en rive gauche, sur les berges de l’Ile-Verte, le photographe oriente son objectif vers le nord de la ville. Le quartier Saint-Laurent, qui connaît alors une intense activité liée à la ganterie, apparaît ici comme un îlot de calme. Cette impression est renforcée par la majesté du Saint-Eynard et la surface à peine ridée des eaux de l’Isère. Le quai Xavier-Jouvin sera aménagé dans les années 1865.


70|gustAve mArgAin, JosePh-Auguste JAger La terrasse du jardin de ville en hiver à Grenoble (entre 1866 et 1878) Format album – 14,9 x 10,1

À deux pas de leur atelier situé rue du Quai (actuelle rue Berlioz), Margain et Jager se plaisent à photographier la terrasse du jardin de ville et les marronniers. La force de cette image tient au caractère dépouillé du paysage ; dans une composition rectiligne se détachent les arbres dont la présence massive est soulignée par la brume hivernale.

71|Anonyme Place Saint-André

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(vers 1870) Moyen format – 17,4 x 12,4

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Une vue originale du palais de Justice (ancien palais du Parlement) mis en valeur par la présence, au premier plan, d’un cabriolet milord avec son cocher assis sur son siège surélevé.

72|Joguet Père et fils Place Saint-André, la statue de Bayard et la collégiale Saint-André (entre 1870 et 1875) Carte de visite – 9,6 x 5,5

Dès le xiiie siècle, Grenoble devient la ville de résidence des princes dauphins qui font construire leur église dynastique achevée en 1428, la collégiale Saint-André. Jusqu’au début du xxe siècle, trois boutiques, ouvertes sur la place, sont accolées à la façade. Face à celles-ci, le Café de la Table ronde, ouvert en 1739, qui poursuit aujourd’hui encore son activité. Au premier plan, la statue de Bayard érigée en 1823.

73|Anonyme, bAPtiste brAgArd Façade du collège des Jésuites (actuel lycée Stendhal) à Grenoble AttribuAble à

1860 Format album – 10,7 x 7,5

La façade classique de la chapelle de l’ancien collège des Jésuites a été édifiée au tout début du xviiie siècle. Cette vue est prise depuis la rue Pertuisière (actuelle rue Alphand) bordée à droite d’immeubles aujourd’hui détruits, à l’emplacement desquels a été construite la maison du tourisme.


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81|Anonyme Panoramas de Grenoble [pris] du fort Rabot [et] du jardin de ville (entre 1879 et 1885) Composés de dix épreuves sur papier albuminé collées sur dix cartons montés en accordéon et couverture Dimensions du panorama déplié : 23,5 x 112

On peut dater ce panorama par la présence de bâtiments ou d’aménagements connus entre ces deux dates. Ainsi, depuis le

fort Rabot, on distingue dans les quartiers qui se développent hors les murs, l’église Saint-Bruno ouverte en 1879 et, au cœur du centre ancien, le clocher-porche de la cathédrale dans son état roman, avant la pose de la façade masque en ciment moulé réalisée en 1885. Le panorama de ville est, depuis le début du xixe siècle, un genre très apprécié par les artisteslithographes. L’auteur de celui-

ci reprend un point de vue développé par nombre d’entre eux, en simulant une vue à 360° par le truchement de points de vue pris de part et d’autre de l’Isère : depuis la montée du fort Rabot pour la vision ouverte sur la ville en rive gauche de l’Isère, et depuis le jardin de ville pour la ville côté montagne. L’œil parcourt l’espace depuis la citadelle militaire jusqu’aux nouveaux

quartiers ouest, traverse l’Isère en aval du pont Marius-Gontard pour découvrir les quais de l’Isère depuis le quai de France jusqu’au quai Xavier-Jouvin, les édifices à flanc de montagne, les fortifications de la Bastille et le couvent de Sainte-Marie-d’en-Haut.


Voyage en Isère 82|Anonyme Pont-de-Claix (avant 1880) Moyen format – 8,5 x 14,7

Le cours Saint-André dessert depuis Grenoble le bourg situé à l’intersection des routes qui conduisent à gauche vers Vizille et la vallée de la Romanche, et à droite par le pont à Claix, vers Vif et le Trièves. Le Pont-de-Claix deviendra une commune en 1873.

