Prix : 19,00 euros www.editions-libel.fr
Dépôt légal : mars 2010 ISBN 978-2-917659-09-0
ÉRIC RONDEPIERRE SEUILS ‘‘ Je vois le seuil comme une zone d’hésitation, de franchissement, une marque de discontinuité. C’est un appel vers le différent, l’inconnu. Ce basculement vers le deux – que l’on retrouve dans presque tous mes travaux – c’est aussi le lieu exaltant des rencontres et des choix. Mais c’est un point tangent, une simple lettre. Enlevez i, reste seul.’’
ÉRIC RONDEPIERRE SEUILS
Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition “Seuils”, présentée à la galerie le Bleu du ciel du 9 mars au 30 avril 2010.
Le Bleu du ciel “le traitement contemporain” 10 bis rue de Cuire 69004 Lyon — 04 72 07 84 31 www.lebleuduciel.net
Gilles Verneret, directeur artistique du Bleu du ciel, remercie Georges Képénékian — Adjoint à la Culture de la Ville de Lyon Yvon Deschamps — Région Rhône-Alpes, conseiller délégué à la Culture Alain Lombard — DRAC Rhône-Alpes Samuel Bosc & Anne Grumet — Délégation à la Culture de la Ville de Lyon Isabelle Arnaud-Descours & Isabelle Chardonnier — Région Rhône-Alpes Michel Griscelli & Alain Rérat — DRAC Rhône-Alpes, conseillers Arts plastiques Yves Robert — Directeur de l’École nationale des beaux-arts de Lyon Éric Rondepierre pour sa participation et les équipes du Bleu du ciel et de Libel
DEs CONflagRatIONs tEmporELLES Denys Riout Éric Rondepierre fut comédien, danseur, peintre. Cinéphage, également. Depuis une vingtaine d’années, il utilise le médium photographique sans pour autant se dire photographe. Il puisa longtemps son butin exclusivement dans le continuum de la pellicule filmique, nous présentant des pépites qui, sans lui, n’auraient jamais existé. À partir de 1989, l’artiste a repéré des images noires dans des films sous-titrés. Fort rares, ces photogrammes presque invisibles lors de la projection sont magnifiés par la photographie. Images d’une image absente, ces Excédents confèrent au sous-titre un pouvoir souvent désopilant, toujours énigmatique. Ainsi peut-on lire au bas d’un rectangle noir : — J’éteins ? — Non… Quand Éric Rondepierre photographie des images de film, il nous révèle une réalité cinématographique niée par le mouvement de la projection. Ses Bandes-annonces (1991-1993) saisissent les inquiétantes perturbations de la représentation engendrées par le texte qui prend forme, image après image. Le Précis de décomposition (1993-1995) explore les altérations des constituants matériels de la pellicule. Dues au temps, ces décompositions plus ou moins graves transforment l’image initialement enregistrée. Sur les ruines du film, la photographie butine des occasions d’émerveillement. Avec les Stances, exposées en 1998, Éric Rondepierre montre ses photographies du paysage défilant dans
le cadre formé par la fenêtre à demi ouverte d’un train circulant en Allemagne. Pour la série des Loupes/Dormeurs (1999), il compose des images dans lesquelles un fragment de pellicule apparaît, et il leur adjoint le texte d’une fiction qui vient tramer le visible. Les Agendas, suite in progress initiée en 2002, reprennent ce type de superposition : une mosaïque de clichés pris au jour le jour est nappée de l’écriture de son journal. Dans ces deux séries, ses propres photographies ne sont nullement des œuvres à part entière, mais des éléments qui participent d’un univers plus complexe. La série Parties communes (2007) organise d’autres collusions. Des