83|GustAve mArGAin, Joseph-AuGuste JAGer Le pont de Claix (entre 1866 et 1874) Moyen format – 9,6 x 13,4

Construit entre 1608 et 1610 par Lesdiguières pour franchir le Drac, il est en service à la date de la photo. Cette vue offre une perspective étonnante sur le pont, le village et la plaine grenobloise traversée par le cours Saint-André, jusqu’aux contreforts de la Chartreuse.


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84|Anonyme Construction du second pont de Claix (vers 1874) Moyen format – 9,8 x 15,3

En 1874, un nouveau pont plus moderne dans sa conception est ouvert à la circulation. Construit en aval du premier, il se caractérise par sa grande arche surbaissée. Les deux ouvrages d’art sont encore en place aujourd’hui, seul le second est en usage.

85|Anonyme La place du château à Vizille

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(entre 1865 et 1888) Format album – 9,7 x 15,4

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La place principale avant que ne soit édifié, en 1888, le monument du centenaire de l’assemblée des trois ordres du Dauphiné réunis à Vizille le 21 juillet 1788.

86|GustAve mArGAin, victor muzet Le château de Vizille vu depuis le parc (1858 – 1859) Grand format – 21 x 23

Construit par le duc de Lesdiguières entre 1600 et 1620, une partie du château est, à la date de la photo, occupée par un atelier d’impression sur étoffes. Les prairies du parc sont utilisées pour le séchage des calicots comme on peut le voir ici.

87|victor muzet Le parc du château de Vizille (entre 1861 et 1863) Grand format – 23 x 36

La pièce d’eau et les cascades du parc ont inspiré les artistes. Muzet joue ici avec talent des ombres et des lumières reflétées dans les eaux pour nous offrir une vue romantique des lieux.


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95|Alfred michAud Oz-en-Oisans En rive gauche de l’Eau-d’Olle, au pied des Grandes-Rousses, se nichent Oz-en-Oisans et Vaujany dont on devine, en arrière-plan de l’image, les terrasses cultivées étagées sur le flanc de la montagne.

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(entre 1860 et 1870) Moyen format – 11,6 x 18,6

96|Alfred michAud Le Rivier-d’Allemont et le Grand Pic de Belledonne (entre 1860 et 1870) Moyen format – 11,7 x 18,1

Dernier village de l’Eaud’Olle, Le Rivier se trouve sur le passage des excursionnistes se rendant aux Sept-Laux (sept lacs en Belledonne) ou désirant rejoindre la Savoie par le défilé de Maupas, la combe d’Olle et les cols du Glandon et de la Croixde-Fer.

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Pouret lesen savoir photographes Plus sur l’isère

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Répertoire des photographes et éditeurs cités

Répertoire des photographes et éditeurs cités

Pour en savoir plus sur l’Isère

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S ourceS : Régis Baron ; Virginie Clerc, D’artistes à commerçants, les photographes grenoblois, mémoire d’histoire contemporaine, Grenoble, 2002. Les photographes professionnels à Grenoble Les dates sont celles de l’exercice déclaré Hubert baudon, 1862 – 1867, 3 rue Eugénie (rue de la Liberté) claude-auguSte bajat (voir la rubrique éditeur) FrançoiS brunel, 1863 – 1867, 9 rue du Lycée, prédécesseur de C. d’Hérou alpHonSe godard, photographe itinérant, présent à Grenoble en 1856 avant son installation à Gênes cHarleS d’Hérou, 1868 – 1880, 9 rue du Lycée (succède à F. Brunel) joSepH-auguSte jager 1866 – 1878, 6 rue du Quai, associé à G. Margain 1879 – 1881, 6 rue du Quai, associé à Victor Cassien

jean-baptiSte jouve 1866, montée Sainte-Marie 1867 – 1876, 52 quai Perrière. Il dispose aussi d’un atelier à Voiron, ouvert les lundis et mardis. jouve père et FilS, 52 quai Perrière, 1876-1880 victor lapouge, 1865 – 1880 2 place du Bœuf, 1865 – 1866 12 rue Montorge, 1867 – 1880 anne-Henriette lapouge (veuve), 12 rue Montorge, 1881 – 1888 victor lapouge, 12 rue Montorge, 1889 – 1900 veuve victor lapouge, 1901 eugène léon, 4 rue Lafayette, 1871 – 1884 (successeur de W. Mérienne) guStave Margain, 1856 – 1878 Grenoble, adresse inconnue, 1856 Place d’Armes (place de Verdun) 1857 – 1858 1858 – 1859, associé avec V. Muzet 13 place Grenette, 1859 – 1865 6 rue du quai, associé à Jager, 1866 – 1878

alFred MicHaud [- 1860 – 1872, Le Bourg-d’Oisans] - 1873 – 1878, Grenoble - 1876, 2 rue Vicat - 1877, maison Bajat à la Bajatière victor Muzet - vers 1858 – 1859, associé à V. Margain - novembre 1859 – février 1860 : associé avec Margain et Bajat au sein de la Société Photographique du Dauphiné (S.P.D.) - mars 1860 – février 1861 : associé avec Bajat seul au sein de la S.P.D., puis à partir de juin 1860, au sein de la Société photographique du Dauphiné et de la Savoie (S.P.D.S.) - mars 1861 – 1863 : V. Muzet exerce seul - automne 1863 : départ pour Lyon, associé avec G. Joguet 1864 – 1870 W. Mérienne, 1862 – 1870, 4 rue Lafayette à Grenoble, successeur de A. Poton auguSte poton, référencé en 1856, 14 place Grenette, puis 4 rue Lafayette


Répertoire des photographes et éditeurs cités

Les photographes professionnels en Isère ou ailleurs a. deSgrangeS, photographe en activité en 1869, installé probablement à Voiron au début des années 1870 juleS FeSSer 1872 – 1878 : Pupetières, photographe amateur 1878 – 1891 : La Côte-Saint-André, photographe semi-professionnel alexiS gautHier, Gauthier photographe 11, rue Juiverie, Vienne, vers 1870 -1877 gabriel joguet, photographe à Lyon, vers 1858 – 1873, associé à V. Muzet de 1864 à 1870 Félix Martinet, rue de la CroixBlanche à Allevard

pierre Meyniac, photographe à Lyon, associé à V. Muzet et G. Joguet en 1868 l. Maillet, rue de l’Archevêché à Vienne alFred MicHaud, 1860 – 1872 au Bourg-d’Oisans terrier jeune, 19 cours Brillier à Vienne Les amateurs-photographes en Isère (dates de vie) baptiSte bragard (?-1864), interne en médecine à l’hôpital de Grenoble entre 1858 et 1861, il est ami avec Joseph Flandrin qui deviendra pharmacien Henry duHaMel (1853-1917), écrivain et alpiniste, installé à Gières Henri Ferrand (1853-1926), avocat grenoblois, montagnard et écrivain Les éditeurs de photographies claude-auguSte bajat, la Bajatière à Grenoble éditeur de photographies,

marchands de gravures et de tableaux novembre 1859 – février 1860 : associé avec G. Margain et V. Muzet au sein de la Société Photographique du Dauphiné (S.P.D.) mars 1860 – février 1861 : associé avec Muzet seul au sein de la Société photographique du Dauphiné et de la Savoie (S.P.D.S.) eugène cHarpenay, installé à La Tronche, il achète, en 1876, le fonds et le matériel photographique de A. Michaud et signera nombre de clichés réalisés par ce dernier. MaiSonville et FilS et jourdan, 8 rue du quai à Grenoble imprimeurs et éditeurs de livres et journaux, deviennent libraires en septembre 1859 et sont les éditeurs de la S.P.D.S. de novembre 1859 à mars 1861.