personnages issus du matériel des Agendas s’invitent dans l’espace de photogrammes empruntés à des films muets. Seuils, suite encore ouverte, reprend et amplifie ces fulgurances qui mêlent des strates de temps, des médiums, des imaginaires. Elles sont d’autant plus fascinantes que leur implacable cohésion formelle est mise au service d’une hétérogénéité fondamentale, celle d’une activité mentale qui conjugue la concentration de l’attention et les diversions de l’inconscient. L’artiste apparaît parfois dans ces images, sous la forme d’un reflet — manière pudique de signaler leur caractère intime. Le titre générique de cette série, Seuils, convient parfaitement au vacillement engendré par ces fragments d’espace dévolus au passage, à ces entre-deux dont aucune définition ne permet la compréhension et qu’il faut éprouver dans
le mouvement de la vie pour en saisir les potentialités émotionnelles. Le seuil est le lieu par excellence des rencontres, des chocs, de l’expectative. Celui des décisions aussi. C’est là que l’artiste puise sa propre force, ainsi qu’il le dit : “ Ma recherche s’est toujours nourrie des relations, relais et passages effectués entre des pratiques aussi différentes que le théâtre, la danse, la peinture, le cinéma, la photographie, la littérature… mon hypothèse est que tout est toujours déjà oblique, transversal. Aussi, ne puis-je saisir un paramètre que déjà réfracté, médiatisé par un autre. Vécu comme tel, le processus se déplace indéfiniment, rebondit 1 ”. La référence proustienne, implicite, s’impose à l’esprit de qui regarde ces “ seuils ” dans lesquels une bouffée de passé surgit dans le présent (Sortie, Compagnie), ou l’inverse (Arkadin). Divers marqueurs signalent ces dyschronies. L’opposition du noir et du blanc est l’un d’eux. Les vêtements, les coiffures, les postures corporelles en sont d’autres, plus discrets. Bien des éléments qui paraissent “ naturels ”, sont en fait éminemment culturels. Éric Rondepierre remarquait un jour combien les voix sonnent faux lorsque des personnages en costume, dans les films historiques, parlent avec nos intonations une langue aujourd’hui inusitée. La magie des images de Seuils tient notamment à la tension provoquée par l’écart entre la perception de leur cohérence plastique — à ce titre, il ne s’agit nullement de collages — et la compréhension simultanée, ou
presque, de leur hétérogénéité. Comme la littérature, le cinéma raconte des histoires. Chacune des œuvres de la série Seuils en est un concentré, suggéré à notre imagination par les personnages qui les hantent. Qu’ils nous tournent le dos comme dans Champs-Élysées, Loge ou Perspective, ferment les yeux (Nocturne) ou ne s’occupent ostensiblement pas de nous (Sortie), ces hommes et ces femmes sont tout à leurs affaires, leurs tragédies. Plusieurs tiennent un pistolet, d’autres se querellent, une morte dérive. Un mouvement anime ces scènes dans lesquelles les protagonistes marchent souvent, courent parfois, et sont presque toujours inscrits dans un environnement habité de lignes obliques, où le guingois est la norme. L’empreinte d’une précarité électrique confère à ces photographies la puissance d’un éblouissement. Aussi sont-elles capables d’entrer en résonance avec un fonctionnement psychique qui ignore les frontières entre le passé et le présent, la photographie, le cinéma et la vie.
1
Éric Rondepierre, “ La tache aveugle ”,
Apartés, Trézélan, Filigranes Éditions, p. 29.