163 Pour en savoir plus sur l’Isère

roStaing FilS - 1880 – 1886, 22 rue Lesdiguières - 1887 – 1896, 25 avenue AlsaceLorraine - 1905 – 1906, cours Lafontaine roStaing-biécHy, à partir de 1887, 17 rue Lesdiguières à Grenoble


Glossaire

Glossaire

Pour en savoir plus sur l’Isère

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Source : François-Régis Crolard, Identifier et connaître les photographies du xixe siècle, Coublevie, tapuscrit, s.d., 110 p. Ambrotype (1854) Image, apparemment positive, en noir et blanc, sur une plaque de verre présentée sur un fond noir. CAlotype ou tAlbotype (1839) Premier procédé négatif-positif sur papier inventé par Talbot.

CArte de visite

photogrAphique (1854) Photographie de petit format (environ 9 x 6 cm) montée sur un bristol au format d’une carte de visite.

CArte-Album ou formAt Album et CArte-CAbinet ou formAt CAbinet Comme son nom l’indique, la carte-album (11 x 16,5 cm) est destinée à être insérée dans un album tandis que la cartecabinet (12 x 16) est encadrée. CliChé sur verre Au Collodion (1850) Image négative, en noir et blanc, sur plaque de verre au collodion, utilisée entre 1850 et 1910.

CliChé sur verre Au gélAtino-bromure (1878) Image négative sur plaque de verre au gélatino-bromure d’argent. Le cliché souple au gélatino-bromure, inventé en 1889, est aujourd’hui encore en usage dans la photographie argentique. dAguerréotype (1839) Image unique, en noir et blanc, qui apparaît à la surface d’une couche d’argent poli déposée sur une plaque de cuivre. Certains sont colorés à la main. ferrotype (1856) Image négative, qui apparaît positive après développement, sur une fine plaque de métal recouverte d’un vernis noir.


Glossaire

pApier Albuminé (1850) Procédé de tirage d’épreuves sur des feuilles de papier recouvertes sur une face d’albumine (blanc d’œuf) apte à maintenir un halogénure d’argent sensible à l’action de la lumière. Compte tenu de leur finesse, les épreuves sur papier albuminé sont collées sur des cartons de différents formats.

physionotrACe Portrait de profil réalisé à l’aide d’un pantographe, équipé d’un viseur, avec lequel le dessinateur suit les contours du visage du modèle. Le dessin est ensuite réduit et gravé sur une plaque de cuivre qui permettra le tirage d’épreuves multiples. silhouette Dessin au trait d’un profil ou d’un buste réalisé en suivant les contours de l’ombre du sujet projeté, à l’aide d’une lumière, sur une feuille de papier. La forme est ensuite réduite à l’aide d’un pantographe et la silhouette obtenue est soulignée d’un aplat noir à l’encre de Chine.

vue ou CArte stéréosCopique Elle est constituée de deux tirages sur papier albuminé d’environ 7 cm de côté, collés sur un support carton de 9 cm de hauteur sur 17 cm environ de largeur. Regardées à l’aide d’un appareil optique, les deux épreuves se confondent en une image en relief (trois dimensions).

165 Pour en savoir plus sur l’Isère

pApier sAlé (1839) Procédé de tirage d’épreuves sur de simples feuilles de papier sensibilisées aux sels d’argent (chlorure d’argent).


Dès son invention en 1839, la photographie a rencontré un succès public considérable, débordant vite le cadre du cénacle parisien pour toucher la province et notamment l’Isère. À Grenoble, Vienne ou encore Voiron, se développe, sous le Second Empire, une floraison d’ateliers photographiques, fréquentés par une bourgeoisie aisée venue se « faire tirer le portrait ». Mais la photographie iséroise se distingue surtout par la production de nombreuses vues de paysages, réalisées pour les premiers touristes fortunés, qui se rendent à la Grande Chartreuse, à Allevard, à Uriage ou en Oisans. Riche de plus de 200 reproductions de tirages originaux d’époque, légendées et documentées, Couleur Sépia constitue le tout premier travail d’envergure consacré aux débuts de la photographie en Isère. Un précieux témoignage à découvrir, à la fois livre d’art et ouvrage de référence.

b www.editions-libel.fr 35,00 euros TTC ISBN : 978-2-917659-05-2 Dépôt légal : octobre 2009

9 782917 659052


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