tEMPORal CoNFLAGrAtIoNS Denys Riout Traduction
Charles Penwarden Éric Rondepierre has been an actor, dancer and painter. A passionate watcher of films, too. For some twenty years now he has been using the medium of photography, yet without calling himself a photographer. For a long time he has mined his gold from the continuum of film reels, bringing us nuggets that without him would never have existed. In 1989 the artist began digging for black images in subtitled films. Extremely rare and almost invisible during a projection, these frames were magnified by photography. Images of an absent image, these Excédents confer an often hilarious and always enigmatic power on the accompanying subtitles, as in the example where, below a black rectangle, we read the words — J’éteins ? — Non… (Shall I switch off ? No…). When Rondepierre photographs film images he reveals a cinematographic reality that is denied by the movement of the projection. His Bandes-annonces (1991–93) grasp the disturbing perturbations in representation engendered by the text taking form, image by image. The Précis de décomposition series (1993–95) explores the material deterioration of the film stock over time. The varying degrees of decomposition transform the image originally recorded. Photography thus gleans opportunities for wonder amidst the ruins of film. In his Stances, exhibited in 1998, Rondepierre shows
photographs of the landscape flashing past within the frame formed by the half-open window of a train travelling through Germany. For the series of Loupes/Dormeurs (1999) he composed images in which a fragment of film appears and adjoined to these the text from a fiction that weaves together the visible elements. Begun in 2002, the ongoing Agendas series use the same kind of superposition: mosaics of everyday photographs are inlaid with handwriting from his diary. In these two series his photographs are not independent works in their own right, but elements of a more complex universe. The Parties communes series (2007) organises other forms of collusion. Figures from the material used in the Agendas turn up in the space of frames taken from silent films. Seuils, another suite in progress, reprises and amplifies these intense, flashing visions combining strata of time, mediums and imaginaries. They are all the more fascinating in that their implacable formal cohesion is placed in the service of a fundamental heterogeneity, that of a mental activity combining concentrated attention and the diversions of the unconscious. The artist sometimes appears in his images in the form of a reflection, this being a modest way of indicating their personal nature. The generic title of this series, Seuils, is perfect for the wavering engendered
by these fragments of space devoted to passage, to those in-between places that cannot be understood by means of any definition and that must be experienced as part of the movement of life if we are to grasp their emotional potential. The threshold is eminently the place of encounters, clashes and expectancy. And also of decisions. It is there that the artist draws his strength, as he himself says : “ My research is always stimulated by the relations, continuities and interchanges between practices as different as theatre, dance, painting, cinema, photography and literature. My hypothesis is that everything is always already oblique, transversal. And so I can only grasp parameters that are already refracted, mediated by another. Experienced for itself, the process is endlessly displaced, is constantly rebounding 1 ”. The implicit Proustian reference becomes evident to anyone who looks at these “ thresholds ” in which the past gusts into the present (Sortie, Compagnie), or vice versa (Arkadin). There are various markers signalling this dis-synchrony. One of them is the opposition of black and white. Others are the clothes, the hair and the postures. Many elements that seem “ natural ” are in fact eminently cultural. Éric Rondepierre once noted how false voices sound when figures in a costume drama speak the language of the past with modern
intonations. The magic of the images of Seuils is due, for one thing, to the tension induced by the gaps between the perception of their visual coherence – in this respect, they are certainly not collages – and the simultaneous or almost simultaneous understanding of their heterogeneity. Like literature, cinema tells stories. Each of the works in the Seuils series is a concentrate and speaks to our imagination through the figures that haunt it. Whether they are turning their back on us, as in Champs- Élysées, Loge or Perspective, closing their eyes (Nocturne) or conspicuously taking no interest in us (Sortie), these men and women are all absorbed in their own affairs, their tragedies. Several are holding a gun, others are quarrelling. A dead woman drifts by. A movement runs through these scenes whose protagonists are often walking, sometimes running, and are nearly always seen in a setting full of oblique lines, where thing are usually askew. An electric sense of precariousness endows these photographs with the power of dazzlement. They can thus resonate with a psychic function that knows nothing of the frontiers between past and present, between photography, cinema and life.
1
Éric Rondepierre, “ La tache aveugle ”,
Apartés, Trézélan, Filigranes Éditions, p. 29.
Nocturne, 2008, 100 x 133 cm
Visiteur, 2008, 100 x 133 cm
Campement, 2008, 50 x 67 cm
Bagatelle, 2008, 105 x 180 cm
Arkadin, 2008, 50 x 67 cm
DĂŠrive, 2008, 50 x 50 cm
Compagnie, 2009, 80 x 120 cm
Courant, 2008, 100 x 133 cm
Énigme, 2008, 50 x 67 cm
Hiver, 2009, 80 x 120 cm
Loge, 2008, 100 x 133 cm
Cible, 2008, 50 x 65 cm
Passagère, 2008, 105 x 180 cm
Photographie, 2008, 100 x 133 cm
Perspective, 2008, 50 x 87 cm
Prise, 2008, 50 x 67 cm
Scène, 2008, 50 x 67 cm
Sortie, 2008, 50 x 67 cm
Champs-Élysées, 2009, 75 x 150 cm
Éric Rondepierre, d’abord comédien, se dirige ensuite — via la peinture — vers un travail photographique lié au cinéma. Depuis 1992, son activité artistique joue sur les rapports dynamiques qu’entretiennent ces deux pratiques. L’œuvre est dans les grandes collections américaines et européennes. Elle a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles et collectives en France et à l’étranger (Grèce, Espagne, Italie, Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, États-Unis, Suisse, Suède, Brésil, Chili, Argentine...). Citons, pêle-mêle, le Musée d’art moderne de New York (1993 et 1995), la Biennale de Lyon (1995 et 2001), le Centre Pompidou (2006 et 2008), le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (“ Voici ”, 2001), la Villa Oppenheim (Berlin, 2008). L’artiste est aussi l’auteur de nombreux livres. Dernières parutions : Placement (Ed. du Seuil, 2008), Toujours rien sur Robert (Ed. Léo Scheer, 2008). Deux ouvrages lui ont été consacrés. Le premier est un essai de Thierry Lenain (Éric Rondepierre, un art de la décomposition, Ed. La lettre volée, Bruxelles, 1999), l’autre une monographie aux éditions Léo Scheer (Éric Rondepierre, Paris, 2003) avec des textes critiques de Pierre Guyotat, Daniel Arasse, Denys Riout, Jean-Max Colard, Thierry Lenain, Alain Jouffroy, Hubert Damisch, Marie José Mondzain. Pour les émissions de radio, les films et pour toute information complémentaire, on se reportera au site de l’artiste : www.ericrondepierre.com
Éric Rondepierre began his career as an actor then turned towards painting before taking up photography and its relation to cinema. Since 1992 his practice has been articulated around the dynamic connection between these two mediums. His work is held in major American and European collections and has been seen in group and solo exhibitions in France, Greece, Spain, Italy, Germany, Austria, Belgium, Canada, the United States, Switzerland, Brazil, Chile and Argentina, showing at venues such as MoMA New York (1993 and 1995), the Lyon Biennale (1995 and 2001), the Pompidou Centre (2006 and 2008), the Palais des Beaux-Arts, Brussels (“ Voici ”, 2001), and Villa Oppenheim (Berlin, 2008). He has also published numerous books, most recently Placement (Seuil, 2008) and Toujours rien sur Robert (Léo Scheer, 2008). Two books have been published about his work: an essay by Thierry Lenain (Éric Rondepierre, un art de la décomposition, La Lettre Volée, Brussels, 1999), and a monograph (Éric Rondepierre, Léo Scheer, 2003) featuring critical texts by Pierre Guyotat, Daniel Arasse, Denys Riout, Jean-Max Colard, Thierry Lenain, Alain Jouffroy, Hubert Damisch and Marie José Mondzain. For radio shows, films and all other information, see the artist’s website: www.ericrondepierre.com
Édition Libel, Lyon www.editions-libel.fr Graphisme Jérôme Granjon (pupik.fr) pour Libel Photogravure Artscan, Lyon Crédits photographiques Photographies © Éric Rondepierre Impression EBS, Vérone Dépôt légal Mars 2010 ISBN 978-2-917659-09-0
Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou par quelque moyen électronique ou mécanique que ce soit, y compris des systèmes de stockage d’information ou de recherche documentaire, sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Première édition © Libel Il a été tiré 30 exemplaires numérotés de 1 à 30 de cette édition, signés par l’artiste et accompagnés d’un tirage original.
Prix : 19,00 euros www.editions-libel.fr
Dépôt légal : mars 2010 ISBN 978-2-917659-09-0
ÉRIC RONDEPIERRE SEUILS ‘‘ Je vois le seuil comme une zone d’hésitation, de franchissement, une marque de discontinuité. C’est un appel vers le différent, l’inconnu. Ce basculement vers le deux – que l’on retrouve dans presque tous mes travaux – c’est aussi le lieu exaltant des rencontres et des choix. Mais c’est un point tangent, une simple lettre. Enlevez i, reste seul.’’